Une inoubliable croisière vers Dakar - Cherifa Tabiou - E-Book

Une inoubliable croisière vers Dakar E-Book

Cherifa Tabiou

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Beschreibung

Fréquenter un homme ? S'accorder des moments de détente ? Tss... Pures Futilités ! Améyo Gaméfa a bien mieux à faire. Entrepreneure arrogante et ambitieuse, elle n'aspire qu'à une chose : faire prospérer son entreprise et accroître sa notoriété dans les médias. Et... à titre accessoire, avoir un droit de regard sur la vie de sa petite soeur. Aussi lorsque cette dernière lui annonce qu'elle envisage sérieusement d'épouser son petit ami sans le sou, Améyo décide-t-elle d'intervenir pour l'empêcher de commettre une erreur irréparable ! Et si elle lui offrait un billet solo pour la croisière ouest-africaine ? Mais oui ! Voilà la solution parfaite pour inciter sa chère petite soeur à élargir ses horizons et réaliser qu'elle vaut beaucoup mieux qu'un simple ouvrier. Mais ce que Améyo n'avait pas prévu, c'est qu'elle se retrouverait elle aussi sur le paquebot de croisière où sa bouleversante rencontre avec un séduisant gentleman pourrait bien faire voler en éclats son opinion quelque peu tranchée à l'égard de la gent masculine...

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Seitenzahl: 465

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Les personnages de ce roman sont fictifs.

Toute ressemblance avec des personnes réelles relève d’une pure coïncidence.

A Leïla T.,

Nos éclats de rire et notre belle amitié, au collège puis au lycée, resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

A Alexia et Enora, Nous avons tous le pouvoir de décider de quelle façon les événements de la vie nous impactent : positivement ou négativement.

Je vous souhaite de toujours faire le choix du positif !

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

1

Des flashs crépitants.

Des centaines de flashs crépitants, partout autour d’elle.

Wow ! C’était donc ça, la gloire ? Si elle avait su que c’était si aveuglant, elle aurait pensé à mettre des lunettes de soleil !

Bon, avouons que des lunettes de soleil en pleine nuit, ç’aurait été un peu chelou, pour reprendre l’expression favorite d’Akoss. Mais au moins, elle n’aurait pas eu besoin de plisser les yeux si fort qu’on la croirait atteinte d’un inquiétant trouble de la vision.

Relax Améyo, s’encouragea-t-elle. Tu peux le faire ! Bien sûr qu’elle pouvait le faire. Ce n’était quand même pas sorcier de jouer à la star devant une horde de journalistes !

Euh… En réalité, si. Ça l’était. C’était déjà impressionnant de passer au 20h de la chaîne de télé nationale quelques mois plus tôt, mais là… Tous ces photographes et journalistes n’étaient là que pour elle, pardi !

Pour couvrir cet événement qu’aucun média digne de ce nom n’aurait voulu rater pour rien au monde : elle, Améyo Gaméfa, PDG de Gam Industries, allait recevoir le Trophée de l’entrepreneur le plus méritant des mains de la Ministre de l’économie en personne !

Wow ! Elle avait encore du mal à réaliser ce qui lui arrivait.

Soudain, elle crut défaillir. Cet homme, là-bas… Se pourrait-il que ce soit… ? Mais oui, c’était bien lui. Cet animateur télé et journaliste très en vogue que tous les événements mondains s’arrachaient. Comment s’appelait-il déjà ?

Non, mais sérieux, Améyo. Elle n’avait tout de même pas oublié le nom de ce célèbre journaliste… Et si ce dernier avait la lumineuse idée de lui adresser la parole ? Comment ça, et si ? ironisa une petite voix dans sa tête. Bien sûr. C’était évident qu’il allait lui adresser la parole. Il était là pour l’interviewer, bon sang !

Mince. Comment cela pouvait-il lui arriver alors qu’elle était au point culminant de sa carrière ? A la veille du jour où elle allait enfin faire les gros titres de tous les journaux du pays et même du continent tout entier…

Elle imaginait déjà les titres élogieux qu’elle découvrirait le lendemain : Améyo Gaméfa, la self-made woman du secteur agro-industriel togolais !

Bref. C’était le moment qu’elle attendait depuis des années. Ce moment qu’elle avait si souvent imaginé et répété dans sa tête pour s’y préparer, pour que tout soit parfait le jour venu. Et voilà qu’elle allait tout gâcher parce qu’elle ne se souvenait plus du nom de ce journaliste ? Même un gamin de primaire le connaissait, c’était certain !

Bon… Impossible de se défiler. Il fallait qu’elle trouve une parade. C’est ce qu’elle faisait toujours. Avait-on déjà vu Améyo Gaméfa perdre ses moyens ? Bien sûr que non. Bredouiller et se laisser impressionner ? Jamais de la vie ! Elle allait donc faire ce qu’elle savait faire de mieux : adopter une attitude arrogante et hautaine. Et jouer à la cheffe !

Huchée sur des talons hauts, ses courbes harmonieuses admirablement moulées dans une longue robe scintillante, elle plaqua un sourire insolent sur ses lèvres et s’avança avec détermination vers les micros tendus.

Ilé anh anh anh…

Ilé, ilé, ilé, ilé, ilé anh anhan anhan !

Minute… C’était quoi ça ? Complètement paniquée, Améyo battit nerveusement des cils en regardant autour d’elle. Qui donc avait eu la brillante idée de lancer cette musique atroce ?

Sursautant violemment, elle s’arracha avec horreur de son rêve de gloire éclatant. En provenance de l’extérieur de sa chambre, la mélodie entêtante, portée par une puissante voix féminine, se poursuivait.

— C’est quoi encore, ce raffut ? grommela-t-elle, folle de rage, avant de comprendre d’où provenait la musique.

Bondissant du lit, elle enfila prestement ses sandales et se précipita vers la fenêtre qu’elle ouvrit avec fracas. A quelques mètres de sa maison, le coiffeur du quartier s’appliquait à balayer la devanture de son kiosque tape-à-l’œil tandis que son poste radio diffusait l’une de ses cassettes préférées.

— M. Gnandi ! rugit-elle d’une voix rendue rauque par la colère. Que signifie tout ce cirque ?

— Ah ! Bonjour Mme Améyo ! répondit le dénommé Gnandi en arrêtant sa besogne. Comment allez-vous ce matin ? Bien, j’espère ?

La cinquantaine bien tassée, M. Gnandi portait, comme d’habitude, l’une de ces tenues extravagantes et aux couleurs vives dont la simple vue avait le don d’agacer Améyo. D’une main, il lui adressait un salut tandis que de l’autre, il caressait soigneusement son épaisse moustache grisonnante.

La tête recouverte d’un béret assorti à sa tenue, d’épaisses lunettes recouvrant ses yeux, un sourire radieux étirait ses lèvres et son calme habituel contrastait avec la colère bouillonnante d’Améyo.

— Je vais mal, M. Gnandi ! Très mal ! vociféra cette dernière en agitant les mains. Comment voulez-vous que j’aille bien en étant réveillée par cette musique horrible ?

— Ne dites pas cela, Mme Améyo ! s’offusqua M. Gnandi. Quel sacrilège d’oser dire que la musique de la grande Fifi Rafiatou est horrible… C’est la meilleure musique du pays ! Que dis-je… Du monde entier !

— Peut-être pour vous, mais j’apprécierais que vous l’écoutiez à des heures plus décentes et avec cinq fois moins de volume ! La semaine dernière, vous aviez déjà fait la même chose avec cette autre artiste…

— Afia Mala ! compléta M. Gnandi en souriant largement.

