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Paul Valéry

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Beschreibung

Propos sur la poésie suivi de : Aurore ; Au platane ; Cantiques des colonnes ; L’Abeille ; Poésie ; Les Pas ; La Ceinture ; La Dormeuse ; Fragments du Narcisse ; La Pythie ; Le Sylphe ; L’Insinuant ; La Fausse Morte ; Ébauche d’un serpent ; Les Grenades ; Le Vin perdu ; Intérieur ; Le Cimetière marin ; Ode secrète ; Le Rameur ; Palme.

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Charmes

Paul Valéry

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Table des matières

Propos sur la poésie

Aurore

Au platane

Cantiques des colonnes

L’Abeille

Poésie

Les Pas

La Ceinture

La Dormeuse

Fragments du Narcisse

La Pythie

Le Sylphe

L’Insinuant

La Fausse Morte

Ébauche d’un serpent

Les Grenades

Le Vin perdu

Intérieur

Le Cimetière marin

Ode secrète

Le Rameur

Palme

À propos de l’auteur

Propos sur la poésie

Nous venons aujourd’hui vous entretenir de la poésie. Le sujet est à la mode. Il est admirable que, dans une époque qui sait être à la fois pratique et dissipée, et que l’on pourrait croire assez détachée de toutes choses spéculatives, tant d’intérêt soit accordé non seulement à la poésie même, mais encore à la théorie poétique.

Je me permettrai donc aujourd’hui d’être quelque peu abstrait ; mais, par là, il me sera possible d’être bref.

Je vous proposerai une certaine idée de la poésie, avec la ferme intention de ne rien dire qui ne soit de pure constatation, et que tout le monde ne puisse observer en soi-même ou par soi-même, ou, du moins, retrouver par un raisonnement facile.

Je commencerai par le commencement. Le commencement de cette exposition d’idées sur la poésie consistera nécessairement à considérer ce nom même, tel qu’il est employé dans le discours usuel. Nous savons que ce mot a deux sens, c’est-à-dire deux fonctions bien distinctes. Il désigne d’abord un certain genre d’émotions, un état émotif particulier, qui peut être provoqué par des objets ou des circonstances très diverses. Nous disons d’un paysage qu’il est poétique ; nous le disons d’une circonstance de la vie ; nous le disons parfois d’une personne.

Mais il existe une seconde acception de ce terme, un second sens plus étroit. Poésie, en ce sens, nous fait songer à un art, à une étrange industrie dont l’objet est de reconstituer cette émotion que désigne le premier sens du mot.

Restituer l’émotion poétique à volonté, en dehors des conditions naturelles où elle se produit spontanément et au moyen des artifices du langage, tel est le dessein du poète, et telle est l’idée attachée au nom de poésie, pris dans le second sens.

Entre ces deux notions existent les mêmes relations et les mêmes différences que celles qui se trouvent entre le parfum d’une fleur et l’opération du chimiste qui s’applique à le reconstruire de toutes pièces.

Toutefois, on confond à chaque instant les deux idées, et il en résulte qu’une quantité de jugements, de théories et même d’ouvrages sont viciés dans leur principe par l’emploi d’un seul mot pour deux choses bien différentes, quoique liées.

Parlons d’abord de l’émotion poétique, de l’état émotif essentiel.

Vous savez ce que la plupart des hommes éprouvent plus ou moins fortement et purement devant un spectacle naturel qui leur impose. Les couchers de soleil, les clairs de lune, les forêts et la mer nous émeuvent. Les grands événements, les points critiques de la vie affective, les troubles de l’amour, l’évocation de la mort, sont autant d’occasions ou de causes immédiates de retentissements intimes plus ou moins intenses et plus ou moins conscients.

Ce genre d’émotions se distingue de toutes autres émotions humaines. Comment s’en distingue-t-il  ? C’est ce qu’il importe à notre dessein actuel de rechercher. Il nous importe d’opposer aussi nettement que possible l’émotion poétique à l’émotion ordinaire. La séparation est assez délicate à opérer, car elle n’est jamais réalisée dans les faits. On trouve toujours mêlées à l’émoi poétique essentiel la tendresse ou la tristesse, la fureur ou la crainte ou l’espérance ; et les intérêts et les affections particuliers de l’individu ne laissent point de se combiner à cette sensation d’univers qui est caractéristique de la poésie.

