De haut en bas - Philippe Jaureguiber - E-Book

De haut en bas E-Book

Philippe Jaureguiber

0,0

Beschreibung

Un vétérinaire, une médium, un historien, une châtelaine et un mystérieux trésor dans un château médiéval, que demander de plus pour vivre une intrigue palpitante ?

Un vétérinaire Toulousain épris d'une femme sans passé se laisse entrainer pour un long week-end dans un huis clos amoureux au cœur d'un château médiéval de l'Aude contemporaine. C'était sans compter sur la présence inattendue d'une infirmière devenue médium, d'un historien à l'étrange accent et d'une improbable châtelaine. Le tableau serait incomplet sans un retour dans le passé et les étranges révélations d'un certain Guillaume de Plaigne. Chevalier pro-cathare et seigneur du Languedoc, il fut dépossédé de son château par les Français sept siècles auparavant et s'apprête aujourd'hui à révéler un ultime message qui va bousculer la vie des uns et le destin des autres. Sur les chemins cathares du Moyen-Âge inquisiteur et les routes de l'actuelle Occitanie, Philippe Jauréguiber ravit les lecteurs épris de récits historiques et ésotériques. Au-delà d'un véritable thriller extrêmement précis et documenté, l'auteur nous invite à réfléchir sur notre humanité et nous rappelle que certains pans troubles de notre Histoire peuvent resurgir à tous moments. Quant aux esprits les plus ouverts et les plus curieux, convoiteront-ils ce trésor dont tout le monde parle ?

Plongez-vous dans les mystères des châteaux médiévaux et découvrez au côté de Gauthier le passé de Guillaume de Plaigne, un chevalier pro-cathare qui détient un secret qui pourrait en intéresser plus d'un.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 520

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Philippe Jaureguiber

De haut enbas

Depuis leur départ de Toulouse un peu après quinze heures, Gauthier n’avait cessé d’afficher un sourire béat au volant de son break Audi. Il conduisait avec concentration dans un trafic dense et rapide qui lui interdisait de regarder sa passagère autant qu’il l’aurait voulu. Kelly n’allait certainement pas sauter en marche avant leur arrivée, mais il avait en permanence ce besoin irrépressible de l’observer pour s’assurer qu’il n’était pas en plein rêve, qu’elle était bien là, assise à ses côtés pour leur premier week-end en amoureux, loin de Toulouse.

Après une petite cinquantaine de kilomètres, Kelly surprit Gauthier en lui demandant de quitter l’autoroute de l’Entre-deux-Mers à la prochaine bifurcation. Il avait supposé que Kelly lui ferait la surprise d’aller vers la Méditerranée, mais il ne broncha pas et amena son Audi sur la voie de droite, prêt à s’engager sur l’autoroute A66, plus joliment appelée l’Ariégeoise. Il réduisit sa vitesse dans le long virage de transition, puis accélérera puissamment dans la côte de Vieillevigne en direction du sud. Dès qu’il eut passé son dernier rapport et enclenché son régulateur de vitesse, sa main droite alla se poser délicatement sur la jambe de sa passagère. Presque aussitôt la main douce et légère de Kelly recouvrit et caressa la sienne. Ils se sourirent en silence. Gauthier en fut ému au plus profond de son être, convaincu d’être le plus chanceux et le plus heureux des hommes à cet instant.

Il se divertissait beaucoup que ce soit Kelly qui organise secrètement leur excursion. Dès leur départ, elle lui avait demandé d’éteindre le GPS du tableau de bord et distillait au fur et à mesure les directives nécessaires à leur voyage. Elle était la seule à connaître leur destination et Gauthier prenait très à cœur son rôle de chauffeur docile et silencieux. Il trouvait plaisant de conduire sans se préoccuper de l’itinéraire à prendre ni de l’heure d’arrivée.

Une vingtaine de kilomètres plus loin, l’Audi franchit une belle crête face aux Pyrénées ariégeoises. Dans la longue descente qui suivit, ils purent admirer le magnifique panorama que leur offrait la montagne. Gauthier était tout à sa contemplation quand Kelly lui intima de quitter l’autoroute à la prochaine sortie. Il continua à se plier aux instructions de sa navigatrice et prit la sortie numéro deux avant de s’arrêter au petit péage. À peine avait-il récupéré sa carte de crédit et son reçu, que Kelly lui demanda de prendre la direction de Mazères. Il se garda encore de faire le moindre commentaire, et prit le premier rond-point en suivant scrupuleusement la direction des panneaux indicateurs. Pendant les manœuvres qui suivirent, Gauthier s’étonna de voir la main de Kelly lui indiquer les changements de direction qu’il devait opérer. Elle le guidait avec assurance, au point qu’il crut un instant qu’elle connaissait déjà leur itinéraire. Il chassa immédiatement cette pensée qu’il jugea idiote, et revint tout à sa conduite.

Ils se retrouvèrent très rapidement sur une route secondaire plutôt large et peu fréquentée. Elle semblait avoir été tracée au cordeau dans un paysage sans habitation ni relief. Le jaune des vastes champs de colza en fin de floraison dominait le vert encore pâle des rares parcelles de blé dur. Plus rien autour d’eux ne permettait à Gauthier de deviner où Kelly les emmenait. Sa curiosité grandissait à chaque croisement, mais il tint bon et resta silencieux, bien décidé à continuer à se laisser guider et surprendre.

Leur rencontre avait littéralement bouleversé la vie de Gauthier qui avait très rapidement acquis la certitude que Kelly allait lui offrir cette relation d’amour et de partage qu’il n’attendait plus. Il avait pu mettre un terme à ses recherches chronophages sur des sites de rencontres, et ses amis avaient enfin renoncé à lui présenter des femmes célibataires qu’un divorce ou une séparation avaient esquintées bien plus que lui ne l’avaitété.

Kelly était entrée dans la vie de Gauthier par un matin d’hiver particulièrement froid. La chaudière de son cabinet vétérinaire était tombée en panne et Gauthier s’était directement rendu dans la buanderie pour tenter de remettre le chauffage. Après de nombreuses tentatives de réglage et une pleine boîte d’allumettes, il réussit à maintenir en vie la petite flamme bleue de la veilleuse. Dès qu’il lança la pompe, les brûleurs s’enflammèrent et lui procurèrent une chaleur immédiate dont il profita pendant quelques secondes. C’est au moment de remettre le capot de l’appareil de chauffage que le carillon de la porte d’entrée retentit. Son premier rendez-vous ne devait pas arriver avant neuf heures et il pensa à une de ces intrusions dont les représentants de laboratoire sont coutumiers ; il aurait vite fait d’expédier celui-là.

Le vétérinaire retourna dans sa salle de consultation, enleva à regret sa parka et enfila sa blouse blanche que le week-end avait glacée derrière la porte. Il alla vers l’entrée du cabinet en se frottant énergiquement les mains pour les réchauffer et comprit que son visiteur s’était déjà glissé dans la salle d’attente.

Elle lui tournait le dos et regardait les photos des animaux à vendre et à donner qu’il épinglait régulièrement sur un grand tableau en liège. Gauthier ne se manifesta pas immédiatement et prit quelques secondes pour observer sa visiteuse. Elle portait un jean foncé rentré dans de hautes bottes en cuir noir à talon carré, et ses cheveux dorés, mi-longs et lisses dessinaient une auréole presque parfaite sur le cuir noir de son perfecto.

–Bonjour, lança Gauthier pour signaler sa présence.

La femme sursauta et se retourna. Quand Gauthier vit son visage, il pensa tout d’abord à un ange, un ange avec de magnifiques yeux verts en amande mis en valeur par un discret maquillage. Ses lèvres étaient singulièrement charnues, à peine colorées et son sourire lumineux fit oublier au vétérinaire à quel point il avait froid dans sa blouse. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il remarqua une petite boule de poils gris blottie dans la fourrure écrue du blouson.

–Comment s’appelle-t-il ? demanda Gauthier pour briser le silence et sa gêne, plus que par réel intérêt.

–C’est quelle lettre cette année ?

–Euh, la lettre… « J ». C’est la lettre « J ».

–Alors… Je vais l’appeler… Jerry !? C’est bien Jerry,non ?

–C’est un mâle ?

–Je ne saispas.

Gauthier avait fini par lui répondre qu’un nom de souris pour un chat n’était pas banal, mais que pour sa part, en tant que professionnel de la santé animale, il n’y voyait aucun inconvénient. Ce fut leur tout premier échange et leur tout premier fourire.

