Dictionnaire Raisonné de l'Architecture Française du XIe au XVIe siècle Tome VI - Eugène Viollet-le-Duc - E-Book

Dictionnaire Raisonné de l'Architecture Française du XIe au XVIe siècle Tome VI E-Book

Eugène Viollet-le-Duc

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Beschreibung

Cette véritable encyclopédie consacrée à l’Architecture Française du XIe au XVIe siècle est composée de 9 volumes abondamment illustrés de croquis et dessins. Ces neuf volumes sont l’œuvre d’Eugène Viollet-le-Duc. Ces neuf ouvrages sont des documents que tout praticien se doit de posséder.

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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OUVRAGES DE L’AUTEUR

DICTIONNAIRE DU GÉNIE CIVIL – CILF - 1997

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NOUVEAU RECUEIL DE CITATIONS ET DE PENSÉES - Édition BoD – 2013

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AU NOM DE JÉSUS FILS DE L’HOMME ET DE CHRIST FILS DES DIEUX - Tomes I et II - Édition BoD – 2015

SOMMAIRE

OUVRAGES DÉJÁ RÉÉDITÉS

OUVRAGES DE L’AUTEUR DÉJÁ ÉDITÉS

LETTRE G

LETTRE H

LETTRE I

LETTRE J

LETTRE L

LETTRE M

LETTRE N

LETTRE O

LETTRE P

INDEX

LETTRE G

Fig. 1 – Gâble d’une lucarne

GÂBLE - s. m. : Terme de charpenterie appliqué à la maçonnerie. Il y a encore une association de charpentiers à laquelle on donne le nom de Gavauds, et, dans le Berri, un homme qui a les jambes arquées en dehors s’appelle ungavaud. Le gâble est originairement la réunion, à leur sommet, de deux pièces de bois inclinées. Le gâble d’une lucarne comprend deux arbalétriers assemblés dans un bout de poinçon et venant reposer au pied, à l’extrémité de deux semelles (Fig. 1).

Nous avons vu ailleurs (Voy. CATHÉDRALE, CONSTRUCTION) qu’à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, on reconstruisit, dans les villes du domaine royal et du nord de la France, toutes les cathédrales et un grand nombre d’églises paroissiales. Bien qu’en commençant ces édifices les ressources fussent abondantes, lorsqu’on atteignit le niveau des voûtes hautes, l’argent vint à manquer, ou du moins ne put-on le recueillir que beaucoup plus lentement.

Fig. 2 – Réunion de faîtages

Il fallut donc employer des moyens provisoires de couvertures qui permissent d’abriter les constructions faites, tant pour éviter les dégradations causées par la pluie et la gelée que pour livrer ces édifices au culte. D’ailleurs, dans les très-grands monuments, comme la cathédrale d’Amiens, par exemple, il eût été imprudent d’élever les piles, les grandes fenêtres, le mur et le bahut qui les surmontent, de poser la charpente supérieure sur ces murs isolés, ou plutôt sur ce quillage, sans bander les grandes voûtes et les arcs-boutants qui les contre-buttent ; car la stabilité de ces sortes d’édifices ne consiste qu’en un système d’équilibre, de pressions opposées, dont nous avons suffisamment expliqué le mécanisme à l’article CONSTRUCTION. Il fallait donc souvent maçonner les hautes voûtes parties par parties, puis attendre la récolte des ressources nécessaires pour élever, les murs-goutterots et les grandes charpentes. Alors on couvrait provisoirement chaque portion de voûte terminée par le procédé le plus simple et le plus économique : au-dessus des arcs-formerets, on élevait des gâbles en charpente dont le sommet était au niveau d’un faîtage posé sur des potelets suivant l’axe principal de la voûte. On réunissait ces sommets de gâbles avec ce faîtage, on chevronnait, et on posait du lattis et de la tuile sur le tout (Fig. 2) (Voy. le tracé A).

Les constructeurs avaient eu le soin de réserver, dans les reins des voûtes, des cuvettes aboutissant à des gargouilles jetant les eaux directement sur le sol, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, ou dans les caniveaux de couronnements d’arcs-boutants, comme à Notre-Dame d’Amiens (Voy. le tracé B,en C).Ainsi pouvait-on attendre plusieurs mois, plusieurs années même, avant de se mettre à élever les tympans au-dessus des fenêtres, les bahuts et les grandes charpentes ; les voûtes étaient couvertes, et les maçonneries n’avaient rien à craindre de la pluie, de la neige ou de la gelée. Dès que les approvisionnements accumulés permettaient de continuer l’œuvre, entre ces gâbles, et sans détruire les couvertures provisoires, on élevait les piles D et les portions de bahuts G ; sur ces portions de bahuts, dont l’arase supérieure atteignait le niveau des faîtages des couvertures provisoires, on faisait passer les sablières du comble définitif (Voy. le tracé A, en H), on posait la grande charpente, on la couvrait et, celle-ci terminée, on enlevait par-dessous les couvertures provisoires, les gâbles de bois, et on posait les tympans sur les formerets ou archivoltes de fenêtres, ainsi que les bouts de corniches et de bahuts manquants. Des tuyaux ménagés dans les piles D (Voy. le tracé B) jetaient les eaux des chéneaux E dans les gargouilles C, qui avaient ainsi été utilisées avec les couvertures provisoires et avec les couvertures définitives. Mais les yeux s’étaient habitués à voir ces gâbles de bois surmontant les formerets des voûtes, interrompant les lignes horizontales des corniches et bahuts. Lorsqu’on les enlevait, souvent les couronnements des édifices achevés devaient paraître froids et pauvres ; les architectes eurent donc l’idée de substituer à ces constructions provisoires, dont l’effet était agréable, des gâbles en pierre.

Fig. 3 – Gâble du portail méridional de Notre-Dame de Paris

C’est ce que Pierre de Montereau fit à la Sainte-Chapelle de Paris dès 12451. Cet exemple fut suivi fréquemment vers la fin du XIIIe siècle, et notamment autour du chœur de la cathédrale d’Amiens ; puis, plus tard, à Cologne.

Pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, les gâbles de pierre devinrent ainsi un motif de décoration souvent employé. Les portails nord et sud du transsept de la cathédrale de Paris, dont la construction date de 1257, sont surmontés de gâbles qui ne remplissent aucune fonction utile, mais qui terminent les archivoltes par de grands triangles en partie ajourés, rompant la monotonie des lignes horizontales de ces immenses pignons.

Voici (Fig. 3) le gâble du portail méridional de Notre-Dame de Paris. La balustrade et la galerie passent derrière ce gâble, qui n’est autre chose qu’un mur triangulaire isolé de 0,33 c. d’épaisseur. D’autres gâbles, plus petits, surmontent les niches qui accompagnent ce portail, et forment ainsi une grande dentelure à la base de l’édifice. Nous avons dit ailleurs2 comment les constructeurs du Moyenâges’étaient servis de ces gâbles décoratifs pour charger les sommets des arcs-formerets et empêcher leur gauchissement.

Les trois portails de la cathédrale d’Amiens, très-profonds, compris entre de larges contreforts saillants, sont couverts par des combles à double pente fermés par des gâbles pleins, donnant un angle presque droit au sommet et décorés seulement par des crochets rampants et un fleuron de couronnement. À la cathédrale de Laon, la même disposition a été adoptée ; mais l’architecte de la façade de la cathédrale de Reims, vers 1260, voulut, tout en conservant ce principe, donner aux gâbles des trois portails une richesse sans égale.

Le gâble du portail central (Fig. 4) représente le Couronnement de la Vierge de grandeur colossale, surmonté d’une succession de dais s’étageant, en manière de gradins, jusqu’au sommet du triangle. La statuaire est ronde-bosse ; les saillies sont prononcées au point de faire presque oublier la forme primitive du gâble. Ici les lignes de l’architecture sont détruites par la sculpture.

