Chamois clandestins - Anselme Baud - E-Book

Chamois clandestins E-Book

Anselme Baud

0,0

Beschreibung

Les plus beaux souvenirs d'une vie d'alpiniste...

Dans ces quelques pages intimistes, Anselme Baud nous relate de savoureux souvenirs de péripéties vécues en montagne, épisodes d’une riche vie d’alpiniste et de guide de haute montagne.

Du Mont Blanc au Népal, on sourit, on s’étonne, on s'émerveille. Souvent on retient son souffle, parfois le cœur se serre, mais toujours on est sous le charme d’un conteur porté par son amour de la montagne et sa passion de l’alpinisme.

Une lecture à partager le soir au refuge, qui témoigne de la fascination des hautes altitudes et invite chacun à méditer sur le profond respect dû à la montagne.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Morzine en 1948, Anselme Baud a marqué l'histoire du ski de pente raide dans les Alpes. Guide de haute montagne en 1973, il est l'auteur d'un nombre impressionnant de premières descentes extrêmes dans les Alpes, les Andes, en Antarctique ou encore en Himalaya. Professeur à l'ENSA, il a encadré pendant plusieurs années la formation des guides de montagne en Bolivie et au Népal.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 74

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



CHAMOIS CLANDESTINS

C’était au cours d’une jolie traversée estivale du versant est du massif du Mont Blanc avec mon vieux copain d’armée, le Normand Didier Flieg, heureux retraité de la SNCF. L’Aiguille du Tour traversée sous la pluie, nous retrouvons le réconfort de la confortable cabane helvète de Trient.

Le lendemain, le départ matinal nous enchante dès le passage de la Fenêtre de Saleinaz. Dans la descente du versant ensoleillé, j’aperçois trois chamois venus du col de la Grande Lui, qui déambulent promptement sous la face nord de la massive Aiguille d’Argentière. Parfois ils stoppent leur course, observent, puis poursuivent vers le col du Chardonnet déjà bien déneigé.

Cachés dans la combe, je les revois bientôt, et je me dis qu’ils se dirigent vers la Fenêtre du Tour, assez accessible. Un peu plus haut, je distingue cette fois le plus gros, sans doute le père, qui retourne vers la Grande Lui. Je me demande où sont passés les deux jeunes puisque je ne les vois pas traverser au-dessus de nous vers la pente de la Fenêtre du Tour.

Quelle est bientôt notre surprise de les apercevoir à nouveau, tentant de franchir la rimaye sous la brèche frontalière du col du Chardonnet. La pente de cette brèche est plus abrupte que l’étroit couloir du col, mais il y reste davantage de neige. Nos deux jeunes compères s’y engagent, d’abord par une succession de dalles puis, se faufilant d’une minuscule vire à une quelconque rocaille, parviennent en véritables bonds à escalader la face. Stupéfaits par leur agilité, nous admirons la prouesse. Je connais bien cette pente que j’emprunte souvent en hiver pour éviter le « bouchon » des randonneurs malhabiles en cordes et crampons dans la descente du col. C’est une pente raide qui frise les 50° sur une centaine de mètres.

À notre tour nous parvenons au col au terme de deux grandes longueurs de corde. Nous y retrouvons nos deux échappés. En fait ils ont rejoint deux autres chamois déjà en France. Sont-ils de la même famille ? Le groupe de quatre ainsi reconstitué essaie en vain de monter par l’ancienne voie normale du versant nord-ouest de l’Aiguille d’Argentière. Avec Didier nous redescendons sur le versant encore à l’ombre. Les quatre jeunes chamois n’ayant pu franchir la rimaye du haut, ils reviennent en contournant les faces rocheuses de l’arête Charlet-Straton. Peut-être ont-ils été effrayés par notre présence ? À moins que ce soit par jeu ? Toujours est-il qu’ils commencent à traverser très haut dans les dalles sombres.

Bientôt, à notre émerveillement, ils bondissent d’une plaque de granit à une autre. Chacun s’immobilise pour nous observer, puis en folles cabrioles et glissades sur la neige encore dure, ils dévalent la pente au-dessous de nous. Alors nous imaginons que leur passage clandestin en France a été décidé et guidé par le père, encore en Suisse, pour trouver un territoire plus propice dans les versants verdoyants en rive droite du glacier d’Argentière.

Que nenni, ils se décident à remonter le glacier ! Par quel col pourront-ils revenir en Suisse au terme de leur escapade ? Ni les cols du Tour Noir ou d’Argentière ne présentent de passage facile. Alors quel instinct leur permettra-t-il de retrouver une bonne herbe appétissante ?

Durant toute notre marche, nous avons le loisir de penser à cette famille où le père ouvre la route à sa progéniture, guide ses jeunes vers le passage, mais retourne s’occuper du reste de sa troupe, leur laissant libre cours à l’aventure et la découverte.

Nous avons eu l’impression d’assister à une sorte de passage discret mais organisé de clandestins. Pour nous les hommes, il existe dans nos montagnes des limites, des frontières. Pour eux, heureusement, rien de tel : la montagne entière leur est offerte, ils s’y épanouissent grâce à leur flair, leur instinct, leur « bon sens » qui leur permet de survivre. Leur seul souci étant de trouver à manger, boire et peut-être bien de s’amuser aussi !

