Ceinture blanche - Lola Mansour - E-Book

Ceinture blanche E-Book

Lola Mansour

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Beschreibung

Anya, jeune judoka, est bien décidée à aller au bout de son rêve de devenir championne !

Je serai une championne. Bien décidée à donner un sens à sa vie, c’est l’objectif que s’est fixé Anya à l’aube de ses douze ans. Avec la connivence d’une grand-mère aussi éclairée que farfelue et d’une famille ouverte sur le monde, elle s’engage dans une carrière sportive, à la faveur d’une volonté inébranlable. Un ami fidèle et un vieux maître feront le reste. Passionnée et audacieuse, Anya apprendra à caresser les étoiles…
Gambadant entre ironie décapante et anecdotes pétillantes, l’auteure nous invite à une aventure tantôt onirique, tantôt ancrée dans la réalité du sport de combat. Il ne s’agit pas d’une autobiographie, mais d’un roman, où l’imaginaire et la fantaisie croisent une inspiration puisée dans l’expérience. Un magnifique moment de lecture.

Ce roman a été préfacé par Charline Van Snick, médaillée olympique et double championne d'Europe de judo.

Découvrez sans plus attendre ce roman d'une jeune auteure belge en plein cœur de l'univers du judo où la réalité du sport de combat fait parfois place à l'imaginaire et à la fantaisie.

EXTRAIT

Nous connaissons également quelques périodes de trêve, entre les batailles, au cours desquelles j’ai droit à des séances de lecture, des jeux de cartes – que je m’arrange pour gagner – et d’autres activités banales, mais agréables à partager.
Jusqu’au jour où j’ai appris à dire non, je leur ai même servi de poupée vivante sur laquelle elles expérimentaient coiffures et maquillages exotiques. Après cette phase de poupée Barbante, je me souviens avoir conçu une fascination pour des poupées plus volumineuses : les sumos. Aux côtés de mon père, je ne me lassais jamais de regarder leurs combats. Mon idole se nommait Akebono, c’était un champion hawaiien. Le seul de l’histoire – à cette époque – à qui fut accordée la prestigieuse nationalité japonaise. Le Pampers collé aux fesses comme unique tenue et munie de mon chignon d’aspirant samouraï, je me sentais proche de ces lutteurs asiatiques. J’expérimentais régulièrement les figures découvertes à la télévision avec les enfants rencontrés au bac à sable. Je les projetais dans tous les sens, au gré de mon inspiration, devant les yeux horrifiés des parents qui ne tardaient pas à foncer dans la mêlée. J’en prenais pour mon grade : sauvageonne, mal élevée, hyperactive, immigrée… Au moins, au Japon, les sumos sont vénérés pour ce qu’ils font au lieu d’être privés de jouets. D’un coin à l’autre de la planète, la vie est tellement injuste ! C’est en tout cas de cette époque que date mon attrait pour le pays du Soleil Levant.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Lauréate du prix Jeune Public Brabant wallon de la Fondation Laure Nobels 2018, Lola Mansour est née à Bruxelles en 1993. Elle a écrit les premières lignes de ce roman à l’âge de 17 ans, lors d’un stage sportif à Berlin, profitant de ses moments de solitude au sein d’une fratrie masculine. Médaillée d’or aux Jeux Olympiques de la jeunesse en 2010 et championne d’Europe junior de judo en 2012, Lola adore rire… en particulier d’elle-même !

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Avant-propos

Lola Mansour est lauréate du Prix Jeune Public Brabant wallon de la Fondation Laure Nobels1 – 4e édition. Elle a écrit son roman l’année de ses 17 ans.

Avec enthousiasme et subtilité, l’auteure a amélioré son texte initial sur la base des conseils judicieux des lectrices et lecteurs qui ont composé le jeune jury du Brabant wallon et de la Compagnie CLéA.

Au point de remporter ce prix haut la main, attribué en partenariat avec le Brabant wallon. À travers cette participation, cette province belge souhaite encourager la lecture et l’écriture, notamment chez les plus jeunes, et rappelle une nouvelle fois son enthousiasme au soutien et à la mise en lumière de ces jeunes artistes et de leurs créations.

Enfin, les co-présidents de la Fondation Laure Nobels et les éditions Ker ont apporté au récit le contrôle final.

Nous félicitons de tout cœur Lola Mansour.

