Confidences et grain de folie - Brigitte Meg-Lanor - E-Book

Confidences et grain de folie E-Book

Brigitte Meg-Lanor

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Beschreibung

Je plonge jeune dans le chaudron de la restauration et traverse une vie trépidante. Mon amour des livres m'ouvre la porte de mon second métier: la librairie. Je relate des souvenirs cocasses, des réparties à l'emporte-pièces, des échanges désopilants et des anecdotes jubilatoires et hilarantes. Cette existence s'écroule brutalement face à des calomnies infâmes et des trahisons destructrices... Confidences d'une accro du travail sur un parcours jonché d'épreuves mais qui m'a fait un cadeau extraordinaire : mon instinct de survie... et un grain de folie ! Bienvenue dans ma vie, une vie entre rire et larmes. Mais quelle vie !

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A Thomas et Amaia

Maxence et Victoire

A la découverte de leur Mammy

Toute ressemblance avec un personnage existant vous mènera à moi…

TABLE

Avant-propos

Quand j’étais petite je n’étais pas grande

Chaud devant

En avant les crêpes Suzette !

Mesdemoiselles Magnolia et Ludivine

C’est grave, Docteur ?

La libraire rit

Un peu, beaucoup, intensément

Béatrice

Trifouillis-les-Oies

Bri-Bri, Reine de la Boulange !

Coucou me revoilou !

Politic-tic-tic-tactac-toc-toc

Nos amies les bêbêtes pas si bêtes

J’entends des voix

Et c’est parti pour le show

Tour de rue et brocante

Administration et contrats

Amabilité et politesse

La Presse, ça presse

Des mots contre les maux

Sports et transports !

Patron tu fais ce que tu veux !

Résiste !

Quand stupide est l’anagramme de dispute

Epilogue

AVANT-PROPOS

Je m’appelle Brigitte. Je suis née en l’An de Grâce 1956, samedi 15 Septembre, 37ème semaine de cette année bissextile. Ce même jour Agatha Christie, dont les ouvrages ont bercé mon adolescence, Fausto Coppi et Tommy Lee Jones soufflaient leurs bougies.

Derrière moi se déroule en ruban, une longue carrière professionnelle dont 42 ans de commerce. Longue et fructueuse, traversée avec passion, où l’amour du travail se conjugue au présent.

Souvenirs fabuleux, situations cocasses de professions se renouvelant à l’infini.

Tête, bras, jambes, tout est synchro ! Chaud devant ! Turbo dans mes jolies jambes et mes douze bras ! Mais comment suis-je tombée dans le chaudron du commerce ??

Le week-end ma cousine Nadine me parlait du métro, des magasins parisiens… Et moi et moi et moi ?? Je bavais. Ses parents sont commerçants aux portes de Paris…

Ma vie personnelle et ma vie professionnelle ont toujours été étroitement liées, indissociables, l’une brodée sur l’autre, et l’autre s’enroulant à l’une. L’une comblant les lacunes émotionnelles de mon enfance et l’autre stimulant l’une.

Je chute très jeune dans le monde du travail qui sera une échappatoire, une sortie de secours à une enfance triste, mais qui m’a sans doute donné la force et le courage d’affronter bien des épreuves.

La vie n’épargne personne, j’ai dû écoper d’une dose massive.

Je découvre à 18 ans un univers inconnu : celui du rire et de ses vertus thérapeutiques. Lors de mon premier éclat de rire j’ai cru être malade, ou foldingue ! Au fil des années, rire m’est devenu indispensable, mon oxygène de survie, je vais évoluer enfin sur la planète humour.

Cet univers s’écroulera brutalement 34 ans plus tard, un désespoir sans nom me terrassera et me fera vaciller, mais je continuerai à m’accrocher à mes chères valeurs : travail et rire.

Nous sommes tous des cabossés de la vie, à plus ou moins grande échelle.

Les traumatismes et les carences affectives de mon enfance m’ont rendue vulnérable, mes souffrances engendraient la colère et j’étais en colère car je souffrais.

Des trahisons honteuses vont me déstructurer, et me faire revivre des souvenirs difficiles enfouis au fond d’une malle dans ma mémoire. Il me fallait un puissant carburant fait de volonté et de courage pour les affronter. Mais sorti de son contexte, le ressenti douloureux de mes malheurs s’est estompé, non gommé entièrement, mais je le vis différemment, animée par un désir constant de faire front.

Chroniques peu ordinaires d’une profession de foi car on entre dans le commerce comme on entre en religion, faut-il aimer son travail pour être heureux ou l’inverse ??

Une bonne rigolade vaut un bon repas, dix minutes par jour pour évacuer le stress, alors avec les tartines entendues dans mes différents emplois, j’ai du stock, et j’ai récupéré mes dix-huit ans de retard ! Et j’ai pris de l’avance pour les longues soirées d’hiver devant ma cheminée !

Les derniers mois dans ma boutique ont été très éprouvants, un client ne peut tout se permettre et un commerçant d’une boutique de quartier, ne doit pas tout accepter.

Menaces, insultes, coups de gueule… Une violence verbale se mettait en place m’infligeant une souffrance psychologique qui m’a rejetée vers mon enfance douloureuse.

