Chardon bleu - Tome 3 - C. Rozart - E-Book

Chardon bleu - Tome 3 E-Book

C. Rozart

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Beschreibung

Une évidence peut-elle réellement être évitée ?

Après un mois hors du temps, passé sous la protection du beau et mystérieux Silver, c’est une nouvelle Éliza, affranchie et indépendante, qui rentre chez elle pour retrouver sa Nine et son mari Nathan. Mais l’expérience qu’elle vient de vivre l’a profondément changée et même la douce et revigorante compagnie de sa fille ne parvient pas à apaiser le terrible manque de Silver...
Alors qu’elle tente de reprendre sa vie en main, elle est kidnappée par la mafia russe pour qu’elle les conduise jusqu’à Silver. Elle pourra enfin revoir son chardon, mais à quel prix ?

Frissons, déchirements et suspense insoutenable, une chimie parfaite qui atteint son paroxysme dans ce troisième tome clôturant la saga Chardon bleu.

CE QUE PENSE LA CRITIQUE DU TOME 1

"Une romance UNIQUE ! C. Rozart réinvente le genre." - Katie368, Booknode

"Une plume précise et déterminée, une bonne intrigue, des personnages attachants, un pattern explosif regroupant tous les éléments pour satisfaire nos envies de romances interdites." Doddie84, Booknode

À PROPOS DE L'AUTEURE

C. Rozart dévore les livres et use les stylos depuis son enfance. Un jour, elle croise la route d’un grand auteur en qui elle se reconnaît et ressent alors le besoin de tenter l’aventure à son tour. À présent, elle joue les entremetteuses entre ses personnages et ses lectrices, en choisissant soigneusement chaque ingrédient, pour qu’au terme de cette rencontre s’opère la magie de l’amour.

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Prologue

Samedi 20 juin, 15 h 28

Miloslovich me dépose devant mon domicile. Il sort ma valise du coffre, où je récupère également le bouquet de fleurs que Catherine m’avait offert au nom de l’affection que me portait toute l’équipe. Puis le Russe me tourne le dos, en levant simplement la main en signe d’au revoir, avant de reprendre place au volant du véhicule dont le moteur tourne encore. Immobile, j’observe le SUV noir remonter l’allée jusqu’à ce qu’il échappe complètement à mon champ de vision. Une partie de moi – la partie amoureuse – aurait tant souhaité demeurer dans ce véhicule afin de rentrer, comme le Russe, à la résidence où cette partie de moi est justement restée aux côtés de Silver.

Les yeux tuméfiés du chagrin d’avoir dû quitter celui qui s’était taillé une place démesurée dans mon cœur, je pousse, d’une main frêle, le portillon de chez moi, tout en tenant de l’autre ma valise ainsi que mon bouquet de roses rouges. Les recommandations de Miloslovich en tête sur la façon d’évincer les questions dérangeantes de mon entourage et avec l’obligation de garder pour moi ce que j’ai vécu, je m’apprête à retrouver les miens. Et, si la peine chevillée au cœur de ne plus revoir Silver me ronge douloureusement, au milieu de cette tristesse corrosive naît une joie, une bouffée d’oxygène : je vais retrouver ma fille, ma Nine. Cela fait un mois que je n’ai pas mis les pieds chez moi, un mois que je n’ai pas serré ma chérie dans mes bras, ni senti son odeur ou entendu son petit timbre de voix trop craquant. Un mois. Et une angoisse sourde mais pesante me contraint à penser que, dans la vie d’une fillette de tout juste trois ans, l’absence non programmée de sa maman durant autant de jours peut revêtir des allures d’abandon…

Le bruit tonitruant des roulettes de ma valise sur le goudron de l’allée annonce mon arrivée avant même que je n’aie le temps de poser ma main sur la poignée – la voici qui s’actionne, précédent l’ouverture de la porte. Nathan porte Nine dans ses bras. Mon Dieu ! Ce qu’elle a grandi en trente jours ! Nathan, quant à lui, est fidèle à lui-même : ses cheveux châtains sont coupés très court et il porte ses lunettes de repos à la monture anthracite. Je le trouve en forme. Il semble même avoir perdu un peu de poids… En une fraction de seconde, une comparaison s’opère : si sa corpulence rendait son étreinte confortable, celle de Silver la rendait carrément excitante. Liz! Père et fille restent d’abord interdits quelques secondes en me dévisageant, la bouche grande ouverte, puis Nine pousse vigoureusement Nathan afin qu’il la laisse glisser sur le sol.

— Maman ! s’écrie-t-elle presque paniquée, le sourire largement étendu entre ses petites joues rebondies.

