Comment tuer un loup-garou - Étienne Marlot - E-Book

Comment tuer un loup-garou E-Book

Étienne Marlot

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Beschreibung

La vie de Gareth, 15 ans, bascule lorsqu’il découvre au cœur de la forêt voisine une panthère aux capacités étranges. 
Ce soir-là, le fauve éveille en lui des pouvoirs insoupçonnés et lui révèle l’existence d’un monde caché. Cet univers fantastique, où gravitent dans la terreur nutons et loups-garous, obéit à des lois impitoyables et cruelles. L’adolescent ne tarde pas à s’y attirer des ennuis. Au terme d’une nuit de cauchemar, il commet l’irréparable…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Lauréat du prix Laure Nobels 2022-2023 et étudiant en bioingénierie, Étienne Marlot s’est longtemps imaginé vivre de grandes aventures. Grand lecteur, il décide de les raconter et se découvre une passion pour l’écriture. Originaire d’Arlon, il profite de son premier roman pour faire découvrir sa région et les créatures magiques qui l’habitent.

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Avant-propos

Étienne Marlot est lauréat du Prix Laure Nobels 2023. Il a finalisé l’écriture de ce roman à l’âge de 20 ans. Avec grande écoute et subtilité, l’auteur a parachevé son texte initial sur la base des conseils judicieux du jury adulte de la Fondation Laure Nobels, de Fidéline Dujeu, de Xavier Vanvaerenbergh, d’Isabelle Blockmans et de Claude Nobels. Nous les en remercions chaleureusement.

Nous adressons nos plus vives félicitations à Étienne.

Le Conseil d’Administration de la Fondation Laure Nobels1

1 La Fondation Laure Nobels finance la publication et la promotion d’œuvres littéraires en français, écrites par de jeunes auteurs belges. Pour déterminer les bénéficiaires, la Fondation soumet les manuscrits présentés par les jeunes à la lecture critique d’un jury indépendant. Composé d’experts en littérature, celui-ci évalue l’originalité et la qualité des textes proposés. Chaque année, un lauréat est récompensé par le Prix Laure Nobels. Les années impaires, celui issu du groupe des 15-19 ans, et les années paires, celui issu du groupe des 20-24 ans. Le Prix Laure Nobels est activement soutenu par la Province du Brabant wallon qui souhaite ainsi susciter l’écriture et promouvoir la lecture, notamment auprès des jeunes. Chaque prix consiste à introduire l’œuvre sur le marché de la littérature, selon toutes les normes professionnelles en vigueur dans le monde du livre.

Plus d’infos : www.fondationlaurenobels.be

Le chat noir

– Hé, Maman, je suis là ! s’écria Gareth qui marchait vers sa salle de classe.

À l’autre bout du couloir, sa mère se retourna, esquissa un sourire, puis reprit sa discussion avec sa collègue. Exception à la règle, Gareth vivait très bien son statut de fils de prof. L’adolescent aux courtes boucles brunes adorait taquiner sa mère à la vue de tous.

– T’es pas possible, lui reprocha Christian en replaçant sa mèche blonde. Comment peut-on être aussi gênant ?

Gareth éclata de rire.

– Oh, ça va ! Déjà qu’elle ne me reprend pas tout à l’heure, j’ai bien le droit de la mettre un peu mal à l’aise. Je vais devoir me taper une heure de bus pour faire dix kilomètres jusque chez moi.

– Ce n’est pas comme si t’allais faire quelque chose de ton vendredi soir…

Avant d’entrer dans sa classe, l’adolescent lança un dernier regard à sa mère, de ses yeux bleus éclatants. En réalité, c’est d’initiative qu’il rentrait en bus. Gareth détestait faire attendre sa mère, ne serait-ce qu’une heure.

Les deux amis s’installèrent. À l’origine, ils avaient partagé un banc, mais un professeur les avait séparés suite à leurs rires récurrents. Gareth était désormais assis au dernier rang, d’où il salua quelques camarades.

