De l'amour - Charles Baudelaire - E-Book

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Charles Baudelaire.

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Beschreibung

La jeunesse de Baudelaire ne fut qu'un ténébreux orage, et les projets s'amoncelaient sur son cœur enfantin et dépravé: la décadence du Bas Empire l'enchantait et il ne rêvait que de graver, au khol ou au cinname, un manuel d'amour, plus impertinent encore que celui de Stendhal, et moins candide, moins bourgeois que celui de Balzac; l'amour sensuel du dix-huitième siècle s'était corrompu, la noblesse disparue, esprit, grâce et cynisme, en un amour d'autant plus morbide et équivoque qu'il se revêtait des haillons de la passion romantique: dès 1846, Baudelaire commença à publier au Corsaire-Satan la série de ces pages qui seraient devenues le livre désiré, si la vie, l'insupportable vie, lui avaient laissé la force et le courage de les poursuivre méthodiquement; mais, toutes les fois qu'à propos de tout, peinture, critique, musique, il pourra glisser quelques lignes sur les femmes, le luxe, la prostitution, il n'y manquera point, et ces digressions, dans l'œuvre baudelairienne, sont un des charmes les plus inattendus. Choix de Maximes consolantes sur l'amour, fragments tirés des Petits Poèmes en Prose, de L'Art Romantique, des Curiosités Esthétiques, des Lettres et des Œuvres posthumes, donneront le thème De l'amour, et, Les Fleurs du Mal y aidant puissamment, le rêveur et l'hystérique le reconstitueront à leur fantaisie, sous l'inspiration démoniaque de l'esprit de perversité.

Félix François Gautier


Charles Baudelaire est un poète français. Né à Paris le 9 avril 1821, il meurt dans la même ville le 31 août 1867.

« Dante d’une époque déchue » selon le mot de Barbey d’Aurevilly, « tourné vers le classicisme, nourri de romantisme », à la croisée entre le Parnasse et le symbolisme, chantre de la « modernité », il occupe une place considérable parmi les poètes français pour un recueil certes bref au regard de l’œuvre de son contemporain Victor Hugo (Baudelaire s’ouvrit à son éditeur de sa crainte que son volume ne ressemblât trop à une plaquette…), mais qu’il aura façonné sa vie durant : Les Fleurs du mal.

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The sky is the limit

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table des matières

LA VIE AMOUREUSE DE BAUDELAIRE

DE L'AMOUR

CHOIX DE MAXIMES CONSOLANTES SUR L'AMOUR

LA VIE AMOUREUSE DE BAUDELAIRE

...Il s'imposait à nos admirations passionnées de remettre, autant que possible, toutes choses au point, et de concilier ces contradictions évidentes, pour fixer de façon précise la vie amoureuse de Baudelaire, et ensuite conclure cet Évangile d'Amour dont il avait projeté d'être l'Apôtre, aux débuts de sa carrière littéraire, vers 1846.