J’ai à peine le temps de m’accroupir qu’elle se jette dans mes bras ; je la serre puissamment ; mon nez s’enfonce dans son petit cou aux senteurs de vanille ; ses longs cheveux détachés me chatouillent le visage – je suis aux anges. Mes larmes, celles que je retenais plus ou moins bien depuis le départ de la résidence – depuis la séparation d’avec l’homme que je ne cesserai à jamais d’aimer – remontent violemment et jaillissent avec effusion. Est-ce la joie, la peine ou la fatigue de toutes ces émotions différentes qui s’expriment en cet instant ? Je l’ignore, et au fond, je m’en contrefiche. J’ai retrouvé Nine ! Mon petit ange se presse contre mon cœur de maman et le soulagement m’inonde…

Chapitre 1

Deux jours plus tard, 23 h 17

Un verre de rouge à la main – un vin sans complexité qui déplairait beaucoup à mon instructeur marseillais –, je rôde autour de l’enveloppe en papier kraft extraite de ma valise et déposée depuis sur ma table de salle à manger. Placée sous le bouquet de roses rouges odorantes, je la reluque, la contemple avidement. Je suis seule. Nine dort à poings fermés. Nathan ne rentrera pas cette nuit. Le moment semble donc idéal pour découvrir ce que Silver m’avait préparé, tout en me préconisant de veiller à ce que personne d’autre n’en découvre le contenu. L’impatience me bouscule tant elle se fait grandissante, mais je me retiens de sauter sur l’enveloppe. En effet, une fois que je l’aurai décachetée, que ses mots danseront devant mes yeux, alors la connaissance évincera le rêve. Ainsi, mon espoir d’y trouver une nouvelle positive pour Silver et moi pourra s’en trouver grandi, ou réduit à jamais en une déception insolvable.

Une vibration soutenue me fait sursauter. Je dépose immédiatement mon verre sur la table et attrape mon téléphone laissé sur le buffet, juste derrière moi. C’est Nathan :

Je suis fou de rage. Je ne comprends toujours pas ce qui t’a menée à l’idée de cette séparation, mais puisque c’est ce que tu souhaites, j’accepte ! Tu m’as dit ne pas vouloir garder la maison et que tu allais rechercher un appart, parfait ! Mais fais vite surtout, car je refuse de remettre les pieds chez nous tant que tu y seras encore. Trop pénible pour moi. JE T’AIME, Liz. Quoi que tu en penses, JE T’AIME et n’accepte cette séparation que parce que tu me l’imposes. Pendant quelques jours, si Nine ou toi avez besoin de quoi que ce soit, communique-le-moi par mail ou texto, le temps que je digère la nouvelle… Si par contre tu devais changer d’avis au sujet de notre couple, parce que cela risque d’arriver, à ce moment-là tu peux me téléphoner.

Comme je te l’ai déjà dit, mon choix est ferme et définitif. Je tâcherai de partir au plus vite. Je te le dis et te le redis, je ne veux pas te faire souffrir, mais je ne parviens plus à envisager les choses autrement entre nous.

Je m’assieds et relis mon texto quelques instants, tentant d’en évaluer l’impact lorsque Nathan le lira, puis appuie sur la touche fatidique qui lui transmet ce contenu, dont il n’a certainement pas besoin en cette nuit déjà pénible. Il m’est cependant absolument nécessaire de lui réaffirmer ma position car je ne veux surtout pas entretenir de quelconques illusions, sur de possibles retrouvailles. Je me doutais bien qu’il n’allait pas adhérer à cette séparation, qu’il n’allait tout simplement pas comprendre mes explications, pour le moins sommaire, je dois bien l’avouer.

Effectivement, à aucun moment je n’ai fait état de la relation que j’ai eue avec Silver. Il serait devenu littéralement fou si je m’y étais risquée. Non pas parce qu’il déborde d’amour pour moi – quoi qu’il en dise –, mais parce que le sentiment de trahison aurait été trop grand, trop insupportable. Et de cela, je tenais à le préserver.

J’espère sincèrement que le fait de s’isoler un temps dans la maison de ses parents, pendant que ceux-ci parcourent la Suède à bord de leur camping-car, lui permettra de retrouver rapidement un peu de sérénité, ce qui, par effet de ricochet, m’aidera aussi à me sentir mieux. En effet, son bien-être m’importe. Voilà pourquoi, bien que ma décision soit réfléchie au point de devenir urgente de la lui communiquer, j’ai dû me faire violence, cet après-midi, pour y parvenir – tant les peurs et les questions germaient sans cesse dans mon esprit tourmenté. Car comment annoncer à l’homme qui partage ma vie depuis sept années que désormais je voulais la poursuivre sans lui ? Comment parvenir à braver le sentiment de culpabilité qui se nourrit de mon statut de mère et qui tente, de tout son poids, d’asphyxier ma décision ? Comment oser scinder notre vie familiale, ce cocon dans lequel Nine grandit depuis trois ans ? Enfin, comment résister à la projection effrayante de l’annonce officielle de cette séparation à nos proches et à l’envie de ne jamais la vivre ?

Malgré ces peurs, j’ai tenu bon et rétrospectivement, je suis fière de moi. Je veux assumer mes ressentis et me donner une chance de vivre de la manière la plus en adéquation avec mes valeurs, mes intuitions et mes projets. Surtout que cette décision, je ne l’ai pas prise sur un coup de tête, mais cela fait quelques années – depuis la naissance de Nine précisément – qu’elle commençait à poindre son nez à travers la monotonie, le désenchantement et la frustration que je ressentais au sein de notre couple. Mais jusque lors, je parvenais à anesthésier mes craintes en me réassurant en permanence par mon rôle de mère investie – surinvestie ? – et en profitant de la source d’épanouissement que m’offre ma passion, la photographie.