J’ai dit : sensation d’univers. J’ai voulu dire que l’état ou émotion poétique me semble consister dans une perception naissante, dans une tendance à percevoir un monde, ou système complet de rapports, dans lequel les êtres, les choses, les événements et les actes, s’ils ressemblent, chacun à chacun, à ceux qui peuplent et composent le monde sensible, le monde immédiat duquel ils sont empruntés, sont, d’autre part, dans une relation indéfinissable, mais merveilleusement juste, avec les modes et les lois de notre sensibilité générale. Alors, ces objets et ces êtres connus changent en quelque sorte de valeur. Ils s’appellent les uns les autres, ils s’associent tout autrement que dans les conditions ordinaires. Ils se trouvent, — permettez-moi cette expression, — musicalisés, devenus commensurables, résonants l’un par l’autre. L’univers poétique ainsi défini présente de grandes analogies avec l’univers du rêve.

Puisque ce mot de rêve s’est introduit dans mon discours, je dirai au passage qu’il s’est fait dans les temps modernes, à partir du Romantisme, une confusion assez explicable, mais assez regrettable, entre la notion de poésie et celle de rêve. Ni le rêve, ni la rêverie ne sont nécessairement poétiques. Ils peuvent l’être ; mais des figures formées au hasard ne sont que par hasard des figures harmoniques.

Toutefois, le rêve nous fait comprendre par une expérience commune et fréquente, que notre conscience puisse être envahie, emplie, constituée par un ensemble de productions remarquablement différentes des réactions et des perceptions ordinaires de l’esprit. Il nous donne l’exemple familier d’un monde fermé où toutes choses réelles peuvent être représentées, mais où toutes choses paraissent et se modifient par les seules variations de notre sensibilité profonde. C’est à peu près de même que l’état poétique s’installe, se développe et se désagrège en nous. C’est dire qu’il est parfaitement irrégulier, inconstant, involontaire, fragile, et que nous le perdons comme nous l’obtenons, par accident. Il y a des périodes de notre vie où cette émotion et ces formations si précieuses ne se manifestent pas. Nous ne pensons même pas qu’elles soient possibles. Le hasard nous les donne, le hasard nous les retire.

Mais l’homme n’est homme que par la volonté et la puissance qu’il a de conserver ou de rétablir ce qu’il lui importe de soustraire à la dissipation naturelle des choses. L’homme a donc fait pour cette émotion supérieure ce qu’il a fait ou tenté de faire pour toutes les choses périssables et regrettables. Il a cherché, il a trouvé des moyens de fixer et de ressusciter à son gré les plus beaux ou les plus purs états de soi-même de reproduire, de transmettre, de garder pendant des siècles les formules de son enthousiasme, de son extase, de sa vibration personnelle ; et, par une conséquence heureuse et admirable, l’invention de ces procédés de conservation lui a donné du même coup l’idée et le pouvoir de développer et d’enrichir artificiellement les fragments de vie poétique dont sa nature lui fait don par instants. Il a appris à extraire du cours du temps, à dégager des circonstances, ces formations, ces perceptions merveilleuses fortuites qui eussent été perdues sans retour, si l’être ingénieux et sagace ne fût venu assister l’être instantané, apporter le secours de ses inventions au moi purement sensible. Tous les arts ont été créés pour perpétuer, changer, chacun selon son essence, un moment d’éphémère délice en la certitude d’une infinité d’instants délicieux. Une œuvre n’est que l’instrument de cette multiplication ou régénération possible. Musique, peinture, architecture sont les modes divers correspondant à la diversité des sens. Or, parmi ces moyens de produire ou de reproduire un monde poétique, de l’organiser pour la durée et de l’amplifier par le travail réfléchi, le plus ancien, peut-être, le plus immédiat, et cependant le plus complexe, — c’est le langage. Mais le langage, à cause de sa nature abstraite, de ses effets plus spécialement intellectuels, — c’est-à-dire : indirects, - et de ses origines ou de ses fonctions pratiques, propose à l’artiste qui s’occupe de le vouer et de l’ordonner à la poésie, une tâche curieusement compliquée. Il n’y eût jamais eu de poètes si l’on eût eu conscience des problèmes à résoudre. (Personne ne pourrait apprendre à marcher, si pour marcher il fallait se représenter et posséder à l’état d’idées claires tous les éléments du moindre pas.)