— Peu m’importe le nom, M. Gnandi ! Nous en avions longuement discuté et je vous ai expliqué que vos musiques matinales perturbaient fortement mon sommeil. J’ai naïvement cru que le message était passé...

— Écoutez, Mme Améyo, vous savez que je n’aime pas me disputer avec vous…

— Hmm… On ne dirait pas… marmonna Améyo, au bord de la crise de nerfs.

— Mais je me rappelle très bien de ce que nous avons convenu la semaine dernière.

— La bonne blague… Alors, expliquez-moi pourquoi vous n’avez pas tenu parole ?

— Ah non, Mme Améyo ! Là, vous m’offensez ! Moi, Gnandi ? Ne pas tenir parole ? Sachez que je n’ai qu’une seule parole et tout le monde le sait dans le quartier ! Je vais d’ailleurs vous rappeler notre accord…

— Allez-y ! Je vous écoute…

— Eh bien, nous avions convenu que je ne devais pas mettre ma musique avant six heures du matin.

— C’est exact ! Au moins, vous n’avez pas de problème de mémoire.

— Alors où est le problème, Mme Améyo ? s’agaça M. Gnandi.

— Le problème, M. Gnandi, c’est qu’il n’est pas encore six heures du matin !

— Je vous assure que si, Mme Améyo. J’ai très bien regardé sur ma montre avant d’allumer la radio !

Soudain saisie d’un affreux doute, Améyo se retourna vers l’horloge numérique, posée sur sa table de chevet, et découvrit avec horreur l’heure qui y était affichée : 6h34.

Oups… M. Gnandi avait donc raison et elle y était peut-être allée un peu fort. Devait-elle pour autant lui présenter des excuses ? Ah non ! Certainement pas ! décida-t-elle aussitôt, se remémorant toutes les fois où la bruyante musique matinale du coiffeur l’avait réveillée en sursaut.

— Vous voyez, Mme Améyo, reprit M. Gnandi, ne tardant pas à retrouver sa bonne humeur, j’ai même attendu qu’il soit largement plus de six heures avant de mettre ma musique !

Le sourire radieux de M. Gnandi acheva d’éteindre l’infime envie d’Améyo de lui présenter des excuses. En cet instant précis, elle ne désirait qu’une chose : tordre le cou à ce fichu coiffeur ! Trois mois qu’il s’était installé près de sa maison et autant de mois qu’elle avait perdu le souvenir de ce qu’était un réveil en douceur.

Respire, Améyo, respire… lui souffla sa petite voix intérieure.

— Mme Améyo, dit encore M. Gnandi, je vois bien que vous êtes fâchée contre moi. Mais vous ne devriez pas vous emporter ainsi, de si bon matin. Ce n’est pas du tout bon pour la santé ! Écoutez, je vais bientôt préparer mon café. Vous savez, celui que ma grande sœur cultive près d’Atakpamé et que je vous ai déjà fait goûter. C’est un pur délice ! Que diriez-vous de partager une petite tasse avec moi ?

Ne pouvant en supporter davantage, Améyo laissa échapper un grommellement de fureur avant de refermer violemment la fenêtre, en ayant comme dernière vision un M. Gnandi plus souriant que jamais. S’adossant au mur, elle se laissa glisser jusqu’au sol en pestant rageusement.

Ameutée par ses éclats de voix, son employée de maison accourut dans la chambre, un pilon dans les mains.

— Que se passe-t-il, Mme Améyo ? Je vous ai entendue crier !

— C’est encore ce coiffeur de malheur, Chantal ! Un de ces jours, il va finir par me rendre folle !

— Ah… Ce n’est que ça, murmura Chantal en cachant le pilon dans son dos. Avec tous vos cris, j’ai bien cru qu’un voleur s’était introduit dans la maison. J’ai même failli aller chercher le voisin ! Vous savez, celui qui roule dans la grosse voiture grise…

— Pitié, Chantal… Quelle idée saugrenue ! Je t’ai déjà dit que ce voisin-là me faisait peur. Il y a quelque chose de pas net chez lui.

— Justement, madame ! Avec son visage tout cabossé, sa grosse barbe et son allure baraquée, quoi de mieux pour faire fuir un voleur ?

Améyo soupira bruyamment avant de remarquer que Chantal dissimulait un objet dans son dos.

— Et peux-tu me dire ce que tu fais avec ce pilon ?

— C’était pour taper le voleur, madame ! s’écria Chantal en brandissant son arme de fortune. Un gros coup sur la tête pour lui faire passer l’envie de s’introduire chez d’honnêtes gens !

Améyo éclata de rire devant la mine à la fois déterminée et ultra sérieuse de Chantal et les mimiques comiques qu’elle arborait en secouant le pilon.

— Bon, va donc ranger ça, veux-tu ? Tu vois bien qu’il n’y a aucun voleur ici !

— J’y vais, madame. Euh… Il est encore très tôt, mais… Souhaitez-vous que je prépare votre thé au gingembre dès maintenant ?

— Fais donc cela, Chantal. Mais mets-le dans un mug isotherme. Je le boirai au bureau.

Une demi-heure plus tard, fraîchement douchée, maquillée et apprêtée d’une blouse cintrée sur une jupe ovale en tissu bogolan qui lui arrivait aux genoux, le tout agrémenté d’une large ceinture assortie, Améyo sortit de sa chambre située à l’étage et emprunta les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée où une délicieuse odeur de gingembre l’accueillit.

S’arrêtant devant le miroir de l’entrée, elle entreprit de relever ses jumbo braids en un chignon haut. Puis, ravie de son reflet, un sourire satisfait étira ses lèvres avant de s’évanouir aussitôt, comme un souvenir déplaisant s’imposait à son esprit.

Dire que ce fichu coiffeur a interrompu mon rêve avant ma rencontre avec la Ministre ! fulmina-t-elle intérieurement avant d’apercevoir Chantal qui s’approchait, un mug isotherme dans les mains.

— Voici votre thé, madame.

— Merci, Chantal. Pour le dîner, prépare donc un ragoût d’igname avec de la sauce tomate bien relevée, comme tu sais si bien le faire.

— Madame… Auriez-vous oublié que vous ne dînez pas à la maison ce soir ? Et la fête pour la remise de diplôme de Mme Akoss ?

— Bon Dieu ! Tu as raison, Chantal. Ce maudit coiffeur m’a tellement énervée que j’ai presque failli oublier quel jour nous étions. Allez, j’y vais ! Passe une bonne journée et surtout, ne t’avise pas d’aller fricoter avec le coiffeur…

— Moi, madame ? Fricoter avec ce bon à rien de M. Gnandi ?

— Ne fais pas l’innocente, Chantal, répliqua Améyo en lui prenant le mug des mains. J’ai bien vu comment tu le regardais la fois où il a eu la lumineuse idée de nous ramener son fameux café. Mais sache que je vous ai à l’œil !

Sur ces paroles, elle enfila des escarpins à talons hauts et adressa un sourire taquin à une Chantal embarrassée avant de franchir le pas de la porte.

***

Sa voiture garée sur le parking privé en face d’un imposant gratte-ciel, Améyo s’apprêtait à en descendre lorsqu’on frappa à sa vitre.

Tiens donc… Voilà ce lourdaud de Folly, pensa-t-elle en plaquant un sourire courtois sur les lèvres.

— Tu es bien matinal ! lança-t-elle en sortant de la voiture.

— Tout comme toi, ma chère…

Le ton badin, Folly Kankpé, son directeur adjoint et bras droit, souriait largement et Améyo fut instantanément agacée par le regard enjôleur dont il la couvrait. Quand donc comprendrait-il qu’elle ne céderait jamais à ses avances ?