Brun aux yeux verts, Gauthier n’avait pas vraiment conscience de son pouvoir de séduction et n’en jouait donc pas. Il se contentait le plus souvent d’être tout simplement lui-même, un homme à l’esprit fin et à la bonne humeur quasi constante. Ni trop musclé, ni trop mince, il entretenait sans excès un physique agréable et son visage dégageait une énergie qu’il devait à un menton plutôt carré et un nez légèrement proéminent. Il était coiffé court et avait opté depuis longtemps pour des pattes longues et soignées qui commençaient à grisonner.

Cela faisait plusieurs années que le vétérinaire était en quête d’une nouvelle passion amoureuse pour en finir avec un célibat forcé et douloureux. Il avait fait de multiples rencontres et vécu quelques romances, mais le plus souvent avec des femmes plus jeunes que lui. Il en était flatté, là n’était pas la question, mais il était arrivé à la conclusion que c’était le plus souvent la différence d’âge qui avait presque toujours eu raison de chacune de ses relations. Une fois passée la passion des débuts, des divergences de centres d’intérêt et de modes de vie apparaissaient et interdisaient toute construction sérieuse. Gauthier avait donc choisi de ne plus s’intéresser aux femmes de moins de quarante ans pour mettre toutes les chances de son côté et dans le but de construire une relation qu’il désirait avant tout pérenne.

De onze années plus jeune que lui, Kelly aurait dû être disqualifiée dès leur rencontre. Mais c’était compter sans l’adresse de Cupidon et la précision de ses flèches qui atteignirent le séduisant docteur vétérinaire en plein cœur, lui faisant oublier du même coup ses belles résolutions.

***

La tête appuyée en arrière, Kelly se laissait doucement bercer par les légers soubresauts de la voiture. Elle tenait sa ceinture de sécurité des deux mains et regardait cette montagne à la fois si proche et si lointaine. Gauthier n’était pas en reste, et à la faveur d’une circulation raréfiée, il jetait parfois de longs coups d’œil aux sommets encore enneigés.

Il éprouva soudain l’envie de passer une main dans les cheveux de Kelly mais préféra la laisser toute à sa rêverie. Il se contenta d’observer la créole dorée accrochée au lobe de son oreille. Il les lui avait offertes deux semaines auparavant, pour fêter les cent jours de leur rencontre. Gauthier était déterminé à tout faire pour séduire Kelly, y compris accéder à ses moindres désirs et caprices. D’ailleurs ce week-end de trois jours avait été une des toutes premières foucades de son amante. Cela faisait à peine deux semaines qu’ils sortaient ensemble qu’elle lui avait demandé instamment de lui promettre qu’ils iraient passer le week-end de Pentecôte loin de Toulouse. Elle avait insisté pour s’occuper de tout et avait payé elle-même l’acompte de la réservation pour garder secret le lieu de leurs « petites vacances ». Elle avait simplement dit à Gauthier qu’il n’aurait qu’à s’occuper des valises, à se mettre derrière le volant et à se laisser guider jusqu’à leur arrivée. Il s’était amusé de cet ultimatum et avait dû jurer plusieurs fois qu’il s’arrangerait pour permuter sa garde du week-end avec un confrère accommodant. Cela lui coûterait une bonne bouteille de whisky, mais c’était peu cher payé pour la perspective de passer trois jours et trois nuits consécutifs avec Kelly.

À plusieurs reprises Gauthier avait tenté d’en savoir davantage sur leur week-end, mais il ne recueillit que de très maigres informations. Il apprit seulement qu’ils allaient mener la vie de château, que ça serait « super chouette », « trop top », un peu cher, mais « carrément génial ». Tout cela amusait follement Kelly, et Gauthier se délectait de la voir si joueuse et si enthousiaste. Il se moquait bien de l’endroit où ils allaient passer ces quelques jours ensemble. Que ce fût dans un château médiéval perdu dans la campagne ou dans un Bed and breakfast au bord d’une autoroute, il s’en fichait autant que du montant de la facture qu’il aurait à régler.

Kelly se rapprocha de Gauthier et se blottit contre son épaule comme une chatte. Une bouffée de bonheur mit immédiatement Gauthier dans un état quasi extatique. Il prit un long virage à droite sans vraiment penser qu’il était en train de conduire, quand un flot de lumière chaude et printanière inonda tout l’habitacle de l’Audi. Kelly ferma les yeux sans changer sa position et Gauthier baissa aussitôt son pare-soleil.

–On ne doit plus être très loin, murmura-t-il. Tu m’avais dit, pas plus d’une heure de route.

Kelly se redressa et jeta un rapide coup d’œil par-dessus le tableau de bord. Elle s’étira et posa un baiser léger sur la joue de son chauffeur.

–Merci chéri, murmura-t-elle.

Cela faisait peu de temps qu’elle l’appelait « chéri ». La première fois, il en avait été bouleversé. La dernière femme à l’avoir appelé ainsi c’était… c’était sans importance, se mentait-il à chaque fois. Il se répéta encore qu’il devait laisser le passé derrière lui et conjuguer sa vie au présent, peut-être même au futur, à condition qu’il fût... simple.

–Tu sais, reprit-elle en se blottissant davantage. Quand j’ai vu les photos du château sur internet, j’ai complètement craqué. Tu verras, le parc est magnifique, la déco est trop classe. C’est un vrai château de conte de fées. Il y a même une immense cheminée dans laquelle on pourrait faire rôtir un énorme mouton ! Et puis tu vois, c’est vraiment pas loin de Toulouse.

Gauthier acquiesça d’un sourire et posa une main tendre sur la jambe de Kelly. Il dut vite la retirer pour passer une, puis deux vitesses à la sortie de Belpech. C’était le dernier village avant d’arriver à Plaigne, ils n’étaient plus trèsloin.

–J’ai même choisi la chambre, ajouta-t-elle malicieuse. C’est la chambre du Commandeur ! Tu verras, elle est...

–La chambre du Commandeur ? coupa Gauthier, feignant d’être impressionné. Et toi ma chérie, où vas-tu dormir?

–Avec le Commandeur bien sûr ! Il a insisté pour que je sois sa maîtresse pendant ces trois jours. J’allais pas refuser, personne ne discute les ordres du Commandeur.

Gauthier fut soudain envahi d’un désir charnel intense et nouveau. Il l’avait senti s’immiscer en lui depuis quelques kilomètres et les mots de Kelly à l’approche de leur destination avaient réveillé en lui une sorte de pulsion sexuelle brutale, presque sadique. Ses mains se crispèrent sur le volant et son pied enfonça la pédale de l’accélérateur. Au changement d’allure de l’Audi, Kelly se redressa et regarda son amant qu’elle ne reconnut pas l’espace d’une fraction de seconde. Elle dissipa son trouble en regardant la route et bondit aussitôt de son siège.

–C’est là, c’est là ! Ralentis ! s’exclama-t-elle en désignant un petit panneau sur le côté gauche de la route.

Gauthier avisa immédiatement la petite pancarte qui pendait à une potence en fer forgé et indiquait « La Commanderie ». Il jeta un rapide coup d’œil dans son rétroviseur et freina fermement avant de couper la route et de s’engager tranquillement dans une allée en pente, bordée de pins parasols.

–C’était moins cinq… Ça va ? Tu es contente ma chérie?

–Oui, je suis trop contente ! Trois jours à glander, à manger, à boire et à baiser ! J’en rêvais !

Gauthier ne sut trop quoi répondre à l’enthousiasme nature de son amante et se réfugia comme souvent dans ce cas derrière un sourire contrit. Il adorait la fraicheur et la spontanéité de Kelly, mais il aurait souhaité par moment qu’elle fasse preuve d’un peu de retenue.

C’est au bout de l’allée ombragée, sur leur gauche, qu’apparut l’imposant portail d’entrée de la propriété. Il était ouvert sur un magnifique parc engazonné entouré d’arbres immenses dont les hautes cimes semblaient rivaliser avec les tours rondes d’un étonnant château.

Gauthier engagea son break sur un solide petit pont en pierres au-dessus d’un large fossé au fond duquel s’écoulait un paisible ruisseau. L’Audi dépassa lentement les hauts piliers en pierres du portail en fer forgé et entra dans la cour du château.

–Eh bien nous y voilà, annonça Gauthier. C’est magnifique…, magnifique, vraiment, c’est la grande classe.

