Chardon bleu - Tome 1 - C. Rozart - E-Book

Chardon bleu - Tome 1 E-Book

C. Rozart

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Beschreibung

Il suffit d'une rencontre mouvementée pour perdre le contrôle de sa vie...⠀

Éliza est une jeune femme partagée entre son métier d'éducatrice, son conjoint Nathan, et sa fille de 3 ans : son unique rayon de soleil. Elle mène une vie bien rangée et orchestrée, parfois trop.⠀
Un soir, en route pour son cours de zumba, elle se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment : elle croise la route d'un groupe d'hommes armés en lutte contre un forcené. Elle réchappe de cette altercation mouvementée grâce au mystérieux Silver, le chef du groupuscule. Pour la soumettre au silence sur cette affaire top secrète, il la soustrait à sa vie, durant un mois. Le cauchemar se transforme petit à petit en opportunité pour une nouvelle vie... ⠀

Action, passions interdites, nouvelle vie et suspense sont de mise dans le premier tome de Chardon bleu !


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE 
"Quelle belle découverte ! Une romance UNIQUE ! C. Rozart réinvente le genre" - Katie sur Booknode
​"Cette romance est bien plus qu'une romance." - Nini366 sur Booknode
"Une plume précise et déterminée, une bonne intrigue, des personnages attachants, un pattern explosif regroupant tous les éléments pour satisfaire nos envies de romances interdites." - Doddie84 sur Booknode

À PROPOS DE L'AUTEURE

C. Rozart dévore les livres et use les stylos depuis son enfance. Un jour, elle croise la route d’un grand auteur en qui elle se reconnaît et ressent alors, le besoin de tenter l’aventure à son tour. À présent, elle joue les entremetteuses entre ses personnages et ses lectrices, en choisissant soigneusement chaque ingrédient, pour qu’au terme de cette rencontre s’opère la magie de l’amour.

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Chapitre 1

Vendredi 22 mai 

Mon survêtement à peine enfilé et le sac bouclé, je me dirige rapidement vers la chambre de Nine, mon petit rayon de soleil. Je dois me dépêcher, je n’ai que dix mi-nutes pour lui faire un gros câlin, avant de prendre la route pour me rendre à mon cours de Zumba. Un câlin en dix minutes pourrait paraître aisé à n’importe qui, sauf à moi ! Car du haut de ses 3 ans, cette demoiselle aux yeux et aux cheveux sombres est habitée par un tempérament aussi autoritaire que charmeur ; charme dont elle sait user à foison pour me retenir près d’elle, surtout si cela lui permet de veiller un peu plus tard ! Tandis qu’elle est installée dans son lit, je me laisse happer un moment par ses câlins et ses baisers :

— Tu vas à ton chport, maman ?

— Oui, à la Zumba.

— N’oublie pas qu’on est chéries toutes les deux, me chuchote-t-elle au coin de l’oreille.

— Je sais ma fille. Fais de doux rêves mon petit ange. Je t’aime…

— … chusqu’aux étoiles !

— C’est ça, ma chérie, jusqu’aux étoiles, lui confirmé-je en m’esclaffant.

Je l’embrasse sur le front et la confie aux bons soins de Morphée. Il ne me reste plus qu’à me diriger vers le bureau de mon homme pour lui signaler mon départ, et je pourrai enfin me mettre en route sans trop de retard ! Avec lui, la tâche s’avère plus rapide – et un peu moins enthousiasmante – qu’avec Nine, puisque tout absorbé par le contenu de l’écran de son ordinateur, il parvient à peine à me souhaiter de bien m’amuser ! C’est mon Nathan, inchangé au cours de nos 7 années de relations ; toujours si proche et pourtant si éloigné… Je le sais amoureux de moi ; tout aussi gentil que disponible lorsque j’ai besoin de quoi que ce soit, mais pour toute démonstration d’affection, je peux me lever de bonne heure ! C’est la raison pour laquelle chaque fois que j’aborde le sujet du mariage, sa réponse accompagnée de son air pédant me revient en plein visage, tel un boomerang dont j’aimerais parvenir à dévier la trajectoire, mais, hélas, sans succès ! En fin de compte, c’est le cœur toujours un peu plus lourd, que je l’entends me répliquer : « Le mariage n’est pas une preuve d’amour. » Et si je souhaite une autre réponse, j’ai droit à quelque chose comme : « Je ne pense pas qu’il faille se marier pour signifier à quelqu’un qu’on l’aime. » Oui, Nathan est très obtus au point de me faire de multiples déclinaisons de son unique argument. Pour un directeur d’agence de communication, je le trouve assez peu imaginatif en la matière ! Du coup, tant pis pour moi qui rêve de sécuriser et surtout d’harmoniser notre famille en portant tous le même nom. Aïe, me voilà encore en train de ruminer un sujet que je m’étais promis de ne plus aborder – surtout avec moi-même ! Mieux vaut que je parte vite et que j’arrête de me torturer l’esprit avec tout ça.

Un petit coup d’œil dans le rétroviseur pour m’aider à attacher ma chevelure brune en une queue de cheval et c’est parti. Il est 20 h 30, il ne me reste plus que 15 minutes pour me rendre à mon cours de Zumba. Ça fait un peu juste, mais impossible pour autant d’envisager de me montrer trop hardie au volant, les routes de campagnes que je dois emprunter sont aussi étroites que sinueuses.

