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Cette complilation ThéoTeX réunit une série de conférences données par Frédéric Godet en 1868, pour répondre aux attaques du libéralisme protestant. Les arguments gardent toute leur puissance, et le style son mordant. L'importance des questions traitées, comme celles du surnaturel, des miracles de Jésus-Christ, de sa résurrection, reste la même, quelle que soit l'époque.
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Seitenzahl: 452
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322472772
Auteur Frédéric Godet. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Début décembre 1868, Ferdinand Buisson, professeur de philosophie et de littérature française à Neuchâtel, fervent partisan du protestantisme libéral, initiait une polémique publique à l'encontre des croyances chrétiennes orthodoxes, par une conférence intitulée : Une réforme urgente dans l'enseignement primaire. C'était en réalité une attaque violente du caractère moral de l'Ancien Testament, et un plaidoyer pour faire supprimer l'histoire sainte du programme des écoles. Frédéric Godet répondit cinq jours plus tard par une conférence publique : La sainteté de l'Ancien Testament. Cette première joute oratoire allait être suivie par plusieurs autres, dans lesquelles le libéralisme dut faire appel à ses principaux chefs de file : Coquerel, Pécaut, Colani, Réville… Ces controverses se poursuivirent jusqu'au milieu de l'année 1869. La défense organisée par Frédéric Godet, dans une série de conférences, fut particulièrement remarquable, et de l'opinion générale, victorieuse des attaquants. Publiés tout d'abord en livrets, ces textes furent ensuite réunis en un volume, puis traduits en diverses langues. Aujourd'hui encore les Conférences apologétiques seront lues avec enthousiasme par les amoureux de la Vérité, parce que leur auteur les a écrites avec cette vision si lumineuse et cette science si sûre, qui lui ont été données en partage. Quant aux discours de ceux qui prétendaient contester avec la Parole de l'Éternel, il n'en reste rien… comme la paille que le vent dissipe…
Je publie cette réponse sous la forme sous laquelle je l'ai prononcée dans la séance du 10 décembre, tenue au Gymnase. Je n'en retranche absolument rien ; j'y ajoute seulement l'examen de quelques points secondaires dont je ne m'étais pas occupé, afin d'éviter les longueurs. Pour rédiger cette réponse, je n'avais point encore le texte du discours prononcé par M. le professeur Buisson, dans la séance de la Société d'Utilité publique du 5 décembre. Je ne possédais que des notes détaillées, rédigées par plusieurs auditeurs qui avaient assisté à cette séance publique, et le compte-rendu publié dans le National Suisse du 8 décembrea.
J'étais donc sûr du fond et de l'esprit, sinon des expressions.
On me reproche d'avoir répondu à M. Buisson par des personnalités. La première phrase de ma réponse a surtout été incriminée. Qu'exprime-t-elle ? Un sentiment de satisfaction et de reconnaissance de ce que la première fois que les idées émises, qui ont profondément froissé le sentiment public, ont été énoncées chez nous, elles ne l'ont pas été par une bouche neuchâteloise. Ce sentiment, je le confirme, il n'est accompagné d'aucune pensée blessante pour une nationalité quelconque. Le terme de frivolité française que l'on m'impute n'a point passé sur mes lèvres. L'expression de jeune imprudent, que l'on m'a aussi reprochée, se trouve dans une comparaison. Enfin, le terme de pédant, dans une citation de Gœthe, je n'ai pas songé un instant à l'appliquer à l'honorable auteur du discours auquel je répondais.
C'est à cela que se réduisent les prétendues personnalités qui me sont reprochées. Que le public juge, et qu'il compare avec la manière dont s'expriment sur mon compte les correspondances neuchâteloises du National Suisse et du Rationalisteb. Si le sentiment d'indignation que j'ai éprouvé en voyant étudié d'une manière si incomplète et traité avec un tel manque de respect le livre auquel l'humanité doit jusqu'à la notion de la sainteté, s'est trahi une ou deux fois dans ma réponse, je ne m'en excuse pas. Je rougirais même s'il en était autrement.
Du reste j'ai, autant qu'il m'a été possible, cherché à rendre justice aux sentiments de mon adversaire, et constaté avec empressement le terrain commun qui subsiste entre nous.
Ma réponse est incomplète, je le sais. Deux questions demandent encore à être traitées : celle de la vérité et de la divinité de l'Ancien Testament, à laquelle se rattache celle du surnaturel dans ce livre et la question de son emploi dans l'éducation de l'enfance. Mais il m'était impossible de tout embrasser d'un soir.
Comme je l'ai dit à la Chaux-de-Fonds et au Locle : « La question de la sainteté de l'Ancien Testament n'est pas tout l'objet de la discussion mais elle en forme le point de départ. Si nous, les défenseurs de ce livre, avons tort sur ce point, nous sommes d'avance condamnés sur les autres. Un livre qui ne serait pas saint ne saurait être un livre divin ; et si la Bible n'est pas le livre de Dieu, elle n'est pas vraie ; car elle dit qu'elle l'est. Et dans ce cas, l'usage pédagogique tout spécial que nous en avons fait jusqu'ici tombe de lui-même. Si, au contraire, elle possède réellement le caractère de sainteté que la conscience chrétienne lui a attribué jusqu'ici, on peut commencer à discuter avec espoir d'aboutir sur toutes les autres questions. »
C'est donc uniquement une base de discussion que j'ai voulu poser.
Le Rationaliste, dans le numéro cité, résume ainsi la Conférence de M. Buisson :
Il a commencé par constater que dans l'Ancien Testament, on rencontre :
Il y a ici, on en conviendra, quelque chose de plus grave que la simple question pédagogique annoncée par M. Buisson : « Une réforme urgente dans l'enseignement primaire. » Il y a une question de vie ou de mort pour l'Eglise chrétienne. Le jour où l'Eglise se taira devant de telles assertions, elle aura cessé d'exister. C'est dans cette conviction calme et profondément sérieuse que j'ai parlé et que j'ai été écouté. Qu'il me soit permis de remercier bien particulièrement le public des Montagnes, auprès duquel j'avais été recommandé comme l'on sait, de la dignité et de l'esprit d'impartialité dont il a fait preuve à mon égard. J'en suis profondément reconnaissant.
Neuchâtel le 4 janvier 1869.
Messieurs,
Ce n'est ni la divinité ni la vérité de l'Ancien Testament que je viens défendre devant vous ; c'est sa sainteté, attaquée récemment au milieu de nous avec une frivolité qui heureusement n'a rien d'indigène.