Mais on a beau fuir, lorsque la réalité nous rattrape, mieux vaut la regarder dans les yeux. D’autant que je n’ai pas de regret à avoir. J’ai œuvré plus d’une fois en faveur de notre couple. Tout d’abord, en discutant à plusieurs reprises avec Nathan, mais cela ne donnait jamais rien. Il ne comprenait pas l’importance des doutes qui étaient les miens. J’ai espéré le mariage, comme si celui-ci pouvait agir à la façon d’un ciment magique, qui nous aurait préservés d’une éventuelle désolidarisation, mais Nathan s’y opposait – fort heureusement, d’ailleurs. Son agence de communication était en plein essor, il ne voyait l’avenir qu’à travers sa profession, si bien qu’il en désertait mon présent. Puis il y a eu cette arrestation à laquelle je n’aurais pas dû assister. J’ai cru mourir ce jour-là. Peut-être suis-je morte d’ailleurs, pour mieux renaître à moi-même. Mon sauveur s’est donné de la peine à la tâche, mais il semblerait qu’il ait réussi. Je me remémore le moment où Silver m’a concrètement sauvé la vie, où il m’a extrait de mon véhicule au milieu d’un champ de guerre. J’en tremble encore. Il m’a alors soustraite à mon quotidien durant un mois, afin de s’assurer que je ne puisse pas compromettre leur mission par un témoignage mal venu auprès des forces de l’ordre.

Au cours de cet interlude temporel imprévu, il a su me convaincre de céder à son désir et cela fut pour moi, le début d’une remise en question en profondeur, puisque j’ai découvert la puissance que pouvait revêtir le sentiment amoureux. Une puissance insoupçonnée ! Quant à mon amant, son cœur, qu’il n’avait encore jamais ouvert à personne, était parvenu à percer l’épaisse amure dans laquelle il était emprisonné, pour enfin s’exprimer. Lui, qui se définissait comme un chardon et qui craignait de me blesser avec ses épines, avait réussi à bleuir. Alors, oui, certes, mon amant pouvait se montrer dur, exigeant, autoritaire, mais sa bienveillance était un fait et son amour incontestable. Il y avait une raison à sa personnalité, qu’il avait bien voulu me livrer au cours de notre petit séjour magique, en Corse. La vie n’avait pas été tendre avec lui, il avait dû lutter – au sens propre comme au figuré – pour surmonter le décès de son frère Hayden. Il avait même réussi à le venger…

À l’exhumation de ce souvenir, mon épiderme se mue en un champ de mines qui explosent les unes à la suite des autres. Suite à ce… meurtre – mon Dieu que cela me coûte de traduire ainsi ma pensée –, il a évité la prison à perpétuité en intégrant un programme de formation pour une organisation rattachée à la CIA, laquelle lui a permis de sortir de ses abîmes et de retrouver une intégrité, en prenant notamment les commandes de toute une équipe. Et dire qu’il dirige aussi la multinationale de son père depuis le décès de ce dernier. Il m’impressionne. J’y pense… Cela doit également être stratégique ? Effectivement, son job officiel fait de lui un individu lambda.

Mes yeux se portent à nouveau sur l’enveloppe. J’esquisse le mouvement de m’en saisir, mais me ravise aussitôt.

Chapitre 2

Cette enveloppe représente le dernier lien, en ce lieu, que je possède avec mon chardon. À ce titre, elle a toute la valeur que je lui projette, mais, concrètement, qu’en est-il ? Et si ma déception était trop grande ? Et puis, est-ce sérieux de prendre connaissance de son contenu le jour où j’annonce à Nathan que je souhaite notre séparation ? Franchement ? D’autant plus que cette espèce de pesanteur invisible qui me leste depuis notre échange – ou devrais-je plus justement dire : empoignade – ne cesse de m’écraser. Mon diaphragme est complètement verrouillé, mon plexus solaire douloureux et je ne parviens plus à respirer profondément, mais je ne regrette rien.

*

Depuis que j’étais rentrée chez moi, avant-hier, je ne me sentais pas légitime à réceptionner toutes les attentions que m’offrait Nathan. Lui, semblait si heureux de me retrouver. Quant à moi… j’étais tout simplement perdue à tenter de jouer un rôle qui n’était plus le mien ; à subir son étreinte avec un enthousiasme feint ; à esquiver ses baisers, prétextant ne pas me sentir bien. J’ai ainsi passé tout l’après-midi à jouer avec Nine et quand je la laissais un peu tranquille, je ne cessais de remercier Nathan pour la remarquable attention qu’il avait portée à notre fille durant ce mois écoulé.

Grâce à lui, j’ai pu retrouver une petite fille épanouie, qui m’a accueillie sans pleurs ni reproches. Ma crainte qu’elle vive mon absence à la façon d’un abandon s’était rapidement estompée. Nathan avait visiblement su trouver les mots pour la rassurer à la fois sur mon départ et la proximité de mon retour. À cette fin, il avait d’ailleurs conçu un calendrier astucieux, à base de photos de nous trois, qu’il avait accroché sur le réfrigérateur. Le calendrier prévoyait une photo par case que Nine fixait chaque matin. « Lorsqu’il n’y aura plus de photos à accrocher, maman rentrera », lui avait-il expliqué. Brillant ! Je n’aurais pas fait mieux. Il m’avait confié avoir fait développer quelques clichés en plus, lui nécessitant d’ajuster le nombre précis seulement la semaine dernière, quand il prit connaissance du jour exact de mon retour.