Les yeux rivés sur la chaussée, fort assombrie par les forêts qui la bordent ainsi que la tombée du jour, je quitte mon village de Saint-Just-Malmont. Je profite de ce début de trajet, avec la radio en fond, pour faire le point sur cette semaine écoulée avec notamment l’achat de mon reflex Canon EOS 5 D Mark IV. Cet achat représente tout un symbole : celui de la première pierre sur laquelle mon rêve s’édifiera ! Il y a déjà cinq ans que je travaille comme éducatrice de jeunes enfants dans une structure d’accueil et bien trois ans que je songe à donner ma démission ; songe qui devient obsessionnel avec le temps. Je me projetais dans ce métier depuis que j’étais ado, mais l’arrivée de Nine et le besoin de lui créer des souvenirs m’ont fait pénétrer dans le monde de l’image. Un lieu idéal où l’on modélise sa propre vision des choses au moyen de sa créativité. J’adore !

L’achat de ce boîtier reflex va me permettre de le prendre en main pour m’aider ensuite à me prendre en main ! Mon rêve de devenir photographe de mariage – de me mettre au service de l’amour, afin d’en sublimer ses acteurs l’espace d’une journée unique et mémorable – ne cesse de se renforcer. J’aimerais tellement que ce rêve se matérialise en un projet concret.

Après tout, à 27 ans, il est temps que j’apprenne à m’affirmer ; à faire tomber les barrières des mentalités exigües qui gravitent autour de moi et à l’intérieur desquelles je me sens prisonnière. Réussir à faire cela sans culpabiliser serait un bon point de départ. Tout comme il me serait souhaitable d’essayer de délaisser ce côté femme enfant, qui me caractérise – et me pèse – un peu trop.

Ce projet pourrait aussi amener un vent de fraîcheur sur ma vie et cela stopperait cette rengaine du quotidien qui est parvenue à me griser le moral. Un court instant une question me tracasse, se faisant l’écho de mes doutes les plus intimes : et si c’était dans mon couple que cette lassitude avait trouvé sa source ? Arrête Liz. Stop ! Je m’interroge trop en ce moment. La photographie pourrait me permettre de me réaliser professionnellement et je suis sûre que cette satisfaction rejaillira sur Nathan et moi ! Certes, Nathan n’est, pour l’instant, pas très chaud de me voir changer de travail, mais je ne doute pas de parvenir à le convaincre.

Je souris en repensant à ces dernières années où j’ai rempli notre maison de photos – en particulier de ma fille – nul doute que son arrivée dans mon existence nourrit un peu plus chaque jour ma force à sa racine. Je vais me laisser quelques mois pour me mettre en symbiose avec mon petit bijou numérique, finir de ficeler mon projet et ensuite j’essaie de me lancer ! Soudain, Enrique Iglesias, avec son titre Duele el corazon, vient achever mon ressassement et sans y prêter attention la voiture prend de la vitesse, au rythme endiablé des notes latines.

Alors que je me concentre sur la route et ses abords – en raison des chevreuils, lapins et autres espèces de gibiers qui prennent plaisir à traverser chaque fois de manière in extremis –, j’aperçois quelque chose sur la gauche… qui émerge à peine du fossé… Mais c’était un guidon de moto ! Si un chauffard avait percuté cette moto, laissant son pilote prisonnier sous l’engin… Oh non ! Pour me rassurer, je décide de faire demi-tour et je gare mon véhicule à l’entrée d’un chemin, en retrait de la chaussée, mais à quelques mètres seulement du bolide accidenté.

De ma voiture, le moteur coupé, j’aimerais réussir à observer quelque chose qui contenterait ma curiosité, malheureusement je ne vois rien de plus. L’heure tourne, il faut que je me bouge ! Mais alors que j’ouvre ma portière, un homme surgit de nulle part et fait irruption sur le siège passager. Je sursaute, surprise et effrayée par l’expression rageuse qu’affiche son visage. Je remarque qu’il ne parvient pas à plier sa jambe gauche pour s’asseoir. Horreur ! Elle est même complètement ensanglantée ! Putain ! J’essaie de reprendre mes esprits et de comprendre ce qui se passe, mais il enfonce le canon de son arme dans mes côtes, m’arrachant un cri de stupeur et de douleur. Son regard perçant, à la fois contrarié et déterminé me glace jusqu’aux os ; mon cœur s’emballe. Je dois rester calme, fais ce qu’il te demandera, surtout ne panique pas ! En quelques secondes, l’analyse de la situation me déprime : non seulement cette route est très peu fréquentée, les automobilistes lui préférant en général, une départementale plus confortable – même si cela rallonge leur trajet –, mais en plus, elle n’a pas d’éclairage ni d’habitations alentour. Ici, la nature règne en maître ! Je suis perdue.

— Démarre tout de suite ! Roule ! m’ordonne-t-il férocement avec un ostensible accent slave.

Encore sous le choc, et pétrifiée par cette situation aussi brutale qu’irréaliste, je redoute de perdre pied. Il faut que je garde mon sang-froid ! Sous la menace de son arme à feu qui s’enfonce toujours plus profondément dans mes côtes endolories, je me raisonne et me répète en boucle que je vais m’en sortir. Guidée par cette volonté de sauver ma peau, je me déconnecte de mes émotions et – tel un automate – démarre mon véhicule. Mais quelque chose dans son comportement m’effraie ; son regard balaie nerveusement les alentours. Il semble terrorisé : mais par quoi ? Par qui ?

