Contes de Provence - Paul Arène - E-Book

Contes de Provence E-Book

Paul Arène

0,0

Beschreibung

Ce recueil rassemble des petits récits alertes et vifs où, en quelques phrases élégantes et raffinées, Paul Arène croque un portrait, esquisse une silhouette, ébauche un décor. Une fine ironie circule à travers les lignes, un brin d'émotion parfume les histoires merveilleuses de cet écrivain qu'Anatole France avait surnommé - à juste titre ! - le « prince des conteurs ». Le provincialisme de Paul Arène n'est pas pittoresque, mais profond : dans ses textes, les thèmes provençaux deviennent toujours l'objet d'exquises fantaisies personnelles, de poétiques « moralités » d'un ton à la fois pénétrant et mélancolique. Et si les descriptions ne manquent pas, elles sont toujours enrichies d'un contenu véritablement humain. Plus célèbre que son ami Alphonse Daudet au xixe siècle, cet écrivain provençal mérite amplement d'être (re)découvert.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 115

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Contes de Provence

Contes de ProvencePréface-Contes de ProvenceLe fifre rougeLes clous d’orLes haricots de PitalugueLe champ du fouLa mort des cigalesLe tambour de RoquevaireLe renard aveugleUn homme heureuxMon ami NazL’arrestation du trésorCuro-BiassoLe bon tour d’un saintLe chapeau de Sans-ÂmeLes abeilles de M. le curéLes saules de M. SénezPage de copyright

Contes de Provence

Paul Arène

Préface

Paul-Auguste Arène est né en 1843 à Sisteron au milieu des montagnes parfumées de cette Provence, à laquelle ses vers et sa prose devaient à jamais rester fidèles. Après un court passage dans l’Université, il débute à l’Odéon par un acte en vers, Pierrot héritier (1865). Tout Paris fait fête aussitôt au jeune provincial. À vingt-deux ans par sa prose fluide et colorée, d’une grâce attique et comme embaumée des senteurs du pays natal, il se place au premier rang des écrivains. En 1870 il donne un de ses chefs-d’œuvre, Jean des Figues, puis les Comédiens errants (1873), le Duel aux lanternes, dont la virtuosité est étourdissante, et l’Ilote deux ans plus tard à la Comédie Française. Dans la chronique, dans la fantaisie, dans la nouvelle, au théâtre, partout se multiplie son clair et spirituel génie de latin. En 1878, c’est le Prologue sans le savoir, l’année suivante, la Vraie tentation de Saint-Antoine, puis ses Contes de Noël et ses Contes de Paris et de Provence, tendres ou ironiques et toujours exquis, la Chèvre d’or enfin en 1889 et en 1894 un autre roman, Domnine.

Quand il mourut en 1896 à Antibes, où il était allé revoir le soleil de la Provence pour en emporter la dernière image sous ses paupières closes, la littérature contemporaine perdait en lui un de ses maîtres.

Contes de Provence.

-Contes de Provence

Le fifre rouge

« Hé ! petit fifre, que fais-tu là ? cria le sergent La Ramée qui s’en allait à la ville voisine quérir la fricassée d’un porc, pour le réveillon du colonel.

— Voici ce que c’est, monsieur le sergent, répondit le petit fifre : Sa Majesté le Roi se trouvant dans un besoin pressant d’argent et désirant offrir un château tout neuf en étrennes à sa nouvelle reine, il a été décidé par la Cour des comptes que le régiment, musiciens et soldats, ne toucheraient pas encore de solde ce mois-ci. Alors, comme mère-grand est pauvre et que je n’avais pas un liard en poche pour lui acheter son dinde à Noël, je suis venu jusqu’à la courtine casser la glace du fossé et voir s’il n’y aurait pas moyen de pêcher un plat de grenouilles.

— Compte là-dessus ! dit La Ramée. En hiver, les grenouilles dorment.

— Je le sais bien, répondit le petit fifre, mais le ciel est bleu, malgré la gelée ; peut-être que ce beau soleil les réveillera ! »

Et tandis que le sergent La Ramée reprenait sa route en grommelant, le petit fifre, avec courage, se remit à casser la glace.