Je ne me suis pas vautrée sur le divan d’un psy et je n’ai pas plongé derrière mon bar pour chasser ces poisons. S’il vaut mieux boire du rouge que broyer du noir, je vais mettre du vin dans mon eau. Trois gouttes de vin pour dix litres d’eau. Je limite les abus !

Ma vie personnelle a aidé ma vie professionnelle et cette dernière lui a tendu la main.

Je me suis guérie par le travail et par le rire, mes proches et des clients devenus amis, m’ont soutenue quand je me noyais. Une chaine de solidarité incroyable se tissera autour de moi quand je devrai affronter des situations très graves.

Des échanges savoureux, des situations cocasses, des moments de délire, et des réparties hilarantes m’ont remise sur pied. Une vie entre rire et larmes…

Quand l’émotion vous bouleverse, vous pleurez. Quand le malheur s’abat sur vous, vous pleurez. Quand le fou rire vous submerge, vous pleurez. Quand la joie vous emporte, vous pleurez.

Après la tempête, le beau temps revient, attachez vos ceintures, nous allons décoller, bon voyage dans ma vie. Ne préparez pas vos mouchoirs, quoique !

Prenez votre ticket à l’escargot, comme à la Sécu, mais on attend moins et on rigole plus et comme le rire est bon pour la santé… Je vous accorde une larme d’émotion…

Service et sourire compris !

« L’humour renforce notre instinct de survie et préserve notre santé mentale. » C. Chaplin

Et j’adhère entièrement !

Toutes les situations et propos sont totalement véridiques, les noms de lieux ne sont pas notés car la vie continue pour chacun, même pour ceux qui m’ont meurtrie. Bon, une chose à la fois, je commence par le début, il était une fois…

1

Quand j’étais petite, je n’étais pas grande…

Je me demande si je suis née le jour de ma naissance. En tout cas, un convoi exceptionnel a déversé des tonnes de soucis dans mon berceau… Ma vie n’est pas un conte de fées, le prince charmant a perdu mon adresse, qu’est-ce qu’il va prendre quand il sonnera à ma porte…

J’ai toujours vu mes parents travailler d’arrache-pied pour que nous vivions dans une jolie maison. Je ne peux que les remercier de m’avoir inculqué ce respect de la vie active. J’ai dû déteindre sur eux, car mes filles sont courageuses et soucieuses de leurs activités professionnelles, conscientes du travail bien fait, je leur ai souvent dit qu’il faut aimer son travail, c’est si beau et bon d’y être heureux et épanoui.

Mes parents étaient enfants lors de la seconde guerre mondiale. Ils ont connu soit la faim, soit l’exode, soit le père prisonnier pendant des années. Allez-vous jeter dans les bras d’un inconnu qui revient après cinq ans de captivité… Quatre ans quand il est parti, grandi sans câlins ni bisous. A cette époque, cela ne se fait pas, alors comment donner à ses propres enfants ce que l’on n’a pas reçu… On ne s’arrêtait pas à ce « Détail ». Mes frères, ma sœur et moi avons grandi ainsi. Dis bonjour à la dame, respecte les personnes âgées, ne parle que si on t’adresse la parole, et pas la bouche pleine, pas les coudes sur la table …

Il ne se passe pas une semaine sans que j’aide un quidam dans le métro, porte le panier d’une mamie, tienne la porte d’un magasin, l’autre jour j’ai aidé une dame à monter dans le train, sa jupe était trop serrée, j’ai mis mes deux mains sur son postérieur, hop, sinon je serais restée sur le quai.

Je demandais à mes filles de se présenter à table pour les repas, les mains propres et les cheveux attachés. Le Dieu smartphone n’existait heureusement pas encore sinon il en aurait été banni. Je suis une enquiquineuse ? Mélancolique du tam-tam ou des signaux de fumée…

Je dis souvent que j’ai été battue pour 150 générations. Je n’ai jamais levé la main sur quiconque, la violence me fait peur. Je la fuis. Je pousse juste quelques GRANDS cris quand je suis en colère et je boude. Ma fille, Ludivine qui a le talent de me stresser, s’est vue pendant deux semaines, répondre à ses questions multiples et répétitives, par un mot sur un post-it. Je ne voulais plus m’exprimer sinon je pétais une durite…

Toute ma famille maternelle étant immergée dans l’Education Nationale, les instituteurs et professeurs de toute ma scolarité, étaient amis ou ex élèves de mes grands-parents, difficile, d’être cancre dans ces conditions.

Je me souviens de Madame Binoche, délicieuse « Maîtresse » de primaire, qui un jour en classe, fait l’appel des élèves. Mon nom résonne sans réponse, et les élèves disent que je suis dans le vestiaire.

Elle s’approche de moi, je me cache la tête dans les mains. Je couvre mon visage d’enfant de huit ans, gonflé par les larmes de honte et de chagrin, que je ne peux empêcher de couler. Elle se baisse, écarte mes menottes, et reste interdite devant moi : j’ai un œil poché. Qu’il est difficile, voire impossible, de dire que j’ai été battue, la petite victime se sent coupable. Si mon père me bat, c’est parce que je ne suis pas sage ? Facile à dire quand on n’a pas connu ceci ! Je n’ai pas oublié, cinquante-trois ans plus tard, l’immense tendresse dans ses yeux, on ne m’avait jamais regardée ainsi.