Je n’ai pas le temps de manœuvrer que la réponse se fait vite sentir : dans un grondement assourdissant, une salve de tirs percute le capot et les pneus avant de la voiture, m’obligeant à me recroqueviller contre mon volant, suffoquant sous la peur, tandis que mon agresseur ouvre sa portière et se retranche derrière celle-ci, afin de répliquer aux tirs. Les échanges de coups de feu cessent subitement au bénéfice d’un silence des plus menaçants. Et si je m’enfuyais pendant qu’il est occupé ? Mais ceux du bois vont me prendre pour cible… Oh non ! Les rafales de tirs en direction de ma voiture reprennent et s’accompagnent de terrifiantes déflagrations ! Je suis tour à tour paniquée et sidérée ; les mains sur les oreilles, je me noie dans ce déchaînement de bruit et d’agressivité. Mais soudain, ma portière s’ouvre laissant apparaître un individu cagoulé, couché au sol, qui saisit avec fermeté mon bras gauche, me projetant brutalement à terre. La gorge serrée et le cœur battant, je ne lui oppose aucune résistance. L’homme encagoulé vient alors se placer au-dessus de ma tête et malgré la violence de la situation – pour la première fois depuis ce qui m’a semblé avoir débuté il y a une éternité – l’espoir d’une issue prend forme sous ce bouclier humain. Haletante et désemparée, je m’en remets à lui.

Soudain, le forcené se jette avec vélocité sur mon protecteur – lui arrachant un cri –, mais ce dernier parvient malgré tout à le désarmer et à lancer son pistolet au loin. À cheval entre l’extérieur et l’habitacle de la voiture, une lutte à main nue s’engage entre les deux individus. Je n’ose pas bouger ; je reste enroulée au sol, la tête pressée contre mes genoux. C’est alors qu’un autre homme en treillis noir uni et au visage découvert, de type afro, me dégage de cette scène de combat irréelle et d’une main autoritaire posée sur le bas de ma nuque, presse celle-ci en m’ordonnant de courir jusqu’à l’entrée du bois. De nouveau en mode automatique, je m’exécute.

Parvenue au bout du chemin, je me stoppe net devant le bois. Pendant que je reprends mes esprits et mon souffle, je réalise la présence d’un fourgon noir, dont le moteur tourne. Les vitres teintées ne me permettent pas de distinguer si quelqu’un est installé au volant ; à côté de celui-ci est aussi garée une moto dont le carénage indique qu’il s’agit d’une Kawasaki ZZR1400… Putain ! Mais bouge-toi, ne reste pas là ! Je me remets rapidement à scruter les lieux afin de choisir la direction que je pourrais suivre, mais un type encagoulé – en tee-shirt et treillis noirs – équipé de ce qui me semble être une mitraillette, sort du bois de façon précipitée et fonce droit sur moi ; son regard, d’un bleu glacial, est fixe, rivé sur le mien. Je suis tétanisée ; ce cauchemar n’en finira donc jamais.

— Ne bouge pas !

Hagarde et grelottante, j’obéis. J’entends des voix derrière mon dos qui se rapprochent : il s’agit du terroriste menotté, maintenu par l’homme qui m’a aidée à m’enfuir de la voiture et du deuxième qui m’avait indiqué de courir jusqu’ici. À ces pensées, les images se bousculent dans ma tête, emmenées par une flopée d’émotions et de peur que je ne parviens plus à canaliser. Mon souffle devient court, j’ai du mal à trouver de l’air et je sens que mes bras sont parcourus de tremblements incontrôlables. Nine, ma fille… Nathan, si je pouvais te prévenir…

Sous mon regard fébrile, les trois individus me dépassent tandis que celui à la mitraillette s’est placé à mes côtés, telle une sentinelle. Arrivé au fourgon, le type en jean – celui qui m’a tirée de ma voiture – le visage encore encagoulé, confie le forcené menotté à son collègue au treillis noir, qui s’empresse aussitôt de lui assener un grand coup de pied derrière son genou blessé, le faisant ainsi plier par la force, avant de le jeter à l’intérieur du véhicule. L’estropié n’émet pas un son, d’ailleurs, sa façon de chuter me laisse penser qu’il a dû perdre connaissance. Mais à peine la porte se referme-t-elle, que les regards se tournent tous vers moi. Je me sens perdue. Je peux lire dans les yeux de chacun des trois hommes de la contrariété mêlée à de la colère… Et ce silence qui n’en finit pas ! Même le bruissement des feuilles agitées par le vent ne parvient pas à le rompre. Je n’en peux plus, je suis à bout… Que vont-ils faire de moi ?

L’homme en jean lance un regard furieux contre celui au visage découvert, amenant ce dernier à faire profil bas. Oh non ! C’est désormais à mon tour de subir ses foudres au travers de ses grands yeux verts, mystifiés par la cagoule qui dissimule les traits et l’expression de son visage. Cet instant me paraît une éternité, je ne suis plus que fébrilité et inquiétude. Lorsque je le vois se diriger vers moi, l’émotion me submerge. Que me veut-il ? Je sens ma tête qui n’en finit pas de m’étourdir ; les tremblements ont maintenant pris possession de tous mes membres ; mon cœur ne soutient plus le rythme, je suis en panique, j’ai chaud… Oh, non ! Mes jambes me lâchent…

Les vibrations dans mon corps accompagnent mon réveil. J’ai du mal à comprendre… Ce n’est pas vrai, je me suis évanouie ! Il fait nuit désormais, ce qui m’empêche de distinguer précisément où je me trouve. Dans le fourgon. Ce n’est pas possible ! Non, non ! Tandis que je me réinstalle dans mon fauteuil, les tremblements reprennent, me faisant m’apercevoir que mes poignets sont menottés. Suivant la progression du véhicule, la lumière des réverbères éclaire avec alternance les deux hommes assis à l’avant. Celui qui ne conduit pas est au téléphone. Ils ne sont ni encagoulés ni même vêtus de treillis. Mais qui sont-ils ? Est-ce les mêmes que tout à l’heure ? J’aurais mieux fait de ne pas me soucier de cette foutue moto, ça m’aurait évité de rencontrer ce fou à lier ! D’ailleurs, j’y pense… Je me mets en quête de le trouver du regard lorsque mes doutes se concrétisent. Il est installé sur un fauteuil juste derrière moi ! Menotté aux mains et aux chevilles, la mâchoire prognathe et les yeux clos, il paraît si affaibli, que j’ai du mal à admettre qu’il s’agit bien là du même individu déterminé et dangereux, qui avait fait irruption un peu plus tôt dans ma voiture. Je remarque que tout son corps n’est maintenu sur le siège que grâce à la ceinture de sécurité. Il semble dormir… Étrange ? En regardant la route, je constate qu’on suit une moto… C’est sûrement celle qui était dans le bois tout à l’heure. Et puis merde ! Mais où va-t-on ? J’aimerais comprendre !