Kelly répondit par un sourire plein de satisfaction et de reconnaissance. À peine Gauthier venait-il d’immobiliser son véhicule devant le château que Kelly détacha sa ceinture et se colla contre lui pour l’embrasser. Leur baiser fut long et passionné et marquait officiellement le début de leur week-end à « La Commanderie ».

***

L’accès au château se faisait par un perron à double escalier en pierres, décoré des deux côtés par des pots à feu et de petites sculptures. Des vasques de plantes vertes rehaussaient la balustrade et embellissaient merveilleusement la double montée vers l’entrée principale.

Le château ne possédait ni meurtrières ni archères mais de nombreuses fenêtres avec des croisillons blancs qui rompaient avantageusement le gris lisse et austère des hauts murs crépis à la chaux. Il n’y avait pas davantage de créneaux ou de mâchicoulis en haut des murs, mais une magnifique corniche en génoise qui se déroulait sur quatre rangs. Elle parcourait avec élégance les bords de toiture et reliait avec finesse et régularité les trois tours de l’imposante demeure.

–Nous voilà rendus au château, ma chère, plaisanta Gauthier d’un ton précieux. J’espère que les chemins ne vous auront point trop fatiguée. Je vais sur le champ demander à mes gens de monter vos bagages dans vos appartements.

–Tu es bête… Monsieur le Commandeur, répondit Kelly, amusée par le jeu de Gauthier.

–Allez, viens, chuchota-t-il. Nous serons bien mieux à l’intérieur. Je m’occupe des bagages.

Gauthier sortit le premier de la voiture et se dirigea vers le coffre. Il avait opté pour une tenue décontractée, un jean et blazer bleu sur un tee-shirt gris chiné.

De son côté Kelly alla ouvrir la porte arrière de la voiture et récupéra son sac à main et son vanity-case posés sur la banquette. Gauthier avait récupéré leurs valises et arriva le premier en bas de l’escalier. Il laissa passer Kelly et ne put s’empêcher de contempler encore une fois sa féminité que ses leggings beiges mettaient outrageusement en valeur. Sans parler du balancement de ses hanches que rythmait l’impact des talons de ses sandales sur la pierre.

Le soleil était haut et chauffait déjà la façade du château exposée plein sud. Les deux amants posèrent leurs bagages en haut du perron et contemplèrent le parc impeccablement entretenu. Il dégageait une belle sérénité qu’amplifiaient les chants et piaillements des nombreux oiseaux qui voletaient en tous sens. Gauthier chercha d’où pouvait provenir ce parfum de miel presque entêtant qui lui chatouillait les narines depuis leur arrivée.

–Ça sent super bon hein ? s’exclama Kelly en prenant une grande inspiration les yeux fermés.

–Regarde derrière toi, lui dit Gauthier en se retournant vers la façade. Les murs sont couverts de glycines. Il n’y a plus de doute ma chérie, c’est le printemps, ajouta-t-il en pressant Kelly contrelui.

Le regard de Gauthier s’attarda sur une curieuse sculpture de pierre posée sur le gazon au fond du parc. Il interrogea Kelly.

–Tu arrives à voir ce que représente cette sculpture là-bas à gauche du grand sapin ? Tu la vois, sur l’herbe, on dirait un chien,non ?

–En fait c’est une louve qui protège ses deux petits. Il y a des bébés loups sous la maman, répondit Kelly.

–Je ne sais vraiment pas comment tu fais pour voir tout ça d’ici, s’étonna Gauthier. Je vois à peu près une louve, oui, mais pour les petits je ne distingue que deux pierres. Ta vue est excellente.

–Ou alors toi tu as peut-être besoin de porter des lunettes, répondit Kelly avec effronterie.

–Tu vas voir, sije…

La porte d’entrée du château s’ouvrit soudain derrière les deux amants qui interrompirent aussitôt leur gentille chamaillerie. Ils se retrouvèrent devant une femme entre deux âges. Elle portait des lunettes écaille ovales qui donnait un peu de sévérité à son visage et ses yeux d’un vert clair suggéra à Gauthier qu’elle avait dû avoir beaucoup de succès auprès des hommes. Elle avait ramené ses cheveux blond blanc dans un chignon décoiffé qui lui donnait beaucoup de charme et une certaine distinction. C’était une châtelaine d’aujourd’hui, dans un style chic-décontracté, en pantalon et cardigan manches longues sur un tee-shirt blanc. Elle portait comme unique bijou un fin collier goutte d’eau en cristal.

–Bonjour, soyez les bienvenus au château. Je suppose que vous êtes Monsieur et Madame Ferrals ?

–Euh… oui, c’est… ça, Ferrals, confirma Gauthier, surpris d’apprendre qu’il était en lune miel pour la deuxième fois de savie.

–On ne s’en lasse pas n’est-ce pas ? commenta la châtelaine en balayant le parc du regard. Si cela vous fait plaisir et si, bien sûr, le beau temps se maintient, je dresserai la table de vos petits déjeuners ici même. Qu’en pensez-vous ?

–Ça serait trop cool, piaffa Kelly en se serrant contre Gauthier.

–Alors c’est réglé, confirma la châtelaine… Mais où ai-je la tête, je ne me suis pas présentée, je suis Rose de Brassac la propriétaire du château et votre hôtesse. Avez-vous fait bonne route ? Mais il est vrai que vous ne venez pas de très loin… Je vous en prie, entrez, vous devez avoir hâte de découvrir votre chambre et de vous installer.

Gauthier et Kelly reprirent leurs bagages et entrèrent dans le château à la suite de la châtelaine. Ils contournèrent un imposant canapé rond en velours rouge d’époque Napoléon III. Il était placé au centre du vestibule, sous une imposante lanterne chinoise fin XIXème suspendue à une longue chaîne. Sans se retourner Rose de Brassac commenta en quelques mots les lieux.

–Nous sommes ici dans le donjon principal, précisa-t-elle. Il a été construit au XIIIème siècle par Guillaume de Plaigne, un seigneur qui fut ami des Cathares quand l’inquisition battait son plein et que le roi de France voulait s’emparer des riches terres du Languedoc.

Gauthier et Kelly suivaient leur hôtesse en silence avec cette docilité qu’ont les touristes derrière leur guide. Le vétérinaire était à la traîne et prenait son temps pour admirer la richesse de la décoration autour de lui. Chaque pan de mur, chaque recoin recelait un objet ou un accessoire ancien. Certains d’entre eux paraissaient n’avoir jamais bougé depuis le Moyen-Âge tant on les sentait véritablement à leur place. Gauthier s’extasia devant d’imposantes torchères en fer forgé accrochées aux larges murs en pierre et s’arrêta quelques pas plus loin, fasciné devant une carte ancienne du Royaume de France au XVIIIème.

–Ne vous inquiétez pas monsieur Ferrals, interrompit la châtelaine. Vous aurez tout loisir de vous promener dans chaque pièce du château et d’y découvrir ses trésors. Mais il y a peu de chance que vous tombiez sur celui des Cathares, des Templiers ou même des Wisigoths ! Nous ne sommes pas à Rennes-le-Châteauici.

–J’ignorais que les Cathares aient eu un trésor ! s’étonna Gauthier.

Madame de Brassac s’arrêta net au milieu du couloir dont les soubassements blancs contrastaient élégamment avec le rouge des murs. Elle se retourna vers ses visiteurs avec théâtralité.

–Bien sûr qu’il y a un trésor cathare, Monsieur Ferrals. On dit même que le Saint-Graal pourrait en faire partie. Nous sommes ici à moins de cinquante kilomètres du pog de Montségur, l’endroit même où ont été brûlés les derniers hérétiques cathares ; ils étaient deux cents bonshommes et bonnes femmes, comme on les appelait autrefois. Et puis, comme vous semblez vous intéresser à l’Histoire, sachez que Guillaume de Plaigne a aussi vécu au château de Montségur. On a cru un temps qu’il aurait pu cacher ici tout ou partie du trésor, mais nous n’avons jamais rien trouvé, pas même une petite pièce d’or, rien. Mais croyez-moi Monsieur Ferrals, le trésor des Cathares existe bel etbien.

Madame de Brassac alla se placer face à un mur et saisit une petite poignée aussi invisible que la porte en trompe-l’œil qu’elle ouvrait.