Quelques correspondances amoureuses, publiées au hasard des trouvailles; ses théories sur la Femme et sur l'Amour, éparpillées à toutes les pages de son œuvre, reconstituées et groupées auto
ur de cet essai primitif: Choix de maximes consolantes sur l'Amour, afin de préjuger ce livre qu'il comptait écrire: Le Catéchisme de la Femme mariée; des souvenirs de ses contemporains, des échos glanés ça et là, et des anecdotes; surtout de piquantes lettres inédites; enfin, son Carnet Intime, ont permis d'esquisser un Baudelaire amoureux dans la seule intention—non de satisfaire de vaines curiosités, et ainsi de profaner une mémoire bien sympathique,—mais d'expliquer l'œuvre par l'homme, et de donner ainsi plus d'éclat et plus de couleurs aux Fleurs qu'il cueillit en gerbes parfumées aux jardins de ses amours: la vie amoureuse de Baudelaire s'est reflétée toute dans son œuvre. Baudelaire n'aima ses maîtresses que pour l'éternel désir de mieux contempler son âme dans leurs prunelles... lacs où son âme tremble et s'y voit à l'envers..., parce que c'est là le grand secret de la loi de l'Amour de chercher à se retrouver et à se survivre en autrui, par cette inconsciente peur de la Mort, divin témoignage de la Beauté de vivre.
...Une de ses premières amours (je passe l'inversion sentimentale, et sensuelle peut-être, qui fit renvoyer Baudelaire de Louis-le-Grand)—sans doute le premier, si l'on tient pour nulles, et il le faut, les initiations érotiques des rues chaudes—un de ses premiers amours, la maigre nudité d'une petite chanteuse des cours: une blanche fille..., aux cheveux roux, son jeune corps maladif plein de taches de rousseur, deux beaux seins radieux comme des yeux..., qu'il rencontre en flânant. Poète chétif, il lui dédie la primeur de ses vers, à cette pauvre gueuse de carrefour; il glorifie ses haillons et ses sabots et nous perpétue le souvenir de sa beauté. Un ami de Baudelaire, peintre d'un joli talent, de Roy, expose La Petite Guitariste au Salon.—Simplement, comme ils s'étaient rencontrés, simplement, ils se quittèrent, ces deux vagabonds d'idéal. Baudelaire conserva toujours le parfum de cette fleur de printemps. Quand il parlera avec tant d'émotion de cette humble péripatéticienne des rues de Londres qui par l'amour sauva de la faim et de la mort l'aventureux Thomas de Quincey, il reverra dans un coin de son âme sensible cette petite créature gracieuse de faiblesse et de sa gentille mendiante rousse. Et, quand le mangeur d'opium et l'amant du haschisch rôderont plus tard, les nuits pleines de lune, dans Oxford Street ou sur les boulevards extérieurs du Mont-Parnasse, les regards tournés vers leurs adolescences attristées, ils se diront: «Ah! Si j'avais les ailes de la tourterelle, c'est vers Elle que je m'envolerais pour chercher la consolation.» Toujours la douceur des premiers baisers laisse, pour les heures de doute et de sécheresse, une source délicieusement fraîche qui fait oublier la douleur et qui murmure, gaiement, de l'espérance.
Baudelaire ensuite promena sa fantaisie curieuse par les quartiers bohèmes, courut les guinguettes de Paris et de la banlieue, les bals et les jardins publics; il y connut les Demoiselles et les Dames aux doux regards, celles de la basse volée et celle de la haute; il fréquenta les Danaë de la place Saint-Georges et effeuilla des roses à la statue de Léda. Il tint même les boulevards, soupa à la Maison d'Or et chez Bonvalet, après les haltes à l'Alhambra et au Vauxhall. Ils étaient alors toute une bande d'excentriques qui effaraient les profanes par leurs cheveux hirsutes, leurs allures féroces et leurs accoutrements singuliers,—Baudelaire cependant, qui détestait la mauvaise tenue, accusait déjà quelque noble beauté dans son entente de s'habiller; son élégance faisait valoir son air très distingué.—Ils tenaient leurs assises aux moulins de Montsouris et des barrières de Plaisance ils descendaient en vainqueurs sur la capitale. Un grand gaillard à la peau rousse, à la tignasse fauve, Privat d'Anglemont, paraît avoir été le boute-en-train de la bande habituelle de Baudelaire; il invitait les amis à lui offrir le vin d'Anjou sous la tonnelle d'un vide-bouteilles du boulevard Mont-Parnasse; pour les remercier, il leur récitait ses fameux sonnets rocaille, et les faisait bénéficier de ses relations intimes dans les maisons closes qu'il honorait de son haut patronage: «Allez-y de ma part, leur disait-il, vous b*** à l'œil sur mon ardoise.» Les jours de grande liesse, quand il recevait des sommes, son plaisir était de recueillir toutes les miséreuses prostituées, toutes les filles abandonnées; il les attablait chez le rôtisseur jusqu'à ce que ses escarcelles fussent vides; et l'on s'aimait à la diable, sans plus de malice, alors que l'hypocrisie bourgeoise accroissait l'attentat aux mœurs de 34 0/0. Cette vie folle, dont il se dégoûta vite, la curiosité assouvie, Baudelaire la mena quelques années, jusqu'en 1842. Et c'est certainement dans ce dévergondage qu'il faut chercher les raisons qui décidèrent sa famille à l'embarquer sur un navire marchand en partance pour les Indes.