Le XIVe siècle, tout en donnant aux gâbles une grande richesse de détails, eut toujours pour principe, cependant, de laisser aux lignes de l’architecture leur importance nécessaire. Le gâble du portail de la Calende, à la cathédrale de Rouen, est un des mieux composés parmi ceux qui nous restent de cette époque (Fig. 5).

Il est entièrement ajouré au-dessus de la galerie, et orné de bas-reliefs dans des lobes au-dessous ; ses rampants sont garnis de redans délicats, qui ont remplacé les crochets, comme au portail méridional de la cathédrale de Paris.

Fig. 4 – Gâble du portail central de la cathédrale de Reims

Fig. 5 - Gâble du portail de la Calende, à la cathédrale de Rouen

Au XVe siècle, les rampants des gâbles deviennent plus aigus encore, plus épais, plus chargés de moulures, et les découpures intérieures plus ajourées et plus maigres. À la fin du XVe siècle, souvent les rampants des gâbles forment des angles curvilignes concaves, en manière d’accolades allongées, au-dessus des archivoltes. (Voy. CONSTRUCTION, Fig. 106, 108 ; FENÊTRE, Fig. 269, 276; FLÈCHE, Fig. 302, 304 ; LUCARNE, PIGNON.)

GALERIE - s. f. : Passage couvert, de plain-pied, donnant à l’intérieur ou à l’extérieur, servant de communication d’un lieu à un autre, de circulation, aux différents étages d’un édifice ; c’est plutôt l’aspect monumental que le plus ou moins de largeur et de hauteur qui fait donner le nom de galerie à un passage. La dénomination de galerie entraîne avec elle l’idée d’un promenoir étroit relativement à sa longueur, mais décoré avec une certaine richesse. On donne aussi le nom de galerie à tout passage de service, très-étroit d’ailleurs, mais trèsapparent et faisant partie de l’architecture d’un édifice. On dit la galerie des Rois à Notre-Dame, la galerie des Latéraux de la cathédrale de Rouen, bien que cette dernière galerie ne soit qu’un très-fâcheux passage. Quant aux galeries qui surmontent les bas-côtés dans les églises, les archéologues sont convenus de leur donner le nom de triforium, que nous leur conserverons sans discuter la valeur de cette dénomination.

Nous diviserons les galeries en galeries de service contribuant à la décoration extérieure ou intérieure des monuments, et en galeries promenoirs, dans les châteaux ou les édifices publics ou privés.

Les architectes du Moyen-âge établissaient, dans leurs grands monuments, des couloirs de service à différentes hauteurs, afin de rendre la surveillance et l’entretien faciles. Les hautes façades des cathédrales, par exemple, étaient divisées en plusieurs étages de galeries qui permettaient de communiquer de l’intérieur à l’extérieur, d’entretenir les parements, de réparer les vitres des roses, et de décorer au besoin les façades, à l’aide de tentures, lors des grandes cérémonies. Nos cathédrales françaises du Nord, bâties vers le commencement du XIIIe siècle, celles dont les façades ont été terminées, sont décorées de galeries superposées. À Notre-Dame de Paris, la façade, qui a été construite entre les années 1210 et 1225, présente, au-dessus des trois portails, une première galerie, fort riche, dont les entre-colonnements sont remplis de statues colossales des rois de Juda. Cette galerie est un véritable portique couvert par un plafond de dalles épaisses. Au-dessus est la galerie de la Vierge, sous la rose ; celle-ci est découverte et n’est qu’une terrasse munie d’une balustrade. Une troisième galerie, en manière de portique très-svelte et très-riche, ceint la base des deux tours et les réunit. Sur la façade de Notre-Dame d’Amiens, au-dessus des trois porches, est une galerie de service couverte, richement décorée d’arcatures et de colonnettes ; la galerie des Rois la surmonte, et celle-ci supporte une terrasse comme à Paris. À Reims, à la base des deux tours occidentales, au-dessus de la rose centrale, est la galerie découverte dite du Gloria. C’est de cette galerie qu’à certaines fêtes de l’année, devant le peuple assemblé sur le parvis, le clergé de Notre-Dame entonnait le Gloria in excelsis… Une longue suite de statues colossales de rois enveloppe la base du pignon et des tours au-dessus de cette terrasse. À Notre-Dame de Chartres, on observe une disposition analogue, mais dans des proportions beaucoup plus simples, et ne s’étendant qu’entre les deux tours. On peut donc ainsi se faire une idée de ce que sont les galeries dans les édifices du Moyen-âge. Nous allons entrer dans de plus amples détails sur ces parties importantes des constructions.

Fig. 6 – Galerie des Rois à Notre-Dame de Paris

Galeries des Rois. La plus ancienne galerie des Rois à laquelle on puisse donner ce nom, en ce qu’elle sert en même temps de passage pour le service et de décoration, est celle de la façade de Notre-Dame de Paris ; on ne saurait lui assigner une date postérieure à 1220. Elle se compose d’une suite de piles (Fig. 6) portant un plafond de pierre sur des encorbellements, et devant chacune desquelles est plantée une colonne. Les rois sont posés en A et abrités sous l’arcature portée par ces colonnes.

La Fig. 7 donne cette galerie en coupe ; les statues des rois sont placées en A, un peu en retraite du socle des colonnes, et en B est une circulation pour le service, derrière les piliers de renfort posés au droit des colonnes. La terrasse dite de la Vierge est en C.

Fig. 7 – Coupe de la Galerie des Rois à Notre-Dame de Paris

Fig. 8 – Aspect extérieur de la galerie des Rois à Notre-Dame de Paris

La Fig. 8 présente l’aspect extérieur de la galerie. Par son style comme par sa composition, cette galerie est certainement la plus belle de toutes celles qui existent sur les façades de nos cathédrales françaises.

Fig. 9 – Galerie des rois de la cathédrale d’Amiens

On observera comme cette arcature, basse, simple par la composition générale, brillante par ses détails, forme un encadrement favorable autour des statues des rois. Quant à son effet sur l’ensemble de la façade, il est excellent. La galerie des Rois de Notre-Dame de Paris trace une zone riche et solide cependant au-dessus des trois portails et les couronne très-heureusement. La statuaire est bien à l’échelle du monument, paraît grande, sans pour cela rapetisser les membres de l’architecture3.

Le style de la galerie des Rois de Notre-Dame de Reims est tout autre. À Reims, cette galerie remplace celle qui à Paris enveloppe la base des tours : elle n’est qu’une décoration et ne fournit pas une circulation continue. La construction date de la fin du XIIIe siècle, la statuaire en est médiocre. Cette galerie étant donnée en détail dans l’ouvrage de M. J. Gailhabaud4, il ne paraît pas nécessaire de la reproduire ici.

Quant à la cathédrale d’Amiens, la disposition de sa galerie des Rois est fort belle. Comme celle de Paris, elle surmonte les trois portails ; mais à Amiens, entre la galerie des Rois et les gâbles des porches, est une galerie intermédiaire du plus beau style de l’art du XIIIe siècle (1235 environ).

La galerie basse (Fig. 9), celle des Rois et la terrasse supérieure A sont praticables et communiquent avec les étages intérieurs des tours. Derrière la galerie basse s’ouvrent de grandes baies sans meneaux, qui éclairaient la nef centrale, à travers une autre galerie intérieure, avant la pose de la tribune des grandes orgues. D’autres fenêtres courtes sont ouvertes derrière la galerie des Rois ; celles-ci donnent sur une seconde galerie qui surmonte la galerie inférieure.

