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Au Canada, le Sasquatch ou Bigfoot est une véritable légende...plus dangereux qu'un ours. Quelques jours seulement après la sortie de son dernier roman "La malédiction du Sasquatch", l'écrivain Jack Sawyer est retrouvé mort en pleine montagne dans des circonstances troublantes. A côté de lui, une mystérieuse empreinte qui ne semble pas appartenir à un être humain. Son éditeur, son illustratrice, son correcteur et sa rivale de toujours semblent tous curieusement se satisfaire de sa disparition. Il se pourrait qu'un lien ancien unisse la victime et les suspects... Le nouveau shérif de Canmore Hansel Stones et sa petite amie française fraîchement débarquée dans les Rocheuses, Ester Laroche, se retrouvent plongés dans une enquête où la frontière entre la fiction et la réalité est parfois difficile à cerner. Le dernier roman de Jack Sawyer renfermerait-il un secret, un aveu ou une véritable malédiction? Au pays de l'ours, les livres aussi peuvent tuer...
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Seitenzahl: 273
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Je dédie ce livre à ma famille et mon compagnon ainsi qu’à ma grand-mère qui veille sur nous de là-haut. À ma Farah également, qui m’a beaucoup manquée lorsque je décrivais les réactions de ce brave Loki. Je vous aime.
L’amour est partout autour de nous mais parfois, le voir n’est pas suffisant. Il faut aussi céder à ce petit grain de folie qui nous pousse à écouter notre coeur plutôt que notre raison. C’est plus facile que cela en a l’air. Il faut simplement fermer les yeux et faire un pas dans l’inconnu.
CP.
Thank you to all my Canadian friends who welcomed me back to their home six years after our first meeting, who managed to organize a warm meal with all the park volunteers who were present, and to the others who took the trouble to organize a meeting at the airport.
Merci également à ma famille, mon chéri et mes amis français qui m’ont soutenue dans ce nouveau projet de livre et qui ont pris la peine de faire une première relecture de ce manuscrit pour m’apporter leur point de vue si précieux.
Enfin, merci à tous les lecteurs qui soutiennent l’autoédition en me suivant sur les réseaux, en m’envoyant leurs commentaires enthousiastes et leurs retours de lecture et en achetant mes livres en me permettant par la même occasion de poursuivre mes projets d’écriture.
Remerciements
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Remerciements au lecteur
Du même auteur
Août 2020, amphithéâtre extérieur de Peter Laugheed, Kananaskis, Alberta
— Bien, maintenant M. Bear va vous expliquer quoi faire si vous voyez un ours en vous promenant dans la montagne ! À vous, monsieur Bear !
Ester comprit que c’était à elle lorsqu’elle entendit le silence qui s’était emparé de la jeune assemblée. Il faut dire qu’en plus de garder une chaleur insupportable en ce mois d’été, l’énorme costume d’ours qu’elle portait étouffait une grande partie des sons extérieurs. Déguisée en chauve-souris, Robbin lui fit un signe discret de son aile en carton et en aluminium pour l’encourager. Ester étouffa un juron en se levant de sa chaise sur laquelle elle avait déjà eu du mal à s’asseoir étant donné la largeur de son derrière poilu, rembourré par trois coussins. Elle fit quelque pas gauches vers le milieu de la petite estrade qui avait été installée dans une clairière pour tout l’été et se tourna tant bien que mal pour faire face à la multitude de jeunes canadiens qui levaient la tête vers elle avec de grands yeux attentifs. Transpirant des pieds à la tête, la Française se demandait pourquoi tous ceux-là n’étaient pas en train de s’amuser ailleurs au lieu de perdre leur temps à écouter les sermons des saisonniers des parcs de l’Alberta, des choses qui relevaient du bon sens et qu’ils devaient déjà connaître par coeur !
La chauve-souris commença à s’impatienter dans son champ de vision tandis que derrière, un chipmunk1 dévissait sa tête pour prendre une goulée d’air frais. Ester s’éclaircit la gorge et fut presque aussitôt saisie d’une quinte de toux tant elle avait la bouche sèche.
— Bonjour les enfants…
— Plus fort ! siffla durement Mme Clarks, leur metteuse en scène pour l’occasion.
