Dans la vallée des roses - Pierre Zanetti - E-Book

Dans la vallée des roses E-Book

Pierre Zanetti

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Beschreibung

"Dans la vallée des roses" est un roman où se rencontrent Oreline, colonelle des pompiers, et Joffrey, conseiller du ministre de l’Intérieur. Elle combat les incendies et les règles d’un monde dominé par les hommes ; lui défend ses intérêts au cœur du pouvoir. Leur affrontement, à la croisée du terrain et des institutions, révèle les tensions d’un pays confronté aux défis climatiques et politiques.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Zanetti, agrégé d’économie, vit en région parisienne. Auteur de plus de cinquante ouvrages, il a exploré de nombreux genres : nouvelles, romans, récits historiques, science-fiction, polars. Cet ouvrage fait écho à des conflits politiques et sociaux d’une brûlante actualité. Mais c’est avant tout une grande histoire d’amour.

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Seitenzahl: 157

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Pierre Zanetti

Dans la vallée des roses

Roman

© Lys Bleu Éditions – Pierre Zanetti

ISBN : 979-10-422-7819-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Bienheureux celles et ceux qui, dans leur cœur, trouvent des chemins tracés. Car lorsqu’ils empruntent la vallée des larmes, ils en font une oasis, et les pluies d’automne la transforment en une vallée de roses.

La Bible, Psaume 84 : 6-7, modifié

Cet été-là

1

Parvenue au bout de l’allée sablonneuse, Oreline stoppa son 4X4 de commandement, éteignit le gyrophare bleu et coupa le contact. À peine sortie de l’habitacle, elle crut entendre la cymbalisation familière des cigales l’entourer, mais ce n’était qu’une illusion. Ces crépitements, ce ronflement incessant émanaient du feu qui, à une centaine de mètres devant elle, transformait les pins maritimes en torches géantes. Elle mit son masque, tant l’air était irrespirable, chargé de fumées qui obscurcissaient le ciel des Landes, taguant ce bleu plus bleu que bleu que la chaleur faisait vibrer.

Le capitaine Léo Matavelli s’avança vers elle, le visage noirci sous son casque blanc laiteux en métal brillant, la visière de protection relevée. Il la salua.

— Bienvenue, ma colonelle. Je vais vous briefer sur ce feu.

— Racontez-moi. J’ai déjà réquisitionné cinq casernes, et nous bénéficierons de l’aide de deux Canadair.

— Voilà : Une tour de guet a signalé un départ de feu il y a deux heures, ici, sur la carte. Un violent vent d’ouest l’attise, et le pousse vers le centre du massif. Il se transforme en mégafeu, très rapidement.

— C’est-à-dire que des flammèches s’envolent et le propagent plus loin.

— Exactement. Comme les métastases d’un cancer.

— Il faut l’attaquer par tous les côtés, avant qu’il devienne incontrôlable. Où se dirige-t-il ?

— Vers Belhade, qui a été évacué. Nous essayons de le stopper, mais nous avons besoin de renforts, et nous manquons d’eau, au moins la moitié des 1800 points d’eau sont à sec. Cette fichue sécheresse dure depuis des semaines, et la température en journée frôle les 40 degrés. Et nous ne sommes qu’en mai !

— Les renforts accourent, Léo. Nous y arriverons, comme toujours.

— Oui, mais à quel prix ?

La forêt des Landes, la plus grande d’Europe de l’Ouest avec ses 13 000 kilomètres carrés, a la forme d’un triangle bordé à l’ouest par l’océan Atlantique, dont les trois sommets sont la pointe de Grave au nord, la station balnéaire d’Hossegor au sud et la ville de Nérac à l’est. Le terrain sableux est pauvre et plat. Jusqu’au 19e siècle, cette forêt n’existait pas, cette zone humide étant utilisée par des éleveurs de moutons montés sur de hautes échasses. Napoléon III les exproprie, ensemence la région de pins maritimes, et vend cette jeune forêt par lots immenses à de riches investisseurs : médecins, notaires, avocats, au détriment des métayers et ouvriers.