Le bonheur de l’enfance a fondu sur moi et glissé dans mes doigts comme du sable. J’affronterai tant d’épreuves par la suite. Bien des années plus tard, quand j’accueillerai de jeunes enfants dans mes boutiques, j’accomplirai les mêmes gestes que cette femme a eu pour moi, un regarde d’adulte humain vers un regard d’enfant humain en souffrance. La seule personne à me regarder sans pitié, mais avec son cœur, avec les yeux du cœur, avec les yeux et les tripes d’une femme, d’une mère. Madame Binoche, je ne vous ai jamais oubliée. J’ai transmis l’attention que vous m’avez donnée, et j’ai toujours été à l’écoute des plus jeunes. J’ai su écouter, je vous le dois. Merci.

Un mot, un geste peuvent changer tellement de choses. Une vie.

Nous dînions dans la salle à manger pour les grandes occasions, deux fois par an. J’ai connu les habits du dimanche, même en restant à la maison, on devait être sur son 31.

Et beurk les embrassades du premier jour de l’année, le supplice ! Le tour de la grande famille à bécoter des tontons, des tatas, des mémères, des jeunes, des vieux. « Bonne Année. Bonne Santé ». C’était un enfer, on rentrait les joues en pistes de courses d’escargots, pleines de bave.

Le père buvait le petit verre chez chacun. Toujours un abruti pour dire « Un petit dernier pour la route ». Et le soir, c’était parti. Le lendemain, il avait honte de nous voir les joues marbrées, le bras levé pour éviter un éventuel coup. Quelquefois, nous allions chercher un voisin âgé. Il lui parlait comme un père à un fils. Mon père avait perdu le sien très jeune, pas de repères et trop sensible. Mais ceci, je n’ai pu le comprendre que beaucoup plus tard, au prix d’un travail intérieur lourd et long, et indispensable pour admettre bien des situations et pardonner. Comment expliquer que lors du dernier adieu, j’étais si malheureuse de le voir étendu devant moi ? J’aurais encore préféré qu’il se lève et me donne une gifle… Pour une fois j’en aurais été heureuse.

Ce maudit alcool l’a emmené à 47 ans, en 1983. Il ne nous a pas connus adultes et parents. Sur ses 10 petits-enfants, il n’aura rencontré que ma fille aînée à deux reprises, d’ailleurs née comme lui, le 6 septembre. Un soir, il s’est enfermé seul dans la maison avec elle, bébé de quelques semaines. Les gendarmes sont arrivés, ce n’était pas la première fois. Et moi j’étais folle d’angoisse de savoir mon bébé tout seul.

J’ai fêté mes 30 ans dans une élégante discothèque du huitième arrondissement parisien. Un seul verre, et je dansais en mini-jupe, abat-jour au ras de l’ampoule, sur une table ! Comment j’y suis montée, et descendue ? Question qui n’aura jamais de réponse… Malade trois jours, donc plus jamais d’alcool. Je ne bois pas ni ne fume, je travaille dur, suis-je la femme idéale… ? !

Mon père était un sanguin, mais il adorait son chat et son chien. Rentrant du boulot le soir à dix-huit heures, il embarquait son matou qui l’attendait au coin de la rue, dans son camion, et le gardait sur l’épaule toute la soirée. Il se levait la nuit pour le faire rentrer de sa balade nocturne alors que nous les enfants, n’avions pas le droit de mette un demi-pied dans la chambre des parents. Et le berger allemand, installé sur le siège du bahut, qui gardait, mais quoi ? Il ne nous laissait même pas approcher.

Enfance si tristounette, travailleuse pour entretenir la maison et le jardin, et entourée d’animaux. Ainsi se tissera le trépied de mon équilibre : le travail sera mon refuge, la lecture sera mon évasion, et les animaux seront ma béquille de survie.

Combien de fois j’ai pris les chats de la maison contre moi pour noyer mes larmes dans leur toison…

Combien de fois j’ai plongé dans mes livres d’enfants pour noyer ma peine…

Combien de fois j’ai foncé dans le travail pour noyer mes souffrances…

Ces trois valeurs vont m’accompagner toute mon existence.

Eté 68 je n’ai pas 12 ans, je ramasse les patates dans les champs avec mes frères, Patrick 13 ans et Bruno 10 ans, c’est lourd, l’un tient le sac de jute pendant que les deux autres y renversent les paniers.

Je gagne de quoi m’acheter un manteau, l’année précédente, ma mère qui travaille dans un grand magasin de vêtements, m’avait « déguisée » d’un imper vert pomme d’une mocheté universelle, c’était l’époque des « CHEVALIERS DU CIEL » à la télévision, et quand j’arrivais au collège un troupeau d’andouilles (un gros troupeau) m’appelait LAVERDURE... J’en pleurais de rage. Comment draguer avec ça ? Plus jamais je n’approcherais cette couleur maudite à jamais… Cinquante ans plus tard je la boude toujours, d’ailleurs je suis une grande boudeuse, et une mauvaise dragueuse !

Avec mon nouveau manteau, noir, j’entre en cinquième, j’apprécie l’allemand, le français et j’adore l’histoire qui sera la passion de ma vie, quant au reste j’ai retenu le lac Titicaca sans pouvoir le situer, si nulle que le jour où le professeur demande qui n’est jamais allé en Europe, je suis la seule à lever le doigt ! Des maths je ne retiendrai que la règle de 3 (proportionnalité) utile quand je ferai des promos, et « my tailor is rich but my doctor is poor » ce qui me vaudra les foudres des douaniers ricains quand je serais incapable d’aligner deux mots. Pas douée pour les langues vivantes.