C’était la seule à ne pas être déguisée. Originellement guide de montagne, elle coachait tous les ans les futurs rangers du parc entre mai et août. C’était une femme raide et sèche comme un bâtonnet de saucisson, avec des cheveux courts d’un blond clair tirant sur le blanc et un visage crispé que peu d’entre eux avaient déjà vu se détendre. Lui faire enfiler un déguisement d’animal aurait été une prouesse… ou une déclaration de guerre.
Ester s’éclaircit de nouveau la gorge en proférant mentalement une série de jurons qu’elle avait rarement alignés à voix haute et reprit :
— BONJOUR LES ENFANTS !
— Bonjour monsieur Bear ! répondirent les marmots dans la petite clairière.
Certains étaient assis par terre pour être plus près de la scène et d’autres sur les bancs en bois qui avaient été placés en demi-cercle comme dans un véritable théâtre. À travers les petits trous qui constituaient les yeux de son pénible déguisement, Ester aperçut quelques parents prendre leurs appareils photos pour immortaliser ce moment qui pour elle, était la pire humiliation de son existence. Qu’est-ce que je fais là ? se demanda-t-elle avec un mélange de lassitude et d’énervement. Tout cela était vraiment ridicule ! Mais il fallait achever le spectacle et l’ours était le dernier à parler.
— Si vous apercevez un ours durant votre balade, qu’est-ce que vous devez faire ?
Un gamin d’une dizaine d’années leva la main, mais Ester préféra interroger une petite crevette au troisième rang.
— Il faut observer ?
— Bonne réponse ! fit-elle mine de s’enthousiasmer alors qu’elle avait de plus en plus l’impression de s’exprimer sous une couette. Si l’ours ne semble pas être conscient de votre présence, rebroussez chemin silencieusement sans attirer son attention.
— Mais si l’ours nous a vus ? demanda tout de même le gamin de dix ans.
— Pour se tirer d’affaire, il arrive que les ours fassent semblant d’attaquer en chargeant, répondit Ester en le foudroyant du regard.
Bien entendu, de l’extérieur, l’enfant ne vit que l’adorable grosse tête du nounours lui faire un grand sourire.
— Mais ils battent en retraite au dernier moment, continua Ester qui avait appris son texte. Les ours peuvent aussi réagir de manière défensive en jappant, en grognant, en claquant des mâchoires et en pliant les oreilles vers l’arrière. Dans tous les cas, qu’est-ce qu’il faut faire ?
Un silence timide s’installa avant qu’une main ne se lève à nouveau, encourageant les autres. Les enfants connaissaient leur sujet, pas de doute. On ne pouvait pas vivre au pays de l’ours sans avoir les bases. Ester ne les avait apprises que récemment mais eux les connaissaient depuis longtemps.
— Il faut garder son calme ?
— Oui, votre comportement calme peut rassurer l’animal, confirma la Française d’un ton pédagogue mais tout de même pressée de faire le tour du sujet pour pouvoir enfin ôter l’énorme tête poilue qui l’empêchait de respirer. Les cris et les mouvements brusques pourraient déclencher une attaque. Quoi d’autre ?
— Il faut parler à l’ours !
— Oui, il faut lui parler calmement d’un ton ferme. Vous lui ferez ainsi savoir que vous êtes un humain et non une proie potentielle. S’il se dresse sur ses pattes arrière et agite le museau dans les airs c’est qu’il tente de vous identifier. Il ne faut jamais courir. Quelqu’un sait pourquoi ?
— Parce que l’ours pourrait nous rattraper ?
— Oui, un ours court deux fois plus vite qu’un humain donc ce serait inutile de fuir. D’autres idées ?
— Il faut lui montrer qu’on est grand !
— Oui et comment on fait ça ?
— En mettant son sac à dos sur la tête !
— Je vois que vous connaissez bien votre sujet, remarqua la voix étouffée d’Ester qui sentait des gouttes de transpiration salées lui dégouliner dans les yeux. Pensez aussi à garder votre sac et à ne pas le jeter par terre, vous pourriez en avoir besoin pour vous protéger.
Les collègues d’Ester l’avaient rejointe sur l’estrade si bien qu’elle fut bientôt entourée d’une chauve-souris, d’un cougar2 à l’apparence sympathique, d’un loup avec un noeud papillon, d’un chipmunk et d’un élan qui ressemblait à un des rennes du père Noël.