Le physique d’un jeune premier, Folly était de cette catégorie d’hommes pleins d’assurance, de fougue et d’ambition, convaincus qu’il leur suffisait d’afficher clairement leur intérêt à l’égard d’une femme pour qu’elle leur tombe dans les bras.

Malheureusement pour lui, Améyo était de cette catégorie de femmes qui n’étaient nullement impressionnées par ce genre d’hommes. D’aucune façon.

— Ça tombe bien que tu sois arrivée avant notre réunion avec le nouveau fournisseur, poursuivit Folly. J’ai apporté quelques modifications à la présentation et j’aurais voulu te les montrer.

Ils cheminèrent ensemble jusqu’à l’entrée des bureaux administratifs de Gam Industries, l’entreprise agroindustrielle créée par Améyo, dix ans plus tôt, et qui s’était progressivement spécialisée dans la transformation de produits agricoles et la production de condiments culinaires.

L’entreprise, qui figurait désormais parmi les têtes d’affiche du secteur industriel du pays, comptait plusieurs usines dans la banlieue de Lomé, ainsi que dans certaines villes de la région Maritime.

Et, bien que l’avenir de son entreprise soit largement prometteur, Améyo nourrissait l’ambition d’une visibilité médiatique plus importante qui lui permettrait d’avoir plus de poids auprès de ses clients et partenaires.

Dès le début de son aventure entrepreneuriale, elle avait compris qu’il lui fallait rêver ses projets avant de les voir se concrétiser. Le succès de Gam Industries n’avait-il pas lui-même commencé par un simple rêve ? Celui d’une jeune étudiante qui avait la rage de réussir sa vie professionnelle et qui se visualisait à la tête d’un empire.

Visualiser avant d’agir pour concrétiser. Au fil des années, elle avait pris l’habitude d’utiliser cette maxime pour atteindre ses objectifs professionnels. Ainsi, il lui arrivait souvent de se visualiser en train de recevoir un prix prestigieux, récompensant son impact tant sur le développement du secteur agroindustriel que sur les nombreux emplois générés par ses usines.

Et, comme sa réussite professionnelle lui tenait beaucoup à cœur, cette visualisation la poursuivait parfois jusque dans ses rêves. L’un des objectifs qu’elle s’était fixés pour réaliser ses rêves était de s’implanter dans le centre et le nord du pays dans les deux prochaines années. Pour cela, il lui fallait identifier des fournisseurs dans les villes majeures qu’elle ciblait : Atakpamé, Sokodé, Bassar, Kara et Dapaong.

Ce matin-là, ils avaient justement rendez-vous avec la représentante d’une coopérative de production de néré, basée à Sokodé. Et, si tout se passait comme Améyo le souhaitait, ce partenariat devait leur permettre d’ouvrir prochainement une usine à proximité de Sokodé et d’entamer la conquête du nord du pays.

Comme ils arrivaient dans le bureau d’Améyo, Folly ouvrit son attaché-case et en sortit des documents.

— Jette un coup d’œil à ces graphiques, dit-il en se plaçant délibérément près d’elle, la frôlant presque. Comme tu pourras le voir, j’y ai rajouté les chiffres du trimestre dernier qui viennent juste d’être produits par le contrôle de gestion.

Les yeux rivés sur les graphiques, Améyo esquiva la manœuvre de rapprochement de Folly et s’éloigna vers son bureau où elle prit place dans son imposant fauteuil de PDG.

— L’usine de Vogan est vraiment très performante, constata-t-elle, l’air satisfait. Quand je pense qu’il y a encore quelques mois, ils étaient à la traîne !

— Le cursus de formation intensif que j’ai mis en place avec les équipes locales a payé.

— Bravo, Folly ! le félicita-t-elle en arborant un sourire sincère. Tu as fait du bon boulot. Les chiffres sont vraiment excellents et vont sans aucun doute nous aider à convaincre Mme Namah !

— Il paraît que c’est une dure à cuire.

— Tss… J’en fais mon affaire !

Une jeune femme aux cheveux courts, élégamment vêtue d’un combi-pantalon en tissu wax, et portant de grosses lunettes fantaisistes, passa la tête dans l’entrebâillement de la porte avant de faire son entrée dans le bureau.

— Bonjour ! lança-t-elle d’une voix énergique. Je ne savais pas que tu arriverais si tôt, Améyo. La réunion avec Mme Namah ne commence que dans deux heures.

— Bonjour Mawa. Essaie donc de deviner ce qui m’a fait tomber du lit, pesta Améyo en mettant son ordinateur portable sous tension. Son nom commence par un G et se termine par un I !

— Non… Ne me dis pas que ce maudit coiffeur a encore frappé ?

— Bingo !

— Bon, je vous laisse, intervint Folly après avoir rangé ses documents. J’ai encore quelques éléments à finaliser avant la réunion. A plus tard !

Il quitta le bureau, non sans avoir adressé un énième sourire séducteur à Améyo, ce qui arracha un soupir à Mawa et lui fit lever les yeux au ciel.

— Que faisait-il encore dans ton bureau, celui-là ? Je parie qu’il revient de nouveau à la charge.

— Mais non, il voulait juste me montrer les graphiques qu’il présentera à la réunion de dix heures. Pas d’inquiétude, Mawa. Il finira par comprendre que je ne suis absolument pas intéressée par lui !

— Mon œil ! Tu n’as pas vu comment il te dévorait des yeux ? Ce genre de mecs ne baisse jamais les bras, Améyo. Crois-moi, je ne lui donne pas bien longtemps avant qu’il ne recommence à te poursuivre de ses assiduités.

— Je m’évertue pourtant à le tenir à distance ! Mais plus je résiste, plus il s’accroche…

— Eh bien, voilà l’un des rares téméraires à ne pas se laisser décourager par tes airs de boss lady intraitable !

S’installant dans un fauteuil en face du bureau, Mawa pianota habilement sur la tablette qu’elle tenait dans les mains.

— Bon, laisse-moi te rappeler tes rendez-vous de la journée. A dix heures, ta réunion avec Mme Namah. Ensuite, tu déjeunes avec M. Dato…

— Oh non… La dernière chose dont j’ai besoin aujourd’hui, c’est d’une entrevue avec Monsieur Somnifère ! Tu viens avec moi, j’espère ?

— Non, j’ai déjà quelque chose de prévu.

— Eh bien, tu vas devoir annuler ! Car il est hors de question que tu me laisses toute seule avec cet individu soporifique. Je sais bien que nous avons besoin de maintenir notre partenariat avec son entreprise, mais…

— Il n’y a pas de mais qui tienne, Améyo ! Ce rendez-vous est crucial pour le renouvellement de notre contrat avec les Plantations Dato. Que serait Gam Industries sans leurs précieux piments verts ?

Poussant un soupir résigné, Améyo leva un regard suppliant vers son assistante.

— Bon, d’accord ! consentit finalement Mawa. Je viendrai avec toi. Mais en contrepartie, tu devras me libérer une demi-journée cette semaine.

— Tu me fais du chantage, maintenant ?

— A quinze heures, reprit Mawa, faisant délibérément fi du regard menaçant de sa cheffe, tu es attendue à la salle Bella Bellow, pour la cérémonie de remise du diplôme d’Akoss, suivi du dîner chez ta mère…

— En parlant d’Akoss, figure-toi qu’au réveil ce matin, ce satané coiffeur m’avait tellement énervée que j’ai presque failli oublier que ce jour tant attendu était finalement arrivé ! Ma chère petite sœur va enfin mettre un point final à ses études et, qui sait, peut-être même commencer à travailler ?

Elle ponctua sa phrase d’un petit rire sarcastique.