Bien des années plus tard, en vacances en Espagne, je ne sais dire que « Pollo al ast », j’ai mangé du poulet pendant une semaine…

Quand je n’aime pas, je n’aime pas, NA.

Je serais éjectée du premier cours de latin tout comme je l’avais été du premier cours de caté, je n’admettais pas la façon de rentrer dans les chères têtes blondes (pas la mienne je suis brune et compte pas pour une prune) des mots lourds de sens incompris, et une langue morte. Tout au long de ma longue carrière je serai ultra attentive à comprendre, expliquer le pourquoi du comment, il est primordial de savoir détailler les choses et savoir se faire comprendre. Formation et discipline, mes maîtres mots.

En tout cas le curé et le prof de latin ne m’ont plus revue, tant mieux pour eux et pour moi.

BEPC en poche, à l’époque bel examen avec toutes les matières, je proclame que je veux être infirmière, refus paternel absolu… Déception impardonnable. Je voulais m’étourdir au travail, sortie de secours à bien des maux, mon père m’avait surnommée « La porte de prison » car je ne souriais jamais.

Certains conçoivent le travail comme un moyen de faire bouillir la marmite, l’œil sur la montre, grévistes manifestant avec leur syndicat, d’autres s’éclatent dans leur job, médical, commerce, agriculteurs, artisans, militaires (que je salue, j’ai été nourrie par les défilés du juillet, ils sont formés, encadrés, bravo à mon ami de toujours, Bernard, qui gardera éternellement son âme de militaire)

Dimanche, jours fériés, horaires décalés, pas de ponts ni RTT. On apprécie d’aller aux urgences médicales au milieu de la nuit, au ciné à la séance de 22 heures, que les fourmis du MIN de Rungis galopent dès minuit, merci les routiers de dormir dans vos camions loin de chez vous. Quant aux agriculteurs œuvrant 7/7, sans congés, je n’ai pas assez de mots pour leur dire mon admiration.

Ces deux univers se côtoient, sont différents, et malgré le désir de mes parents de me voir secrétaire, moi la bordélique organisée qui retrouve tout après un très long temps de recherches, la reine incontestée de la chaussette orpheline au sortir de la machine à laver, cette dernière s’en régalant ou me désirant unijambiste, je choisis la seconde voie.

Je commence donc une longue, très longue carrière professionnelle, mais j’ai toujours eu le grand bonheur d’adorer ce que j’ai fait dans mes diverses professions, alors j’ouvre en grand la porte de ma mémoire, et laisse s’échapper mes souvenirs qui ne demandent pas mieux.

Bienvenue dans le monde où les 35 ou 39 heures représentent la moitié, voire le tiers de la semaine, sans ponts ni jours fériés. Pendant plus de 40 ans j’ai ri, j’ai pleuré de rire, j’ai ri aux larmes, j’ai bossé jusqu’à tomber d’épuisement, me lever le matin était une pure joie. Carrière exercée pendant tant d’années, avec un immense plaisir, à laquelle je devrais mettre fin, je n’ai pas su, pas pu ou pas voulu me changer, ne plus être moi-même pour m’intégrer au nouveau comportement des clients. J’en ai servi des milliers, des dizaines de milliers show-biz, sportifs réputés, grands industriels… Ceux des derniers mois m’auraient-ils fait oublier ceux qui m’ont apporté tant de plaisir ??? Le commerce a évolué et je suis descendue du train.

Commençons par le début car il ne faut pas rater un épisode.

Mi 1972, je n’ai pas 16 ans, l’employeur de ma mère accepte de me prendre dans son immense magasin pour un mois, ayé j’ai chopé le virus du commerce, j’y ai mis un pied.

Je suis en charge de ranger le grenier, vu ma dégaine de mercière pleine d’acné, on me cacherait ??? J’étais si fière de traverser les rayons en promenant mes sacs poubelles.

Je monte à l’étage et entre... dans une caverne magique, ni Ali Baba ni Prince Charmant, mais deux niveaux de salles immenses, grandes comme trois galeries des glaces.

Des piles de cartons débordant de boules de Noël cassées, des milliers de cintres étalés, des bacs remplis de gants démodés, de vieux chapeaux, des sachets en papier s’échappent de sacs en quantité démente, des vêtements que devait porter la nourrice de mon arrière-grand-mère, des corsets, des décennies de vieilleries empilées, jaunies, porteuses de rêves oubliés.

Je patauge à pleins bras dans ce bazar monstrueux, une farfouille qui attendait mes grandes brassées et qui se jette dans mes mains avec la joie d’être enfin rangée, je rentre chez mes parents cracra comme une héroïne de Germinal, des toiles d’araignée sur la tête et pendouillant sur mes oreilles, véritable sorcière de Halloween mais des étoiles plein les yeux.

Je suis Brigitte au pays des Merveilles, Cendrillon qui range, balaie, classe, trie, affublée d’un chapeau des années 30… Je regarde par la fenêtre les commerçants lors du marché, et j’entends le poissonnier, le boucher, je renifle le fleuriste mais pas le fromager… Quand je redescends sur terre, je dépose mon déguisement de fée du logis jusqu’au lendemain.

