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Couronnée Par L’amour E-Book

Diana Rubino

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Beschreibung

Angleterre, 1471. Adoptée depuis qu’elle est bébé, Denys vit avec sa mère Elizabeth: reine et mariée avec Edward IV.

Denys fait nombreuses tentatives pour découvrir sa véritable lignée, mais chaque effort finit dans un fin abrupte et tragique. La Reine Elizabeth inflige la dégradation finale de Denys, quand elle l’épouse avec l’ambitieux Valentine Starbury.

Pendant que ses sentiments pour Valentine se transforment en amour, peut-elle découvrir finalement la vérité sur son passé?

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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COURONNÉE PAR L’AMOUR

Un roman historique du quinzième siècle

DIANA RUBINO

Traduction parADRIANA L. BOCCALONI

© Diana Rubino, 2021

Conception de la mise en page © Next Chapter, 2021

Publié en 2021 par Next Chapter

Édité par Christophe Deletang

Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, personnages, lieux et situations décrits dans ce livre sont purement imaginaires : toute ressemblance avec des personnages ou des événements existant ou ayant existé n’est que pure coïncidence.

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou transmise sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, électronique ou mécanique, y compris la photocopie, l’enregistrement, ou par tout système de stockage et de récupération d’informations, sans la permission de l’auteur.

Indice

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Épilogue

Cher lecteur

Remerciements

Note De L’auteure

ChapitreUn

PALAIS DE WESTMINSTER, LONDRES, AVRIL 1471.

Denyse Woodville releva ses jupes et grimpa sur le portail du palais. La foule ovationnait le roi Édouard qui faisait passer dans la cour extérieure son armée yorkiste qui revenait tout juste d’une victoire remportée sur les Lancastriens. La scène lui évoquait des sentiments contradictoires : son désespoir l’emportait sur la joie. Elle aurait vraiment voulu souhaiter la bienvenue à son propre soldat.

Chevauchant son étalon blanc, le roi saluait le peuple qui l’acclamait comme si ce jour n’était qu’un jour comme un autre. Trompettes et clairons jouaient des airs enjoués. Les chevaliers mirent pied à terre et ôtèrent leurs heaumes tandis que leurs familles et les dames de leur cœur accouraient vers eux. Richard, le frère du roi, sauta de sa monture dans les bras que lui tendait sa bien-aimée Anne. Écuyers et valets accompagnèrent le roi à l’intérieur du palais pour saluer la reine Élisabeth qui était enceinte. Au milieu de toutes ces étreintes et embrassades, Denyse descendit de son perchoir et se retrouva seule.

Seul un chevalier restait sur sa monture. Il ne s’était pas jeté dans les bras d’une jeune fille passionnée. Au lieu de cela, il arrêta son étalon gris directement devant Denyse.

« Bonjour, madame ! » Sa voix, claire et confiante, retentit sous la visière de son heaume.

Elle posa son regard sur cet homme fier dont l’allure régalienne incarnait la chevalerie. Les rayons du soleil l’empêchaient de voir quoi que ce soit, à l’exception de cette silhouette à heaume pointu. D’un geste élégant, il remonta sa visière. Le regard de Denyse s’attarda sur ce visage assombri par une barbe de quelques jours et qui portait une balafre au menton, son seul défaut physique. Le soleil se reflétait dans ses yeux bleu ciel.

« Bienvenu chez vous, monseigneur, le salua-t-elle. Nous sommes tous très fiers de vous. »

Il cueillit une fleur blanche du rosier qui se trouvait derrière lui, se baissa et la lui donna. Le contraste saisissant entre la délicate rose et l’armure lui donna un frisson qui parcourut tout son corps. Elle brûlait de prendre la main qui se cachait sous ce gantelet. « Hé ! Merci, monseigneur. »

Il la regarda avec un désir si intense qu’elle sut qu’il partageait sa solitude, son sentiment de ne pas être à sa place.

Il avait aussi besoin d’une personne qui lui serait chère et qu’il pourrait retrouver chez lui. Elle en avait la certitude.

Les convives qui convergeaient vers le banquet les séparèrent, bien que leurs regards soient restés accrochés l’un à l’autre. La bousculade des gens et des chevaux l’avait éloigné et seuls son heaume et son gantelet étaient encore visibles lorsqu’il agita la main. Elle répondit par un signe de la sienne, mais il ne la voyait probablement déjà plus.

« Au revoir, messire... »

Quel était son nom, d’ailleurs ? Alors qu’il disparaissait, elle caressait les pétales de la rose et son imagination s’envola.

Elle n’avait encore jamais connu l’amour. Elle chérissait Richard, son ami d’enfance, mais ça n’était qu’un amour de jeunesse. Pour la première fois de sa vie, ce soldat lui avait donné l’impression d’être une femme.

Elle se fraya un passage à travers le palais bondé. Elle ne pouvait plus le voir. « Je le retrouverai », se jura-t-elle à voix haute.

Valentin Starbury entraîna sa monture sur le pourtour de la cour extérieure, là où les fleurs et les mouchoirs piétinés étaient les seuls vestiges de la joyeuse parade. Il regarda par-dessus son épaule, mais ne put retrouver cette jeune fille, la seule qui n’était pas coiffée d’un hennin. Seul un élégant diadème de perles ornait ses cheveux argentés. Quand il fit son entrée, elle se tenait là, seule, sans un soldat à qui souhaiter la bienvenue ou à embrasser, l’air abattu. Mais ses yeux se mirent à briller comme des joyaux quand il s’approcha et que son propre cœur brisé s’était reflété dans ce regard. C’était la jeune fille dont il avait rêvé pendant toutes ces nuits solitaires en France, la jeune fille qu’il était certain de rencontrer un jour.

Et en un instant, elle avait disparu.

Lâchant un juron, il secoua la tête, désespéré. Tu l’as perdue, idiot, tu ne peux même pas faire ça correctement.

Il ne pouvait pas supporter une autre perte.

Seule dans sa chambre, après le banquet, Denyse caressait la rose parfumée qu’il lui avait offerte. Après l’avoir adoptée, sa tante Élisabeth avait poursuivi Édouard, futur roi d’Angleterre, de ses assiduités. Celui-ci tomba éperdument amoureux et ils se marièrent. La nouvelle épouse n’avait que faire d’un enfant à ses côtés, alors elle envoya Denyse dans le Yorkshire, bien loin d’elle.

Le duc et la duchesse de Scarborough, qui n’avaient pas d’enfants, l’élevèrent comme la fille qu’ils n’avaient jamais eue. Quand la duchesse rendit l’âme, le duc renvoya Denyse à la cour, de nouveau rejetée. Bien qu’elle ait eu un roi et une reine pour oncle et tante, Denyse se languissait comme une âme perdue. Aujourd’hui encore, alors que les amants s’étaient réunis, elle était seule, non désirée. Pour ajouter à sa misère, le chevalier de ses rêves lui était apparu et avait disparu aussitôt. Telle était sa vie de solitude.

Sa dame d’honneur entra, lui fit une révérence, et lui tendit un parchemin plié sur lequel figurait le sceau royal. « Un page vient d’apporter ceci de la part de Son Altesse la reine, madame.

— Cela peut attendre », dit-elle en la congédiant.

C’était probablement une invitation à l’une de ces stupides soirées musicales de la reine, un prétexte pour donner aux dames de la cour l’occasion de bavarder.

Ce message lui était sorti de la tête jusqu’au soir, alors que sa servante se tenait debout derrière elle et lui brossait les cheveux.

« Jane, s’il te plaît, donne-moi le billet de la reine. » D’un geste de la main, elle montra son bureau.

Denyse brisa le sceau et déplia le parchemin – une invitation, en effet, mais pas pour une frivole soirée musicale.

C’était une invitation à un mariage, le sien. Son cœur fit un bond effroyable dans sa poitrine.

Elle venait d’être promise à Richard, duc de Gloucester, le plus jeune frère du roi, son compagnon d’enfance. La reine Élisabeth donnait toujours en mariage les membres de sa famille à la crème de la noblesse, et Richard était le célibataire le plus prestigieux du royaume.