Le passager – toujours au téléphone – se lève, et lorsqu’il se retourne en ma direction, émet un « Ah ! » de satisfaction. Il achève sa conversation téléphonique, donne une indication inaudible au chauffeur puis se dirige vers moi. C’est lui, l’homme qui me servait de bouclier humain, celui aussi qui me foudroyait de son regard vert, je le remarque à sa taille et à sa carrure.

— Ça y est, de nouveau parmi nous ? On dirait que tu as froid, dit-il en prenant place sur le siège jouxtant le mien.

Je constate que malgré mes efforts, je ne parviens pas à contenir ces maudits tremblements, manifestation indomptable de mon inquiétude. Il quitte son blouson en cuir, dont seul le bras droit est passé, en se contorsionnant comme pour éviter de mobiliser son homologue gauche, qui reste fléchi. Il le dépose sur mes épaules, ce qui a pour effet immédiat de m’apaiser et les tremblements s’estompent peu à peu. Avec sa main droite, il fouille dans la poche de son jean avant d’en retirer une clef, qui à mon grand soulagement lui permet de libérer mes poignets de la contrainte des bracelets métalliques. Machinalement, je me mets à les masser ; puis il me tend une petite bouteille d’eau. J’en avale quelques gorgées et la pousse vers lui.

— Enfile mon blouson.

Sa voix est ferme et posée, empreinte d’une virilité qui me déclenche des frissons… Non, mais ça ne va pas ! Je m’exécute immédiatement, bien que j’aie des difficultés à bouger le haut de mon corps. Visiblement, mes cervicales endolories contraignent mes mouvements – un petit reliquat de ce début de soirée cauchemardesque… pas grand-chose finalement. Je n’en reviens pas de m’en être aussi bien sortie.

La nuit m’empêche de le distinguer clairement, mais il me semble, toutefois, mesurer dans les 1m85, avec une carrure assez développée au niveau des épaules.

— Comment te nommes-tu ?

Ah, parce qu’il me tutoie !

— Éliza. Éliza Ruiz.

J’essaie de voir son visage, au travers des éclairs de lumières projetés par les réverbères, mais il ne m’apparaît que par bribes.

— Enchanté, mademoiselle Ruiz, lâche-t-il avec un manque d’enthousiasme si évident, que je ne peux que me sentir mal à l’aise ; mon regard se porte alors sur mes chaussures, dans lesquelles j’aimerais tellement pouvoir me cacher tout entière !

Je sens que notre véhicule ralentit puis s’immobilise. Le chauffeur – tout en laissant tourner le moteur – indique à l’homme près de moi que nous sommes arrivés, avant de sortir, faisant ainsi apparaître un faible éclairage, dont la lumière baigne l’habitacle dans une atmosphère à la fois sécurisante et intime, presque rassurante. La porte ouverte permet d’entendre que le chauffeur s’entretient avec plusieurs individus, puis il passe la tête à l’intérieur et signale à mon voisin que « Tout est OK. » Celui-ci reprend aussitôt :

— Moi, c’est Silver.

Il soupire, visiblement irrité par mon manque de réaction.

— Sais-tu qu’il est inconvenant d’ignorer son interlocuteur ?

Sa voix grave me donne des frissons, mais la douceur qu’il met dans son intonation finit par me convaincre et oblige mon regard à sortir des bas-fonds, pour venir l’affronter dans la lumière. Mes yeux se lancent alors à l’assaut des siens et durant le bref instant que se poursuit cette ascension, je ressens un sentiment de malaise ; les battements de mon cœur s’accélèrent ; arrivée à son visage, mon souffle devient court et une agréable sensation de flottement émerge lentement – je suis désarçonnée.

Lui aussi me scrute. Je remarque que tout y passe jusqu’à ma taille, ma poitrine, mes épaules, et ma chevelure brune qui n’a pas tenu le choc des derniers évènements et manifeste tant de désordre que le pauvre élastique ne parvient plus à la contenir entièrement. Ce constat m’embarrasse. Je le retire, toujours sous son regard scrutateur. Il ne laisse rien paraître : ni sourire ni contrariété, seuls ses yeux semblent me signifier de l’intérêt.

Pour ma part, je suis impressionnée par son physique, que son sweat-shirt noir moulant met en valeur ; par le contraste qu’il souligne entre sa taille relativement fine et son torse plus large. Ses cheveux bruns sont assez courts, mais désordonnés et font ressortir ses grands yeux verts aux reflets céladon. Sa mâchoire, légèrement saillante, semble afficher un fort caractère. Beau à faire peur !

D’un coup, ses mandibules se contractent, ses lèvres se pincent, je devine qu’il s’impatiente. L’air faussement assuré, je tente de sortir de mon mutisme :

— Vous pensez que ça l’est davantage de me menotter pendant ma perte de conscience, ou de me tutoyer alors qu’on ne se connaît même pas ?