Ce petit fifre, qui aimait tant sa mère-grand, était bien le plus joli petit fifre que l’on pût rencontrer. Pas plus haut qu’une botte et vêtu de rouge, du tricorne aux guêtres, comme tout le monde au régiment, il avait si bonne grâce, avec ses yeux bleus et ses cadenettes, à siffler des airs, en marquant le pas, devant les hallebardiers barbus, que pour le voir passer, dans les entrées de ville, les dames aux fenêtres oubliaient de regarder le tambour-major.

Presque autant qu’aux rythmes guerriers, le fifre s’entendait à la pêche aux grenouilles. Aussi quand la glace fut percée, le trou déblayé et qu’un joli rond clair apparut, le fifre eut-il bientôt fait d’improviser sa ligne avec un peu de fil qu’il avait apporté et un roseau sec qu’il coupa. L’appât seul manquait au bout du fil. D’ordinaire, notre pêcheur ne s’en inquiétait guère, se servant pour cela du premier coquelicot venu, car les grenouilles sont goulues au point que tout objet rouge les attire. Mais les coquelicots ne fleurissent pas sous la neige et vainement il en chercha quelqu’un d’attardé, le long des glacis, dans l’herbe transie.

Il allait partir, fort ennuyé, quand précisément, au-dessus de l’eau, une grenouille leva la tête. Paresseuse, comme endormie, elle posa ses pattes de devant sur les bords, ouvrit l’un après l’autre ses jolis yeux d’or au soleil, puis gonfla doucement sa gorge blanche, et poussa un léger coax auquel, par-dessous la glace, dans toute l’étendue des fossés gelés aussi vastes qu’un grand étang, d’autres coax lointains répondirent.

« Ce doit être la mère des grenouilles, se dit le petit fifre, qui n’avait jamais vu une grenouille si grosse ; quelle occasion et quel dommage de la laisser échapper ainsi ! »

Tout à coup il eut une inspiration :

« Si je prenais, en guise d’appât, la patte qui serre mon haut-de-chausses ? Elle est en beau drap rouge d’ordonnance, et certes ! les grenouilles y mordraient. »

Aussitôt dit, aussitôt fait ; et la patte en drap rouge d’ordonnance se met à danser sur l’eau claire, qu’égayait un joyeux rayon, devant le nez de la grenouille. La grenouille mord, le pêcheur tire, le fil casse, et la grenouille plonge, emportant le drap. Par bonheur, la patte était double : on pouvait hasarder la seconde moitié. La grenouille reparaît sur l’eau, mord encore, le fil casse encore, et la seconde moitié va rejoindre la première.

« Bah ! songea le pêcheur, quel mal y aurait-il à couper un tout petit morceau de ceinture ? Personne ne viendra regarder sous les basques de mon justaucorps. »

Et, tirant son couteau, il coupa un petit morceau de ceinture que la grenouille, hélas ! emporta comme les autres, et puis encore un, et puis un encore plus bas ; puis il entama le gras des chausses, tant qu’à la fin, la nuit arrivant, il s’aperçut que sa chemise flottait et que l’énorme échancrure petit à petit faite au drap laissait largement passer la bise.

Le sergent La Ramée, qui revenait par là avec une charge de victuailles, trouva le malheureux petit fifre assis sur son derrière et pleurant.

« Qui est-ce qui m’a fichu un soldat qui pleure ? »

Pour toute réponse, hélas ! le petit fifre se dressa et se retourna.

« Mauvaise affaire ! murmura le vieux La Ramée, après avoir longuement considéré le corps du délit : détérioration d’effets d’équipement et d’habillement fournis par le gouvernement, c’est un cas de conseil de guerre ! »

Puis, ces mots prononcés, il s’en alla en reniflant les poils de sa moustache.