— Tu ne devrais pas parler de ta petite sœur comme si elle était un cas désespéré, protesta Mawa à qui le ton ironique d’Améyo n’avait pas échappé. Akoss est si gentille !

— Bien trop, à mon goût. Dans la vie, il ne suffit pas d’être gentil. Il faut aussi avoir du caractère et de l’ambition si on veut faire carrière et bien gagner sa vie !

— Je ne t’apprends sûrement rien, mais Akoss n’est pas comme toi…

— Je le sais bien, Mawa ! Et c’est bien ça qui me sidère… As-tu vu où sa gentillesse débordante la mène ? A s’attirer tous les voyous de Lomé, le dernier en date portant le doux nom de… Trésor !

— Il m’a pourtant fait bonne impression les rares fois où je l’ai vu.

— Tss… Moi, je ne me fais pas avoir par ses faux airs de gentil garçon. Mme Améyo par ci, belle-sœur Améyo par là… Moi, sa belle-sœur ? Il peut toujours rêver ! Et laisse-moi te dire une chose. Akoss ferait mieux de reprendre sa vie en main si elle ne veut pas finir femme au foyer, sans le sou, avec quatre ou cinq gosses sur les bras et un mari qui aura fui ses responsabilités !

— Oh la la, Améyo ! s’écria Mawa d’un air réprobateur. Penser à des choses aussi négatives, de si bon matin et de surcroît un jour si important dans la vie de ta sœur… Ne va surtout pas lui dire des choses pareilles en face, hein !

— Tu sais bien que je dis toujours ce que je pense, rétorqua Améyo, un sourire narquois aux lèvres. Et je compte bien ramener ma petite sœur à la raison !

— Et puis-je savoir comment tu comptes t’y prendre ?

— Anh, anh… Tu verras bien !

— Bon, je te laisse à tes nombreux mails. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver !

— Merci beaucoup, Mawa, fit Améyo en la couvrant d’un regard reconnaissant. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi ! Au fait, as-tu eu des nouvelles de Farida ? Tout est prêt pour la visite de l’usine de Tové ?

— Oui, la directrice technique et les chefs de poste ont été briefés au sujet de la visite de Mme Namah, cet après-midi. Et, comme il s’y était engagé, Folly se chargera personnellement du transport de Mme Namah jusqu’à l’usine ainsi que de superviser la visite.

— Voilà qui est parfait. Ah, une dernière chose ! s’écria Améyo comme Mawa était presque arrivée à la porte. Puis-je savoir ce que tu comptes faire de la demi-journée que tu m’as sournoisement soudoyée ?

Un sourire espiègle aux lèvres, Mawa ignora la question indiscrète de sa cheffe et lui adressa un clin d’œil énigmatique avant de refermer la porte derrière elle.

2

Assis en tailleur sur un tapis, les paupières closes, Ismaël inspira profondément avant de formuler mentalement les paroles de gratitude qui marquaient la fin de sa prière matinale. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il réalisa que le soleil pénétrait à grands flots dans sa luxueuse chambre d’hôtel.

Machinalement, son regard se dirigea vers l’horloge murale.

— Déjà neuf heures ? constata-t-il en plissant légèrement les yeux.

Il se leva, plia soigneusement son tapis avant de le ranger et souffla sur la bougie parfumée qui distillait une odeur musquée dans la chambre. Puis, il se rendit dans la salle de bains où le reflet du miroir lui renvoya l’image d’un homme à la carrure athlétique et aux cheveux coupés courts, simplement vêtu d’un pantalon en toile.

Son regard s’attarda brièvement sur sa barbe – à laquelle il avait fini par s’habituer ces dernières semaines – et ses traits fatigués. A quelle heure avait-il regagné la suite, cette nuit ? Pas avant deux heures du matin, se remémora-t-il tandis que des bribes de la soirée lui revenaient à l’esprit.

En compagnie d’Azim, son meilleur ami, il avait participé à une soirée organisée dans l’une des salles de réception de l’hôtel cinq étoiles où ils logeaient depuis peu. Et, n’eût été son insistance pour quitter la fête, Azim, lui, serait resté beaucoup plus longtemps. Séducteur invétéré, il n’aurait sans doute pas résisté à l’envie de finir la soirée en compagnie d’une des jolies jeunes femmes présentes à la fête.

Ismaël s’aspergea le visage d’eau froide pour réveiller ses traits encore endormis. Puis, une serviette de bain à la main, il traversa la suite aux prestations haut de gamme et se dirigea vers la chambre d’Azim dont la porte entrouverte laissait échapper des ronflements sonores.

En pénétrant dans la chambre, un sourire moqueur étira instantanément ses lèvres. Azim était allongé en travers du lit, encore habillé de l’élégant smoking qu’il portait la veille, tandis que les rideaux plongeaient la chambre dans une semi-pénombre.

Ismaël posa sa serviette de bain sur l’épaule et s’élança à grands pas vers la fenêtre où il écarta énergiquement les rideaux.

— Allez, on se réveille ! s’écria-t-il en tapant bruyamment dans les mains.

— Rhoo, laisse-moi dormir encore un peu… grommela Azim avant de se couvrir la tête d’un oreiller.

— Ah non, tu as suffisamment dormi ! répliqua Ismaël en tirant sur l’oreiller, obligeant son ami à plisser les yeux. Il est plus de neuf heures et l’heure de notre jogging matinal est largement dépassée !

— Justement… Voilà une excellente raison de faire la grasse matinée…

— Grasse quoi ? protesta Ismaël avec une moue désapprobatrice. Cette expression ne fait malheureusement pas partie de mon vocabulaire ! Et, si j’en crois mes souvenirs, elle ne faisait pas non plus partie du tien, il y a encore quelques mois !

Comme Azim semblait sur le point de se rendormir, Ismaël tapa à nouveau dans les mains.

— Allez, allez ! Debout, Azim ! On se retrouve dans cinq minutes dans le hall. Et… le dernier arrivé aura un gage !

Conscient de l’effet que ses dernières paroles ne manqueraient pas de produire sur son ami, Ismaël se hâta vers sa propre chambre pour y enfiler sa tenue de jogging. De là, il pouvait entendre le bruit d’eau dans la salle de bains, signe qu’Azim avait bien mordu à l’hameçon.

C’était leur jeu favori depuis leur tendre enfance. Azim avait toujours aimé gagner et Ismaël avait pris l’habitude de le laisser prendre l’avantage. Par amitié pour Azim mais aussi parce qu’il adorait relever les défis. Et des défis, Azim n’en tarissait jamais !

Assis sur son lit, Ismaël fixa d’un regard absent la montre qu’il portait à son poignet puis, lorsqu’il entendit claquer la porte de leur suite, il enfila ses baskets avant de rejoindre son ami.

Dans le hall, Azim l’attendait fièrement, un sourire goguenard aux lèvres.

— T’en as pas marre de me laisser gagner ?

— Absolument pas, répondit Ismaël en se baissant pour ajuster les lacets de ses baskets. Alors, quel sera mon gage cette fois-ci ?

— Tu le découvriras bien assez tôt ! s’écria Azim avant de franchir les portes coulissantes de l’hôtel pour s’élancer dans la rue, Ismaël sur ses talons.

Depuis une semaine qu’ils étaient installés dans cet hôtel cinq étoiles situé près de la plage, les deux amis aimaient débuter leur rituel de jogging matinal en dévalant d’abord les rues résidentielles aux abords de l’hôtel puis les rues commerçantes avoisinantes.

Ils couraient généralement avant six heures du matin, à l’heure où les premières lueurs du jour apparaissaient sur la ville de Lomé à moitié endormie. Mais ce jour-là, il était presque dix heures et la capitale togolaise bourdonnait déjà d’activité.