Il y a deux questions dans le sujet qu'a traité samedi dernier M. le professeur Buisson : l'une pédagogique, celle de savoir s'il convient de mettre le volume tout entier de l'Ancien Testament entre les mains des enfants. Sur ce point, je crois que des hommes également religieux et moraux peuvent différer d'opinion. Le respect de ce livre n'est point en cause dans cette question. Car l'Ancien, Testament n'a pas été composé comme livre d'instruction religieuse élémentaire. C'est la grande histoire nationale du peuple d'Israël ; c'est le document de son droit public, son code civil et criminel ; c'est même sa philosophie. Aucun historien, juriste ou philosophe ne s'est jamais imposé l'obligation de rédiger ses écrits de telle sorte qu'ils pussent être placés tels quels entre les mains de la jeunesse. Je réserve donc ce côté de la question, qui sera repris ailleurs ; et si l'orateur qui a parlé samedi dernier, après une étude sérieuse de l'Ancien Testament à ce point de vue, avait été conduit à déclarer qu'il croit nuisible de le placer entre les mains des enfants, je me serais senti obligé de peser avec soin ses raisons, mais nullement, je pense, de les combattre publiquement.
Mais la question pédagogique s'est transformée, entre les mains de M. Buisson, en une question religieuse de la plus haute importance. Il a motivé la réforme qu'il demande dans notre enseignement primaire, l'exclusion de l'Ancien Testament de nos leçons de religion, par le caractère immoral et l'influence nuisible de ce livre. Et ici, Messieurs, que je vous rappelle en passant que l'Ancien Testament ne figure nullement dans nos programmes scolaires comme tels.
Tout Neuchâtelois sait que l'enseignement religieux est entièrement séparé de l'école, se donne dans des heures à part, au nom de l'Eglise uniquement et sous la direction des Colloques et du Synode ; que ceux-là seuls enfin d'entre les parents qui adhèrent librement aux formes de notre culte, y envoient leurs enfants ; de sorte que ceux qui ont rompu avec notre Eglise n'ont pas plus de raison de lui adresser des observations publiques sur ce point, que je n'en aurais, moi, d'adresser publiquement des remontrances à la Synagogue aux sujets des livres qu'elle emploie dans l'instruction religieuse de ses enfants. Cependant, M. Buisson a cru devoir faire part au public neuchâtelois de ses idées sur ce point, et c'est à cette occasion qu'il a signalé l'Ancien Testament comme un livre religieusement, moralement et intellectuellement malsain.
Voilà la grave question que je viens traiter devant vous, Messieurs, particulièrement sous le rapport qui me paraît le plus décisif : l'esprit religieux et moral du livre incriminé. Je ne cherche point à exciter votre indignation. Je m'efforcerai seulement de faire passer ce que vous éprouvez instinctivement de votre sentiment dans votre intelligence. Deux choses me réjouissent dans cette discussion. La première, c'est que votre attention soit si énergiquement appelée sur nos Livres saints. La foi s'endort, quand elle n'est pas secouée. La seconde, c'est qu'entre nous et nos adversaires, il reste pourtant un terrain commun : c'est au nom du sens moral inné, au nom de la notion du Dieu vrai, que l'on proteste contre l'esprit de l'Ancien Testament. J'accepte en plein, pour mon compte, la compétence de ce tribunal qui s'appelle la religion et la conscience naturelles ; et c'est justement au nom de ce sens inné du divin et du non divin, du juste et de l'injuste, que nous portons tous en nous-mêmes, que je viens plaider : non coupable ; que dis-je : saint, trois fois saint !
Trois points nous occuperont ; et je pense que dans ce cadre rentrent tous les griefs élevés antérieurement ou présentement contre le caractère religieux et moral de l'Ancien Testament :
En d'autres termes : Dieu en lui-même, Dieu dans sa loi, Dieu dans l'histoire de son peuple ; voilà mon client, Messieurs. Ce n'est pas ma faute, si j'ai à le défendre devant vous. Il me semble être dans la position d'un fils qui plaide pour revendiquer l'honneur de sa mère.
Vous me pardonnerez s'il me faut plus de temps pour défendre qu'il n'en a fallu pour attaquer. Il ne faut qu'un instant pour briser des vitres ; il faut plus de temps pour les remettre. Un jeune imprudent, une longue perche à la main, se promène dans une salle remplie de vases antiques : il aura vite fait force débris ; que d'heures ne faudra-t-il pas pour restaurer ces monuments précieux !
Par sainteté, j'entends aujourd'hui simplement l'horreur du mal, l'amour inaltérable du bien, horreur qui n'est pas oisive, mais qui travaille à détruire le mal ; amour qui ne dort pas, mais qui tend incessamment à la réalisation du bien parfait.
Je demande donc en premier lieu si, mesuré à cette mesure, le Dieu que nous dépeint l'Ancien Testament n'est pas un être saint.
Cherchez, Messieurs, à évoquer dans votre conscience cette vivante figure dont je vais vous rappeler les principaux traits dispersés dans l'Ancien Testament.
C'est Jéhovah, mot qui signifie Celui dont l'essence est d'exister. Tous les êtres ont pour essence le néant. Lui, il est, non parce qu'un autre être le fait être ; il est, parce qu'il est. Cette idée sublime, dont Dieu donne lui-même la formule à Moïse, en lui disant : Je suis Celui qui suis, cette idée que, onze siècles plus tard, la Grèce commença à peine à entrevoir dans un vague loin tain par l'œil de deux ou trois de ses sages d'élite, Anaxagore, Socrate, mais à laquelle ces penseurs eux-mêmes ne parvinrent jamais, dès le temps de Moïse, quinze siècles avant Jésus-Christ, elle se trouve être non la propriété d'un sage israélite, mais la base de la législation et de la vie du peuple entier.