Fig. 10 – Plan de la Galerie des Rois d’Amiens

Le plan (Fig. 10) explique cette belle disposition, qui, malheureusement, est masquée aujourd’hui par le buffet d’orgues. On remarquera (Fig. 9) que la galerie inférieure porte sur des piles composées de trois colonnes groupées devant un pilastre ; des arcs de décharge richement décorés de redans et d’animaux sculptés sur le devant des sommiers reposent sur ces piles. Entre ces arcs de décharge, l’arcature est libre : c’est un simple remplissage à jour porté sur une colonne monolithe et maintenu seulement sous l’intrados des archivoltes par deux tenons dépendants des deux morceaux supérieurs du cercle. Ainsi l’architecte n’avait pas à craindre la rupture des parties de ce remplissage à jour sous la charge ou le tassement des parties supérieures. Une seule assise de pierre sépare la galerie basse de celle des Rois. Le dallage du passage découvert supérieur porte sur des linteaux qui forment les sommiers de l’arcature des rois. Chacun de ces sommiers est taillé en caniveau et rejette extérieurement les eaux du dallage par les têtes de gargouilles qui décorent les faces au-dessus des tailloirs.

Galeries de service des églises. Avec la galerie des Rois de la cathédrale d’Amiens, nous voyons une de ces galeries de service et décoratives à la fois qui venaient couper les lignes verticales des façades. Ces galeries, pendant le XIIIe siècle, sont passablement variées dans leur composition et leurs détails ; elles prennent une importance considérable comme la grande galerie à jour de la base des tours de Notre-Dame de Paris, comme celles du portail de Notre-Dame de Dijon, ou elles ne sont que des portiques bas, trapus, comme la galerie de la façade de Notre-Dame de Laon.

La question d’art et de proportions domine dans ces cas la question de service. Cependant ces galeries ont toujours une utilité. Dans leurs grands édifices, les architectes du Moyen-âge établissaient des moyens de circulation faciles à des niveaux différents, afin de pouvoir surveiller et entretenir les constructions, les couvertures et les verrières, sans être obligés, comme on le fait aujourd’hui, de poser des échafaudages dispendieux et nuisibles, à cause des dégradations qu’ils occasionnent aux sculptures et parties délicates de l’architecture. Les deux galeries superposées de la face occidentale de l’église Notre-Dame de Dijon (XIIIe siècle) sont remarquablement belles, comme composition et sculpture.

Nous donnons (Fig. 11) l’une de ces galeries, surmontée d’une haute frise d’ornements en façon de métopes posées entre des figures saillantes. Ces galeries étaient destinées à relier la base de deux tours qui n’ont jamais été élevées.

À l’extérieur des églises rhénanes du XIIe siècle, sous les combles, règnent souvent des galeries de circulation, particulièrement autour des absides. Ces galeries étaient prises alors aux dépens des reins des voûtes en cul-de-four de ces absides ; elles sont basses, formées de colonnettes portant une arcature plein cintre, et donnent de la richesse et de la légèreté aux couronnements de ces édifices.

Fig. 11 – Galerie de Notre-Dame à Dijon

Nous observerons que ce parti est adopté quelquefois dans le midi de la France, notamment dans les monuments religieux construits en brique. Ainsi, au sommet de l’église des Jacobins à Toulouse, on voit une galerie de service, un véritable chemin de ronde, placé sous le chéneau, et qui, donnant dans des échauguettes placées aux angles de l’édifice, permet de faire le tour de la construction près du sommet des voûtes.

Fig. 12 – Galerie de l’église des Jacobins à Toulouse

À l’intérieur des grands vaisseaux gothiques voûtés, on trouve, au-dessus des triforiums, particulièrement en Bourgogne, des galeries de service qui passent derrière les formerets des voûtes. Nous voyons des galeries de ce genre à l’intérieur de l’église Notre-Dame de Dijon, de Notre-Dame de Semur, de Saint-Étienne d’Auxerre (Voy. CONSTRUCTION, Fig. 78, 79 bis et 88). Dans les églises de Champagne et de Bourgogne, nous voyons aussi que des galeries de service sont disposées dans les bas-côtés et chapelles, au-dessus des arcatures de rez-de-chaussée, sous les appuis des fenêtres (Voy. CONSTRUCTION, Fig. 86, 87).

Fig. 13 – Galerie de l’église abbatiale de Saint-Jean à Sens

Une galerie de ce genre, fort joliment composée, existe autour des bas-côtés du chœur de l’église abbatiale de Saint-Jean à Sens5. Sous les formerets des voûtes de ces bas-côtés s’ouvrent des triples fenêtres ; la galerie passe à travers leurs pieds-droits comme elle passe derrière les piles portant les voûtes (Fig. 13).

Fig. 14 – Perspective de la galerie de l’église abbatiale de Saint-Jean à Sens

Nous ne pouvons omettre ici les galeries de service qui coupent à peu près aux deux tiers de la hauteur des bas-côtés les piles de la nef de la cathédrale de Rouen, qui passent sur des arcades et pourtournent ces piles du côté du collatéral. Cette disposition singulière, et dont on ne s’explique guère aujourd’hui le motif, a paru assez nécessaire alors (vers 1220) pour que l’on ait cru devoir bander des arcs sous les archivoltes et donner aux encorbellements pourtournant les piles une importance et une richesse considérables.

La figure perspective 14 donne, en A, le plan de la galerie au niveau B de la naissance des arcades. En C devait exister une balustrade, dont les supports sont en place, mais qui n’a, croyons-nous, jamais été posée. La nef de l’église Saint-Étienne-du-Mont à Paris, qui date du XVIe siècle, présente une disposition analogue. Ces galeries ne pouvaient servir qu’à faciliter la tenture des nefs, les jours de fête.

On observera encore, à ce sujet, combien les architectes du Moyen-âgeapportent de variété dans l’ensemble comme dans les détails de leurs conceptions. Leurs méthodes souples leur donnent toujours des moyens neufs lorsqu’il s’agit de satisfaire à un besoin, de remplir les diverses parties d’un programme.

Galeries de service des palais. On établissait souvent, dans les châteaux et palais du Moyen-âge, des galeries de service donnant sur les pièces principales (Voy. CONSTRUCTION, Fig. 119 et 120). Ces galeries desservaient un ou plusieurs étages. Au sommet des bâtiments fortifiés des XIVe et XVe siècles, elles devenaient des chemins de ronde propres à la défense et étaient munies alors de mâchicoulis (Voy. CHÂTEAU, DONJON, MÂCHICOULIS). Nous voyons dans quelques châteaux les restes de ces galeries de service ; elles sont quelquefois prises dans l’épaisseur même des murs, passent à travers des contreforts, comme dans l’exemple cité ci-dessus (Fig. 120, CONSTRUCTION), ou sont portées sur des encorbellements.

Dans le bâtiment méridional du palais des Papes à Avignon, du côté de la cour, on trouve encore une jolie galerie, du XIVe siècle, qui donnait entrée dans les salles du second étage. Nous reproduisons (Fig. 15) la coupe transversale de cette galerie voûtée en arcs d’ogives et éclairée par de petites fenêtres ouvrant sur la cour. Le dessus de cette galerie servait de chemin de ronde découvert, crénelé et décoré de pinacles.

Ces sortes de galeries de service aboutissaient à des escaliers et se combinaient avec ceux-ci. Vers la fin du XIVe siècle, on augmenta la largeur de ces couloirs, et on arriva, à la fin du XVe siècle, à en faire de véritables promenoirs. Cet usage fut adopté définitivement au XVIe siècle, comme on peut le voir aux châteaux de Blois, de Fontainebleau (galerie de François Ier), de Chambord, etc. Alors on les enrichit de peintures, de sculptures, on les garnit de bancs. Les galeries remplacèrent ainsi fort souvent la grand’salle du château féodal.

Fig. 15 – Galerie du Palais des Palais des Papes en Avignon (Style XIVe siècle)

Sauval rapporte6 « qu’en 1432 le duc de Bethfort fit faire, au palais des Tournelles, une galerie longue de dix-huit toises et large de deux et demie : on la nomme la gallerie des Courges, parce qu’il la fit peindre de courges vertes ; elle étoit terminée d’un comble peint de ses armes et de ses devises, couverte de tuiles assises à mortier de chaux et ciment, et environnée de six bannières rehaussées de ses armoiries et de celles de sa femme.