Les échoppes de nourriture étaient prises d’assaut par de nombreux clients et la circulation était bien installée, comme pouvaient en témoigner les bruits de klaxon des chauffeurs de taxis-motos à la recherche de clients potentiels.

L’appétit des joggers fut inévitablement réveillé par les odeurs alléchantes des beignets sucrés, qui doraient dans de grandes marmites emplies d’huile bouillante, ou celles des casseroles débordantes de riz aux haricots et de sauce tomate assaisonnée à la perfection.

Et, comme à chaque fois qu’il déambulait dans les rues animées de la capitale togolaise, Ismaël ne put s’empêcher de se rappeler leur arrivée une semaine plus tôt. S’il n’en était pas personnellement à son premier séjour, ce n’était pas le cas d’Azim qui, émerveillé par l’énergie et la chaleur humaine qui régnaient de jour comme de nuit dans la ville, avait tenu à la visiter de fond en comble.

Ismaël s’était alors prêté au jeu et ensemble, ils avaient effectué le circuit touristique classique. Du monument de l’indépendance en passant par le musée international du Golfe de Guinée, jusqu’aux plages paradisiaques de Baguida et d’Avépozo ou encore Assiganmé, le fascinant grand-marché, où ils n’avaient pas pu résister à l’envie de s’offrir quelques-unes des magnifiques statues et figurines sculptées en bois d’ébène.

Trois quarts d’heure plus tard, trempés de sueur et à bout de souffle, les deux amis terminèrent leur course sur une plage de sable fin, bordée de belles rangées de cocotiers, en slalomant habilement entre les pirogues bariolées des pêcheurs.

— Tu sais à quoi je pense, là, maintenant ? demanda Azim tandis qu’ils essayaient de reprendre leur souffle. A me délecter d’une bonne bouillie de maïs accompagnée d’une demi-douzaine de beignets sucrés ! Non, encore mieux… Une assiette généreusement garnie de ces succulentes boules de maïs, au goût légèrement salé, accompagnées de leur sauce tomate ultra pimentée et de morceaux de poissons frits !

— Tu ne penses vraiment qu’à manger ! le taquina Ismaël après un éclat de rire. Remarque, je ne saurais te jeter la pierre. Je suis moi aussi tombé sous le charme du petit-déjeuner à la togolaise.

— Je te l’ai déjà dit, nos cuisiniers devraient suivre un stage culinaire ici.

— Hmm, je ne pense pas que ça soit une si bonne idée. Nos troupes auraient du mal à s’entraîner après avoir englouti au petit-déjeuner ces boules de maïs certes savoureuses mais hautement caloriques.

— Je ne partage pas ton avis. La séance d’entraînement n’en serait que plus intense et donc meilleure !

Les deux amis devisèrent encore un moment sur les délices de la gastronomie togolaise puis ils réalisèrent quelques exercices d’étirement sur la plage avant de regagner leur hôtel en marche rapide.

***

Une heure plus tard, accoudé au balcon de leur suite qui offrait une vue imprenable sur la plage et la grande étendue de l’océan Atlantique, Ismaël avait le regard perdu au loin.

S’arrachant à la contemplation de ce paysage paradisiaque, il jeta un coup d’œil à l’intérieur de la suite.

— Alors, quelle était cette idée dont tu voulais me parler ? s’enquit-il auprès d’Azim.

— J’ai repensé à notre stratégie d’attaque, répondit ce dernier, le regard concentré sur le château de cartes qu’il essayait de construire.

Une lueur d’intérêt s’alluma dans les prunelles d’Ismaël qui enfonça ses mains dans les larges poches de son sarouel et effectua quelques pas en direction de son ami.

Toujours accaparé par son château de cartes, Azim se frottait le menton.

— Une attaque par l’est nous exposerait inutilement, commença-t-il.

— Je suppose que tu as une meilleure suggestion ? s’impatienta Ismaël en prenant place à ses côtés.

— Évidemment. Nous positionnerons nos troupes à Amset et nous attaquerons au petit matin par Oum Nemitt, reprit Azim en plaçant une nouvelle carte au sommet de son château. Les hommes d’Ousman tenteront probablement de faire venir des renforts depuis Bir Tili, mais nos troupes d’Amset les encercleront au sud.

— L’idée est bonne, reconnut Ismaël. Mais comment être sûr qu’Ousman et ses troupes camperont toujours près d’Oum Nemitt ? Tu sais comme moi qu’ils ont été très nomades ces dernières années.

— D’après les repérages réalisés par les soldats de notre garde royale, il semble qu’ils se soient installés à Oum Nemitt pour un bon moment. La taille du camp et les infrastructures qu’ils y ont installées nous confortent dans ce sens.

Azim entreprenait de placer la carte finale de son chef-d’œuvre lorsque la sonnerie de son téléphone le freina dans son élan.

— C’est Youssef ! annonça-t-il avant de sortir un stylo de sa poche.

Appuyant sur un bouton à l’arrière du stylo, il activa le brouilleur de géolocalisation puis il prit soin de lancer le minuteur de sa montre avant de prendre l’appel.

Le minuteur commença à égrener les secondes tandis que le visage de Youssef apparaissait sur l’écran du téléphone.

— Bonjour Youssef, fit Azim. Je suis avec Ismaël. Que nous vaut ton appel ?

— As salam aleykoum, répondit Youssef en inclinant la tête avec respect. Votre Altesse Ismaël, poursuivit-il en exécutant une révérence à l’égard de ce dernier. Notre source au sein du camp d’Oum Nemitt vient de me communiquer une information de la plus haute importance. Ousman projette d’attaquer le palais royal pendant la fête du Mawlid !

Ismaël eut aussitôt une pensée pour les membres de la famille royale, et en particulier la reine et le roi, Leurs Altesses Royales Khadija et Mustapha Kahbarry, qui n’étaient autres que ses parents.

En effet, Ismaël était le prince héritier du trône de Yimbsar, un royaume indépendant à l’économie florissante situé en plein désert du Sahara, au nord-ouest de la Mauritanie.

A la suite de désaccords avec son frère à qui il reprochait sa gouvernance générale ainsi que l’ouverture du royaume aux partenariats étrangers, Ousman Kahbarry, le frère cadet du roi, s’était exilé dans le désert yimbsarien où il avait peu à peu constitué une milice dans le but de détrôner le roi et prendre sa place.

Karim, l’un des soldats de l’armée royale qui avait réussi à infiltrer le camp où se cachaient le conspirateur et ses hommes de main, avait rapporté à Ismaël qu’Ousman prévoyait de commanditer un attentat contre lui afin de l’écarter du trône.

Le couronnement d’Ismaël devait avoir lieu l’année suivante, le jour de son trente-cinquième anniversaire et à cette occasion, le roi projetait d’annoncer le nouveau partenariat du royaume avec leurs voisins mauritaniens, partenariat auquel Ousman était farouchement opposé car il soupçonnait la Mauritanie de vouloir annexer leur territoire au sien et mettre la main sur leurs précieux gisements d’or.

En raison des manigances de son oncle, Ismaël avait dû quitter précipitamment le royaume en compagnie de son ami d’enfance, Azim Badialloh, le capitaine de l’armée royale – dont Youssef était l’adjoint. Afin de se mettre à l’abri et élaborer un stratagème visant à contrecarrer les sombres desseins d’Ousman, ils s’étaient tout d’abord rendus au Mali, puis au Burkina Faso avant de rejoindre le Togo.

Au cours de leur exil, ils n’avaient eu de cesse de peaufiner leur plan d’attaque contre Ousman et ses troupes afin de les empêcher de nuire à la famille royale et au peuple yimbsarien.

— Le Mawlid aura lieu fin octobre, commenta Azim.