Il m’apprit également qu’une Golf 8, flambant neuve, avait pris place dans le double garage, au côté de sa Clio. « Cadeau de la maison, en remplacement de la voiture devenue épave par notre faute », lui avait-on dit. Il m’avoua avoir eu une moue de déception en constatant que la carte grise avait été éditée à mon nom. Je lui proposai alors d’échanger cette Golf contre sa Clio, mais il refusa tout net, argumentant qu’il en avait bien profité en mon absence et que je la méritais plus que lui. Ainsi, mes parents, mes frères et nos amis furent quasiment tous au courant de la version qui lui avait été conseillée de répandre : Nathan avait usé de mon absence pour m’offrir une Golf dernière génération. Et apparemment, cela n’avait choqué personne ! Il m’informa également, avec une vive excitation dans la voix, que le correspondant, comme il se faisait appeler, lui avait remis mercredi dernier, six mille euros en liquide. J’en étais restée bouche bée. Il s’agissait, comme on lui avait expliqué, d’un dédommagement en raison du préjudice causé par mon absence.

— Non, mais franchement ! Ils font comment ? Une bagnole neuve, six mille balles en liquide ! Tu me dis avoir été très bien hébergée… On n’est pas loin d’une opération tout bénef’. Non ?

J’étais choquée. Comment pouvait-il manquer à ce point d’empathie au profit de considérations matérielles !? J’ai alors bien pensé lui expliquer ce que ça faisait de sentir le canon d’une arme à feu s’enfoncer dans ses côtes, mais, pff… à quoi bon l’effrayer ? Il était à mille lieues de tout ça. Il ne semblait avoir retenu que mon statut de témoin oculaire, oubliant que j’avais, avant cela, été prise en otage. De toute façon, je n’avais pas le droit de lui en dire plus, et au fond, je trouvais que c’était mieux ainsi… Subir son regard empli de pitié ou ressentir sa culpabilité de n’avoir rien pu faire m’aurait désolée.

— Oui, avais-je ainsi confirmé, sans conviction aucune.

Lorsque le soir était venu, que le dîner était passé et que nous avions tous deux couché notre fille, épuisée par les retrouvailles et par la sieste manquée de l’après-midi, nous nous étions alors retrouvés seuls. Avec beaucoup de bienveillance, il avait voulu savoir ce que j’avais vécu pendant ce mois, comment étaient remplies mes journées. Je formulais ainsi des réponses partielles, en prenant soin d’évincer certains faits par l’accentuation d’un bâillement pour lui signifier explicitement ma fatigue, puis en agrémentant le tout d’un petit sourire plein d’affection et… de manipulation ; je me faisais horreur.

Le dimanche matin, lorsqu’au réveil j’ouvris un œil, face à moi, il était de nouveau empreint de cette gentillesse débordante, tenant dans ses mains un plateau débordant de croissants, de jus d’orange et d’autres attentions… Je lui avais manqué, c’était évident. Ainsi, tandis que Nine dormait encore, Nathan continuait de se montrer particulièrement tendre, agréable… Mais de mon côté, l’étincelle ne se rallumait toujours pas. Je m’en voulais tellement de le voir se démener pour me manifester sa joie de me revoir, sans parvenir à lui rendre la moitié de ce qu’il m’offrait. Je ne parvins pas à avaler quoi que ce soit. Il débarrassa le plateau qu’il posa sur le bureau, juste à côté du lit, et revint se blottir contre moi. À demi assise, je le serrais fort et lui annonça ce que je ne parvenais plus à retenir, rompant brutalement cette douceur qu’il était venu chercher en se plaçant si proche de moi. Mais cela était devenu indispensable, par honnêteté pour lui d’abord, pour moi aussi.

— Durant cet éloignement de toi, de notre couple, j’ai pris conscience de beaucoup de choses nous concernant, avais-je débuté avec précaution.

Il restait muet, ses doigts se mettant à effleurer mon ventre par-dessus ma robe de nuit. Je reprenais :

— Je crois… Je crois que nous n’étions pas très heureux, toi et moi, ces quelques dernières années, parvins-je enfin à lâcher.

Il se redressa subitement, ses grands yeux marron zigzaguant d’un coin à l’autre de mon visage.

— Où veux-tu en venir ? m’interrogea-t-il, le visage marqué par l’inquiétude que sa fossette, au coin de sa lèvre droite, retranscrit fidèlement en pareille occasion.

Nine a hérité de cette fossette, remarquais-je silencieusement. De retour dans notre conversation, je me pinçai la lèvre inférieure, incapable de lui répondre. Alors, il poursuivit en habillant ses mots du peu de sérénité qu’il parvint à rassembler :

— Tu viens de rentrer, tu es encore sans doute remuée par ce que tu as dû vivre. Tu ne sais pas où tu en es, ma chérie.

Ma chérie ? Depuis mon retour, cette gratification verbale ponctuait régulièrement ses phrases, accentuant encore mon sentiment de culpabilité. Ses yeux m’imploraient de ne pas poursuivre ; son regard transpirait l’incompréhension, la peur. Il me faisait tant de peine.

