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A presque 30 ans, Sarah n'est franchement pas heureuse... - Elle ne supporte plus sa chef et aimerait bien changer d'employeur - Elle se sent à l'étroit dans son petit studio parisien et... - Sa vie de célibataire commence sérieusement à lui peser ! D'autant plus que ses meilleures amies ont toute une théorie, peu réconfortante, sur le fait d'être toujours célibataire à 30 ans ! Fichue théorie qu'elles lui resservent dès qu'elles en ont l'occasion... Alors, quand sa mère, qui désespère de la voir mariée un jour, s'y met aussi, c'est le pompon ! Mais... Ce n'est pas la fin du monde d'être toujours célibataire à 30 ans et même de le rester à vie, non? Alors, Sarah décide de prendre les choses en main en faisant preuve de plus d'audace. Pour cela, quoi de mieux que de se glisser... Dans la peau d'Audie?
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Seitenzahl: 420
Veröffentlichungsjahr: 2018
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A ma sœur Ikpindi, femme de caractère et d’audace.
À toutes les femmes et tous les hommes du monde, pour que l’audace ne soit plus réservée aux autres.
Osez vivre vos rêves en grand. Osez croire, avec détermination et foi, que vous êtes capables de TOUT !
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Octobre
J’en ai marre de mon boulot.
J’aimerais être ailleurs… Là ! Maintenant !
Que tout s’arrête. Que ma chef arrête de parler. Que je m’élance dans les airs et disparaisse, comme par magie, sous les yeux effarés de mes collègues. Ils ne me reverraient plus jamais et se souviendraient de moi comme de la-fille-qui-s’est-envolée-par-la-fenêtre.
Il aurait fallu que ça se passe un jour d’été. Ç’aurait été plus beau. Il y aurait eu un bel arc-en-ciel dans un ciel intensément bleu, avec de gros nuages blancs.
Dans ma fuite, j’aurais fait un saut dans cette boulangerie, en bas, qui vend les meilleurs beignets aux pommes de Paris. J’en aurais pris une douzaine, que dis-je… Une centaine ! Puisque je ne reviendrais pas travailler, autant en faire un stock !
Je serais ensuite rentrée chez moi. Euh… Minute.
Pourquoi rentrer chez moi alors que je pourrais voler et aller où je veux ? Alors que je pourrais me faire plaisir et réaliser mes rêves les plus fous ?
Allons donc ! J’irais sur cette plage déserte, bordée de longs cocotiers aux noix vertes et charnues, que j’ai vue sur une affiche dans le métro.
Hmm… En y pensant très fort, peut-être pourrais-je me retrouver là-bas ? Je crois même que je sens déjà l’odeur de la mer. Oui ! J’entends le bruit des vagues et…
— Sarah !
La voix de ma chef me ramène sur terre. Non, je ne suis pas sur une plage et il n’y a pas de cocotiers. Juste une salle de réunion morose où mes collègues et moi sommes assis, autour d’une longue table ovale, et écoutons Isabelle Marquay, notre chef, parler depuis plus d’une heure.
Son regard insistant me fait réaliser qu’elle attend une réponse. Le problème, c’est que je n’ai pas écouté la question.
— Je pense que… dis-je, jetant un coup d’œil désespéré à mes collègues.
À ma droite, Gwladys écarquille si fort les yeux que je devine qu’elle est morte de stress pour moi.
— Eh bien, je…
Isabelle ne me lâche pas des yeux. Ils lancent des éclairs, d’ailleurs, et ses lèvres commencent à frémir dans ce qui semble être un tremblement de colère.
Oups. Je pense qu’elle a compris que je rêvassais pendant qu’elle devisait sur la stratégie de l’agence !
— Vous n’avez pas écouté, Sarah ! explose-t-elle en tapant du poing sur la table. Trouveriez-vous mon discours inintéressant ? Vous avez mieux à faire, peut-être ?
Oui, ai-je envie de répondre. Bien sûr que j’ai mieux à faire ! Je n’ai qu’à taper du pied sur le sol pour m’élancer dans les airs et retrouver ma plage paradisiaque. Évidemment, je ne peux pas lui dire ça.
Je réfléchis rapidement – mon regard croise celui de Julie, son assistante, qui porte un gros pull avec d’immenses cœurs rouges – et je pense avoir trouvé le moyen de me sortir de ce pétrin.
— Je suis désolée Isabelle, dis-je, retrouvant un peu d’assurance. Je repensais à ce que vous disiez tout à l’heure sur la campagne pour Hype&Class… Il ne faut pas attendre le mois de janvier pour la lancer. Il faut le faire maintenant !
Tout le monde me regarde et attend que je développe.
— Je vous assure, poursuis-je. C’est le moment idéal ! Nos concurrents sont accaparés par les fêtes de fin d’année. Personne ne s’attend à une campagne pour la Saint-Valentin !
— Vous dites n’importe quoi, Sarah ! me coupe Isabelle d’un ton sarcastique. Une campagne pour la Saint-Valentin ? En plein mois d’octobre ?
J’ai le sentiment d’être une œuvre d’art ridicule et particulièrement moche, tandis qu’une multitude de paires d’yeux me scrutent avec horreur et incrédulité.
Ouais… J’y suis peut-être allée un peu fort. Mais, je préfère passer pour une cruche plutôt que subir la colère d’Isabelle.
— C’est vraiment n’importe quoi, reprend-elle, levant les yeux au ciel. Bon ! s’écrie-t-elle en balayant l’air de la main. Où en étais-je déjà ? Ah oui, la revue de presse. Tidiane, faites-nous un topo !
Pendant qu’elle se met sur le côté et que Tidiane, notre directeur stratégique, s’exécute à renfort de slides PowerPoint, je me recroqueville dans mon siège. Bon, je ne m’en suis pas trop mal sortie, même si tout le monde ici est désormais persuadé que j’ai une case en moins.
Gwladys m’adresse un sourire compatissant tandis qu’Alice, une collègue du pôle Mode, me lance un regard moqueur avant de pouffer de rire et chuchoter à l’oreille de sa voisine. Je parie qu’elle dit des méchancetés à mon sujet. Quelle pimbêche, celle-là ! Elle me le paiera.
Quand j’aurai mes super-pouvoirs-de-fée, juste avant de m’envoler par la fenêtre, je lui ferai avaler ce flacon d’eau de toilette dont elle s’asperge à longueur de journée. Cette pensée me requinque un peu et je me redresse sur mon siège avant de jeter un coup d’œil autour de moi.
Mes collègues boivent les paroles d’Isabelle, qui vient de reprendre sa place devant nous, et prennent tous des notes en hochant régulièrement la tête en guise d’approbation de l’évangile qu’elle leur sert, tel un messie.