Le premier jour des soldes j’arrive avec les employés par la porte de service, une minute avant l’ouverture. Je vois des dizaines des personnes agglutinées derrière les portes, une telle poussée que celles-ci exploseront (la police interviendra) et que tout ce monde entre en même temps, un troupeau qui se rue non pas vers l’or mais vers les caleçons, chaussettes…

Epouvantée, je cours me réfugier dans mon cher grenier, courant si vite que je dus battre des records olympiques, je n’en sors que lorsqu’on m’appelle pour ranger les bacs ou les piles renversées au sol, slalomant entre les harpies qui se partagent le même pantalon (que je ramasse déchiré). Au secours je suis face à une horde sauvage, chevauchée fantastique pour la meilleure offre, je n’ai pas vu Zorro ou les 7 mercenaires arriver… On m’envoie à l’étage plus calme au rayon des tissus… Calme, mon œil et même les deux, on s’arrachait le velours bleu, la popeline rose, la doublure, la soie, le creps, c’était au Malheur des Dames. (Zola a toujours été mon auteur favori).

Fresque de la ville beauceronne qui m’a vu naître. Ville qui porte le nom d’un fameux gâteau, à moins que ce ne soit l’inverse. J’y ai reçu une éducation rigide dans une petite ville où l’opinion des voisins prévalait. J’en ai tant souffert que toute ma vie je vais fuir les rumeurs et ceux qui les colportent.

Un jour, le Tour de France traverse à grands coups de pédales le centre-ville, mes parents vont encourager Poupou et je décide de me déguiser en grisette, option vamp.

Affublée d’un short, faut bien montrer mes jolies jambes de majorette, je me maquille comme un camion volé, et je pars au boulot une clope (la première) vissée au coin de ma bouche rouge fraise Tagada.

Je décide de me pavaner dans le patelin, et horreur, un couple perdu dans la foule se retourne et me regarde, ce sont mes parents... Je rentre le soir vêtue des vêtements de rechange prévus, jouant à la petite fille modèle, mais je ne me suis plus assise pendant trois jours et j’ai perdu le goût de fumer à jamais.

Beau salaire de 450.00 francs qui sera versé à mes parents. A cette époque préhistorique, tout le monde faisait bouillir la marmite familiale, au grand jamais je ne demanderai la moindre dîme à mes filles plus tard, mère cuisinière, repasseuse, ménagère que je me voulais, à savoir si c’est le bon moyen de les préparer à l’avenir, chacune sa réponse. Mais je n’ai jamais supporté l’irrespect de leur part, je suis la mère, pas la copine.

Du 14 Août au 2 Septembre 1972, je travaille à Prisunic, rayon bazar, mercerie, balais, casseroles, je vide les camions puis les cartons, j’utilise une vieille caisse dont il faut tourner la manivelle pour enregistrer les achats, je pédale comme une forcenée dessus au risque de choper le biceps de Popeye, et jamais une erreur de caisse.

Le matin il faut arriver une heure plus tôt pour laver le sol.

On me parle mal, je suis une petite gamine de seize ans, face à des matrones désagréables fortes de leurs vingt années d’ancienneté. Jamais je ne pourrai agir ainsi c’est totalement ridicule, il ne faut jamais oublier qu’on a tous et toutes débuté un jour. Important de transmettre son savoir à la nouvelle génération. Je vais garder à vie de ne pas supporter l’irrespect, et je ne rencontrerai cette situation que quarante ans plus tard.

Une fois de plus, NON et NON, j’arrête les dégâts, trop de méchancetés et pourtant mon envie de continuer dans le commerce perdure, le royal salaire sera versé à mes parents 434.22 francs… Cosette/Brigitte a rendu sa serpillière et rangé son balai.

Le voisin de mes parents est directeur d’usine. Mon père s’y rend un soir pour négocier un emploi pour moi. Mon avenir professionnel se décide sur une toile cirée devant un apéro. Heureusement que ce voisin n’a pas de fils, sinon c’était mariage conclu, et dot contre 14 ans de travail gratis !

Pour le moment j’entre à l’usine, câbleuse peigneuse, contrat de 40 heures par semaine, je fais souvent des heures supplémentaires à 25 et 50 %, beaucoup de travail et je réponds « Présente».

Toit en tôle, on étouffe l’été et on gèle l’hiver, travail à la chaîne, n° de pointage 259, j’avais peur que la pointeuse n’avale ma main, j’aurais travaillé avec un moignon.

Le 1er jour la chef me demande si je veux une carte de syndicat :

— De syndiquoi ?

— Syndicat, c’est pour te défendre.

— Pourquoi on va m’attaquer dans l’usine ?

— Au cas où, si tu veux une augmentation on t’épaulerait.

— Ben je vais la demander toute seule (ce que je ferais un jour et j’obtiendrais 5 centimes et si je ne suis pas contente, je prends ma pelle et mon seau et vais dépoter ailleurs).

Je n’ai jamais été syndiquée de ma vie, ni fait grève. Débile de demander ceci à une gamine.