Il était loin de l’idée qu’elle se faisait d’un mari. Un frère, oui. Un mari, jamais !

Puritain pointilleux, il voulait épouser sa bien-aimée Anne Neville.

Denyse et Richard avaient joué ensemble quand ils étaient enfants et ils avaient renouvelé cette amitié quand elle revint à la cour. Ils jouaient ensemble au tennis, aux échecs, aux cartes, mais le jeu finissait là. Rien que l’idée d’avoir à l’embrasser lui donnait des frissons.

Or, la reine voulait qu’ils se marient le jour de Noël.

Ivre de fureur, elle alla jusqu’à la cheminée et jeta la missive dans les flammes qui la léchèrent et la carbonisèrent au point de devenir illisible. Elle se coucha alors pour réfléchir longuement.

Au moment où elle s’endormit, elle avait déjà imaginé plusieurs façons de s’échapper de cette union.

Le roi Édouard se leva pour souhaiter une bonne nuit à sa reine ; celle-ci quitta l’estrade et la suite de ses servantes l’accompagna hors de la grande salle. Denyse gravit alors les marches de l’estrade et s’approcha de son oncle en lui faisant une révérence. « Oncle Ned, j’ai besoin de vous parler.

— Denyse, ma chère, viens t’asseoir à mes côtés ! l’invita-t-il, alors que sa robuste main royale enveloppait la sienne avec une chaleur réconfortante. Avec toutes ces batailles et toutes ces réunions du conseil, je n’ai jamais l’occasion de te voir. Et je dois encore prendre ma revanche aux échecs ! »

Elle sourit se rappelant leur dernière partie – elle avait pris le roi d’oncle Ned rien qu’avec sa tour et un pion. « Ce serait avec plaisir, mon oncle. » Elle s’assit à côté de lui et embrassa le rubis de l’anneau du couronnement.

Il fit signe à un serviteur qui passait d’apporter à Denyse un gobelet de vin. « Es-tu heureuse à la cour, ma chère ? Ou bien aurais-tu préféré rester dans le Yorkshire où la vie est plus calme ?

— Oh, aujourd’hui, je me suis sentie particulièrement abattue. C’est le premier anniversaire du décès de la duchesse. Le château Howard me manque tellement. » Ah, le château Howard... Elle y avait reçu chaleur et amour, sans compter les berceuses qu’on lui chantait chaque soir et la douce poitrine de la duchesse sur laquelle elle pouvait reposer sa tête. « J’y étudiais, je rendais mes bonnes œuvres aux pauvres, je lisais des histoires aux gamins... Ils adoraient les contes du Roi Arthur. » Le ton de sa voix s’adoucit en repensant au plaisir d’apporter un peu de bonheur à ces tristes vies.

« Je sais à quel point ces gens et la duchesse t’adoraient, répondit le roi Édouard, le regard perdu dans le vague. Pendant les années où mes frères, mes sœurs et moi avons habité au château Howard, la duchesse a été une mère pour nous tous. »

Denyse acquiesça d’un signe de tête. Ses yeux s’accrochèrent à la lumière qui étincelait sur son gobelet. « La duchesse passait des heures à prendre soin de ma coiffure, particulièrement quand le soleil les blanchissait. “Que tu es belle, comme une petite colombe !” avait-elle dit un jour. » Ce surnom lui était resté depuis ce jour. Mais son enfance idyllique avait trouvé une fin abrupte.

Un sourire enjoué se dessina sur les lèvres du roi Édouard. « Elle avait des surnoms pour tout le monde. J’étais Noueux à cause de mes genoux et de mes coudes trop gros. Mais ça s’est amélioré en grandissant. » Il étendit ses doigts rendus calleux par le maniement de l’épée et de la massue.

« Je me sens perdue ici, avec l’agitation constante de la cour et les ornements de la royauté. Je ne m’y sens pas à ma place. » Elle pouvait parler ainsi avec lui ; il avait l’oreille la plus compréhensive de la cour. Il partageait son amour pour la campagne du Yorkshire, avec ses luxuriants champs verts, ses aimables vallées, ses landes rendues violettes par la bruyère. Elle détestait Londres, un trou sale et grouillant de gens. Surtout, elle méprisait la cupidité de la famille de la reine. « Comme j’aimerais pouvoir connaître mes vraies origines. Je ne peux toujours pas croire que je suis la nièce de la reine.

— As-tu fait appel à elle depuis que tu es revenue à la cour ? demanda-t-il après avoir bu une gorgée de vin. Elle sera sans doute plus accommodante, maintenant que tu es adulte.

— Oui, le jour où je suis arrivée du château Howard. Elle m’a congédié en me disant “Ton père n’a jamais épousé ma sœur, ils sont morts de la suette et tu peux remercier le Ciel que j’ai accepté d’adopter une bâtarde”, raconta-t-elle en regardant son oncle dans les yeux. Elle me cache quelque chose, je le sais. »

Dès qu’elle avait su parler, elle avait commencé à demander à sa tante « qui étaient le seigneur son père et sa mère ? » Élisabeth lui donnait une gifle ou la chassait, et quand les questions devinrent trop ennuyeuses pour la future reine, beaucoup plus préoccupée par les bijoux du couronnement et les banquets, elle s’était débarrassée de Denyse et l’avait renvoyée dans le lointain Yorkshire.

Mais Denyse n’avait jamais cessé de s’interroger. Que cachait Élisabeth ? Qui sont mes parents ? Qui suis-je ?

Édouard hocha la tête, une fossette dans sa joue accentuant le froncement de ses sourcils. Oh, il connaissait bien les intrigues de sa femme.

Denyse prit une grande inspiration et redressa ses épaules. « Mon oncle, hier soir, la reine m’a envoyé une demande absolument absurde. Je dois vous en parler.

— Allons bon, que veut-elle cette fois-ci ? » L’air fatigué, Édouard fit signe à l’un des serviteurs de remplir leurs gobelets. « Dois-je plutôt demander un pichet pour entendre ça ?

— J’irai plutôt chercher un tonneau, répondit Denyse en serrant son gobelet. Elle veut que j’épouse Richard. Le jour de Noël.

— Richard ? Mon frère Richard ? » Il leva les yeux au ciel et but une longue gorgée de vin. Elle lut dans ses pensées : « Il est temps de marier la gamine. » Mais pas avec Richard !

« Je savais que tôt ou tard elle me promettrait à quelqu’un. Mais je ne peux pas épouser Richard. Je le considère comme mon frère. De plus, cela fait des années qu’il cherche à épouser Anne et la reine le sait très bien. » Elle but une gorgée du vin plus que méritée et vida finalement son gobelet. « Élisabeth fait ce qu’elle veut de moi depuis que je suis petite. Elle m’éloigne d’elle, puis me rappelle à la cour. Mais elle ne peut pas me marier à Richard le jour de Noël ou n’importe quel autre jour. Mon oncle, s’il vous plaît, ne lui donnez pas votre consentement.

— C’était donc ça, l’urgence. » Il se mit à rire en balançant son gobelet entre son pouce et son index.

« L’urgence ? » Elle se redressa sur son siège.

Édouard hocha la tête. « Richard m’a déjà pris dans un coin... » Il fit tourner son verre. « Je veux dire qu’il a demandé la permission d’épouser Anne demain à l’aube. J’ai vu bien des hommes qui brûlaient d’envie de ne pas se marier, mais jamais l’inverse.

— Oh, Dieu merci, soupira-t-elle de soulagement. Ils doivent se marier. Ils ont tellement d’affection l’un pour l’autre. Ils se marient demain alors ?

— Oui, mais pas à l’aube, comme il me l’a demandé. Il avait même déjà commencé à chercher un prêtre qu’il pourrait sortir du lit aussi tôt, mais j’ai jugé sage d’en informer d’abord la mariée, dit-il avec un sourire et un clin d’œil amusé. J’ai promis de publier les bans entre deux réunions du Conseil demain. Alors il ne connaîtra l’ivresse du mariage qu’après les vêpres au moins. » Il jeta un coup d’œil autour de la grande salle bruyante. « Bon, je dois assister à ces terrifiantes funérailles, je dois y aller, mon enfant. Mais nous aurons cette partie d’échecs, je te le promets.