Ce Jéhovah, qui est et reste au-dessus du monde par son incommunicable essence, il est dans le monde par sa toute-puissance et sa toute-science. « Qui est-ce qui dit que cela a été fait, et que l'Eternel ne l'a point commandé ? c » « Où irai-je loin de ton Esprit ? Où fuirai-je loin de ta face ? Si je monte aux cieux, tu y es ; si je descend au sépulcre, t'y voilà ; si je dis : Les ténèbres me couvriront, la nuit même deviendra lumière tout autour de moi !d »
Entre ses qualités morales, il en est deux surtout qui le caractérisent. La première, c'est la sainteté, l'horreur du mal, qui le sépare profondément de toutes les créatures, chez lesquelles le mal est ou réel ou seulement possible. « L'année de la mort du roi Hosias, je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple ; les séraphins se tenaient debout devant lui. Chacun d'eux avaient six ailes ; de deux ils couvraient leur face ; et de deux ils couvraient leurs pieds ; et de deux ils volaient. Et ils se parlaient l'un à l'autre en disant : Saint, saint, saint, est l'Eternel, le Dieu des armées ; toute la terre est remplie de sa gloire ! Et les poteaux des seuils furent ébranlés par la voix de celui qui criait ; et la maison fut remplie de fumée. Alors je dis (c'est le prophète Esaïe qui parle) : Hélas ! c'en est fait de moi ; car je suis un être aux lèvres souillées, et qui habite au milieu d'un peuple aux lèvres souillées ; et voici, mes yeux ont vu le roi, l'Eternel des armées ! Mais l'un des séraphins vola vers moi, et ayant pris un charbon ardent sur l'autel, il en toucha ma bouche et me dit : Voici, ceci a touché tes lèvres ; c'est pourquoi ton iniquité est ôtée, et la propitiation est faite pour ton péché ! e »
Cette sainteté de Dieu, en présence de laquelle les créatures les plus pures se voilent la face, creuserait un abîme entre lui et l'univers, s'il ne possédait un autre attribut, qui forme comme le trait d'union entre lui et les êtres créés : l'amour, l'amour de compassion, de sollicitude, de tendresse même. « La femme peut-elle oublier l'enfant qu'elle allaite, en sorte qu'elle n'ait plus compassion du fils de son sein ? Mais quand les femmes oublieraient leurs enfants, encore ne t'oublierais-je pas, moi.f » « Comme un père est ému de compassion envers ses enfants, ainsi l'Eternel est ému de compassion envers ceux qui le craignent.g » « Quand mon père et ma mère m'auraient abandonné, toutefois l'Eternel me recueillera.h » Et ce n'est point à Israël seulement que s'applique cet amour compatissant de Jéhovah. Il s'étend à tout ce qui s'appelle homme. « Or vous êtes mes brebis, vous hommes, les brebis que je pais, et je suis votre Dieu, dit le Seigneur, l'Eternel.i » Il s'adresse spécialement aux païens, à leurs petits enfants ; il descend jusqu'au bêtes elles-mêmes. « Et moi, dit l'Eternel à Jonas, n'épargnerai-je pas Ninive, cette grande ville dans laquelle il y a plus de cent vingt mille créatures humaines qui ne savent point discerner entre leur main droite et leur main gauche, et où il y a aussi beaucoup d'animaux ?j » Le pécheur lui-même peut à chaque instant recouvrer la jouissance de cette tendresse paternelle. « Je suis vivant, dit le Seigneur, je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais à ce qu'il se convertisse et qu'il vive.k » « Que le méchant délaisse sa voie, et l'homme injuste ses pensées, et qu'il retourne à l'Eternel, et il aura pitié de lui, et à notre Dieu, car il pardonne abondammentl. »
Tels sont les traits du caractère divin tel que le décrit l'Ancien Testament. Existence incomparable, unique, absolue, sainteté qui ne pactise avec aucun mal, tendre compassion pour tout ce qui vit, pour le pécheur lui-même, et ardent désir de le sauver : réunissez ces traits ; composez-en une image vivante ; et puis, en face de cette majestueuse figure, faites passer les dieux des nations, les dieux de celle-là même qui, pour l'intelligence et le sens moral, était en tête de toutes les autres, de la Grèce : l'impur Jupiter, la haineuse Junon, le voleur Mercure, l'impudique Vénus et dites s'il n'y a pas un abîme entre la notion parfaite de Dieu qui dès la naissance de la conscience israélite, brille sur elle comme un radieux soleil, et ces hideuses figures des divinités païennes qui, semblables à des fantômes, enfants de la nuit, obsèdent et déchirent la conscience des autres peuples !
Mais, à côté de cela, dit-on, le Dieu de l'Ancien Testament a aussi ses faiblesses, et même ses taches. C'est un Dieu qui se repose, après l'œuvre de la création, comme s'il était fatigué ; qui se repent d'avoir créé l'homme, et qui le détruit par le déluge ; un Dieu qui se met en colère, qui est sujet à la jalousie, à la haine, et qui va jusqu'à endurcir le pécheur pour avoir le droit de le punir plus rigoureusement. N'est-ce pas là une figure ridicule ou atroce aux yeux de la conscience éclairée de nos jours ?
La religion de l'Ancien Testament, Messieurs, est le seul de tous les cultes antiques qui proscrive absolument toute représentation sensible de Dieu, que ce soit sous la forme de statues et de tableaux, ou sous celle de quelque objet de la nature. C'est là un service assez signalé, ce me semble qu'elle a rendu à la pureté de la notion de Dieu. Mais quand elle doit parler de Dieu à ses adhérents, elle est bien obligée de le faire en employant des formes intelligibles pour eux, et par conséquent en se servant du langage figuré, tout en en donnant la clef. Serait-elle devenue une religion populaire, la religion de tous, surtout alors, si elle se fût servie de la langue rationnelle et philosophique ? Et eût-elle jamais réussi à pénétrer par le cœur et l'imagination jusqu'aux couches les plus profondes de l'âme humaine, la conscience et la volonté ? Le Dieu vivant …, pour le rendre sensible à la conscience, il ne suffit pas de le définir, il faut le peindre ; et pour peindre, il faut la forme et la couleur. Quand la Bible parle des cieux comme du trône de Dieu et de la terre comme de son marchepied, y a-t-il un seul israélite qui ne comprenne que ce sont là des images, et quel en est le sens ? La même Bible ne lui dit-elle pas, et dans le verset suivant, que « c'est sa main qui a fait toutes choses,m » et que Dieu est celui que « les cieux et même les cieux des cieux ne peuvent contenir ?n » De même, quand elle lui prête un bras, symbole de sa toute-puissance, des yeux, emblèmes de sa toute-science, n'est-il pas évident qu'elle emprunte aux êtres vivants connus de nous les organes de leur activité, pour nous rendre sensible, sous ces différentes formes, l'activité une et multiple de ce mystérieux Vivant que nous ne connaissons point ? Autrement pourquoi dirait-elle : « A qui feriez-vous ressembler le Dieu fort, et quelle ressemblance lui approprieriez-vous ?o »
La Bible se sert de la même méthode pour décrire le caractère moral de Dieu. Elle emprunte aux êtres moraux que nous connaissons les traits de caractère qui présentent le plus d'analogie avec les perfections infinies de Dieu, et parvient ainsi à en faire naître en nous l'impression vivante et à nous remettre en relation avec elles.
Dieu se reposep. L'Ancien Testament nous parle assez de sa toute-puissance pour que nous ne puissions pas supposer qu'il y ait eu chez lui fatigue. N'a-t-il pas créé par sa simple parole ? Que signifie donc ce repos de Dieu ? Deux choses : La première, c'est qu'après avoir formé l'homme, il est arrivé au terme de son travail et a cessé de créer des espèces d'êtres nouvelles. Et la science moderne n'a-t-elle pas pleinement confirmé ce fait ? La seconde, qu'il contemple avec joie et bénédiction son œuvre bonne, comme un artiste contemple le chef-d'œuvre, fruit de son travail. Ce sourire de satisfaction du Dieu créateur, n'est-il jamais parvenu par vos yeux jusqu'à votre cœur ? Une belle journée de printemps, un radieux dimanche où l'homme se reposant lui-même, peut jouir des splendeurs et du calme de la nature, ne vous en ont-ils pas raconté quelque chose ? Le repos de Dieu est donc une image, mais une image sous laquelle se cache une réalité.