— Et maintenant les enfants, c’est l’heure de la chanson des animaux !
Ester s’éclipsa avant que les autres ne se mettent à danser, excédée par ce spectacle qu’elle trouvait idiot et qui n’en finissait pas. Faisant signe à Mme Clarks qu’elle avait trop chaud, elle s’éloigna pour retirer son lourd costume et inspirer goulûment l’air frais de cette fin d’après-midi.
Lorsque Hansel Stones vint la chercher quelque temps plus tard, il trouva une Ester décoiffée aux joues rouges assise sur un lot de bûchettes qui attendaient d’être distribuées aux campeurs de Lower Lake, à trois kilomètres de là.
— Tu as passé une bonne journée ?
— Longue. Tu as pensé à mes vêtements de rechange ?
— Bien sûr, ils sont à l’arrière. On est un peu en retard, ça ne t’embête pas si je roule pendant que tu…
— Aucun problème.
Ester jeta un oeil au petit miroir du rétroviseur et soupira d’exaspération avant de se faufiler à l’arrière à côté de Loki, le fidèle berger allemand de Stones. Elle trouva dans son sac la tenue de soirée qu’elle avait préparée la veille ainsi que des chaussures à talons toutes neuves et une trousse à maquillage qu’elle avait emprunté à son amie Claire, bien plus calée qu’elle dans ce domaine.
— Et toi, tu as passé une bonne journée ? demanda-t-elle pendant qu’elle cherchait dans quel sens s’enfilait sa robe à côté du chien qui l’observait de ses yeux bruns à l’air amusé.
— Oh la routine, répondit Stones à l’avant. J’ai surtout traîné au bureau parce qu’il y avait pas mal de rapports à relire. Les mesures Covid évoluent aussi et comme il y a quelques réfractaires au changement, je me retrouve à faire la police dans mon propre service…
— C’est ça d’être le grand chef à présent ! plaisanta Ester.
Stones jeta quelques regards distraits dans le rétroviseur pendant que la Française se déshabillait pour enfiler une robe rouge pétant au décolleté arrondi. Lorsqu’elle détacha ses cheveux bruns pour passer ses doigts dedans, il faillit dépasser la ligne blanche et dut remettre un petit coup de volant sur la droite pour continuer à rouler droit.
— Si tu bouges comme ça je ne vais pas réussir à me maquiller, fit remarquer Ester qui essayait d’identifier le mascara de l’eyeliner dans la trousse de son amie.
— Excuse-moi, fit Stones en s’éclaircissant la voix pour reprendre constance.
— Tu peux me réexpliquer où on va ?
— Au gala des forces de l’ordre à Banff. Le shérif Blaster a créé une nouvelle brigade de lutte contre le braconnage et il a invité les représentants politiques du coin à l’inauguration. La liste est assez réduite compte tenu des mesures sanitaires. Il y aura la femme de Blaster que tu as déjà vue au repas des forces de l’ordre la dernière fois et aussi la fille du procureur…
— Il faudra que tu me redises qui est qui, je ne me souviens sûrement pas de la tête de tout le monde !
— Bien sûr. Et je dois faire un petit discours avec Blaster et ensuite il y a un cocktail. J’espérais qu’on puisse s’éclipser avant la soirée dansante mais on m’a clairement fait comprendre que cela serait mal vu donc…
— Oh… Je vois, on se fera notre soirée film une autre fois, comprit Ester.
— Désolée ma chérie, je n’aurai pas été souvent là pour toi cette semaine.
— Ce n’est pas grave, je comprends, le rassura Ester en rangeant le maquillage dans la trousse pour le rejoindre à l’avant.
Elle allait rajouter qu’elle avait elle aussi des choses à faire de toute façon mais ce n’était pas vrai. Elle ne faisait plus de télétravail depuis qu’elle avait donné sa démission à la chambre d’agriculture et la formation de ranger des parcs, dans laquelle elle s’était laissé entraîner par ses amis Robbin, Annie et Arthur, lui laissait toutes ses soirées de libres. Elle eut un petit pincement au coeur en pensant à sa vie d’avant qui n’avait absolument rien à voir avec celle qu’elle menait aujourd’hui. Parfois, il lui était encore difficile de s’adapter à ce nouveau rythme, elle qui avait toujours vécu dans l’effervescence de Paris.
