Chien-Caillou - Champfleury - E-Book

Chien-Caillou E-Book

Champfleury

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Beschreibung

Extrait : "À M. Victor Hugo. Monsieur, je vous dédie cettte oeuvre, quoique j'aie une profonde horreur de la dédicace - à cause de l'impression 'jeune homme' qu'elle laisse dans l'esprit du lecteur. Mais vous avez été le premier à signaler 'Chien-Caillou' à vos amis, et votre lumineux génie a bien vite reconnu la réalité du sous-titre : Ceci n'est pas un conte..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

• Livres rares
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EAN : 9782335054040

©Ligaran 2015

À M. Victor Hugo

Monsieur,

Je vous dédie cette œuvre, quoique j’aie une profonde horreur de la dédicace – à cause de l’impression jeune homme qu’elle laisse dans l’esprit du lecteur. Mais vous avez été le premier à signaler Chien-Caillou à vos amis, et votre lumineux génie a bien vite reconnu la réalité du sous-titre : Ceci n’est pas un coule. Merci, monsieur ; j’ai pleuré de bonheur.

Avant, je vous admirais, car vous êtes la grande figure, un mot que je prends aux Allemands qui l’avaient décerné à Gœthe. Depuis, je vous ai aimé.

Ce volume, monsieur, n’est que le premier d’une série qui paraîtra à chaque saison. Aussi ne vous étonnerez-vous pas s’il est d’une gamme mélancolique. Les FANTAISIES DU PRINTEMPS seront écrites dans un mode plus joyeux. Le troisième volume, L’ÉTÉ, sera ruisselant de bonheur et fera place au quatrième et dernier, L’AUTOMNE, conçu dans des sentiments plus calmes et d’un ton plus tranquille.

Permettez-moi, monsieur, de vous remercier de tout cœur et d’aller faire ma profession de foi à quelques animaux que je déteste profondément, mais qu’il faut flatter de temps à autre.

Aux bourgeois

Mon bon bourgeois,

On te calomnie chaque jour en disant que tu n’aimes que les gros morceaux rances du coin de la borne, – des Juif errant, des Fils du Diable et des Oiseaux de proie. Toutes ces choses n’existent plus, étant ramassées tous les matins par les boueux qui s’en vont, pendant ton sommeil, quérir les ordures de la ville, par mesure de sanité.

On dit encore que le public est mort. Grâce à Dieu, cela est un pur mensonge. – Ce brave public qui a plus de têtes que l’hydre de Lerne ne finira jamais. Et il a toujours quelques gros sous dans son gousset droit, – juste au-dessous des breloques, – pour se passer des fantaisies. Eh bien ! mon brave bourgeois, donne vitement tes vingt sous, car voilà de la fantaisie pas cher. Tu n’en seras pas plus pauvre, – au contraire. Tu sauras la vraiment vraie histoire de Chien-Caillou ; et le soir, devant un bon feu de charbon de terre, tu la raconteras à ta famille, à tes enfants ; tu riras et tu pleureras.

– Tu vas peut-être me dire que mon nom t’est étranger. Je te salue alors, j’ôte mon chapeau, je suis Champfleury, et la pantomime de Pierrot valet de la Mort est de mon style.

Je ne t’ai parlé encore que de Chien-Caillou ; mais il ne faut pas oublier les Quatre Saisons. Une fois pour toutes, j’ai voulu t’expliquer à ma façon l’hiver et l’été, le printemps et l’automne. C’est plus simple que Mathieu Laensberg et guère plus ruineux.

Quant au Doyen des Croque-Morts, c’est un brave homme qui a au moral un certain point de ressemblance avec l’allemand Hebel. Comme les oiseaux de la ballade, il serait tenté de s’écrier : « Sacrebleu, voilà le soleil. »

Là-dessus, bourgeois, tiens-toi les pieds chauds tout cet hiver, afin de ne pas être emporté par une grosse fluxion de poitrine qui t’empêcherait de souscrire à mon prochain livre, les FANTAISIES DU PRINTEMPS.