Dieu se repentq. Mais dans le même chapitre où cette expression est employée, n'est-il pas écrit : « Dieu n'est pas un homme pour mentir ni fils de l'homme pour se repentirr ? » Il faut donc, d'après l'Ancien Testament lui-même écarter de l'idée de repentir, quand il s'agit de Dieu, tout ce qui tient à l'imperfection humaine, tout arbitraire, tout caprice. Dieu change de sentiment, de manière d'agir, quand les êtres moraux avec lesquels il est en relation changent de manière d'agir envers lui. Et c'est par cela même qu'il ne change pas. Un fils change en bien ou en mal : si son père ne changeait pas de manière d'agir envers lui, c'est alors qu'il changerait réellement et qu'il deviendrait infidèle à son propre caractère. Ainsi Dieu a établi Saül roi ; et Saül s'enorgueillit et se rebelle. L'homme, créé primitivement bon, se corrompt. Dans ces deux cas, l'expression : Dieu se repent, signifie qu'il défait ce qu'il avait fait ; il détruit par le déluge l'homme qu'il avait créé, et renverse du trône ce Saül qu'il y avait élevé. C'est fidélité à son plan. L'instrument lui manque ; il le rejette et s'en fait un nouveau. Il peut aussi se repentir, comme à l'égard de Ninive, du mal qu'il avait annoncé : la repentance des Ninivites prévient l'exécution d'une menace qui se serait réalisée sans cela. Dieu changerait si, l'homme changeant, il ne changeait pas. C'est ainsi que le repentir de Dieu, non seulement n'est point contraire, mais appartient à son immutabilité.
Dieu s'irrite, se met en colères. Mais il y a, chacun ne le sait-il pas, sainte, colère et colère charnelle, colère d'indignation et colère d'emportement. La première est la réaction du bien contre le mal, réaction d'autant plus puissante que le ressort qui réagit, l'amour du bien, est plus vif dans le cœur de celui qui est ému de colère. La seconde est due à un mouvement égoïste, celui de la personnalité froissée. Quel père n'a fait l'expérience de ces deux genres de colère ? Refuser à Dieu la première, ce serait du même coup lui refuser l'amour du bien. On hait le mal exactement dans la proportion où l'on aime le bien ; et l'individu qui le commet tombe sous le poids de cette colère-là exactement dans la mesure où il s'identifie lui-même sciemment et volontairement avec le péché. Dans la mesure où il s'en distingue encore, où il le reconnaît, où il lutte contre lui, il est encore l'objet de la compassion et de l'assistance divine. « Je suis vivant que je ne veux pas la mort du pécheur. »
Qu'y a-t-il à objecter contre cette notion de la colère divine ? Le Nouveau Testament enseigne sur ce point exactement comme l'Ancien. C'est Saint Paul qui dit que « la colère se déclare du ciel sur tout homme qui étouffe la vérité injustementt. » C'est dans l'épître aux Hébreux que se trouve cette parole : « Notre Dieu est aussi un feu consumantu. » C'est Jésus-Christ qui nous parle, et cela à trois reprises, dans le même discours, du « ver qui ne meurt point » et du « feu qui ne s'éteint pointv. » Et c'est à lui, ce miséricordieux Jésus, que la superficialité de nos jours oppose si souvent au Dieu irrité de l'Ancien Testament, que s'applique dans le Nouveau cette expression saisissante : la colère de l'Agneauw. En refusant à Dieu la faculté de s'indigner, vous lui refusez par le fait celle d'aimer, d'aimer sérieusement ; vous substituez au Dieu vivant une idée morte, une muette idole de l'intelligence.
Dieu aime Jacob et hait Esaüx. Il endurcit Pharaony. La première de ces paroles est prononcée par Malachie, le dernier des prophètes, dans un moment où Dieu venait de donner à Israël la marque la plus signalée de sa miséricorde en le ramenant de la captivité de Babylone. Le prophète avait devant les yeux Israël restauré, contre toute prévision humaine, et en même temps le pays des Edomites, des descendants d'Esaü, complètement ruinéz. A cette vue, comparant les états opposés de ces deux peuples parents et voisins, il met dans la bouche de Dieu cette, parole, qui résume leur histoire « J'ai aimé Jacob, et j'ai haï Esaü. » Est-ce arbitrairement, capricieusement que Dieu a conçu ce sentiment ? L'Ancien Testament ne dit rien de pareil. Il nous représente Esaü comme un homme charnel et profane, qui ne pouvait en aucune manière servir au dessein de Dieu pour l'établissement du règne de la foi ; et le peuple descendu de lui avait marché sur les traces de son premier père. N'étaient-ce pas les Edomites qui se réjouissaient au jour de la ruine de Jérusalem, qui avec une haine diabolique, encourageaient les vainqueurs à la renverser jusqu'en ses fondements, et qui se tenaient aux aguets sur les chemins pour égorger et piller les malheureux fuyardsa ? Voilà pourquoi, quoique branche aînée, Esaü et sa race, tout en étant comblés de bénédictions temporellesb, furent rejetés moralement, tandis que Jacob et ses descendants leur furent substitués, pour l'œuvre supérieure que Dieu avait en vue. Il n'y a là ni haine arbitraire, ni capricieuse préférence ; il y a choix libre, indépendant de la règle humaine, celle de la primogéniture, sans doute, mais choix sage, comme celui de l'ouvrier qui adapte l'outil au travail qu'il se proposec.
L'endurcissement de Pharaon n'est pas moins digne de la justice et de la sagesse de Dieu. Il arrive un moment, dans la vie du méchant, où ayant résisté à tous les appels de Dieu, il ne peut plus être sauvé. Croyez-vous qu'alors Dieu le laisse là comme un être inutile ? Rien de ce que Dieu a créé ne peut être inutile. Le méchant est libre de repousser le salut ; car Dieu ne l'impose à personne. Mais dans ce cas, il n'est pas libre d'empêcher que Dieu ne le fasse servir, par l'éclat de son châtiment, au salut d'autrui. Ainsi, une fois que Pharaon s'est endurci lui-même, (c'est bien lui, qui accomplit ce premier acte, comme le dit expressément la narrationd), Dieu tire de lui sa gloire en l'aveuglant de telle sorte que, par sa résistance insensée à l'ordre divin, il magnifie à jamais l'œuvre de l'Eternel pour la délivrance de son peuple. Et Dieu est si peu partial, dans cette conduite, que le jour viendra où il en agira de même envers son propre peuple. Quand Israël se comportera envers l'Eglise chrétienne comme le roi d'Egypte envers Israël, Dieu l'aveuglera de la même manière, de telle sorte que sa ruine et sa dispersion enseignent le monde nouveau, comme le désastre du Pharaon a enseigné le monde ancien. Il y a donc une sérieuse alternative posée à toute âme d'homme : ou devenir son propre but à elle-même, en s'associant au travail et par là à la gloire de son Créateur ; ou être dégradée au rang de moyen, en servant au salut des autres. N'est-ce pas grand, Messieurs ? N'est-ce pas saint, digne à la fois du Dieu sage et de l'homme responsable ? Si la liberté est quelque chose de grand, ce que l'homme grand possède de plus grand, son emploi ne doit-il pas avoir aussi un grand résultat, soit en bien, soit en mal.