Mais dans les siècles passés, ajoute cet auteur, il n’y en a point eu de plus magnifique que celle qu’acheva Charles V dans l’appartement de la reine à l’hôtel Saint-Pol. » Cette galerie était peinte depuis le lambris jusqu’à la voûte, de façon à représenter un bosquet tout rempli de plantes, d’arbres fruitiers, de fleurs, parmi lesquels se jouaient des enfants ; la voûte était blanc et azur. « Outre cela, continue Sauval, le roi Charles V fit peindre encore une petite allée par où passoit la reine pour venir à son oratoire de l’église Saint-Paul. Là, de côté et d’autre, quantité d’anges tendoient une courtine des livrées du roi : de la voûte, ou pour mieux dire d’un ciel d’azur qu’on y avoit figuré, descendoit une légion d’anges, jouant des instrumens et chantant des antiennes de Notre-Dame. Le ciel, au reste, aussi bien de l’allée que de la gallerie, étoit d’azur d’Allemagne (outremer) qui valoit dix livres parisis la livre, et le tout ensemble coûta six-vingt écus. »

Les galeries des habitations privées, destinées à desservir plusieurs pièces se commandant, étaient habituellement disposées en forme d’appentis donnant un portique à rez-de-chaussée, propre à abriter les provisions de bois de chauffage, à faire sécher le linge, etc. Ces galeries, légèrement construites en bois sur des colonnes de pierre ou sur des poteaux, n’avaient que la largeur d’un corridor, 1m,00 à 1m,50 c. (Voy. MAISON).

GALETAS - s. m. : Étage d’une maison, sous le comble, destiné à garder des provisions, à tendre le linge. Beaucoup de maisons du Moyen-âge, particulièrement dans le midi de la France, où le besoin de fraîcheur se fait sentir, possédaient leurs galetas sous les combles (Voy. MAISON).

GARGOUILLE, s. f. Gargolle, guivre, canon, lanceur. Ce n’est guère que vers le commencement du XIIIe siècle que l’on plaça des chéneaux et, par suite, des gargouilles à la chute des combles. Jusqu’alors, dans les premiers siècles du Moyen-âge, l’eau des toits ou des terrasses s’égouttait directement sur la voie publique au moyen de la saillie donnée aux corniches (Voy. CHÉNEAU). À la cathédrale de Paris, du temps de Maurice de Sully ; c’est-à-dire lors de l’achèvement du chœur en 1190, il n’y avait point de chéneaux et de gargouilles ; plus tard, dans le même édifice, vers 1210 encore, les eaux des chéneaux s’écoulaient sur la saillie des larmiers, au moyen de rigoles ménagées de distance en distance. Nous voyons apparaître les gargouilles, vers 1220, sur certaines parties de la cathédrale de Laon. Ces gargouilles sont larges, peu nombreuses, composées de deux assises, l’une formant rigole, l’autre recouvrement (Fig. 16).

Fig. 16 – Gargouille de la cathédrale de Laon

Déjà cependant ces gargouilles affectent la forme d’animaux fantastiques, lourdement taillés, comme pour laisser voir leur structure. Bientôt les architectes du XIIIe siècle reconnurent qu’il y avait un avantage considérable à diviser les chutes d’eau. Cela, en effet, évitait les longues pentes dans les chéneaux et réduisait chacune des chutes à un très-mince filet d’eau ne pouvant nuire aux constructions inférieures. On multiplia donc les gargouilles ; en les multipliant, on put les tailler plus fines, plus sveltes, et les sculpteurs s’emparèrent de ces pierres saillantes pour en faire un motif de décoration des édifices. La variété des formes donné aux gargouilles est prodigieuse ; nous n’en connaissons pas deux pareilles en France, et nos monuments du Moyen-âge en sont couverts. Beaucoup de ces gargouilles sont des chefs-d’œuvre de sculpture ; c’est tout un monde d’animaux et de personnages composés avec une grande énergie, vivants, taillés hardiment par des mains habiles et sûres. Ces êtres s’attachent adroitement aux larmiers, se soudent à l’architecture et donnent aux silhouettes des édifices un caractère particulier, marquant leurs points saillants, accusant les têtes des contre-forts, faisant valoir les lignes verticales. On peut juger de l’habileté des architectes et des sculpteurs dans la combinaison et l’exécution de ces lanceurs par la difficulté qu’on éprouve à les combiner et les faire exécuter. Dans les pastiches modernes que l’on a faits des édifices gothiques, il est fort rare de voir des gargouilles qui se lient heureusement à l’architecture : elles sont ou mal placées, ou lourdes, ou trop grêles, ou molles de forme, pauvres d’invention, sans caractère ; elles n’ont pas cet aspect réel si remarquable dans les exemples anciens ; ce sont des êtres impossibles, ridicules souvent, des caricatures grossières dépourvues de style.

Certains calcaires du bassin de la Seine, comme le liais-cliquard, se prêtaient merveilleusement à la sculpture de ces longs morceaux de pierre en saillie sur les constructions. Il fallait, en effet, une matière assez ferme, assez tenace pour résister, dans ces conditions, à toutes les causes de destruction qui hâtaient leur ruine. Aussi est-ce à Paris ou dans les contrées où l’on trouve des liais, comme à Tonnerre, par exemple, que l’on peut recueillir encore les plus beaux exemples de gargouilles. D’ailleurs l’école de sculpture de Paris, au Moyen-âge, a sur celles des provinces voisines une supériorité incontestable, surtout en ce qui touche à la statuaire.

Fig. 17 – Gargouille de Notre-Dame de Paris

Fig. 18 – Gargouille de Notre-Dame de Paris

Les gargouilles sont employées systématiquement à Paris vers 1240 ; c’est à Notre-Dame que nous voyons apparaître, sur les corniches supérieures refaites vers 1225, des gargouilles, courtes encore, robustes, mais taillées déjà par des mains habiles (Fig. 17). Celles qui sont placées à l’extrémité des caniveaux des arcs-boutants de la nef, et qui sont à peu près de la même époque, sont déjà plus longues, plus sveltes, et soulagées par des corbeaux qui ont permis de leur donner une très-grande saillie en avant du nu des contreforts (Fig. 18).

Fig. 19 – Gargouille de la Sainte-Chapelle à Paris

À la Sainte-Chapelle du Palais à Paris, les gargouilles sont plus élancées, plus développées : ce ne sont plus seulement des bustes d’animaux, mais des animaux entiers attachés par leurs pattes aux larmiers supérieurs ; leurs têtes se détournent pour jeter les eaux le plus loin possible des angles des contreforts (Fig. 19).

Quelques-unes de ces gargouilles sont évidemment sculptées par des artistes consommés.

Nous avons indiqué, à l’article GÂBLE, comment les constructeurs gothiques, lorsqu’ils élevaient les grandes voûtes des nefs, ménageaient, provisoirement, des cuvettes dans les reins de ces voûtes, avec gargouilles extérieures pour rejeter les eaux pluviales dans les caniveaux des arcs-boutants jusqu’à l’achèvement des combles définitifs. Ces gargouilles provisoires devenaient définitives elles-mêmes, lorsque les chéneaux supérieurs étaient posés, au moyen d’une conduite presque verticale, descendant du chéneau jusqu’à ces gargouilles. Voici (Fig. 20) une de ces gargouilles à double fin, provenant des parties supérieures de la nef de la cathédrale d’Amiens (1235 environ).

