Comprendre les Vietnamiens - Nicolas Leymonerie - E-Book

Comprendre les Vietnamiens E-Book

Nicolas Leymonerie

0,0

Beschreibung

Ce guide fera office de véritable vadémécum à qui souhaite s’intégrer sans trop d’accrocs dans la société vietnamienne, qu’il soit un simple voyageur, un entrepreneur, un diplomate ou une personne ayant le désir de s’implanter durablement sur les bords indochinois de la mer Orientale. Le lecteur y trouvera tout ce qu’il est utile de savoir sur l’histoire, la langue et les coutumes du Vietnam, ainsi que les usages et la tournure d’esprit de ses habitants. Il y découvrira les fondements d’une société taoïste et confucéenne ainsi que la place que la femme y tient fièrement. Sans oublier l’étrange ni le fascinant. Bref, le bagage culturel nécessaire à une rencontre interculturelle de qualité. Cet ouvrage, sérieusement documenté, adopte un ton pertinent et pratique. Sans s’interdire deux doigts d’humour. Pas une seule adresse d’hôtel, pas une seule description touristique : voici un guide de voyage assez spécial à l’attention des voyageurs qui ne veulent pas à tout prix éviter les habitants du pays qu’ils visitent.


À PROPOS DES AUTEURS

Développeur de jeux vidéo à Paris, Nicolas Leymonerie s'envole pour le Vietnam en 2006, où il participe à l'éclosion de cette industrie. Cinq ans plus tard, il quitte la capitale pour s'installer sur les hauts plateaux du Centre, à Dalat, où il cofonde un Centre francophone pour l'enseignement du français. Il est diplômé en langue vietnamienne par l'Université des sciences humaines et sociales d'Ho Chi Ming-Ville.

Nicolas Warnery, ambassadeur de France au Vietnam et ancien consul général à Ho Chi Min-Ville de 2004 à 2007, il est aussi auteur de romans.

Lap Ngo Tu, directeur de l'Institut francophone international à Hanoï, figure de proue de la langue française au Vietnam, écrivain et musicien. 

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 300

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

À Suzanne, relectrice trop tôt montée aux cieux malgaches et Loïc, son mari qui m’a fait naître en tant qu’auteur.

À Mai Phương, sans qui le Việt Nam ne serait resté pour moi qu’un lointain mirage, et nos deux garçons qui font notre fierté et notre bonheur.

Carte

AVERTISSEMENT

D’où parles-tu, camarade ?

Ce livre n’est pas l’œuvre d’un touriste qui aurait séjourné quelques semaines dans « la bande de terre en forme de S », ni celle d’un observateur de passage qui y aurait vécu seulement quelques mois, ni celle d’un expatrié durablement implanté dans un quartier communautaire de Hà Nội, Sài Gòn ou Đà Nãng, avec ses semblables. Son auteur est un Français qui ne s’était auparavant guère risqué bien loin des frontières hexagonales plus de quelques jours, n’avait jamais mis les pieds dans un avion, et qui, sans l’avoir prémédité, s’est plongé corps et âme dans la société vietnamienne à l’âge de 25 ans pour ne plus s’en extraire et s’y est profondément assimilé au point d’être devenu biculturel, autrement dit, ayant la culture entre deux terres.

Ce livre s’adresse tout particulièrement à ceux qui souhaiteraient comprendre au mieux les Vietnamiens afin de se préparer à vivre pleinement et harmonieusement en leur compagnie. Alors, évidemment, chaque individu est particulier et comporte son lot de surprises, cela va sans dire, toutefois, il se détache d’un peuple, des généralités, des archétypes issus de la profondeur des âges, qui font système, qui font culture et qui sont indéniables. L’air du temps nous pardonnera de ne pas prendre une telle précaution oratoire à chaque page, par souci de légèreté.

Ce livre a pour objectif d’apporter un éclairage authentique et bienveillant sur ce qu’est la vie au Việt Nam, de faire découvrir des facettes méconnues de ce pays et de prodiguer des conseils pour s’y adapter sans y sombrer. Et ceci en dépassant les poncifs sur un pays que l’on pense connaître par ce qui nous en éloigne et dont on ignore souvent ce qui nous en rapproche.

Ce livre est un condensé de tout ce que j’aurais aimé savoir lorsque j’ai choisi de quitter Paris et mon emploi pour suivre à Hà Nội, à l’automne 2005, celle qui allait devenir mon épouse. De tout ce que j’aurais aimé pouvoir exprimer, lorsque j’arpentais les ruelles du quartier populaire de Giảng Võ, à ces habitants encore peu accoutumés à croiser des Européens. Ainsi, ce sentiment d’être un bambin impotent, à la fois analphabète et à la découverte d’un nouveau monde, m’aurait sans doute été épargné. Quelques bévues et maladresses auraient certainement été évitées.

Cela étant dit, je vous en souhaite donc une bonne et instructive lecture.

N. L.

PROLOGUE

Comprendre les Vietnamiens ?