— OK, nous verrons peut-être cela demain alors, le rassurais-je.

Il acquiesça dans un silence, mais visiblement, ce report ne le satisfaisait pas.

Devant sa trouille, je battis donc en retraite. J’espérais tant parvenir à éviter de le faire souffrir. Je souhaitais aussi réussir à lui dire qu’il demeurera à jamais le père de Nine, l’homme que j’ai aimé durant une période de mon existence, donc quelqu’un qui revêtira toujours une place de grande valeur dans mon cœur.

— Je ne pensais pas que tu te sentirais aussi mal ce matin, du coup je préfère te prévenir pour te laisser le temps de te faire à l’idée… J’ai invité tes parents, tes frères, ainsi que Julie et Yann à venir fêter ton retour, cet après-midi.

Mes yeux manquèrent de chuter de leurs orbites tandis qu’il poursuivait :

— J’ai eu ta mère, hier matin, au téléphone, se justifia-t-il. Je lui ai dit que tu rentrais dans l’après-midi et elle m’a de suite demandé si elle pouvait passer te voir. Tu voulais que je lui réponde quoi ? Bien sûr, je lui ai dit oui, et c’est ainsi que, comme un con, j’ai laissé un texto à tes frangins, Julie et Yann. Mais maintenant, quand je vois ta tête et ta forme, je regrette ; clairement, ce n’était pas l’idée du siècle.

— C’est la première fois que tu énonces quelque chose de censé en cinq minutes ! avais-je maugréé.

Comme si la première contrariété, de remettre au lendemain le projet de lui parler, ne suffisait pas ! J’allais, de surcroît, devoir mentir à ceux que j’aimais sur un stage photo que je n’avais jamais réalisé. Je savais bien que ce moment aurait lieu, mais j’aurais préféré ne pas avoir à le subir dès ce week-end. Une petite voix s’éleva subitement depuis la chambre voisine :

— Maman ! Ma-man !

D’un bond, je m’extirpais hors de la couette, laissant un Nathan désorienté par la tournure désagréable que prenaient les choses en ce lendemain matin de retrouvailles, et partis d’un pas pressé retrouvé mon petit rayon de soleil.

*

Je quitte mes chimères afin de réintroduire le présent, en même temps que mon regard croise les aiguilles de l’horloge murale : presque minuit et demi. Il se fait trop tard pour extraire les mystères de cette enveloppe. J’avale, d’un trait, le fond de mon verre ballon et décide de reporter cette ouverture au lendemain. Pour l’heure, au lit !

Chapitre 3

Tandis que je pousse Nine sur la balançoire, que ses orteils nus s’obstinent à tenter de chatouiller les volutes blanches du ciel, je me réjouis de la quinzaine de jours de repos supplémentaires que m’offre l’arrêt maladie frauduleux prévu par Silver. En effet, cela ne me sera pas inutile. J’ai tant de choses à faire : trouver ma future location, séparer nos comptes bancaires, faire les cartons… Cependant, ça n’en demeure pas moins des broutilles, par rapport au fait de devoir apprendre la fin de notre couple à ma famille et nos amis. Cette dernière étape ne sera pas la plus plaisante, mais je ne peux y couper. C’est étonnant… Je constate que je suis plus anxieuse à l’idée d’annoncer notre séparation que de la vivre ! Mais effectivement, si le fait de quitter Nathan soulève en moi un vent de nostalgie, il ne génère rien d’inquiétant. Je ne tremble pas en songeant à l’avenir, mais bien au contraire, je me dis que de belles surprises nous attendent, Nine et moi… En même temps, je n’ai toujours pas ouvert cette fameuse enveloppe, qui occupe une place de plus en plus vaste dans mon esprit. Pourvu que son contenu ne vienne pas ternir mon optimisme, car j’ai trop besoin de ce dernier. Il nourrit une force nouvelle en moi, un élan. C’est inexplicable autant qu’indubitable, je le sens bien : j’ai changé.

— Plus haut ! Plus haut, maman !

— Bien, cheffe !

Aussitôt dit ! Je la pousse avec un peu plus de force sans risquer de la faire tomber et quelque part, c’est bien là tout l’enjeu d’être mère. Permettre à son enfant de s’envoler, en veillant à ce que celui-ci ne se brûle pas les ailes. Je tâcherai de faire au mieux pour toi, Nine !

— Allez, plus haut ! Regarde ! Je touche prechque.

J’intensifie encore le rythme tandis que ses deux orteils gigotent dans tous les sens chaque fois qu’ils se retrouvent projetés en l’air. J’éclate de rire en la voyant mobiliser autant d’énergie à réaliser l’impossible. Heureuse de me faire rire, elle ne s’arrête plus d’essayer.

— Allez, Nine, tu vas y arriver !

Et alors qu’elle ne s’y attend pas, je la stoppe brutalement en pleine ascension, en la tirant à moi. Déséquilibrées, nous tombons toutes deux par terre dans une chute judicieusement orchestrée, pour que ma Nine ne sente rien, maman amortissant l’impact ; sa joue s’écrase contre la mienne.