Pendant huit à dix heures par jour, je suis penchée sur un tréteau à câbler des pièces pour les tanks. Dénuder les fils, chauffer les manchons, souder… Comme j’ai des mains d’ado, petites et menues, on m’installe à tisser des « peignes ». Croiser des fils de toutes couleurs, le fil bleu avec le fil bleu… Il faut être attentive, habile, et scrupuleuse des plans, ne pas mettre le fil rouge avec le fil vert. Grande usine où nous sommes toutes penchées sur des pupitres dans un silence monacal. Sans doute que je dois à ceci une conscience professionnelle exacerbée. Je fais des peignes, je ne peigne pas la girafe !

Le Président de la République de l’époque a proclamé l’âge de la majorité à 18 ans en 1974. Le 15 Septembre 1974 à minuit et 2 minutes, je me lève, je fais ma valise et je quitte la maison familiale sur la pointe de mes sabots, j’entre dans la vie d’adulte. Première fuite.

J’ai loué une chambre minuscule et un soir j’entends des pas dans le couloir, je ferme ma porte et la cale. Toute la nuit des pas montent et descendent les deux étages. Le lendemain, j’en parle à la demoiselle de la chambre voisine (immeuble interdit aux hommes, pas de danger avec moi je me cramponne à mon auréole) qui me confirme les faits. La nuit suivante je dors sur une couverture dans sa chambre, par terre, la seule entrée dans le couloir est une porte sous sa fenêtre. Nous nous relayons, elle ne s’ouvrira pas. Au milieu de la nuit nous entendons ces pas lourds de chaussures cloutées, personne ne sortira du bâtiment, nous sommes mortes de trouille. On ne voit ni le Prince Charmant ni le Père Noël, nous n’avons jamais su ce qui avait effarouché les jeunes demoiselles candides que nous sommes, il y a sans doute une explication rationnelle et toute simple !

Le lendemain, re-valise, je pars mon baluchon sur le bras, je vis quelques mois à Orléans, toujours bossant dans une usine. Mon frère me fait embaucher à Saran, où il travaille, toujours peigneuse, et pas de girafe.

Un jour j’engage la conversation avec la jeune fille d’environ mon âge en charge de noter mes exploits de la veille, heures d’arrivée et de départ vérifiées sur la pointeuse, tâches…

— Je m’appelle Brigitte, et toi ?

— Danièle.

— Tu habites où ?

— Nul part, ma mère m’a mise à la porte ce matin.

— Tu dors où ce soir ?

— Je ne sais pas, dehors.

Je vis dans une petite chambrette et lui propose de venir chez moi. Elle arrive sans une fringue, pas une chaussure, alors je lui propose de fouiller dans ma penderie.

Toute ma vie je recueillerai ce que d’autres jettent, Danièle, chats, chiens, vieux meubles à retaper.

On allait le samedi soir en centre-ville, à pied, aller/retour une dizaine de kilomètres, et on mettait une raclée au baby-foot aux gros bras du café du coin. C’est loin tout cela.

Un soir nous sommes allées voir Coluche qui se produisait en spectacle en centre-ville. En attendant l’heure, miam, on croque un morceau dans une brasserie. Et Coluche qui entre et me voit la bouche ouverte sur mon croque-monsieur, ébahie !

— Ferme la bouche ma poule, les mouches vont chier dedans ! Et de me mettre la main sur l’épaule. Immense bonhomme, simple, humain, qui manque tant…

Dans la salle de spectacle, nous sommes assises devant notre chef du personnel, accompagné non pas de sa femme mais de sa secrétaire, bras autour de son cou. Par politesse, nous les saluons, et la vie intime de quiconque ne m’intéresse pas, bouche cousue. Les collègues ne comprenaient pas pourquoi il me saluait quand il passait dans l’usine, mais non il ne me draguait pas, j’étais quelconque et transparente, mais surtout, discrète.

Je ne me mêle pas de la vie d’autrui mais surtout je ne supporte pas qu’on se mêle de la mienne !

Un 14 juillet nous sommes allées voir le défilé des militaires, abritées sous des chapeaux de soleil grands comme des parasols. Les pauvres bidasses étaient morts de rire en nous regardant, je me demande bien pourquoi !!! C’est ainsi que je connais Bernard, l’Ami avec un grand A. Amitié pure et sincère et surtout éternelle.

Le samedi soir, il faisait trois voyages avec la 2 CV achetée avec les copains de chambrée, pour nous emmener tous à la discothèque.

Soirée nouilles les fins de mois quand le porte-monnaie était vide.

Fêtes à la caserne…

Et soirées guitares sur le bord de la Loire à chanter des mélodies bleues et roses…

Sans doute que mon admiration et mon respect pour l’armée datent de cette période magique.

Avec deux copines nous sommes parties en camping, faire les fêtes de Bayonne, j’ai passé quelques heures dans un sous-marin, moi la claustro, et nous avons dormi à quatre dans une Fiat 500…

Je sympathise avec la petite amie de Bernard, la région me plaît, je demande mon SDTC, fais ma valise, et saute dans le train, direction les Pyrénées

Je me présente à l’hôpital de Pau, je n’ai pas oublié mon désir de manier la seringue, on accepte de me prendre en bas de l’échelle mais je dois assumer mon quotidien, et je dis adieu à jamais à mes rêves.

Me voilà seule dans une ville que je ne connais pas, sans boulot, sans animaux, sans livres, mais l’envie au ventre me donne des ailes, et faut bien que je mange car j’ai toujours eu un bon coup de fourchette !

Je frappe aux portes de bien des endroits pour trouver un travail, pas de bureau de placement, pas de relation, mais quoi faire ???