Fig. 20 – Gargouille de la cathédrale d’Amiens

Les gargouilles sont doublées de chaque côté des contreforts, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, comme autour de la salle synodale de Sens, autour des chapelles du chœur de Notre-Dame de Paris ; ou elles traversent l’axe de ces contreforts, comme à Saint-Nazaire de Carcassonne et dans tant d’autres édifices des XIIIe et XIVe siècles, et alors elles portent sur une console (Fig. 21) ; ou elles sont appuyées sur la tête même de ces contreforts, comme autour des chapelles du chœur de la cathédrale de Clermont (Fig. 22) (fin du XIIIe siècle).

Fig. 21 – Gargouille de l’église Saint-Nazaire de Carcassonne

Fig. 22 – Gargouille de la cathédrale de Clermont

C’est vers ce temps que la composition des gargouilles devient plus compliquée, que les figures humaines remplacent souvent celles d’animaux, ainsi qu’on le voit dans ce dernier exemple, qui nous montre un démon ailé paraissant entraîner une petite figure nue.

Il existe autour des monuments de cette époque bon nombre de gargouilles qui sont de véritables morceaux de statuaire. L’église Saint-Urbain de Troyes porte, au sommet des contreforts de l’abside, des gargouilles fort remarquables ; nous donnons l’une d’elles (Fig. 23).

Fig. 23 – Gargouille de l’église Saint-Urbain à Troyes

Fig. 24 – Gargouille du XVème siècle

Pendant le XIVe siècle, les gargouilles sont généralement longues, déjà grêles et souvent chargées de détails ; au XVe siècle, elles s’amaigrissent encore et prennent un caractère d’étrange férocité. Bien que les détails en soient fins et souvent trop nombreux, cependant leur masse conserve une allure franche, d’une silhouette énergique ; les pattes, les ailes des animaux sont bien attachées, les têtes étudiées avec soin (24 et 24 bis).

Fig. 24 bis – Gargouille du XVème siècle

Ces parties importantes de la sculpture du Moyen-âgeont toujours été traitées par des mains exercées ; elles conservent très-tard leur caractère original, et encore, aux premiers temps de la Renaissance, on voit, sur les édifices, des gargouilles qui conservent le style du XVe siècle. Ce n’est que pendant la seconde moitié du XVIe siècle que les sculpteurs repoussent absolument les anciennes formes données aux lanceurs, pour adopter des figures de chimères rappelant certaines figures antiques, ou des consoles, ou de simples tuyaux de pierre en forme de canons.

Pendant le Moyen-âge on n’a pas toujours sculpté les gargouilles ; quelquefois, dans les endroits qui n’étaient pas exposés à la vue, les gargouilles sont seulement épannelées. Il en est un grand nom cette sorte qui affectent une forme très-simple (Fig. 25)7.

Les gargouilles sont fréquentes dans l’Île-de-France, dans la Champagne et sur les bords basse Loire ; elles sont rares en Bourgogne, dans le centre et le midi de la France ; ou si l’on en trouve dans les monuments d’outre-Loire, c’estqu’elles tiennent à des édifices élevés aux XIIIe, XIVe et XVe siècles, par des architectes du Nord, comme la cathédrale de Clermont, celle de Limoges, celle de Carcassonne (Saint-Nazaire), celle de Narbonne.

Fig. 25 – Gargouille simple du Moyen-âge

Fig. 26 – Gargouille d’une maison de Vitré (XVème siècle)

Là où les matériaux durs sont peu communs, comme en Normandie, par exemple, les gargouilles sont courtes, rarement sculptées, ou manquent absolument, les eaux s’égouttant des toits sans chéneaux.

Les chéneaux en plomb, posés sur les édifices civils ou religieux, portaient aussi leurs gargouilles de métal. Nous en possédons fort peu aujourd’hui de ce genre d’une époque antérieure au XVIe siècle. En voici une (Fig. 26) qui se voit à l’angle d’une maison de Vitré ; elle date du XVe siècle et est faite en plomb repoussé (Voy. PLOMBERIE).

Nous ne connaissons pas de gargouilles du Moyen-âgeen terre cuite. Dans les édifices en brique, les gargouilles sont en pierre, ainsi qu’on peut le voir aux Jacobins de Toulouse, au collège Saint-Rémond, et dans beaucoup d’autres édifices anciens de la même ville.

GAUFRURE - s. f. : Application de pâtes sur la pierre ou le bois, formant des ornements saillants, des fonds gaufrés, ordinairement dorés (Voy. APPLICATION, PEINTURE).

GIRON - s. m. : Est la largeur d’une marche d’escalier. Le giron est dit droit, lorsque la marche est d’une égale largeur dans toute sa longueur ; triangulaire, lorsque la marche est renfermée dans une cage circulaire. Alors on mesure le giron de la marche au milieu de sa longueur.

GIROUETTE, s. f. Wire-wire. Plaque de tôle ou de cuivre munie d’une douille ou de deux anneaux, et roulant sur une tige de fer placée au sommet d’un comble. Les girouettes sont destinées à indiquer d’où vient le vent. Pendant le Moyen-âge, il n’était pas permis à tout le monde de placer des girouettes sur les combles des habitations. La girouette était un signe de noblesse, et sa forme n’était pas arbitraire. « Les gentilshommes, dit le Laboureur8, ont seuls droit d’avoir des girouettes sur leurs maisons ; elles sont en pointes comme les pennons, pour les simples chevaliers, et carrées comme les bannières, pour les chevaliers bannerets. » — « On sait, dit encore Sainte-Palaye9, que le premier acte de possession d’un fief, d’une seigneurie, d’une place prise à la guerre, était marqué par la bannière du nouveau seigneur, arborée sur le lieu le plus éminent, sur la tour la plus élevée. » Les girouettes anciennes sont rares ; habituellement elles étaient peintes aux armes du seigneur ou découpées de façon à figurer les pièces de ces armes ; quelquefois on les surmontait d’une couronne, mais cela vers la fin du XVesiècle. La plupart des girouettes ou wire-wire anciennes sont disposées de telle façon que la partie pleine est maintenue en équilibre par des contre-poids, de manière à faciliter le roulement sur le pivot de fer (Fig. 27).

Fig. 27 et 28 – Girouettes

Fig. 29 – Girouette du château d’Amboise

Les girouettes du Moyen-âgesont petites, haut montées sur les tiges de fer et accompagnées d’épis en plomb (Voy. ÉPI). L’Hôtel-Dieu de Beaune conserve encore les anciennes girouettes de ses combles, peintes aux armes de Nicolas Rollin, chancelier de Bourgogne (1441) ; ces girouettes sont carrées, avec un seul contre-poids, et décorées aux deux angles extrêmes de feuilles découpées. Voici l’une d’elles (Fig. 28). Nous avons encore vu au château d’Amboise, en 1833, des girouettes du commencement du XVIe siècle, aux armes de France découpées et couronnées (Fig. 29).

Il y a longtemps que tous les bourgeois de France peuvent mettre des girouettes sur leurs maisons, et ne s’en font-ils pas faute.

GNOMON - s. m. : Style scellé dans une dalle et donnant l’heure du jour par l’ombre qu’il projette sur un cadran. Nous voyons, dans les Olim, qu’au XIIIe siècle il y avait des gnomons sur les grands chemins. Louis IX, en 1267, fait faire une enquête par un certain chevalier, Guiters de Vilète, bailli de Tours, et un chanoine de Loches, Théobald de Compans, pour savoir si le roi a le droit de faire enlever les stalles de chevaux fixées à terre et les cadrans solaires supportés par des colonnes, toutes choses qui obstruent les chemins. Nous voyons des cadrans solaires des XIVe et XVe siècles aux angles de certains édifices du Moyen-âge, notamment à l’angle du clocher vieux de la cathédrale de Chartres et à l’angle du cloître de la cathédrale de Laon (Voy. CLOÎTRE, fig. 265).

GOND - s. m. : Morceau de fer coudé, dont la patte est scellée dans la pierre et dont le mamelon cylindrique ou légèrement conique entre dans l’œil de la penture d’une porte (Voy. SERRURERIE).