« Comprendre », mot dont les origines latines sont le radical « prehendere », signifiant « saisir » et le préfixe « cum », qui signifie « avec » – coïncidence ou lointaines racines indo-européennes communes, il se trouve que le « cum » latin est phonétiquement et sémantiquement similaire au « cùng » vietnamien. « Comprendre » veut ainsi originellement dire « saisir pour conserver avec soi », « embrasser en esprit », cela veut dire que l’on acquiert un nouvel outil dans son bagage conceptuel qui nous servira ensuite à « appréhender » le monde, à mieux saisir ce qui vient d’ailleurs, de l’autre.

De manière analogue à ce décorticage lexical, ce « Guide de voyage interculturel » ira gratter la laque superficielle pour vous présenter la substance de la société vietnamienne telle que vue et ressentie à travers les yeux d’un Occidental curieux et amoureux de la connaissance. Et au fond, n’est-ce pas avec un regard venu d’ailleurs que l’on a une meilleure vision d’ensemble, car comme Edmond Wells le formulait dans le tome IV de son Encyclopédie du Savoir Relatif Absolu1 : « pourcomprendre un système, il faut… s’en extraire », ou du moins, en avoir un point de vue extérieur.

Comprendre les Vietnamiens, c’est d’abord comprendre leur langue, qui chose relativement peu fréquente en Extrême-Orient, est écrite en caractères latins dans son usage officiel. Ça aide. Toutefois cette langue est particulièrement ardue lorsqu’il s’agit de communication orale, comme nous le verrons par la suite. Afin de vous en donner des notions, dans cet ouvrage seront mentionnés en gras et en italique un certain nombre de mots et expressions vietnamiens, soit parce qu’ils sont très usités (auquel cas la traduction en sera donnée entre parenthèses), soit parce que, d’origine française, le lecteur devrait sans peine en deviner la signification. Pour faciliter cela, nous avons rédigé un petit Aide à la lecture du vietnamien qui se trouve dans le chapitre 2.

Mais bien évidemment, le langage parlé n’est pas suffisant à la compréhension d’une autre culture, il y a aussi l’expression non verbale, l’histoire, la gastronomie, les usages au quotidien, les traditions, les principes moraux, les règles de politesse, etc. Sans entrer dans une analyse sociologique poussée, nous tâcherons de vous en présenter des éléments clés et utiles au quotidien.

Avant d’en explorer les aspects les plus dépaysants, commençons donc confortablement ce voyage interculturel par un panorama des préjugés et lieux communs concernant le Viêt Nam, ainsi que des liens et ressemblances avec la civilisation occidentale en générale et française en particulier.

1 L’Empire des anges, Bernard Werber, 2000

PRÉFACE

Un beau chemin exigeant

Il y a mille manières de tenter de comprendre les Vietnamiens :

✓ livresque : la fascination française pour le Vietnam a engendré une littérature abondante, savante, pleine de sensibilité et d’émotions… Le lecteur n’a que l’embarras du choix et de longues heures de plaisir devant lui s’il se donne la peine de bien chercher.

✓ aventurière : beaucoup de voyageurs ou de baroudeurs sont arrivés au Vietnam « le nez au vent », avec la volonté (la prétention…) de « tout comprendre » en quelques jours. Certains ont compris qu’ils ne comprendraient rien (ou pas grand-chose) en si peu de temps et sont restés ou repartis ayant gagné une forme de sagesse. D’autres ont persisté à chercher à comprendre, se sont installés et certains sont encore là, dix, vingt ou trente ans plus tard.

✓ professionnelle : beaucoup d’hommes et de femmes d’affaires débarquent au Vietnam bien décidés à y faire carrière ou fortune, à investir un marché prometteur, à y gagner galons et gloire. Certains y parviennent brillamment, d’autres moins, d’autres pas du tout.

✓ amoureuse : beaucoup d’hommes (et quelques femmes) ont rencontré au Vietnam l’amour de leur vie. Leur compréhension, par définition intime et personnelle, leur appartient et se partage moins que d’autres.

✓ parentale : beaucoup sont devenus père ou mère sur le sol vietnamien en y adoptant un enfant. Leur approche, tâtonnante et affective, parfois maladroite, ne se compare à nulle autre.

Nicolas Leymonerie a combiné plusieurs de ces démarches, avec enthousiasme et générosité. Il est venu vivre au Vietnam après avoir rencontré son épouse, il y a fondé une famille, incarné à Dalat la langue et la culture de notre pays, soutenu les compatriotes qui souhaitaient, comme lui, s’y établir et y travailler.

Il « vit » le Vietnam au jour le jour, dans ses lectures, dans son travail, dans ses multiples contacts, dans sa famille. Il partage aujourd’hui le résultat de son expérience, de sa vie, nous donne les clefs, les codes. Et nous prouve à nouveau combien nous devons nous garder de la paresse des idées reçues et images d’Épinal sur un pays que nous croyons connaître mais qui nous connaît mieux que nous ne le connaissons, dont il faut arpenter les rues et les marchés, sillonner les chemins et les rizières, traverser les fleuves et les montagnes si l’on veut réellement l’approcher et le découvrir, qui se voile et se dévoile tour à tour, mais qui accepte de se livrer, dans son mystère et sa beauté, quand il estime que nous sommes prêts à le comprendre et à l’aimer et qu’il nous donne soudain son amitié.