— Tu es magnifique, souffla Stones en la regardant des pieds à la tête. Je vais faire des jaloux ce soir.
— J’y compte bien ! Autant que mon investissement vestimentaire serve à quelque chose ! répondit crânement Ester.
— Quand est-ce que tu fais ton vide-greniers déjà ? demanda Stones en s’engageant dans la grande rue de Banff.
— Dans une semaine, soupira Ester. J’ai hâte d’avoir terminé les cartons pour passer à autre chose !
Stones rit et profita d’un feu rouge pour l’embrasser.
— Je pourrais peut-être te donner un coup de main !
Le contact de ses lèvres et l’odeur de sa peau balayèrent d’un coup les pensées nostalgiques d’Ester qui se laissa bercer pendant le reste du trajet, profitant encore quelques instants de ce moment en tête à tête très agréable.
Au même moment dans la ville de Banff, Alberta, Canada
« Jimmy n’avait jamais couru aussi vite de toute sa vie. Il ne voyait pas où il posait les pieds tant la nuit était épaisse. Les membres hérissés d’épines des sapins baumiers lui fouettaient douloureusement le visage à mesure qu’il fonçait tête baissée dans la direction qu’il espérait être la bonne. Les hurlements d’agonie de Stefan se faisaient plus proches et plus déchirants au milieu des bois. Devant lui, la chose qui traînait son ami avait tracé un chemin rectiligne dans la forêt, écartant les branches des érables quand elle ne les brisait pas dans une série de craquements secs. La peur au ventre, Jimmy pouvait sentir son odeur pestilentielle embaumer les alentours comme celle d’une charogne. Bientôt, un rugissement guttural s’éleva dans la nuit noire et raisonna dans les montagnes environnantes. Puis plus rien. Lorsque Jimmy déboucha enfin dans une sombre clairière, Stefan gisait seul sur l’herbe humide, le souffle fuyant, à l’agonie. L’adolescent tomba à genoux et attrapa la main de son ami, les larmes aux yeux. Il ne pouvait plus rien faire pour lui, le Sasquatch ne laissait jamais de survivants. Secoué de sanglot, un dernier adieu réussit à passer la barrière de ses lèvres :
— Adieu Chaa’.
L’auteur leva les yeux de son livre, un petit sourire timide aux lèvres. Il était conscient d’avoir tenu son auditoire en haleine mais il savait qu’il valait mieux jouer les modestes pour vendre. Et cela sembla fonctionner. Au fond de la salle des fêtes aménagée à l’occasion du salon du livre de Banff, une vieille dame se leva pour applaudir, entraînant bientôt tout l’auditoire avec elle. Les crissements de chaises que l’on pousse en arrière pour se lever se mêlèrent aux claquements des mains et aux sifflements des fans excités par la sortie de ce qui serait sans nul doute le nouveau best-seller de l’année.
Tous se levèrent pour l’acclamer sauf une qu’il ne remarqua pas au milieu des autres. Celle-là était encore assise sur sa chaise, raide, les muscles de la mâchoire tendus et les poings si serrés qu’on pouvait voir blanchir ses articulations. Elle le fixait à travers la foule et son regard était si pénétrant qu’il aurait pu à lui seul empêcher l’irrémédiable drame à venir.
Car si l’auteur avait croisé ce regard, peut-être aurait-il su ce qui risquait de lui arriver et pourquoi.
Un peu comme quand on se retrouve nez à nez avec un lion des montagnes au croisement d’un chemin forestier qu’on n’aurait jamais dû emprunter et que l’on sait qu’à la seconde où on détournera les yeux on sera mort.
Mais l’auteur, trop occupé à saluer son lectorat, ne regarda pas dans cette direction…
1 Tamia.
2 Puma.
Deux semaines plus tard, non loin du Mont Rundle dans les Rocheuses canadiennes, Alberta, Canada
Ester tentait de suivre le groupe sans trébucher, son téléphone portable dernier cri à la main. L’exercice de prise de notes était devenu plus dur depuis que la pente du terrain s’était accentuée. La mousse épaisse et aérée des sous-bois dans lesquels ils avaient marché près de trois kilomètres, avait laissé place à des graviers instables et des roches friables aux arêtes coupantes, sur lesquels il était hasardeux de se retenir en cas de glissade.