GORGE - s. f. : Moulure concave. On donnait aussi le nom de gorge, autrefois, à la partie de la hotte d’une cheminée comprise entre la tablette et la corniche de couronnement sous le plafond.

Fig. 30 - Gousset

GOUSSET - s. m. : Pièce de bois horizontale posée diagonalement pour maintenir le roulement d’une enrayure composée de pièces assemblées d’équerre (Fig. 30). A est un gousset (Voy. CHARPENTE).

GOÛT - s. m. : Un homme d’esprit a dit : « Le manque de goût conduit au crime. » Le mot étant vrai, à notre sens, nous sommes entourés de criminels ou de gens disposés à le devenir. Le goût est l’habitude du beau et du bien ; pour être homme de goût, il est donc essentiel de discerner le bien du mal, le beau du laid. Le goût (car les définitions ne manquent pas, si la qualité est rare) est encore le respect pour le vrai ; nous n’admettons pas qu’on puisse être artiste de goût sans être homme de goût, car le goût n’est pas un avantage matériel, comme l’adresse de la main, mais un développement raisonné des facultés intellectuelles. C’est ce qui fait que nous rencontrons dans le monde nombre d’artistes habiles qui, malgré leur talent, n’ont pas de goût, et quelques amateurs qui sont gens de goût, sans pour cela pratiquer les arts. On considère, en général, parmi les artistes, les amateurs comme un fléau, comme des usurpateurs dont l’influence est pernicieuse. Non-seulement nous ne partageons pas cette opinion, mais nous croyons que si le goût tient encore une place en France, c’est principalement au public que nous devons cet avantage. Nous prétendons ne parler ici que de l’architecture. Nous ne saurions admettre qu’un architecte obéissant à des intérêts étroits, à des passions mesquines, dont le caractère n’est ni respectable ni respecté, puisse mettre du goût dans ses œuvres. L’homme de goût ne ment pas à sa conscience, il exprime ses pensées par les moyens les plus naturels. Avoir du goût dans les arts, c’est aimer le vrai, c’est savoir l’exprimer simplement ; c’est repousser l’exagération, toujours fausse ; c’est laisser voir le côté moral de l’homme, sa raison, ses affections, ses tendances et son but. Si donc ce côté moral est faible, si la raison est obscure, si les affections sont basses et le but vulgaire ou odieux, il est difficile que le goût soit satisfait.

Le bon goût, comme la vérité, ne s’impose pas, il persuade ; et le jour où l’on vient dire : « Voici l’expression du bon goût », on ne se contentera pas de votre affirmation, il faudra plus que cela ; il faudra que cette expression du bon goût soit discutée, prouvée par un accord intime entre vos principes et la forme qu’ils adoptent. Vos principes étant vicieux, si belle que soit la forme, le goût fait défaut. Faites que la forme soit le langage de l’idée, et vous serez artiste de goût ; encore faut-il avoir des idées, les avoir bonnes et les exprimer en bon langage.

On a pensé, depuis longtemps déjà, qu’il suffisait, pour faire preuve de goût, d’adopter certains types reconnus beaux et de ne jamais s’en écarter. Cette méthode, admise par l’Académie des Beaux-Arts en ce qui touche à l’architecture, nous a conduits à prendre pour l’expression du goût certaines formules banales, à exclure la variété, l’invention, et à mettre hors la loi du goût tous les artistes qui cherchaient à exprimer des besoins nouveaux par des formes nouvelles, ou tout au moins soumises à de nouvelles applications.

Depuis le XVIIe siècle, on a mis en honneur bien des hypocrisies, et nous avons l’hypocrisie du goût, comme nous avons l’hypocrisie religieuse. Ce sont des découvertes dont, à la rigueur, nous nous serions passés. Mais de même que l’hypocrisie religieuse, c’est-à-dire l’observation extérieure des formules sans les principes, conduit à l’incrédulité et à la débauche, de même l’hypocrisie du goût amène à la dépravation, et pendant que l’Académie des Beaux-Arts contraint ses initiés à se soumettre à des formules dont elle n’explique même pas le sens, nous voyons, autour de nous, l’architecture se livrer au plus étrange dévergondage, non-seulement en dehors du sanctuaire des initiés, mais dans leur sanctuaire même. Le goût (en architecture), au lieu d’être une loi découlant d’un principe vrai, général, admis par tous et applicable à toute chose, est devenu le privilège d’une école exclusive. Il a été convenu, par exemple, que les ordres de l’antiquité romaine étaient œuvres de goût ; ce que nous admettons sans difficulté, si ces ordres ont une raison d’être ; ce que nous n’admettons pas, si rien ne justifie leur emploi. L’art, réduit à certaines pratiques, déclarées seules orthodoxes en matière de goût, s’est atrophié, descendant d’un degré à chaque génération d’initiés ; on est devenu architecte de goût en suivant une ornière de plus en plus étroite et profonde, et à la condition de n’en jamais sortir. Quelques architectes trouvent peut-être à cela un avantage, car rien n’est plus doux et facile, dans les arts, que de faire partie d’une coterie puissante ; mais on peut affirmer que l’art y a perdu. Avec l’Académie des Beaux-Arts, gardienne jalouse du goût depuis un assez long temps, dit-elle, l’architecture, encore si vivace au milieu du XVIIe siècle, est tombée peu à peu dans un affaissement qui nous a conduits de chute en chute à l’anarchie, à l’obéissance aveugle ou à la révolte. Mais quant au goût, au bon goût, c’est-à-dire à cette connaissance exacte des besoins, des idées, du génie de notre civilisation, à cette expression vraie et tempérée de ce qu’elle a droit de nous demander, il faut chercher longtemps pour le trouver ; et si, par aventure, ce goût du vrai se fait jour, il étonne la foule, et excite la censure, sinon les colères de ceux qui se donnent comme les seuls dépositaires des saines doctrines.

Toute forme d’architecture qui ne peut être donnée comme la conséquence d’une idée, d’un besoin, d’une nécessité, ne peut être regardée comme œuvre de goût. S’il y a du goût dans l’exécution d’une colonne, ce n’est pas une raison pour que la colonnade dont elle fait partie soit une œuvre de goût ; car, pour cela, il faut que cette colonnade soit à sa place et ait une raison d’être. Si l’on vient dire : « Ce palais est mal distribué, incommode ; les services ne sont pas à leur place, les pièces sont obscures, la construction est vicieuse, mais il est décoré avec goût » ; c’est à peu près comme si on prétendait qu’un livre est rempli d’erreurs, que les idées de l’auteur sont confuses, son sujet mal développé, mais qu’il est écrit avec élégance. La première loi, pour un écrivain, c’est de savoir ce qu’il veut dire et de se faire comprendre ; la clarté est une des conditions du goût en littérature comme en architecture. Pour exprimer ses idées avec clarté, avec élégance, faut-il avoir des idées, faut-il que ces idées précèdent la forme qui devra servir à les exprimer. Mais si, au contraire, nous nous préoccupons de la forme avant de savoir ce qu’elle devra exprimer, nous ne faisons pas preuve de goût. Si les portiques des Romains, élevés près des places publiques ; si ces vastes promenoirs couverts, accessibles à la foule, laissant circuler l’air et la lumière sous un beau climat, marquaient le goût des maîtres du monde en fait de constructions urbaines, la colonnade du Louvre, élevée sur un rez-de-chaussée, inaccessible au public, n’abritant les rares visiteurs qui la parcourent ni du soleil ni de la pluie, n’étant pas en rapport de proportions et de dimensions avec les autres parties du palais, ne peut raisonnablement passer pour une œuvre de goût. Nous admettrons bien, si l’on veut, que l’ordre est étudié avec goût, c’est-à-dire qu’il est en rapport harmonieux de proportions avec lui-même ; mais ce portique, comme portique appliqué à un palais, est de très-mauvais goût. « Sed nunc non erat bis locus… »