Chien-Caillou

Ceci n’est pas un conte

Silhouette de mon oncle

…. . Un lit et une échelle.

– Bon, ce n’est pas possible.

– Cependant, puisque je vous l’affirme.

– Ah ! vous autres feuilletonistes, nous vous connaissons, et de toutes vos histoires, nous savons ce qu’en vaut l’aune.

Remarquez, s’il vous plaît, ô mon maître le lecteur, le : Ce qu’en vaut l’aune de mon oncle. Cette locution ne vous dépeint-elle pas assez mon interlocuteur ? Ce qu’en vaut l’aune ! Il n’y a guère qu’un boutiquier qui ose se servir d’une pareille expression.

Ce qu’en vaut l’aune m’arrêta tout à coup. Allez donc résister à de pareils chocs ? La fameuse histoire des moutons que racontait Sancho à Don Quichotte ne put être continuée par suite d’interruption.

– Tu disais donc, mon neveu, un lit et une échelle…

– Mon oncle, je vous finirai l’histoire une autre fois.

– Eh, eh, tu parles comme les feuilletons, la fin au prochain numéro, dit en riant bruyamment mon brave homme d’oncle, grainetier, rue…, caporal de grenadiers, et abonné du lendemain au Constitutionnel pour le Juif errant.

Cet oncle, m’ayant rencontré sur le quai des Augustins avec un jeune homme dont l’aspect l’étonna, me demandait plus tard des détails sur ce personnage, lorsqu’à ces mots : « Un lit et une échelle, » on a vu de quelle brutale façon il m’interrompit.

Aussi, pourquoi allai-je raconter cette histoire à mon oncle ? J’étais puni par où j’avais pêché. Je le connaissais de longue main. C’est lui, pour le dépeindre d’un trait, qui me dit un jour avec un grand accent de conviction :

– Les gens qui écrivent l’histoire de Napoléon, ce sont tous farceurs. Pour écrire la vie de cet homme-là, il faudrait avoir vécu dans sa peau.

Oh ! les oncles ! les oncles !

Avis au lecteur

Mon maître le lecteur, que ceci soit pour vous un avertissement ! Ne dites jamais que vous savez ce que vaut l’aune de telle histoire. Souvent cette histoire si gaie, si folle, si amusante, aura germé toute gonflée de larmes, de faim, de misères, dans l’esprit de celui qui l’écrira plus tard.

Inventaire

Chien-Caillou demeurait dans la rue des Noyers. C’est aux environs de la place Maubert, un quartier où l’on a souvent faim. Il louait au septième une petite chambre de 40 francs. Voulez-vous savoir ce qu’est un logis de 40 francs par an ?

On entrait dans cette chambre, c’est-à-dire, on n’entrait pas dans cette chambre, mais dans le lit ou sur une échelle. Le lit prenait les deux tiers de la place, l’échelle l’autre tiers. Le lit était à gauche s’enfonçant sous le toit. Un lit avec une couverture douteuse ; des draps qui, à force de raccommodages, ne formaient plus qu’une vaste reprise. Les draps couvraient à peu près un matelas d’une maigreur de lévrier. Ce pauvre matelas, qui dans un temps avait contenu de la laine, la misère l’avait converti en paillasse. Un jour une poignée enlevée à propos pour dîner, un autre jour une poignée pour déjeuner, avaient fait vivre Chien-Caillou un mois du matelas, et il trouva tout aussi bon de dormir sur la paille, quand il fut forcé de remplacer la laine.

Pour l’échelle, c’était là un meuble de la plus heureuse invention. Une table aurait gêné. Une commode n’aurait pu tenir dans la mansarde, en raison de l’angle formé par le toit. Un secrétaire était un meuble trop fastueux ; au lieu que l’échelle, d’allures solides, avec ses marches plates, servait d’étagère portant le plus étrange mobilier.