— Maman ! On est tombées ! s’exclame-t-elle en riant, joyeuse et surprise à la fois.

— On a peut-être tout simplement atterri dans les nuages ? Non ?

Elle s’arrête de rire, méditant un instant aux paroles – censées être – parfaitement fiables de sa maman.

— Pff… Non ! Ch’est de l’herbe, pas des nuaches, maman.

Elle me jette un regard à la dérobée, guettant ma réaction et me défiant presque d’y voir autre chose.

— Nine, du haut de mes 27 ans, moi je vois des nuages. Regarde, on flotte !

Ses quatre-vingt-quatorze centimètres étendus sur moi, je la cramponne sur les côtes et la fais se balancer jusqu’à ce qu’elle reparte dans une série de rires, dont je ne suis jamais rassasiée.

De quelques pressions sur l’interrupteur mural, j’abaisse partiellement le volet roulant tandis que Nine m’observe attentivement de derrière son pouce. La matinée de jeux en plein air et le déjeuner pantagruélique qu’elle a dévoré ensuite semblent avoir eu raison de son énergie débordante. Le petit bruit de succion, doublé de la pénombre partielle, parviendrait presque à me donner, à moi aussi, envie de m’allonger à côté d’elle pour l’accompagner dans sa sieste, mais j’ai trop à faire. Il me faut absolument réussir à trouver mon nouveau logement, et ce, en moins de quinze jours… Ma petite voix intérieure me crie bon courage ! J’embrasse ma fille sur le front et replace machinalement son doudou contre sa joue, qu’elle écarte d’un geste vif et contrarié. Décidément, ma petite chérie semble, elle aussi, avoir gagné en affirmation, ces derniers jours !

— Bonne sieste, mon petit ange, à tout à l’heure.

— À tout à l’heure, me répond-elle en chuchotant presque, sans prendre le soin d’ôter le pouce de sa bouche – bien trop précieux !

L’enveloppe sous le bras et le portable dans la main, je pars m’installer sur la terrasse. Je laisse la porte de la salle à manger ouverte, si jamais Nine appelait, et m’assieds sur le banc à l’ombre du parasol. Soutenue par les chants des merles et moineaux alentour, je me lance ! Mon cœur subit une petite embardée lorsque mon index se faufile enfin, dans l’angle de l’enveloppe. Je sursaute en entendant la sonnerie de mon téléphone retentir. Non ! Grrr… Le prénom de Julie apparaît à l’écran. Je décroche :

— Salut, Julie !

— Hé ! Comment vas-tu ?

— Bien, merci.

— J’ai eu ton mail ce matin pour ta recherche d’appartement. Pas de souci, je vais bien le faire suivre à mon oncle, mais je n’ai pas compris pour qui c’était ?

— Ben, hésité-je en cherchant péniblement mes mots, pour Nine et moi, admets-je enfin d’une toute petite voix.

Comment va-t-elle prendre la nouvelle ?

— …

— Julie ?

— Oui, oui, je suis toujours là. Mais, je ne comprends pas. Nathan et toi vous vous séparez ?

Son ton témoigne à la fois de sa surprise et de sa sidération.

— Oui, lâché-je sans artifices.

— …

— Julie ? T’es encore avec moi ?

— Si tu es bien Éliza Ruiz, alors oui, je suis toujours avec toi !

Je soupire de soulagement en entendant sa voix retrouver sa spontanéité habituelle.

— Écoute, tout cela s’est décidé rapidement et je n’ai pas pu t’en parler avant. Dimanche, Nathan et moi n’en avions pas encore vraiment discuté. Tu vois, c’est tout récent.

— Je suis larguée. Complètement larguée, Liz ! À mes yeux, vous formez le couple idéal, Nathan et toi. Je ne vous connais pas de désaccord sérieux, en tout cas, de ce que tu me relatais…

— Tu as raison.

— Alors d’où vous est venue cette idée ?

Je m’apprête à répondre lorsqu’elle revient à la charge :

— Non, mais n’importe quoi ! Tu pars un mois faire un stage photo avec le maître du genre et lorsque tu rentres, voilà que votre couple prend fin… J’ai deviné !

Oh, non… Je n’ose pas lui demander quel scénario vient de prendre forme dans son esprit parfois baroque, pour ne pas dire barré, mais vaut peut-être mieux le savoir :

— Je t’écoute, Ju, dis-moi.

— Tu as eu une liaison avec le photographe !

J’éclate de rire.

— Je ne peux rien te cacher, Sherlock !

— Ça ne prend pas, Liz, tu te fiches de moi ! maugrée-t-elle vigoureusement.

— Mais non, ma Ju, seulement, tu mets tant d’ardeur dans tes propos… Ça me fait sourire et je t’avoue qu’en ce moment, j’en ai vraiment besoin.

Enfin, elle n’est pas si loin de la réalité tout de même… J’ai effectivement trompé Nathan.

— La vérité, c’est qu’avec Nathan nous ne formions plus qu’un couple sur le papier. J’ai récemment découvert que la tendresse que l’on éprouve pour quelqu’un n’est rien à côté…

Je me stoppe net, réalisant que j’allais lui révéler indirectement ma liaison avec Silver. Merde ! Merde ! Merde ! Je fais quoi maintenant ?