Il y a bien dans cette jolie ville un poste qui n’attend que moi ! Surtout ne pas désespérer, je vais trouver, mais vite, car je commence à avoir faim…

La fiancée de Bernard me parle d’un hôtel-restaurant qui cherche une employée, je m’y présente, c’est ainsi que je commence un nouveau métier où je vais m’éclater pendant…

Quand on aime on ne compte pas.

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Chaud devant !

LA RESTAURATION! Métier où tout fonctionne, tête, bras, jambes, plus de 20 ans de pur plaisir ! D’ailleurs comme tout métier de commerce, il faut aimer !

Combien de fois j’ai entendu que c’est un métier très dur, donc plus personne ne veut s’y lancer, or les deux autres métiers de commerce que je ferai plus tard sont encore plus hard !

Le matin avec ma collègue basque, je fais les lits, les chambres puis le service en salle. Je suis seule mais je suis bien, déracinée, j’apprends à découvrir cette superbe ville, je reste des heures à regarder les montagnes, je bave devant le château d’Henri IV dont j’apprends tout sur sa vie et sa descendance bourbonienne.

Cette passion ne me quittera jamais. Je suis allée sur les traces de l’enfance de Marie-Antoinette en Autriche, et j’étais présente lors du dépôt du cœur du petit Dauphin à la Basilique Saint-Denis.

J’ai envie de voir la grande ville, je refais mon baluchon. En 1976, j’ai 20 ans, je monte à la capitale, Paris, que je ne connais pas et que je quitterai en 2017.

Ma première sortie ne sera pas pour la Tour Eiffel mais pour un match de foot, j’adore… Difficile de me déloger de devant la TV en cas de Mondial. Pauvres voisins qui m’entendent pendant 90 minutes.

A cette époque nous vivons dans l’insouciance, travail à gogo, pas d’insécurité maximale, respect et politesse sont de sortie et souvent ensemble. Je fais deux entreprises, jamais inactive, tu arrêtes un jour, tu as un job le lendemain.

Je travaille dans une belle résidence prisée des personnes âgées et aisées. Service en salle.

Un ex ministre gourmand, demandait chaque midi à voir le chariot des pâtisseries, il ne nous adressait pas la parole, et demandait à sa femme une Forêt Noire. Celle-ci énumérait ce qu’il venait d’ingurgiter et nous demandait… une pomme, qu’elle partageait en deux.

Une célèbre journaliste et son mari haut fonctionnaire, nous demandaient les noms de chaque convive, notés sur un carnet, elle portait de grosses lunettes, je l’avais surnommée Maya l’Abeille.

La femme d’un amiral grattait la table pour nous appeler, nous lui demandions si elle avait perdu son chien et nous cherchions partout en rigolant comme des débiles. Elle était souvent seule car son mari partait en inspection… C’est cela oui, on savait ce qu’il inspectait !

Un jour je me rends chez la Princesse M. Elle me dit de m’asseoir pendant que sa femme de service prépare un thé. Femme délicieuse et charmante qui m’a parlé de son enfance, elle me dit que la chaise sur laquelle je suis, provient de son ancêtre, famille régnante. Je me fais toute légère, car si je casse un pied il faudrait que je travaille 125 ans pour le remplacer.

Une dame, descendante de très grands industriels, venait chaque jour de l’hiver avec une fourrure différente. Doigts remplis de bagues, elle ne quittait pas la salle sans avoir piqué le pain de la table voisine pour son repas du soir ! Quand je m’occupais d’elle je retirais ce pain avant son arrivée, elle était si mécontente, qu’un jour elle me dit « Servante » et je lui répondis « Non Madame, esclave ». Je ne voulus plus la servir.

Un couple de riches équipementiers automobiles déjeunait chaque midi, madame avalait à grands coups de fourchettes ses plats, quant à son mari, quatre fois plus petit qu’elle, il n’avait pas le temps de finir le sien, elle nous faisait débarrasser son assiette à demi pleine et le privait de dessert. Qu’avait il fait ou pas fait pour être puni ?!

Le 6 Septembre 1979, en 20 minutes, naît Magnolia que j’élève seule. Pour avoir des horaires plus réguliers afin de voir davantage ma fille, je change d’employeur.

En 1980 je travaille auprès de personnalités importantes, surtout les mois précédents l’élection présidentielle de 1981, j’aurais pu être vêtue d’un string panthère ou en danseuse orientale aucun de ces personnages V.I.P. ne fera attention à moi, c’est frustrant d’être incolore.

Je suis en charge de recevoir les invités conviés à des repas d’affaires, de les guider jusqu’à la salle où un fabuleux repas leur sera servi, mais plongés dans leurs dossiers, j’aurais pu servir de la pâtée pour chien. J’ai ainsi rencontré de grands industriels, des ministres, chefs d’états étrangers… Mais je m’ennuie et je ne m’éclate pas dans ce job.

En 1982 j’entre dans un grand groupe de restauration, réputé pour l’excellence de sa viande et l’ultra compétence de ses collaboratrices.