Oups, c’est moi qui ai dit ça ?

Ses sourcils se froncent, ses traits se durcissent, mon regard fléchit sous la sévérité du sien.

— Éliza… sa façon autoritaire de prononcer mon prénom me fait tressaillir. Ta fragilité ne serait-elle qu’apparente ? Quoi qu’il en soit, tu apprendras que je ne supporte pas l’insolence et qu’ici, c’est moi qui pose les questions auxquelles tu te contenteras de répondre. Éventuellement, si tu veux me remercier d’avoir donné de ma personne (il me montre son bras figé en flexion) pour te sauver la vie, je le comprendrais, mais pour le reste tu t’abstiens et tu changes de ton ! On n’avait pas le temps de surveiller le réveil de mademoiselle, on a donc pris des précautions. Quant au tutoiement, tu t’y feras !

Il est évidemment en position de force et c’est vrai qu’il m’a sauvée, mais le despotisme dont il use me coupe l’envie de le congratuler. Je préfère feindre l’approbation et me soumettre à ses exigences.

— Bien. On va faire vite, car on n’a pas trop de temps. (Il jette un coup d’œil au malfaiteur toujours assoupi.) J’espère qu’on n’y est pas allé trop fort sur la dose !

Je comprends mieux, il doit être sous sédatif ou quelque chose de la sorte.

— Qu’est-ce que tu es venue faire à l’entrée de ce bois, tout à l’heure ?

— Je me rendais à mon cours de sport, lorsque j’ai aperçu ce qui semblait être un guidon de moto, dans le fossé.

Ma voix est faiblarde, consciente de la naïveté de ma réponse.

— Regarde-moi !

Je soupire et poursuis en m’exécutant :

— J’ai eu peur que le motard soit blessé, je pensais que l’accident était récent pour que son engin soit encore là.

Je m’efforce de masquer les tremblements dans ma voix, mais sans succès.

— Ça partait d’une bonne intention, mais tu t’es mise en danger. Un conseil à appliquer pour l’avenir : lorsque la nuit tombe, que tu es seule, n’essaie pas à nouveau de jouer les mères Teresa, surtout quand le coin est aussi isolé que ce trou. La prochaine fois, tu appelles les flics et tu passes ton chemin. Il aurait suffi que tu arrives cinq minutes plus tôt, pour que tu te prennes une balle perdue de ce connard, même si je te concède qu’on n’avait rien à faire ici, seulement la situation a dérapé… disons qu’un élément a échappé à notre contrôle.

Il secoue la tête, avant de poursuivre :

— Tu rejoignais quelqu’un à ce cours de sport ?

— Non.

Il m’observe silencieusement un instant, puis se passe une main dans les cheveux.

— L’ennui, maintenant, c’est que tu as vu beaucoup de choses. Trop ! À commencer par le visage de cet individu. (Il opine de la tête en direction du forcené.) Étant donné ce que tu as vécu, ça m’étonnerait que tu puisses garder cette expérience pour toi, ce qui crée un vrai problème pour nous. Cet homme et son devenir doivent rester entre nos mains et à l’écart de la justice française. Si tu parles de tout cela à quelqu’un, ça pourrait avoir des répercussions sur la suite de nos investigations.

J’éprouve des difficultés à déglutir à l’écoute de ces mots. Je représente un « problème » ! Je suis choquée et terrifiée. J’aimerais lui demander comment il pense le résoudre, mais si je lui pose cette question, j’ai peur d’aggraver ma situation. Et autre chose me tracasse… Pourquoi « à l’écart de la justice française » ? Que redoute-t-il le plus : la justice ? Ou le fait qu’elle soit française ?

— Je lis l’anxiété dans ton regard et je ne souhaite pas te stresser davantage, alors dis-toi que le pire est derrière toi, Éliza. Pour la suite des évènements te concernant, tu seras informée sous peu, mais là ce n’est ni le lieu ni le moment. Sois simplement assurée de revoir bientôt les tiens.

— Ils seront terrifiés d’apprendre que j’ai disparu, surtout avec ma voiture qui est criblée de balles…

Le stress étouffe la fin de ma phrase.

— On a tout prévu : à l’heure actuelle, une équipe s’occupe de nettoyer la scène. Elle récupère tes biens personnels, qu’elle confiera à ton conjoint et ton véhicule subira un broyage express. (Je suis sous le choc : ma voiture… broyée !) Ton homme et ta fille seront rassurés sur ton état et tenus en patience jusqu’à ton retour. Tu percevras d’ailleurs un dédommagement financier pour ton absence. Es-tu soulagée ?

Scandalisée, oui ! Il m’impose une situation, il veut me retenir loin des miens, et cerise sur le gâteau, pour mieux faire passer la pilule, il l’enveloppe de quelques billets ! Et puis comment sait-il pour Nathan et Nine ?

— Comment êtes-vous au courant pour mon conjoint et ma fille ?

Ses yeux se plissent, il penche la tête sur le côté tout en scrutant mon visage de façon intense :

— Femme enfant qui se transforme en lionne lorsqu’on évoque sa famille. Dis-moi, tu es tout en complexité.

— Répondez-moi !

— Change de ton, Éliza, me reprend-il de sa voix tranchante.

Son regard, à la fois tranquille et dominateur, ne cesse de semer le trouble en moi, mais que m’arrive-t-il ?

— Ton sac est resté dans la voiture, on s’est permis d’y jeter un coup d’œil intéressé. Ça suffit maintenant, je pense t’avoir donné assez d’éléments pour te rassurer. Quant à nous, nous allons devoir composer avec notre maladresse.

Et moi donc !

— Mais alors… vous connaissiez mon identité !

— Oui.