Merci à Nicolas Leymonerie de cet ouvrage, qui permet à chacun de se lancer sur ce chemin aussi beau qu’exigeant, de la rencontre avec un pays dont on ne se remet jamais tout à fait.

Nicolas WarneryAmbassadeur de France au Vietnam

FRISE CHRONOLOGIQUE

BONJOUR VIETNAM !

Il ne serait pas trop exagéré de considérer cette chanson écrite pour la chanteuse belge Quỳnh Anh, comme un second hymne national. Bonjour Vietnam, dans sa version originale ou dans ses versions anglaise (Hello Vietnam), vietnamienne (Xin Chào Việt Nam) ou instrumentale, s’entend depuis l’avion, jusqu’à l’hôtel en passant par les commerces, les restaurants et les taxis. La mélodie composée par le chanteur Marc Lavoine s’est progressivement imposée dans la culture musicale vietnamienne depuis son apparition dans le très populaire spectacle télévisé Paris by Night1suivi par des millions de Vietnamiens de par le monde.

Bonjour Vietnam évoque la complainte d’une jeune femme, descendante d’émigrés vietnamiens (Việt kiều en vietnamien), qui s’interroge sur son identité, sur ses lointaines racines, ce pays dont elle est originaire mais où elle n’est jamais encore allée et qu’elle ne connaît que par ce que l’imagerie populaire occidentale lui en a montré depuis sa plus tendre enfance : le vieil empire, la guerre américaine, les paysages, la baie de Hạ Long, les pagodes et les femmes cultivant le riz sous leur iconique chapeau conique. Tout ce que finalement le pékin moyen connaît au sujet de ce pays d’Asie du Sud-Est, étiré le long de la côte est de la péninsule indochinoise.

En tant que Français, on se rappelle avoir appris que le Việt Nam est un pays asiatique du tiers-monde autrefois englobé dans ce que la France considérait comme la perle de son empire, l’Indochine française. On a appris à jeter un regard honteux et amer sur cette période qui vit l’Hexagone perpétrer ce crime contre l’humanité, tel qu’on le considère de nos jours, qu’est la colonisation.

Se limiter à ces maigres connaissances serait de toute évidence réducteur et empêcherait de saisir la complexité de la civilisation vietnamienne dans sa profondeur historique et sa réalité la plus actuelle. Ce serait figer le Việt Nam dans une vision hollywoodienne éculée alors qu’il est en réalité bouillonnant de dynamisme et de désir d’« aller de l’avant » – « Tiến lên ! Cùng tiến lên ! » comme le répète l’hymne national. Bien connaître l’histoire du Việt Nam paraît bien nécessaire pour embrasser l’esprit de son peuple et tenter d’éviter deux écueils contradictoires manifestés par l’ignorance : se montrerexagérémentcompassionneletmisérabiliste, ou, à l’inverse, se montrer irrespectueux et arrogant.

***

> Les racines ancestrales

On pense que les peuplades qui occupaient la terre vietnamienne avant sa conquête par la Chine, des Mélano-Indonésiens, avaient la peau nettement plus sombre que les Vietnamiens actuels, les faisant ressembler davantage aux membres de certaines ethnies montagnardes, aux Khmers (Cambodgiens) ou même aux lointains Malgaches des hautes terres, qu’aux Chinois. Dans le berceau de la civilisation vietnamienne, la région de l’actuelle Hanoï, les habitants portaient tatouages et chapeaux à plumes, leur conférant une étonnante ressemblance avec les Amérindiens. Il n’existe que peu de traces historiques de l’ancien royaume qui y existait avant notre ère, hormis quelques écrits ultérieurs en langue chinoise. Ce que l’on en sait se mélange à des récits légendaires qui paraissent avoir été élaborés pour consolider l’union de deux ethnies, les Lạc Viêt et les Tây Âu.

La première nation Lạc Việt connue semble avoir été celle de Xích Quỷ, près de trois mille ans avant Jésus-Christ, dont le roi, Kinh Dương Vương, est considéré comme l’ancêtre de la dynastie Hồng Bàng (litt. « oiseau géant ») des dix-huit « rois braves » (Hùng Vương), pères fondateurs du Việt Nam. Ce roi eut comme successeur Lạc Long Quân (litt. « le seigneur dragon des Lạc »), maître du ciel et de l’océan. Il est dit que ce roi tua un monstre marin et un renard à neuf queues2 qui terrorisaient les habitants. Il épousa Âu Cơ, fée immortelle associée à l’élément du feu. De leur union résultèrent cent œufs ; seulement le feu et l’eau ne faisant bon ménage, ils décidèrent de se séparer en prenant chacun la moitié de leurs enfants. Cinquante partirent avec leur mère dans les montagnes du nord et les autres suivirent leur père dans les plaines du sud. L’aîné de ces enfants succéda à son père dans l’ordre dynastique.

En -2524, le royaume prit le nom de Văn Lang. Il aurait duré plus de deux mille ans jusqu’à ce qu’un chef de la tribu Tây Âu – les ancêtres des ethnies des régions montagneuses septentrionales : Tày, Nùng et Choang – défit le dernier roi Hùng et unifia les deux peuples sous le nouveau royaume d’Âu Lạc en prenant le nom d’An Dương Vương (litt. « Roi soleil pacificateur »).