–Alors voilà, reprit-elle. Il y a plusieurs accès pour se rendre à l’étage. L’escalier que nous allons emprunter n’est certes pas très large, mais il conduit directement aux chambres, dont la vôtre. Elle est située juste au-dessus de l’entrée que nous venons d’emprunter. En d’autres termes, vous dormirez ce soir dans le donjon de Guillaume de Plaigne, en plein Moyen Âge, conclut-elle, non sans emphase.

Sans autres commentaires, Madame de Brassac actionna la petite poignée, puis tira la porte vers elle avant d’allumer l’étroite cage d’escalier construite en colombages. Elle pénétra la première, suivie de Kelly que Gauthier laissa élégamment passer en reprenant muettement le style maniéré de la châtelaine. Son impertinence fut aussitôt calmée par le regard réprobateur de Kelly qui lui tourna vivement le dos avant de prendre à son tour l’escalier.

–Vos valises ne sont pas trop grandes Monsieur Ferrals, vous devriez pouvoir passer sans encombre, assura Madame de Brassac déjà rendue à mi-parcours.

Gauthier ne répondit pas. L’exiguïté de la cage d’escalier ajoutée à la hauteur des marches, l’obligeaient à monter péniblement de côté pour éviter de frotter la tapisserie avec les bagages.

Madame de Brassac était déjà rendue à l’étage et poursuivait ses commentaires, à peine essoufflée.

–Quand vous serez arrivés en haut de l’escalier, vous remarquerez que son noyau a été fait dans un seul tronc d’arbre évidé. C’est assez remarquable, vous verrez.

Gauthier stoppa sa laborieuse ascension sur une marche plus large pour repositionner les valises et éviter de se retrouver coincé. Il trouvait en effet l’escalier remarquable mais plus pour sa raideur que par sa construction. Avec des hauteurs de plafond d’au moins cinq mètres, il montait l’équivalent de deux étages en une seule volée.

Quand Gauthier monta enfin la dernière marche, Madame de Brassac et Kelly avaient déjà disparu dans la chambre. La pièce était grande et sobrement meublée avec, pour le côté charmant, un lit avec rideaux et ciel-de-lit aux mêmes motifs baroques que la tapisserie des hautsmurs.

La châtelaine éclaira la chambre en écartant d’un coup sec les lourds rideaux occultants de l’unique fenêtre à meneaux. Gauthier apparut à la porte encore essoufflé par l’effort qu’il venait de produire.

–T’as vu ? s’écria Kelly. C’est notre chambre mon chéri ! Elle est sympa hein ? La chambre du Commandeur, piaffa-t-elle. Elle te plaît ?

Le vétérinaire acquiesça d’un sourire pour économiser sa respiration qu’il commençait à peine à retrouver.

Kelly commença à faire le tour de la chambre en sautant comme une gamine. Elle se dirigea vers la fenêtre, jeta un œil dans le parc, revint sur ses pas pour s’asseoir en sautillant sur le lit, puis repartit près de la fenêtre pour ouvrir et refermer l’abattant d’un petit secrétaire NapoléonIII.

–Et la salle de bain, elle est où ? interrogea Kelly.

–Elle est juste derrière vous, près du lit, c’est la petite porte qui est là-bas, indiqua Rose de Brassac.

Kelly se mit à trottiner gaiement en direction de la salle de bain devant le regard amusé de Gauthier.

–Faites attention à votre tête Madame Ferrals, il y a des poutres un peu basses !

Kelly s’était précipitée dans la salle de bain. Dès qu’elle l’eut éclairée, ce fut un chapelet d’exclamations et de superlatifs colorés dont seule la jeune femme avait le secret. Gauthier observait du coin de l’œil la châtelaine qui aurait sans aucun doute préféré qu’on parlât de la décoration de sa salle de bain en termes plus choisis.

Il y eut soudain un choc sourd suivi d’un petit cri et d’un inquiétant silence.

–Kelly !? s’inquiéta Gauthier.

La jeune femme apparut dans l’embrasure de la porte de la salle de bain, la mine renfrognée, une main sur le front.

–On t’avait dit de faire attention, ma chérie, se désola Gauthier. Montre-moi ça ?

–Ça va, j’déconne, s’esclaffa Kelly en ôtant la main de sur son front.

Elle alla s’asseoir sur le lit et testa le matelas avec de petits sauts désordonnés.

–Je crois que je vais dormir de ce côté. En plus c’est le côté salle de bain, comme ça je pourrais me cogner la tête autant de fois que je voudrais, plaisanta-t-elle tout sourire en regardant tour à tour son amant et la châtelaine.

Gauthier n’avait pas relevé la farce et ne releva pas davantage la plaisanterie. L’attitude puérile de Kelly l’avait cependant amusée et il était comblé de la voir si heureuse et si pleine de vie. Madame de Brassac avait profité du petit spectacle offert par Kelly pour ôter ses lunettes. Les plaquettes de ses montures l’avaient blessée et elle se massait discrètement le haut du nez avec les doigts. Quand Gauthier croisa son regard et ses magnifiques yeux de biche, elle s’empressa de remettre ses lunettes et poursuivit l’installation de ses hôtes.

–Vous avez donc ici une grande armoire, reprit la châtelaine. Mais vous pouvez tout aussi bien utiliser le placard près de la fenêtre. Il est aussi profond que la largeur des murs qui est ici d’un mètre.

–C’est parfait, lui répondit Gauthier. Il y a bien assez de rangement pour deux et puis nous ne sommes là que pour trois jours.

Kelly se dirigea vers une porte laissée entrebâillée entre le petit secrétaire et le lit et s’empressa de poser une main sur la poignée.

–Ah, je suis désolée, interrompit la châtelaine. C’est la porte de communication avec la chambre rose. La femme de chambre aura oublié de la fermer à clé. Mais ne vous inquiétez pas, elle n’est pas louée. D’ailleurs à ce sujet, j’ai un autre hôte en même temps que vous, je lui ai donné la chambre bleue, c’est la plus éloignée de la vôtre, comme ça vous serez tranquilles.

–Eh bien je crois qu’il ne nous reste plus qu’à nous installer, conclut Gauthier en traversant la chambre, sa petite valise à lamain.

Il posa son bagage sur une bergère de style Louis XV placée près de la fenêtre et l’ouvrit. Comme la châtelaine restait toujours plantée dans la chambre à les regarder, Gauthier commença à déballer ses affaires de toilettes et annonça qu’il allait prendre une douche.

–Et bien je vais vous laisser, annonça Rose de Brassac en se dirigeant vers la porte de la chambre. Zut, s’étonna-t-elle, je m’aperçois que la femme de ménage a aussi oublié de laisser la clé de votre chambre sur la porte. Elle l’aura descendue dans mon bureau croyant bien faire. Monsieur Ferrals, cela vous ennuierait-il de venir la chercher en bas un peu plus tard ? J’attends un appel important de l’étranger pour l’organisation d’un mariage.

–Je viendrai chercher la clé dès que nous serons installés, assura Gauthier. Ah ! J’allais oublier, Madame de Brassac, avez-vous une connexion Wi-Fi dans le château ?

–Hélas non mon cher Monsieur, avec des murs de plus d’un mètre par endroit, j’ai renoncé depuis longtemps à la faire installer. Par contre, et si c’est important, j’ai internet dans mon bureau.

–Non, non, ça ira, je vous remercie.

–Et je ne sais pas si Madame vous l’a dit, renchérit la châtelaine, mais nous sommes ici dans une zone blanche très étendue et on ne capte aucun opérateur téléphonique.

–Ah bon ? s’étonna Gauthier en regardant Kelly occupée à ouvrir sa valise.

–Mais je dois dire, poursuivit la châtelaine, que nos clients s’en accommodent fort bien. Je soupçonne d’ailleurs quelques habitués de venir à « La Commanderie » pour vivre l’expérience d’une déconnexion totale, s’amusa-t-elle.

Gauthier cacha difficilement sa déconvenue d’autant plus qu’il avait promis à son collègue vétérinaire d’être joignable pendant le week-end. Il préféra ne plus parler ni poser de question pour que leur hôtesse quitte enfin la chambre.

–Vous verrez Monsieur Ferrals, vous allez être bien ici et vous pourrez passer du temps avec Madame, ajouta-t-elle non sans malice. Je vous laisse vous installer, à tout de suite… Ah ! Une dernière chose pour Madame Ferrals. J’ai prévu de me faire un peu de thé, en voudriez-vous une tasse?