Au premier rang, une boulette de papier s’écrasa sur l’arrière du crâne du petit Killian et s’accrocha à sa chevelure. Lucas et Caín, sarbacane artisanale à la main, s’adressèrent des grimaces hilares. Derrière eux, les filles les plus populaires de la classe gloussèrent avec dédain. Au tableau, la professeure cessa de tracer sa ligne du temps, alertée par le bruit. Vif comme l’éclair, Caín leva le bras et adopta une expression sérieuse.

– Oui, Caín ?

– Qu’avez-vous écrit à la deuxième ligne ? Je n’arrive pas à lire.

Sur les nerfs, Gareth serra le poing. Caín s’en sortait toujours. Populaire à l’extrême, il avait atteint le statut de célébrité dans l’établissement. Tout lui réussissait. Grand, sourire charmeur, musclé. Il pratiquait la boxe depuis des années et collectionnait les médailles lors des compétitions nationales. Ses parents, d’origine espagnole, possédaient des complexes balnéaires sur toutes les côtes méditerranéennes. Caín y invitait ses amis et les faisait profiter des soirées VIP, de véritables beuveries, qui s’y déroulaient chaque été.

L’enseignante lut ce qu’elle avait écrit, puis lui demanda s’il connaissait l’événement qui avait marqué le début des Temps Modernes.

– Aucune idée, Madame, mais Killian le sait sûrement. C’est qu’il en cache, des idées, dans sa touffe, se moqua Caín.

– Cesse tes âneries, rit la professeure. Quelqu’un d’autre ?

Personne ne répondit, laissant madame Lapauw dans une attente silencieuse. D’un coup d’œil, Gareth vérifia si Marion était attentive, mais sa camarade dessinait sur sa feuille. Il allait devoir s’y coller. L’adolescent leva la main.

– La découverte de l’Amérique, ou la chute de l’empire romain d’Orient.

*

Le bus s’arrêta, ouvrit ses portes, et Gareth s’engouffra en hâte dans le véhicule avec l’espoir de trouver une place assise. Toutes étaient occupées. Gareth s’accrocha à l’une des barres jaunes dans l’allée et se concentra sur son équilibre alors que le chauffeur reprenait sa route.

Le véhicule tourna quelques fois dans les rues de la ville avant de bifurquer vers Attert. La commune où résidait Gareth se trouvait juste au nord d’Arlon, à deux pas du Grand-Duché du Luxembourg. Le père de Gareth avait travaillé dans ce pays avant de disparaître sans plus donner de nouvelles quelques années plus tôt. Il n’avait laissé que la maison qu’il avait payée, et le nom d’origine canadienne de Gareth.

Gareth vivait au centre de la localité, nommée d’après la rivière qui la traversait, laquelle était à l’origine de la formation de la vallée de ­l’Attert, devenue un parc naturel. Lorsque le bus l’y déposa, il marcha quelques centaines de mètres avant d’atteindre sa maison. Devant la villa de briques jaunes au toit coiffé de panneaux photovoltaïques, le gravier qui recouvrait le parking absorbait lentement la chaleur du soleil. De chaque côté s’étendaient les deux ailes de son jardin, remplies de feuillus et de conifères, qui longeaient le bord de la route. Gareth entra et jeta son sac sous le portemanteau avec l’envie de ne plus y toucher de tout le week-end.

*

– Tu as revu le chat noir, Maman ?

– Non, je pense qu’il a compris que c’était ton territoire, ici, se moqua-t-elle.

Elle lui ébouriffa les cheveux. Le jeune garçon de quinze ans, qui dépassait à peine sa mère, sourit. Elle savait que Gareth fonçait sur l’intrus à chaque fois qu’il l’apercevait afin de protéger leur vieux chat roux, qui avait récemment perdu une canine. Celui-ci ne pouvait s’empêcher de se battre contre tous les jeunes matous qui empiétaient sur son territoire. Cela faisait quatorze ans qu’il leur tenait la dragée haute. Mais le chat noir était trop fort pour lui.