Son principal but était de conduire à la fenêtre. La fenêtre était un trou pratiqué dans le toit, ne pouvant donner passage à la tête, mais destiné à renouveler l’air. – En style d’architecte, jour de souffrance.

Sur le premier échelon demeurait un lapin blanc, tranquille, réfléchissant, – j’ai toujours cru que le lapin était un penseur, et semblant très satisfait de sa vie de torpeur. Le second échelon portait une brosse, quelques planches de cuivre ; le troisième, une boîte de bois blanc où gisaient du fil, des épingles, des aiguilles emmanchées dans du bois, un pot de cirage ; le quatrième, un carton ventru d’où sortaient du papier blanc, des estampes, etc. Au bas, étaient des souliers, plus un meuble que cet honnête M. Lancelot a dénominé dans son Jardin des Racines grecques : « le vase qu’en chambre on demande. »

Rien aux murs qu’une estampe, la Descente de croix gravée par Rembrandt. Quelle estampe ! Une épreuve, non pas de celles qui traînent sur les quais, abominables contrefaçons à quinze sous, – mais une épreuve superbe, une épreuve authentique. Cette estampe de 200 francs, au milieu de ce mobilier boiteux, disait toute la vie de Chien-Caillou.

Chien-Caillou était de cette race de bohêmes malheureux qui restent toute leur vie bohêmes. Son père était un ouvrier tanneur du faubourg Saint-Marceau. Chien-Caillou apprit la tannerie ; le métier lui déplut et il se mit à colorier des images pour la rue Saint-Jacques. Un jour son père le battit et il s’enfuit. Il rencontra on ne sait comment un groupe de rapins qui voulurent bien l’admettre dans leur société. Il n’avait que dix ans ; il dessinait d’une façon si naïve, qu’on accrochait toutes ses œuvres dans l’atelier.

Ce fut alors qu’on lui donna le sobriquet de Chien-Caillou. Il ne sut jamais pour quelle raison, ses amis non plus. Les rapins ne sont pas forts en étymologies. Le surnom lui resta. Il songea à faire de la gravure, mais sa gravure ressemblait à ses dessins ; c’était quelque chose d’allemand primitif, de gothique, de naïf et de religieux, qui donnait à rire à tout l’atelier.

Chien-Caillou, fatigué d’être toujours goguenardé, quitta ses amis et ne reparut plus. Il s’installa rue des Noyers, dans la chambre à quarante francs ; et il était encore couché, son pantalon, son gilet, sa casquette, lui servant d’édredon et de couvre-pied, suivant l’habitude des pauvres gens.

À huit heures, il s’éveilla et appela son lapin :

– Eh ! eh ! Petiot, arrive ici.

Petiot, à cette voix amie, dressa les oreilles, descendit de son étage élevé, prit mille précautions, en évitant de déranger sur son passage la brosse, la boîte aux outils, et sauta tout doucement sur le lit. Chien-Caillou l’embrassa sur le nez et le mit réchauffer sous les couvertures. – Car il aimait son lapin plus que Pelisson son araignée.

– Attends, dit-il à Petiot, je vais chercher à manger ; nous avons faim, pas vrai ?

Il grimpa en chemise à son échelle, prit dans la boîte un gros morceau de pain dur, quelques carottes et revint se fourrer dans les draps. Jamais repas ne fut pris avec plus d’avidité que celui-là. Si Petiot avait un faible pour les carottes, son maître ne les aimait pas moins. Le pain était bien dur, il est vrai, maison est jeune et on a faim.

– Ah ! Petiot, dit-il, quand nous aurons notre bateau !…

Le lapin, qui semblait comprendre tout ce que cette phrase contenait de béatitudes futures, vint se frotter le dos contre son maître, en manière de caresses.

– Allons, Petiot, nous allons donc travailler.

Chien-Caillou se leva, passa son pantalon, frangé au bas comme un châle, et prit une planche de cuivre commencée. Puis il emmancha une aiguille dans un morceau de bois, burin économique, et il s’assit sur son lit.