Le Conseil d’Administration de la Fondation Laure Nobels

1 La Fondation Laure Nobels finance la publication et la promotion d’œuvres littéraires en français, écrites par de jeunes auteurs belges. Pour déterminer les bénéficiaires, la Fondation soumet les manuscrits présentés par les jeunes à la lecture critique d’un jury indépendant. Composé d’experts en littérature, celui-ci évalue l’originalité et la qualité des œuvres proposées. Chaque année, un lauréat est récompensé par le Prix de la Fondation Laure Nobels. Les années impaires, celui issu du groupe des 15-19 ans, et les années paires, celui issu du groupe des 20-24 ans. Chaque année, un deuxième lauréat est récompensé par le Prix Jeune Public Brabant wallon de la Fondation Laure Nobels. Chaque prix consiste à introduire sur le marché de la littérature, selon toutes les normes professionnelles en vigueur dans le monde du livre. Plus d’infos : www.fondationlaurenobels.be

Préface

par Charline Van Snick

Il y a dans le judo un esprit que j’aime, au-delà de son aspect purement sportif. Une façon de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Pourvu que vous soyez respectueux de vous-même comme des autres et prêt à vous donner à fond, vous serez bienvenu sur un tatami. Peu importe votre portefeuille, peu importe votre gabarit. Cette absence d’élitisme, je la chéris, moi qui jouis, comme Lola, d’une taille disons… modeste.

J’ai connu Lola lors de stages et d’entraînements fédéraux. Elle a quelques années de moins de moi, mais au fil du temps, nous nous sommes rapprochées. Quand vous la rencontrerez, vous découvrirez d’abord son sourire, puis son humour ravageur. Mais l’habit ne fait pas le moine : derrière cette espièglerie, cette légèreté se cache une guerrière, une judokate redoutable, disciplinée. J’ai vite appris à aimer cette dualité et j’ai adoré la retrouver chez Anya, l’héroïne du roman que vous vous préparez à lire.

L’humour d’Anya m’a particulièrement touchée à l’occasion de scènes précises, comme celle où elle se fait éjecter d’un entraînement de basket avant même d’avoir pu y poser le talon. Moi aussi, je me suis frottée à d’autres sports avant le judo. Beaucoup, même. La danse, le karaté, l’escalade, et même la natation. Une catastrophe, la natation : je n’y trouvais que de l’ennui, à enchaîner les longueurs de bassin et pour ne rien arranger, je n’ai jamais réussi à flotter correctement. Lors des entraînements, je coulais ! On s’imagine parfois que les grands sportifs sont bons dans tous les sports, mais cela n’a rien d’une généralité. Lola et moi en sommes l’illustration parfaite : ce n’est pas dans le sport en général, mais dans le judo que nous avons trouvé notre voie. Il y a une nuance de taille.

J’entends souvent dire de mille et une activités – le scoutisme, le voyage, le football… – qu’elles sont des écoles de vie. J’ai le sentiment que cette expression ne s’applique parfaitement qu’au judo. Parce qu'il s'y trouve un univers qui tient au moins autant du code moral que de la technique sportive : on se salue, on se dépasse, on applique ce que dit le maître… Cela a tendance à se perdre, aujourd’hui, ce respect de l’autorité bienveillante. Faire du judo, cela remet les idées en place, cela nous pousse dans une bonne direction. Ces valeurs, je les ai retrouvées dans le roman de Lola. J’ai aimé le fait que chacun de ses personnages soit, à sa manière, un champion. Même ceux qui ont abandonné la compétition, même ceux qui ont tourné le dos au judo, même ceux qui n’ont jamais eu le cœur au sport. Tous ont à cœur de prendre soin des leurs et de se dépasser. C’est cela, l’esprit du judo. Et c’est en cela qu’il est beau, comme est belle l’histoire d’Anya. Je souhaite qu’elle vous inspire et que ses valeurs vous guident !

PARTIE I : L’œuf

1

J’ai toujours rêvé de devenir une super héroïne, sans attache, se laissant porter par les nuages. D’aussi loin que je me souvienne, j’étais Pocahontas galopant dans la forêt, puis Peter Pan s’envolant vers le pays imaginaire. Plus tard, j’embarquais comme pirate sur le galion le plus redouté des océans, avant de me poster sur le quai 9 ¾, direction Poudlard.