J’y suis une formation quasi militaire ce qui me plaît beaucoup. Le turn-over est énorme car il est demandé de réelles qualités personnelles : disponibilité, propreté parfaite (j’en ai vu arriver avec une tenue froissée, cheveux sales, chaussures éculées, elles ont fait demi-tour). Personne ne prenait son service sans être parfaite, reine du bal, pas des serpillères en fin de vie. Chaud devant…

Les embauches ultra sélectives ont fait que, le noyau dur, nous sommes devenues réelles amies, sens de l’équipe, de l’entraide et plus de 30 ans plus tard, nous sommes toujours liées et avons avancé dans la vie de la même façon. Caroline, Lydia, Agnès, Boubou, Martine, Christine…

Pour créer cette atmosphère d’amitié sincère, nous avions un esprit d’équipe unique, chacune entraidant la collègue, non, l’amie, si nous étions débordées. Jamais une rumeur ou un bruit de vestiaire. Nous mettions la pression si une nouvelle recrue ne s’intégrait pas, il ne fallait pas de brebis galeuse entre nous, ou tu t’intègres, ou tu pars. Nous devions avoir raison, car même après tant d’années, nous continuons à avancer ainsi dans nos vies.

Nous débitions des contingents d’heures de folie, une absence et nous faisions coupure/fermeture, deux journées en une. Nous avions un salaire horaire calculé sur le pourcentage, c’est dire que le premier mai on se battait à coups de cils, pour faire des heures, seul jour de l’année payé double. Mais une ambiance unique…

Pas d’ordis pour les commandes annoncées à la voix, pas de terminal carte bleue, en super pro le samedi soir on assumait plus de 100 couverts par rang. Chaque fois qu’un record de fréquentation était pulvérisé, c’était champagne avec le personnel des autres unités.

Le 26 janvier 1985, en cinq minutes Ludivine pousse son premier cri, qui sera suivi de bien d’autres depuis 34 ans... Sacrée râleuse, de qui elle tient ??? J’ai peut-être une idée.

Il y a eu des managers d’une qualité exceptionnelle, des pros de ouf, qui mettaient une ambiance mémorable, plus nous bossions plus nous étions heureuses et on s’éclatait au grand bonheur des clients et du pot à pourboires (un samedi soir où j’avais tenu deux rangs et fais une journée à rallonge en horaire de coupure, je suis repartie avec un panier à pain rempli de pièces de 10 francs équivalent à 170 euros actuels, en six heures de service. Je disais que le pourboire est le salaire du mérite). J’étais épuisée mais j’avais passé une soirée à servir une clientèle agréable qui a su me dire « MERCI ». Mon cœur sourit à ces souvenirs de plus de 30 ans.

Je me souviens de fous rires uniques dans une vie, d’une solidarité entre nous basée sur la sincérité et la confiance. On trimait dur et nous en parlons encore avec une pointe de délice.

Nous étions fière de notre resto, de le tenir propre, et nous vénérions notre big boss, disparu il y a peu, merci Monsieur G. Toute ma vie j’appliquerai l’enseignement reçu chez vous.

Cinq jours par semaine, peu importe le 14 juillet, 15 août, fêtes de fin d’année…

Des années très remplies mais magiques, j’ai essuyé peu de remarques et réflexions, il y avait encore une contenance et un savoir vivre, les clients mangeaient bien et étaient bien servis. Faut-il aimer son travail pour être heureux ? Ou l’inverse ?

Quand il manquait une personne en salle le dimanche on me téléphonait et je partais au pas de charge la remplacer, on ne dit pas à un client qu’il ne peut être servi faute de personnel. Mais ça, c’était avant.

Très spécial le travail du dimanche, les gens sortent en famille.

Les gosses traînent partout, un jour, j’ai marché sur un bébé qui rampait au sol, j’avais les bras chargés je me serais blessée en chutant. Quant au crapahuteur il aurait dû être en poussette.

Un dimanche midi, une mère de famille me demande d’emmener son fils aux toilettes…

Je regarde le gamin d’environ sept ans, et le paternel :

— Madame, je préfèrerais y emmener votre mari !

Elle appelle le manager pour se plaindre, ce dernier lui répond que le restaurant n’est pas une garderie et qu’elle assume ses tâches de mère de famille… Sans blague !

L’été il y avait des tables en terrasse et le manager demandait qui voulait « faire le trottoir » Quelquefois des clients attendaient que l’on parte à l’office et s’enfuyaient en courant pour ne pas payer, or c’est nous qui devions payer l’addition de notre poche !

Un soir Philippe C. réussit à rattraper un rigolo et le ramène en lui faisant « goûter » rudement les entrées d’immeubles de la rue de Rivoli, nous l’avons enfermé dans la chambre froide et l’une de nous a fait le guet en attendant la police. En cas de grivèlerie, nous ne payons pas l’addition, ce triste sire était… serveur en pizzéria… Le comble !

Et le jour où nous avons toutes mis la tête dans la poubelle à la recherche d’un dentier laissé dans l’assiette par une cliente, quelle idée de poser son râtelier dans sa gamelle. Heureusement que ce n’était pas une lentille de contact, on l’aurait pas retrouvée !

Cette cliente mécontent que notre fromage blanc ne soit pas à 0 %, régime oblige, et qui choisit un vacherin- 1200 calories-

Un soir, des clients sont particulièrement entreprenants, je leur dis bien fort en salle :

— Messieurs, la rue St Denis est la deuxième à gauche mais je ne connais pas les tarifs.

Brigitte, deux qui la tiennent et trois qui l’agitent, ce n’est pas pour moi !