Je sais qu'il est aisé de travestir cette solennelle vérité. Car, comme du sublime au ridicule il n'y a qu'un pas, du saint à l'odieux il n'y a qu'un cheveu. On peut la présenter de la manière suivante : Le Dieu de la Bible commence par rendre l'homme méchant pour avoir ensuite la satisfaction de faire éclater sa justice par une punition plus magnifique. Après avoir ainsi travesti, la frivolité persiflee ; et l'ignorance d'applaudir. Mais après ce facile triomphe, le nuage s'évanouit, et la vérité reparaît plus claire par la contradiction même qu'elle a subie.
Ferai-je à votre bon sens l'injure de vous parler encore du Dieu jalouxf ? Comme si l'Être que l'Ancien Testament nous représente comme parfaitement indépendant de sa création et pleinement heureux en lui-même, pouvait être jaloux de notre amour en vue de lui-même et non en vue de nous seuls ! Il sait qu'en lui jaillit pour notre cœur la source d'eau vive, que hors de lui nous ne trouverons que des citernes crevassées. Voilà pourquoi il nous réclame avec une jalousie qui, bien comprise, n'est que l'autre nom de son ardent amour.
Cette idée sublime du Dieu un, absolu, indépendant, parfait, qui remplit les pages de l'Ancien Testament, depuis la première phrase de la Genèse jusqu'à la dernière de Malachie, qui se pose avec autorité dans la loi, qui inspire de son souffle les prophètes, en face de laquelle adorent les psalmistes et méditent les sages d'Israël ; cette idée que le Fils de Dieu a accueillie, saluée, confirmée, et qu'il a transmise à son Eglise, faisant du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, à la fois notre Dieu et notre Père ; cette idée qui devient la sentence de mort des peuples qui la repoussent, le puissant soutien de tous ceux qui l'adoptent ou la maintiennent, d'où ce peuple l'a-t-il tirée ? C'est son seul trésor intellectuel, puisqu'il n'a eu d'autre grandeur et d'autre mission dans l'histoire du monde que d'en être le porteur ; et c'est son trésor à lui seul ; car nul autre peuple ne l'a partagé avec lui.
On dit que cette notion de Dieu était, chez le peuple d'Israël, le produit d'une prédisposition naturelle aux peuples sémitiques. La branche de l'humanité désignée sous le nom de sémite comprend trois peuples : Les Syriens, au Nord, les Juifs, au milieu, les Arabes, au Sud. Or les Syriens partageaient avec les Phéniciens l'adoration du soleil et de la lune, et avaient en outre d'autres divinités. C'était du milieu de ce peuple que Dieu avait retiré Abraham pour le préserver de la corruption. Les Arabes étaient livrés à l'adoration des astres et au culte des forces de la nature ; et les quelques rayons de la connaissance de Dieu que l'on a retrouvés chez eux proviennent de leur contact avec le judaïsme et le christianisme. C'est contre cette idolâtrie nationale que Mahomet, stimulé par l'exemple de Moïse et de Jésus-Christ et appuyé sur eux, a opéré sa réforme. Des trois peuples de race sémite, en voilà donc deux plongés dans l'idolâtrie, l'un au Nord, l'autre au Sudg. Et en face de ce fait historique patent, vous prétendez nous faire accroire que la foi à l'unité et à la sainteté de Dieu est une prédisposition naturelle inhérente à l'esprit sémitique !
Mais cette prédisposition serait-elle peut-être inhérente à l'esprit israélite spécialement ? Si nous ignorions l'histoire des autres peuples sémitiques, nous saurions du moins celle des Juifs. Peut-on supposer raisonnablement que la foi en un seul Dieu provienne d'une prédisposition naturelle à ce peuple, quand on le voit, dans toute la première partie de son histoire, retomber continuellement dans l'idolâtrie ? Pourquoi donc cette longue et laborieuse lutte des prophètes contre les instincts païens du peuple, lutte qui ne s'est terminée qu'au retour de l'exil : si le monothéisme lui était inné ? Pourquoi ce châtiment purificateur, la captivité de Babylone, par lequel seul Dieu est enfin parvenu à arracher le mal jusqu'à la racine ? Cette explication du monothéisme hébreu est un démenti donné à la fois à l'histoire et au bon sens.
Voyez-vous ce bateau remontant le courant d'un fleuve qui entraîne à la descente toutes les autres barques ? Que diriez-vous de l'homme qui vous affirmerait qu'il le fait par sa propre nature ? Non, répondriez-vous ; il doit y avoir là un moteur caché. Israël, remontant seul le courant idolâtre qui emporte tous les autres peuples de l'antiquité, et cela en opposition à son propre penchant, qui s'accorde avec ce courant, c'est là, Messieurs, aux yeux de l'historien judicieux, qui apprécie la valeur des choses, non au point de vue de la quantité, mais à celui de la qualité, un fait capital dans l'histoire de l'humanité, et un fait qui s'explique par l'action d'un moteur puissant imprimant à ce peuple un mouvement contraire à la loi de son inclination naturelle. Il faut accepter le mot que les faits réclament : il y a eu révélation.
Le Dieu de l'Ancien Testament, dont nous venons d'établir la notion, a manifesté de la manière la plus immédiate son caractère dans la législation qu'il a donnée à son peuple. Si vous réunissiez toute la série des ordres émanés de vous, ne seraient-ils pas le reflet le plus fidèle de votre caractère moral ? Seulement, n'oublions pas que les ordres que nous donnons dépendent, de deux facteurs, et non pas d'un seul. Le premier, c'est nous ; le second, c'est la personne à qui nous commandons. Vous n'ordonnerez pas à votre enfant de six ans de soulever un fardeau fait pour les épaules d'un adolescent. Instituteur d'une classe primaire, vous ne proposerez pas à vos élèves un problème que ceux des classes supérieures ont seuls les moyens de résoudre. Nos ordres sont donc mesurés, d'un côté, sur le bien absolu que nous avons en vue, et de l'autre, sur ce que comporte la condition actuelle de notre subordonné. C'est d'après cette règle qu'il est juste d'apprécier la législation israélite. Il ne faut pas demander : cette loi formule-t-elle le bien absolu ? Tout progrès subséquent est-il impossible ? Mais il faut demander : était-elle un progrès réel sur l'état du peuple à ce moment-là ? Etait-elle le plus grand progrès possible que comportait son état d'alors ? En dépassant cette limite, le législateur eût risqué de le faire reculer plutôt qu'avancer.
Cela posé, étudions de plus près les caractères de la législation promulguée par Moïse. Il y avait deux buts à atteindre, ce me semble auprès d'un peuple qui sortait du plus dur esclavage. La servitude a le double effet de fausser le caractère et de l'aigrir. Loyauté, humanité, tels seront donc, le bon sens le dit, les deux traits qui devront dominer dans la loi israélite, surtout si l'on tient compte du moment où elle est donnée. Ils ne sont pas moins conformes d'ailleurs au caractère du législateur, du Dieu saint et bon.