Une lueur espiègle naît dans son regard – toujours rivé sur le mien – pendant que sur ses lèvres s’esquisse un sourire. J’aimerais bien savoir à quoi il pense… Ah, puis peu importe ! Je me préoccupe de ses pensées alors qu’il est en train de s’emparer de ma liberté ! Je ne supporterai pas d’être absente trop longtemps. Je suis sûre que ma fille va s’inquiéter et j’ai vraiment peur que Nathan ne soit pas à la hauteur. Si seulement je pouvais lui donner quelques consignes…

— J’ai besoin de savoir combien de temps je vais rester éloignée d’eux afin d’organiser, avec Nathan, la garde de ma fille. Je veux aussi pouvoir leur téléphoner pour…

La lueur s’éteint ; le sourire s’évapore. Il ne me laisse pas poursuivre :

— Je t’ai déjà dit tout ce que tu dois savoir, pour le reste tu patienteras un peu. Gérer la garde de ton enfant n’est pas ton problème. Je te le répète, ce n’est ni le lieu ni le moment et il s’agit là de circonstances exceptionnelles. Pour cette raison, je n’ai pas encore toutes les réponses que tu souhaites.

Je suis stupéfaite, la situation m’échappe complètement. Alors je suis contrainte de subir le sort qui lui conviendra ?

Il jette un regard vers la porte du conducteur, toujours restée entre-ouverte, puis m’observe d’un air concentré.

— À partir de maintenant, je veux que tu te montres extrêmement coopérante, Éliza. Les rebondissements de cette soirée m’ont passablement irrité, sans compter que j’ai dû cumuler à peine 5 h de sommeil en trois nuits, ça te laisse deviner le niveau de patience qu’il me reste.

Mes yeux se réfugient à nouveau sur mes baskets. Mais qu’est-ce que je fous ici ?

— Suis-je assez clair, Éliza ?

— Oui.

— Regarde-moi bon sang !

Je m’exécute, les sourcils froncés et la gorge nouée par l’excès de tristesse et de colère, que j’ai du mal à réfréner.

— Bien. Il y a une voiture de location à l’extérieur qui nous attend. On va libérer le fourgon et tu vas me conduire aux urgences les plus proches. Je veux qu’un médecin jette un coup d’œil à mon bras.

— Mais je n’ai aucun papier sur moi ni mon permis de con…

— En dehors de ce que je te demande de faire, ne te préoccupe de rien de plus, m’interrompt-il sèchement.

Pas de problème !

À la descente du véhicule, je constate que nous nous trouvons sur un parking en terre battue, situé derrière un grand entrepôt, dont l’état des vitres me fait supposer qu’il est laissé à l’abandon.

Mon attention se porte sur l’homme à l’allure rigide resté vers le fourgon, les mains ramenées l’une sur l’autre : le chauffeur. Châtain clair, la quarantaine, dans les 1m75, son regard bleu glacial se mêle – dans un flash – à celui du gars qui tenait la mitraillette à l’orée du bois… Il est accompagné de deux autres individus, parmi lesquels je reconnais celui dont le visage n’était pas dissimulé sous une cagoule lors de l’assaut contre le forcené : le sosie de Lance Gross. La peau ébène et la silhouette trapue, il semble âgé d’une petite trentaine. Ses cheveux très courts – autant que sa barbe de trois jours – font ressortir le diamant qu’il porte à l’oreille gauche ainsi que de grands yeux en amande qui renvoient beaucoup de douceur. Pourtant, quelque chose me dit qu’il vaut mieux ne pas se fier aux apparences. Je blêmis en voyant Silver extraire une arme à feu de dessous sa veste et la confier à ce dernier. Ils s’échangent quelques mots à voix basse, mais je n’entends rien. C’est comme si mon corps s’était dissous, écrasé par l’étrange sensation d’apesanteur qui émane de cette vaste scène invraisemblable. La présence de la pleine lune, partiellement visible entre les nuages, finit de renforcer l’étrangeté de la situation.

Le chauffeur ouvre la porte côté conducteur de la voiture, et me fait signe de la tête d’y prendre place. Machinalement, je m’exécute, pendant qu’un autre homme aide Silver à s’installer sur le siège passager, puis dépose un sac dans le coffre.

— Ce n’est pas le moment de dormir, Éliza. Regarde le GPS, me commande Silver d’un ton ferme.

Dur retour à la réalité. J’aurais tellement aimé que tout cela ne soit qu’un cauchemar.

— On t’a programmé l’adresse du C.H.U. de Saint-Étienne, je veux que tu la suives, même si tu connais d’autres routes qui y mènent.

— Je ne comprends pas pourquoi.

— Disons que par ce moyen je garde le contrôle du trajet, ce qui t’évite donc de penser à bifurquer inutilement… ou d’aller chercher du secours quelque part.

Il prévoit tout ! Mes yeux se portent sur notre localisation actuelle, je n’en reviens pas…

— Nous sommes à Firminy !

— C’est bien ce que le GPS indique, oui, confirme Silver, agacé.

Firminy est seulement à une dizaine de kilomètres de mon village, et pourtant, à cet instant, je ne me suis jamais sentie aussi loin de chez moi.

Il est tout juste 22 h 50 lorsque je gare le Nissan Juke sur le parking des urgences de l’Hôpital Nord. Silver est resté tout le trajet connecté à sa messagerie et au GPS, s’assurant que je ne m’égarais pas – seule la voix dématérialisée du GPS me sortait de mes torpeurs. À peine ai-je le temps de couper le moteur que Silver récupère les clefs.

— Désolé, mais il va falloir que tu me rendes mon blouson, je ne tiens pas à exposer mon bras.