— Les funérailles de qui ? demanda-t-elle en se levant en même temps que lui.

— Le comte de Desmond. Il a été exécuté, tout comme ses deux jeunes fils, lui dit-il en tirant sur son pourpoint.

— Desmond ? Exécuté ? Mais il était l’un des Yorkistes les plus fidèles. Qu’a-t-il commis comme crime ? » Denyse frissonna en pensant à cette dernière exécution. « Cette cour est un véritable bain de sang, murmura-t-elle.

— Aucun crime n’a été commis. Du moins, c’est mon avis, mais pas celui de mon irascible reine. » Édouard parlait comme s’il s’était résigné au flux constant d’exécutions qu’Élisabeth provoquait. « Quand il est arrivé d’Irlande, nous sommes allés chasser. Un peu légèrement, je lui ai demandé son avis à propos de mon mariage avec Bess. Desmond a répondu honnêtement qu’il valait mieux se marier en dehors du royaume et nouer une alliance avec l’étranger. Sans y prêter trop d’attention, au détour d’une conversation, j’ai commis l’erreur de mentionner ses paroles à Bess. Elle est devenue folle de rage et a convaincu le comte de Worcester de monter une accusation contre ce pauvre vieux Desmond. Il a été arrêté il y a une semaine et conduit au gibet hier matin.

— Mais pourquoi ne l’avez-vous pas empêchée ? insista Denyse en descendant les deux marches de l’estrade avec lui.

— J’avais bien l’intention de lui accorder mon pardon. Dans la salle du conseil, j’ai cherché vainement le sceau royal, mais j’ai découvert que la reine l’a chapardé pour sceller l’ordre d’exécution, expliqua-t-il en étouffant un bâillement. Desmond a toujours été si fidèle. J’aimerais pouvoir en dire autant de certains autres ici. » Elle savait exactement à qui il faisait référence.

Denyse fronça les sourcils avec dégoût, sachant qu’elle n’avait pas besoin de se cacher de son oncle. « Quand la corde se brisera-t-elle ?

— Inutile, ma fille. » Le roi montra un rare froncement de sourcils. « La reine est sur le point d’accoucher et je compte la garder enceinte pour le restant de ses jours. Elle est tenue de mettre au monde un prince digne d’être roi, ou au moins aussi robuste que les deux blaireaux auxquels elle a donné naissance avec l’autre vermine. »

Cette « autre vermine », c’était son premier mari, John Grey.

« Nous espérons que les ressemblances s’arrêteront là. » L’oncle et la nièce échangèrent des regards amusés.

Édouard salua quelques courtisans alors qu’ils quittaient la grande salle. Plusieurs personnes de sa suite les accompagnèrent.

« Je dois changer de vêtements pour mettre du noir. » Il se pencha vers elle et la serra dans ses bras. Elle se sentait tellement en sécurité, enveloppée par sa chaleur.

« Merci, Sire. » Elle resserra son étreinte.

« Parfois, je me demande pourquoi je me donne la peine de porter autre chose que du noir. On croirait que je suis veuf.

— Attention à ce que vous souhaitez, mon oncle, dit-elle en lui donnant un petit coup dans les côtes. Ça pourrait arriver. »

Ils échangèrent des sourires plus discrets, cette fois.

Elle aimait l’oncle Ned de tout son cœur. Elle le considérait comme un père, un frère et un ami. Elle pouvait lui confier tous ses problèmes. Il était la seule bonne chose qui ressortait du coup du destin qu’elle avait subi. Il lui manquait vraiment quand il allait se battre ou qu’il parcourait le royaume. Mais pourquoi était-il tombé sous le charme d’Élisabeth ? Elle avait entendu pas mal d’histoires, dont beaucoup étaient franchement osées, à propos des jeunes filles que l’Oncle Ned avait courtisées. Il avait même failli épouser l’une d’elles.

Mais Élisabeth avait résolu tout ça.

Et beaucoup pensaient que c’était par la sorcellerie.

Élisabeth Woodville avait rencontré Édouard Plantagenêt pour la première fois sous un chêne. La veille de leur mariage, le 13 avril, était un jour de sabbat pour les sorcières. Et on savait que les sorcières pratiquaient toujours leurs cérémonies sous un chêne. La voisine d’Élisabeth l’avait accusée publiquement de sorcellerie, en exhibant deux petites figurines en plomb représentant un roi et une reine. Édouard avait pris cette accusation au sérieux et avait lui-même mené l’enquête. Mais il était tombé désespérément amoureux de la Jument grise, comme on l’appelait, et l’avait épousée. Était-ce parce qu’elle ne voulait pas lui donner ce qu’il voulait avant sa nuit de noces ? Denyse s’était toujours interrogée.

Le lendemain matin, durant toute la messe, Denyse observa Richard avec inquiétude. Il regardait partout et ignorait le prêtre qui officiait. Il jouait avec ses bagues, lissait son tabard au point qu’elle pensait qu’il en userait le tissu, et il passa la seconde moitié de l’office penché en avant, la tête entre ses mains. Il avait autre chose à l’esprit que la dévotion.

Non, la reine ne pouvait pas se montrer d’une telle cruauté en le privant du bonheur de son véritable amour. Nous trouverons une solution, jura-t-elle devant Dieu.

Alors que la chapelle se vidait à la fin de la messe, Richard tira Denyse par la manche et lui fit signe de le suivre. Mais il fit un brusque demi-tour et revint dans l’allée centrale. « Non, asseyons-nous plutôt au fond. Plus nous serons loin de l’autel, mieux ce sera », ajouta-t-il en marmonnant.

Denyse rassembla ses jupes et s’assit sur le dernier banc. Richard faisait les cent pas, les mains jointes derrière son dos. « Richard, assieds-toi, s’il te plaît. Tu me donnes le tournis.

— Je ne peux pas. Je ne peux penser que debout, en remuant mes pieds. » Sa voix résonnait dans la chapelle vide. « Cette satanée reine joue l’un de ses tours habituels et celui-ci pourrait même fonctionner. » Il frappa la paume de sa main avec son poing.

« Qu’a-t-elle encore fait ? demanda Denyse avec une inquiétude grandissante. Je croyais qu’oncle Ned avait donné sa permission pour que tu épouses Anne aujourd’hui.

— Il l’a fait. Et puis, après avoir obtenu son consentement et convoqué le père Farley, le tout en moins d’une heure, je suis allé retrouver ma fiancée, mais son père sans scrupules l’avait déjà séquestrée. » Sa voix dégoulinait d’amertume.

« Pourquoi aurait-il fait ça ? » Elle se leva et vint à ses côtés.

« Oh, ce n’est pas entièrement de son fait. On l’a aidé. » Il insista sur le dernier mot avec un ricanement.

« Oh, non ! » Elle serra les mâchoires, son sang se réchauffant à chaque respiration.

« Oh, si. Cette catin d’Élisabeth a encore frappé, dit-il en jetant ses mains en l’air. J’essaye de trouver Anne, j’ai envoyé des troupes à sa recherche, mais ce sont des bons à rien. Je ne fais que tourner en rond dans toute l’Angleterre. » Il frappa du poing sur le rebord du banc. « Nous aurions dû nous enfuir ! »

Une chape de plomb s’abattit sur Denyse. « Même oncle Ned disait que tu aurais d’abord dû t’assurer de la présence de ta fiancée. »

« Mais n’est-ce pas mon habitude d’oublier le plus évident ? remarqua-t-il en se frottant les yeux. Seul le diable sait où elle est, et tout est perdu. »

Elle leva son index. « Pas encore. Je vais quitter la cour déguisée en servante et je m’installerai dans le nord, près du château Howard. Je connais bien cette région, j’y ai des gens de confiance et je peux continuer à rechercher ma famille là-bas. Bess ne peut pas nous marier si la fiancée est absente. »

Il secoua la tête pendant qu’elle parlait. « C’est trop dangereux. Tu ne peux pas t’éclipser de la cour sous un déguisement et te balader en Angleterre habillée comme une foutue poissonnière.