Gareth s’installa dans le fauteuil, devant la vieille télévision. En ce dimanche matin, il aurait pu travailler sa chimie, mais le documentaire sur l’extinction du tigre de la Caspienne qu’il avait enregistré lui semblait bien plus séduisant. Gareth n’avait jamais eu besoin d’étudier beaucoup pour obtenir de bons résultats, ce qui lui laissait du temps pour dévorer des livres de fantasy.

Ces romans n’occupaient cependant que la moitié de sa bibliothèque. Des livres sur les félins occupaient l’autre moitié du meuble. Ces animaux le fascinaient autant qu’ils l’attristaient. En savoir plusieurs en voie de disparition partout dans le monde révoltait Gareth. Il compensait son impuissance en aidant ses chats, et particulièrement son aîné, le roux. Depuis le canapé, Gareth jouissait d’une vue imprenable sur le jardin. Si le chat noir apparaissait, il serait prêt.

*

– Je pars courir ! lança-t-il en claquant la porte.

Il prévenait par rituel plus que par nécessité. Gareth suivait toujours le même parcours, dans le même bois. Découvrir de nouvelles pistes n’améliorerait pas son endurance. À Attert, il suffisait de descendre la rue principale avant de gravir une pente raide vers la gauche pour atteindre la forêt. Une aubaine pour les joggeurs.

Couper à travers le champ derrière son jardin était deux fois plus rapide, mais le risque de se faire charger par un taureau suffisait à le décourager.

*

Le chat noir ! Il se tenait là, dans sa forêt, à se lécher la patte. C’était l’occasion parfaite pour forcer l’animal à s’éloigner définitivement de son vieux compagnon roux. Gareth ralentit, se plaça avec précaution entre la bête et sa maison et fit bien attention de ne pas écraser de brindilles. Il ne comptait pas se faire repérer.

L’adolescent prit une longue inspiration, puis s’élança et courut à toute vitesse pour le chasser le plus loin possible. Le chat noir l’aperçut, mais, étrangement, ne chercha pas à fuir. Il avança vers Gareth en faisant le gros dos. Tout en sprintant, l’adolescent se rendit compte que ce dos gonflait de manière anormale. Soudain, l’animal ne fut plus un chat noir errant, mais une imposante panthère, musclée, totalement noire.

– Assez joué, gamin, articula la bête d’une voix de baryton.

Elle s’accroupit. Gareth distinguait les muscles qui striaient son pelage. Il connaissait bien cet animal, assez pour savoir qu’il n’avait aucune chance. Une panthère adulte était capable de tuer un gnou de trois cents kilos. Gareth eut le sentiment que cet instant se déroulait au ralenti. C’était peut-être pour cela qu’il n’avait pas encore eu le temps de s’arrêter. C’était comme si le monde allait trop vite pour lui, mais qu’il en distinguait néanmoins les moindres détails.

La panthère bondit. Ses dents et ses griffes acérées contrastaient avec sa fourrure noire comme la nuit. Gareth sauta d’instinct sur le côté, et seul son T-shirt se déchira. L’adolescent se retrouva au sol, mais la panthère l’avait manqué. Il se redressa aussi vite qu’il le put et courut vers l’orée du bois. Affolé, Gareth chercha de l’aide, mais cette maudite forêt était déserte.

L’adolescent entendit la panthère courir derrière lui. D’instinct, il attrapa un bâton et frappa l’animal au crâne en se retournant. Il ne se laisserait pas faire. Au grand dam de l’adolescent, la panthère ne broncha même pas. Elle bondit à nouveau.

Gareth se retrouva sous l’animal, qui avait planté ses griffes dans ses épaules. Il poussa un râle de douleur. Le prédateur, en plus de lui charcuter les chairs, l’immobilisait totalement.

La panthère tourna la tête. Quelque chose venait de lui atterrir sur le dos avant de repartir aussitôt. Elle se retourna et lâcha l’épaule gauche de sa proie. Profitant de ce répit, l’adolescent la frappa à la gorge, la forçant à reculer, et sauta sur ses pieds.

Il allait s’enfuir lorsqu’il comprit que c’était son vieux chat roux qui était tombé sur le félin. Gareth vit soudain la panthère courir vers son compagnon, qui feulait avec courage. Elle allait le massacrer.