Une cinquantaine d’années plus tard, les arbres sont parvenus à maturité, et de leurs troncs suinte, par gemmage, l’or blanc des Landes, servant à produite l’essence de térébenthine. Les pins, trop serrés, sont une proie facile pour les incendies. Oreline avait perdu son grand-père dans celui de 1976 qui, entre Bordeaux et Arcachon, avait carbonisé la moitié de la forêt, faisant plus de 80 victimes. Cet incendie n’était que l’arbre cachant la forêt des feux : 1713, 1735, 1742, 1753, 1803, 1822, 1870, 1893, 1899, 1918, 1926, 1938, 1942, 1944, 1949, 1976, 199 0, 1997, 2003, 2022. Une répétition décourageante.

Oreline déplia une carte sur le capot de son 4X4, que Léo et ses lieutenants examinèrent en détail. Elle dirigeait les opérations, bien qu’étant seulement lieutenante-colonelle. Elle était pourtant bien la patronne du centre de coordination d’Ychoux, en l’absence d’un gradé supérieur. Une grande femme d’une bonne quarantaine d’années, aux yeux marron fureteurs et aux cheveux auburn et courts, originaire du Sud-Ouest dont elle avait conservé l’accent chantant. Elle avait eu du mal à s’imposer dans ce milieu d’hommes souvent bodybuildés.

Elle n’avait pas eu le temps de connaître son grand-père, mort avant sa naissance, mais dont ses parents lui parlaient souvent. Cette disparition tragique avait fortement contribué à sa vocation de soldate du feu. Connaissant une bonne réussite dans les études, elle avait formé le projet de combattre les incendies par le haut, en dirigeante du corps des pompiers. Un projet ambitieux, difficile à réaliser. Après une licence en droit facilement obtenue, elle s’était inscrite au concours de capitaine des sapeurs-pompiers. Seule femme en lice, elle avait sauté l’obstacle et avait suivi une formation de 18 mois à l’école nationale supérieure des sapeurs-pompiers. Elle en était sortie capitaine, malgré les brimades subies lors de ses études.

Seule solution pour elle : devenir un homme. Se comporter comme tel, pour se faire respecter. Prendre un amant dont elle ne serait pas éprise. Surtout, surtout, ne pas tomber amoureuse, ce qui l’affaiblirait trop. Elle s’était inscrite à des cours de judo, en mode accéléré. D’un obi blanc de débutante, elle était vite passée au jaune, à l’orange, au vert puis au rouge. Ses professeurs avaient dû souvent la freiner, lui apprendre à retenir ses coups.

Lors de son premier poste, à Mont-de-Marsan, elle avait eu comme commandant un grand amateur de rugby, version pilier, qui avait multiplié les brimades à son égard. Un certain d’Estançon, qui ne supportait pas de voir une femme prétendre à être pompier. Un jour, après une intervention où elle s’était montrée talentueuse, il l’avait convoquée dans son bureau pour lui infliger un blâme, pour mise en danger de ses collègues. Elle avait rejoint le mess, le visage blanc comme de la craie. Les méthodes brutales du commandant étaient connues, dans la compagnie, et pas vraiment appréciées. Par contre, Oreline s’était constitué un joli capital de sympathie auprès des hommes. Ils lui avaient conseillé d’éviter l’affrontement, de demander une mutation. Mais alors la tâche du blâme continuerait à salir son dossier, elle serait bloquée dans sa carrière, elle se cognerait au fameux plafond de verre. Ce serait se soumettre. Inacceptable pour elle. Les discussions tournaient en rond, lorsque d’Estançon avait surgi dans le mess. Imaginant une sorte de rébellion contre lui, il s’était mis à hurler des ordres, pour disperser le groupe.

Seule Oreline n’avait pas bougé.

— Les gars, sortez vos portables, leur avait-elle soufflé.

— Lieutenant Bellon, corvée de chiottes !

— Mon commandant, je suis capitaine, et non lieutenant. Et les toilettes sont propres, j’ai vérifié. Cet ordre ne peut être exécuté, puisqu’il l’a déjà été.

Le teint de l’officier vira au rouge brique, ce qui n’était pas très difficile, étant donné sa consommation de vin des Corbières.

— Je vais t’apprendre qui commande ici, espèce de mijaurée !

Pour elle, le passage au tutoiement était le signe que d’Estançon perdait le contrôle. À elle de porter l’estocade.

— Mon commandant, je vous prierai de rester poli. Je suis un officier, tout comme vous.

Le « tout comme vous » lui fit voir rouge.

— Tu n’es qu’une femme, une faible femme, une femmelette, tout juste bonne à…

— À quoi ?

Toute l’équipe écoutait, tétanisée.