En poursuivant notre périple jusqu’au sympathique refuge d’Argentière, nous restons sous le charme de cette démonstration. Les chamois sont chez eux dans cet univers de glace et de roc. Je pense à toutes les occasions qui m’ont été données auparavant de les observer dans certaines situations incroyables.

Ainsi en ce printemps 2000, où nous accédions à ski au sommet de l’Aiguille d’Argentière par le raide glacier du Milieu, nous restâmes stupéfaits de nous être fait précéder par l’un de ces chamois téméraires. Dans la descente abrupte du couloir Barbey en versant suisse, il nous avait suffi de suivre les traces de la biquette qui nous avait devancés. Même avec les skis nous étions plus lents, sauf peut-être dans les derniers virages de la face. Parfois on envie leur dextérité, leur sens du terrain. Et finalement on prend aussi exemple sur leur prudence…

APPRENTISSAGE DU MÉTIER DANS LA DOULEUR

Ce 15 août 1975, je suis au sommet des Grandes Jorasses avec mon client et ami japonais Hiroshi Kondo. Danielle, mon épouse, nous a accompagnés la veille à l’arête de Flèche Rousse et M. Kondo a accepté qu’elle soit des nôtres pour ce sommet. C’est vrai qu’elle est la fille du champion de ski James Couttet, l’un des premiers amis français de M. Kondo. Amoureux des Alpes et de Chamonix, celui-ci a traduit en japonais tous les ouvrages de Rébuffat et de Terray. Professeur à l’Université de Tokyo, il est l’un des plus fidèles visiteurs de la vallée depuis la fin des années 1950 et a réalisé de nombreuses courses dans le massif du Mont Blanc avec les guides Gaston Rébuffat et André Contamine.

Le sommet de la Pointe Walker est atteint avant 8 heures. Nous ne devons pas perdre de temps car le ciel se couvre déjà. M. Kondo enfile une longue cagoule imperméable pour se protéger des premiers flocons. J’emprunte pour la descente le même itinéraire qu’à la montée, par le raide glacier des Grandes Jorasses, très bien enneigé cette année, pour éviter le passage classique des Rochers du Reposoir. L’éperon Croz est dépassé, ainsi que la descente du bas du couloir Whymper.

Il est près de 9 heures lorsque, sous les Rochers du Reposoir, il nous faut franchir la rimaye dans nos traces du matin. Mes deux compagnons que j’ai encordés à cinq mètres l’un de l’autre hésitent. Je plante mon piolet jusqu’à la panne (65 cm, manche en bois !) pour les assurer. Ils me demandent de traverser un peu plus à droite, où la crevasse est moins haute. J’accepte. Puis, hésitant encore, ils me signalent qu’ils ont besoin de quelques mètres supplémentaires pour un passage plus facile.

C’est là que j’aurais dû changer d’emplacement car l’assurage est devenu inadapté car trop en diagonale ! Trop tard, M. Kondo, un peu fatigué, s’emmêle les crampons, perd l’équilibre et bouscule Danielle. Aussitôt je bloque la corde. Ensemble ils glissent de trois à quatre mètres, passent la lèvre de la crevasse. Ma corde tendue n’a pas servi beaucoup puisqu’elle les a seulement ramenés un peu vers moi. En tout cas, ils sont saufs et me regardent : pas de problème !

En trois secondes, j’arrache mon piolet de son logement, plie en vitesse quelques boucles de corde et m’apprête à les rejoindre en quelques enjambées. À ce moment, M. Kondo, assis sur sa longue cagoule, glisse dans un creux trois mètres en contrebas. En équilibre sur un pied, en train de plier la corde, je suis violemment arraché de ma position. C’est le grand saut, avec réception dans un mur de glace juste en dessous. L’impact est brutal. Un regard furtif sur ma jambe gauche m’offre une drôle de vision : mon pied s’est totalement retourné sous le choc et j’aperçois presque toutes les pointes de mes crampons !

Ma chute m’a rapproché de mes deux compagnons et je dis à Danielle que j’ai la jambe cassée. M. Kondo est muet, tellement confus et se sentant si misérable de m’avoir entraîné dans cet accident. Il faut agir, les nuages descendent à présent sous les 3500 m. D’abord traverser un peu pour se mettre à l’abri d’éventuelles chutes de pierres, puis faire un premier bilan de la situation.

Sur une bonne plateforme, j’inspecte ma jambe. Son aspect m’inquiète sérieusement car du sang coule sous la guêtre. Fracture ouverte ? Doucement j’enlève la guêtre et retire le bas du pantalon. À mon grand soulagement il ne s’agit que d’une coupure au mollet, provoquée par une pointe de crampon. Je suis obligé d’ôter la chaussure. Mon pied demeure insensible, ce qui signifie au moins une fracture.

L’armature de mon sac à dos est faite de deux lattes de bois. Je les utilise pour confectionner une attelle. Mon pied ne pouvant tenir dans l’axe normal de la jambe, je demande à M. Kondo qu’il tire fort pendant que j’installe les attelles et les immobilise avec une bande élastoplast. Une longue bande Velpo entourée d’un anorak et d’un sac plastique, le tout serré par des sangles, viendra renforcer le dispositif.