Gareth fonça vers les deux animaux et chercha à intercepter la panthère. Lorsqu’il fut suffisamment proche, il plongea en avant et plaqua le prédateur au sol, à la manière d’un joueur de rugby. Celle-ci bascula, mais se contorsionna et se défit de son étreinte. Le prédateur reprit le dessus et retint Gareth, qui ne put plus bouger. L’adolescent fixa la panthère dans les yeux, impuissant. Elle découvrit ses dents, énormes et brillantes. Terrifiantes. Il les imaginait déjà s’enfoncer dans sa gorge. L’impressionnante mâchoire s’abattit sur lui, trop vite pour qu’il puisse réagir.

*

La panthère s’arrêta.

– Eh bien, tu m’auras donné du fil à retordre, Ray.

Un homme soulevait la panthère par la peau du cou, comme s’il s’agissait d’un chaton.

– Lâche-moi, Kzin, j’ai un conflit à régler, grogna la panthère

– Tu vas surtout retourner en cellule, donc tu vas la fermer et m’obéir si tu veux bouffer dans les prochaines semaines. T’as perdu, mon vieux.

Gareth croisa les yeux du prédateur. Derrière l’apparence de la colère, le garçon crut déceler de la tristesse. Une immense tristesse, incompréhensible pour Gareth.

– Bien joué, gamin. Si tu n’avais pas forcé ce fuyard à reprendre sa vraie forme, j’aurais mis des plombes à le retrouver. Moi, c’est Kzin, et toi ?

Gareth observa le nouveau venu, qui devait faire une bonne tête de plus que lui. Il avait des yeux d’un vert éclatant et souriait de toutes ses dents. Ses courts cheveux brun foncé étaient relevés à l’avant. Il semblait avoir la trentaine. Un pull et un jeans moulaient sa silhouette athlétique.

Gareth n’y comprenait rien. Que se passait-il ? Une panthère qui parle et qui doit retourner en cellule. Et cet étranger qui lui parle comme si tout était normal. Rien n’avait de sens.

– Ah, merde, Ray, depuis quand t’attaques des non-initiés ? s’exclama Kzin.

Il asséna un tel coup sur le crâne de la panthère noire qu’elle s’évanouit. Ce coup résonna, et sembla plus fort qu’il n’aurait dû l’être. Kzin s’accroupit près de Gareth et le regarda dans les yeux.

– Dis-moi, gamin, que penses-tu de la magie ?

Gareth le dévisagea, sans savoir que répondre.

– Comment ça ?

– La magie, enfin ! T’as bien dû voir des films ou lire des bouquins fantastiques, non ? Même s’ils racontent un sacré paquet de conneries, ils ont quand même un peu de succès.

– Bien sûr, que j’en ai vu. Et des livres, je n’arrête pas d’en lire, rétorqua-t-il, piqué dans son orgueil.

Kzin cligna des yeux avant d’éclater de rire.

– Eh bien, si t’aimes tant ça, j’aurai même pas besoin de t’aider. Fais donc voir tes blessures. Je vais te recoudre vite fait.

Gareth s’étonna. Il ne ressentait pas spécialement de douleur. Il jeta un œil à sa poitrine. L’adolescent était maculé de sang. Sans réfléchir, il enleva son T-shirt.

– Tes griffures ont déjà cicatrisé ? Ray ne t’a pas seulement initié… s’étonna Kzin, médusé. La métamorphose n’est pas contagieuse. Tu devais déjà avoir quelque chose en toi. Il t’a activé.

Avant qu’il ne finisse de parler, Gareth tomba en arrière et s’effondra, inanimé, au sol.

Kzin

– Alors, réveillé ?

Gareth ouvrit les yeux et le soleil l’aveugla. Il reconnut la voix de Kzin et plaça ses mains en visière afin d’analyser les alentours. Couché sur des galets au bord d’une rivière et vêtu de ses seuls sous-vêtements, il vit Kzin en train de s’affairer au bord de l’eau.

– Je suis où ?