–C’est une excellente idée, s’exclama Kelly.

–Monsieur Ferrals peut-être?

–Euh, moi ? Non merci. Par contre je le monterai avec la clé si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

–Au contraire, moins je monte de marches et plus mes genoux me remercient ; c’est très gentil à vous. Je serai alors au salon d’été.

–Euh… Et où se trouve-t-il… le salon d’été ? interrogea Gauthier.

–Vous ne pouvez pas vous tromper. Vous descendez par l’escalier que nous venons d’emprunter. Une fois arrivé en bas, le salon est sur votre gauche, juste en face de l’entrée par laquelle vous êtes arrivés. À tout à l’heure…

À la seconde même où Madame de  Brassac ferma la porte de la chambre, Kelly sauta du lit et bondit sur Gauthier pour l’embrasser avec voracité. Elle passa ses mains avides de caresses sous son tee-shirt et couvrit son visage de baisers torrides. Les pas de la châtelaine n’en finissaient pas de s’éloigner dans l’escalier.

–J’ai une furieuse envie que vous me baisiez Monsieur le Commandeur, chuchota Kelly à l’oreille de Gauthier.

Elle crocheta la ceinture de son amant avec son index et commença à reculer en l’attirant avec elle. Quand elle sentit le lit derrière ses mollets, elle lâcha la ceinture et se jeta sur le matelas à plat dos les bras en croix.

–Alors, Monsieur le Commandeur, que pensez-vous des prestations de votre chambre ? interrogea Kelly sur un ton malicieux et provocateur.

Gauthier s’avança lentement et s’allongea sur elle. Il prit ses poignets qu’il serra dans ses mains et lui maintint les bras écartés en l’immobilisant avec le poids de son corps.

–Soyez précise ma chère, voulez-vous savoir ce que je pense de la chambre ou bien de la maîtresse que l’on m’a octroyée pour mon séjour ?

–Les deux, mon Commandeur !

–La chambre me semble tout à fait acceptable, quant à vous, il faudrait que je vous mette un peu plus à l’épreuve avant de me faire une opinion, ne croyez-vouspas ?

Gauthier joignit le geste à la parole. Il libéra sa main droite, se dégagea un peu et commença à déboutonner le chemisier de Kelly avant d’y glisser une main fureteuse.

–Sans vouloir commander Monsieur le Commandeur, je me permets de lui rappeler que Madame de Brassac souhaitait le voir sous peu afin de lui remettre la clé de la chambre. Et puis il m’a été promis un thé bien chaud me semble-t-il !

–C’est fort juste ma chère. Mais vous ne perdez rien pour attendre. Car je suis d’humeur à vous prendre séance tenante. Et je vous en conjure, ne quittez pas cette chambre, les couloirs du château sont peu sûrs à cette heure.

Gauthier se leva d’un bon et prit le parti de sortir complètement le tee-shirt de son pantalon. Kelly s’était redressée sur les coudes et observait amusée et sans la moindre pudeur, la proéminence qui s’était formée sous la ceinture de son amant.

–Je ferais mieux de me dépêcher avant que le thé et le reste ne refroidissent trop vite, conclut Gauthier.

Il sortit de la chambre et passa sa tête par la porte avant de la refermer derrièrelui.

–Je suis là dans deux petites minutes, tu ne bouges pas, deux minutes, insista-t-il en montrant deux doigts.

Il disparut aussitôt et descendit prudemment les premières marches sans prêter attention à l’exceptionnel tronc évidé de l’interminable escalier hélicoïdal.

Arrivé dans le couloir du rez-de-chaussée, Gauthier referma la porte dérobée avec précaution. Elle s’encastra parfaitement dans le mur rouge et blanc et redevint presque invisible aux regards. Il trouva sans difficulté le salon d’été et y pénétra par une large porte vitrée à double battant ; il était le premier. Curieusement, il sentit l’odeur familière de « chien mouillé ». Compte tenu du temps plutôt sec, il en conclut que la châtelaine devait peut-être avoir un chien atteint de dermatite. Mais de chien, il n’en avait ni vu ni entendu depuis leur arrivée.

Gauthier n’était pas fâché de se retrouver seul dans la grande pièce. Il aimait faire ses propres découvertes, et le salon d’été lui offrait largement de quoi satisfaire sa curiosité. Il actionna l’interrupteur électrique et fut surpris par l’intensité des deux douzaines de lampes du magnifique lustre. Comme partout dans le château, le plafond était haut mais l’abondante décoration et l’agencement du mobilier donnaient à la pièce une belle intimité. Au milieu du salon, deux grands canapés contemporains en tissu rouge se faisaient face devant une somptueuse cheminée ancienne en marbre blanc. Les deux meubles étaient séparés par une table basse carrée en chrome et verre fumé. L’ensemble invitait à la détente et à la rêverie devant un bon feu. Le charme et l’authenticité de la pièce venaient aussi de son vieux parquet en chêne qui avait été remplacé devant la cheminée par une grande plaque en marbre blanc marquetée en son centre d’une magnifique croix de Malte rouge.

Gauthier délaissa les nombreux portraits de femme peints qui couvraient les murs pour contempler d’imposantes fresques métalliques verticales. Elles étaient faites de plusieurs métaux aux couleurs changeantes et leur association avec les dorures des tableaux et le baroque de l’impressionnant lustre en cristal, ravissait Gauthier.

–Vous aimez ?

Gauthier sursauta. Madame de Brassac venait d’entrer dans le salon avec un petit plateau en argent sur lequel était disposé un service à thé en porcelaine blanc à liseré or. Elle le posa avec précaution sur le verre de la table basse et prit place dans le canapé, face auparc.

–Ne me dites pas que ce sont des sculptures du XIIIème ou du XVIème siècle ? interrogea Gauthier en désignant les œuvres de chaque côté d’une commode Louis Philippe.

La châtelaine gloussa en se servant une tasse dethé.

–Non, bien sûr que non. Je suis sculpteur sur métaux, c’est ma seconde passion, après la vie de château, s’amusa-t-elle à ajouter.

Gauthier se retourna encore et découvrit de nouvelles créations de la châtelaine.

–Je suis loin d’être un spécialiste, ajouta-t-il, mais j’aime beaucoup ce que vous faites. C’est surprenant de voir à quel point des œuvres contemporaines peuvent autant s’harmoniser avec l’ancien, complimenta Gauthier.

–Merci. Vous savez, le métal, le bois, la pierre ou même le marbre étaient déjà travaillés au temps des châteaux forts et bien avant encore. Ce n’est pas tant le style ou les formes qui importent, mais les matières utilisées. D’une certaine façon elles sont intemporelles, elles relient les styles et les époques et finissent par créer une harmonie.

La châtelaine s’interrompit pour boire une gorgée dethé.

–Ces fresques sont immenses et doivent être extrêmement lourdes. Vous faites aussi des œuvres plus petites ? demanda Gauthier.

–J’aime le grand, j’aime remplir les volumes et les surfaces. J’ai de l’espace ici, alors j’en profite.

–Comme ces sculptures dans le parc ? indiqua Gauthier qui se tourna pour regarder dehors par la porte vitrée.

–Tout à fait Monsieur Ferrals, c’est fort bien observé. Pardonnez-moi de vous presser, mais le thé de votre dame est en train de refroidir. Si vous le souhaitez, nous pourrons reparler de tout cela ultérieurement. Pourquoi pas en faisant un tour dans le parc si vous avez du temps ? J’ai exposé au bord de la piscine des œuvres qui devraient également vous plaire.

–Avec grand plaisir, s’enthousiasma Gauthier qui revint au centre du salon. Le parc arrière est aussi très agréable, j’ai hâte de le découvrir avec Kelly. Ah, je voulais vous demander, à partir de quelle heure servez-vous le dîner ?

–Dès 19 h 30. Retrouvons-nous ici vers vingt heures si vous voulez, je vous conduirai à la salle à manger. Elle est toute proche mais quand on vient d’arriver au château il faut un peu de temps pour prendre ses repères. Tenez, prenez le plateau, la clé est dessus, ce sera plus pratique dans l’escalier. Ça va aller ?

–C’est parfait. Merci.

Gauthier prit congé se dirigea vers l’escalier dont il savait par avance qu’il n’allait pas lui rendre la tâche facile. Il sourit tout seul à la façon qu’avait la châtelaine de nommer Kelly « sa dame ».

