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Un classique de l'architecture orné de soixante deux dessins par l'auteur, enfin réédité! Histoire d'une maison est un roman-essai: au fil des pages, Viollet-le-Duc présente et développe son point de vue sur l'architecture, ce qu'elle est (et pourrait être) à travers une histoire imaginaire : un jeune homme décide de construire une maison. Une maison bourgeoise, à la mode de 1870, une maison pour une famille de notable, une maison heureuse. Il ne sait pas comment s'y prendre : ses proches et ses amis lui montrent ce qu'il faut faire... A travers le parcours de son personnage attachant et sympathique, on suit le projet étape par étape: du choix du terrain, à l'élaboration du plan, puis jusqu'au chantier et la visite de la maison une fois achevée. Histoire d'une maison est aussi un manuel: vous y apprendrez comment construire votre maison. L'ouvrage est concret, simple, systématique, pédagogique, agrémenté de dessins explicatifs parfaitement déchiffrables. Découvrez cet ouvrage devenu un classique de l'architecture, ici en version illustrée, dans lequel Viollet-le-Duc, l'un des plus grands architectes français, raconte avec légèreté mais sérieux le parcours de la construction d'une maison domestique ordinaire.
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Seitenzahl: 342
Veröffentlichungsjahr: 2020
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CHAPITRE I - M. PAUL A UNE IDÉE.
CHAPITRE II - AVEC UN PEU D’AIDE L’IDÉE DE M. PAUL SE DÉVELOPPE.
CHAPITRE III - L’ARBRE DE LA SCIENCE.
CHAPITRE IV - DES IDÉES DE M. PAUL EN MATIÈRE D’ART, ET COMMENT ELLES FURENT MODIFIÉES.
CHAPITRE V - M. PAUL SUIT UN COURS DE CONSTRUCTION PRATIQUE.
CHAPITRE VI - COMME QUOI M. PAUL EST INDUIT À ÉTABLIR CERTAINES DIFFÉRENCES ENTRE LA MORALE ET LA CONSTRUCTION.
CHAPITRE VII - PLANTATION DE LA MAISON ET OPÉRATIONS SUR LE TERRAIN.
CHAPITRE VIII - M. PAUL RÉFLÉCHIT.
CHAPITRE IX - M. PAUL, INSPECTEUR DES TRAVAUX.
CHAPITRE X - M. PAUL COMMENCE À COMPRENDRE.
CHAPITRE XI - LA CONSTRUCTION EN ÉLÉVATION.
CHAPITRE XII - DE QUELQUES OBSERVATIONS ADRESSÉES AU GRAND COUSIN PAR M. PAUL ET DES RÉPONSES QUI Y FURENT FAITES.
CHAPITRE XIII - LA VISITE AU CHANTIER.
CHAPITRE XIV - M. PAUL ÉPROUVE LE BESOIN DE SE PERFECTIONNER DANS L’ART DU DESSIN.
CHAPITRE XV - L’ÉTUDE DES ESCALIERS.
CHAPITRE XVI - LE CRITIQUE.
CHAPITRE XVII - M. PAUL DEMANDE CE QUE C’EST QUE L’ARCHITECTURE.
CHAPITRE XVIII - ÉTUDES THÉORIQUES.
CHAPITRE XIX - SUITE DES ÉTUDES THÉORIQUES.
CHAPITRE XX - LACUNE.
CHAPITRE XXI - REPRISE DES TRAVAUX. – LA CHARPENTE.
CHAPITRE XXII - LA FUMISTERIE.
CHAPITRE XXIII - CANTINE.
CHAPITRE XXIV - LA MENUISERIE.
CHAPITRE XXV - DES NOUVELLES CONNAISSANCES ACQUISES PAR M. PAUL PENDANT SON VOYAGE.
CHAPITRE XXVI - LA COUVERTURE ET LA PLOMBERIE.
CHAPITRE XXVII - L’ORDRE DANS l’ACHÈVEMENT DES TRAVAUX.
CHAPITRE XXVIII - L’INAUGURATION DE LA MAISON
DÉFINITION DE QUELQUES TERMES TECHNIQUES EMPLOYÉS DANS CE VOLUME.
C’est un bon temps que le temps des vacances. Le ciel est doux ; la campagne revêt sa plus aimable parure ; les fruits sont mûrs. Tout sourit au lycéen qui, dans son bagage, apporte les preuves de l’utile emploi de son temps.
Chacun le félicite de ses succès et lui fait entrevoir, au delà de ses six semaines de repos, des labeurs attrayants couronnés par une brillante carrière.
Oui, c’est un bon temps ; il semble alors que l’air est plus léger, le soleil plus brillant, les prairies plus vertes. La pluie maussade paraît chargée de senteurs délicieuses.
Sitôt le jour paru, on s’empresse d’aller revoir les coins aimés du parc, et la fontaine, et le petit lac, et la ferme ; de s’enquérir des chevaux, du bateau, des plantations.
On cause avec la fermière, qui vous présente, en souriant, une belle galette toute chaude. On suit le garde-chasse, qui vous raconte les histoires du voisinage tout en faisant sa tournée. Les clochettes des troupeaux vous charment, aussi bien que la chanson monotone du petit pâtre qui a grandi et aspire au grade de pasteur attitré.
Oui, c’est un bon temps… Mais, les premiers jours passés, l’ombrage des beaux arbres, une campagne aimée, les longues promenades, les histoires du garde-chasse et le bateau même se voilent d’un secret ennui, si une occupation favorite ne vient point vous saisir. Il appartient à la vieillesse seule de se complaire dans les souvenirs et de trouver des joies toujours nouvelles dans la contemplation des champs et des bois.