Quel blouson ? Oups, j’avais oublié.

— Je comprends.

Il pivote sur son siège en abaissant la nuque afin que je le lui dépose sur les épaules, mais la fatigue amplifie ma maladresse naturelle et mon coude s’écrase contre son bras blessé. Merde !

— Pardon, lâché-je d’une petite voix paniquée.

Sa mâchoire se crispe, ses yeux se plissent.

— Fais attention ! hurle-t-il.

Il soupire ; son regard se radoucit :

— Excuse-moi, mon antalgique n’agit plus vraiment.

— Ce n’est rien.

Quelle gourde !

— Écoute-moi, dès que nous serons à l’intérieur des urgences, je veux que tu restes en permanence près de moi, sans que j’aie besoin de te le rappeler. Sois calme et autant que possible : naturelle. Il faut qu’on ressemble à un couple banal. Si tu croises quelqu’un que tu connais, tu me le dis. Tu peux saluer les gens, mais sans chercher à discuter avec eux, je ne souhaite pas qu’on marque les esprits. Ne t’inquiète pas, ajoute-t-il devant ma mine perplexe. Reste sereine et tout va bien se dérouler. OK ?

J’acquiesce de la tête, peu convaincue, en m’efforçant toutefois de le regarder pour m’éviter une énième remontrance.

— N’aie pas l’idée de t’enfuir pendant que je suis entre leurs mains, ce serait peine perdue. À l’heure actuelle, une équipe est avec ton homme pour le rassurer et aussi lui donner les indications à suivre, avec notamment ce qu’il va devoir dire aux amis et à la famille. Pour ainsi dire, le train est en marche Éliza, donc si tu le fais dérailler, je te promets que je reprendrais vite le contrôle de la situation pour te remettre sur la bonne voie !

Son ton tranquille tranche avec l’autorité de ses propos ; son visage fermé exprime clairement son intransigeance. Message reçu !

— La loi du talion, dis-je en pensant à voix haute.

— Précisément.

— Je ferai au mieux.

— Alors, allons-y.

Malgré mes 1m72, je me sens toute petite à ses côtés et un peu ridicule aussi : alors que je suis affublée d’un survêtement et d’une paire de baskets, la chevelure libre et négligée, de son côté Silver est… à l’opposé. Il a beau ne porter qu’un blue-jean et un sweat-shirt, il met sa tenue en valeur grâce à son corps, à la fois mince et musculeux. Je remarque également qu’il se détache aisément des autres hommes, par sa démarche ferme et ce charisme… arrête Éliza ! Nathan doit se faire un sang d’encre en t’attendant, et toi tu laisses tes pensées divaguer vers quelqu’un de séduisant, certes, mais qui se permet de régir tes actions. Ressaisis-toi !

Les portes automatiques se referment derrière nous, et je découvre avec soulagement que la salle d’attente n’est occupée que par un couple et leur garçonnet d’environ 2 ans.

Silver me souffle à l’oreille :

— Assieds-toi ici, je reviens.

Je l’observe se diriger vers le bureau d’accueil pendant que je m’exécute.

La mère de famille installée en face de moi entreprend de bercer son garçon dans ses bras. Je suis alors totalement absorbée par ses gestes tendres, son regard bienveillant et son amour manifeste, qui trouvent une résonance tout aussi affectueuse dans le sourire de son enfant… Le même sourire que m’a offert Nine, lorsque je lui ai dit au revoir quelques heures auparavant. Pourvu que mon absence ne soit pas longue, je n’ai jamais été séparée de ma fille plus de trois jours. La comptine s’interrompt, m’extrayant en même temps de mes pensées. Silver rentre dans la pièce. Il lance un regard poli au couple et, en retour, reçoit de la femme un sourire qui semble venir d’ailleurs, bien loin de ses préoccupations immédiates de maternage – c’est ce qui s’appelle : faire une entrée remarquée ! Il s’installe à mes côtés, en continuant de maintenir son membre blessé immobile, tout contre son torse.

Pendant que je suis les échanges de tendresse entre le petit garçon et ses parents, je perçois le regard de Silver posé sur moi. Cela me gêne, à quoi songe-t-il au juste ?

— Gaétan.

Par le prénom de l’enfant, l’infirmière invite la petite famille à la rejoindre, me laissant ainsi seule avec lui… et mes angoisses. Ouf ! Je constate que cette interruption détourne son attention ; il ne m’observe plus. Je pourrais essayer de lui parler, cela me détendrait un peu. Heu… Pouvez-vous me dire ce que vous regardiez ? Non ! Sinon… Où allons-nous après ? Oui ! Non ! Ça va le contrarier si j’aborde ce sujet ici… Bon et bien, je ne vois que sa blessure alors. Mais tu ne vas quand même pas te montrer empathique envers lui ? Si, après tout il m’a sans doute sauvé la vie !

— Votre bras ne vous fait pas trop souffrir ?

Un subtil sourire en coin naît sur ses lèvres.

— Toujours moins que la fatigue qui commence à m’assaillir. Du grand bonheur, cette soirée ! ironise-t-il.

Sa voix douce me rassure.

— Si vous le souhaitez, en sortant de l’hôpital, je pourrais vous conduire chez moi. Je n’habite pas très loin…

Son soupir m’interrompt. Il se redresse ; ma proposition ne semble pas lui convenir – dommage !

— On est attendu non loin de là.

Son regard franc m’indique de ne pas insister. Cette fois, c’est moi qui souffle ; confuse, j’attrape un magazine pour me donner une contenance, mais je suis bien incapable de porter le moindre intérêt à ce qui est écrit à l’intérieur tant il règne dans ma tête un bazar monstrueux, où l’inquiétude et l’insécurité ont pris possession des lieux.