— Très bien. Alors, réfléchis à mon idée suivante. Ça m’est venu comme un coup de tonnerre pendant la nuit. »

Le regard de Richard s’illumina et se posa sur elle. « Je t’écoute. »

« Tu peux épouser quelqu’un d’autre, proposa-t-elle comme une simple solution.

— Que j’épouse quelqu’un d’autre ? Et pourquoi moi ? s’exclama-t-il avec son poing sur sa hanche. C’est toi que ta tante veut marier. Je suis juste le lièvre pris entre les vilaines mâchoires du chien de chasse.

— Eh bien, je ne veux pas épouser un homme que la reine aura désigné. Je veux d’abord trouver ma famille. Et quand je me marierai, ce sera avec un homme que j’aurai moi-même choisi, un homme courtois, beau et... viril. Je ne veux assurément pas dire que tu n’as pas toutes ces qualités », ajouta-t-elle.

Il acquiesça et l’incita à poursuivre. « Continue, voyons comment tu vas te sortir de celle-là. » Son sourire s’élargit et devint narquois. Il aimait embarrasser les gens.

« Oh, tu sais ce que je veux dire. » Son cœur se mit à palpiter en repensant à la journée d’avant. « Je veux quelqu’un comme le chevalier qui m’a approchée dans la cour extérieure hier.

— Quel chevalier ? demanda-t-il en haussant un sourcil.

— Nous n’avons fait que nous saluer. Et la foule nous a séparés. Il est venu et s’en est allé en un clin d’œil. Mais grâce à lui, j’ai eu l’impression d’être si spéciale, si désirée, si... » Elle laissa échapper un long soupir. « Si féminine. Aucun homme ne m’avait jamais regardé comme ça avant. La cour extérieure était pleine de jeunes filles, mais c’est moi qu’il est venu voir. J’ai toujours rêvé d’un mariage de conte de fées, avec quelqu’un comme lui. » Elle baissa les yeux. Richard avait raison. Elle rêvait encore et, cette fois, elle le faisait à voix haute. « Mais quel intérêt pour toi, ou pour n’importe qui d’autre, d’épouser la nièce illégitime et orpheline de la reine ? Je n’ai même pas de dot.

— Oh, tu sais bien, la rassura Richard en la caressant sous le menton. La vieille sorcière protège toujours son arrière-train.

— Elle me procure une dot ? » Les yeux de Denyse s’écarquillèrent. « Avec quoi ?

— En caractères nettement plus grands que le reste du message, et soulignés, s’il vous plaît, elle a tenté de flatter mon avidité avec le manoir de Foxley comme appât.

— Le manoir de Foxley ? demanda-t-elle en secouant la tête. Je n’en ai jamais entendu parler.

— C’est un bien considérable, selon elle. Comme si un ridicule manoir pouvait rivaliser avec ce qu’Anne apporte. Avec tout mon respect, Denyse... » Il fit une pause. « La dot d’Anne est énorme, et elle héritera de la moitié des biens de sa mère.

— Je ne connais aucun manoir de Foxley, insista-t-elle en secouant la tête. Je n’ai jamais eu une quelconque dot. Comment serait-ce possible pour une bâtarde orpheline ?

— J’ai pensé que ça faisait partie du douaire de la reine, mais ces terres sont situées dans le Northamptonshire, où Édouard est tombé pour la première fois sous son charme. La maison de sa famille à Grafton Regis est devenue propriété d’Édouard après s’être mariés dans la chapelle, expliqua-t-il. Mais je n’ai aucune idée sur l’endroit où se trouve ce manoir de Foxley. Et ça m’est bien égal. Ça m’a tout l’air d’être une vieille étable. Complètement inutile. » Il chassa l’idée d’un geste, comme il aurait chassé une mouche.

« En fait, c’est important pour moi, dit-elle en croisant les bras. A-t-elle dit où se trouvait cet endroit ?

— Quelque part dans le Wiltshire. Oh, quel était le nom du village ? » Il se tapota le côté de la tête. « Ça ressemblait à un nom de vin – oh, oui. Malmesbury. »

Denyse en eut le souffle coupé et serra son livre d’heures, enfonçant la tranche du volume dans ses paumes. « Malmesbury ! Par Dieu !

— Tu en as déjà entendu parler ? demanda-t-il en penchant la tête.

— À diverses reprises ! » Elle semblait incapable de reprendre son souffle. « Richard... » Son cœur battait fort. « À la cour, avant qu’elle ne m’envoie vivre au château Howard, je l’ai entendue plusieurs fois prononcer à voix basse le nom de Malmesbury, associé au mien. Mais je n’ai jamais pu comprendre ce qu’elle disait à travers les murs du palais, avec tout le bruit des serviteurs. Persuadée qu’il devait y avoir un lien, je l’ai inscrit dans mon journal aussitôt après l’avoir entendu, pour ne pas me tromper. Je l’ai même trouvé sur la carte.

— C’est peut-être de là que vient ton père, supposa Richard.

— En fait, je n’ai jamais cru que j’étais la fille de sa sœur. Je ne ressemble même pas à une Woodville et, par la grâce de Dieu, je n’ai rien de commun avec aucun d’eux.

— Alors, il se peut qu’il y ait un lien entre ta famille et ce manoir de Foxley. » Richard tambourina ses doigts sur le banc. « Hmm...

— Richard, je dois me rendre à Malmesbury pour trouver le manoir de Foxley et, si Dieu le veut, je trouverai ce que je cherche. » Elle relâcha ses poings serrés. « Pendant que je voyage, tu continues à chercher Anne. »

Elle avait du mal à respirer et rester calme, quand elle voulait seulement se précipiter dans les appartements de la reine et l’étrangler.

Richard tapa du pied. « Bon, peu importe que tu trouves ce que tu cherches au manoir de Foxley, on pourrait aussi trouver un moyen de faire de ton autre fantaisie de conte de fées une réalité. »

Denyse leva les yeux vers les voûtes de la chapelle et revit le visage de ce chevalier, l’image toujours vivace dans son esprit. Si Richard pouvait trouver quelqu’un qui lui ressemblait vaguement...

« J’appelle ça un conte de fées parce que c’est tout ce que c’est, Richard. » Elle revint sur terre avec force. « Il faut juste que je me réveille.

— Peut-être pas. Le royaume a son lot d’hommes courtois et... » Il agita sa main. « Peu importe ce que tu as dit. Il y en a plein d’autres. Fais-moi confiance, je t’aiderai à en trouver un. Ensuite, tu n’auras qu’à obtenir la permission d’Édouard de te marier et tu pourras en finir avec tout ça. La Jument grise n’en saura rien. »

Une étincelle d’excitation accéléra le pouls de Denyse. « Je l’envisagerai quand tu auras pêché la perle rare dans ce lot d’hommes courtois – mais il doit correspondre à la description que je t’ai donnée. Trouve d’abord Anne et je vais à Malmesbury pour chercher ma famille. Au moins, l’un de nous devrait trouver ce que nous cherchons. Maintenant, j’ai deux mots à dire à la reine – et en parlant de courtoisie, on ne fait pas plus courtois qu’elle. »

Il secoua la tête avec un sourire en coin. « Aux toilettes, peut-être.

— Oh, comme je voudrais qu’il me pousse des ailes pour m’envoler vers Malmesbury, rêva-t-elle à haute voix. C’est enfin une autre piste pour résoudre ce mystère. J’irai là-bas et, si Dieu le veut, c’est là que je trouverai mes vraies origines. »

S’il vous plaît, faites que ce soit l’endroit auquel j’ai pensé pendant toutes ces nuits dans mes appartements pleins de courants d’air quand j’étais enfant, chaque fois qu’Élisabeth me chassait, supplia-t-elle Dieu. Cela la rendait encore plus déterminée à battre la reine à son propre jeu cruel. Maintenant, elle avait un but, un endroit où aller, la première étape sur le chemin de ses origines. Et si Richard lui trouvait le chevalier de ses rêves, elle serait comblée. Était-ce trop demander ? Trouver sa famille et son véritable amour ?