La provision des souvenirs est vite épuisée par la jeunesse, et la méditation inactive n’est pas son fait.
M. Paul, à seize ans, ne faisait point ces réflexions à part lui ; mais après huit jours passés à la campagne chez son père, châtelain cultivateur, possesseur d’une belle terre dans le Berri, il avait à peu près épuisé la somme des impressions qu’avait fait naître en lui le retour dans le domaine paternel. Pendant toute l’année scolaire, combien n’avait-il pas fait de projets ajournés aux prochaines vacances ? Il lui semblait qu’il n’aurait pas assez de six semaines pour les réaliser. Que de choses il avait à revoir, à dire, à faire. Et cependant en huit jours tout était vu, dit et fait.
D’ailleurs, mariée depuis peu, sa sœur aînée était partie avec son mari pour un long voyage, et quant à Lucie, sa sœur cadette, elle paraissait plus préoccupée de sa poupée et du trousseau d’icelle, que des pensées de monsieur son frère.
Il avait plu tout le jour ; la ferme, visitée pour la cinquième fois par M. Paul, lui avait paru fort triste et sombre. Les poules, abritées le long des murs, semblaient pensives, et même, les canards barbottant dans une boue saumâtre étaient silencieux. Le garde, sorti pour tuer un lièvre, avait bien emmené avec lui M. Paul, mais tous deux étaient rentrés bredouilles, passablement mouillés. M. Paul avait, non sans un certain désappointement, trouvé les histoires du garde longues et diffuses, d’autant qu’il les entendait pour la troisième fois sans beaucoup de variantes. Ajoutez à cela que le vétérinaire avait déclaré, le matin, que le poney de M. Paul devait garder l’écurie pendant une semaine, à la suite d’un refroidissement.
On avait bien lu le journal après dîner, mais M. Paul ne trouvait qu’un intérêt médiocre aux nuances de la politique, et, quant aux faits divers, ils étaient déplorablement insignifiants.
M. de Gandelau (c’est le nom du père de Paul) était trop préoccupé des détails de son exploitation et peut-être aussi des soins qu’il était obligé de prendre de sa goutte pour chercher à soulever le voile d’ennui qui flottait devant les regards de monsieur son fils, et Mme de Gandelau, restée sous la triste impression du départ récent de sa fille aînée, travaillait avec une sorte d’acharnement à un ouvrage de tapisserie dont la destination était inconnue à tous et peut-être aussi à la personne qui posait si attentivement points contre points.
« Vous avez reçu une lettre de Marie ? fit M. de Gandelau en laissant là le journal.
– Oui, mon ami, ce soir… Ils sont ravis, le temps les favorise et ils ont, me dit-elle, fait les plus jolies excursions dans l’Oberland. Ils doivent maintenant passer le Simplon pour se rendre en Italie. Marie m’écrira de Baveno, hôtel de…
– Très bien, et la santé ?
– Excellente.
– Et leur projet est toujours de se rendre à Constantinople pour cette affaire importante ?
– Oui ; N… a reçu, paraît-il, une lettre pressante ; leur séjour en Italie ne sera qu’un passage. Ils comptent s’embarquer à Naples dans un mois au plus tard. Cependant, leur retour ne pourrait s’effectuer, me dit Marie, que dans un an. Elle m’annonce cela sans paraître autrement affectée de la longueur de cette absence ; j’en éprouve, mon ami, un serrement de cœur que tous les meilleurs raisonnements ne peuvent atténuer.
– Bon ! croyez-vous, chère amie, que nous marions nos enfants pour nous ? Et cela n’était-il pas convenu ? On dit que peu d’affections sont assez fortes pour résister à la vie commune, en voyage. N… est un digne et brave garçon, travailleur et un peu ambitieux, ce qui n’est pas un mal ; Marie l’aime, elle est intelligente et se porte bien. Ils subiront l’épreuve avec succès, je n’en doute pas, et nous reviendrons comme deux bons camarades, ayant appris à se bien connaître, à s’entr’aider et à se suffire ; avec ce grain d’indépendance qui est nécessaire pour vivre en bon accord avec ses proches.
– Vous avez probablement raison, mon ami ; mais cette longue absence n’en est pas moins douloureuse, et cette année me semblera un peu longue… Je serai, malgré tout, bien heureuse quand je pourrai m’occuper de préparer leur appartement ici et que je n’aurai plus que peu de jours à compter pour les revoir.
– Sans doute, sans doute ; et moi aussi je les embrasserai de bon cœur, ces chers amis… et Paul donc !… Mais, puisqu’il est décidé que nous ne les reverrons que dans un an, ce serait une belle occasion pour reprendre mon projet.
– Lequel, mon ami ? Serait-ce la construction de cette maison que vous vouliez faire bâtir, là-bas, sur ce morceau de terre qui fait partie de la dot de Marie ?… Ne faites pas cela, je vous en supplie. Nous avons ici bien assez de place pour les loger, eux et leurs enfants, s’il leur en vient. Et, après cette longue absence, ce serait une nouvelle douleur pour moi de savoir Marie établie loin de nous, de ne l’avoir pas près de moi. D’ailleurs, son mari ne peut rester les trois quarts de l’année à la campagne. Ses occupations ne le lui permettent pas. Marie serait donc seule souvent. Que voulez-vous qu’elle fasse dans une maison, son mari absent ?