Paradoxalement, ma réalité était plate comme une eau de robinet. Loin de s’effacer, ma timidité grandissait avec moi. Mon courage s’évanouissait face au premier insecte : raté pour la vie de squaw. À peine montée sur un escabeau, mon vertige me dominait : Peter Pan s’envolerait sans moi. Ma bravoure faisait défaut dès les premières scènes des films d’horreur : mission impossible au royaume des sorciers. Quant à mes aptitudes aquatiques, dignes d’une poutre en bois, elles auraient tout juste risqué d’asphyxier de rire des milliers de poissons : farewell Jackie Sparrow.

Pour ne rien arranger, toutes mes idoles venaient de régions aux noms enchanteurs et à la réputation prestigieuse : le Nouveau Continent, le pays du Soleil Levant… quand mes géniteurs avaient opté pour la Belgique – le bien nommé platte land – pour me faire naître. Autant dire que tout était en place pour anéantir mes rêves dès le berceau. Aux portes de l’adolescence, mes aspirations héroïques se firent définitivement la malle et je fus contrainte de revoir mes perspectives d’avenir.

Après plusieurs semaines d’introspection et au terme de longues nuits d’insomnie arrosées de chocolat fumant, à la recherche d’un plan de sauvetage, une révélation : je serais une championne !

Adulés chez les anciens Grecs, les champions incarnent ce qui fait d’un mortel un être hors normes, exceptionnel, doté des vertus cardinales : courage, force, détermination, passion, endurance, dépassement de soi… Des modèles, des demi-dieux, des trois-quarts de déesses des temps modernes. Qui ne rêverait de leur ressembler ?

À dater de ce jour, cette vocation devint une obsession. Il suffisait d’y croire pour croître. J’étais certaine de détenir les atouts nécessaires : une large réserve de volonté, pas d’antécédents médicaux et des membres fonctionnant normalement. J’avais aussi l’intuition d’être née avec un talent, certes enfoui dans un endroit encore secret de mon organisme, mais qui ne tarderait pas à s’afficher au grand jour, telle une taupe claustrophobe. Il ne manquait qu’un élément à ces projets alléchants : trouver la manière d’accéder au triomphe ! Et ce détail s’est révélé plus ardu que prévu.

C’est habituellement sous l’influence d’un parent ou d’un proche qu’on se risque à des exercices physiques dirigés. J’avais hérité d’une famille particulière, essentiellement dominée par des artistes autoproclamés. Avec eux, philosopher sur chaque catastrophe naturelle et décortiquer les abominations du monde relevait de la tradition séculaire. Mais attention, cette discipline s’effectue obligatoirement assis, jusqu’à ce que les fauteuils adoptent les empreintes des fesses : sa pratique exige que l’action reste secondaire. Parfois, quand les problèmes étudiés se révèlent trop complexes, l’objectif se resserre sur un « élu » jugé représentatif, afin de pointer ses défauts et actes manqués. Les débats se prolongent alors pendant des heures interminables, avec pour seul entracte une gerbe occasionnelle d’Olga, la chatte persane, si vieille qu’elle se lâche là où elle se trouve.

Dès ma prise de conscience de cet univers de bavardage, je fis vœu de silence. Une pipelette de plus et le vase généalogique aurait giclé.

Il était donc entendu que je me lançais dans une quête que seul le hasard pouvait baliser. Je ressentais néanmoins la nécessité de partager mon projet avec une personne de mon entourage. Il me fallait trouver un guide et une case départ, afin de savoir où et comment jeter les dés de mon destin. Je décidai de consulter ma grand-mère, proclamée oracle qui me mettrait sur le droit chemin.

2

Très jeune, je l’avais rebaptisée Xena. C’était une femme de caractère, dont la vie n’avait pas toujours été une cuisine bien rangée. Je la voyais guerrière, parée d’une robe bariolée en guise de tenue de combat. Elle était prête à affronter tous les dangers, avec l’arme la plus redoutable que le monde ait connue : sa canne en bois de châtaignier.