« Pour l’instant, gardons ça dans les brumes des rêves pendant que je poursuis ma quête. » Elle serra la main de Richard et le conduisit à la porte de la chapelle. « J’ai besoin de savoir qui je suis et d’où je viens. Alors, ma vie aura un sens. Je ne suis pas à ma place ici et je ne mérite pas tous les honneurs royaux. Même si ce sont de petits paysans travaillant la terre, c’est ma famille. Oh, je suis impatiente de les retrouver ! Alors, je serai digne de l’amour d’un chevalier. » Elle marqua une pause. « Peut-être a-t-il senti que je suis perdue et pas à ma place, et ça l’a fait fuir. Il a vu la tristesse et l’angoisse dans mon regard. Qui voudrait partager une telle misère ? demanda-t-elle en ouvrant la porte.

— Mais quelque chose l’a quand même attiré à toi, fit-il remarquer en sortant après elle. C’est la foule qui vous a séparés. Tu ne l’as pas repoussé. Je sais comment se déroulent ces réjouissances pour la victoire. C’est le chaos qui prévaut – surtout une fois que le vin commence à couler. La bousculade sépare les gens et, plus souvent encore, oserai-je dire, elle les réunit. Beaucoup de jeunes filles sont poussées dans les bras de chevaliers avides. Et ceux-ci n’hésitent pas à sauter sur l’occasion pour festoyer avec elle, de plus d’une façon, jusqu’aux petites heures du matin avant de lui demander son nom.

— Et comment sais-tu ça ? Par expérience ? » Elle sourit, sachant que ce n’était pas le cas.

« Non, je ne pourrais jamais duper une jeune fille, même si je le voulais. Tout le monde connaît mon visage. » Il lécha son index et le passa sur son sourcil. « Mais c’est arrivé à certains de mes amis. Parfois, j’ai l’impression qu’ils ne vont se battre que pour les réjouissances qui suivent, au lieu de se battre pour la survie du royaume.

— Nous avons chacun nos raisons de vivre, Richard. » Elle caressa sa joue avec son doigt. Ils se séparèrent et elle regagna ses appartements pour préparer sa conversation avec la reine.

ChapitreDeux

Denyse entra dans la salle d’audience de la reine Élisabeth alors que les cloches de l’église sonnaient trois coups. Une dame d’honneur alla informer la souveraine. Denyse s’était préparée à une longue attente : Son Altesse ne faisait ses grandioses entrées que lorsqu’elle était fin prête.

Alors qu’elle faisait les cent pas, trois servantes aux mains rougies et rugueuses frottaient les boiseries, tandis que deux autres battaient les tapisseries et nettoyaient les meubles. Une femme de chambre vacillait sur une échelle en mauvais état pour tenter d’éliminer les toiles d’araignée pleines de poussière des corniches.

La reine Élisabeth entra, passa à côté de Denyse sans la remarquer et se dirigea droit vers la servante qui nettoyait son bureau. Denyse avait vu cette pauvre fille de nombreux matins sombres laver le sol, poussant une bougie devant elle pour s’éclairer.

La reine écrasa sa paume sur la table. « Ça n’est pas chaud, tu ne frottes pas assez fort. Et c’est rayé ! » beugla-t-elle. La fille grimaça de peur. « Frotte jusqu’à ce que ce soit chaud, ou tu te retrouveras à dormir sur ta paillasse sans dîner pendant une semaine ! »

Elle regarda Denyse et son sourire n’atteignit pas ses yeux, ce qui accentua sa fausseté. « Assieds-toi, ils sont en train d’aérer la salle de réception. » Elle claqua deux fois des doigts et les servantes disparurent.

Elle installa son corps gonflé par la grossesse dans la chaise surdimensionnée située face à Denyse, un peu trop loin pour une conversation normale, mais la distance semblait stimuler le sentiment de supériorité de la reine. Sa coiffe pointue jetait une ombre inquiétante sur le tableau représentant Londres derrière elle. Denyse s’assit en face d’elle sur une chaise couverte de velours et joua avec son liséré tressé.

« Alors, qu’as-tu à me dire... ma chère ? » Le terme d’affection en fin de phrase avait clairement été pensé après coup. « Je dois bientôt voir les gens de la cuisine pour commander le dîner. Alors, parle vite. »

Denyse s’éclaircit la voix pour dire les mots qu’elle avait bien répétés : « Tante Bess, vous savez que j’aime faire l’aumône aux enfants défavorisés. Depuis que je suis de retour à Londres, j’ai observé la condition misérable de nos pauvres ici et je souhaiterais explorer la ville. Je pourrais faire ça régulièrement. »

La reine lissa ses jupes autour de sa taille. « Es-tu en train de solliciter une pension royale ? »

Denyse hocha la tête. « Cela et un guide, et peut-être aussi une monture convenable pour me porter dans ces trajets. »

Une grimace creusa de profondes rides autour de sa bouche. « Le trésor royal est épuisé, à force de financer ces incessantes batailles contre les Lancastre. Ce serait une charge considérable.

— Je réduirai mes propres dépenses, ajouta-t-elle précipitamment. Par exemple, je n’ai pas besoin de toutes les femmes que j’ai ici pour me servir. Je peux congédier quatre d’entre elles. »

Élisabeth regarda Denyse avec une moue stupéfaite. « Pour vivre avec moins de six servantes ?

— Je n’en ai besoin que d’une. » Elle saisit les accoudoirs de sa chaise. « Juste ciel, au château Howard, j’avais une dame d’honneur et une servante, c’était plus que suffisant. Je préfère donner de l’argent à ces pauvres orphelins. Les servantes peuvent travailler ailleurs.

— Tu as grand cœur, remarqua-t-elle comme s’il s’agissait d’un défaut.

— Tante Bess, vous êtes une femme qui a beaucoup voyagé. Vous avez accompagné le roi jusqu’aux confins de la frontière écossaise. En étant aussi isolée au château Howard, je n’ai jamais eu l’occasion de démontrer ma bonne volonté vis-à-vis du royaume. Je pourrais rassembler une suite qui voyagerait par étapes pour distribuer des aumônes et lire aux enfants l’histoire de leur bonne reine, même en dehors de Londres. Et j’espérais que vous pourriez m’indiquer des villages où la population locale accueillerait à bras ouverts un membre de la famille Woodville. »

Élisabeth examina ses ongles puis leva finalement la tête, sans pour autant croiser le regard de Denyse. Elle ne regardait jamais personne directement dans les yeux. « J’aime beaucoup New Forest, le Devon, et la beauté sauvage de la Cornouailles. Il se peut que tu y trouves quelques pauvres misérables, je ne sais pas. Ces gens admirent vraiment les Woodville. Puis, bien sûr, l’Est-Anglie. J’ai toujours vraiment aimé Colchester, même si le château ne répond pas à mes goûts.

— Je me demande à quoi ressemble le Wiltshire, dit Denyse d’un air songeur.

— Pourquoi le Wiltshire ? » Élisabeth plissa les yeux tout en inclinant la tête sur le côté. Quand elle vit Denyse la fixer du regard, elle se troubla.

« Oh, j’aimerais y visiter quelques villes. Malmesbury... » Fixant toujours la reine, elle réussit à garder une voix égale.

Les mains d’Élisabeth s’agitèrent et elle se racla la gorge. « Et pourquoi donc voudrais-tu y aller ?

— Pourquoi pas ? la défia-t-elle.

— Dis-moi pourquoi, de toutes les villes de ce royaume, tu choisis spécifiquement un ridicule village du Wiltshire, dit la reine avec une sévérité accrue.