Il ne répondit rien, et se jeta sur elle. Ce qu’Oreline attendait. Elle, concentrée. Lui, fumant tel un taureau furieux. Qui la chargea.

Se servant du corps déséquilibré de l’assaillant, elle lui fit un ippon, qui le fit chuter lourdement. Un cri de douleur emplit le mess. D’Estançon était immobilisé sur le carrelage, sous Oreline qui lui tordait le bras.

— Maîtrisez-vous, mon commandant !

Mais avoir été ridiculisé par une femme avait décuplé sa rage.

— Je vais te démolir ! avait-il hurlé.

Il s’était remis debout, péniblement, pour repartir à l’assaut. Une très mauvaise idée. Oreline l’avait fauché en plein élan, le faisant brutalement rechuter.

Il avait mis quelques instants avant de se relever. Son épaule gauche ne semblait pas être à sa place, et de l’arcade sourcilière fendue, une coulée de sang lui masquait la vue droite. Une dent était restée orpheline sur le carrelage qui, lui, avait tenu bon.

— Bellon, je vais vous casser !

— Je ne crois pas. Mes hommes ont pris une bonne dizaine de vidéos de cette scène.

— Salope !

— Les portables filment toujours.

Une commission de discipline s’était réunie quelques semaines plus tard. D’Estançon avait déposé une plainte contre Oreline, demandant son exclusion définitive. Mais les vidéos avaient parlé pour elle. Le commandant fut débouté et dégoûté, écopant au passage d’un avertissement et d’une menace de mutation d’office. Quant à Oreline, le président de la commission avait été bien embarrassé. La condamner ? Impossible. La récompenser ? Tout aussi impraticable. Peut-être la condamner en la récompensant. Une piste chaotique, mais utilisable.

— Nous avons examiné votre carrière dans les moindres recoins. Par une seule faute, bien au contraire, une pluie de félicitations. Vous avez même risqué votre vie, dans cette usine en flammes à Montauban, pour sauver un de vos hommes. Pour l’affaire que nous jugeons, vous avez fait preuve de sang-froid dans votre légitime défense. Le commandant d’Estançon est connu de la hiérarchie pour ses méthodes, disons expéditives. C’est un excellent pilier du XV de Mont-de-Marsan, le Stade Montois.Il est le parrain de la fille du maire de cette commune. Son oncle est un gros actionnaire de la dépêche du midi. Il a donc des appuis politiques.

— Que je n’ai pas.

— Non, en effet, soupira le président. Pourtant, une caserne ne peut dysfonctionner. Le service au public doit être rendu.

Elle décida de risquer le tout pour le tout.

— J’ai une proposition à vous soumettre.

— Dites toujours.

— Vous me mutez, en me nommant commandante.

— Nous y avons pensé.

— Et ?

Le président avait pris son temps pour répondre.

— Nous pouvons vous nommer à Arcachon, vous commanderez la caserne.

— Vous avez dit : « commanderez » ?

— Oui, avec le grade de commandante, à titre exceptionnel.

Des larmes de joie étaient montées aux yeux d’Oreline. Elle, commandante, à quarante ans !

— Je remercie infiniment la commission.

— Ne bavardez pas là-dessus, surtout avec les médias locaux. Nouez des relations avec les notables du coin, continuez à servir notre pays, et faites-vous oublier.

Bonne fille, elle avait obtempéré dans les premiers temps. Profitant de l’absence, pour raison médicale, du hargneux d’Estançon, elle avait fait ses adieux aux hommes de sa caserne qui lui avaient offert un casque tout doré, et gravé à son nom. Le dimanche précédant son départ, ses parents Grégoire et Julie avaient organisé un grand repas de famille en son honneur. Océane, sa sœur cadette avait confié les chiens et chats de son cabinet de vétérinaire à une étudiante en formation. Isabelle, bien sûr, était de la fête.

Isa, la belle Isa, fleur épanouie dans la splendeur de ses vingt ans. Oreline était très fière de sa fille, la plus belle réussite de sa vie, avait-elle coutume de dire. Pourtant, son arrivée sur Terre avait été une surprise, et avait bouleversé l’existence d’Oreline. En digne fille de sa mère, elle se destinait à travailler au développement durable, à construire un futur habitable, alors qu’Oreline réparait les dégâts et les agressions des hommes.