Il est des temps, heureux pour l’art, où le goût n’a pas besoin d’être défini ; il existe par cela même que l’art est vrai, qu’il se soumet aux enseignements de la raison, qu’il ne répudie pas son origine et ne parle qu’autant qu’il a quelque chose à dire. Dans ces temps, on ne se préoccupe pas de donner les règles du goût, pas plus que parmi d’honnêtes gens on ne se préoccupe de discuter sur ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. On commence à parler du goût quand le goût s’éloigne de l’art pour se réfugier dans l’esprit de rares artistes ; on n’écrit des livres sur la vertu que quand le vice domine. Ces temps heureux sont loin de nous ; ils ont existé chez les Grecs de l’antiquité, ils ont brillé pendant le Moyen-âge, ils pourraient renaître peutêtre, à la condition d’admettre que le goût consiste dans l’observation de principes très-simples, non dans la préférence donnée à telle forme sur une autre. Quand le goût est renfermé dans les limites d’une coterie, si puissante qu’on veuille la supposer, ce n’est plus qu’une prétention funeste, dont chacun tend à s’affranchir ; car le goût, le bon goût possède ce privilège de s’imposer à travers les temps et malgré les préjugés comme tout ce qui découle de la vérité. Mais à peine, aujourd’hui, si l’on s’entend sur ce que c’est que le goût. On professe, lorsqu’il s’agit d’architecture, de véritables hérésies en matière de goût ; on donne, chaque jour, comme des modèles de goût, des œuvres dont il est impossible de comprendre le sens, qui ne se font remarquer que par un désaccord complet entre le but et l’apparence. On nous dit que cette façade est de bon goût ; mais, pourquoi ? Est-ce parce que toutes ses parties sont symétriques, qu’elle est ornée de colonnes et de statues, que de nombreux ornements sont répandus partout ? Mais cette symétrie extérieure cache des services fort divers : ici une grande salle, là des cabinets, plus loin un escalier. Cette fenêtre qui éclaire la chambre du maître est de même taille et de même forme que cette autre qui s’ouvre sur un couloir. Ces colonnes saillantes accusent-elles des murs de refend, tiennent-elles lieu de contreforts ? Mais les murs de refend sont placés à côté de ces colonnes et non sur leur axe ; les contreforts sont superflus, puisque les planchers ne portent même pas sur ce mur de face. Nous voyons des niches évidées au milieu de trumeaux là où nous aurions besoin de trouver un point d’appui. Pourquoi, si nous raillons ces gens qui veulent paraître autres qu’ils ne sont, si nous méprisons un homme qui cherche à nous en imposer sur sa qualité, sur son rang dans le monde, et si nous trouvons ses façons d’être de très-mauvais goût, pourquoi trouvonsnous qu’il y ait du goût à élever une façade de palais devant des bureaux de commis, à placer des colonnades devant des murs qui n’en ont nul besoin, à construire des portiques pour des promeneurs qui n’existent pas, à cacher des toits derrière des acrotères comme une chose inconvenante, à donner à une mairie l’aspect d’une église, ou à un palais de justice l’apparence d’un temple romain ? Le goût n’est pas, comme le pensent quelques-uns, une fantaisie plus ou moins heureuse, le résultat d’un instinct. Personne ne naît homme de goût. Le goût, au contraire, n’est que l’empreinte laissée par une éducation bien dirigée, le couronnement d’un labeur patient, le reflet du milieu dans lequel on vit. Savoir, ne voir que de belles choses, s’en nourrir, comparer ; arriver, par la comparaison, à choisir ; se défier des jugements tout faits, chercher à discerner le vrai du faux, fuir la médiocrité, craindre l’engouement, c’est le moyen de former son goût. Le goût est comme la considération : on ne l’acquiert qu’à la longue, en s’observant et en observant, en ne dépassant jamais la limite du vrai et du juste, en ne se fiant point au hasard. Comme l’honneur, le goût ne souffre aucune tache, aucun écart, aucune concession banale, aucun oubli de ce que l’on doit aux autres et à soimême. Le respect pour le public est, de la part d’un artiste qui produit une œuvre, la première marque de goût. Or la sincérité est la meilleure façon d’exprimer le respect. Si le mensonge était jamais permis, ce serait envers ceux que l’on méprise. Cependant nous nous sommes éloignés des règles du goût à ce point, dans l’art de l’architecture, que nous ne montrons plus au public que des apparences. Nous simulons la pierre avec des enduits ou du ciment, le marbre et le bois avec de la peinture. Ces voussures que vous croyez en pierre sculptée ne sont qu’un plâtrage sur des lattes ; ces panneaux de chêne, ce sont des planches de sapin recouvertes de pâtes et d’une couche de décoration ; ces pilastres de marbre et d’or, qui paraissent porter une corniche et soutenir un plafond, sont des plaques de plâtre accrochées au mur chargé de leur poids inutile. Ces caissons du plafond lui-même, qui nous représentent des compartiments de menuiserie, ne sont autre chose que des enduits moulurés suspendus par des crampons de fer à un grossier plancher qui n’a nul rapport avec cette décoration ; si bien que, dans cette salle où vous croyez voir la main-d’œuvre le disputer à la richesse de la matière, tout est mensonge. Ces piliers qui paraissent porter sont eux-mêmes accrochés comme des tableaux ; ces arcs masquent des plates-bandes en bois ou en fer ; cette voûte est suspendue à un plancher qu’elle fatigue ; ces colonnes de marbre sont des cylindres de stuc revêtant des poteaux. L’artiste, dites-vous, est homme de goût ; oui, si c’est faire preuve de goût de se moquer de vous et de tromper le public sur la qualité de l’œuvre.

Comment procédaient cependant ces artistes du Moyen-âge en France, accusés de mauvais goût par les beaux-esprits des XVIIe et XVIIIe siècles, peu connaisseurs en architecture, et par nos débiles écoles modernes, copiant avec du carton et du plâtre les robustes splendeurs de ces derniers siècles, et tombant, de contrefaçons en contrefaçons, par ennui et fatigue, par défaut de principes et de convictions, jusqu’à l’imitation du style du temps de Louis XVI, comme si l’art de ce temps d’affaissement possédait un style ? comme si, pour en venir à cette triste extrémité, il était nécessaire d’envoyer nos jeunes architectes à Rome et à Athènes s’inspirer des arts de l’antiquité ?