Après une lente et laborieuse montée, Gauthier se présenta devant la porte de leur chambre. L’étage était silencieux et il était à peu près certain de retrouver Kelly endormie sur le lit dans la position dans laquelle il l’avait abandonnée quelques minutes plus tôt. C’était une femme mais aussi une vraie marmotte.

Il appuya doucement sur la poignée et entra sans faire de bruit en prenant garde de ne pas renverser le plateau à quelques mètres de l’arrivée. Pendant une fraction de seconde, Gauthier se demanda s’il ne s’était pas trompé de chambre.

Les doubles rideaux de la fenêtre avaient été tirés et la chambre était plongée dans une mystérieuse pénombre animée par les flammes vacillantes de dizaines de bougies. Il y en avait partout, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Certaines étaient posées à même le sol, d’autres vers le fond, sur le marbre du petit secrétaire et une autre, plus large se dressait sur l’unique table de chevet près du lit. La scène était surréaliste.

Kelly était nue, assise sur ses talons, immobile dans l’alcôve de tissus du ciel-de-lit dont les rideaux avaient été lâchés. Un foulard noir lui bandait les yeux et ses mains agrippaient au-dessus d’elle des cordes qui maintenaient ses bras levés.

Gauthier restait figé et sans voix. Il réalisa soudain que la porte de la chambre était restée grande ouverte derrière lui. Il posa le petit plateau sur le lit, prit la clé, et alla fermer à double tour avant de revenir vers Kelly.

–Qui êtes-vous charmante enfant ? demanda-t-il d’une voix sans émotion.

–Je suis votre captive Monsieur le Commandeur. On m’a attachée ici parce que je ne voulais pas rester dans votre chambre.

–Tiens donc, aurais-tu peur demoi ?

Kelly opina duchef.

Gauthier ôta sa veste et la plia sans bruit sur le dossier d’une chaise. Il s’approcha du lit sans quitter des yeux cette femme nue qui se donnait à lui avec tellement de sensualité et de fantaisie. Il s’assit près d’elle, une jambe repliée sous lui, puis rapprocha le petit plateau en argent en le faisant glisser sans à coup sûr la couverture.

Il observait en silence chaque détail du corps nu de Kelly. Ses côtes légèrement saillantes, les muscles de ses cuisses entrouvertes, son pubis blond à peine visible sur sa peau claire. Rien n’échappait à son regard. Kelly avait la tête baissée dans une attitude coupable, et ses bras tendus au-dessus d’elle remontaient ses seins ronds légèrement écartés. Elle ne disait rien, mais elle avait un peu froid. De très légers frissons parcouraient parfois sa peau et il n’échappa pas à Gauthier que ses tétons bruns s’étaient durcis. Kelly savait que son amant se retenait et prenait son temps pour l’observer à loisir et la faire languir par la même occasion.

–Tu as froid ? demanda Gauthier. Veux-tu un peu de thé pour te réchauffer ?

–Avec plaisir, Monsieur le Commandeur.

Gauthier versa un peu de thé fumant dans la tasse et se rapprocha de Kelly.

–Ouvre la bouche, lui intima-t-il d’un ton ferme et bienveillant.

Elle s’exécuta. Il trempa son pouce dans le breuvage et le glissa dans la bouche entrouverte. Une fois l’effet de surprise passé, Kelly suça et lécha avec application le doigt qui lui était offert. Gauthier l’abreuva ainsi de son pouce à plusieurs reprises.

–Ça te fait plaisir ? demanda-t-il dans un souffle presque inaudible.

–Oui Monsieur le Commandeur.

–C’est bien. Je vais t’en donner un peu plus alors.

Gauthier approcha la tasse contre les lèvres entrouvertes de Kelly et la fit boire doucement par petites gorgées.

–As-tu toujours peur demoi ?

–Non Monsieur le Commandeur.

N’y tenant plus, Gauthier écarta la tasse et le plateau. Il se déshabilla à côté du lit et jeta maladroitement ses vêtements et sous-vêtements sur la chaise. Il monta en silence sur le lit, enfonça ses poings dans le matelas et s’agenouilla nu face à Kelly. Il la surprit en l’embrassant passionnément et acheva son long baiser d’un coup de langue appliqué sur ses lèvres.

–La prochaine fois, annonça-t-il, je prendrai moi aussi du thé. Il est délicieux, à moins que ce soit ta bouche qui le rende si savoureux.

–Peut-être que Monsieur le Commandeur désirerait le boire de ma propre bouche pour s’en assurer ?

–Voilà une proposition très généreuse… et alléchante. Je saurais m’en souvenir.

Gauthier se pencha un peu plus vers Kelly pour baiser tendrement sa poitrine. Sa bouche s’empara rapidement d’un téton puis de l’autre, et très vite les caresses de sa langue devinrent morsures et les gémissements de Kelly se transformèrent en de petits cris de plaisir teinté de douleur. Ses mains et ses doigts vinrent en renfort afin de ne laisser à la suppliciée aucun répit. Gauthier pinça une dernière fois chaque téton et arracha à Kelly ses derniers geignements. Il se détacha d’elle pour contempler sa poitrine luisante de sa salive et nota avec satisfaction son excitation. Soudain, il la surprit en giflant sèchement son sein droit puis immédiatement le gauche avec son autremain.

–T’ai-je dit que je n’appréciais pas l’impolitesse ? murmura Gauthier à l’oreille de sa captive.

–Qu’ai-je fait pour vous déplaire Monsieur le Commandeur ? répondit Kelly avec une inquiétude à peine feinte dans lavoix.

–Tu as simplement oublié de me remercier pour t’avoir apporté tonthé.

–Oh ! Merci Monsieur le Commandeur, pardon Monsieur le Commandeur, je ne recommencerai pas... Vous allez me punir ?

Kelly n’avait pas fini sa phrase que Gauthier prit la grosse bougie blanche qui brûlait près de lui. Dès qu’il l’éteignit d’un souffle, une agréable fumée odorante enveloppa les deux amants avant de disparaître au-dessus d’eux.

–Que sens-tu?

–La fumée d’une bougie qui s’éteint, Monsieur le Comman…

Kelly n’eût pas le temps de finir sa phrase que Gauthier éclaboussa son ventre et sa poitrine d’une giclée de cire chaude. La jeune femme émit un cri sonore qui se mua aussitôt en une plainte entre douleur et plaisir.

–Chut…, murmura Gauthier. Tu ne recommenceras plus n’est-cepas ?

–Non… Monsieur le Commandeur, je ferai attention, je vous le promets.

–À ton service. Maintenant redresse-toi et mets-toi à genoux contre lemur.

Gauthier se débarrassa de la bougie pendant que Kelly se retournait avec docilité. Pris d’un désir fou, il se plaça à genoux derrière elle et lui enserra fermement les hanches avant de plaquer brutalement son sexe contre elle. Kelly gémit aussitôt au contact de la virilité de son amant et faillit hurler quand il planta ses doigts dans ses hanches. Gauthier se sentait perdre tout contrôle de lui-même. Au moment où son bassin commençait à entamer des mouvements erratiques et désordonnés, il tira violemment Kelly vers lui et l’obligea à se mettre à quatre pattes. Les cordes qui la retenaient encore se détachèrent du ciel-de-lit et glissèrent sur ce corps dont Gauthier ne cessait de caresser et pétrir chaque parcelle. N’y tenant plus, il agrippa son amante par les épaules et l’amena en arrière pour la débarrasser de ses derniers liens. Le répit pour Kelly fut de courte durée. Fou de désir, Gauthier tira un coin de drap qu’il introduisit à l’aveugle dans sa bouche avant de lui prendre fermement les poignets et de les tirer en arrière. Le visage de Kelly disparut dans l’oreiller qui étouffa son cri quand Gauthier la pénétra d’un seul et lent coup de rein. Il tira un peu plus ses bras vers lui pour la contraindre davantage et rendre impossible toute échappatoire. Il maintint ainsi son amante de longues secondes, son sexe enfoncé au plus profond du sien, les muscles tendus et les mains crispées sur ses poignets. Les gémissements continus de Kelly amplifiaient formidablement le désir de Gauthier, tout comme cette violence qu’il n’essayait plus de contenir. Quand il entama un lent va-et-vient, il crut qu’il allait aussitôt exploser. Il tenta de calmer son excitation, mais les soubresauts de jouissance de Kelly eurent raison de sa résistance et le menèrent jusqu’à son propre orgasme, d’une puissance qu’il n’avait jamais connue auparavant. Après lui, Kelly fut une nouvelle fois emportée par une vague de spasmes et ses cris assourdis ne cessèrent qu’après un ultime coup de butoir dans lequel Gauthier mit ses dernières forces.