— Pendant que j’aiderai les pauvres, il y a aussi des choses qui m’intéressent là-bas, répondit Denyse en maintenant le niveau de sa voix.

— Comme quoi ?

— Oh, l’abbaye a une histoire riche. Et puis il y a l’auberge des Trois Cloches du onzième siècle, et le manoir de Foxley, dit-elle avec une voix aussi innocente que celle d’une sainte, tout en gardant ses yeux sur la reine.

— Le manoir de Foxley ? » La voix de la reine s’éteignit comme la corde d’un luth qu’on aurait distendue.

Aha !

Élisabeth Woodville ne pourrait jamais faire une carrière d’actrice.

« Oui, le manoir de Foxley, acquiesça Denyse sur un ton rêveur. J’ai lu des choses dessus quand j’étais enfant. C’est un endroit assez charmant et ça date de l’époque d’Arthur. C’est pourquoi ça attise ma curiosité.

— Jamais entendu parler. Je ne connais pas Malmesbury. » Les doigts de la reine jouèrent avec les rangs de perles autour de son cou. Denyse savait qu’elle mentait. « Il serait plus utile d’aller à Saint-Giles, ici même à Londres. On ne trouve pas plus pauvres que ces gens-là. Jette un sou à cette misérable populace et ils se battront à mort pour l’avoir. C’est plus amusant que d’essayer d’appâter un ours, dit-elle avec un rire sadique.

— Êtes-vous sûre de n’en avoir jamais entendu parler ? insista Denyse. Fouillez dans vos souvenirs, il est possible que quelque chose vous revienne. Vous avez, après tout, autant lu sur l’histoire d’Angleterre que vous avez voyagé. »

Des taches rouges apparurent sur les joues de la reine. Sa poitrine se souleva alors qu’elle prenait une profonde inspiration qu’elle retint un moment. « Non, décidément. Dieu seul sait où se trouve cet endroit miteux. » Elle exhala, produisant le sifflement d’un serpent, tout en agitant son autre main.

« C’est à quelques encablures de Swindon, en fait, signala Denyse. J’ai lu que le manoir de Foxley avait un lien avec les Woodville. C’est peut-être l’un de nos ancêtres, un parent éloigné d’Ethelred le Malavisé, qui l’a construit.

— Ah, maintenant, ça me rappelle quelque chose, répondit Élisabeth en tapotant sa tempe. Oui, une histoire à dormir debout du père du roi Édouard. »

Foutaises, songea Denyse d’un air moqueur. Si Richard n’en avait jamais entendu parler, c’est que cela n’avait jamais appartenu aux Plantagenêts. Personne ne connaissait mieux que lui l’étendue des propriétés que les Plantagenêts ont possédées ou confisquées. Mais sa tante avait mordu à l’hameçon, comme prévu.

« Je serai donc heureuse de visiter l’endroit pour y être reçue comme la nièce de Votre Altesse, déclara Denyse.

— N-non... bégaya la reine. Il n’y a personne là-bas. L’endroit a brûlé.

— La ville entière ? demanda Denyse.

— Non, le manoir de Foxley, idiote. Il a brûlé il y a bien longtemps. » Elle eut un geste méprisant.

« Une tour de pierre ne peut brûler aussi facilement, la défia Denyse.

— C’était une chaumière en bois, rien de plus. Un vrai taudis. Il n’existe plus. » La reine jetait des regards autour de la pièce.

« Ah, très bien alors. » La vérité était à portée de main, même si elle ne savait pas par quel moyen. La médiocre tentative d’Élisabeth pour couvrir ses mensonges l’avait trahie. Elle avait juste renforcé la conviction de Denyse que Malmesbury avait un lien avec sa famille. La possibilité de ne pas appartenir aux Woodville lui donnait l’impression de renaître.

Elle se leva pour prendre congé.

La reine releva la tête pour faire face au soleil. Son regard résumait toute la misère de la furieuse tempête qui l’avait envahie. Elle eut du mal à se lever, refusant l’aide que Denyse lui offrait. « Le manoir de Foxley n’existe plus. Ça n’est plus qu’un mythe, comme Camelot, réduit à l’état de vague légende. Si tu veux entamer un voyage pour les pauvres, fais-le, mais ne va pas à Malmesbury. C’est une ville riche, ils n’ont pas besoin d’aumônes là-bas. Tu y perdras ton temps. Reste à Londres. Je te l’ordonne. »

Un mythe ? En effet. Ses bavardages à propos du fait qu’il ait brûlé étaient plus crédibles. La vérité était quasiment à portée de main.

« Ah, alors il en sera ainsi, tante Bess, selon votre bon vouloir. M’accorderez-vous une pension ? » Elle traversa la pièce et posa sa main sur la poignée de la porte.

« Oui, je t’accorde dix livres par an. Et si tu insistes pour renvoyer tes servantes, libre à toi. Je les prendrai à mon service. J’ai toujours besoin d’aide. »

Oh, mais bien sûr. Denyse dissimula un sourire moqueur avec sa main. La reine levait à peine le petit doigt, même quand elle devait soulager ses besoins les plus élémentaires. Elle s’efforça de faire sa révérence et sortit de la pièce en reculant, l’esprit bouillonnant d’intrigues.

« Je sais qu’elle ment ! » cracha-t-elle à voix haute. Elle ne s’était pas attendue à entendre la vérité, elle voulait juste que sa tante sache qu’elle avait des informations. Elle parcourut les couloirs, la tête haute et les épaules redressées. C’était l’effet produit par ce chevalier, il lui avait donné l’assurance qu’elle méritait d’attirer l’attention. Même si son oncle Ned l’adorait, elle n’était encore qu’une enfant à ses yeux. Mais ce chevalier, peu importait qui il était, avait changé la façon dont elle se voyait par un seul regard. Et il était possible qu’elle ne le croise plus jamais.

CIMETIÈRE DE L’ÉGLISE DE TOUS LES SAINTS, SURREY.

De retour de son instruction militaire en France, Valentin était directement allé se battre à Barnet. Il savourait maintenant un peu de répit dans la ferme de sa famille, le manoir de Fiddleford, au-delà des portes de la ville. C’était agréable d’être à nouveau dans le Surrey, sans avoir à se soucier des intrigues de la cour ou de l’ennemi. Il souriait, si heureux de retrouver son cher ami qui lui rendait visite pour la journée. Mais pourquoi Richard trouvait-il les cimetières aussi réconfortants ? Valentin appréciait la paix et la tranquillité, mais ses terres suffisaient. Il n’avait pas besoin de tant de tranquillité.

Il s’appuya contre une pierre tombale. Sa fraîcheur le calma, tout comme le cimetière d’une manière étrange, ombragé par de vieux arbres dont les feuillages bruissaient dans la brise. Ces tombes gardaient le souvenir de ces paysans qui avaient travaillé d’arrache-pied, bien que les inscriptions soient effacées par les ravages du temps.

Se penchant, il passa un bras autour des épaules de Richard et le serra affectueusement. « C’est dommage que tu n’aies jamais visité la France, Richard. Les Français ont un mot pour décrire chaque fantaisie imaginable, ce que les Anglais n’ont pas. »

Richard le regarda de travers. « Pas étonnant qu’on les batte à chaque bataille. Ils sont trop occupés à s’amuser pour défendre leur propre terre. Lorsqu’il s’agit de l’art de la guerre, ils sont nuls.

— La guerre n’est pas tout. » Valentin se tourna vers sa ville natale. « Nous devons aussi aimer. » Du haut de la colline où se trouvait le cimetière, il regardait à travers les vallons où il avait batifolé quand il était enfant, un paysage riche en terres cultivées. Il pouvait voir la ville de Twickenham au loin, avec son clocher qui essayait d’atteindre le ciel et ses chaumières en torchis. Leurs chevaux broutaient aux côtés d’un troupeau de moutons imitant les nuages qui passaient au-dessus d’eux. Les collines couvertes d’une forêt épaisse et le ciel se rencontraient sur l’horizon vaporeux, là où il avait appris la fauconnerie et la chasse. Là où il avait connu son premier baiser.