***

> L’influence chinoise millénaire

Le nom du pays, Việt Nam, veut dire les « Viêts du Sud » en référence à l’« Empire du Milieu » (litt. Trung quốc, nom vietnamien de la Chine). Les Việt, ou Yuè en chinois, formaient une population qui se situait au sud-est et à l’est de la Chine actuelle, distincte du peuple Han majoritaire. Le royaume des Yuès méridionaux, qui englobait un territoire allant du Nord Việt Nam à la région de Canton et qui fut fondé en -204, s’appelait Nanyue, vietnamisé en Nam Việt. Ce royaume absorba celui d’Âu Lạc en -179. De ce mélange entre les populations autochtones et celles venant du sud de la Chine naîtra l’ethnie vietnamienne originelle appelée Kinh.

Le royaume du Nam Việt fut à son tour dominé par la dynastie Han, et le nord du Việt Nam devint en -111 une province chinoise sous le nom de Giao Chỉ. S’en suivit une période de soumission de près de mille ans entrecoupés de révoltes menant à de brèves libérations de la tutelle chinoise, comme notamment le soulèvement mené par les deux sœurs Trung (Hai Bà Trưng) en 40, celui de Triệu Thị Trinh (connue sous le nom de Bà Triệu) en 248 et celui de Lý Nam Đế en 544. Le peuple vietnamien d’alors fut ainsi forcé à la sinisation jusqu’à une ère plus durable d’indépendance initiée par Ngô Quyền en 938 après sa victoire sur les Hans à la fameuse bataille de la rivière Bạch Đẳng. Le pays libéré fut nommé Đại Cồ Việt, puis Đại Việt (le « Grand Việt »).

***

> Marche vers le sud et tortue légendaire

Dans les premiers siècles de notre ère, tout le centre et le sud de la péninsule indochinoise étaient dominés par un empire khmer de culture hindouiste, Funan. À l’est de cet empire, dans une région côtière allant approximativement de la ville moderne de Đồng Hới à celle de Phan Thiết3, se trouvait le royaume du Champa dont le peuple, issu de l’Indonésie, pratiquait également l’hindouisme. Ce royaume fonda notamment les cités précurseurs des villes de Đà Nẵng, Qui Nhơn et Nha Trang, respectivement sous les noms de Indrapura, Vijaya et Kauthara.

Les Việt étant pris en étau entre le royaume cham au sud et la Chine au nord, ne pouvaient être en paix depuis leur indépendance. En 1069, le Đại Việt entreprit donc sa marche vers le sud (nam tiến) qui fut en fait la conquête et l’assimilation totale des Chams puis des Khmers jusque dans la région du delta du Mékong. Cette colonisation du sud par les Việt vit son aboutissement au milieu du XIXe siècle, ajoutant de nouvelles couches culturelles à ce peuple.

Pendant ces huit siècles de formation, le Đại Việt dut faire face à d’autres défis à la fois intérieurs (les conflits entre seigneurs, les révoltes paysannes) comme extérieurs (les reprises de contrôle par la Chine, les attaques mongoles). À ce sujet, il faut évoquer la figure importante de Lê Lợi qui, selon la légende, aurait reçu une épée repêchée qui lui aurait permis de pourfendre les envahisseurs chinois de la dynastie Ming ayant fait main basse sur le pays. Victorieux, Lê Lợi devint empereur du Đại Việt sous le nom de Lê Thái Tổ. Alors qu’il était sur un lac de l’ancienne Hà Nội, une tortue dorée vint lui réclamer l’épée pour la rendre au Seigneur Dragon. En mémoire de cela, ce lac prit le nom de « Lac de l’épée restituée » (Hồ Hoàn Kiếm) et une Tour de la Tortue4 y fut érigée sur un îlot. De temps à autre, une tortue géante à carapace molle y faisait son apparition. En 1967, une telle tortue a été retrouvée morte dans le lac puis entreposée naturalisée dans un temple dédié. Depuis, une autre avait été aperçue mais son existence restait incertaine jusqu’à ce qu’elle soit officiellement découverte, puis soignée avant de mourir en 2016, la dernière de son espèce selon les Vietnamiens.

***

> L’histoire méconnue des relations franco-vietnamiennes avant la période coloniale

Dès le XVIe siècle, des missionnaires chrétiens débarquèrent à Faïfo (ancienne Hội An) pour évangéliser le Việt Nam d’alors. Des jésuites européens suivirent, leur premier établissement ayant été fondé près de Qui Nhơn en 1618 par des prêtres portugais et italiens. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute le français Alexandre de Rhodes (A-lịch-sơn Đắc Lộ), en mission dans le pays dès 1624 et considéré comme le père de l’écriture vietnamienne moderne, le Chữ Quốc ngữ5, mais qui dut quitter le pays dans un climat de persécutions antichrétiennes en 1645.