Le nœud familial, où régnait une entente chaleureuse, allait se disperser dans le Sud-Ouest.

— Nous allons habiter à Narbonne, à un vol de goéland de la Grande Bleue. Pour gérer notre réseau, ce sera plus logique, annoncèrent les parents.

— Vous possédez combien de ces usines à frites, maintenant ?

— Sept, bientôt huit. Plus on se rapproche de la mer, plus la clientèle est nombreuse. Le burger-frites-coca fait un malheur.

— Vous faites des descentes dans ces restos, parfois ?

— Souvent, environ quatre fois par mois, pour surveiller nos franchisés.

— Vous n’avez pas honte de proposer cette malbouffe ?

— Pas du tout ! Elle rapporte gros ! Oreline, je te trouve un peu maigrichonne. Tu ne reprendrais pas un peu de frites ?

Toute la tablée éclata de rire.

— Toi, Océane, tu restes ici, à Mont-de-Marsan ?

— J’y suis, j’y reste. Mon cabinet marche bien. J’ai même signé un contrat avec des éleveurs d’oies.

— Et les amours ?

— Ils vont et ils viennent, ne vous inquiétez pas.

Océane était une grande amoureuse, qui faisait défiler les partenaires, avant de se fixer définitivement, disait-elle. Personne, autour de la table, ne la voyait se fixer pour la vie. À chaque fois, cette conversation entraînait un petit pincement au cœur de leur mère Julie, qui ne voyait pas venir des petits enfants.

— Et toi, Oreline, ton ami va-t-il te suivre à Arcachon ?

— Lui, quitter son poste de commissaire de police d’Agen pour me suivre en bordure de l’océan ? Il n’en avait pas parlé.

— Alors, c’est fini, vous deux ? s’inquiéta Julie. Pourtant, je le trouvais gentil.

— Disons que notre relation est mise en veille, pour le moment.

D’ailleurs, Cyprien Bozon n’était pas venu partager ce repas. La mutation d’Oreline avait sérieusement rafraîchi leur relation. Qui n’avait jamais été un grand amour, plutôt une liaison de confort, assurant un rythme régulier de nuits brûlantes. Sur ce plan-là également, l’ardeur déclinait.

Là non plus, pas d’autres petits enfants en vue.

Lors de son arrivée à la caserne d’Arcachon, elle avait potassé tous les dossiers de son équipe, avant de se présenter à eux. Ils s’entendaient bien, et possédaient une solide expérience. Seul son adjoint, le capitaine Jordan Puech, pouvait lui poser un problème. Ancien militaire reconverti, son dossier le présentait comme un homme de valeur, mais exigeant, cassant, imbu de sa personne, deux fois divorcé, la seconde fois pour violences conjugales. Devoir être dirigé par une femme devrait lui rester en travers de la gorge. Ambitieux, il rêvait de devenir calife à la place du calife. Mais le prédécesseur d’Oreline avait émis un avis négatif, avant son départ. Elle devrait se méfier de ce capitaine. Décidément, cette haine des femmes la poursuivait. Après d’Estançon à Mont-de-Marsan, Puech prenait ici la relève.

— Bonjour à tous. Repos ! Je suis votre nouvelle commandante. Votre ancien patron a pris une retraite bien méritée, il a accompli ici un excellent travail. Maintenant, le paysage change. Vous allez être dirigés par une femme, moi ! Vous avez entendu parler de mon passage à Mont-de-Marsan, vous savez donc que je suis une dure !

Les hommes sourirent.

— Inutile de chercher mes faveurs, je suis en couple. Maintenant, je suis sûre que nous allons faire du bon travail.

Une salve d’applaudissements polis accueillit l’envoi de ce court discours.

Oreline avait déjà passé cinq ans à Arcachon, lorsqu’elle avait été promue lieutenante-colonelle suite à l’affaire de l’école saint François. Cet établissement privé catholique, sous contrat d’association avec l’État, scolarisait 300 enfants, de la maternelle au CM2. Oreline avait effectué une visite de sécurité obligatoire. Elle avait vite repéré un point faible : l’escalier central n’était pas encagé.

— En cas d’incendie, cet escalier créerait un appel d’air ascendant, propageant le feu dans les étages. Vous devez l’entourer de cloisons ignifugées, et installer des portes coupe-feu à chaque étage, qui se ferment automatiquement en présence d’un feu.

— Ce sont des travaux très coûteux, avait objecté la directrice.