Après de longues minutes de prostration couchés l’un sur l’autre, Gauthier se retira et chavira en arrière sur le matelas. La tête lui tournait délicieusement et son cœur battait violemment dans ses tempes.

Dès qu’il reprit un peu ses esprits, Gauthier se tourna vers Kelly. Elle s’était recroquevillée sur le côté et lui tournait le dos. Dans un ultime et silencieux corps à corps, il pivota sur lui-même et se blottit contre elle. Il dénoua le bandeau qu’elle portait encore, s’assura que sa bouche était libre et déposa quelques baisers sur des parcelles de sa peau halée. L’un d’eux la fit frissonner. Gauthier se redressa en équilibre sur un coude et agrippa un bout de drap qu’il tira sur leur nudité. À peine avait-il recouvert leurs corps vaincus, qu’il s’endormit, terrassé par une fatigue foudroyante et une dose excessive de bonheur.

***

Gauthier se réveilla nu et exposé à la fraîcheur du soir. Il se frotta les bras et les épaules pour se réchauffer un peu et finit par se redresser sur un coude. Kelly avait tiré le drap sur elle et rien ne semblait pouvoir la réveiller. La nuit était tombée et plus aucune lumière ne franchissait les épais rideaux de la fenêtre. L’obscurité ambiante donnait aux dernières bougies encore allumées une intensité mystique. Gauthier sortait avec peine de sa léthargie et jeta un coup d’œil à son bracelet-montre. Il était vingt heures dix ! La faim l’avait aussi réveillé et il se mit à espérer que la châtelaine ne leur tiendrait pas trop rigueur de leur retard.

Il se leva et partit dans la pénombre à la recherche de ses vêtements et se rhabilla en esquivant sur son passage plusieurs bougies. Il arrêta quelques secondes ses recherches pour regarder dormir Kelly et se retint de dégager une grande mèche blonde qui couvrait ses yeux. Il préféra lui sourire et remonter délicatement la couverture sur son épaule nue.

Gauthier fit un court passage par la salle de bain. Il se changea puis sortit de la chambre en faisant bien attention de ne pas réveiller son amante. Il enfila sa veste dans l’escalier et en profita pour consulter son téléphone dans sa poche intérieure. À sa grande surprise l’appareil était complètement éteint ; il le ralluma aussitôt et fut soulagé de voir son écran d’accueil quand il arriva dans le vestibule. Il s’agissait sans doute d’un petit dysfonctionnement qu’il réglerait dès son retour à Toulouse. Par contre il n’y avait effectivement aucun signal dans le château. Ni 4G, ni 5G ; ils étaient vraiment déconnectés du monde extérieur.

***

Gauthier retrouva Madame de Brassac assise à la place où il l’avait laissée à l’heure de son thé. Il entra dans le salon et fut soulagé quand la châtelaine délaissa la lecture de son magazine et l’accueillit avec le sourire.

–Je crois qu’il est un peu tard pour aller se promener dans le parc, plaisanta-t-elle.

–En effet. Ma… ma femme et moi étions morts de fatigue et nous nous nous sommes assoupis. J’ai d’ailleurs préféré la laisser dormir encore unpeu.

–Vous avez très bien fait. Vous verrez, on dort très bien ici, l’air y est très bon. Quand on a un travail aussi prenant et stressant que le vôtre, il faut saisir la moindre occasion pour se reposer et se détendre n’est-cepas ?

Gauthier ne releva pas mais s’étonna que la châtelaine connût son activité professionnelle. Kelly l’avait sans doute évoquée quand elle avait réservé leur week-end ; qui d’autre ?

–Nous avons eu un chien ici, reprit Rose de Brassac sur un ton attristé. Il a malheureusement disparu. Je pense qu’on nous l’a peut-être volé, vous pensez, un labrador gentil comme tout qui suivait tout le monde.

–Quand l’avez-vous perdu ? Il est peut-être encore possible de le retrouver ?

–Pensez donc mon cher Monsieur, c’était il y a plus d’un an. Mais assez bavardé, conclut-elle en sortant par la porte vitrée du salon. Je vous ai préparé une jolie petite table près de la cheminée pour vous et votre dame. Vous serez très bien. À propos, aimez-vous le confit de canard Monsieur Ferrals?

–Je dois dire que j’aime le canard un peu sous toutes ses formes. Par contre, j’ai malheureusement peur de devoir dîner seul ce soir. J’espère que cela ne contrarie pas trop votre cuisine ?

–Ne vous inquiétez pas pour ça Monsieur Ferrals, assura la châtelaine, que rien ne semblait pouvoir affecter. La table des amoureux attendra bien demain, ne vous tracassez pas. Alors voilà ce que je vous propose, que penseriez-vous de dîner à la table d’hôtes ? Ce sera un peu plus gai, vous ne croyezpas ?

–Eh bien écoutez… Ça me paraît être une excellente idée, approuva immédiatement Gauthier qui ne souhaitait pas perturber davantage l’organisation du dîner.

–À la bonne heure, voilà qui est résolu. Vous ai-je parlé de Monsieur Krauss, le locataire de la chambre bleue ?

–Euh, non, je ne croispas.

–Monsieur Krauss est en quelque sorte un habitué de « La Commanderie », commença-t-elle à expliquer avant de poursuivre un ton plus bas. C’est un historien médiéviste suisse. Je crois qu’il écrit un roman ou un essai, sur les Cathares, ou sur l’Inquisition, je ne sais pas trop. Vous verrez, il est passionnant et intarissable. Allez savoir pourquoi, c’est ici qu’il trouve la meilleure inspiration pour travailler. C’est un homme charmant. D’ailleurs il devrait déjà être rentré, s’inquiéta-t-elle en regardant l’heure à la pendule ancienne posée sur la commode. Il est d’une grande exactitude, un Suisse, conclut-elle avec malice.

Au même moment des bruits de serrure se firent entendre du côté de la porte d’entrée du château.

–Quand on parle du loup… se réjouit la châtelaine. Nous allons pouvoir passer à table. Attendez-moi ici Monsieur Ferrals, je vais accueillir Monsieur Krauss et vous le présenter.

Gauthier regarda Rose de Brassac aller à la rencontre de son visiteur et attendit docilement qu’elle revienne faire les présentations. Il vit tout d’abord une femme brune entrer dans le vestibule. Elle était suivie par un grand gaillard blond qui avait au moins deux têtes de plus qu’elle. Il avait le cheveu rare et frisotté et une barbe de trois jours peu soignée. Il ferma la porte derrièreeux.

–Maia ! s’exclama Madame de Brassac. Quelle bonne surprise ! Ah, et voilà ce cher Monsieur Krauss. Êtes-vous arrivés en même temps ?

–Tout à fait, répliqua l’homme sans laisser à la femme le temps de répondre. Nous nous sommes retrouvés sur le parking du Cottage.

–À la bonne heure. Mais ne restez pas dans l’entrée. Nous nous apprêtions à passer à table. Venez-vous mettre à l’aise.

L’homme éteignit une petite lampe torche qu’il glissa dans la poche de son duffle-coat et commença à se déboutonner en avançant dans le sillage des deux femmes. Il portait un pantalon de velours marron à grosses côtes et son col de chemise beige « pelle à tarte » passait par-dessus un pull débardeur vert à motifs jacquard. Gauthier pensa qu’il était la caricature type du professeur d’université. Son accent allemand aurait pu lui donner un supplément de charme si seulement son visage n’avait arboré en permanence un air ahuri, presque niaiseux.

Madame de Brassac allait présenter Maia à Gauthier quand derrière elles Krauss ouvrit la porte dérobée pour accéder à l’étage.

–J’en ai pour cinq minutes, lança-t-il avant de disparaître dans l’escalier.

–Dépêchez-vous Monsieur Krauss, interpella Madame de Brassac. Le dîner est prêt !

Les pas lourds du Suisse sur les vieilles marches en bois furent sa seule réponse. Ils résonnaient dans l’escalier et dans tout le château comme de véritables coups de butoir.

Rose de Brassac s’approcha alors de Gauthier en posant délicatement une main sur l’épaule de la femme brune à ses côtés.