Je devrais peut-être faire pareil si je ne veux pas perdre mon boulot. Une autre rêverie du style je-suis-devenue-une-fée, un regard hébété et des bégaiements lorsque Dame Isabelle me pose une question et je peux être assurée de me retrouver sur le trottoir d’en bas, en face de ma boulangerie préférée, avec dans les mains un carton contenant mes affaires. Oui, Isabelle est bien capable de me virer sur-le-champ, sans formalisme.
Je soupire de désespoir avant de me décider à l’écouter attentivement, peinée qu’un ange gardien ne m’affuble de ces ailes magiques qui me donneraient des super pouvoirs.
Le soir, je rentre chez moi, lessivée. Quelle journée de dingue ! Isabelle m’a mis la pression pour boucler la revue de presse de Dulce, l’un des plus gros clients de l’agence.
Entre deux réunions, elle m’a reparlé de mon idée. Cette fichue campagne pour la Saint-Valentin.
— Vous y croyez donc vraiment ? m’a-t-elle demandé tandis que son regard trahissait ce qu’elle pensait de moi.
Une allumée ! Elle me prenait pour une cinglée. Pourtant, en y repensant, je suis sûre que mon idée n’est pas complètement saugrenue. En la retravaillant stratégiquement, ça devrait même donner des résultats intéressants.
— Nous pourrions faire un teasing ! me suis-je écriée, emplie d’une inspiration soudaine. Une précampagne sur les réseaux sociaux ! Assortie d’un jeu-concours dont les gagnants ne seraient dévoilés qu’en février ?
Mais, Dame Isabelle m’a aussitôt freinée dans mon élan.
— Sortez-vous cette idée idiote de la tête, Sarah ! Et que je ne vous reprenne plus à rêvasser en réunion. La prochaine fois, je serai moins tolérante !
Voilà qui avait le mérite d’être clair. Bon, je l’avoue, cette idée de campagne pour la Saint-Valentin n’était pas franchement lumineuse. Mais tout de même, Isabelle pourrait me faire un peu confiance. Depuis quatre ans que je bosse ici, je n’ai droit à aucune reconnaissance de sa part et lorsque je soumets des idées novatrices, elles finissent à la poubelle ! Ou alors, parfois, elle penche la tête d’un air pensif, reformule mon idée, avec ses mots tellement distingués, et conclut qu’elle va y penser.
Puis au cours d’une réunion, cela devenait SON idée.
— Il faut revoir les couleurs du logo pour Ridless. Tout ce rouge… Rrrr ! avait-elle dit un jour, avec un dédain exagéré. Il faudrait plus de nuances. De l’orangé, de l’or… Un peu comme ceci !
Elle avait montré un prototype réalisé par un graphiste et le tour était joué. Tout le monde s’était pâmé devant son intelligence supérieure tandis que j’étais restée muette en réalisant que c’était MON idée. Sauf que j’avais eu le malheur de lui glisser cela oralement et je n’avais pas poussé l’idée assez loin pour faire faire un prototype !
Elle est comme ça Isabelle, toujours un coup d’avance sur vous. Elle sait faire du beau, de l’extraordinaire avec… les idées d’autrui. Mais, il lui manque une chose essentielle dans notre métier : la créativité.
Des idées créatives, moi j’en ai à revendre ! Je les note partout, sur mon téléphone, sur des post-it, dans mon calepin… Mais, des idées dont elle m’ait félicitée, je n’en vois aucune alors que les campagnes que j’ai gérées ont toujours été fructueuses.
Mince… Je ne peux pas continuer ainsi !
Isabelle, Alice et les autres – à quelques exceptions près –, je ne peux plus les blairer. Dans ma tête, ils sont dans le même panier. Celui avec écrit dessus « Ploucs ». Non, vraiment, ils ne sont pas à la hauteur de ma créativité.
Je me suis calée devant la télé et j’ai bavé devant Cathy Mills, une avocate noire américaine, terriblement douée, qui fait la pluie et le beau temps à Manhattan. Pourquoi ne suis-je pas comme elle ? Je crois que ce qui me manque, c’est de l’audace. Celle de me dresser contre toutes les Isabelle du monde et de leur montrer de quoi je suis vraiment capable.
Il faut vraiment que je fasse quelque chose. Peut-être devrais-je chercher un autre job ?
Oh oui ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?
Un endroit où l’on me dirait :
— Sarah, cette idée que vous avez eue est brillante !
— Bravo, Sarah ! Grâce à vous, nous avons eu un succès phénoménal ! Vous méritez bien une prime…
Je réfléchis au montant de la prime et mon visage s’éclaire sur un chiffre avec des tonnes de zéros. Je me pavane dans mon appartement en prenant un air à-la-Isabelle-Marquay et en adoptant un ton snob.
— Oh, vous êtes trop aimable ! dis-je à mon interlocuteur fantôme. Je suis ravie d’avoir contribué au succès de cette campagne. Vraiment !
Je m’arrête net dans ma rêverie, car mes volets sont ouverts et mon voisin d’en face ne perd pas une miette de mes pitreries. Je tire rapidement les rideaux et pouffe de rire avant de jeter un coup d’œil à ma montre : zut, il est plus de minuit !
Allez, il faut dormir sinon le réveil sera dur demain.
Le lendemain, je me lève dès la première sonnerie du réveil.
D’habitude, j’enfouis ma tête sous l’oreiller et je presse le bouton répéter jusqu’à ce qu’il soit vraiment tard et que je n’ai d’autre choix que de me lever !
Pendant que je me prépare, je suis d’une humeur excellente. Je sais que ma journée va être EXTRA ! Pourquoi ? Parce que je vais démissionner, pardi !
Haha, quelle idée lumineuse !
Dès que j’ai ouvert les yeux, j’ai su que j’allais le faire. Que je devais le faire ! Me pointer dans le bureau de l’horrible Isabelle et lui mettre ma lettre de démission sous le nez. Oui, le programme de ma journée est EXTRA. Et plein d’audace !
Aujourd’hui, si on me demande comment je m’appelle, ma réponse sera Audace ! Audie, pour les intimes. Oui, Audie, ça en jette, hein ? Rien à voir avec Sarah !
Je mets une robe ultra-classe et ce mascara qui me fait des cils de fée – je vais finir par ressembler à une fée, je vous dis ! Avec les ailes et tout le tralala ! – puis j’enfile mes escarpins aux talons vertigineux : dix centimètres de pure hauteur. Me voilà fin prête pour ma journée EXTRA.
J’arrive tardivement à l’agence pour être sûre que tout le monde est arrivé. La grande horloge en bas de l’immeuble indique neuf heures trente-deux. Tiens, tiens, je n’avais jamais remarqué qu’il y avait une horloge à cet endroit.
Parfait ! C’est l’heure idéale. Il faut vraiment que je fasse sensation. Que ça reste dans les annales ! Je dois penser très fort à ces ailes de fée pour qu’elles poussent dans mon dos et qu’elles soient le clou du spectacle !