Le petit fifre pleura plus fort. Il se voyait déjà arrêté quand il passerait le pont-levis, mis dans un cachot noir, amené, entre deux gendarmes, devant ses juges. Vainement il essayait de les attendrir, disant :

« Ce n’était pas pour moi, c’était pour apporter un plat de grenouilles à grand’mère, qui est vieille et pauvre et n’a pas de quoi faire son réveillon. »

Le Code militaire restait inflexible. On le dégradait, on lui brisait son fifre et sa petite épée, on le conduisait dans une prairie où, deux mois auparavant, il avait défilé avec la garnison, musique en tête, devant un conscrit fusillé… Alors, songeant à sa grand’mère, transi par le froid, la tête perdue, il eut comme l’envie de mourir tout de suite et se laissa glisser sur le sol gelé vers le trou d’eau noire où déjà des étoiles luisaient…

Dans quel merveilleux paysage le petit fifre se trouva ! À perte de vue les voûtes de glace laissaient filtrer une lumière blanche et douce ; et de longues herbes vêtues de cristal, montant du fond en fines colonnettes, puis s’emmêlant aux mousses des bords toutes frangées de barbes d’argent, formaient mille promenoirs à jour et des architectures brodées les plus magnifiques du monde. À droite, à gauche, le long des berges, dans les petites grottes, – trous de rats aquatiques ou d’écrevisses, que font sous l’eau les racines et la terre éboulée, – des grenouilles de toute espèce, en nombre innombrable, dormaient.

Il en remplissait d’immenses paniers qu’il destinait à mère-grand… Le conseil de guerre ne l’effrayait plus. Il ne se rappelait plus que vaguement le désastre de son haut-de-chausses. Une seule chose l’étonnait un peu : d’avoir si chaud sous la glace et dans l’eau… Puis il se sentit très heureux et comprit qu’il allait dormir comme les grenouilles.

Le petit fifre dormit longtemps. Tout à coup une voix connue l’éveilla : c’était la voix de mère-grand :

« Chut, disait-elle, il ouvre les yeux… Oh ! le méchant garçon qui vous fait des transes pareilles ! »

Le petit fifre fut repris de peur quand il aperçut au pied de son lit les yeux embroussaillés et les longues moustaches de La Ramée.

« Le haut-de-chausses ! le conseil de guerre !… Ne me laissez pas emmener !… »

Et il s’accrochait avec désespoir au casaquin de sa grand’mère. Mais sa grand’mère le rassura : ce bon La Ramée l’avait tiré de l’eau, à moitié gelé et tremblant la fièvre, puis il avait raconté l’aventure au colonel, et le colonel attendri venait précisément d’envoyer, par un homme à cheval, une aune de boudin, pour le réveillon, avec une paire de chaussures neuves.

Le boudin chantait dans la poêle, des chausses intactes pendaient à un clou. Et voilà, telle que ma nourrice me l’a apprise, l’histoire du petit fifre rouge qui, par amitié pour sa grand’mère, pêchait les grenouilles à Noël.

Les clous d’or

 « Ah ! mon pauvre homme, mon pauvre homme, si tu fusses né sans bras ni jambes, notre porte aurait des clous d’or ! »

Ainsi disait Tardive à Jean Bénistan, un soir d’hiver au coin de l’âtre, pendant que les enfants dormaient ; et Jean Bénistan ne trouvait rien à répondre, car depuis longtemps, par sa faute, les affaires du ménage ne florissaient guère.

Non pas que Bénistan fût paresseux ou mauvais homme, au contraire, seulement rien ne lui réussissait.

Sobre, actif, debout avant l’aube, on ne rencontrait que lui par les chemins et par les rues, préoccupé, flairant le vent, et cherchant, là-haut, dans les nuages, un moyen de faire fortune. Généralement, il trouvait une idée chaque matin, – car l’esprit ne lui manquait pas, – des idées superbes. Tout, d’abord, allait à merveille. Mais au dernier moment, les dépenses faites, les choses bien en train, quand il n’y avait plus qu’à recueillir les bénéfices, crac ! une catastrophe survenait, et adieu nos projets, adieu nos espérances… Jean Bénistan avait beau se lever de bonne heure, je ne sais quel mauvais génie se levait toujours avant lui.

Par exemple, Bénistan avait remarqué que les gens de son endroit, pour aller aux foires et marchés, faisaient un grand détour à cause de la rivière. Il imagina en conséquence de vendre une de ses terres et de construire, avec l’argent, un bac dont il serait le passeur. Le bac fut vite achalandé, les doubles deniers semblaient pleuvoir du ciel, et Bénistan se croyait déjà riche, quand les moines du couvent voisin, ayant reconnu que la spéculation était bonne, établirent, à un quart de lieue au-dessus, un pont de pierre assez large et assez solide pour porter chevaux et charrettes, de sorte que, abandonné de tous, le bac du pauvre Bénistan finit par pourrir dans les saules.