Son imagination dépassait les meilleurs récits fantastiques. En comparaison, Disney et Pixar avaient la fantaisie d’un Code civil. Chaque jour, elle me plongeait dans son royaume, au sommet des montagnes enchantées du Monténégro, entourée d’elfes blagueurs, de fées malicieuses, d’ours gloutons et de loups féroces. Pour mes sept ans, j’eus le privilège d’être anoblie par sa seule volonté de reine absolue. Je fus proclamée Prrincesse hérritièrre du Rroyaume des Fées – elle roulait toujours ses r comme le font les pigeons pendant la période des amours – et je n’avais pas le droit de refuser. Mes deux grandes sœurs n’eurent qu’à bien m’aimer.

Je ne me lassais pas de ses histoires – à force de les entendre, j’en connaissais certaines par cœur – où elle tenait toujours le rôle principal. J’aimais qu’elle décrive l’admiration des jeunes du voisinage : elle était la fille la plus forte et la plus belle du village. Émerveillée, je la regardais s’illuminer tandis qu’elle me racontait comment elle battait à plate couture tous les garçons qui osaient la défier. Elle enchaînait sans transition sur la cueillette hebdomadaire de fruits. C’était elle, évidemment, qui ramenait le seau de mûres le plus rempli, malgré le kilo déjà englouti sur le chemin. Un délit de gourmandise trahi par un rouge à lèvres violet tout frais.

De la banalité quotidienne, elle tirait une multitude d’épopées merveilleuses. Au son de sa voix, les pesanteurs s’allégeaient et les tableaux les plus sombres adoptaient des tons pastel.

Un jour que nous marchions le long d’un parc, une question me traversa l’esprit :

— Xena, je peux te poser une question ?

— Bien sûr, ma chérie tout ce que tu veux.

— Est-ce que tu as un fiancé ?

À cette époque, cela faisait dix ans que son mari l’avait quittée pour aller vivre en Gaume. Était-ce pour les beaux yeux d’une agricultrice hospitalière ? Avait-il eu des problèmes judiciaires ? Travaillait-il dans les services secrets ? Depuis qu’il avait claqué la porte de la maison familiale, il s’était évaporé. Ce départ restait un mystère pour tous ceux qui l’avaient connu. Pourtant, son absence ne se remarquait pas. En homme distingué, il parlait peu et n’avait exprimé d’affection qu’à son chat siamois. Lorsqu’il ne travaillait pas à l’agence immobilière, il passait son temps à écouter du jazz instrumental et à lire le journal, son félin aplati sur les genoux et un cigare au bec. Sa femme et lui avaient été victimes d’un mariage arrangé et briseur de rêves. On ne pouvait que deviner les regrets qui le hantaient et se consumaient comme son havane. Ce qui sauva ma grand-mère de cet infernal ennui fut l’amour qu’elle porta à ses enfants. À la seconde où on lui posa son premier bébé dans les bras, elle trouva une raison d’aimer et de lutter. Lien que mon grand-père ne fut jamais capable d’établir avec sa progéniture. Le seul moment où une lueur jaillit dans ses yeux fut quand il tira définitivement un trait sur ce qui, un jour, avait été sa vie.

Mais Xena me gardera cette histoire pour plus tard. N’ayant pas le cœur à fissurer ma naïveté présumée, elle avait créé le concept de prince charmant à distance.

— Oui, j’en ai un.

— Mais où est-il, alors ? Pourquoi ne me l’as-tu jamais présenté ?

— Tu ne l’as jamais vu parce qu’il vit très loin ! Il se prénomme Maratumba. Il habite en Amazonie et on s’écrit régulièrement des lettres d’amour.

— Oh ! Ton fiancé est un aventurier d’Amazonie… Quelle chance !

Après cette déclaration, elle s’est brusquement arrêtée puis s’est écroulée de rire jusqu’à ne plus pouvoir se relever. Évidemment, à l’époque, je ne compris pas la raison de cette hilarité soudaine.

Ce fut le premier épisode de la saga amoureuse de ma grand-mère. Le temps de ma crédulité – autant dire une longue période – elle m’alimenta de nouvelles de son amant sud-américain. Je raffolais de chacune de ses aventures.

Ce combattant amazonien ne quitta plus mes pensées. Je l’imaginais avec quelques traits de peinture sur le visage et des tatouages décorant sa musculature. Je le voyais robuste, fier et les cheveux longs, jamais séparé de son arc et de ses flèches, mais paradoxalement doté d’une grande finesse. Je le visualisais perché sur un arbre, inspiré par le coucher du soleil, en pleine rédaction d’un poème romantique destiné à sa belle. Il écrivait ses vers sur une feuille de bambou à l’aide d’une plume de perroquet aux mille couleurs. Un barbare littéraire, de quoi faire exploser les agences matrimoniales !