Au cours de la dernière bataille, un Lancastrien avait attaqué Valentin avec une hache d’armes et lui avait infligé un coup au bras. Il avait ignoré la douleur et avait aidé à écraser le centre des lignes ennemies. Depuis, il arrivait à peine à bouger son bras. Jusqu’à la veille, où il avait repris son épée pour la manier prudemment. Il changea de position pour soulager l’inconfort. Il ne voulait pas que Richard sache qu’il était blessé. C’était une question de fierté ; ils avaient toujours eu cette amicale rivalité.

« Par Dieu, Val, ton séjour en France a fait ressortir ton côté romantique », dit-il avec un sourire malicieux.

Valentin repoussa les cheveux qui lui volaient dans les yeux. « Ah, oui, rien n’égale la passion d’un homme et d’une femme dont les cœurs ne font qu’un. »

Richard regarda autour de lui. « Un passe-temps assez agréable entre deux batailles, je te l’accorde. »

Valentin aurait vraiment souhaité que Richard aille en France avec lui. Peut-être que cela aurait mis un terme à son obsession pour la guerre.

Le sourire de Richard s’élargit. « Dis-moi, est-ce que tu composes toujours des chansons d’amour dans ta tête, pendant la messe ?

— Oui, mais seulement les paroles, pas la musique, répondit Valentin. Et toi ? Aimes-tu quelques jeunes filles ?

— Seulement une. » L’expression de Richard se durcit, son sourire avait disparu de ses lèvres crispées.

« Pourquoi seulement une ? » Valentin remua son bras, essayant d’ignorer la douleur.

Richard haussa les épaules. « Je n’en poursuis qu’une à la fois, mon ami.

— Qui est-ce ? demanda-t-il, piqué par la curiosité.

— Anne Neville. » Le sourire de Richard revint. « Mon Annie.

— La petite Annie ? Tu l’aimes encore ? Mais c’est merveilleux ! s’écria-t-il en donnant une tape sur l’épaule de son ami. Vous formez un couple parfait.

— Oui, c’est vrai. Richard a consenti à notre mariage. Mais quand je suis allé la retrouver avec un prêtre, son père l’avait si bien séquestrée que nous n’avons même pas pu nous enfuir. Ce fumier de Warwick, murmura-t-il. J’aurais dû m’en douter.

— Pourquoi Warwick voudrait-il vous séparer ? demanda Valentin.

— C’est le fruit d’un complot entre lui et la reine des sorcières. » Richard s’éclaircit la gorge et poussa un soupir résigné. « Elle veut me coincer dans un mariage fait pour avancer les intérêts de sa propre tribu, comme toujours.

— Avec qui ? » Valentin écarquilla les yeux, désormais consumé par la curiosité.

« Avec sa nièce orpheline et illégitime. »

La mâchoire de Valentin tomba. « Bon sang !

— M’épouser serait le plus grand honneur auquel sa nièce puisse aspirer, mais sa dot n’a été mise sur le tapis qu’après coup par Élisabeth, et c’est vraiment sans importance. Un camouflet cinglant, par rapport à la fortune d’Anne. “Qui de mieux pour ma nièce que le frère du roi lui-même ? Bla-bla-bla !”, dit-il en imitant le ton irritant d’Élisabeth.

— Est-ce que la nièce est aussi rusée que le reste de la bande ? demanda Valentin.

— Non, en aucune manière, répondit-il en secouant la tête. C’est une confidente absolument digne de confiance. Elle ne manque jamais de me raconter toutes les intrigues des Woodville. »

L’incrédulité fit pâlir Valentin. « Pourquoi trahir sa propre famille pour toi ?

— Elle est persuadée qu’elle n’est pas une Woodville. Il n’y a aucune ressemblance. Qui plus est, et à juste titre, les agissements d’Élisabeth et de ses parents pour se hisser à la cour comme des vautours qui se jettent sur une proie lui font honte. Elle ne veut pas être associée à ça. Ils ont des valeurs diamétralement opposées, les Woodville ne jurent que par la fortune. Vois comment ils sont parvenus à cajoler Édouard pour obtenir des titres et des charges à la cour. Et puis, ils ont réussi à lui faire financer leur grotesque flotte. Tout ça grâce à la reine, bien sûr. Et je n’ai pas besoin de t’expliquer comment elle s’y prend. »

Valentin était tenté d’interroger son ami pudibond avec un Oh, s’il te plaît, Richard, donne-moi plus de détails, pour s’amuser. Mais la conversation avait capté son attention. « Et cette nièce, quels sont ses défauts ? En dehors de la tare de son nom.

— Il n’y a rien de décourageant chez elle. Contrairement à ses parents qui ne cherchent que l’apparat, elle préfère les plaisirs bucoliques. La vie de la cour n’a aucun attrait pour elle. J’apprécie sa compagnie, mais rien d’autre. Quand elle est avec moi, elle n’a aucun effet sur mon humeur, si tu préfères. Je ne ressens pas de... » Richard baissa la tête et tapota ses doigts sur son menton.

« De désir ? » suggéra Valentin.

Richard haussa les épaules.

« De passion ? » risqua-t-il.

Richard détourna le regard et arracha un brin d’herbe.

« D’extase ? » essaya-t-il encore.

« Quelque chose comme ça », murmura-t-il en secouant la tête. Puis il se tourna vers Valentin. « Comment sais-tu ces choses ? As-tu déjà ressenti l’intensité des sentiments dont tu parles ? Ou tu imagines le tout à partir de ce que tu as vu à la cour de France ?

— Oh, je suis déjà tombé amoureux, mais je n’ai pas connu la douleur de sentiments profondément enracinés qu’un homme pourrait avoir pour une femme, comme mon père pour ma mère. Quand j’étais à peine en âge de parler, je percevais déjà tout l’amour qu’ils ressentaient l’un pour l’autre. » Ses yeux se fermèrent en évoquant le souvenir de ses parents.

« Bon, disons que je ne me sens pas Français quand je suis avec elle, admit Richard en fronçant les sourcils. J’aurais l’impression d’épouser ma sœur. Et j’ai un peu moins de sept mois pour échapper à cette comédie.

— Il doit bien y avoir un moyen d’éviter ce mariage. » Valentin leva un doigt : « A-ha ! Dis à la reine que tu préfères les hommes. »

Les rides entre les sourcils de Richard se creusèrent. « À quoi bon ? Elle sait que je suis un soldat et que je préfère la compagnie des hommes, je...

— Non, Richard, l’interrompit Valentin. Je ne parle pas seulement de leur compagnie. Je veux dire... Tu sais, poursuivit-il avec un clin d’œil. Dis-lui que tu es l’un d’eux.

— Tu veux dire... » Richard agita son poignet.

« Oui ! Elle ne marierait quand même pas sa nièce à un sodomite, non ? »

Richard réfléchit un instant et secoua la tête. « Non, il faudrait que je joue un rôle et j’ai assez de problèmes comme ça à la cour. » Il ôta une fourmi de son bras. « En plus, quand elle s’en rendra compte, elle serait capable de vouloir me caser avec l’une des tapettes qui lui servent de frères. »

Valentin chercha une autre solution. « Et si tu rentrais dans les ordres ? »

Richard poussa un soupir. « Je ne veux pas être prêtre, Valentin. Dieu m’aura pour le reste de l’éternité. Tant que je serai en vie, je serai plus utile au royaume qu’à Lui. Non, je dois retrouver Anne et la libérer des satanées griffes de Warwick. Ou sinon, je dois trouver... » Son regard s’illumina. « Val, dit-il en posant une main sur le bras de son ami. Toi et moi, nous sommes plus proches que des frères et je dois te parler de quelque chose. À propos de... la solution féminine, pour rester délicat.

— Et pourquoi doit-on parler de ça dans un cimetière, je te prie ? Les femmes font-elles semblant de mourir quand tu t’approches d’elles ? » Valentin, amusé par son amicale raillerie, se mit à rire. C’était leur passe-temps favori de se moquer l’un de l’autre.