À cette époque, le Đại Việt était coupé en deux, avec les seigneurs Trịnh au Nord, régnant au nom de la dynastie Lê, et les seigneurs rebelles Nguyễn au Sud, sur les anciennes terres du royaume Champa dont il ne restait que la partie méridionale (autour des villes actuelles de Nha Trang et Phan Rang). Dans ce royaume divisé, les mandarins et autres notables accaparaient les terres cultivables pour leur profit, causant la misère des paysans déjà assommés d’imposition sur leur production. Dans ce contexte, un mouvement social d’émancipation vis-à-vis de l’emprise féodale naquit en 1771 dans le village de Tây Sơn. Il ne nous paraît pas hasardeux que ce village se trouvât à proximité de la première mission jésuite susmentionnée : l’idéal de société égalitaire du christianisme, ayant déjà alimenté les prémisses du communisme en Europe, entrait en contradiction avec l’ordre confucéen sur lequel s’appuyaient les seigneurs féodaux et l’aspect fataliste du karma bouddhiste. Trois frères menaient cette insurrection qui visa en premier lieu à défaire le pouvoir des seigneurs Nguyễn en s’appuyant sur les Trịnh. Ils assassinèrent ainsi la quasi-totalité de la famille souveraine du sud, avant de s’attaquer à leurs alliés de circonstance, qui étaient soutenus par la Chine, en prenant la capitale du Nord, Thăng Long (ancienne Hà Nội), en 1789.

Seulement, un prince de la maison Nguyễn, Nguyễn Ánh, avait survécu à l’extermination des siens et s’était réfugié plus au sud, sur l’île de Phú Quốc, pour mener une contre-révolte. Il parvint à reprendre Gia Định (ex-Saïgon) avec l’aide de quelques mercenaires français et portugais, mais en fut rapidement chassé. Battu et acculé, il demanda le soutien du Siam (ancienne Thaïlande) qui lui apporta une armée de plus vingt mille soldats en 1784 dont, dit-on, seulement le dixième parvint à s’enfuir suite à l’écrasante victoire des Tây Sơn. C’est dans ce contexte de guerre civile et de tensions pour la suprématie sur l’ensemble du territoire qu’entra en scène un personnage dont l’impact sur l’histoire du Việt Nam est inversement proportionnel à sa renommée actuelle.

Nguyễn Ánh s’était auparavant lié d’amitié avec l’évêque d’Adran, Pierre Pigneau de Béhaine (Bá Đa Lộc), qui le cacha dans un séminaire près de Gia Định alors qu’il était traqué par ses ennemis. Voyant les défaites successives du prince, l’évêque lui suggéra de faire appel au royaume de France. Ánh accepta, fit de l’évêque un ministre plénipotentiaire et lui confia son jeune fils, le prince héritier Nguyễn Phúc Cảnh6. Ayant obtenu audience auprès du roi Louis XVI en 1787, Pigneau conclut un accord pour fournir à Ánh une aide militaire afin qu’il puisse reprendre le pouvoir, en contrepartie de quoi, la France7 eût obtenu l’exclusivité commerciale avec le Đại Việt, le port de Tourane (ex-Đà Nẵng) et l’île de Poulo Condor. L’évêque repartit de suite pour l’Inde avec l’accord en main, mais se vit opposer une fin de non-recevoir par le comte Thomas Comway, gouverneur général des établissements français aux Indes, chargé d’en exécuter les dispositions. En effet, la France était déjà au bord de l’implosion révolutionnaire et le comte d’origine irlandaise entrevoyait une politique de « terre brûlée » vis-à-vis du nouveau pouvoir naissant.

Pigneau prit sur lui de faire respecter cet accord en mobilisant sa fortune personnelle, ainsi qu’en appelant à des donations de la part des croyants – les Tây Sơn représentant une menace pour la communauté religieuse au Đại Việt. Il fit également appel à des marins volontaires (près de 370 dont 20 officiers) et acheta des armes. La France, en pleins troubles, ne put livrer que mille fusils et une tonne de poudre à canon, ainsi que quelques cadeaux8 à Nguyễn Ánh. Mais surtout, le prince pouvait désormais s’appuyer sur le réseau de l’évêque d’Adran et plusieurs centaines de milliers de catholiques vietnamiens présents du nord au sud, prêts à défendre leur foi face aux persécutions. Le père spirituel du prince devint de fait son conseiller tant sur le plan du gouvernement que sur le plan militaire.

Entre-temps, le plus victorieux des chefs Tây Sơn se fit proclamer roi sous le nom de Quang Trung mais mourut peu de temps après en 1792, signal pour l’assaut final de Nguyễn Ánh. Dès 1794, Pigneau participa directement aux campagnes. Il s’entoura de différents hommes de valeur tels que les Dayot, Chaigneau, Vannier, de Puymanel, qui formèrent les soldats du prince, enseignèrent les stratégies de guerre et firent construire des navires et des citadelles9 dans le style de Vauban. Pigneau ne vit pas le fruit de ses efforts, mourant de dysenterie en 1799 pendant le siège de la ville de Qui Nhơn, ancienne capitale du mouvement Tây Sơn. Mouvement alors affaibli car, bien que d’extraction populaire, les successeurs de Quang Trung reprirent les mauvaises habitudes féodales et s’aliénèrent à leur tour le petit peuple. Quelques années plus tard, en 1802, Nguyễn Ánh parvint à unifier le pays qu’il appela Việt Nam. Il marqua cette prouesse par son nom impérial formé à partir des noms des capitales du Sud et du Nord : Gia Long. Ainsi débuta la dernière dynastie d’empereurs vietnamiens, les Nguyễn. L’empereur avait conservé quelques Français dans sa cour – parmi lesquels son médecin particulier, un monsieur Despiaux – dont certains avaient été faits mandarins.