En premier lieu : justice, droiture, honnêteté, loyauté. Cette qualité est chez l'homme le reflet de la sainteté divine ; c'est là le trait fondamental de la loi juive. J'en appelle aux dix commandements, que vous connaissez tous. Et ici, Dieu, vous le savez, ne se contente pas d'un accomplissement extérieur. Sachant que la source du mal, le vrai mal, est dans le cœur, il termine le décalogue en disant : « Tu ne convoiteras point. » Tuez le désir mauvais ; par cela seul n'avez-vous pas détruit dans son germe le meurtre, l'adultère, le vol, la calomnie ?
Mais c'est dans le détail des lois particulières sur la vie, la liberté, personnelle, la propriété, qu'il faut étudier la manière dont tout, dans cette loi, est calculé pour développer le sens de la justice. « Œil pour œil, dent pour dent » voilà le principe général que le juge, non l'offensé, comme on le croit souvent, a la mission d'appliquer dans toutes les collisions juridiques. La peine de mort est appliquée à l'homicide commis volontairement ou par imprudences réitérées ; elle est le sceau du respect de Dieu lui-même pour la vie humaine. Les lois sur les mœurs sont aussi très sévères. L'adultère est puni de morth. Le voleur est tenu de restituer au quadruple ou même au quintuple la valeur de l'objet voléi. L'esclavage est proprement interdit entre Israélitesj. L'esclave qui a perdu l'usage d'un membre par les mauvais traitements de son maître, devient libre par le fait mêmek. Comme il est interdit au juge de faire acception de personne en faveur du riche, il lui est dit aussi, pour le prémunir contre un autre genre de partialité : « Tu ne favoriseras point le pauvre en son procèsl. » La loi va jusqu'à interdire tout ce qui, sans être mauvais en soi, pourrait contribuer, à la longue, à altérer le sentiment délicat de la probité et de la pureté. Ainsi elle défend d'ensemencer un champ de diverses espèces de graines, de planter une vigne de plants divers, de tisser le drap avec différentes matières ; la femme ne doit pas porter des habits d'homme, ni l'homme des habits de femmem. Il y a là froissement de l'ordre naturel ; or cet ordre, étant divin, doit être respecté en toutes manières.
A côté de ce soin de la loyauté parfaite ressort dans la loi de Moïse le soin non moins grand de tout ce qui appartient au sentiment de l'humanité, de l'équité, de la compassion, de la bonté. Le divin législateur prend sous sa protection spéciale l'ouvrier, le pauvre, l'affligé : « Vous n'affligerez aucune veuve, aucun orphelin ; autrement ils crieront à moi, et ma colère s'allumera contre vous … Si tu prêtes de l'argent au pauvre qui est avec toi, tu n'exigeras pas d'intérêt… Si tu prends en gage le vêtement de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil ; car c'est sa couverture. S'il crie à moi, je l'entendrai, car je suis miséricordieuxn. » La moisson et la vendange achevées, il faut se garder de recueillir ce qui reste sur le champ ou pendu aux ceps ; c'est la part du pauvre et de l'étrangero. La sollicitude de Dieu s'applique tout spécialement aux étrangers qui habitent en Israël : « Tu ne fouleras, ni n'opprimeras point l'étranger ; car vous avez été étrangers au pays d'Egyptep. » Les rabbins comptent jusqu'à 21 passages dans la loi où l'étranger est recommandé aux Israélites. « L'étranger qui habite parmi vous sera comme celui qui est né parmi vous, et vous l'aimerez comme vous-mêmes ; car vous avez été aussi étrangers en Egypte ; je suis l'Eternel, votre Dieuq ! » L'étranger doit pouvoir se reposer le jour du sabbat aussi bien que l'israélite. L'esclave étranger qui a trouvé un asile en Israël ne doit point être rendu à ses maîtres païensr Que l'on compare cette législation avec la manière dont les étrangers, les barbares, étaient envisagés chez les peuples anciens les plus avancés.
Il n'y a pas jusqu'aux animaux dont la loi ne prenne soin et pour lesquels elle n'exige des égards. Il n'est pas bien d'emmuseler le bœuf qui a eu le rude travail du labour, quand vient le beau jour de la moisson où, tout en foulant le blé, il peut prendre sa part du fruit de ce travail partagé avec l'hommes. Il ne faut pas atteler à la charrue deux animaux de force aussi inégale qu'un bœuf et un ânet. Il ne faut pas cuire le chevreau dans le lait de sa propre mèreu ; et quand on prend les œufs dans un nid, il faut laisser échapper la mèrev.
Notre ennemi lui-même est compris dans le cercle que doit embrasser notre charité. « Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi ou son âne égaré, tu ne manqueras pas de le lui ramener. Si tu vois l'âne de celui qui te hait (non : que tu hais ; la loi n'admet pas ce sentiment chez le vrai serviteur de Jéhovah) abattu sous son fardeau, garde-toi de l'abandonner ; tu ne passeras pas outrew. » Et tout cela fondé sur ce mot sublime, qui explique tout et dit plus que tout : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mêmex. »
Que de lois analogues ne pourrais-je pas encore citer ? Ajoutez à cela trois admirables institutions :
Voilà la loi de Moïse. En même temps qu'elle est juste, n'est-elle pas humaine ? Ce n'est peut être pas là l'idée que vous vous en faisiez. Et peut-on dire, après cela, qu'il n'y eût pas là un progrès, le plus grand progrès possible pour Israël quinze siècles avant Jésus-Christ ? Et si cette loi eût pu s'étendre à tous les peuples, quel progrès pour le monde entier !
Mais on objecte certaines lois du Lévitique dont la lecture serait un véritable scandale ; la multitude des sacrifices sanglants prescrits dans ce même livre ; la polygamie, enfin, et le divorce autorisés par la loi.
Les Juifs, Messieurs, s'établissaient dans un pays dont les anciens habitants étaient livrés à toutes les infamies, et dont les voisins ne valaient guère mieux. Il n'eût servi à rien, il eût été dangereux peut-être, de ne pas parler franchement de bien des choses. Le code civil et surtout le code criminel ne peuvent pas ne pas parler de choses choquantes pour le sens moral. Ces articles du code sont-ils immoraux pour cela ? Non, car les actes qui y sont énumérés ne le sont que pour être qualifiés de forfaits. Et s'il est un code qui remplisse fidèlement cette condition, c'est bien la loi mosaïque, dont le refrain est : « Je suis l'Eternel ; soyez saints, car je suis saint ! »
Sur les sacrifices sanglants, observez d'abord que ce n'étaient que des sacrifices d'animaux. Les sacrifices humains en usage chez les peuples voisins des Israélites, rappelez-vous le culte de Moloch chez les Hammonites, comme chez les peuples les plus civilisés de l'antiquité, sans en excepter les Grecs eux-mêmes, étaient interdits en Israël comme l'un des plus abominables forfaits. Remarquez ensuite que les sacrifices d'animaux étaient accompagnés à chaque fois d'une cérémonie saisissante pour la conscience. L'Israélite coupable devait imposer la main à la victime qu'il amenait, tout en confessant sur elle son péché ; et après l'avoir ainsi consacrée comme son substitut, il devait la frapper du coup mortel de sa propre main. Que devait-il éprouver en accomplissant cet acte ! Quelle éducation, pour des consciences grossières ! Un pareil acte de pénitence ne devait-il pas tracer dans l'âme, pour peu qu'elle fût accessible à l'horreur du mal, un sillon ineffaçable ?