— Souvenez-vous que les game trail3 peuvent être empruntées par plusieurs animaux différents, criait leur formatrice qui marchait en tête. Sur un terrain difficile ou dans une forêt très dense, il peut être utile de repérer ces pistes naturelles pour se déplacer plus vite.
Pendant qu’elle tapait frénétiquement sur le clavier de son téléphone les bribes d’informations qui lui parvenaient à l’arrière, Ester faillit glisser sur un caillou. Arthur la rattrapa de justesse par le coude et la remit sur pied comme si elle ne pesait rien.
— Regarde un peu où tu marches Ester, sinon tu vas redescendre cette pente plus vite que tu l’as montée !
— Satané cours d’orientation ! Elle n’aurait pas pu nous expliquer ça dans une salle avec un tableau et un marqueur ?!
Cette fois-ci, le rire d’Arthur se fit entendre jusqu’au-de-vant de la file, interrompant les explications de leur guide.
— Arthur, si vous distrayez sans cesse les nouvelles recrues du parc, ne vous étonnez pas d’avoir à aller les chercher en pleine montagne parce qu’elles se seront perdues en allant remplacer les piles de je ne sais quelle caméra !
— Pardon madame Clarks, s’excusa Arthur en levant les yeux au ciel, chose que leur guide ne vit pas.
Puis il rajouta plus bas pour que seul Ester puisse entendre :
— J’aurais préféré qu’on nous assigne Marina comme guide, elle aurait été beaucoup plus agréable que cette mégère…
— Agréable… à regarder ? le taquina Ester avec malice.
Les joues d’Arthur rosirent alors qu’il cherchait maladroitement à se justifier. Mais il abandonna bien vite en constatant l’amusement manifeste de son amie et se contenta de lui tirer la langue.
— Un grand gaillard comme toi ? Quelle repartie ! rit la jeune femme.
Juste devant eux, Robbin tourna la tête en souriant avant de focaliser de nouveau son attention sur Annie qui débitait un nombre impressionnant de phrases à la minute. Cela arrivait souvent lorsque la jeune doctorante se lançait dans un sujet qui la passionnait. Il faut dire que son esprit curieux et scientifique se laissait souvent embarquer dans un enthousiasme débordant, surtout depuis que sa longue thèse était enfin terminée et qu’elle pouvait s’adonner à tous les loisirs annexes qu’elle avait mis de côté pendant ce temps. C’est pourquoi depuis une bonne demi-heure, la jeune femme s’était lancée dans le résumé éparpillé mais richement détaillé d’une série de romans de son nouvel auteur préféré.
— Depuis le premier tome, l’inspecteur Bergamote mène une nouvelle enquête paranormale à chaque livre, mais cet été, dans le sixième tome, on comprend enfin comment il en est arrivé là ! C’est sa première enquête vingt ans auparavant et on découvre ce qui est arrivé à son meilleur ami de l’époque, Stefan, et d’où vient cette malédiction…
— Une malédiction ? tiqua Robbin.
— Qui appelle son personnage comme un sachet de thé ? grommela Ester en ajustant son sac sur ses épaules.
Mais Annie ne l’entendit pas.
— Oui, la malédiction du Sasquatch ! Celle qui a donné son nom au livre ! Tu m’écoutes Robbin ?
— Ah oui pardon…
Annie soupira et Robbin l’aida à passer par-dessus un tronc d’arbre en lui tenant la main. Contrairement à Annie qui avait un sac deux fois plus gros qu’elle à cause de tout ce qu’elle n’avait pas pu se résoudre à laisser derrière elle pour la randonnée « au cas où », Robbin avait pris le strict minimum dans un petit sac à dos sur lequel étaient accrochées une gourde et une batterie solaire. Leurs amis s’amusaient toujours du couple atypique qu’elles formaient, Robbin la baroudeuse et Annie l’intellectuelle.
— Une histoire de malédiction dans un livre policier, ce n’est pas crédible ! fit remarquer Ester.
— Les gens d’ici aiment beaucoup les légendes, répondit Robbin. Les montagnes se prêtent à tous les genres de croyances.
— Alors vous aussi vous croyez à tout ça ? s’étonna la Parisienne.