– Elle fera, ma bonne amie, ce que vous avez fait vous-même quand mes affaires m’appelaient trop souvent hors de ce domaine ; et cependant alors nous étions jeunes. Elle s’occupera de sa maison, elle prendra l’habitude de gérer son bien, elle sera occupée, responsable ; partant contente d’elle-même et heureuse de ce qu’elle aura su créer autour d’elle… Croyez-moi ; j’ai vu les plus tendres affections de famille s’user et s’éteindre dans cette vie commune des enfants mariés, auprès de leurs ascendants. L’épouse tient à être maîtresse incontestée chez elle, et c’est là un sentiment sain et vrai ; il faut se garder d’aller à l’encontre. La femme sagement élevée ayant charge de maison, la responsabilité et l’indépendance qui est la conséquence de toute responsabilité, sait mieux se garder que celle que l’on tient toute sa vie en tutelle. Marie serait très bien ici, très heureuse d’y être, et son mari non moins tranquille de la savoir près de nous, mais elle ne serait pas chez elle. Une jeune fille n’est bien à sa place qu’auprès de sa mère, une épouse n’est à sa place que dans sa maison. Et même chez sa mère alors, elle passe dans la catégorie des invités. Et, en admettant (chose difficile) que de cette existence mixte il ne résulte pas de froissements, il est du moins certain qu’il en découle le désintéressement des choses pratiques, la nonchalance, l’ennui même et tous les dangers qui en sont la conséquence.
« Vous avez trop bien élevé votre fille, pour qu’elle ne désire pas ardemment remplir tous ses devoirs ; vous lui avez toujours montré une activité trop attentive pour qu’elle ne veuille pas, à son tour, déployer la sienne. Donnons-lui-en donc les moyens. Ne serez-vous pas plus heureuse de la voir bien tenir et diriger sa maison, nous y recevoir gaiement, que de la trouver sans cesse ici, sur vos pas, désœuvrée ; juge tacite et respectueux si vous voulez, mais juge de vos façons d’être et de faire ? Croyez-vous que son mari aura autant de plaisir à venir la retrouver ici dans les moments qu’il pourra dérober aux affaires, qu’il en éprouvera en la voyant chez elle, toute heureuse de lui montrer ce qu’elle aura pu faire pendant ses absences ; toute occupée de rendre chaque jour plus agréable, plus commode, le logis commun ? Ne voyez-vous pas, en y pensant un peu, que les jeunes femmes de ce temps, qui ont donné, quoique bien nées, les plus tristes exemples, sont celles, le plus souvent, dont les premières années de mariage se sont passées ainsi, sans foyer propre, menant cette existence qui n’est ni celle de la jeune fille ni celle de la maîtresse de maison, responsable,… ménagère, pour appeler les choses par leur vrai nom ? »
Quelques larmes avaient mouillé la broderie de Mme de Gandelau. « Vous avez encore raison, mon ami, dit-elle en tendant la main à son mari ; ce que vous ferez sera bien fait. »
M. Paul, tout en feuilletant un journal illustré, n’avait pas perdu un mot de cette conversation. L’idée de voir élever une maison, pour sa sœur aînée, lui souriait fort. Et déjà, dans sa jeune imagination, en face du vieux manoir paternel, cette maison future lui apparaissait comme un palais des fées, toute coquette et parée, pleine de lumière et de gaieté.
Il faut dire que l’habitation de M. de Gandelau n’avait rien qui pût charmer les yeux. Agrandie successivement, deux longues ailes assez maussades d’aspect se soudaient gauchement à un corps de logis principal, autrefois château, dont deux tours démantelées et couronnées par des toits bas flanquaient les angles. Entre les deux ailes et ce logis principal s’ouvrait une cour basse, toujours humide, fermée par une vieille grille et un reste de fossé consacré à alimenter la cuisine de plantes potagères. Une troisième aile, en prolongement du vieux bâtiment aux tours, bâtie par M. Gandelau peu après son mariage, contenait les appartements privés des propriétaires ; c’était la partie la plus gaie du château. Le salon, la salle à manger, le billard et le cabinet de monsieur étaient installés dans le vieux corps principal. Quant aux deux ailes parallèles, elles contenaient des chambres s’ouvrant sur des couloirs irréguliers et qui, n’étant pas de plain-pied dans leur longueur, exigeaient une certaine attention si l’on prétendait circuler sans accidents.
Le lendemain matin, M. Paul, en allant s’enquérir de l’état de santé de son poney, voit entrer dans la cour le père Branchu menant une petite charrette pleine de morceaux de bois, de sacs de plâtre et d’outils.
« Qu’allez-vous donc faire de tout cela, père Branchu ?
– Je m’en viens réparer la fuie, monsieur Paul.
– Ah ! si je vous aidais ?
– Non pas, monsieur Paul, vous saliriez vos habits ; vous pourriez vous blesser… C’est pas votre affaire… Mais pas défendu de nous regarder travailler, si c’est votre plaisir !
– Ça doit être amusant de bâtir !
– Pour un amusage, c’est pas un amusage ; mais pour une ennuyance, c’est pas non plus une ennuyance ; quand on travaille pour une bonne maïon comme la maïon de votre papa, qu’on a sa payette, qu’on a une bouteille de vin quand il fait chaud, que le bourgeois ne ramone pas le monde… ça va. On fait sa jornée et on ramasse ses outils sans rancœur. Mais quand faut avoir des raisons avec des pétouillons, on s’ennuie tout de même… car faut payer le marcandier. Vous créyez bien, monsieur Paul, que ce plâtre qui est dans la charrote, faut que je le paye au plâtrier, que cette brique, faut que je la paye au chaufournier, et ainsi du tout. Si le bourgeois fait attendre ses écus, faut brêter partout pour avoir de l’argent et on est dans l’embarras. Mais il est bon que je m’embauche, excusez ; mon garçon est là qui m’attend.