Dans ces milieux, Baudelaire expérimenta la bêtise et la naïveté des filles. Il importe de le noter aussitôt pour ne point prendre trop aux sérieux telles et telles opinions de Baudelaire sur les Femmes. Ainsi que beaucoup de gens de lettres et d'artistes, il inclina à juger les femmes par les petits salons du monde entretenu; et les nuits insensées des boudoirs vespasiens lui tissèrent un voile d'illusions qu'il aura bien du mal à défaufiler plus tard, quand la maturité et la réflexion, fortifiées par la misère et par la maladie, lui permettront de mieux comprendre la Femme et de ne point conclure sur les femmes en général ce qu'il convient de décider quant aux filles en particulier. C'est le point le plus intéressant à retenir de cette période enfiévrée où Baudelaire fit son apprentissage de la vie et de l'amour; et, si je devais décrire universitairement la course amoureuse de Baudelaire, je dirais que voici sa première manière d'aimer, instinctivement, brutalement même, en débauche et en curiosité libertine; et que les objets de cet amour juvénile vont leurrer ceux qui pensent trouver là la personnalité amoureuse de Baudelaire, car il eut le courage de reconnaître son erreur, sans toutefois la renoncer, ce qui était double bravoure de sa part. Je veux dire que cette Jeanne Duval, dont à raison on ne veut séparer le nom de celui de son poétique amant, ne fut point, exclusivement, ainsi qu'on l'affirme trop gratuitement, la maîtresse de Baudelaire; que même jamais il ne se donna à elle, s'il est vrai qu'en amour la communion des chairs, sans l'intime communion des âmes, ne soit qu'un mensonge pour endormir la douleur humaine. Jeanne Duval ne régna sur les sens et sur l'imagination de Baudelaire que par l'incantation de sa volupté pénétrante et le charme magique de son étrangeté. Par la force de l'habitude, elle fut la maîtresse de sa vie; pas un seul instant, en dépit que lui-même l'ait cru, elle n'occupa la moindre place dans son cœur. ELLE EST LA FLEUR DU MAL, OUI; L'AMOUR DE BAUDELAIRE, ASSURÉMENT, NON.
Il fit sa connaissance vers la vingtième année. Tarifée du trottoir, figurante de café chantant, valetaille exotique, impossible de le préciser. Baudelaire s'en éprit soudainement, au point de lui sacrifier une juive de la rue Saint-Antoine, Sarah-Louchette, encore une gueuse, pour laquelle il paraissait avoir quelque attachement.—Vingt ans, la gorge déjà basse, les seins tombés, elle est chauve et porte perruque; elle louche de son œil juif et cerné. Un soir d'hiver, la faim a relevé ses jupons en plein air; elle a vendu son âme pour avoir des souliers; elle a traîné les ruisseaux, et mordu le pain de l'hôpital. Elle s'essouffle au plaisir. Pour elle, et d'elle, tant d'amants sont défunts que, les nuits d'insomnie, ses yeux inquiets en voient défiler les fantômes.—Cette bohème-là, c'est son tout, sa richesse, sa perle, son bijou, sa reine, sa duchesse, celle qui l'a bercé dans son giron vainqueur, et qui, dans ses deux mains, a réchauffé son cœur.—D'abord, Jeanne fut cruelle et coquette; en attendant de baiser son noble corps, Baudelaire dut retourner à l'affreuse juive. Près de celle qu'il n'aime plus, il songe à celle dont son désir se prive; il se représente sa majesté native, son regard vigoureux et tout de grâce, le casque parfumé de ses cheveux; il n'aspire qu'à la ferveur de caresser ses pieds frais et ses tresses noires; surtout il voudrait obscurcir la splendeur de ses froides prunelles, par quelque larme, quelque soir. Sans doute, en prolongeant sa cour, la belle ténébreuse avait résolu dé mieux s'attacher le jeune homme; elle y réussit, en tous cas, puisque plus elle le fuyait, plus il l'aimait, plus il chérissait cette froideur par où elle lui plus belle; puisque dès lors leurs existences se confondirent si bien qu'au milieu des plus angoissantes préoccupations Baudelaire ne cessa d'assurer la vie de sa compagne d'amour, avant de penser à s'assurer la sienne.