Dès que j’arrive dans l’open space, les conversations s’arrêtent.
— C’est… Sarah ? demande Rose, la rouquine du pôle Mode.
— Je crois bien… répond Alice qui me dévisage la bouche entrouverte.
Je sais, j’ai l’air canon ! Ma robe me fait des courbes de rêve, mon afro puff est volumineux et bouclé à souhait, et mon maquillage est juste parfait. Sans parler de ces escarpins qui me font glisser sur la moquette dans une démarche gracile et étudiée. J’ai l’impression d’être une véritable star de cinéma !
Je lance un « bonjour la compagnie ! » plein de bonne humeur puis je dépose mon sac sur mon bureau. J’en sors une grande enveloppe contenant la lettre avant de prendre la direction du bureau d’Isabelle. En passant devant Alice, je lui glisse un « ferme ta bouche, tu vas gober une mouche », avant d’éclater d’un rire triomphal.
Haha ! C’est presque jouissif !
Je m’apprête à entrer dans le bureau d’Isabelle lorsque Julie se met en travers de mon chemin.
— Isabelle est occupée ! Tu veux un rendez-vous ?
Moi, un rendez-vous ? Pour quoi faire ? La grande Audie n’a pas besoin d’un rendez-vous. Elle se pointe quand elle veut, où elle veut, et puis voilà !
Je lui adresse un sourire hautain avant d’ouvrir la porte. Isabelle est au téléphone et un « O » d’horreur déforme sa bouche dès qu’elle me voit.
— Sarah ! rugit-elle, furieuse. Je suis occupée !
Puis, intriguée par mon sourire, elle met une main devant le combiné.
— Qu’est-ce qui vous prend de débouler ainsi dans mon bureau ? Auriez-vous perdu la tête ?
Peut-être bien, je pense, tandis que mon sourire ne quitte pas mes lèvres. J’ouvre l’enveloppe – je prends mon temps, car Isabelle est suspendue à mes mains – et je sors la lettre d’un mouvement théâtral avant de lui planter sous les yeux.
— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle, piquée au vif.
— Ma démission ! j’annonce, d’une voix déterminée.
Un ange passe. Isabelle est interdite.
Elle semble partagée entre l’envie de rire et celle de m’aboyer dessus. Pour ma part, je souris toujours tandis qu’une mélodie – probablement celle de la victoire – emplit ma tête. Je l’ignore, car pour l’heure, je pense très fort à mes ailes et me focalise dessus. Il faut qu’elles poussent, maintenant.
Maintenant ! Allez, les ailes, où êtes-vous ?
Isabelle indique à son interlocuteur qu’elle va le rappeler et met fin à la conversation. Elle me regarde, je la regarde. Nous sommes comme deux louves qui se demandent laquelle va attaquer la première.
Toi ! dit ma conscience. Tu es la grande Audie ! C’est toujours toi qui attaques la première !
Mais oui, voyons ! Où avais-je la tête ?
— Isabelle, horrible Isabelle ! J’ai reçu une proposition d’embauche de Pépites Rouges – notre concurrent direct – et je m’envole de ce pas mettre ma créativité au profit de leur succès !
La mélodie de la victoire est de plus en plus forte dans ma tête et c’est le moment que choisissent mes ailes pour pousser dans mon dos et se déployer dans un froufrou délicieux.
Quelle classe ! Je suis en extase !
Le bureau d’Isabelle s’ouvre sur Julie, rouge de stress à l’idée de se faire virer par ma faute et, derrière elle, tout l’open space est debout et m’observe avec des mines ébahies qui semblent dire qu’est-ce-que-j’aimerais-avoir-le-cran-de-faire-comme-elle.
Mes ailes m’entraînent dans les airs, devant les gueules effarées de tous. Je prends un air triomphant avant de proclamer « adieu, les ploucs ! » et me diriger vers la fenêtre qui s’ouvre pour laisser passer la grande Audie.
Là, la mélodie de la victoire devient carrément stridente. Je ne la supporte plus. Zut ! Elle va finir par tout gâcher ! Je sursaute violemment, dans un état second, et une longue minute s’écoule avant que je ne réalise que tout ça n’était qu’un rêve.
La mélodie stridente, c’était la sonnerie de mon réveil. Il est plus de neuf heures et je suis toujours dans mon lit.
Mince, je vais vraiment me faire virer cette fois-ci !
Je bondis du lit et me prépare à la vitesse de l’éclair avant de faire une halte devant le miroir de la salle de bains. Un petit pschitt de mon vaporisateur d’eau, une noisette de crème hydratante et d’huile, trois coups de brosse et deux minutes plus tard, le tour est joué : mon afro puff est en place.
Puis, je me prépare un café, car sans ça, je ne suis bonne à rien. Le précieux liquide enfermé dans un mug isotherme, je quitte mon studio en trombe. En arrivant près du métro Saint-Georges, je fais un signe de la main à Giuseppe, le fleuriste.
Ça fait partie de mon rituel du matin. Faire sonner mon réveil trois fois, m’habiller à la hâte, réaliser un afro puff en deux minutes, boire un bon arabica, aller au métro au pas de course et… dire bonjour à Giuseppe, un gentil quinquagénaire qui m’a tout de suite plu lorsque je me suis installée dans le quartier, trois ans plus tôt.
Manque de bol, il y a des retards sur ma ligne et je patiente plus de dix minutes sur le quai bondé avant de monter dans une rame. Lorsque j’arrive au boulot, il est presque dix heures. Isabelle se tient près du bureau de Tidiane, avec qui elle est en pleine conversation.
Dès qu’elle me voit, elle s’arrête de parler et me toise, l’air énervé.
— C’est à cette heure-ci que vous arrivez ?
— J’ai dû passer chez l’imprimeur pour récupérer les cartes d’invitation de la soirée Blue Hands.
— Ah ! fait-elle simplement en remarquant le petit carton que je transporte dans un cabas.
Puis, comme je ne l’intéresse déjà plus, elle se retourne vers Tidiane. Ouf, je l’ai échappé belle ! Mon licenciement pour retards – car j’arrive très souvent en retard ces derniers temps – n’est pas pour aujourd’hui. J’ai été bien inspirée en allant chercher ces cartes d’invitation, la veille en sortant du boulot !
Pourtant, je n’aurais pas été contre le scénario de mon rêve de ce matin. Bah oui, ça m’aurait quand même fait plaisir de donner ma démission à Isabelle. Rien que pour voir sa tête de « est-elle-devenue-folle ? ». Et puis, Audie, elle a la classe quand même. Si je pouvais être elle, dans la vraie vie, avec autant d’audace et d’assurance, ce serait tellement génial !
De plus, grâce à mes ailes magiques, je pourrais voler au lieu de prendre le métro et… je n’arriverais plus du tout en retard ! Je pourrais boire mon café, confortablement nichée dans le creux d’un nuage, un panier de beignets aux pommes posé près de moi, avec en fonds sonore une douce mélodie chantée par des oiseaux aux couleurs chatoyantes !