— Je le sais bien. Mais s’ils ne sont pas effectués, je peux faire fermer votre établissement.

— Vous feriez cela ?

La directrice mentait, elle connaissait le pouvoir des pompiers en matière de sécurité. Gagner du temps, et encore un peu d’argent.

— Je vais le noter dans mon rapport. Vous avez un délai d’un an. Étant donné le choix de l’architecte, le délai pour le permis d’aménager et la réservation des entreprises, je vous conseille de vous y mettre dès maintenant.

La directrice n’avait pas apprécié, mais n’avait guère le choix.

Ce qui pouvait arriver était arrivé, six mois plus tard. Un feu avait débuté au rez-de-chaussée, avait grimpé par l’escalier central, bloquant des dizaines d’enfants dans les étages.

La caserne d’Oreline, malheureusement en sous-effectif, était rapidement intervenue, mais les dégagements de fumée pouvaient asphyxier des enfants hurlant de peur avant l’arrivée de la grande échelle. La commandante, qui dirigeait les opérations depuis le parking, avait balayé tout conseil de prudence.

— L’évacuation par l’échelle va être longue ! Toi, et toi, avec moi ! Prenez des pains de plastic et des détonateurs.

— Pour quoi faire ?

— Vous verrez bien. Je connais ce bâtiment ! Il a une particularité qui va nous servir.

Le capitaine Jordan Puech, qui n’appréciait pas les succès d’Oreline, tenta de la retenir.

— Vous ne pouvez pas mettre la vie de nos hommes en danger. La grande échelle va suffire !

— Capitaine, occupez-vous de l’échelle. Et laissez-moi sauver ces enfants !

Par l’escalier envahi par les flammes, ils grimpèrent sur le toit, plat comme une plaine à blé.

— C’est quoi, ça ? fit l’un des deux pompiers.

— Une piscine. Elle sert pour les cours de gym. Des milliers de litres d’eau !

— J’ai compris ! s’exclama l’autre pompier. On va la faire sauter ! On va noyer l’incendie !

Oreline sourit. Elle allait tenter un remake du film « La tour infernale », qu’elle avait adoré dans sa jeunesse. Elle allait égaler Steve Mac Queen et les yeux bleus de Paul Newman réunis.

— Dépêchez-vous ! Fixez les pains aux quatre coins, réglez les détonateurs sur cinq, non, trois minutes. Ensuite, nous descendons un étage pour vous, deux pour moi. Dites aux enfants de se mettre en position de l’œuf, et de ne plus bouger. C’est bon ? On y va !

Les quatre détonations ouvrirent l’enfer, et un déluge d’eau chlorée submergea les étages, éteignant l’incendie et ravageant le mobilier des classes. Oreline fut applaudie. Puech, de son côté, avait mis en sécurité, par la grande échelle, des dizaines d’enfants. Ce qui s’appelait un match nul.

Le bilan était impressionnant : aucune victime n’était à déplorer, mais le bâtiment était inutilisable pour longtemps. 300 vies sauvées, et une probable faillite de l’école à la clé.

Rapidement, une aide d’urgence des collectivités locales fut débloquée, pour reconstruire Saint-François.

Avec un escalier encagé, mais plus de piscine sur le toit.

Après cet épisode, Oreline avait eu ses entrées partout, notamment à la mairie, la petite fille du maire étant parmi les enfants sauvés de la mort. Elle avait à nouveau rencontré le contrôleur général Aubert, qui avait commencé par lui faire la leçon.

— Vous n’êtes pas une cow-girl, nous ne sommes pas en Amérique ! Vous avez détruit un bâtiment important pour la ville d’Arcachon !

— Il n’était pas aux normes.

Aubert avait grommelé.

— Et vous voudriez que je vous récompense ?

Elle n’avait rien répondu. Elle avait attendu qu’il se calme.

— Je vais vous proposer pour une médaille.

— Je vous remercie beaucoup, mais je ne la mérite pas. J’ai seulement fait mon travail.

— Vous ne la refuseriez quand même pas ?

— Je la refuserais.

Aubert avait explosé.

— Commandante Bellon, vous passez les bornes !

— Je sais, monsieur, j’adore ça !

— Vous ne voudriez quand même pas une promotion ?

Enfin, on y arrivait.

— J’en serais très honorée.

Préférant ne rien ajouter, il lui signifia la fin de l’entretien.