— Moi oui, répondit Annie avec conviction. Affirmer que la science peut tout expliquer serait prétentieux !
— Sans dire que la science explique tout, je pense qu’il nous reste beaucoup de choses à découvrir et qu’il faut rester humble… sans être trop crédule non plus, tempéra prudemment Robbin.
— Et moi je pense que toutes les légendes ont bien dû commencer quelque part ! éluda sagement Arthur en haussant les épaules autant que son sac le lui permettait.
Il portait deux fois le poids du sac des trois jeunes femmes et pourtant on avait l’impression que cela ne pesait rien sur son large dos.
— Je pense que vous fumez un peu trop de feuilles d’érable, vous, les Canadiens ! se moqua gentiment Ester. Les légendes sont ce qu’elles sont, juste des histoires pour effrayer les enfants.
Au même moment, un cri à l’avant de la file attira leur attention. Après une ascension glissante à découvert, le terrain s’était aplati de nouveau à mesure que le groupe avait rejoint le couvert des arbres. Devant Ester et ses amis, les autres randonneurs s’étaient massés autour de quelque chose. Certains avaient un air effrayé sur le visage, d’autres une main devant la bouche, comme frappés d’horreur. Ester en vit même un qui avait assez de lucidité pour sortir son téléphone portable et prendre une photo. La fille qui avait crié se trouvait juste derrière leur guide qui semblait reprendre ses esprits lorsque les quatre amis finirent par se frayer un chemin jusqu’à elle.
— Reculez… reculez tous !
— Que se passe-t-il ? s’enquit Arthur de sa voix grave, avec un ton qui rappela à tout le monde qu’il était de la police.
Mais un coup de coude d’Ester et un mouvement de menton de la jeune femme vers le sol lui apportèrent la réponse qu’il cherchait.
À première vue, le tas indescriptible qui gisait au pied d’un impressionnant pin à écorce blanche aurait pu ressembler à une bûche de bois en décomposition de forme insolite. Mais c’était sans compter la main pâle qui émergeait d’une branche tordue qui, en réalité, était la manche d’une chemise. Chemise qui habillait un bras formant un angle si inhabituel avec ce qui devait être le buste, que l’esprit devait opérer une véritable gymnastique pour comprendre dans quel sens appréhender le cadavre.
Car il s’agissait bien d’un cadavre humain que les randonneurs avaient sous les yeux. À genoux, le menton enfoncé dans la terre et les fesses en l’air, il penchait légèrement sur le côté mais une racine noueuse du pin avait manifestement contré la force de gravité, le figeant dans cette position peu distinguée. Ses cheveux mi-longs et couverts d’épines de pin et de mousse couvraient son visage, mais sa corpulence et la manière dont il était habillé laissaient penser qu’il s’agissait d’un homme d’âge mûr, probablement dans la quarantaine.
— Arthur, il faut que tu fasses reculer tout le monde, ils vont polluer la scène de crime…, fit remarquer Ester.
— Un crime ? Mais euh… hésita son ami qui était confronté à une situation inédite.
— Cet homme ne m’a pas l’air d’être mort de cause naturelle, dit Annie en penchant la tête comme si elle se demandait encore dans quel sens il fallait regarder le corps.
Robbin la regarda avec stupéfaction. Elle se serait plutôt attendue à ce que sa petite amie se cache les yeux en laissant échapper un cri d’horreur mais au lieu de ça, la doctorante regardait le corps d’un air étrange.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je ne sais pas… J’ai l’impression de le connaître.
— Écartez-vous ! ordonna la voix de stentor d’Arthur, détournant momentanément l’attention de tout le monde vers lui. Ne piétinez surtout pas autour ou vous risquez de détruire des preuves précieuses.
— Madame Clarks, pouvez-vous reconduire tout le monde en ville au plus vite ? demanda Ester à leur guide qui regardait elle aussi fixement le macabre spectacle. Je pense que cette découverte met malheureusement fin à l’entraînement d’aujourd’hui.
Un grognement s’échappa de la gorge de la vieille et sèche Mme Clarks qui n’aimait manifestement pas se voir dicter ce qu’il fallait faire, en particulier de la part d’une de ses stagiaires. Néanmoins, elle rassembla tout le monde avec une autorité froide, digne d’un commandant des armées, et le groupe repartit dans le sens inverse, certains tournant encore la tête avec curiosité vers le cadavre planté au pied du pin.