— Ce qui nous laisse un peu moins de deux mois pour regagner Yimbsar, ajouta Ismaël, l’air grave.

Le bip du minuteur, résonnant à intervalle régulier, leur indiqua qu’il ne leur restait que trente secondes pour clôturer l’appel avant que le signal émis par le stylo ne puisse être localisable.

— Merci pour cette information cruciale, Youssef, reprit Ismaël. Et surtout, préviens-nous s’il y a du nouveau ! Azim et moi allons planifier notre retour et nous te tiendrons informé.

Azim mit fin à l’appel et désactiva le brouilleur de géolocalisation, puis les deux hommes restèrent silencieux un court instant.

— Nous devons définir un plan de retour, déclara finalement Azim. Mais il est hors de question que nous repartions par la route. Mon dos garde encore un souvenir douloureux de notre périple de Bamako jusqu’à Lomé…

— Nul besoin de me convaincre ! Je ne tiens pas non plus à repartir par la route. Mais un retour par avion doit être évité. Nous savons de source sûre qu’Ousman dispose d’espions au sein de l’aéroport de Yimbsar, et peut-être même au sein des aéroports des pays voisins. Il serait immédiatement prévenu de notre retour.

— Et faire venir l’un de nos jets privés jusqu’ici ne serait pas très prudent non plus, ajouta Azim. Nous devons trouver une autre solution pour qu’Ousman ne se doute pas de notre retour prochain.

Ismaël soupira bruyamment avant de donner un coup de pied rageur dans une sandale qu’il envoya valser au loin.

— Comme je donnerais tout pour être auprès de ma famille et déjouer une bonne fois pour toutes les conspirations d’Ousman !

— Du calme, mon vieux, intervint Azim en posant une main amicale sur son épaule. Ne te mets pas dans un état pareil… Je suis sûr que nous parviendrons à nos fins. Ces derniers mois loin de notre cher Yimbsar nous ont permis de mettre sur pied plusieurs stratégies pertinentes. Et, avec le concours de notre garde royale, nous viendrons à bout d’Ousman et de ses sbires !

— Que Dieu t’entende, Azim. Que Dieu t’entende !

Devant l’air abattu de son ami, Azim réfléchit au moyen de le réconforter et, très vite, un sourire malicieux étira ses lèvres.

— Nous avons encore un peu de temps pour mettre sur pied notre stratégie de retour, mon ami. Mais pour l’heure, je meurs de faim. Que dirais-tu de retourner dans ce restaurant du centre-ville où ils servent cette sauce graine au goût inoubliable ?

— Je te reconnais bien là ! s’exclama Ismaël en le couvrant d’un regard bienveillant. Tu es toujours partant pour un bon repas ! Mais c’est toi qui as raison. Le célèbre dicton ne dit-il pas qu’un ventre affamé n’a point d’oreilles ?

— Voilà qui est bien dit ! conclut Azim en jetant un coup d’œil à sa montre. Par contre, nous ferions mieux d’y aller maintenant si nous voulons avoir une table libre.

Il attrapa son téléphone et son portefeuille avant de s’élancer vers la porte qu’il s’apprêtait à ouvrir lorsqu’Ismaël l’interpella.

— Tu comptes sortir habillé ainsi ? lui demanda-t-il, passablement moqueur.

Azim baissa la tête pour détailler ses vêtements et réalisa qu’il avait gardé son boubou et son sarouel cousus dans un tissu en voile léger, d’inspiration peule et typique des coutumes vestimentaires de Yimbsar.

— L’appel du ventre a été trop fort ! admit-il en souriant. Et il faut dire que je n’aime pas vraiment troquer nos vêtements contre ces tenues occidentales si peu confortables. Toi, tu as pris l’habitude de te conformer aux exigences de ton statut de prince qui nécessite de te mettre régulièrement dans la peau de nos nombreux partenaires financiers, venus de toute l’Afrique.

— Oui, mais au moins ces tenues n’attirent pas le regard sur nous.

— Je sais bien. Mais depuis que nous avons quitté Yimbsar, le moment de la journée que je préfère le plus, c’est lorsque je suis dans ma chambre d’hôtel et que je peux m’habiller comme je veux !

— Permets-moi d’en douter... Ton moment préféré ne serait-il pas plutôt celui du déjeuner ? Que dis-je… Tous les repas de la journée ?

Azim ignora la boutade de son ami et, après s’être changés, ils quittèrent leur suite et se rendirent à l’extérieur de l’immeuble où de nombreux taxis attendaient la clientèle aisée de l’hôtel.

Les deux hommes discutèrent avec le conducteur qui était en tête de file puis, une fois le tarif de la course convenu, ils lui communiquèrent l’adresse du restaurant.

***

Aux abords du restaurant dont l’enseigne lumineuse était visible de loin, le conducteur de taxi klaxonna à plusieurs reprises pour avertir les piétons qu’il allait se ranger sur le trottoir, tandis que l’autoradio diffusait Gbadja gbadja de RX Patou et Akofa Akoussah.

— Merci l’ami ! fit Azim avant de régler la course.

— Souhaitez-vous que j’attende pour vous emmener à un autre endroit ? proposa le conducteur.

— Ce ne sera pas nécessaire, objecta Ismaël en le gratifiant d’un sourire reconnaissant.

Les deux amis sortirent du véhicule et se dirigèrent vers l’entrée du restaurant dont la salle intérieure était déjà à moitié remplie.

— Soyez les bienvenus, messieurs ! s’écria une dame joviale à la stature imposante, habillée d’un large boubou en wax aux couleurs chatoyantes. Je suis Da Fafa, la patronne du restaurant. Oh, mais je crois que ce n’est pas la première fois que vous venez, n’est-ce pas ?

— C’est exact, reconnut Azim en souriant. La saveur exquise de votre sauce graine nous a déjà fait revenir deux fois !

— Vous m’en voyez ravie ! D’ailleurs, ne dit-on pas jamais deux sans trois ? susurra Da Fafa en agitant ses poignets ornés de lourds bijoux en or. De plus, aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous accueillir moi-même ! Venez donc avec moi, je vais vous installer à l’une de nos meilleures tables !

D’une démarche chaloupée faisant deviner les rondeurs enfouies sous son large boubou, Da Fafa les conduisit jusqu’à une table au milieu du restaurant.

— Un serveur va venir prendre votre commande, reprit-elle en leur tendant les menus. Je sais déjà que vous avez un faible pour notre sauce graine, mais permettez-moi de vous recommander également notre foufou. Sa sauce claire inimitable agrémentée de morceaux de poisson frais lui donne un goût unique qui saura sans aucun doute ravir vos palais !

— Eh bien, je vais peut-être me laisser tenter ! s’exclama Ismaël en reposant la carte.

— Et, pour m’assurer que ce ne sera pas votre dernière venue dans mon restaurant, je vous offre un cocktail maison ! Le désirez-vous avec ou sans alcool ?

— Ce sera sans alcool pour nous deux, répondit Azim.

— C’est noté ! Je vais de ce pas donner les consignes au barman. Bon appétit, messieurs !

Da Fafa s’éloigna vers le bar, suivi du regard par Azim.

— Un sacré numéro, cette Da Fafa ! commenta-t-il sur le ton de la confidence. Mais je la trouve attachante.

— Y a-t-il une seule chose que tu ne trouves pas attachant dans ce pays ?

— J’avoue qu’après toutes ces années passées dans notre chaud désert, je ne dédaigne pas notre séjour dans ce climat plus tempéré.

— A qui le dis-tu ? Cependant, n’oublie pas qu’il nous reste peu de temps à passer ici. Car comme tu le sais, nous devrons bientôt repartir.