Marchant sur les pas d’un Richelieu ou d’un Mazarin, toute proportion gardée, on peut considérer que Pigneau de Béhaine a influencé l’avènement du Việt Nam moderne par son rôle prépondérant auprès de Gia Long. Il fut aussi déterminant dans l’évolution de l’écriture latine du vietnamien, perfectionnant le dictionnaire d’Alexandre de Rhodes10. Le nouvel empereur, conscient de ce qu’il lui devait et en raison de l’affection qu’il lui portait personnellement, le nomma « Père du royaume » et lui fit ériger un mausolée11 digne d’un grand dignitaire vietnamien.

Toutefois, si sa reconnaissance allait tout entière à l’évêque d’Adran, une fois mort, l’ardoise semblait épongée. Gia Long et, surtout, ses successeurs, Minh Mạng, Thiệu Trị et Tự Đức, minimisèrent l’aide de la France qui n’avait pas pu remplir sa part de l’engagement. Ils expulsèrent les mandarins français et commencèrent à mener des vagues de persécution de chrétiens, encourageant jusqu’à leur extermination totale, comme ce fut le cas dans d’autres pays confucéens (Japon, Chine et Corée). Il faut dire que les chrétiens avaient prouvé que, proches des plus pauvres, ils pouvaient influencer les masses et déstabiliser, voire faire renverser, un pouvoir. Ce qui fut utile à l’intronisation des Nguyễn, se transforma en menace contre l’ordre confucéen qui permettait de maintenir l’État féodal, et donc contre eux-mêmes.

***

> L’origine de l’Indochine française

Ces chrétiens martyrisés, vietnamiens mais aussi français et espagnols, choquèrent l’Europe catholique, et en particulier l’impératrice Eugénie12, femme de l’empereur français Napoléon III. En 1857, Charles de Montigny, envoyé par la France, demanda à l’empereur Tự Đức de permettre l’établissement d’un consulat en Annam, nom donné alors au pays, la liberté de commerce et d’évangélisation, et de faire cesser les exécutions de chrétiens. Refus catégorique de l’empereur vietnamien. Napoléon III décida alors de le forcer à accepter ces conditions en assiégeant Tourane avec le soutien de l’Espagne. Ce fut un échec qui, loin de la décourager, amena la France en 1860, à la fin de la guerre de l’opium en Chine où elle s’était engagée, à mobiliser davantage de troupes pour prendre avec succès la Cochinchine13 – zone alors peu peuplée car colonisée par les Vietnamiens depuis seulement un siècle. L’empereur Tự Đức se résigna à signer un traité qui permit aux Français d’annexer une partie de ce territoire méridional, trois ports dont Tourane, et l’île de Poulo Condor, en plus d’avantages commerciaux accordés à la France et à l’Espagne. C’est-à-dire, l’application de l’accord conclu du temps de Louis XVI au nom de l’empereur Nguyễn Ánh et bien plus encore.

Ainsi débuta la colonisation progressive de l’Indochine par la France, dont il est important de comprendre le contexte géopolitique. Au XVIIIe siècle, l’Angleterre s’était rendue maîtresse de l’Inde en en chassant la France, seul pays alors capable de rivaliser avec elle. Les deux empires cherchaient à la fois à s’étendre pour gagner en puissance tout en empêchant l’autre de faire de même. Or les Anglais, puis les Américains (empire alors naissant) avaient tenté en vain d’obtenir des concessions commerciales de la part du Việt Nam dès le début du XIXe siècle. Quant à la Chine, affaiblie par la guerre perdue contre les Occidentaux, elle avait conservé un rapport de suzeraineté avec le Việt Nam – chaque nouvel empereur vietnamien étant investi par l’empereur chinois et devant verser un tribut à celui-ci. Ainsi, voulant conserver jalousement ce qu’elle considérait comme son pré-carré, elle affronta la France au Tonkin de 1881 à 188514. Le Japon, autre acteur important, chercha également à dominer l’Extrême-Orient. L’étau se resserrait donc sur un Việt Nam, continuellement en proie aux troubles sociaux, dont la perte d’indépendance semblait inéluctable.