Mais nous ne sommes point ici pour faire des vers. Nous essayons, au contraire, de considérer les vers comme impossibles à faire, pour admirer plus lucidement les efforts des poètes, concevoir leur témérité et leurs fatigues, leurs risques et leurs vertus, nous émerveiller de leur instinct.

Je vais donc en peu de mots tenter de vous donner quelque idée de ces difficultés.

Je vous l’ai dit tout à l’heure : le langage est un instrument, un outil, ou plutôt une collection d’outils et d’opérations formée par la pratique et asservie à elle. Il est donc un moyen nécessairement grossier, que chacun utilise, accommode à ses besoins actuels, déforme selon les circonstances, ajuste à sa personne physiologique et à son histoire psychologique.

Vous savez à quelles épreuves nous le soumettons quelquefois. Les valeurs, les sens des mots, les règles de leurs accords, leur émission, leur transcription nous sont à la fois des jouets et des instruments de torture. Sans doute, nous avons quelque égard aux décisions de l’Académie ; et sans doute, le corps enseignant, les examens, la vanité surtout, opposent quelques obstacles à l’exercice de la fantaisie individuelle. Dans les temps modernes, d’ailleurs, la typographie agit très puissamment pour la conservation de ces conventions d’écriture. Par là, les altérations d’origine personnelle sont retardées dans une certaine mesure ; mais les qualités du langage les plus importantes pour le poète, qui sont évidemment ses propriétés ou possibilités musicales, d’une part, et ses valeurs significatives illimitées (celles qui résident à la propagation des idées dérivées d’une idée), de l’autre, sont aussi les moins défendues contre le caprice, les initiatives, les actions et les dispositions des individus. La prononciation de chacun et son « acquis » psychologique particulier introduisent dans la transmission par le langage, une incertitude, des chances de méprises, un imprévu tout inévitables. Remarquez bien ces deux points : en dehors de son application aux besoins les plus simples et les plus communs de la vie, le langage est tout le contraire d’un instrument de précision. Et en dehors de certaines coïncidences rarissimes, de certains bonheurs d’expression et de forme sensible combinées, il n’a rien d’un moyen de poésie.

En somme, le destin amer et paradoxal du poète lui impose d’utiliser une fabrication de l’usage courant et de la pratique à des fins exceptionnelles et non pratiques ; il doit emprunter des moyens d’origine statistique et anonyme pour accomplir son dessein d’exalter et d’exprimer sa personne en ce qu’elle a de plus pur et de singulier.

Rien ne fait mieux saisir toute la difficulté de sa tâche, que de comparer ses données initiales avec celles dont dispose le musicien. Voyez un peu ce qui est offert à l’un et à l’autre, au moment qu’ils vont se mettre à l’ouvrage et passer de l’intention à l’exécution.

Heureux le musicien ! L’évolution de son art lui a fait une condition toute privilégiée. Ses moyens sont bien définis, la matière de sa composition est tout élaborée devant lui. On peut aussi le comparer à l’abeille quand elle n’a qu’à s’inquiéter de son miel. Les rayons réguliers et les alvéoles de cire sont tout faits devant elle. Sa tâche est bien mesurée et restreinte au meilleur d’elle-même. Tel le compositeur. On peut dire que la musique préexiste et l’attend. Il y a beau temps qu’elle est toute constituée !

Comment eut lieu cette institution de la musique ? Nous vivons par l’ouïe dans l’univers des bruits. De leur ensemble se détache l’ensemble de bruits particulièrement simples, c’est-à-dire bien reconnaissables par l’oreille et qui lui servent de repères : ce sont des éléments dont les relations réciproques sont intuitives ; ces relations exactes et remarquables sont perçues par nous aussi nettement que leurs éléments eux-mêmes. L’intervalle de deux notes nous est aussi sensible qu’une note.