– Calme-toi, on est à la rivière de ton village. Je rince tes vêtements. Tu pues l’ignorant, donc tes parents doivent l’être aussi. Faudrait pas que tu retournes chez toi plein de sang.

Il leva la tête et reconnut le pont surplombant l’Attert. Ce passage de la rivière avait été creusé de quelques mètres afin d’éviter les inondations.

– Ton chat nous a suivis. Il a l’air de t’aimer, celui-là.

L’animal prenait le soleil sur les pierres grises. Gareth, certain de rêver, se leva en silence. Il marcha vers la rivière et se lassa tomber en avant.

– Eh, doucement ! T’es encore en état de choc.

Gareth plongea. On entendit un plouf assourdissant. L’eau glacée le réveilla complètement et il s’étonna que son immersion ne l’ait pas ramené dans son lit. L’adolescent se dirigea vers la rive et rejoignit Kzin.

– T’as un grain, toi ! Tu viens d’échapper à la mort et tout ce que tu trouves à faire, c’est de piquer une tête dans de l’eau glacée.

– Kzin, expliquez-moi ce qu’il se passe.

– T’es activé, mon vieux, voilà ce qu’il se passe.

Ce n’était pas la première fois que l’inconnu employait ce terme.

– Vous pouvez préciser ?

Kzin poussa un profond soupir. Il demanda à Gareth de s’asseoir avant de commencer.

– Tu as désormais compris que la magie existe. Malgré sa discrétion, un monde enchanté, caché, existe bel et bien. Tu ne t’en rends pas encore compte, mais tu viens de faire tes premiers pas dans la réalité. Il existe trois types d’humains dans ce monde. Il y a les ignorants, qui n’y connaissent rien et qui sont incapables de détecter la magie. Il y a les initiés qui, suite à une expérience, la perçoivent et peuvent interagir avec les êtres magiques. Les activés, eux, sont humains et magiques. Comme toi. Tu as de la magie dans le sang, gamin. Elle a dormi jusqu’à aujourd’hui, et la peur de mourir l’a réveillée.

Gareth fronça les sourcils et secoua la tête.

– Mais vous êtes qui, à la fin ? Vous débarquez dans ma vie, me racontez n’importe quoi sur la magie et les activations… Je vous ai rien demandé, moi. Et puis, j’ai quinze ans, je ne suis plus un gamin.

– Tu sais quoi, gam… Gareth ? Rentre chez toi, va te reposer, répondit Kzin d’un air attendri. Ça fait beaucoup à avaler d’un coup. Je te recontacterai. Allez, va, ta famille va s’inquiéter.

Sa mère finirait en effet par remarquer son absence prolongée, et Gareth se sentait épuisé. Des milliers de questions fusaient dans sa tête et s’embrouillaient avant d’avoir pu franchir ses lèvres.

Après quelques secondes, Gareth renfila ses vêtements trempés, mais propres, et repartit avec son chat sur les talons. Ses vêtements collants le démangeaient au plus haut point.

– Qu’est-ce que tu fiches là, toi, au juste ? lança Gareth à l’intention de son chat.

Ce dernier l’observa et cligna des yeux. Gareth s’était presque attendu à ce qu’il lui réponde. L’adolescent parcourut sa rue, la voie de la Liberté, et arriva devant sa maison qui l’attendait, inchangée.

Le foyer familial était divisé en demi-étages. Il donnait l’impression d’être plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur. En bas se trouvaient le salon et la cuisine, et encore en dessous, la cave. En montant les escaliers, il passa devant la salle de bains, puis devant l’ancienne chambre de son frère parti à l’étranger et enfin, devant celle de sa mère. Gareth dormait un demi-étage au-dessus. Quand il avait obtenu la chambre la plus haute, il avait été fou de joie, mais à présent, il aurait adoré avoir une grappe d’escaliers en moins à gravir.

Arrivé à son étage, Gareth ouvrit la porte du milieu, entre le grenier et le bureau de sa mère. Il se laissa tomber sur son lit et s’endormit avant même de s’en rendre compte.