— Monsieur, j’ai trouvé ça par terre, fit un des garçons du groupe de marche en amenant un petit carnet à la reliure de cuir à Arthur.
Il était curieux de voir leur ami se faire appeler « Monsieur » par un garçon qui devait avoir à peine trois ans de moins que lui. Mais du haut de ses trente-quatre ans, Arthur donnait l’impression d’avoir été taillé pour intégrer les forces de l’ordre avec ses épaules larges, ses cuisses de rugbyman et ses longs cheveux blonds attachés en queue de cheval qui encadraient une mâchoire carrée, plus habituée à sourire qu’à montrer les dents. Ses yeux, de la même couleur bleu ciel que sa soeur Robbin, donnaient l’impression de ne jamais juger personne et sa voix, bien que grave et forte, véhiculait douceur et bienveillance. C’était ce que l’on pouvait appeler une force tranquille mais une force à laquelle on ne cherchait pas à se frotter. Ester l’avait déjà vu poursuivre un voleur dans les rues de Canmore et sauter avec agilité par-dessus des clôtures de jardins pour le prendre de vitesse et lui passer les menottes. Il était gentil mais il savait où placer les limites. Et par-dessus tout, on pouvait lui faire confiance. C’était d’ailleurs pour cette qualité essentielle que le shérif Hansel Stones l’avait choisi pour être son adjoint, et ce malgré sa toute jeune expérience de la fonction.
Arthur remercia le garçon pour le carnet et le reposa à côté du corps en prenant soin de l’attraper entre le pouce et l’index. Même s’il avait manifestement été souillé par le stagiaire qui croyait bien faire, il pouvait rester sur la couverture de précieuses empreintes exploitables par la police scientifique.
— On ne devrait pas accompagner les autres ? demanda Annie une fois que le silence revint autour d’eux.
— On ne va pas laisser mon frère tout seul ! répondit Robbin pendant qu’Arthur s’éloignait pour passer un appel avec son talkie-walkie.
— Je vais attendre la police avec lui, proposa Ester. On peut se retrouver au Grizzly Paw tout à l’heure ?
— Bonne idée ! acquiesça Robbin. Merci. Bon courage à tous les deux !
— Et n’oublie pas de récolter le maximum d’infos, ajouta Annie d’une voix de conspiratrice à Ester.
— Annie, dépêche-toi au lieu de dire des bêtises… soupira Robbin.
Mais Ester rendit son clin d’oeil à Annie avec un sourire. N’était-ce pas la spécialité de la Française de fourrer son nez dans ce qui ne la concernait pas ?
3 Piste empruntée par les animaux.
— Pourquoi es-tu là Ester ? soupira Hansel Stones en regardant son fidèle berger allemand comme si ce dernier venait de lui faire la pire des trahisons.
Dès que le truck s’était arrêté sur la route caillouteuse en amont, Loki avait bondi à terre sans attendre que son maître ne déploie la toute nouvelle rampe de bois qu’il avait fabriquée pour soulager les articulations vieillissantes de son chien. Comme traversé d’un soudain élan de jeunesse, il avait dévalé la pente forestière la langue pendante fouettant sa joue, et la gueule grande ouverte dans un sourire d’une joie sans réserve, que seuls les chiens peuvent donner. Pour Stones, inutile de tenter de le rappeler à ses pieds car il n’y avait qu’une seule personne avec laquelle le grand berger allemand aux poils grisonnants oubliait son âge pour redevenir le chiot qu’il avait été douze ans plus tôt. C’est ainsi qu’il avait su, avant même d’attraper son chapeau de shérif sur le siège passager et de rejoindre la scène de crime, qu’Ester était de la partie.
— Je tenais compagnie à Arthur, répondit la jeune femme en flattant énergiquement le poitrail du chien qui venait de freiner des quatre fers devant elle, soulevant un nuage de poussière et d’épines de pin.
— Comme si M. Kenealy avait besoin qu’on lui tienne compagnie…, fit le shérif en levant les yeux au ciel alors que son adjoint arrivait justement vers lui, un bloc-notes à la main. Ne pollue pas la scène de crime.
— Je connais la chanson, monsieur Stones, répondit Ester avec une grimace de moquerie.