– Est-ce que vous pourriez bâtir une grande maison, père Branchu ?
– Voire ! tout de même, monsieur Paul ; j’ai bien bâti celle au maire, qui est grande assez ! »
Cependant M. Paul ne trouve plus, comme la veille, les heures un peu longues ; il a une idée. La maison projetée pour sa sœur ne lui sort pas de l’esprit ; il la voit, tantôt sous forme d’un palais, tantôt d’un manoir à tourelles, tantôt d’un chalet tout entouré de lierres et de clématites avec force balcons découpés. M. Paul a un grand cousin qui est architecte ; il l’a vu travailler souvent sur une planchette ; sous sa main, les bâtiments s’élevaient comme par enchantement. Cela ne lui a pas paru trop difficile. Le grand cousin a, dans la chambre qu’il occupe quand il vient au château, les outils qui lui sont nécessaires. M. Paul va essayer de mettre sur le papier un de ces projets qu’il entrevoit. Mais une première difficulté se présente. Il faudrait savoir ce qui conviendrait à la sœur ; est-ce un manoir seigneurial avec tours et créneaux, un chalet ou une villa italienne ? Si l’on prétend lui ménager une surprise, encore faut-il qu’elle lui soit agréable. Après une bonne heure de méditations, M. Paul pense, non sans quelque raison, qu’il convient d’aller trouver son père. « Là, là, tu es bien pressé, dit le père, après les premiers mots de Paul. Eh ! la chose n’est point si avancée. Tu veux faire un projet de maison pour Marie ; soit, essaye donc. Mais avant tout, il serait bon alors de savoir ce que désire ta sœur, comment elle entend que sa maison soit distribuée. Il ne me déplaît point d’ailleurs de brusquer un peu les choses. Nous allons lui envoyer une dépêche.
TÉLÉGRAMME.
Baveno Italie, de X…, Mad. N…, hôtel de…, Paul veut bâtir maison ici pour Marie, envoyer programme. de Gandelau.
Vingt heures après, on recevait au château le télégramme suivant :
X… de Baveno. M. de Gandelau à… Arrivés ce matin, bonne santé. Paul a excellente idée. Rez-de-chaussée : vestibule, salon, salle à manger, office, cuisine pas dans sous-sol, billard, cabinet de travail. Premier : deux grandes chambres, deux cabinets toilette, bains ; petite chambre, cabinet de toilette ; lingerie, garde-robes ; combles, chambres, armoires trop. Escalier pas casse-cou. Marie N…
Sans douter un instant que sa sœur n’eût pris au sérieux la demande qui lui avait été adressée et sa propre réponse, M. Paul se met résolûment à l’œuvre et, installé dans la chambre du grand cousin, il essaye, en rassemblant toutes ses connaissances en dessin linéaire, de réaliser sur le papier le programme envoyé. La chose présente des difficultés assez sérieuses pour qu’il soit nécessaire de faire prévenir à deux reprises M. Paul que le déjeuner est servi. L’après-midi s’écoule avec rapidité, et, au moment du dîner, M. Paul descend au salon avec une belle feuille de papier passablement couverte de plans et de façades.
« Voilà qui me paraît très beau, dit M. de Gandelau en déroulant le vélin ; mais ton cousin arrive demain et, mieux que moi, il pourra critiquer ton projet. »
Toute la nuit, M. Paul fut fort agité. Il rêva palais, s’élevant sous sa direction. Mais, à sa bâtisse, il manquait toujours quelque chose. Là, les fenêtres faisaient absolument défaut ; ailleurs, l’escalier n’était qu’une échelle branlante, et sa sœur Marie ne voulait pas y monter. Plus loin, les plafonds étaient si bas qu’on ne pouvait se tenir debout, tandis que d’autres étaient si hauts que cela lui faisait peur. Le père Branchu riait et remuait les murs avec sa main pour montrer qu’ils n’étaient point solides. Les cheminées fumaient horriblement, et la petite sœur demandait impérieusement une chambre pour sa poupée.
M. Paul avait revu son projet aussitôt levé et il lui paraissait beaucoup moins bon que la veille ; il rougissait à l’idée de le montrer au grand cousin qui arrivait pour l’heure du déjeuner ; il hésitait et songeait à détruire ce travail assidu de toute une journée.
« Père, je crois que mon cousin se moquera de moi si je lui montre mon dessin.
– Mon ami, répliqua M. de Gandelau, quand on a fait ce qu’on peut, du mieux que l’on peut, il ne faut pas reculer devant la critique, c’est le seul moyen de constater l’insuffisance de ce que l’on sait, et, par conséquent, d’acquérir les connaissances qui nous manquent. Si tu croyais en une matinée être devenu architecte, tu serais un sot ; mais si, après avoir fait un effort pour exprimer par le dessin ou autrement une idée que tu crois bonne, tu hésitais à soumettre cette expression à plus habile que toi, dans la crainte de provoquer plus de critiques que d’éloges, ce ne serait pas là de la modestie, mais un sentiment d’orgueil très mal placé, car il te priverai de conseils qui ne peuvent être que précieux, à ton âge surtout. »
Le grand cousin arrivé, il n’en fallut pas moins que M. de Gandelau dît à son fils d’apporter son essai, pour que l’architecte en herbe se décidât à dérouler de nouveau la feuille de papier couverte, la veille, de dessins si péniblement tracés.