— Voyons Ismaël, ce n’est pas le moment de me rappeler que toutes les bonnes choses ont une fin ! Laisse-moi profiter de mon déjeuner, veux-tu ? D’ailleurs, en attendant que nos plats arrivent, je boirais bien un grand verre d’eau glacée. Ce trajet en taxi m’a donné chaud !

Ismaël jeta un regard circulaire dans la salle et constata le va-et-vient empressé des serveurs qui ne laissait aucun doute sur le fait qu’ils commençaient à être débordés.

— J’ai très soif, moi aussi ! Mais ces malheureux serveurs semblent au bout de leur vie…

Après plusieurs tentatives infructueuses visant à attirer l’attention d’une serveuse, Ismaël décida de prendre les choses en main.

— Bon, je reviens ! annonça-t-il en s’élançant vers le bar avec la ferme intention d’y récupérer de quoi étancher leur soif.

3

Les yeux rivés sur son téléphone portable, Améyo poussa la porte du restaurant, suivie de Mawa.

— Vas-tu arrêter de regarder ton téléphone ? la gronda gentiment cette dernière.

— Je regardais juste si le directeur commercial d’Itlanda avait répondu à notre mail au sujet de l’appel d’offres, se défendit Améyo avant de ranger le téléphone dans son sac.

— C’est encore un peu tôt, non ? Nous ne devrions pas avoir de réponse avant une quinzaine de jours, au moins. Alors, un peu de patience ! Pour l’heure, tu dois penser au moyen de convaincre M. Dato de renouveler notre partenariat.

— Pour qui me prends-tu ? s’indigna Améyo en levant un sourcil désapprobateur. Ça, ce n’est pas un problème. J’ai passé tout le week-end à peaufiner nos arguments. Ce sera dans la poche, tu verras ! Le seul bémol est de devoir supporter son bavardage ennuyeux…

Une serveuse s’approcha d’elles et les conduisit jusqu’à leur table, après leur avoir souhaité la bienvenue.

— Je vous laisse regarder la carte, mesdames, dit-elle avant de récupérer l’écriteau réservé. Je reviens dans quelques instants.

— Merci ! fit Mawa en plongeant son regard dans le menu.

— Tout bien réfléchi, reprit Améyo en refermant le sien après l’avoir brièvement parcouru, je ne serai pas contre un petit retard de la part de ce cher M. Dato. Que dis-je… Un gros retard même ! Ce sera autant de temps en moins à passer en sa compagnie !

— Vas-tu arrêter d’être aussi dédaigneuse à son sujet ? Je sais bien qu’au fond, tu le trouves sympathique.

— Tss… Sottises ! Quoique… Ses piments verts, eux, sont sympathiques. Ils me rapportent plein d’argent !

Elle adressa un sourire malicieux à Mawa avant de reprendre son téléphone pour se replonger dans la lecture de ses emails.

— Pose donc ce téléphone, Améyo… C’est la pause déjeuner, bon sang ! Et dans pause déjeuner, il y a le mot pause. Ça veut dire qu’il faut arrêter de travailler !

— Bon, d’accord, j’ai compris ! Pas la peine de me parler comme à une enfant, non plus… grommela Améyo en levant les yeux au ciel avant de balayer la salle du regard. Cette fichue serveuse aurait quand même pu nous servir de l’eau avant de disparaître dans la nature.

— Pas la peine de monter sur tes grands chevaux ! Nous venons à peine de nous installer. Elle ne devrait pas tarder à revenir.

— Ah, tiens ! Voilà un serveur qui se ramène. S’il vous plaît ? le héla-t-elle d’une voix autoritaire. Pourriez-vous nous apporter une bouteille d’eau ? De plus, ça fait un petit moment que nous sommes installées et personne n’est encore venu prendre notre commande !

Le serveur s’arrêta à sa hauteur et Améyo ne put s’empêcher de l’observer avec plus d’attention qu’elle ne l’aurait voulu.

Pas mal… Pas mal du tout, même ! nota-t-elle intérieurement. Assurément bel homme, sa carrure athlétique, son élégance naturelle malgré l’uniforme, sa barbe soigneusement taillée et son aura puissamment virile ne la laissèrent pas indifférente.

Pire, elle se surprit à être troublée par son regard à la fois doux et pénétrant. Depuis quand n’avait-elle pas été aussi troublée par un homme ?

Des lustres, pensa-t-elle aussitôt, peinant à se rappeler la dernière fois qu’elle avait ressenti un tel émoi à l’égard de la gent masculine. Un an ? Peut-être un peu plus. Comme le serveur se penchait pour poser son plateau sur la table, elle porta son regard sur ses bras musclés.

Bonté divine… Se pourrait-il qu’il me fasse encore plus d’effet s’il était torse nu ? Réalisant que son esprit, d’habitude cartésien et focalisé sur son business, prenait des chemins inhabituels, elle s’éclaircit la gorge et entreprit de reprendre le dessus sur les pensées dérangeantes qui lui venaient en tête.

***

Ismaël posa le plateau qu’il tenait dans les mains et sur lequel trônaient une bouteille d’eau et deux verres, tandis qu’un sourire amusé ne quittait pas ses lèvres. Car c’était lui qu’Améyo avait pris pour un serveur !

Il ne comprenait d’ailleurs pas ce qui avait pu causer cette méprise. Quelle importance après tout ? La femme qui s’était adressée à lui était vraiment très belle. Un tantinet hautaine, incontestablement sûre d’elle, peut-être un peu trop, d’ailleurs. Mais ce n’était pas pour lui déplaire.

Il affectionnait ce genre de femmes, pleines d’assurance et de confiance en elles. Et, s’il avait été dans un autre contexte, il ne se serait pas fait prier pour tenter de la séduire. Mais depuis qu’il avait été contraint de s’exiler de Yimbsar, il s’était astreint à ne pas se laisser distraire avant d’être parvenu à mettre un terme aux conspirations de son oncle.

Ainsi, si pour sa part Azim n’avait pas hésité ces dernières semaines à enchaîner les conquêtes d’un soir, lui se l’était formellement refusé. C’était une question de priorités. Les intérêts de Yimbsar avaient toujours pris le dessus sur sa vie personnelle. Et, le retour à Yimbsar étant désormais imminent, ce n’était donc pas le moment de flancher.

Il s’apprêtait à dissiper le malentendu lorsque la femme reprit la parole.

— En plus de la bouteille d’eau, apportez-nous des boissons ! Pour moi, ça sera un jus de…

— J’aurais pris votre commande avec plaisir, l’interrompit-il fermement, mais voyez-vous, je ne travaille pas ici.

— Comment ça, vous ne travaillez pas ici ? N’est-ce pas là l’uniforme des serveurs du restaurant ? Un pantalon noir et un haut blanc ?

Ismaël inspecta brièvement ses vêtements avant d’éclater de rire, dévoilant une belle rangée de dents, et son rire décontenança Améyo qui enragea intérieurement.

Elle, qui d’habitude gardait le contrôle sur ses émotions, peinait à comprendre pourquoi son cœur s’emballait à la simple vue de ce bel inconnu.

— Maintenant que vous le dites, reprit Ismaël, les yeux pétillants d’amusement, je comprends d’où a pu venir la confusion. Certes, je porte un jean noir et un polo blanc… Mais de là à me prendre pour un serveur !

— Eh bien, vous n’avez qu’à vous en prendre à vous-même ! renchérit Améyo d’un ton plein de défi. Ce n’est quand même pas ma faute si vous avez eu la bonne idée de vous habiller comme les serveurs de ce restaurant.