Le divorce n'est pas interdit dans la loi, il est vrai ; mais il est limité par la lettre de divorce que le mari qui congédie sa femme est obligé de lui donner. C'était déjà beaucoup dans les mœurs d'alors, et comme le déclare expressément Jésus, c'était tout ce que Moïse pouvait faire. « Moïse, dit-il aux pharisiens, en a agi ainsi (c'est-à-dire : vous a permis le divorce), à cause de la dureté de votre cœur ; mais il n'en était pas ainsi tout au commencementy. »
Cette parole de Jésus s'applique aussi aux cas de polygamie que nous trouvons chez les Juifs. Cet usage n'est ni approuvé ni interdit positivement par la loi ; il est dit seulement par rapport au roi qu'« il ne prendra pas plusieurs femmesz. » Cette parole impliquait le retour à l'ordonnance primitive telle qu'elle résultait du fait que Dieu avait formé au commencement un seul homme et une seule femme. Une partie des malheurs domestique de Jacob et de David, provinrent de ce péché de la polygamie ; et l'histoire de ces hommes est racontée dans l'Ancien Testament de manière à ne laisser aucun doute sur l'intention de l'écrivain de faire ressortir les terribles conséquences de cet abus momentanément toléré. Il est si vrai qu'un tel usage est contraire à l'esprit de toute la constitution mosaïque, qu'il finit par tomber tout à fait, et que depuis la captivité de Babylone, il n'y a pas plus d'exemple de polygamie que d'idolâtrie en Israël.
Dieu n'a-t-il pas été pour son peuple un éducateur à la fois ferme et tendre ? Droiture incorruptible, compatissante charité : voilà les deux traits dont il a cherché par sa loi à faire le fond du caractère national, dans les moindres relations sociales. Et quant aux points qu'il ne pouvait emporter par la voie impérative, il a usé de patience, mais sans abandonner jamais la loi du progrès ; il a enseigné, comme dit un prophète, ligne après ligne, commandement après commandement, ainsi que fait un père avec son enfant.
Voilà le tableau fidèle, quoique sommaire, de la législation divine au sein d'Israël. Trouvez-vous là quelque chose d'indigne de l'Etre que nous adorons, d'indigne du peuple qu'il s'était choisi pour en faire l'initiateur de tous les autres au grand salut destiné au monde ? Je ne saurais le penser. Et je crois pouvoir passer au troisième point qui doit nous occuper : le rôle de Dieu dans l'histoire du peuple d'Israël.
Messieurs, l'histoire biblique est le tableau de la relation entre Dieu et l'humanité. Elle résulte donc du concours de deux facteurs : l'un saint, c'est la conduite de Dieu envers l'homme ; l'autre impur, c'est la conduite de l'homme envers Dieu. Cette histoire sera sainte, si la sainteté du premier facteur triomphe de l'impureté, du second ; souillée, si l'impureté du second triomphe de la sainteté du premier, ou si, surtout, et c'est ici la thèse que l'on pose résolument, le premier, facteur, Dieu, s'abaisse dans cette histoire à devenir le complice des souillures de l'autre.
Dieu ne joue-t-il pas, dès le commencement de l'histoire juive, un rôle indigne de lui ? N'est-il pas un être partial, quand il se choisit un peuple qu'il favorise aux dépends de tous les autres ? Ne se fait-il pas ensuite, dans le cours de cette histoire, le patron du vice chez ses élus : du mensonge, chez Abraham et Jacob ; de l'impureté, chez Juda, Rahab, David, Salomon, et tant d'autres ; de la cruauté dans le massacre des Cananéens, le meurtre de Sisera, le châtiment des enfants de Samarie ? Non seulement il tolère ces crimes ; parfois il les ordonne ; toujours il bénit ceux qui les commettent.
Ce n'est donc pas, vous le voyez, par impiété que l'on proteste contre le Dieu de l'Ancien Testament ; c'est plutôt par piété : on désire déchirer le masque difforme dont la vraie figure de Dieu est recouverte dans ce livre, pour rendre à nos enfants le Dieu saint et bon que proclament la conscience, la raison et même, ajouterait-on peut-être, on ne l'a pas dit, mais je suis prêt à le supposer, l'Evangile.
Comme le Dieu que nous voulons est aussi celui de la conscience et de la raison, en même temps que celui de l'Evangile, il ne reste ici qu'une question de fait. Reprenons donc les faits et examinons. La conduite de Dieu, dont l'Ancien Testament nous trace le tableau, est-elle réellement contraire à la conscience, à la saine raison et à l'Evangile ?
Dieu apparaît corporellement à Abraham. Est-ce contraire à la saine raison ? Tout dépend du terme qu'il se propose d'atteindre. Ce terme est-il de laisser l'univers aller comme il va, et l'homme se gouverner lui-même de son mieux, ces apparitions aux patriarches n'ont pas de sens. Mais le terme des voies divines est-il la réalisation de l'union parfaite entre le Dieu d'amour et l'homme, sa créature bien-aimée, dans une seule et même personne, le Dieu-homme, on doit reconnaître qu'il n'y a pas de commencement plus naturel, plus rationnel, en vue de ce but, que ces visites ou apparitions passagères de Dieu aux patriarches. Elles se transformeront plus tard en ces glorieuses visions accordées aux prophètes, et aboutiront enfin à l'incarnation permanente que raconte le Nouveau Testament. Pour juger de la convenance du premier pas dans un voyage, il faut connaître le dernier. Et ce que je dis ici des apparitions de Dieu dans la vie des patriarches, s'applique au fond à tous les miracles de l'histoire sainte. Ils sont tous comme autant de pas sur la voie qui conduit de la vocation d'Abraham à l'incarnation de Dieu en Jésus-Christ. Ce sont les chaînons d'une chaîne dont voilà le premier et le dernier anneau. Brisez ces deux anneaux : la chaîne, cela va sans dire, tombe tout entière ; et vous pouvez vous épargner la peine d'en briser un à un les chaînons. Tout le surnaturel, dans l'Ancien Testament, est donc implicitement contenu dans l'incarnation et la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. C'est sur le terrain du Nouveau Testament que doit se décider la question du surnaturel dans l'Ancien. C'est devant la tombe ouverte de Jésus-Christ qu'il faut discuter sur Abraham, Jacob, Moïse, Elie ; c'est là que je vous donne rendez-vous, au besoin, et quand vous le voudrez ! Vous le voyez, la question des miracles dans l'Ancien Testament a une plus grande portée pour notre foi qu'il ne le semble au premier coup d'œil. Dans le fruit de l'arbre est renfermé tout l'arbre.