« Eh ! mais, petit cousin, dit le nouveau venu, est-ce que vous voudriez vous faire architecte ? Prenez garde ! tout n’est pas couleur de rose dans le métier comme sur votre papier. »
En peu de mots, le grand cousin fut mis au fait.
« Mais cela est très bien ! Voilà le salon, le vestibule. Je ne comprends pas bien l’escalier ; mais c’est un détail. Et les façades ? Mais c’est un palais, cela ; des colonnes, des balustrades. Il n’y a plus qu’à mettre la main à l’œuvre !
– Vrai ! cousin ; si nous prévenions le père Branchu ? Il travaille ici près.
– Doucement, ce n’est là qu’une esquisse… Et les projets définitifs ; et les devis ; et les détails d’exécution ? Il faut procéder avec ordre. Sachez, petit cousin, que plus on tient à ce qu’une construction s’élève rapidement, plus il est utile que toute chose soit parfaitement arrêtée à l’avance. Rappelez-vous les ennuis de votre voisin le comte de…, qui, depuis six ans, recommence son château chaque printemps sans pouvoir arriver à le terminer, parce qu’il n’a pas su d’abord indiquer tout ce qu’il voulait, que son architecte n’a pas eu le courage de faire adopter une bonne fois un projet étudié, et qu’il s’est prêté à tous les caprices ou plutôt à tous les avis officieux que les amis de la maison ne manquaient pas d’ouvrir, celui-ci sur la dimension des pièces, celui-là sur l’emplacement des escaliers, cet autre sur le style, sur la décoration… Nous n’avons qu’un an devant nous, il faut donc ne commencer qu’avec la certitude de ne pas faire de fausses manœuvres, puis il faut que votre sœur approuve le projet. Voyons un peu, convenons d’abord du système de construction que vous voudrez adopter. Puisque nous sommes pressés, nous n’avons guère le choix ; nous ne pouvons songer à élever la maison en pierres de taille du bas en haut : cela serait trop long et trop cher. Il faut nous en tenir à une construction simple et d’une exécution rapide. Cela entre-t-il dans vos idées ? Vous placez sur votre façade des colonnes ; pour quoi faire ? Si elles forment portique, celui-ci rendra les appartements tristes et sombres ; si elles sont engagées, elles ne servent à rien ici. Et cette balustrade posée sur les corniches supérieures, que fait-elle là ? Est-ce que vous comptez que madame votre sœur se promènera dans les chéneaux ? Cela est bon pour les chats… Et, dites-moi ? sur ce plan, je vois que, du vestibule, il faut passer par la salle à manger pour aller au salon. Mais si, pendant qu’on est à table, il arrive des visites, il faudra donc les prier d’attendre à la porte ou les inviter à regarder manger les hôtes… Bon ! la cuisine s’ouvre sur le billard. Allons, il nous faut étudier cela plus à fond ; voulez-vous que nous nous y mettions ? À nous deux, la besogne ira peut-être plus vite, et vous me donnerez de bonnes idées ; car, mieux que moi, vous connaissez les goûts et les habitudes de votre sœur aînée. Vous pourrez ainsi suppléer au laconisme du programme qui nous est donné. Pensez-y, et demain matin, de bonne heure, nous procéderons à la rédaction du projet. »
En effet, de grand matin, Paul entrait dans la chambre de son cousin. Tout était préparé : planchette, T, équerres, compas et crayons.
« … Mettez-vous là, petit cousin, vous allez traduire sur le papier le résultat de nos méditations, puisque vous savez si bien vous servir de nos outils. Procédons méthodiquement. D’abord, vous connaissez sans doute le terrain sur lequel votre père entend faire bâtir la maison de campagne de madame votre sœur ?
– Oui, c’est là-bas, au delà du bois, à trois kilomètres d’ici, ce petit vallon au fond duquel coule le ru qui fait tourner le moulin de Michaud.
– Montrez-moi un peu cela sur la carte du domaine… la voici.
– Vous voyez, mon cousin, c’est là. Sur le plateau, du côté sud, sont les terres labourées, puis le terrain descend un peu au nord vers le ru. Il y a ici une belle source d’eau vive qui sort du bois situé à l’ouest. Sur la pente du plateau et le fond du vallon sont des prairies avec quelques arbres.
– De quel côté est la vue la plus agréable ?
– Vers le fond du vallon, au sud-est.
– Comment d’ici arrive-t-on à cette prairie ?
– En traversant le bois ; puis, on descend au fond du vallon par ce chemin ; on traverse un pont qui est ici, puis on monte par le plateau obliquement par cette voie.