Si le motif de la protection des chrétiens a été mis en avant pour justifier l’intervention française initiale, il fut prolongé par des appétits marchands. C’est la volonté d’accéder au gigantesque marché chinois qui mena des Français opportunistes à vouloir un libre droit de navigation sur le Fleuve Rouge qui leur était refusé. De ce désaccord découla la prise du Tonkin. Puis les milieux affairistes et financiers, au nom des valeurs humanistes des Lumières, et avec l’appui politique de la gauche républicaine15, poussèrent la France à investir dans la colonisation de l’Indochine. Il s’agissait alors « d’apporter la civilisation » et de briser le joug féodal qui pesait sur le peuple vietnamien. Or, bien évidemment, les empereurs successifs et leurs mandarins étaient réticents à collaborer avec un occupant qui leur retirait progressivement leurs privilèges. C’est ainsi que la France dut faire appel à de coûteux fonctionnaires de la métropole pour administrer la colonie. Un poids financier qui pesa d’abord sur les impôts des Français, peu favorables à l’entreprise, puis sur des Vietnamiens que l’on enrôlait dans la construction des infrastructures et la production des ressources les plus rentables (riz, minerais, caoutchouc) afin d’amortir les dépenses. Les dettes accumulées étaient justifiées par un futur jugé plus rentable par les promoteurs de la conquête ; il fallait donc rassurer les investisseurs et les contribuables. Ce qui se traduisit dans les faits par plus d’exploitation de main-d’œuvre à bas coût sous la férule des caïs (contremaîtres réputés brutaux) et donc en une colère paysanne et ouvrière grandissante qui fut violemment réprimée16 en entraînant de nouvelles dépenses militaires venant alimenter d’autant ce cercle vicieux.

Un point de vue manichéen et essentialiste de la colonisation serait trompeur, il ne s’agissait pas d’un peuple français belliqueux et colonisateur venu assujettir un peuple vietnamien paisible et joyeux. La colonisation ne profita qu’à un petit nombre d’organisations et réseaux, à certains colons fonctionnaires devenus d’autant plus arrogants que, modestes à la métropole, ils vivaient comme des pachas en Indochine, mieux payés que certains Vietnamiens, pourtant plus qualifiés à leur retour de formation en France, qui en nourrissaient une rancœur qui se manifesta par un irrépressible désir d’indépendance. Paradoxalement, ce que la France avait le mieux réussi à travers sa conquête de l’Indochine, outre le fait d’y avoir rapidement bâti un État moderne17, c’est de transmettre ses propres valeurs de liberté, d’égalité entre les citoyens, de révolte contre la tyrannie et l’oppression… la volonté et les moyens de mettre à bas sa propre domination ainsi que la tutelle chinoise millénaire.

L’histoire de la fin de l’Indochine française, accélérée par la défaite française de 1940 lors de la Seconde Guerre mondiale et l’invasion japonaise, est bien connue ainsi que son prolongement tragique jusqu’à une paix durable obtenue au bout de cinquante années. Rappelons toutefois que les colons français étaient relativement peu nombreux18 ; que les pays impliqués dans le sort du Việt Nam ont souvent joué double-jeu ; que suite à la capitulation japonaise, l’armée chinoise avait pris position au Việt Nam et la France ne put l’en déloger qu’après lui avoir rendu son « Hong Kong » (le territoire de Kouang-Tchéou-Wan, ou Fort-Bayard) ; que les États-Unis poussèrent au conflit une France réticente19 au nom de la lutte anticommuniste jusqu’à la victoire du Việt Minh à Điện Biên Phủ en 1954 ; que les Américains et les Chinois s’étaient dans le même temps entendus lors des accords de Genève sur une partition nord-sud du pays afin, de toute évidence, de préparer leur hégémonie sur chacune de ces parties, sur le modèle ce qui fut fait en Corée dans la même période ; qu’il avait fallu le fidèle soutien de l’Union soviétique pour que ce projet, qui aurait été une nouvelle mise sous tutelle d’un Việt Nam morcelé, soit enterré par la difficile réunification de 1975. Soutien qui dura jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique lors duquel le Việt Nam fut contraint à une réforme politique profonde pour sortir d’une situation qui devenait délétère et s’orienter davantage vers une économie de marché ouverte à l’international : le Đổi mới (litt. « renouvellement »).

De cette histoire millénaire, il nous paraît que le très rural Việt Nam, qui au début du XXe siècle avait encore une population à 90 % paysanne, ne pouvait s’assurer une stabilité pérenne, qu’elle n’avait quasiment jamais connue de son histoire faite de récurrentes jacqueries, qu’en s’appuyant sur un pouvoir souverain qui se revendique du petit peuple laborieux. Le président Hồ Chí Minh avait probablement constaté que ce serait la meilleure voie pour assurer l’indépendance du pays et la cohésion nationale.

***

> Les Français de l’Asie ?

Un jour, nous aperçûmes des expatriés de nos connaissances attablés à un petit restaurant de bánh căn dans une ruelle tortueuse de la ville de Đà Lạt. Nous nous sommes permis de les interrompre dans leurs échanges pour les saluer. Il y avait là un couple de Français, une Allemande et une Australienne. Ces dernières, ayant sillonné le globe d’un bout à l’autre leur vie durant, déclaraient en substance : « Vous, les Français, vous n’en avez pas conscience, mais les Vietnamiens sont comme vous. » Il est vrai que l’on voit davantage ce qui nous différencie de l’autre que ce qui nous en rapproche. Et il est vrai que l’on peut s’aventurer non sans succès, à chercher des similarités entre la France et le Việt Nam qui auraient pu forger un caractère semblable.