Je soupire en m’installant à mon bureau lorsqu’une boule de papier atterrit sur la table et je n’ai pas besoin de lever la tête pour savoir d’où elle vient.
Depuis son bureau, Gwladys se retient de pouffer de rire et me fait signe de la rejoindre à la machine à café.
— Tu fais fort, cette semaine ! dit-elle de sa voix chantante à l’accent créole. Je te préviens, tu as intérêt à ne pas énerver Isabelle davantage, car je suis en réunion avec elle cet après-midi !
— Voyons… Isabelle n’a besoin de personne pour être énervée, et encore moins de moi !
— Hmm, ce n’est pas faux ! Mais, après l’épisode d’hier en réunion et ton retard ce matin, il vaut mieux que tu fasses profil bas jusqu’à la semaine prochaine. Mais, dis-moi, que t’est-il arrivé aujourd’hui ?
— Une panne de réveil !
Gwladys pouffe de rire.
— Ne me dis pas que tu as passé la nuit avec…
— Tu es incorrigible, Gwladys ! C’est de l’histoire ancienne, ça.
— C’est ce que tu dis toujours…
Un rire résonne dans l’open space. C’est Alice qui se moque ouvertement de Béa, une collègue du pôle Food.
— Voyons, Béa, dit-elle, entre deux rires. Ce genre de sac n’est plus du tout à la mode ! Je veux bien me sacrifier pour t’aider à faire ton shopping, mais pitié, ne ramène plus jamais cette laideur ici !
Elle ponctue sa phrase d’une moue de dégoût qui nous fait lever les yeux au ciel. Cette pimbêche ne rate jamais une occasion d’être désagréable et prend un malin plaisir à faire de Béa son souffre-douleur. La pauvre manque cruellement d’assurance et n’ose jamais lui tenir tête.
Les lèvres pincées, elle se contente de pousser le sac en question sous son bureau avant de poursuivre son travail comme si de rien n’était. Bien sûr, personne dans l’open space ne réagit. Alice emmerde tout le monde, tout le temps, mais personne ne dit jamais rien.
Distillant son parfum sur son passage, elle se dandine jusqu’à son bureau, perchée sur ses escarpins aux talons vertigineux, en affichant un sourire satisfait. Quel dommage que je ne sois pas aussi audacieuse qu’Audie pour la remettre à sa place !
Isabelle sort de son bureau et nous fusille du regard, Gwladys et moi, comme pour nous reprocher de papoter à la machine à café.
— On déjeune ensemble ? me demande Gwladys, alors que nous nous hâtons vers nos bureaux.
— Oui, oui. À tout à l’heure !
Je me plonge dans les derniers détails de la soirée pour Blue Hands, un consortium de galeries d’art qui accompagne des artistes dans la promotion de leurs œuvres. Ce n’est que la troisième fois qu’ils font appel à nous, mais Isabelle a été très claire. Blue Hands doit devenir l’un de nos clients majeurs et nous permettre de créer un pôle Arts.
Sunshine Marquay, l’agence où je travaille, emploie une quinzaine d’attachés de presse, répartis sur trois pôles – Mode, Food, Beauté, et un pôle mutualisé dont Gwladys et moi faisons partie. Le portefeuille d’une trentaine de clients est plutôt prestigieux et, en temps normal, j’adore mon job.
J’adore monter un événement de toutes pièces – du concept même de l’événement jusqu’au dernier détail logistique –, concevoir des campagnes de presse, organiser des conférences, etc.
Mais, depuis quelques mois, je sature du contexte Sunshine Marquay. Après quatre ans au sein de l’agence, sans la moindre reconnaissance de la part d’Isabelle, j’ai besoin de voir autre chose.
La soirée Blue Hands, dont le thème est Créations Sculpturales, aura lieu dans un mois et a pour but d’inaugurer leur troisième galerie parisienne, mais aussi d’y présenter les nouvelles collections de leurs artistes phares.
J’ai coordonné la communication autour de l’événement – la campagne médiatique a d’ailleurs eu un certain succès, surtout sur Facebook et Twitter – et des cartes d’invitation vont maintenant être adressées aux invités privilégiés.
J’ai hâte d’y être et de constater la réussite de mon travail. C’est ça ma principale source de motivation en ce moment et ça m’aide à m’accrocher malgré mon ras-le-bol de Sunshine Marquay.
Autour de moi, tout l’open space bruisse de conversations téléphoniques et je ne tarde pas à décrocher également le téléphone pour relancer des journalistes, afin qu’ils mentionnent la soirée dans leurs prochaines éditions.
— Artemis bonjour, fait une standardiste.
— Bonjour, pourrais-je parler à Philippe Ajavon, s’il vous plaît ?
— M. Ajavon est en déplacement toute la semaine. Puis-je prendre un message ?
Grrr. Je sais bien qu’il s’agit là d’un prétexte bidon pour ne pas me le passer. Car Philippe Ajavon, figure montante de la critique d’art, est très demandé et il est quasiment impossible de le joindre par téléphone.
Depuis plusieurs semaines, toutes mes tentatives pour le joindre se soldent par un échec. J’ai bien essayé de le contacter par mail et sur les réseaux sociaux, mais à ce jour, je n’ai eu aucune réponse de sa part.
Cependant, il n’est pas question que je baisse les bras !
— Pourriez-vous me passer son assistante, alors ?
— Elle est déjà en ligne. Souhaitez-vous lui laisser un message ?
— Eh bien, dites-lui que Sarah Assouma a appelé au sujet de la soirée Blue Hands. Je lui ai envoyé un dossier de presse il y a un mois.
— Très bien, c’est noté. Bonne journée, madame !
Je soupire avant de composer le numéro de Nicolas Moulin, un journaliste d’Arts Magazine avec qui je collabore depuis bientôt trois ans.
— Bonjour Sarah, dit-il d’une voix chaleureuse. Tu n’es pas obligée de m’appeler toutes les semaines, tu sais.
— Bonjour Nicolas, je réponds, passablement amusée. Je sais bien, mais que veux-tu ? Il peut se passer tellement de choses en une semaine !
— Comme recevoir d’autres communiqués de presse qui risqueraient de foutre en l’air l’article sur Blue Hands, n’est-ce pas ?
Oups. Touchée ! Mais, à ma décharge, je joue gros sur ce coup et je ne peux pas me permettre d’avoir une couverture médiatique approximative. Alors, s’il faut être sur le dos des journalistes…
— Écoute, j’ai une bonne nouvelle pour toi, reprend-il. Le prochain numéro mentionne l’événement… Voyons… En page 8. Une double page sur Blue Hands, la soirée et leur prochaine participation à la FIAC de Paris ! Alors, heureuse ?