— À côté de quoi, Liz ? hurle-t-elle, littéralement folle d’impatience de connaître la suite.

— Ce n’est rien en comparaison de cette excitation qui naît d’un regard de lui, de ces palpitations que me procure le contact avec sa peau… Ce n’est rien à côté de l’homme qui sait te faire vibrer de par sa simple présence. Voilà, Ju, tu sais.

— Merde ! Tu as trompé Nathan ?

— Ben oui, et je n’en suis pas fière. Je ne voulais pas t’en parler, j’étais persuadée que tu allais me trancher la tête. Je sais que tu adores Nathan, mais même si je regrette d’avoir mal agi envers lui, parce que c’est un fait et je ne vais pas le nier, cela m’a pourtant permis de me délivrer de ma routine, qui était en train de me plomber littéralement l’existence. Tu me comprends ? Ju, s’il te plaît ?

Chapitre 4

J’entends Julie qui souffle.

— Mais pour qui me prends-tu exactement ? Pour une épouse frustrée, incapable de comprendre une situation à laquelle j’ai moi-même été exposée ? T’es sympa, mais ta prise de conscience, je l’ai déjà eue. Sauf que pour ma part, Yann a toujours su se montrer à mon écoute, et enclin à se remettre autant en question que moi, afin de redonner de l’impulsion à notre couple lorsque cela était nécessaire. Alors, bien sûr que j’ai envie de te couper la tête, car c’est vrai que j’apprécie Nathan, on se marre bien ensemble, mais toi… c’est TOI. Tu es ma meilleure amie, et je t’aime.

Les larmes me montent aux yeux. Quel soulagement !

— Liz, tu pleures ?

— Non, juste un peu.

Elle éclate de rire et je l’entends qui renifle à son tour.

— OK. On pleure « juste un peu » à deux alors, conclut-elle dans un petit rire. Tu ne comptes pas le dire à Nathan ?

Je reste un instant muette. Révéler à Nathan que je l’ai trompé serait une démarche honnête, qui rachèterait peut-être ma conduite aux yeux de Julie ? Pourtant, je ne crois pas que cela servirait à grand-chose…

— Non. En tout cas, pas tout de suite… Il souffre déjà tellement. Au fond, je ne sais pas ce que cela changerait qu’il le sache, puisque lorsque je suis revenue, je me suis tenue à l’écart, du moins autant que j’ai pu, de lui. Et dès que j’en ai eu l’occasion, je lui ai annoncé mon désir de séparation.

Je comprends que mon amie est en pleine réflexion analytique, grâce au silence dont les dernières secondes viennent de se parer.

— Vu sous cet angle, tu as certainement raison, conclut-elle avec conviction. En tout cas, ne t’inquiète pas, je ne dirai rien à Yann à ce sujet-là.

— Merci. Je ne sais pas si j’ai raison, mais j’ai l’impression d’agir au mieux pour Nathan et moi, en m’y prenant ainsi. Par ailleurs, je pense que certaines vérités, à l’instar des armes, sont à manier intelligemment si l’on ne souhaite pas, ensuite, porter la responsabilité d’un attentat émotionnel.

— C’est joliment dit ça, dis donc ! Franchement, je pense que c’est une décision courageuse, Liz, que tu prends là. Tu agis à l’encontre de la facilité car, te connaissant, et c’est ainsi que je fonctionne aussi, je sais qu’il t’est plus naturel de te libérer de quelque chose en le posant verbalement et en formulant tes regrets, plutôt qu’en le gardant pour toi.

— Merci de me comprendre. Heureusement que je t’ai, ma Ju, lui déclaré-je, la voix grouillante d’une armada de sanglots.

— Eh ! Arrête de pleurer, j’ai les yeux qui fuient en permanence à cause de toi, peste-t-elle avec douceur.

Je l’entends qui renifle et se mouche, tandis que je fais de même.

— Tu peux faire garder Nine vendredi soir ?

— Heu… Oui, par ma mère puisqu’elle m’a invitée à manger samedi midi, ça ne la dérangera sûrement pas de garder sa petite-fille la veille au soir, enfin, si elle est chez elle.

— Bien, tu lui demandes et en attendant on se donne rendez-vous au Triple, à Andrézieux-Bouthéon, pour 20 h 30 ! Cela nous permettra de papoter et j’en saurai alors sans doute mieux sur ce bel apollon qui a su réveiller la libido poussiéreuse de ma meilleure amie.

— Julie !

— Ben quoi ? C’est un peu ça, non ?

Elle ne me laisse pas le temps de répliquer, qu’elle poursuit :

— Bon, de mon côté, je transmets ton mail à mon oncle. Je lui note que c’est urgent. J’ignore si quelque chose pourrait te convenir parmi les offres de son agence immobilière, mais je sais qu’il rénove des apparts qu’il propose ensuite à la location, alors il devrait pouvoir te trouver quelque chose rapidement.

— Oh, merci ! Tellement ! J’aimerais vraiment pouvoir déménager sous quinze jours max.

— C’est ce que j’ai lu, mais ça fait court comme délai. En tout cas, tu peux compter sur moi, Liz, que ce soit pour t’aider à faire des cartons, pour le déménagement ou garder Nine... Yann et moi serons présents.