– Bien ; donc il faut placer la maison presque au sommet de la pente faisant face au nord, en l’abritant des vents du nord-ouest sous le bois voisin. L’entrée devra faire face à la route qui monte ; mais il faut que nous disposions les pièces principales de l’habitation du côté de l’exposition la plus favorable qui est celle du sud-est ; de plus, nous devons profiter de la vue ouverte de ce même côté, et ne pas négliger la source d’eau vive qui descend sur la droite vers le fond du vallon ; nous allons donc nous en approcher et planter la maison sur ce repos que la nature a disposé si favorablement pour nous, à quelques mètres en contrebas du plateau. Nous serons ainsi passablement abrités des vents du sud-ouest et nous n’aurons pas devant la maison la plaine, assez triste, qui s’étend à perte de vue. Ceci arrêté, voyons le programme… Aucune dimension de pièce n’est indiquée ; c’est donc à nous d’y songer. D’après ce que votre père m’a dit, il entend que cette maison doit être une demeure permanente, c’est-à-dire habitable l’été comme l’hiver, et contenir, par conséquent, tout ce qui convient à un grand propriétaire terrien. Il compte affecter à sa construction une somme de deux cent mille francs environ ; c’est donc une affaire qui demande une étude sérieuse, d’autant que madame votre sœur et son mari tiennent au confort. J’ai été reçu chez eux, à Paris, et j’ai trouvé une maison admirablement tenue, mais où rien n’est donné à la vanité, au paraître. Nous pouvons donc partir de ces données. – Commençons par le plan du rez-de-chaussée… La pièce principale est le salon, le lieu de réunion de la famille. Nous ne pouvons lui donner moins de cinq mètres de largeur sur sept à huit mètres de longueur… Tracez d’abord le parallélogramme sur ces dimensions… Ah ! mais non ! pas comme cela, à vue de nez… Prenez une échelle. »
Sur ce mot, le petit cousin regarda son maître d’un air interrogateur.
« J’oubliais ! vous ne savez peut-être pas bien ce que l’on entend par échelle ? Je vois en effet que votre plan ne paraît pas en avoir tenu compte. Écoutez-moi donc : quand on veut bâtir une maison, un édifice quelconque, on donne à l’architecte un programme, c’est-à-dire une liste complète de toutes les pièces et des services qui sont nécessaires. On ne se contente pas de cela, on dit : telle pièce aura tant de largeur sur tant de longueur, ou occupera une surface de… afin de pouvoir contenir tant de personnes. S’il s’agit, par exemple, d’une salle à manger, on dira qu’elle doit contenir 10, 15, 20, 25 personnes à table. S’il s’agit d’une chambre à coucher, on dira qu’elle doit, outre le lit, bien entendu, contenir tels meubles ou occuper une surface de 30 mètres, 36 mètres, etc. Or vous savez qu’une surface de 36 mètres est donnée par un carré de 6 mètres de côté ou par un parallélogramme de 7 mètres sur 5m,15 environ, ou de 9 mètres sur 4. Mais dans ce dernier cas cette pièce n’aurait plus les dimensions convenables à une chambre, mais bien celles d’une galerie. Donc, indépendamment de la surface nécessaire à une pièce, il faut qu’il y ait, entre sa largeur et sa longueur, certains rapports indiqués par la destination. Un salon, une chambre à coucher, peuvent être carrés ; mais une salle à manger, du moment qu’elle est destinée à contenir plus de dix personnes à table, doit être plus longue que large, par la raison qu’une table augmente en longueur suivant le nombre des convives, mais non en largeur. Il faut donc mettre des rallonges à la salle comme on en met à la table. Comprenez-vous ? Bien… Dès lors, l’architecte, pour dresser son plan, ne fût-il qu’une esquisse, adopte une échelle, c’est-à-dire qu’il divise, sur son papier, une ligne en parties égales, figurant chacune un mètre. Et, pour économiser le temps ou pour simplifier le travail, on prend, pour chacune de ces divisions, le deux-centième ou le centième ou le cinquantième d’un mètre. Dans le premier cas on dit : échelle de cinq millimètres ou d’un demi-centimètre pour mètre, ou échelle au deux-centième ; dans le second, on dit : échelle de un centimètre pour mètre, ou échelle au centième ; dans le troisième, on dit : échelle de deux centimètres pour mètre ou échelle au cinquantième. Ainsi vous dressez un plan deux cents, cent ou cinquante fois plus petit que ne sera l’exécution. Il n’est pas besoin d’ajouter qu’on peut faire des échelles dans des rapports proportionnels, à l’infini ; d’un, de deux, de trois millimètres pour mètre comme pour 10 mètres, pour 100 mètres et 1 000 mètres, ce qui se fait lorsqu’il s’agit de dresser des cartes. De même qu’on donne des détails à l’échelle de 50 centimètres pour mètre ou à moitié de l’exécution ; de 20 centimètres pour mètre ou au cinquième de l’exécution, etc. L’échelle adoptée, l’architecte donne ainsi à chaque partie du plan les dimensions relatives exactes. S’il a adopté l’échelle de un centimètre pour mètre et qu’il veuille indiquer une porte de 1m,30 de largeur, il prend 0m,013. Comprenez-vous bien cela ? Je n’en suis pas certain ; mais la pratique vous mettra au fait en quelques heures. Pour vous bien indiquer l’utilité de l’échelle, je prends votre plan. Votre salon est un parallélogramme. Je suppose qu’il ait 6 mètres sur 8, c’est à peu près la proportion relative des deux côtés. Un huitième du grand côté pris avec le compas est un mètre. Je reporte cette dimension sur votre façade et je trouve que votre rez-de-chaussée a 9 mètres de hauteur. Or, vous figurez-vous ce que ce serait, je ne dirai pas votre salon, mais votre vestibule qui n’a guère que 4 mètres de côtés avec une élévation de 9 mètres entre le pavé et le plafond ? Ce serait un puits. Votre élévation