Quel toupet ! songea Ismaël en se raidissant légèrement. C’était bien la première fois qu’on s’adressait à lui avec autant d’irrévérence. Son rang de prince impressionnait généralement les personnes dont il croisait le chemin, ce qui rendait leur attitude très policée à son égard.

Il lui était d’ailleurs difficile de distinguer leur vrai caractère du rôle qu’ils s’appliquaient à jouer en sa présence. Avec la femme qui était assise devant lui, la question ne se posait absolument pas. Certes prétentieuse, elle faisait néanmoins preuve de naturel et il n’y avait pas de faux semblants, ce à quoi il était peu habitué.

Il se demandait si son attitude hautaine envers lui changerait si elle apprenait son identité lorsque le rire tonitruant de Da Fafa, en pleine discussion avec des clients à l’entrée du restaurant, le ramena à la réalité.

La situation était certes amusante, mais il lui fallait remettre cette bonne femme à sa place, décida-t-il. C’était une chose d’avoir de l’assurance mais c’en était une autre de manquer de respect à un parfait inconnu, sur la simple base qu’il ressemblait à un serveur !

Et l’injustice basée sur le rang social, Ismaël en avait une sainte horreur.

— Je ne sais pas comment je dois le prendre, reprit-il d’un ton glacial. Vous pourriez tout aussi bien vous excuser !

— M’excuser ? s’étrangla Améyo avant d’éclater de rire. Voyez-vous cela… Et pourquoi le ferais-je ?

— Peut-être parce qu’en vous regardant, élégamment habillée comme vous l’êtes, on aurait pu croire que vous étiez une femme aux manières distinguées. Mais il s’agit manifestement d’un leurre !

La moue moqueuse qui apparut sur son visage après sa tirade sarcastique mit instantanément Améyo hors d’elle et elle le fusilla âprement du regard.

Pour qui se prenait cet individu ridicule – mais beau à couper le souffle, soi-dit en passant – qui osait se tenir devant elle et lui manquer ainsi de respect ? Elle réfléchit au moyen de riposter avec une remarque cinglante qui clouerait le bec à cet odieux personnage, mais curieusement son sens de la répartie était aux abonnés absents.

Et toc ! songea Mawa à l’idée qu’Améyo avait bien mérité cette petite remontée de bretelles. Pourquoi diable fallait-il qu’elle soit toujours aussi condescendante avec autrui ? Cependant, l’ambiance s’était considérablement chargée d’électricité et des éclairs invisibles fendaient l’air, si bien que Mawa se demanda si elle ne devait pas intervenir pour éviter l’orage qui menaçait d’éclater d’un instant à l’autre.

Les yeux de jais d’Ismaël étaient plongés dans les prunelles sombres d’Améyo et ils échangeaient un long regard, plein de défi. Mais très vite, et au grand étonnement d’Améyo, la colère qu’elle ressentait se mua en un sentiment étrange qu’elle ne parvint pas à définir.

A nouveau décontenancée et furieuse de l’être, elle détourna son regard et, comme un serveur passait près de leur table – elle l’étudia attentivement pour s’assurer qu’il s’agissait d’un vrai serveur, cette fois-ci – elle s’empressa de le héler et crut bon de l’invectiver avec autorité, pour se donner une contenance, avant de lui réclamer une bouteille d’eau, n’accordant pas plus d’attention à Ismaël.

Assurément arrogante, nota intérieurement ce dernier en reprenant son plateau. Mais s’il n’était pas homme à se laisser marcher sur les pieds, il jugea que cela ne valait aucunement la peine d’entamer un bras de fer avec cette inconnue prétentieuse.

De retour à sa table, il ne résista toutefois pas à l’envie de jeter un regard discret en direction de la table d’Améyo.

— Il semble que tu aies changé de fusil d’épaule, mon vieux, le taquina Azim, le visage rieur. Tu aurais pu me mettre dans la confidence. Je suis ton ami d’enfance, après tout !

— De quoi parles-tu ?

Ismaël haussa un sourcil interrogateur tandis qu’il ouvrait la bouteille d’eau pour les servir.

— De la règle absurde que tu t’es imposée pendant notre exil et qui consiste à éviter tout rapprochement avec la gent féminine.

— Eh bien, tu te trompes Azim. Je n’étais absolument pas en train d’effectuer un rapprochement avec cette femme. En fait, tu ne vas pas le croire… Elle m’a pris pour un serveur !

Azim le détailla de la tête aux pieds avant d’éclater de rire.

— Elle est vraiment bonne, celle-là ! s’esclaffa-t-il encore avant de baisser la voix pour ne pas se faire entendre. Son Altesse Royale Ismaël Kahbarry, pris pour un serveur ? Quand je raconterai cela à mon père, il aura bien du mal à le croire !

— Tu ne raconteras rien du tout ! répliqua Ismaël d’un air vaguement menaçant. Et gare à toi si j’entends parler de cette histoire à Yimbsar ! Quoique, je n’aurai pas besoin de chercher bien loin pour savoir à qui m’en prendre…

— Tout doux, Ismaël ! Tout doux… Tu sais bien que ton fidèle serviteur, que je suis, ne ferait jamais rien pour nuire à ton image de futur roi de Yimbsar !

Le regard d’Azim fut attiré par le plateau chargé de plats appétissants qu’un serveur apportait à la table voisine.

— Vivement que nos plats arrivent… soupira-t-il. Je commence à avoir l’estomac dans les talons. Mais en attendant, et si tu me racontais en détail cette invraisemblable histoire de serveur ?

***

Pendant qu’un serveur déposait leurs boissons devant elles, Mawa ne quittait pas Améyo du regard.

— Je peux savoir pourquoi tu me regardes ainsi ? demanda cette dernière en portant son verre de jus d’ananas aux lèvres.

— Tu ne penses pas avoir été trop dure avec cet homme, tout à l’heure ?

— Comment ça, trop dure ?

— Bah, trop dure quoi… Je dirais même grossière !

— Fais attention à ce que tu vas dire, Mawa. N’oublie pas que je suis ta cheffe !

— Et aussi ma meilleure amie, pardi ! Aurais-tu oublié qu’avant de travailler pour toi, nous sommes des copines de longue date ? Eh bien, si je ne peux plus te dire ce que je pense…

— Bon, d’accord… J’arrête de jouer à la cheffe. Du moins, pendant la pause déjeuner ! s’esclaffa Améyo en la gratifiant d’une œillade taquine.

— Le pire c’est que, sans même t’en rendre compte, tu joues à la cheffe avec tout le monde, Améyo ! Même avec cet homme alors qu’il était tout ce qu’il y a de plus charmant. Tu devrais lui présenter des excuses !

— Tu n’y penses pas ! Et puis quoi encore ? Je ne vois vraiment pas ce que j’ai fait de mal.

— Eh bien, je vais te le dire. Tu l’as traité comme le dernier des malotrus alors que lui, il est resté très correct. Un parfait gentleman !

— Un gentleman, lui ? N’as-tu pas entendu comment il m’a parlé ?

— Il n’a fait que te rendre la monnaie de ta pièce et, si j’avais été à sa place, j’aurais fait pareil. Sincèrement, Améyo, tu devrais arrêter d’être aussi hautaine !

— Moi, hautaine ?

— Bien sûr ! Toi, Améyo Gaméfa, PDG de Gam Industries et mon amie depuis le collège ! Et je te connais suffisamment pour savoir que tu te mets dans cet état quand tu as peur de perdre le contrôle de la situation. Alors, mon petit doigt me dit que contrairement à ce que tu essaies de faire croire, cet homme ne t’a pas laissée de marbre.

D’abord surprise que son amie l’ait si facilement percée à jour, Améyo décida de n’en rien laisser paraître et partit d’un grand rire.