— Très heureuse ! Oh, Nicolas, tu es formidable ! Un grand merci !
Lorsque nous raccrochons, un sourire radieux éclaire mon visage tandis que je jette un coup d’œil à ma longue liste avant de composer le numéro suivant.
L’après-midi, un vent de pression souffle sur l’open space. L’horrible Isabelle est d’une humeur massacrante. Trendy Plus, un client du pôle Mode, menace de nous quitter pour confier son image à Pépites Rouges si nous ne parvenons pas à améliorer sa visibilité dans les médias. Isabelle a débarqué sur le plateau et déversé sa colère sur Tidiane, Alice et ses collègues Mode.
Le moment ne se prêtait absolument pas au rire – j’étais d’ailleurs navrée pour Tidiane que j’apprécie beaucoup – mais je n’ai pas pu retenir un sourire satisfait devant la mine atterrée d’Alice qui était presque au bord des larmes. Bien fait pour elle, ce n’est pas tout d’être sexy !
Oui, j’avoue. Malgré le fait qu’elle soit toujours maquillée et parfumée à outrance, prétentieuse et foncièrement mauvaise, elle est vachement sexy. Si elle n’était pas aussi prétentieuse, j’aurais peut-être eu de la compassion.
Du coup, elle a passé l’après-midi à relancer ses contacts et envoyer des communiqués de presse. D’habitude, elle passe son temps à lire des magazines en ligne, retoucher son maquillage, emmerder Béa ou d’autres collègues, et faire faire son boulot par les stagiaires. Un peu de travail ne lui fera pas de mal.
Le soir, je rentre chez moi, à nouveau très fatiguée. Je n’ai pas arrêté de la journée ! Je retrouve le cagibi qui me sert de toit et dans lequel je commence sérieusement à me sentir à l’étroit. Il n’y a pas que mon boulot à changer. Il faudrait revoir l’appart aussi, mais pour l’instant, je ne peux pas me le permettre.
Je suis en train de réchauffer mon dîner au micro-ondes lorsque je reçois un message de Claire, ma meilleure amie.
Coucou les filles ! Partantes pour un afterwork ce vendredi soir ?
J’ai hâte de vous raconter un truc follement excitant !
Alors, qui est dispo vendredi ?
Je lâche un soupir désabusé. Les filles me manquent, mais je n’ai aucune envie d’aller à ce rendez-vous. Nous avons l’habitude de nous retrouver au moins une fois par mois pour boire un verre entre amies ou aller à l’une des soirées afterwork organisées par Franck, un ami commun. Et, à mon grand désespoir, la conversation arrive souvent sur un sujet que je n’aime pas aborder : ma vie amoureuse.
Car j’ai presque trente ans et pour mes amies, je suis un véritable oiseau rare, sujet favori des conversations lorsque nous nous retrouvons.
Trente ans et toujours célibataire ? Pour elles, je rentre dans la catégorie vieille-fille-à-marier-de-toute-urgence et elles se sentent obligées de me filer tous les plans mecs dont elles ont connaissance. En outre, elles ont toute une théorie sur le fait d’être toujours célibataire à trente ans et me la resservent dès qu’elles en ont l’occasion. Si bien que je les évite soigneusement ces derniers temps.
En refaisant le compte, outre le boulot et l’appart, il faudrait que je revoie autre chose dans ma vie : trouver un petit ami digne de ce nom. Quelqu’un avec qui je pourrais envisager de passer à la vitesse supérieure et faire des projets d’avenir.
Mais… mes trente ans, c’est dans cinq mois et, à ce rythme, je ne risque pas de le trouver avant ! En regardant la réalité bien en face, mes amies ont peut-être raison… Mon cas est désespéré !
Mon réveil sonne et j’ouvre un œil pour appuyer sur le bouton répéter. Mais, je ne peux plus le faire, car c’est déjà la troisième fois que je le fais sonner. Plus le choix : maintenant, il faut se lever !
Zut, je n’ai aucune envie d’aller travailler aujourd’hui. Je n’ai pas envie de voir du monde ni de supporter la mauvaise humeur d’Isabelle. J’aimerais rester au lit et me goinfrer de marshmallows à la fraise. Ces derniers mois, je traîne des pieds tous les matins et cette situation me plombe le moral. Il faut vraiment que je change de job !
Ce rêve que j’ai fait, l’autre jour, est peut-être prémonitoire ? Peut-être vais-je vraiment recevoir une offre d’embauche de Pépites Rouges ? Aaaah, ce serait tellement cool !
L’excitation me gagne et je saute du lit. Il faut que je pense à refaire mon CV. Ce serait quand même ballot qu’un chasseur de têtes m’appelle et que je n’aie pas de CV potable à lui envoyer. Ce serait d’un minable !
J’imagine la scène.
(Le chasseur de têtes) — Mlle Assouma, pourriez-vous me faire parvenir votre CV à jour, afin que je puisse me rendre compte de vos dernières expériences ?
(Moi) — Un CV à jour ? Si je vous envoie celui de 2010, ça fera l’affaire ?
Non, ça ne le fait pas du tout ! Il faut vraiment que je refasse mon CV. Une fois mon café avalé, je me hâte vers le métro avec la mine d’un animal qu’on mène à l’abattoir. C’est vrai, j’ai l’impression que c’est ce que je vis, tous les matins. Sauf que dans mon cas, ça a l’air d’être un scénario sans fin. Toujours la même histoire : je me présente à l’abattoir tous les jours, mais ce n’est jamais mon tour. Quelle déprime !
En arrivant près de l’agence, je passe par ma boulangerie préférée pour me donner l’énergie d’affronter la journée.
— Deux beignets aux pommes et deux chouquettes… Ce sera tout, madame ?
La boulangère me jette un regard impatient, car la file est longue derrière moi. Mais, je bave littéralement devant la vitrine remplie de gourmandises de toutes sortes. Fais attention à ta ligne ! glapit ma conscience, d’une voix haut perchée et horriblement agaçante.
Ben, voyons ! Comme si je ne le savais pas. Mais, je n’ai pas envie d’aller bosser et quand je suis dans cet état, rien de tel que le sucre pour me remettre d’aplomb.
— Euh… Rajoutez un beignet aux pommes, s’il vous plaît. Euh, non... Deux, finalement.
— Quatre beignets aux pommes, au total ?
— Oui…
Je ressors de la boulangerie, honteuse, furieuse contre moi-même, tandis que ma conscience est dans tous ses états. Mais, dès que j’ouvre le paquet pour humer l’odeur des beignets, la bonne humeur irradie instantanément mon être tout entier.
Quelques instants plus tard, je m’installe à mon bureau, en mordant dans un beignet avec gourmandise, tout en me promettant de trouver un moment dans la journée pour refaire mon CV.