« Ferais-tu quelque chose pour moi ? » La main de Richard se resserra sur le bras de Valentin. « Puisque tu es si doué.

— De quoi s’agit-il ? » Valentin regarda le panier de pique-niques, en espérant qu’il n’était pas vide.

Richard relâcha sa prise et retira sa main. « Séduis la nièce d’Élisabeth pour moi. »

La main de Valentin se figea alors qu’il allait attraper le panier. « Pour toi ? Tu veux dire que je dois me faire passer pour toi et me faufiler dans ses appartements quand les chandelles auront été soufflées ? J’ose supposer qu’elle remarquera la différence après une ou deux caresses.

— Non, je veux dire à ma place ! Par Dieu, tu vois ce que je veux dire. C’est ma solution de secours, si tous les autres plans échouent. Elle veut d’un homme sorti tout droit des contes du Roi Arthur. Ça te dit d’essayer, Lancelot ? » Il haussa un sourcil.

« Oh, voilà qui est beau ! Alors maintenant je deviens un foutu magouilleur. » Valentin secoua la tête. « Quand j’ai dit que je ferais n’importe quoi pour toi, je ne parlais pas de déflorer ta promise.

— Nous sommes à peine fiancés. Et l’un de ses plans, c’était de fuir la cour sous un déguisement. Je n’allais pas la laisser se balader toute seule dans le royaume, c’est trop dangereux. Mon plan est plus sûr. Et tu corresponds parfaitement à sa description d’un courtisan. Oh, comment l’a-t-elle dépeint ? Un homme idéal, beau, viril, et quelque chose dans le genre... »

Valentin baissa la tête pour cacher son sourire et fouilla dans le panier de pique-niques.

« Tu as hérité le titre de ton père, tu possèdes des terres et une armure, continua Richard. Tu es exactement ce qu’elle imagine. Vous serez parfait ensemble. Fais seulement sa connaissance, veux-tu ?

— Richard, je ne veux pas créer un conflit dans ta famille. Tu supposes que la reine approuvera et que la nièce va se pâmer à mes pieds. C’est beaucoup de suppositions. » Il trouva une cuisse de poulet froid, la sortit et mordit dedans.

« La reine n’en saura rien. Ce n’est pas le moment de douter, Val. Tu ne rencontreras aucune difficulté à capturer son cœur. Regarde-toi. Grand, charmant, un soldat accompli. Tout ce que je ne suis pas.

— Là, je suis d’accord avec presque tout ce que tu dis, mon ami. Mais c’est toi, le vrai soldat, répondit Valentin en mastiquant.

— On attend ça de moi. Tout comme ton talent d’homme d’État constitue ta force. Mais la Couronne aura toujours besoin d’un chef brillant. Ajoute à cela l’art de la diplomatie et tu obtiens un royaume invincible ! »

Valentin jeta un coup d’œil à son ami infatigable. « Tu suggères que, si tu devenais roi, je ferais un bon chef du conseil ?

— Peut-être. J’espère que tu considérerais cette nomination. » La réponse de Richard semblait trop désinvolte pour un sujet aussi sérieux.

Mordant une fois de plus dans son poulet, Valentin se demanda si Richard songeait à devenir roi. Avec Édouard qui produisait désormais des héritiers, le trône s’éloignait de plus en plus de Richard.

« Tu as à peine mangé. » Valentin jeta l’os de poulet de côté, il trouva des lamproies étuvées au fond du panier, en glissa une dans sa bouche et savoura sa somptueuse texture.

« Un peu trop de poids me ferait perdre l’équilibre. » Richard lissa son pourpoint.

« Tu n’as jamais eu d’appétit pour les plaisirs, sauf pour les plaisirs macabres, comme les pique-niques dans un cimetière. Comment peux-tu passer autant de temps dans des jardins d’ossements comme celui-ci ? » Valentin réprima un frisson pendant qu’un lièvre passait devant lui.

« C’est un des rares endroits où l’on peut être vraiment seul. » Richard s’allongea sur le côté. « Il n’y a pas de meilleur refuge. Admets-le, c’est plutôt paisible par ici. Au moins, les habitants ont peu de chances de se lever pour venir te parler.

— Tu n’as pas peur qu’un cadavre ambulant sorte de ces anciennes sépultures ? » Valentin avait pris une voix d’outre-tombe et remuait ses mains en un geste sinistre.

« Bah ! Je n’ai jamais vu de fantôme, et je ne pense pas que ça arrivera. Ils n’existent pas.

— Mais tu crois qu’Élisabeth Woodville est une sorcière », remarqua Valentin en inclinant sa tête.

Richard pinça ses lèvres et il se détourna. « Nous ne parlions pas de la reine des sorcières, mais de sa nièce.

— J’espérais que tu oublierais, murmura Valentin. Pourquoi ne l’ai-je jamais rencontrée ?

— Élisabeth l’a envoyée au château Howard quand elle était enfant et elle n’est revenue que l’an dernier, pendant que tu étais en France. » Richard ôta une feuille tombée sur sa jambe.

« Coup de chance pour moi », murmura Valentin.

Richard s’assit. « Veux-tu que j’arrange une rencontre ? »

Un autre bruissement fit sursauter Valentin. « Je ne peux pas profiter de cette pauvre enfant, surtout quand j’ai rencontré une jeune fille des plus charmantes le jour où je suis revenu de la bataille, et bien que nous n’ayons échangé que quelques plaisanteries, je me suis lancé dans une quête pour la retrouver.

— Jusqu’à ce que cet événement capital se produise, offre-lui ta compagnie. Fais ça pour moi, plaida-t-il les mains jointes. Reviens à la cour demain. Si elle te révulse à ce point, tu pourras dire que tu auras essayé. Cela peut te servir d’exercice, au moins. Par Dieu, vous pourriez même vous retrouver emportés sur les ailes de Pégase. »

Valentin écarquilla les yeux. Il n’avait jamais entendu Richard faire allusion à la mythologie. Il devait être désespéré.

« Elle chérira les fleurs que tu lui offriras et mémorisera chaque ligne de tes poèmes enflammés, continua Richard sur un ton empressé.

— Mes poèmes ? En Français, j’espère.

— Son Français est si parfait que quand elle le parle, on a quasiment l’impression qu’elle chante ! » Un large sourire se dessina sur les lèvres de Richard.

« Et quelle mine a-t-elle ? J’avoue que ça m’intrigue, si elle aime la poésie française. Peut-être que je lui ferai connaître d’autres délices français... » Il laissa sa pensée en suspens, mais Richard ne comprit pas.

« Son apparence ? Je n’ai jamais remarqué. Je suppose qu’elle est... » Richard buta sur ses mots, son regard vagabondant autour de lui. « Ordinaire, j’imagine. »

Valentin se pencha en avant. « Richard, une limace est ordinaire... pour une autre limace. De quelle couleur sont ses cheveux ? Ses yeux ? Et sa taille ?

— Eh bien, elle est... Ses cheveux sont... laisse-moi réfléchir, de quelle couleur sont-ils ? Elle a des cheveux très clairs, c’est pour ça qu’on l’appelle Colombe depuis qu’elle est enfant. Elle a des yeux plutôt... As-tu déjà vu du guano de chauve-souris ?

— Mon Dieu, elle a l’air affreuse, comme ça ! » Les lamproies cuites n’étaient plus aussi appétissantes.

« Que veux-tu que je te dise ? C’est comme ça que je la considère, comme mes chères sœurs, je ne les vois pas comme des femmes. Ce sont mes sœurs. Tu dois la voir par toi-même », insista Richard.

Valentin leva la main pour l’arrêter. « Je ne crois pas, Richard, nous ne semblons pas du tout compatibles.

— Je ne te demanderais pas de la rencontrer si je pensais que vous étiez si peu assortis. Je dois envisager toutes les options, si je ne pouvais pas secourir Anne. » Le regard imperturbable de Richard pénétra Valentin. « C’est un service très spécial que je te demande, très cher ami.