Leur première loi était la sincérité. Avaient-ils de la pierre, du bois, du métal, des stucs à mettre en œuvre ? ils donnaient à chacune de ces matières la structure, la forme et la décoration qui pouvaient leur convenir ; et, lors même qu’ils tentaient d’imposer à l’une de ces matières des formes empruntées à d’autres, le goût leur traçait les limites qu’on ne saurait dépasser, car jamais ils ne cherchaient à tromper sur l’apparence. On peut bien trouver que telle rose, tels meneaux sont délicatement travaillés : personne ne prendra une rose en pierre, des meneaux en pierre pour du bois ou du fer ; encore ces détails des édifices religieux ne sont-ils que des claires-voies, des accessoires qui ne tiennent pas à la véritable structure, on le reconnaît sans être architecte. Pour eux, une salle est une salle ; une maison, une maison ; un palais, un palais ; une église, une église ; un château, un château ; et jamais il ne leur serait venu à l’esprit de donner à un édifice municipal la silhouette d’une église en manière de pendant, pour amuser les badauds, grands amateurs de la symétrie. Font-ils couvrir cette salle d’un berceau en bois ? c’est bien un lambris que nous voyons, non point le simulacre d’une voûte en maçonnerie. Font-ils un plafond ? c’est la structure du plancher qui donne ses compartiments, sa décoration. À leur avis, un toit est fait pour couvrir un édifice ; aussi lui donnent-ils la pente suffisante pour rejeter les eaux ; ils ne le dissimulent pas derrière un attique ; dans un même palais, ils n’élèveront pas des toits plats et des toits aigus : ils adopteront les uns ou les autres partout, suivant le besoin, le climat ou la nature des couvertures. Est-ce une galerie qui passe derrière ce mur ? nous le reconnaîtrons, à l’extérieur, par la manière dont les jours sont percés ; est-ce une grand’salle ? les fenêtres seront hautes et larges; est-ce une suite de cellules ? les fenêtres seront fréquentes et petites. Partant de principes vrais, simples, raisonnés, le goût n’est plus affaire de hasard : il s’attache à quelque chose de réel ; il apporte dans l’étude des détails le respect pour la vérité ; il se complaît à exprimer les besoins, les nécessités du programme ; à chaque instant il varie son expression, suivant le thème qui lui est donné. Savoir ne dire que ce qu’il faut et savoir dire les choses à propos est une preuve de goût dans les relations du monde ; c’est faire preuve de peu de goût de donner à la maison d’un simple particulier habitée par des locataires l’apparence d’un palais. « Si le propriétaire peut payer ce luxe, direz-vous, pourquoi ne pas le satisfaire ? » Soit ; mais vous ne pourrez nous empêcher de trouver que l’architecte et son client ont mauvais goût, et l’extravagance de celui-ci n’excuse pas la complaisance du premier. On n’écrit pas une ordonnance de police comme un discours à l’Académie, un inventaire avec le style qui convient à un roman ; et la lettre que vous adressez à votre jardinier pour lui recommander de planter des salades en temps opportun n’est pas faite comme celle que vous écrivez à un prince pour réclamer sa bienveillance. Pourquoi donc, si nous admettons ces distinctions dans la façon d’écrire, ne les observons-nous pas dans notre architecture ? Nous trouvons dans l’art du Moyenâge cet à-propos, marque d’un goût sûr. L’église du village ne ressemble pas à une cathédrale ; elle n’est pas un diminutif de celle-ci. La maison d’un bourgeois n’est pas faite avec les rognures d’un palais. La halle de la cité ne peut être prise pour une salle de fêtes, l’hôpital pour une maison de ville ; et l’étranger qui se promenait autrefois dans nos cités pouvait deviner la destination de chaque édifice à son apparence extérieure ; il ne lui serait jamais arrivé de chercher un bénitier à la porte d’une mairie, croyant entrer dans une église, ou de demander, sous le vestibule d’une caserne, le nom du riche seigneur pour lequel on a bâti ce majestueux édifice.

Le goût est relatif à l’objet ; il s’appuie donc avant tout sur la raison. Comme le bon sens est une des qualités (fort ancienne) de notre pays, nous avons apporté dans nos arts un goût délicat, lorsque nous avons été laissés à nos propres instincts. Malheureusement, l’architecture s’est brouillée depuis longtemps en France avec le bon sens, et par suite avec le bon goût, sous l’influence de doctrines erronées. On a reconnu, au XVIIe siècle, que l’architecture antique était un art soumis à un goût pur, ce qui est incontestable ; on s’est mis à faire de l’architecture antique, sans penser que, si l’architecture antique est conforme au goût, c’est qu’elle est une expression nette, précise, de la civilisation qui l’a constituée. Mais si par cela même l’architecture antique se soumet aux règles du goût sous les empereurs romains, elle est contraire à ces règles sous la société de Louis XIV, qui ne ressemble pas absolument à la société de Tibère ou de Claude. Alors (au XVIIe siècle) on ne faisait guère entrer le raisonnement dans les questions d’art ; l’architecture était une affaire de colonnades, de chapiteaux, de frontons et de corniches, de symétrie, toutes choses qu’on déclarait être de grand goût, comme on disait alors, sans définir d’ailleurs ce qu’on entendait par ce grand goût, qui n’est, à notre avis, qu’un grand engouement. Cependant (car c’est une occasion de faire preuve de goût, et de ne pas tomber dans l’exagération) il est juste de reconnaître que ce siècle (nous parlons de celui de Louis XIV) a su produire en architecture des œuvres d’une grande valeur, toutes fois qu’elles n’ont pas abandonné complètement notre sens français. Certes, on ne peut nier que l’Hôtel des Invalides, par exemple, ne soit un chef-d’œuvre d’architecture. Pourquoi ? Est-ce parce que nous y trouvons des archivoltes romaines, des corniches romaines ? Non certainement : c’est parce que cet édifice présente un plan parfaitement approprié à l’objet ; partout de la grandeur, sans place perdue, des services faciles, un aspect général extérieur qui indique clairement sa destination. Mais à qui devons-nous ces belles dispositions ? Est-ce à l’antiquité romaine ? Sont-ce les architectes romains qui nous ont donné, entre autres choses, cette belle composition de la cour, avec ses quatre escaliers aux angles, autour desquels tourne le cloître ? Non, c’est là le plan d’une cour d’abbaye française, avec son vaste réfectoire, avec ses dortoirs, son église accessible de tous les points des bâtiments, ses galeries et ses services journaliers. C’est par ces dispositions appropriées à l’objet que l’Hôtel des Invalides est une œuvre de goût, et non parce que l’architecte a semé sur ses façades quelques profils romains ; au contraire, ces détails empruntés à une architecture entièrement étrangère à notre climat, à nos usages et à notre génie, ne font que gâter le monument, ou le rendre, au moins, froid, monotone. Ces toits à pentes rapides (qui sont bien français) jurent avec ces corniches antiques, avec ces arcades qui ont le grand tort de vouloir rappeler quelque portique de théâtre ou d’amphithéâtre romain. En cela le goût ne saurait être satisfait, car le goût demande aussi un rapport, une corrélation entre l’ensemble et les détails. Quand Molière a pris à Plaute son sujet d’Amphytrion, bien qu’il ait adopté le canevas antique, il a fait parler Mercure, la Nuit, Jupiter, Amphytrion, Alcmène et Sosie, comme parlaient les seigneurs, les dames et les valets de la cour, et non comme des Grecs. Bien mieux, il a donné à ses personnages les sentiments, les idées et les préjugés de son temps ; pour exprimer ces idées, ces sentiments, il n’a pas cousu des mots grecs ou latins à sa phrase française. Le nom des personnages ne fait là rien à l’affaire, et Jupiter pourrait s’appeler Louis le Grand et porter la grande perruque. Certes Molière, comme tous les auteurs illustres du XVIIe siècle, appréciait fort les anciens, avait su s’en servir ; cessait-il pour cela d’être Français, et si nous l’admirons, n’est-ce pas parce qu’il est bien Français ? Pourquoi donc, à l’architecture seule, serait-il permis de s’exprimer comme l’écolier limousin de Rabelais, et en quoi ce jargon peut-il être conforme aux règles du goût ?

La pierre, le bois, le fer, sont les matériaux avec lesquels l’architecte bâtit, satisfait aux besoins de son temps ; pour exprimer ses idées, il donne des formes à ces matériaux ; ces formes ne sont pas et ne peuvent être dues au hasard, elles sont produites par les nécessités de la construction, par ces besoins mêmes auxquels l’artiste est tenu de satisfaire, et par l’impression qu’il veut produire sur le public ; c’est une sorte de langage pour les yeux : comment admettre que ce langage ne corresponde pas à l’idée, soit dans l’ensemble, soit dans les détails ? et comment admettre aussi qu’un langage formé de membres sans relations entre eux puisse être compris ? Cette confusion, introduite au XVIIe siècle, a bientôt fait de l’architecture un art incompréhensible pour le public ; nous en voyons aujourd’hui plus que jamais les tristes effets.

De l’introduction irréfléchie de certaines formes et non de l’esprit de l’antiquité dans l’architecture, on en est venu bientôt à la corruption de ces formes dont les principes n’avaient point été reconnus tout d’abord. Au XVIIIe