–Monsieur Ferrals, puis-je vous présenter Maia, annonça la châtelaine toujours pleine d’usages. Maia est une amie d’enfance qui vit maintenant à Castelnaudary. Elle vient parfois me rendre visite à l’improviste, insista-t-elle avant de se tourner vers son amie. Monsieur Ferrals nous vient de Toulouse, il est venu accompagné de sa femme pour passer ce long week-end de Pentecôte à « La Commanderie ».

Maia répondit par un discret sourire et tendit à Gauthier une main fine qu’il s’empressa de saisir avec délicatesse. Il s’étonna du trouble que la présence et le contact de Maia fit soudain naître chez lui. Il percevait chez elle beaucoup de bonté, mais aussi une sorte de malaise impalpable qu’il expliqua comme une expression de sa timidité.

Maia avait un visage plutôt fin et son unique maquillage était un discret trait de khôl noir qui suffisait à souligner ses beaux yeux foncés. Gauthier avait été tout de suite fasciné par l’intensité de son regard noir et pénétrant et ne put s’empêcher de spéculer sur ses origines qu’il supposa espagnoles.

La châtelaine remarqua que son hôte toulousain ne se montrait pas insensible aux charmes latins de son amie d’enfance et écourta les présentations.

–Maia, tu restes dîner avec nous n’est-ce pas ?!

Le ton légèrement péremptoire de la châtelaine ne laissait que peu de choix à son amie qui prit enfin timidement la parole.

–Euh… oui, avec plaisir, si je ne dérangepas…

–Bien sûr que non ma chérie, tu es ici chez toi, mais n’oublies pas que tu es aussi chez moi, conclut la châtelaine avec un rire étudié. Bien, je vais mettre le feu sous la soupe. Entrez, entrez, venez-vous installer, espérons que cela fera rapidement revenir ce cher Monsieur Krauss.

Madame de Brassac passa devant Gauthier et Maia et les précéda pour ouvrir les deux battants de la porte de la salle à manger. Gauthier fut sidéré par l’immensité de la pièce qu’un grand lustre central avait bien du mal à éclairer.

–Installez-vous à la table d’hôtes, dit Rose de Brassac en s’éloignant vers la cuisine. Je vous rejoins dans un instant.

Plusieurs tables de deux étaient dressées à l’écart d’une grande table ronde placée opportunément au centre de la pièce, juste en face d’un feu de cheminée.

Il était manifeste que Maia était familière des lieux. Elle déboutonna son caban noir et trouva sans difficulté le porte-manteau perroquet caché derrière une haute armoire ancienne. Elle arrangea sa chevelure par-dessus son écharpe gris clair et tira délicatement son pull par-dessus son jean. Sans se préoccuper de Gauthier, elle se dirigea vers la chaleur de la cheminée. Le bruit des talons de ses chelsea boots sur la vieille tomette résonnèrent pendant quelques secondes avant que Gauthier se décidât à se rapprocher de la grande table. Une fois de plus, il était subjugué par la décoration qui l’entourait. Bien qu’austère, la salle à manger était somptueuse et plongeait ses visiteurs et ses convives hors du temps. La cheminée avait la particularité d’avoir son âtre en hauteur, pris dans l’épaisseur du mur. De belles flammes montaient de deux grosses bûches en chêne et faisaient scintiller les verres et l’argent des couverts. En face de la cheminée, l’immense mur de pierres était en partie recouvert par une monumentale tenture d’Aubusson. Elle faisait dans les quinze mètres carrés et évoquait dans des tons verts et bleus un paysage arboré peuplé d’oiseaux et d’animaux de la forêt.

Curieusement, l’immense salle ne disposait que d’une seule et haute fenêtre qui devait prodiguer en plein jour un éclairage plus qu’insuffisant. Gauthier voulut se rapprocher des fresques champêtres qu’il devinait sur le mur du fond, quand il entendit au loin des pas bruyants descendre de l’antique escalier enbois.

–Je crois que voilà Monsieur Krauss, ironisa Gauthier pour briser le silence gênant qui s’était installé entre lui etMaia.

L’amie de la châtelaine se retourna et acquiesça d’un timide sourire. Elle allait reprendre sa rêverie silencieuse devant les flammes, quand Madame de Brassac revint de la cuisine. Elle portait une lourde soupière d’où sortait le manche argenté d’une louche. Elle posa le tout avec fierté sur le dessous de plat de la table.

–J’ai pensé qu’une bonne garbure bien chaude nous ferait du bien. Voyez-vous Monsieur Ferrals, la température extérieure a beau remonter, il n’en reste pas moins vrai que les vieilles pierres gardent longtemps la froidure de l’hiver. Mais asseyez-vous je vous en prie. Maia, donne-moi ton assiette.

Gauthier et Maia s’installaient au moment où Krauss fit son entrée. Lui aussi semblait bien connaître les lieux et donnait l’impression d’être ici chez lui. Il se dirigea vers la table à pas de géant et passa derrière Gauthier sans lui prêter attention. Il ne s’était pas changé et avait seulement remis en bon ordre ses rares bouclettes blondes. Il saisit le dossier du fauteuil en face de Maia et s’assit sans autre cérémonie.

–Monsieur Krauss, interpella Rose de Brassac. Puis-je vous présenter Monsieur Ferrals ? Il est arrivé de Toulouse aujourd’hui avec sa dame. Comme elle se repose un peu, je lui ai proposé de se joindre à nous, je n’allais pas le laisser manger tout seul ?

–Vous avez très bien fait, répondit Krauss en tendant son assiette à soupe en direction de la soupière fumante.

Les deux hommes se saluèrent d’un sourire poli et d’un discret hochement detête.

–Monsieur Ferrals, reprit la châtelaine en train de servir son hôte suisse. Nous garderons une place pour Madame Ferrals entre vous et Monsieur Krauss. Cela vous convient-il ?

–C’est parfait, mais surtout ne dérangez pas vos habitudes pour nous, s’empressa d’ajouter Gauthier.

–Aucunement Monsieur Ferrals, aucunement, soyez rassuré. Et je vous en prie, n’hésitez pas à vous resservir, je dois m’absenter pour m’occuper de la suite.

La châtelaine n’avait pas encore passé la porte de la cuisine que Krauss avait déjà fini son assiette et tirait la soupière vers lui des deux mains. Gauthier remarqua que le Suisse portait à l’annulaire droit une curieuse et imposante chevalière en argent. Le plateau carré de la bague était gravé en creux d’une sorte de symbole noirci en forme de « T ». Se sentant observé, Krauss surprit le regard de Gauthier et escamota sa main droite en lui tendant la soupière.

–Vous voulez de la soupe ? demanda le Suisse tout dego.

–Avec plaisir, répondit Gauthier pour justifier son attention.

Krauss rapprocha la soupière vers son voisin et prit aussitôt sa cuillère à soupe qu’il plongea dans son assiette remplie à rasbord.

–Maia, peut-être pourrions-nous servir Madame de Brassac, suggéra Gauthier. Pourriez-vous me passer son assiette s’il vous plait ?

–Oui, biensûr.

La châtelaine revint de la cuisine chargée de la panière à pain et d’une bouteille de vin. Elle posa le tout au milieu de la table et remercia Maia et Gauthier de l’avoir servie.

–Vous ne devez pas manger ce genre de garbure à tous les repas Monsieur Ferrals. Vous m’en direz des nouvelles, c’est une vraie garbure béarnaise, lança-t-elle en s’installant dans son fauteuil. Figurez-vous Monsieur Ferrals que Monsieur Krauss ici présent est un historien et écrivain suisse de grand talent. Un spécialiste du Moyen-Âge ; vous me corrigez si je me trompe Monsieur Krauss.

–Absolument répondit le Suisse en déchirant des morceaux de pain qu’il jetait dans son fond de garbure.

–Quand je vous ai dit tout à l’heure que Maia était une amie d’enfance, reprit la châtelaine, nous passions toutes les deux nos vacances ici même, au château, et je peux vous assurer qu’elle en connait les moindres recoins. Je vous parle du château mais il y a aussi le parc et toutes les dépendances. Je vous laisse imaginer les parties de cache-cache que nous faisions ici. N’est-ce pas Maia ?!

Maia confirma les termes élogieux de son amie par un timide sourire d’approbation qu’elle adressa sans véritable conviction à Gauthier. Il fut de nouveau perturbé par cette sorte de malaise qui émanait de cette femme aux charmes mystérieux.