n’est donc pas en rapport d’échelle avec votre plan. Prenez, pour le salon de votre sœur, vingt-huit millimètres sur cette règle graduée, ce qui donnera cinq mètres soixante centimètres à l’échelle de cinq millimètres pour mètre. Bien ; voilà le petit côté du salon. Prenez maintenant quarante-un millimètres sur la même règle, ce qui donnera huit mètres vingt centimètres ; ce sera le grand côté. Votre parallélogramme est tracé maintenant dans des dimensions relatives parfaitement exactes. Vous allez entourer cette pièce de murs, car on ne peut guère donner aux planchers ordinaires une plus grande portée ; il faut donc des murs pour recevoir les solives. Un mur en mœllons dans lequel il faut faire passer des tuyaux de cheminée ne peut avoir moins d’un demi-mètre ou cinquante centimètres d’épaisseur. Votre salon se tiendra ainsi tout seul debout. Après le salon vient la salle à manger comme importance. Où allons-nous la placer ? Il faut, surtout à la campagne, qu’on y entre directement du salon. Sera-ce à droite, sera-ce à gauche ?… Vous n’en savez rien, ni moi non plus. Cependant le hasard ne peut trancher la question. Raisonnons donc un peu… Il est tout simple de mettre la cuisine à proximité de la salle à manger. Mais la cuisine est un service incommode. Quand on n’est pas à table, il ne faut ni sentir l’odeur des mets, ni entendre le bruit des personnes affectées à ce service. La cuisine doit donc être, d’une part, non loin de la salle à manger, d’autre part, assez éloignée de l’habitation pour qu’on n’ait point à en soupçonner l’existence. De plus, il faut, à proximité de la cuisine, la cour de service, les communs, le poulailler, un petit potager, des laveries, etc. Il importe aussi que la cuisine ne soit pas placée à l’exposition du midi. N’oublions pas que madame votre sœur, qui s’entend à diriger une maison, a eu la précaution de dire dans le programme laconique qu’elle envoie : « Cuisine, pas sous-sol ! » Elle a raison, les cuisines en sous-sol sont malsaines pour ceux qui s’y tiennent, difficilement surveillées et répandent leur odeur dans les rez-de-chaussée. Nous la placerons donc de plain-pied avec la salle à manger, mais sans communication directe avec celle-ci pour éviter l’odeur et le bruit. Examinons notre terrain, son orientation, ses vues. L’orientation la plus fâcheuse pour l’habitation et celle qui, dans le cas présent, offre la vue la moins agréable, est celle du nord-ouest. Nous planterons donc le salon ayant son angle extérieur vers le sud-est, et à la droite, nous placerons la salle à manger ; à la suite, la cuisine qui sera ainsi vers le nord. Ne vous pressez pas de tracer ces services, car il faut savoir dans quels rapports ils devront se trouver soit avec le salon soit avec le vestibule. On nous demande une salle de billard. Elle sera bien, en pendant, vers le sud-est, avec la salle à manger. Il nous faut aussi le vestibule, un cabinet pour votre beau-frère à proximité de l’entrée. Si nous plantons la salle à manger et la salle de billard qui doivent avoir à peu près la dimension donnée au salon, juxtaposées dans la longueur avec celui-ci, ce salon ne sera éclairé que par un de ses petits côtés, car il nous faut en avant placer le vestibule. Or, ce salon sera triste et n’aura qu’une seule vue directe sur la campagne. Traçons donc la salle à manger et la salle de billard perpendiculairement au salon, en laissant déborder celui-ci du côté de la bonne orientation. Donnons à chacune de ces deux pièces sept mètres de longueur sur cinq mètres cinquante centimètres de largeur. Ce sont des dimensions convenables. Puis tracez en avant du salon un vestibule dont nous fixerons tout à l’heure la surface.
« Cherchons maintenant à donner aux murs de ces pièces la position exigée par la construction. Du salon, nous devons entrer dans la salle à manger et dans la salle de billard, – qui est aussi un lieu de réunion. – Il faut donc que l’ouverture du salon dans la salle de billard soit assez large pour que les personnes placées dans chacune de ces pièces soient réunies sans se gêner. Mais il faut aussi que de la salle de billard on puisse sortir dans le vestibule sans passer par le salon, et de même pour la salle à manger. Nous avons dit qu’il fallait des vues latérales au salon, qui a 8m,20c de longueur. Si nous prenons 2m,40c pour les vues latérales, plus 0m,50c pour l’épaisseur du mur de la salle de billard ou de la salle à manger, il restera 5m,30c jusqu’à la cloison d’entrée du salon ; notre salle de billard comme la salle à manger ayant 5m,50c de largeur, ces pièces déborderont la cloison d’entrée du salon de 0m,20c. Cela ne fait rien… Traçons le second mur, toujours de 0m,50c d’épaisseur. Voilà les trois pièces principales plantées. Dans l’axe de la salle de billard, nous ferons une ouverture sur le salon, de 2m,60c. Sur le côté du mur séparatif de la salle à manger, nous ouvrirons une porte de 1m,30c sur la salle à manger, à 0m,20c de la cloison séparant le salon du vestibule. Ainsi entrerons-nous dans cette salle à manger, non dans l’axe, mais latéralement, ce qui est plus commode ; car vous savez que, lorsqu’on se dirige vers la table ou qu’on sort de dîner, les messieurs offrent le bras aux dames. Il est donc bon qu’en sortant ou en entrant on n’ait pas un obstacle qui puisse entraver la marche de ces couples. La porte donnant du salon sur la salle à manger ne sera plus dans l’axe de l’ouverture donnant du salon dans la salle de billard ; mais cela m’est égal. Cette porte sera en pendant avec la fenêtre s’ouvrant de ce côté sur le dehors, et au milieu nous placerons la cheminée. Du vestibule, nous ouvrirons une porte centrale sur le salon.