À l’heure du déjeuner, je me rends, avec Gwladys et Julie, dans un restaurant italien qui a toujours les arguments pour prolonger ma bonne humeur. Je viens d’engloutir mon entrée et suis en passe d’attaquer ma pizza favorite, l’Orientale, lorsque mon téléphone sonne.
C’est Claire. Elle veut savoir si je suis dispo pour l’afterwork. Zut, je réalise que j’ai oublié de répondre à son message.
— Non, ma belle, dis-je en prenant un air faussement désolé. J’ai déjà quelque chose de prévu…
— Comment ça, tu as quelque chose de prévu ?
Sa voix est montée d’un cran et je devine aisément son agacement.
— Tu n’étais déjà pas là, la dernière fois !
— Je sais, mais je ne peux vraiment pas. Je dois passer à la galerie pour voir où en sont les travaux… Tu sais, pour la soirée de mon client.
Menteuse ! hurle ma conscience.
— Ah, dommage. Bon, si c’est pour un rendez-vous client…
Claire soupire de dépit.
— Dis-moi, as-tu trouvé ta robe ?
— Quelle robe ?
— Comment ça, quelle robe ? Pour l’EVJF de Laurie, pardi !
Zut ! Le mariage de Laurie, c’est déjà dans deux semaines ! Maud, l’une des filles de notre groupe d’amies, est styliste et s’est chargée des robes de demoiselles d’honneur. Par contre, chacune de nous devait se trouver un déguisement pour la soirée d’enterrement de vie de jeune fille. Le problème, c’est que je ne m’en suis pas du tout occupée !
Je suis complètement paniquée, mais je rassure néanmoins Claire. Bien sûr que j’ai déjà ma robe ! Qu’est-ce qu’elle croit ?
— Ah oui ? dit-elle. Tu l’as achetée en ligne ou en boutique ? Tu n’as pas eu trop de mal ? Je ne dois vraiment pas être douée… Des robes de princesses, il en existe des tonnes… Encore faut-il tomber sur LA robe !
Re-zut ! Ça aussi, je l’avais oublié. Le thème du mariage de Laurie est Princesses et Paillettes et, pour son enterrement de vie de jeune fille, nous avons eu l’idée de nous déguiser en princesses Disney. Moi en Tiana et Claire en Ariel. Euh… En ne m’y prenant que deux semaines à l’avance, ce n’est pas vraiment gagné ! Aaaah ! Comment vais-je faire ?
Gwladys et Julie m’observent, intriguées, pendant que je raconte à Claire que j’ai acheté ma robe dans une boutique à Lyon.
— Lyon ? demande-t-elle surprise.
Bah oui, dis-je, j’y suis allée un mois plus tôt en week-end chez Sam, mon meilleur ami et non, je ne me souviens plus du tout du nom de la boutique. Là, Gwladys me regarde avec de gros yeux et je suis à peu près sûre qu’elle a compris que je viens de dire un énorme mensonge.
L’essentiel est que Claire a l’air de me croire, car elle semble affolée à l’idée d’être la seule du groupe à ne pas avoir trouvé sa robe.
— Ah la la ! gémit-elle. Je pensais avoir le temps d’en acheter une et finalement, me voilà à la bourre…
Elle semble vraiment désespérée, alors je la rassure. On peut faire des miracles en deux semaines, voyons !
— Rien d’insurmontable pour toi, ma poule !
Dès que je raccroche, je me prends la tête entre les mains. Il faut que je trouve cette robe au plus vite ! Julie promet de me donner des adresses de boutiques.
— J’ai déniché un déguisement, l’autre jour, dans une boutique du 3e arrondissement et ils vendaient des robes de princesse. Tu devrais y trouver ce que tu cherches.
Une fois n’est pas coutume, je fais l’impasse sur le dessert, parce que je suis en leur compagnie et qu’elles sont au régime. Ce n’est pas plus mal d’ailleurs, car non seulement je dois trouver ma robe de princesse, mais en plus, si je peux perdre deux ou trois kilos au passage, ça m’aidera à rentrer dans ma robe de demoiselle d’honneur que Maud a finalisée depuis un bon moment.
Je ne suis pas grosse, loin de là, mais je dois avouer que je me suis un peu laissée aller ces derniers mois. Oui, je traîne des bourrelets disgracieux qui n’ont pas leur place dans un look de mariage. Non, vraiment pas.
La faute aux beignets aux pommes. Euh… Et pour être tout à fait franche, les marshmallows que j’engloutis sous la couette, les soirs de déprime, n’y sont pas étrangers non plus.
De retour au boulot, je boucle rapidement les communiqués de presse urgents et m’éclipse du bureau vers dix-sept heures. Mon excuse, un rendez-vous avec un journaliste, pour évoquer la soirée Blue Hands. Bien sûr, c’est un mensonge. Elle a bon dos, la soirée Blue Hands ! me réprimande ma conscience.
Mais, je lève les yeux au ciel pour l’envoyer balader car j’ai une bonne excuse après tout : une robe de princesse à trouver de toute urgence ! La liste des boutiques que Julie m’a remise en main, direction une première enseigne dans le troisième arrondissement. J’y reste une bonne demi-heure, mais n’y trouve pas mon bonheur.
Je me rends ensuite dans une autre boutique à quelques stations de métro de là, mais je ne trouve rien là non plus. Grrr ! Où vais-je pouvoir trouver ma robe-de-princesse-Tiana ? Je finis par rentrer chez moi vers dix-neuf heures, l’estomac dans les talons.
J’avale un bol de soupe en faisant une session de rattrapage devant les derniers épisodes de ma série préférée – celle avec Cathy Mills, l’avocate-super-douée-de-Manhattan. Puis, je prends une bonne douche chaude avant de me glisser sous la couette, épuisée par cette journée éreintante.
Le lendemain, je me réveille, avant que mon réveil ne sonne, torturée par une envie forte, agaçante… entêtante ! Une envie de désir, de plaisir, que dis-je… de chaleur masculine. Oui, une envie de faire l’amour !
Des images torrides, vestiges de mes rêves nocturnes, m’embrument le cerveau. Bon, d’habitude, ce genre d’envie n’est pas quelque chose d’insurmontable. Car même si je ne suis pas en couple, je peux avoir une ou deux solutions de dépannage pour éteindre le feu des jours d’envie impérieuse…
Désiré par exemple, cet expatrié camerounais que j’ai rencontré à l’un des afterworks de Franck. La trentaine, grand, gueule d’ange, look ultra-chic, il travaille dans la com. Nous nous sommes revus plusieurs fois pour boire un verre mais, depuis quelques semaines, il ne répond plus à mes messages. Je me demande s’il ne s’est pas trouvé une petite amie... Zut, je l’aimais bien, Désiré. Il était cultivé, avait de l’humour et on s’entendait plutôt bien. Qui d’autre à part Désiré ?