*

En ouvrant les yeux, Gareth eut l’impression de s’éveiller pour la première fois. Tout semblait plus précis, que ce soit le doux souffle de la brise dehors, les discrètes taches d’humidité au plafond ou l’odeur de sueur résiduelle de son lit. Il somnola sur le matelas moelleux durant de longues minutes.

Détendu, Gareth pensa qu’il avait dû rêver. Il aurait adoré que la magie existe, obtenir des pouvoirs, et devenir un héros comme dans ses livres favoris, mais la réalité était raisonnable : le lendemain, il retournerait à l’école, et il oublierait ce rêve déroutant.

Une lumière rougeâtre inondait la pièce, le soleil devait commencer à se coucher. Il se levait pour s’enquérir de la composition du prochain repas lorsqu’on frappa à sa fenêtre… au troisième étage.

Il se retourna brusquement et découvrit Kzin qui le saluait de la main, accroupi sur son appui de fenêtre, un gros sac en toile de jute sur le dos.

– Bon, tu m’ouvres ? Je ne suis pas hyper à l’aise, là, le pressa Kzin, la voix étouffée par le double vitrage.

Le rêve n’était donc pas terminé. Gareth ouvrit et Kzin s’assit sur le lit, juste à côté de la fenêtre, et jeta son sac à ses pieds.

– Salut, il fait bon dans mon cerveau ? ironisa Gareth.

– Qu’est-ce que tu es encore allé chercher ?

– Ça fait bizarre. Parler à quelqu’un dans son rêve, c’est un peu comme parler tout seul, non ?

L’homme se leva et gifla violemment Gareth, dont la joue se teinta de rouge.

– Bien réveillé ? C’est la réalité, mon grand. Si tu veux qu’on te traite comme un adulte, arrête d’agir comme un enfant. Je n’ai pas toute la vie pour m’occuper de toi.

Gareth, penaud, caressa sa joue, incrédule. La douleur était réelle, comme la honte qui l’accompagnait. Le monde était-il vraiment basé sur d’immenses mensonges ?

– Pardon, Monsieur.

– Oh, ça va, appelle-moi Kzin, et s’il te plaît, tutoie-moi. Ça me vieillit, je n’ai que 500 ans… Assieds-toi. Désolé pour la gifle, mais je n’avais pas le choix.

Gareth s’exécuta et aperçut ses voisins par la fenêtre.

– Vous… Tu n’as pas peur que des gens appellent la police en te voyant escalader ma maison ?

– T’inquiète : sauf preuve irréfutable, les cerveaux d’ignorants sont capables d’inventer n’importe quoi pour ne pas accepter la réalité. D’ailleurs, c’est étrange que je n’aie pas réussi à ouvrir la fenêtre. Je connais quelques techniques, pourtant.

Gareth se demanda comment l’existence de créatures magiques partout dans le monde pouvait échapper à la société entière. L’espèce humaine se pensait pourtant si savante.

Kzin caressa, puis huma la fenêtre.

– Je détecte un genre de protection. Elle n’a pas l’air récente, ni très sophistiquée. Vu comme tu puais l’ignorant, ça ne doit pas venir de ta famille. Tu pourras te renseigner à ce propos ?

– Euh… J’imagine.

– Bien. J’espère que t’es prêt. Tu auras beaucoup d’infos à enregistrer, l’avertit Kzin.

Gareth n’en était pas sûr, mais quel choix avait-il ? S’il avait été ignorant toute sa vie, il était temps qu’il ouvre les yeux. L’adolescent avait l’impression qu’il allait enfin tout savoir sur le monde. Il avait du mal à l’admettre, surtout après ses disputes avec Kzin, mais l’idée de découvrir un monde enchanté lui plaisait.