Un ranger des parcs de l’Alberta aidait un policier à dérouler le ruban jaune marqué « Do not cross, crime scene »4 pour délimiter le périmètre de la scène de crime. Stones et Arthur se baissèrent pour les laisser passer, mais Ester fut obligée de reculer jusqu’à se trouver en dehors, contrainte d’assister au début de l’enquête en tant que simple spectatrice. Collé contre ses jambes comme en guise de lot de consolation, Loki haletait toujours la langue pendante en la regardant d’un air amoureux.
— Hé oui mon beau, c’est partout pareil. Les vieux et les femmes sont laissés de côté pour laisser les hommes forts faire leur travail ! railla Ester avant de remarquer quelque chose à ses pieds, en dehors du périmètre délimité par la police. Tiens, c’est curieux ça…
On aurait dit des empreintes de pas humaines bien qu’elles soient particulièrement longues et larges. Ester s’agenouilla pour les étudier de plus près et Loki ferma la gueule avant de braquer ses grandes oreilles en pointe vers elle. Les empreintes étaient tournées en direction du pin à écorce blanche au pied duquel on venait de découvrir le corps. Par chance elles n’avaient pas été piétinées par le groupe de marche de Mme Clarks. Elles s’enfonçaient vers l’est, cachées par les bras feuillus des pins et des érables.
— Eh bien Loki, je ne sais pas toi, mais je n’ai jamais vu d’homme avec des pieds de cette taille ! C’est du combien à ton avis ? Du cinquante-cinq ?
Bien entendu, le chien ne lui répondit pas. À la place, il pencha la tête sur le côté pour l’observer de ses yeux bruns intelligents. Ester écarta les doigts et plaça sa main au-dessus de l’empreinte.
— C’est beaucoup trop large pour un homme normalement constitué ! souffla-t-elle pour elle-même, alors que les bords de l’empreinte étaient plus larges que sa paume d’au moins vingt centimètres. Et on peut exclure les bottes, j’aperçois ici les marques de ce qu’on pourrait prendre pour des orteils… Un ours peut-être ?
Tout en se demandant à quel animal pouvait bien correspondre ces marques, la jeune femme sortit son téléphone portable pour prendre quelques photos.
Un peu plus loin dans le périmètre supposé de la scène de crime, Arthur faisait son rapport à son supérieur qui venait de faire le tour du cadavre, une expression perplexe sur le visage. Des mouches noires voletaient autour d’eux, se posant alternativement sur le cadavre puis sur leurs vêtements. Un des agents de police derrière eux, une jeune recrue, agitait son chapeau avec dégoût dans une vaine tentative pour les repousser.
— Jésus…, souffla Stones en mettant les mains dans les poches de son pantalon d’uniforme kaki.
— Il s’agit d’un homme, la quarantaine. L’heure du décès est à confirmer mais le légiste l’estime à deux jours, peut-être un peu plus. Il a été découvert il y a une heure et demie par notre groupe de formation de rangers dirigé par Cindy Clarks.
Stones prit note du nom de la guide sur son propre calepin avant de s’agenouiller à côté du corps, en ôtant respectueusement son chapeau étoilé, dévoilant des cheveux bruns en bataille.
— À première vue il ne présente aucun hématome laissant penser qu’il y a eu lutte. Il n’y a aucune trace de plaie à l’arme blanche ou de blessure par arme à feu. La cause exacte du décès reste donc à déterminer, le légiste en saura plus après avoir emporté le corps.
— Il a les mains propres, remarqua Hansel d’un air songeur. Et il est en chaussettes.
— La ville la plus proche est Banff à quatre kilomètres, mais il y a des lotissements tout neufs excentrés par rapport au centre-ville à environ un kilomètre et demi à l’est d’ici. Canmore est à douze kilomètres dans la direction opposée.
— Bien, qu’on envoie quelqu’un voir si il n’y aurait pas d’éventuels témoins dans ces lotissements, ordonna Stones d’un air songeur. Puis, avant qu’Arthur n’active le bouton de son talkie-walkie : il n’avait pas de papiers sur lui ? Rien qui puisse nous aider à l’identifier ?
— Non, rien monsieur. Seulement son pantalon de toile et sa chemise. Mais…
— Mais ?
— Annie avait l’impression de le connaître tout à l’heure.
— Oh.