Marco, bien sûr ! s’écrie ma conscience, délibérément taquine. Car j’essaie tant bien que mal d’oublier ce bel étalon italien, doublé d’un bourreau des cœurs, dont je me suis entichée avant de comprendre qu’il était un incorrigible coureur de jupons.
D’ailleurs, les dernières fois qu’il m’a appelée, j’ai eu la désagréable impression qu’il n’a pensé à moi que parce qu’il n’avait personne d’autre sous la main. Bien sûr, il est hors de question que je sois le bouche-trou de service ou de m’attacher à un play-boy qui finira par me briser le cœur.
Mais, les jours comme celui-ci, je ne peux m’empêcher de me sentir bien seule et, malgré moi, je suis parfois tentée de passer un coup de fil à Marco. Ce n’est pas comme ça que je trouverai l’homme de ma vie, me direz-vous !
Pour tout vous dire, je ne suis pas ce qu’on peut qualifier de femme fatale, mais je ne suis pas laide non plus. Du haut de mon mètre soixante-dix, les traits plutôt harmonieux et une taille de guêpe enviable – si, si, je vous jure –, je me trouve même assez jolie. D’ailleurs, jusqu’à présent, je n’ai jamais eu de difficulté à séduire un homme.
Le problème, car il y en a bien un, c’est trouver LE mec qui restera plus longtemps que quelques mois et avec qui je pourrai faire des projets d’avenir. Ce mec-là, je crois bien qu’il n’existe pas. En tout cas, je ne l’ai pas encore rencontré.
Je repense à ce que mes amies n’arrêtent pas de me dire.
Arrête d’être casanière, Sarah ! Sors un peu plus !
Et pas qu’avec nous… Avec des hommes !
Tu es célibataire depuis trop longtemps. Tu dois te trouver un mec ou alors c’est nous qui nous en chargerons pour toi !
Euh… Je connais les filles et un jour ou l’autre, elles finiront par me pousser dans les bras d’un mec, potable à leurs yeux et soi-disant pour mon propre bien !
Je soupire longuement avant de me résigner à sortir du lit. Une nouvelle journée de travail m’attend et à son issue, une nouvelle course contre la montre pour trouver ma robe de princesse.
Lorsque j’arrive au boulot, une ambiance d’enterrement règne dans l’open space. Mince, que s’est-il passé ?
J’interroge Gwladys du regard et elle me fait signe d’approcher.
— Tu as raté quelque chose hier soir, murmure-t-elle en guettant la porte du bureau d’Isabelle. Tidiane… Il a été viré !
— Comment ?
Je n’ai pas pu m’empêcher de crier et tous les murmures s’arrêtent tandis qu’une multitude de paires d’yeux nous dévisagent. Je fais signe aux autres de continuer leur bavardage avant de jeter un regard insistant à Gwladys, du style raconte-moi-tout !
La veille, vers dix-huit heures, me dit-elle, Isabelle a convoqué Tidiane dans son bureau et après une discussion animée, il en est ressorti furieux et a fait ses cartons avant de quitter l’agence. Isabelle a ensuite annoncé à ceux qui étaient encore là qu’il ne reviendrait plus !
Le pauvre a été tenu responsable de la perte du client Trendy Plus, qui menaçait de quitter l’agence, et a payé pour l’incompétence d’Alice et de ses collègues. La nouvelle me fait l’effet d’une bombe et à en croire les mines de conspirateurs et les messes basses de mes collègues, tout le monde est sous le choc.
Je connais bien Tidiane et j’ai énormément de peine pour lui. Il était si travailleur et sérieux ! Le travail à l’agence représentait beaucoup pour lui. Bien que je n’aie aucun doute sur sa capacité à retrouver un autre job rapidement, je suis quand même sidérée par l’injustice dont il a été victime et le manque de cœur d’Isabelle.
Tidiane avait donné une dynamique positive à l’équipe et avait fortement contribué à bon nombre de nos derniers succès. La vie est vraiment injuste. C’est Alice qui aurait dû être virée !
Mais ça, ce n’est pas près d’arriver car elle cire trop bien les bottes d’Isabelle pour se faire reprocher quoi que ce soit. Et puis, tant qu’il y aura des stagiaires à l’agence, elle est bien planquée et Isabelle ne risque pas de se douter qu’elle ne fout rien !
Je suis encore en train de commenter la nouvelle avec Gwladys lorsque le bureau d’Isabelle s’ouvre.
— Sarah ? appelle-t-elle d’un ton sec en me cherchant du regard. Venez dans mon bureau !
Aaaah ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Je m’exécute sous les regards inquisiteurs de mes collègues, en pariant que les murmures vont aller bon train dès que je serai dans le bureau d’Isabelle.
Mince, vais-je me faire virer moi aussi ? Je savais bien que mes retards de cinq à dix minutes finiraient par me porter préjudice. Ce matin, je suis même arrivée avec vingt minutes de retard. Bon, je suis cadre et je n’ai pas vraiment d’horaires. N’empêche, l’usage au bureau est d’arriver vers neuf heures – ou même avant – pour ne repartir qu’au-delà de dix-huit heures.
Paniquée, je commence à imaginer le discours que je ferai à Maman pour lui annoncer que j’ai perdu mon boulot. Après un copieux sermon, elle risque de m’obliger à assister au groupe de prières de son église afin d’éloigner de moi les mauvaises ondes qui me gâchent la vie.
Bah oui, je vais avoir trente ans, je ne suis toujours pas mariée et en plus je me fais virer ? Elle ne trouverait pas ça normal.
Et même moi, je commence à trouver tout ça louche !
— Sarah, fait Isabelle, lorsque je referme la porte du bureau derrière moi. Vous avez dû apprendre le départ précipité de Tidiane ?
— Euh… Oui, je réponds, ne voyant pas trop où elle veut en venir.
Elle se lève et traverse le bureau pour s’arrêter devant un range-dossiers.
— Vous n’êtes pas sans savoir que Tidiane m’épaulait dans les démarches commerciales de l’agence. Maintenant qu’il est parti, j’ai besoin de quelqu’un pour reprendre ce rôle et… j’ai pensé à vous.
Euh… J’ai l’impression de ne pas avoir bien entendu. Vient-elle de dire qu’elle a pensé à moi ? Pour reprendre le poste de Tidiane ? Wow ! Mais, c’est super ! Serais-je enfin reconnue à ma juste valeur par l’horrible Isabelle ?
Un large sourire éclaire mon visage et je m’apprête à lui répondre lorsqu’elle reprend :
— Évidemment, j’envisage d’embaucher un nouveau directeur stratégique. J’ai dans mon réseau une ou deux personnes qui devraient convenir. Néanmoins, ce type de recrutement risque de prendre du temps, aussi, ai-je besoin de quelqu’un pour assurer l’intérim.
Bien sûr. C’était trop beau pour être vrai. Elle ne me propose le poste qu’en attendant d’embaucher quelqu’un d’autre. Mais, tout de même ! L’opportunité est trop belle et ne saurait être refusée.