Une autre fois, Bénistan qui, après un certain nombre d’entreprises pareilles, toujours commençant bien et toujours tournant mal, ne possédait plus, pour toute ressource, qu’un rocher pelé dont les huissiers n’avaient pas voulu, Bénistan essaya d’y cultiver des ruches.

« Les abeilles se réveilleront là comme chez elles, et leur miel sera bon à cause des lavandes. »

Tout l’hiver, Bénistan travailla à installer dans les abris de son rocher des troncs d’arbres creux coiffés en guise de toit de grosses pierres plates qu’il lui fallait aller chercher très loin, derrière les collines ; et, quand approcha le printemps, il se mit à courir la campagne, dépensant ses derniers sous à acheter tous les essaims qui pendaient aux branches.

« Décidément, dirent les voisins, Bénistan a trouvé la veine. »

Sa femme elle-même y croyait. Personne n’avait les yeux assez grands au village pour admirer ces cent ruches bien alignées d’où coulaient déjà des fils de miel roux, et autour desquelles les abeilles dansaient dans le soleil, comme des étincelles d’or.

La récolte fut bonne la première année : elle paya presque les frais. Mais la seconde, les lavandes ayant subitement défleuri à cause de la grande sécheresse, presque toutes les abeilles moururent ; et de nouveau, par malechance, Bénistan se trouva ruiné.

Bénistan avait voulu élevé des poules. Le renard, en une seule nuit, égorgea poulets et poussins, le coq, les pondeuses et les couveuses.

Bénistan avait voulu planter des vignes. Un fléau précurseur du phylloxera, et qui sait ? peut-être le phylloxera lui-même, – car notre siècle n’a pas tout inventé, – changea ses souches en bois mort.

Si bien que, travaillant, épargnant comme une fourmi, la bonne Tardive, sur qui toutes les charges retombaient, se trouvait encore heureuse d’avoir à peu près chaque soir du pain bis dans la panetière, et sur le feu une bonne soupe fumante, qu’elle servait debout, suivant la respectueuse coutume d’autrefois, car, autrefois, jamais femme n’aurait osé s’asseoir à la table de son seigneur et maître.

Mais tout a une fin ! Depuis longtemps la jolie panetière en noyer ciré avait été vendue. Les enfants ce soir-là, – ils commençaient d’ailleurs à s’y faire, – étaient allés au lit, sans souper, après avoir entendu pour la vingtième fois, en manière de dédommagement, l’histoire de Jean-de-l’Ours et de ses grands combats avec l’Archi-Diable, la seule que Bénistan connût. Pour comble de malheur, Ganagobi, le chat de la maison, Ganagobi, pourtant si fidèle, avait disparu. De temps en temps, Tardive se levait et appelait : « Ganagobi, Ganagobi !… » dans la direction du village ; mais Ganagobi ne revenait pas, chassé par l’odeur de misère.

C’est là le grand chagrin qui tranchait l’âme de Tardive ; et c’est ce grand chagrin qui lui avait arraché ce mot de reproche, le seul en sept ans sorti de sa bouche :

« Ah, mon pauvre homme ! mon pauvre homme ! si tu fusses né sans bras ni jambes, notre porte aurait des clous d’or. »

Elle oubliait, la brave femme, qu’un coup de mistral avait, quinze jours auparavant, démoli la vieille porte vermoulue dont elle aimait à faire reluire les ferrures ; elle oubliait que, faute de pouvoir la remplacer, ils en étaient réduits, pécaïre ! à fermer leur cabane avec un buisson.

Cependant, Jean Bénistan avait sur le cœur, comme un gros poids, les paroles de Tardive :

« La femme a raison, songeait-il, tout ce qui arrive, n’arrive qu’à cause de moi. Si je l’avais laissée mener la barque tranquillement, sans se mêler de rien, nous serions riches ; la maison aurait une porte, et les petits ne crieraient pas la faim… Maudites jambes, maudits bras ! Que ne me les coupa-t-on en nourrice ?… Mais je sais maintenant ce qui me reste à faire, mes jambes et mes bras n’étant bons qu’à être cassés. »