Et voilà qu’il me dévisage à nouveau. Mais il va arrêter !

— Cela me gêne que vous me regardiez de cette façon. Si vous vous ennuyez, je peux vous proposer une revue ? Jetez un œil sous la table, vous avez le choix.

Et tac !

— De quelle façon ?

Quelle gourde ! Comment veux-tu qu’il fasse ?

— Ah oui mince, vous ne pouvez pas mobiliser votre bras.

— Non. Selon toi, de quelle façon est-ce que je te regarde ?

Je suis confuse, il se joue de moi !

— De manière désagréable : avec insistance.

Il sourit, visiblement amusé de ma réaction. Je suis outrée.

— Effectivement, votre bras ne paraît pas vous faire souffrir ! constaté-je avec amertume, à voix basse, tentant de camoufler ma colère.

— Ici, tutoie-moi, tu reprendras les bonnes habitudes une fois dehors.

Il continue de m’observer. Je rêve !

— Je sais, j’ai des petites cicatrices un peu partout sur le visage. Rien qui ne soit à votre goût, j’imagine !

Ses sourcils se froncent, ses yeux ratissent chaque millimètre de ma peau. Un calvaire !

— Je ne vois pas grand-chose : des irrégularités, çà et là… À quoi est-ce dû ?

Respire Liz ! Respire !

— De l’acné à l’adolescence !

— Hein hein…

Il affiche un large sourire, que soutiennent ses grands yeux vert céladon, brillants d’un éclat dont je n’en connais pas la cause : la fatigue ? L’amusement ? Peu importe, en tout cas il est magnifique… Magnifiquement railleur surtout !

— Vous moquez-vous de moi ?

— Tutoie-moi bon sang !

Ses mots glissent dans un chuchotement, sans perdre une once d’autorité.

— Tu te fiches de moi !

Il prend, cette fois, un air satisfait.

— Je ne me le permettrais pas.

La malice transparaît sur son sourire, aussi subtil soit-il.

— Excuse-moi de te faire ainsi l’objet de ma curiosité, la fatigue et la douleur me rendent indiscipliné, ajoute-t-il.

— J’aurais plutôt dit… pénible.

Il prend une profonde inspiration, comme pour se remplir d’indulgence devant ma remarque désagréable. Je peux me réfugier à nouveau dans mon magazine, cette fois je devrais avoir la paix !

Chapitre 2

Enfin ! Une infirmière se présente devant la porte de la salle d’attente. Je ressens un immense soulagement, comme si elle n’était là que pour moi, capable à elle seule de m’extraire de cette situation.

— Monsieur Rostand Julian.

De qui s’agit-il ? Il n’y a que nous deux dans cette pièce. Non sans surprise, Silver se lève et m’invite à le suivre par un signe de la main. Il porte un nom d’emprunt ! Mais pourquoi ?

— Votre amie peut patienter ici ! objecte la soignante.

Quelle autorité ! Je me rassieds immédiatement.

— Non, elle m’accompagne.

L’infirmière – une quadragénaire rousse, longiligne et assurément très dynamique – se montre étonnée de la réaction de Silver. Son expression me dépite : elle le reluque la bouche ouverte, complètement béate ! Elle me paraît aussi satisfaite par ce qu’elle voit que contrariée parce qu’elle entend.

Elle nous conduit dans une salle de soins, à l’ambiance froide et impersonnelle, dont l’éclairage agresse mes yeux fatigués. Tandis que je reste près de la porte, j’observe Silver s’installer sur le divan d’examen. Il se contorsionne pour ôter son blouson, devant une infirmière entièrement focalisée sur son patient. Mouais… Pathétique ! Le spectacle du blouson terminé, elle s’attelle finalement à l’interroger sur les circonstances de sa blessure. Silver use de son autorité naturelle, pour, me semble-t-il, la détourner de son objectif. Je l’observe la soumettre doucement à ses propres questions, à son regard séducteur – presque prédateur – jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à la déstabiliser complètement, au point qu’elle préfère sortir, prétextant aller chercher l’interne.

La voir quitter cette pièce ne me réjouit guère, car cette petite scène avait au moins pour mérite de me distraire de mes inquiétudes.

— Dans tes pensées ?

Oups, oui, je n’avais pas réalisé que depuis le départ de l’infirmière, je fixais la porte.

Il a encore cet air enjôleur et ce sourire perturbant, mais je réussis néanmoins à le regarder sans ciller. Après tout, il semble avoir la trentaine, donc il n’est guère plus âgé que moi et c’est de sa faute si je suis dans cette situation ! Il n’avait qu’à maîtriser son arrestation et rien de tout cela ne serait arrivé. Et puis, si je le souhaite, je peux faire un scandale dans cet hôpital et l’on verra bien ce qui se passera ! Tiens d’ailleurs… pourquoi pas ?

Sa tête se penche légèrement sur le côté. Il me scrute plus sévèrement :

— Tu peux m’expliquer pourquoi ton regard se durcit au fur et à mesure que tu m’observes ? m’interroge-t-il prudemment.

Je sens poindre comme une inquiétude dans sa voix, sa mâchoire se contracte : douleur ou contrariété ?

Il poursuit :

— Je sais que la fatigue commence à se faire sentir et que tu risques de trouver le temps long ici, mais souviens-toi des consignes : si tu veux qu’on soit arrangeant avec les tiens, il va falloir te montrer très obéissante à mes côtés ! Suis-je suffisamment clair, Éliza ?

— Je crois, oui.

En l’entendant ainsi évoquer les miens, mon cœur se fendille de toutes parts : tous deux me manquent tellement.