— Vous pouvez compter sur moi ! je m’empresse de dire de ma voix la plus enthousiaste. Je suis ravie que vous ayez pensé à moi et je peux vous assurer que…
— Bien entendu, vous serez rémunérée pour ce rôle supplémentaire, me coupe Isabelle qui ne semble pas partager mon enthousiasme. À cet effet, Julie va préparer une lettre de mission, assortie d’une prime mensuelle.
Elle ouvre le range-dossiers et en sort un classeur qu’elle me tend.
— Tenez ! Voici la liste des prospects sur laquelle Tidiane et moi travaillions. Je veux que vous étudiiez ces dossiers et que nous en reparlions… Voyons…
Elle retourne à son bureau et pianote sur son ordinateur.
— Demain, à seize heures ?
— Euh… Je dois vérifier mon agenda… (Puis comme ses yeux lancent des éclairs, je m’empresse de poursuivre.) Mais, je n’ai pas le souvenir d’avoir un rendez-vous à ce créneau-là. Je vous envoie une invitation !
— Parfait !
Isabelle ne dit plus un mot et j’interprète cela comme la fin de notre entrevue. À quoi m’attendais-je ? Qu’elle me raccompagne jusqu’à la porte, avec un grand sourire et une chaleureuse poignée de main ? J’ai même l’impression qu’elle n’est pas très contente que j’aie accepté la mission. Pourquoi me l’avoir proposée, alors ?
Je suis presque arrivée à la porte lorsqu’elle m’arrête.
— Au fait, Sarah, connaissez-vous M. Ankrah ?
— Le PDG de Blue Hands ? je demande, haussant un sourcil. Non, je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer. J’ai toujours échangé avec M. Laval, le directeur de la communication.
Pourquoi s’intéresse-t-elle au PDG de Blue Hands ? Je réalise que je n’ai aucune idée de ce à quoi ressemble ce dernier. Je sais qu’il n’est pas bien vieux, mais les revues de presse que j’ai récupérées au début de notre partenariat ne comportaient aucune photo de lui et il n’apparaît jamais dans les médias.
— J’ai cru comprendre que c’est un homme très occupé, poursuis-je.
— Oui, c’est exact. Bon... J’ai hâte d’être à la soirée ! Ce sera l’occasion parfaite pour l’aborder dans un contexte moins formel.
Mon retour dans l’open space n’est pas trop remarqué, car mes collègues sont pour la plupart au téléphone. En m’installant à mon bureau, je continue à me questionner. Pourquoi m’a-t-elle choisie, moi ? C’est vrai, Béa ou Michel auraient tout aussi bien pu convenir.
Bon, j’avoue, j’ai un physique plus glamour que Béa – qui, à quarante ans, a le look d’une octogénaire – et contrairement à Michel, mes prises de parole en réunion sont assez appréciées. Il a un défaut sur lequel nous nous accordons tous : il ne peut pas aligner deux phrases sans bredouiller et c’est assez pénible.
Alors, Isabelle m’a-t-elle réellement choisie sur ces critères ? L’apparence et le discours ? Le classeur qu’elle m’a donné me semble tout d’un coup immense et je sens la pression monter.
Ai-je vraiment les épaules pour assumer ce rôle ? J’ai l’habitude de faire des rendez-vous clients, mais uniquement lorsque les projets sont remportés et qu’il faut passer à l’étape d’un plan de campagne concret.
Là, il va falloir démarcher des prospects, avoir les arguments pour les convaincre de nous faire confiance… Et surtout, si tout ne se passe pas selon les attentes d’Isabelle, je risque de perdre mon job une fois pour de bon.
Sacré challenge, donc. Mais, rien d’insurmontable pour la grande Audie ! m’encourage ma conscience, exceptionnellement conciliante.
Mais oui ! Comment ai-je pu l’oublier ? Je suis la grande Audie et ma principale force est mon audace ! Requinquée par cette pensée, j’esquisse un sourire en ouvrant le classeur, pressée de relever le défi.
Le lendemain soir, je sors du métro avant de me hâter vers O’cello, le bar-restaurant où Franck a l’habitude d’organiser ses soirées. Finalement, je n’ai pas pu échapper à l’afterwork.
Claire a raconté aux filles que je ne pouvais pas venir, ce qui m’a valu un appel de Laurie hier.
— Sarah ? a-t-elle crié, d’une voix agacée. Comment ça, tu ne peux pas venir, demain soir ? C’est impensable ! Il faut que tu sois là ! Il me reste encore un milliard de choses à finaliser pour le mariage et j’ai besoin de vos avis !
— Je comprends, ma Laurie, mais j’ai un rendez-vous client… Et puis, les filles seront là, elles pourront te…
— Non, j’ai besoin de ton avis également, Sarah ! Écoute… Tu ne pourrais pas décaler ton rendez-vous client ?
— Non, je ne pense pas que…
— Appelle-les ! Décale à un autre jour ! Et puis, quoi encore ? Ils se prennent pour qui, ces clients ? Te fixer un rendez-vous un vendredi soir ? Et si tu avais prévu de partir en week-end ? Ou de retrouver tes super copines pour boire un verre ? Ils ne peuvent pas bloquer ton vendredi soir… Il faut que tu sois là, Sarah ! Tu ne peux pas me lâcher comme ça !
Laurie n’a rien voulu entendre et il est inutile de préciser que je n’ai pas pu me dérober. Résultat des courses, je suis en train de pousser la porte du bar, déjà bondé, où il règne une ambiance festive. Les filles sont déjà toutes là et me font un signe de la main dès qu’elles me voient. J’affiche un sourire radieux, bien décidée à ne pas me laisser faire.
Hors de question d’aborder ma vie amoureuse ce soir. À toutes fins utiles, j’ai préparé un speech vie-parfaite-et-heureuse et je compte bien ne pas en dévier. Pour cela, mon look et mon maquillage au top sont mes alliés. Les filles n’ont qu’à bien se tenir !
— Alors, comme ça, s’écrie Claire, quand c’est Laurie qui te le demande, tu arrives à te libérer ?
Je lève les yeux au ciel, avant de l’embrasser.
— Ne sois pas jalouse, ma belle ! Disons plutôt que j’avais très envie de vous voir, toutes… Mais, raconte ! C’est quoi ce truc tellement excitant que tu voulais partager avec nous ?
— Sois patiente, voyons ! Tu viens à peine d’arriver et tu veux déjà tout savoir ! Allez, pose-toi et dis-nous plutôt comment tu vas !
J’embrasse les filles tout en répondant à Claire.
— Tu travailles trop, Sarah, commente Vanny en sirotant son cocktail. Lève un peu le pied ! Profite un peu de la vie !
— Je suis 100% d’accord avec Vanny ! fait Maud. Il n’y a pas que le travail dans la vie !