– Les créatures magiques vivent partout. Elles sont de toutes formes et de toutes tailles. Tous les mythes trouvent leur origine dans une espèce magique ayant vécu. Pourtant, la majorité des humains est incapable de les détecter. Cette ignorance a conduit les sociétés magiques majeures à s’éloigner dans les parties les plus reculées du monde. Malgré cela, de nombreuses créatures, comme moi, côtoient les milieux urbanisés, en gardant leurs distances avec les ignorants qui y habitent. Même cachées, ces créatures s’organisent, et possèdent un chef, un seigneur ou même un roi. Cette hiérarchie est probablement stable dans le coin, mais toi, tu changes la donne. En tant qu’activé, les êtres magiques des environs te détecteront aisément, et lorsque la créature dominante de la région te trouvera, tu auras le choix entre te battre pour ta liberté ou te soumettre. Et pour te donner toutes les armes nécessaires pour faire face à ce choix, il faut que nous trouvions la nature de ton activation.

– Et comment on fait ça ? répondit Gareth, submergé.

Kzin se leva et marcha dans la chambre.

– Pas la moindre idée.

Un silence s’installa dans la pièce. Kzin observa les décorations des murs de la chambre d’un air distrait. Cette incursion dans son intimité mit Gareth mal à l’aise. Il était également déçu : un monde magique s’ouvrait à lui, un rêve se réalisait, et la première chose à faire était de trouver un moyen de survivre à une menace hypothétique.

– Ça existe, les dragons ? demanda-t-il en espérant lancer Kzin dans une leçon d’histoire.

L’adulte répondit par un marmonnement avant d’examiner la bibliothèque. La gêne monta d’un cran. Il n’aurait pas pu avoir l’air plus stupide.

– Harry Potter, Narnia, Le Seigneur des anneaux… énuméra Kzin. Eh bien, tu n’auras pas tant à apprendre que ça. Tu as plein de livres sur les animaux, aussi…

L’apprenti haussa un sourcil. Kzin avait l’air content.

– Surtout sur les félins, précisa Gareth, de son lit.

L’homme se figea.

– Mais oui ! s’exclama-t-il en se tournant vers l’adolescent. Permets-moi de me présenter à nouveau. Je suis Kzin, fils de Koz et de Kierana, lynx métamorphe, shérif félin des Nords de France et, comme toi, fils de Makhulu.

Il s’inclina avec cérémonie.

Tout ce qui sortit de la bouche de Gareth fut :

– Makhulu, le lion super connu ?

– Certaines légendes passent de manière singulière à la postérité, ironisa Kzin.

– Et je suis son fils ?

– Symboliquement, oui, comme tous les fauves depuis une vingtaine de millions d’années. Mais ne prends pas tout ça au pied de la lettre. Le Makhulu que tu connais a été nommé ainsi en hommage au réel Makhulu.

– Du coup, c’est qui, le vrai Makhulu ?

– Le plus puissant félin ayant jamais existé et, entre autres, le roi de toute la Félinité.

Gareth était déboussolé, mais étrangement, il acceptait ces nouveautés avec une facilité déconcertante. Kzin se dirigea vers la fenêtre, l’ouvrit et poussa son cadet vers elle.

– Il est temps de réveiller ton fauve, mon vieux.

Gareth craignit de comprendre.

– En sautant ?

– En sortant, d’abord. Après, on verra.

– Mais on est au troisième.

– Tu guériras, lâcha-t-il avec désinvolture en le poussant par la fenêtre.

Gareth aurait voulu résister, mais Kzin était doté d’une force surhumaine. Gareth tomba. Lentement. Trop lentement. Comme si le temps s’écoulait moins vite. Il devait se rattraper. Sur ses jambes ? Elles se briseraient. Sur ses bras et ses jambes ? Sans savoir pourquoi, cette réception lui sembla moins risquée. Il était censé être un fauve, après tout.

Gareth atterrit en souplesse, à quatre pattes. Il se redressa, surpris de ne pas s’être blessé. Un lynx massif se réceptionna à son côté. Il était gris foncé, presque noir, et avait les yeux verts de Kzin. Le lynx trottina vers la forêt, en traversant le jardin. L’adolescent le suivit, comme si l’attitude du lynx induisait une invitation.

– Tu es au courant qu’il y a un taureau assez agressif dans le champ vers lequel tu te diriges ? tenta de le retenir Gareth.

– T’en fais pas, tu seras bien plus fort que lui quand tu réveilleras ton fauve, répondit Kzin sans ralentir.