Avant de connaître les délices du renfermement sur soi qui accompagnèrent ma douzième bougie, il m’arrivait souvent d’écrire des poèmes rien que pour elle. Leur vocabulaire n’était pas sophistiqué et les rimes se révélaient médiocres, mais mes mots ne la laissaient jamais indifférente. Je la soupçonne d’avoir été aveuglée par l’affection qu’elle me portait, à la façon de ces jeunes parents qui s’extasient devant les moindres filets de bave et parcelles d’excréments de leur progéniture.

Quoi qu’il en soit, nous avons toujours joui d’une grande complicité, même depuis que je passe mes journées en autiste accomplie, mes écouteurs greffés à mes oreilles pour me couper de toute forme de communication avec le monde extérieur. Elle est restée mon inspiratrice, ma confidente, mon fidèle et loyal soldat ; elle se rangeait invariablement de mon côté, me défendant de toute sa fougue, même lorsque ma culpabilité était flagrante. Il était donc légitime qu’elle soit la première avertie de mes nouvelles lubies.

— Xena, as-tu déjà eu des projets ?

— Bien sûr, tout le monde doit avoir des buts à atteindre dans la vie.

— Et ? Tu les as tous accomplis ?

— Parfois, il est préférable que certains rêves ne se concrétisent jamais. Avec un peu d’expérience, tu te rendras compte que toute fenêtre qu’on ferme ouvre une porte. Que rien n’arrive par hasard et que le destin demande souvent quelques sacrifices.

— Mouais… Tu as donc fait beaucoup de sacrifices ?

— Sans doute, mais quand je regarde ma vie aujourd’hui, je sais que cela en valait la peine.

— Tu as renoncé à quoi ?

— Personne de vivant ne le sait, mais à ton âge, j’étais une graine d’acrobate. C’était inné ! Je me promenais régulièrement dans la forêt avec mon frère aîné pour qu’il m’apprenne des figures. Il me disait toujours que je ne devais pas gâcher ce don du ciel.

— Alors, pourquoi n’es-tu pas devenue funambule ou équilibriste ?

— Malheureusement la vie bascule parfois en un clin d’œil. Il suffit d’un écureuil et de son gland pour provoquer la dérive des continents !

Ignorant la fiabilité scientifique du dessin animé auquel elle faisait référence, je l’encourageai à poursuivre son histoire.

— Mon frère était engagé dans l’armée et quand la guerre a éclaté, il fut obligé de rejoindre les troupes.

— Je me souviens, tu m’avais montré une photo de toi, enfant, à côté d’un bel homme en uniforme.

— Cette photo est le dernier souvenir de mon frère. Les guerres t’arrachent tout ce que tu possèdes de matériel et humain. Suite à sa disparition, je me suis régulièrement rendue dans notre forêt pour me recueillir, mais je n’éprouvais plus le même plaisir à me promener. Ma joie de faire des acrobaties s’était éteinte avec lui. Je m’asseyais sur une branche en espérant recevoir un signe de sa part.

— C’est triste… Et dans ce bois, tu as trouvé ce que tu attendais ?

— Non, mais j’y ai gagné bien davantage. C’est là que j’ai rencontré les fées pour la première fois.

— Hum, je ne suis pas sûre de te suivre…

— Ce sont les fées qui m’ont transmis tout ce que je sais !

— Xena, je ne voudrais pas te vexer, mais je n’ai plus cinq ans.

— Écoute-moi bien, jeune fille, je ne fais que te décrire ce que j’ai vécu en secret ! Tu es libre de me croire ou non, mais sache que sans les fées, tu n’aurais jamais découvert les saveurs de mes délicieux plats. Ma mère était trop occupée avec le bétail, et ce sont elles qui m’ont appris à préparer toutes les spécialités dont tu bénéficies aujourd’hui.

Malgré mon air hébété, elle resta concentrée sur sa démonstration :

— Je suis flattée que tu m’imagines avoir suffisamment de génie pour inventer tant d’histoires et de recettes, mais il va falloir arrêter de me surestimer.

— D’accord, je te crois… Alors ? Raconte-moi la suite !

Un long silence s’installa.