Mais Dieu peut-il être partial ? Tous les peuples n'ont-ils pas également droit à son amour ? Assurément. Et l'Ancien Testament le sait tellement, que trente-deux siècles avant que nous le lui disions, il l'a dit à quatre reprises. Il prononce en quatre endroits différents cette parole « Dieu ne fait point acception de personnesa. » Bien plus, c'est précisément parce que Dieu aimait tous les peuples, qu'il en a choisi un pour exécuter par lui ses desseins d'amour envers tous les autres. Vous êtes instituteur ; vous avez une classe nombreuse ; et vous cherchez à vous préparer dans l'un de vos élèves, par des soins tout particuliers, un auxiliaire pour travailler avec vous au bien de tous les autres. Y a-t-il dans cette élection quelque chose de contraire à l'amour que vous portez à la classe entière ? Non, parce que cette élection n'est que momentanée ; non encore, parce que cet élève n'est pour vous qu'un moyen et que la classe entière reste le but. C'est quelque chose d'analogue que l'élection d'Israël. Ce peuple est l'instrument que Dieu se forme pour agir par lui sur tous les autres. Ecoutez la première parole que Dieu adresse à Abraham, lors de sa vocation : « En toi seront bénies toutes les familles de la terreb. » Rappeler sans cesse à Israël sa tâche envers le monde entier si bien formulée dans cette parole, c'est là la principale mission des prophètes. Et ils l'ont remplie jusqu'au moment où Israël, répandu au milieu des nations païennes depuis le temps de la captivité de Babylone, a commencé à remplir effectivement cette mission et à être la bénédiction de toutes les familles de la terre.
Si l'impartialité de Dieu ressort du caractère temporaire de ce moyen et de l'universalité du but qu'il avait toujours en vue, elle éclate non moins. clairement dans la méthode d'éducation qu'il emploie envers ce peuple. Quelles grâces ! Mais aussi, quelle sévérité proportionnée ! Quel joug, que celui de la loi, avec ses innombrables statuts ! Voudrions-nous en être chargés de nouveau ? Quels châtiments, en cas d'infidélité ! Je ne vous rappelle ici que les servitudes réitérées du temps des Juges, les deux désastres complets sous les coups de Salmanazar et de Nébucadnézar, et enfin la ruine, et la dispersion actuelles d'Israël, prédites déjà par, Daniel et Zachariec, enfin par Malachie, dans ce dernier mot, oui, le dernier de l'Ancien Testament : « De peur que je ne vienne et que je ne frappe le pays à la façon de l'interdit !d » Messieurs, s'il y a là de la partialité, c'est dans le sens du proverbe : « Celui qui aime bien, châtie bien. »
Enfin ces païens, que Dieu semblait abandonner pendant un moment, savez-vous pourquoi il les laissait marcher dans leurs voies ? Afin qu'ils fissent l'expérience de ce qu'est l'homme, laissé à lui-même, et qu'ils se préparassent ainsi à accepter avec plus d'empressement le salut qu'Israël devait leur apporter un jour de la part de Dieu. Et certes, le résultat a montré que cette préparation purement négative des païens n'a pas été moins utile que la préparation positive d'Israël, pour la fondation de l'Eglise et l'établissement du règne de Dieu !
« O profondeur ! » s'écrie saint Paul, en contemplant ces grandes voies de Dieu dans le gouvernement du monde. O profondeur, en effet, et d'amour et de sagesse envers ceux que Dieu laisse errer, pour les retrouver au jour marqué par lui, et envers celui qu'il prend sous sa tutelle, afin de se servir de lui comme du moyen humain indispensable pour regagner tous les autres !
Voilà, Messieurs, à quoi se réduit la partialité reprochée au Dieu de l'Ancien Testament. Restent les traits particuliers de l'histoire biblique dans lesquels on prétend que ce Dieu se fait le patron du crime, de la tromperie, de l'inceste, de la vengeance et du sang versé. Ne craignez pas de ma part des représailles d'expression, Messieurs. Nous voulons examiner les choses froidement, comme il convient à des hommes, à des hommes dont les plus hauts intérêts sont en jeu. Nous reprendrons les faits principaux ; cela suffira, j'espère.
Avant tout : ce qui concerne Abraham, le père des croyants. Lorsqu'il n'était encore qu'un pauvre Syrien, selon l'expression de l'Ecrituree, vivant au milieu d'un peuple, idolâtre, fils d'un père idolâtref, peut-être idolâtre lui-même, il avait, longtemps avant la vocation divine dont il fait l'objet, épousé Sarah, fille de son père, mais d'une autre mère. On trouve chez les Perses des traces d'un pareil usage. Et l'on pouvait essayer de le justifier par ce qui avait dû se passer dans la première famille humaine. Serait-ce là une raison pour appeler le Dieu qui le choisit, le fauteur de l'inceste ? Je ne le pense pas ; de pareilles alliances sont totalement interdites dans la loi de Sinaï. Et Dieu ne prend pas à sa charge, par le fait qu'il s'associe un homme, tous les genres de péché que cet homme a commis. Plus tard, Abraham se laisse aller à deux reprisesg à commettre une lâcheté et un mensonge, en faisant passer en Egypte et chez les Philistins Sarah pour sa sœur, ce qui était vrai, mais ce qui devenait mensonge, parce que cette moitié de la vérité était destinée à cacher l'autre, à savoir qu'elle était aussi sa femme. Or, nous dit-on, le Dieu de l'Ancien Testament prend certainement le mensonge d'Abraham sous sa protection ; car Abraham sort de ces deux situations honoré et enrichi. Mais, dans les deux cas, l'historien sacré prend évidemment le parti des deux rois païens contre Abraham. Car il nous transmet tout au long les reproches énergiques que l'un et l'autre lui adressent : « Qu'est-ce que tu m'as fait ? dit Pharaon à Abraham ; et pourquoi ne m'as-tu pas averti que c'est ta femme ? » Et Abraham ne répond pas un seul mot. Ce qui veut dire, je pense, qu'il se reconnaît coupable. « Que nous as-tu fait ? lui dit le roi philistin ; tu m'as fait des choses qui ne se doivent pas faire. » Et Abraham ne cherche point à se justifier ; seulement il s'excuse à demi en expliquant à Abimélec que son allégué n'était pas un mensonge aussi complet qu'il pouvait lui sembler au premier coup d'œil. Le héros biblique, le père d'Israël, est donc réprimandé dans les deux occasions par les deux rois païens, et cela dans deux censures transmises in extenso, et l'on pourrait presque dire con amore