Tout d’abord, d’un point de vue de la langue, la syntaxe et les innombrables emprunts à l’un et, surtout, à l’autre, font que le vietnamien et le français ne sont relativement pas si différents, considérant tout ce qui les sépare ontologiquement par ailleurs. Le lecteur en trouvera un témoignage satisfaisant dans le chapitre suivant. Mais, se peut-il que des racines lexicales, provenant de dialectes aussi anciens que le sanskrit, aient cheminé dans les langues françaises et vietnamiennes20 ? C’est ce que nous suggèrent les mots gà (litt. « poule », à rapprocher de « gallinacé »), bò (litt. « bœuf », à rapprocher de « bovin ») et ma (litt. « spectre », à rapprocher de cauchemar, dont le « mar » veut dire « fantôme », et du sanskrit « māra » de sens proche). Aussi, le Việt Nam fut familiarisé à la culture occidentale en général et française en particulier par la diffusion d’œuvres littéraires traduites en langue vietnamienne dès la fin du XIXe siècle. Ce fut notamment le sens de l’action de Nguyễn Văn Vĩnh, journaliste et écrivain qui fit traduire des auteurs tels que La Fontaine, Molière et Balzac. C’est ainsi que dans le langage populaire, l’on trouve des expressions telles que « yêu râu xanh » (litt. « un être maléfique à barbe bleue ») qualifiant un homme obscène et agressif en référence à un conte de Charles Perrault.

Au demeurant, quelques coïncidences étonnantes pourraient avoir contribué à modeler pareillement les âmes françaises et vietnamiennes.

Tout d’abord, le Việt Nam et la France ont tous deux un long littoral et leurs frontières terrestres sont majoritairement délimitées par des chaînes de montagnes.

Les deux pays ont été dominés par un grand empire, chinois pour l’un, romain pour l’autre, qui a imposé sa civilisation, son administration, sa langue et son système d’écriture.

Les deux pays portent le nom d’un peuple conquérant venant du nord-est de leur territoire, les Việt pour l’un, les Francs pour l’autre, qui assimila le reste de la population du nord au sud.

Les deux pays ont une dynastie de rois fondateurs dont l’histoire est mêlée de légendes, le roi-dragon Lạc Long Quân et Mérovée étant tous deux des semi-divinités issues de la mer.

Les deux pays ont dans leur histoire une épée légendaire utilisée contre un envahisseur, l’épée Thuận Thiên (litt. « faveur céleste ») de Lê Lợi et Durandal de Roland, donnée par un ange et jetée dans un lac par Charlemagne (selon certaines sources). Épée vietnamienne évoquant aussi la bretonne, et également lacustre, Excalibur.

Les deux pays ont eu une jeune femme guerrière les libérant de l’emprise d’un pays étranger, en la personne de Triệu Thị Trinh et de Jeanne d’Arc, mourant chacune tragiquement au cours de leur épopée.

Les deux pays ont infligé une lourde défaite aux armées mongoles. Pour le Việt Nam ce fut sur la rivière Bạch Đằng au XIIIe siècle et pour la France, aux champs Catalauniques au Vème siècle.

Les deux pays sont marqués par une grande révolte populaire qui atteignit leur capitale en 1789 et contribua à mettre fin au pouvoir monarchique alors en place.

Les deux pays furent partagés en deux zones nord et sud au milieu du XXe siècle et parvinrent à se réunifier.

France et Việt Nam sont ainsi prédisposés à se comprendre et de nos jours, il reste palpable que les deux peuples ont des liens très forts au-delà du contentieux historique. Nous pouvons faire remonter la cause de cet abcès – qui n’est pas encore totalement cicatrisé – à la Révolution française de 1789 qui a établi les conditions de la fuite en avant coloniale. En effet, si Louis XVI avait su ou pu rétablir la situation chaotique dans laquelle la France était alors plongée, Conway n’aurait probablement pas refusé son soutien à l’évêque d’Adran ; l’aide française à la victoire de Nguyễn Ánh aurait été ainsi sans équivoque et la France aurait obtenu des comptoirs commerciaux comme convenu. Car il n’est que dans les contes de fées qu’un État aide militairement un prince à monter sur le trône sans une compensation à la mesure des coûts engendrés ; or le Việt Nam avait fermé la porte à la France pendant un demi-siècle suite à l’avènement de la dynastie Nguyễn. De cette équivoque naquirent deux points de vue radicalement opposés : pour la France – qui avait connu plusieurs restaurations monarchiques et en était alors au Second Empire – Pigneau de Béhaine et ses compagnons exécutaient la volonté du roi défunt et par là, de la nation entière ; pour le Việt Nam, la France n’avait apporté qu’un soutien dérisoire, le reste étant de l’ordre de l’initiative individuelle et amicale, mais le mérite revient surtout à Nguyễn Ánh et au peuple qui s’était rangé soudainement à ses côtés alors que les Tây Sơn étaient en position de faiblesse.

Aussi, loin d’une simple vision binaire, Français et Vietnamiens, en plus de s’être mêlés21, se sont souvent battus côte à côte, que ce soit contre la dynastie Tây Sơn, contre la Chine et ses « Pavillons noirs », contre la Triple-Alliance lors de la Grande Guerre22, contre le fascisme et le Japon impérial, et même pour et contre le pouvoir colonial. Parmi les figures célèbres que l’on pourrait qualifier de consensuelles, il y a les empereurs indépendantistes Hàm Nghi et Duy Tân