— Je sais, Ju. Merci encore.

— Je dois te laisser, je reprends à la librairie dans une vingtaine de minutes. Je te dis à vendredi, si l’on ne se parle pas au téléphone avant.

— Ça marche, à vendredi. Bye.

— Bye.

J’ai gaffé en me confiant sur ma liaison avec Silver, mais mon Dieu que ça fait du bien d’en parler. J’envoie en deux secondes un texto à ma mère, afin de lui demander si elle peut garder Nine vendredi soir et sa réponse positive me vient dans la foulée. Top !

Mon regard retrouve désormais son objet de convoitise : l’enveloppe. À nous deux, ma grande !

Avant même qu’ils n’atteignent le contenu, mes doigts sont pris d’un léger tremblement. Je sors de l’enveloppe marron, une feuille A4 blanche, rédigée à la main en recto-verso, à l’encre noire, et pliée en deux. Je lui restitue sa taille initiale avec soin et me sens fébrile lorsque je remarque la signature : Sly. Cela finit de raviver encore un peu plus cette peine, sourde mais insidieuse, qui m’accompagne quotidiennement. De ma main gauche – celle qui tient l’enveloppe –, je perçois des reliefs sur l’enveloppe provenant de son contenu. Je dépose alors la lettre sur la table, puis ma main droite se faufile à nouveau. Cette fois, j’extirpe un petit ballotin en nubuck que je place à côté de la lettre, enfin, d’une troisième expédition, je ramène un petit étui plat, en plastique rigide de couleur bleue, que je place de suite à côté du reste afin de me jeter à l’assaut de la lettre.

Mes doigts compriment le papier de toute la tension qui m’anime, tandis que les premiers mots, que Silver a choisi de m’adresser, se dévoilent à moi :

Éliza,

Tout d’abord, j’espère que tu auras bien suivi les consignes concernant l’ouverture de cette lettre, et si c’est le cas, cette lecture a lieu quelques jours après ton retour chez toi, tu es seule, et tu peux ainsi t’octroyer le temps nécessaire afin d’en découvrir le contenu.

Ces derniers temps, tu n’as cessé de me pousser à trouver une issue favorable à notre couple, ce que je n’ai pas su faire. Et je persiste à penser que c’est une bonne chose pour toi. Comme tu l’as constaté par toi-même, mes journées peuvent prendre une tournure insolite, voire particulièrement dangereuse, et je refuse d’emmener ce type de préoccupations dans ton quotidien ou celui de ta fille. S’il n’y avait que toi, encore… Mais ce n’est pas le cas. Nine doit être élevée dans un foyer sécure et pour l’heure, je n’ai rien de tel à offrir.

Éliza, sache que même si je n’ai rien laissé paraître, tu as revêtu l’aspect d’un véritable tsunami dans mon existence. Habitué aux relations sans lendemain, JAMAIS je n’ai ressenti de tels sentiments envers quelqu’un. Le plus fou, c’est que mes sentiments sont nés en moins de vingt-quatre heures de rencontre… dans cet hôtel de Saint-Étienne. Pour l’être rationnel et indépendant que je suis, cette réalité était violente. Je l’ai tenue à distance le plus longtemps possible, jusqu’à ce que je cède à l’évidence. À toi. À ta douceur, ta gentillesse, ta confiance. Je ne me suis pas toujours montré tendre envers toi, mais tu ne t’es pas laissée effrayer, du moins, pas trop souvent… Car si tu renfermes une certaine fragilité, qui me fait fondre au demeurant, tu n’en restes pas moins une personne étonnante d’adaptation et de persévérance. Tu m’as, en cela, beaucoup impressionné. Là où d’autres m’auraient crucifié sur l’hôtel de la morale, toi, tu persistais à vouloir savoir, comprendre.

À ton contact, je suis devenu meilleur, mais surtout, j’ai retenu une leçon importante : le cœur est un guide plus sûr que la raison elle-même. Et si l’on ne voit bien qu’avec le cœur, avant toi, Liz, il est certain que je ne voyais rien. Merci pour tout ce que tu m’as apporté et en retour, laisse-moi prendre soin de toi à ma façon.

Dans l’étui en plastique, tu découvriras (si ce n’est fait) une carte bancaire. Elle est reliée à un compte où tu as procuration et que j’approvisionne pour toi, tes projets, tes besoins de toutes sortes. Le code est noté sur un petit post-it accroché à la carte. Alors, ouvre ton studio, lance-toi. Ose ! Et surtout, ne lâche jamais tes rêves, quoiqu’il arrive. La vie est courte. Et parfois même plus courte que l’on ne peut l’imaginer. Ne t’interdis donc rien s’il te plaît. J’ai de toute façon trop d’argent pour moi seul et je sais que tu en feras bon usage.

Mon cœur restera lié au tien, parce que je ne peux faire autrement.

Mais si ce que l’on a vécu était à la fois magique et perturbant, c’est aussi tout ce que l’on avait à vivre.

Ma gorge se resserre autour de mon larynx. Je suffoque, mais termine la lecture :

Tu mérites de briller pleinement, auprès d’un homme dont les abîmes n’absorbent pas cette belle lumière.

Avec tout mon amour,

Sly