« En avant, le long du mur de la salle de billard, plaçons le cabinet de votre beau-frère avec une petite antichambre où il pourra faire attendre les personnes qui ont affaire à lui sans les laisser vaguer dans le vestibule. Cependant, du côté de la salle à manger, nous placerons l’office. Il faut que le cabinet de travail ait au moins 3m,90c de largeur. Nous ferons déborder un peu le vestibule pour former avant-corps.
« Il est une grosse question dans toute habitation : c’est l’escalier. L’escalier doit être proportionné à cette habitation ; ni trop vaste, ni trop exigu. Il faut qu’il ne prenne pas une place inutile, qu’il donne un accès facile aux étages supérieurs et qu’il soit apparent. Si, dans votre vestibule, qui est très grand : 4m,90c sur 5m,50c, nous prenions une partie de notre escalier, celui-ci serait très apparent et nous gagnerions de la place. Il faut que l’emmarchement d’un escalier, pour une habitation de cette importance, ait au moins 1m,30c de largeur… Mais il faut aussi que du vestibule nous puissions communiquer directement à la salle à manger, à l’office et à tous les services placés du côté droit du plan. Réservons un couloir de 1m,30c et posons la première marche. La hauteur du rez-de-chaussée entre les deux sols doit être, en raison de la dimension des pièces, 4m,50c ; ce qui donnera de vide 4m,20c, en réservant 0m,30c pour l’épaisseur du plancher du premier. Les marches d’un escalier facile doivent avoir environ 0m,15c de hauteur. Pour monter 4m,50c, il nous faut donc compter trente marches. Chaque marche doit avoir 0m,25c à 0m,30c de pas. Il faut donc que l’escalier nous fournisse un développement de 7m,50c pour des marches de 0m,25c de pas ou de 9m,00 pour des marches de 0m,30c, puisque nous comptons trente marches. Prenons une moyenne : soit 8m,25c. Il s’agit de trouver ce développement de 8m,25c au moins. Nous établirons donc un pavillon à l’angle du vestibule, assez saillant pour qu’en gironnant autour d’un noyau, – qui sera dans la prolongation du mur de droite du salon, – nous arrivions au premier étage en débouchant dans l’antichambre de ce premier étage… Je vous trace cet escalier sur lequel nous reviendrons. Les quinze premières marches viennent dans l’alignement du noyau et du mur, et nous permettent de placer, au-dessous de la dernière partie du giron, les water-closets pour les maîtres à rez-de-chaussée.
« Sur le couloir à la suite, nous placerons l’office. Puis l’escalier de service en tour ronde ; puis l’office de service, puis la cuisine en aile, un fournil et une laverie, une buanderie avec sortie pour la cuisine sur le potager. En retour, nous planterons une écurie pour trois chevaux, une remise pour deux voitures, une sellerie, et un petit escalier de service pour monter dans les logements du cocher, du palefrenier et dans le magasin à fourrages placés sous le comble. À côté de l’écurie, nous réserverons une descente directe à la cour et au garde-manger, puis des water-closets pour les gens.
« Nous allons séparer tous ces services de l’habitation par un mur d’appui avec treillage, au droit de l’escalier de service en tour ronde ; ce qui nous donnera une cour pour la cuisine, l’écurie et les remises. En avant, nous allons réserver un espace pour la basse-cour, le poulailler, le trou à fumier…
« Maintenant que le plan de notre rez-de-chaussée est tracé, cherchons à l’améliorer dans ses détails.
« Il serait fort agréable d’avoir au bout du salon, sur le jardin, une loge fermée. Rien ne nous interdit d’en tracer une autre au bout de la salle de billard, avec un divan où les messieurs pourraient fumer, et une troisième au bout de la salle à manger, ce qui permettrait de recevoir les plats par un tour, de l’office de service, et de disposer les buffets et tables à découper.
« Nous utiliserons ces appendices au premier étage.
« Mais, du salon ou de la salle de billard, il faut pouvoir descendre directement dans le jardin. Je vous avoue que je ne suis pas très partisan de ces perrons, brûlants s’il fait soleil, et fort désagréables par le vent et la pluie ; si donc, latéralement à la salle de billard, nous placions dans l’angle qu’elle forme avec le salon, une serre avec escalier intérieur, il me semble que ce serait là une assez bonne disposition ? Ainsi, du salon ou de la salle de billard, on passerait dans cette serre où l’on pourrait prendre le café quand le temps est mauvais, et, à couvert, on descendrait dans le jardin. Quelques fleurs et arbustes placés le long de la partie vitrée donneraient de la gaîté à la salle de billard sans lui enlever du jour. Mais, en avant du vestibule, nous mettrons un vrai perron, que nous aurons le soin d’abriter ; ce que la position de l’escalier nous permettra de faire en toute sécurité.
« Traçons tout cela, à peu près correctement ; ce sera à revoir quand nous aurons étudié le premier étage dont les dispositions peuvent nous obliger à modifier quelques-unes de celles du rez-de-chaussée. (fig. 1).
« Comme les murs doivent monter de fond, vous allez poser, sur ce plan du rez-de-chaussée, un papier à calquer pour éviter une perte de temps. Vous aurez ainsi, sous les yeux et sous votre crayon, la construction sur laquelle il convient de s’établir, et nous verrons de suite s’il y a lieu de modifier quelques parties de ce plan inférieur.