La fille de Saint-Domingue n'empruntait pourtant sa beauté qu'à l'image poétique dont Baudelaire se plaisait à l'auréoler dans son triste cœur. Les familiers du quai de Béthune, qui n'en étaient pas amoureux, confessaient qu'elle n'avait ni talent, ni esprit, ni cœur, aucune beauté, et aucun charme (physiquement, cette drôlesse ne vaut même pas le ***, disait un intime), rien enfin qui justifiât la passion exclusive qui s'empara de Baudelaire à cette époque. Près de la cheminée, elle demeurait blottie dans un fauteuil bas et y restait silencieuse, cependant que les apprentis de lettres dissertaient des théories et jonglaient aux paradoxes. Baudelaire improvisant lui dictait tes vers qu'elle retenait, que peut-être elle recopiait. Il s'amusait parfois, en marge des manuscrits, à dessiner avec une allumette noircie ou une estompe, sa chevelure pelée, ses seins déliquescents et ses larges hanches qui roulaient sur des cuisses évasées, ses deux grands yeux noirs, insensibles, indifférents, deux bijoux froids où rien ne se révèle ni de doux ni d'amer. La passion des liqueurs fortes, la méchanceté sournoise des races de couleur, des infidélités quotidiennes en des crises d'hystérie bestiale, autant de raisons qui, loin de détourner Baudelaire d'une liaison fangeuse, fortifièrent son penchant pour la Vénus noire. Elle est l'ornement de ses nuits: il l'adore à l'égal de la voûte nocturne. Elle est le vase de tristesse où il boit l'absinthe douloureuse, devant l'impuissance de jamais atteindre les immensités bleues du Rêve. Ses yeux, illuminés ainsi que des boutiques d'incendies qui ne s'éteignent jamais, le brûlent jusqu'aux dernières moelles, d'une brûlure sans cesse avivée: elle est savante pour le mal, et, femme impure et mégère libertine, elle mettrait l'univers dans sa ruelle. Elle est la Reine des péchés. Pour l'ouragan de cette volupté, pour l'élixir de sa bouche goulue, insatiable... être le Styx pour l'embrasser neuf fois..., pour les deux grands yeux noirs de l'enfant des noirs minuits, il abandonne tout, il sacrifie tout, famille, avenir, amis, lui-même il s'enlise jouisseusement dans cette débauche, il s'y donne à pleines lèvres, pour peut-être le sadisme de remâcher son dégoût immense de cette sublime ignominie; même, il renoncerait à sa vocation d'écrire des proses légères et ailées, et de ciseler si finement des vers si vigoureux, si martelés; et, cependant, les admirateurs de Baudelaire ont voulu voir en Jeanne Duval la Muse qui servait à pétrir le Génie du maître; lui-même se l'avouait, elle était son inspiratrice.
L'inspiration de la mulâtresse existe bien, en effet, mais ce n'est qu'une inspiration indirecte, lointaine. Jeanne Duval lui était le miroir extérieur où se profilaient, en plus de beauté et plus de relief, tous les revenants de sa jeunesse. Il l'aimait de lui faire ressouvenir des pays parfumés que le soleil caresse, et de l'invraisemblable décor des tropiques brûlants, de Bénarès et du Gange... les idoles à trompe qu'on salue, les trônes constellés de joyaux lumineux, les palais ouvragés et féeriques, les costumes qui sont une ivresse pour les yeux, les jongleurs savants que le serpent caresse et les femmes qui se teignent les dents et les ongles, et puis, et puis encore... Tout l'attachement qu'il lui montra avec tant de fidélité n'était que la traduction de la reconnaissance pour ce quelle lui rendait vivante la vision de ces rivages heureux et des ces îles singulières qu'il avait chéries jusqu'à la possession, jusqu'à la défaillance. Par le seul fait de cette association d'idées, et par l'intensité de son désir imaginatif et créateur qui lui ressuscitait les contrées entrevues et lui éternisait ses jeunes impressions, il accentua une accoutumance de laquelle il ne put jamais se déprendre... Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, quand je mords tes tresses lourdes et noires, il me semble que je mange des souvenirs.
L'embrassant, il s'embrassait lui-même, et sa jeunesse. Il voulait respirer en elle tous les parfums de là-bas—BENJOIN, ENCENS, OLIBAN, MYRRHE—qui avaient grisé ses narines, et qu'il retrouvait endormis—MUSC ET HAVANE—dans sa chevelure moutonnante... Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage... Il l'aimait d'être si indolemment paresseuse; il revoyait les palmiers d'où pleut sur ses yeux la paresse; et son nonchaloir lui rappelait la langoureuse Asie et la brûlante Afrique. Elle était l'oasis où rêver, à l'abri des grandes sécheresse. Elle était la gourde où humer à longs traits le vin des souvenirs. Et son sein chaleureux, c'était le frémissement de l'éternelle chaleur des cieux en feu, sous l'ardeur monotone du soleil d'Orient. Il l'aimait pour ses yeux faits de minéraux charmants, où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique. Pour le miroitement de sa peau huileuse qui vacille comme les étoiles, il eût perdu l'humanité et trahi ses dieux. Le martyre n'aurait point été au-dessus de ses forces si, de ce prix, il eût dû payer les nuits de caresses et de morsures, les baisers diaboliques, infinis et pâmés. Il aimait Jeanne Duval, parce qu'elle lui était la représentation plastique des pays délicieux où son âme était restée captive à jamais. Jeanne Duval, c'était lui-même, en autrui, avec toutes les séductions de la femme, par suggestion, et toutes les illusions de la poésie et du souvenir.
Il aimait aussi dans Jeanne Duval une autre femme qu'il avait connue dans la traversée. La dame créole aux charmes ignorés, qui marchait, grande et svelte, comme une chasseresse sous les bois de palmiers, avait soumis son enthousiasme curieux. Et il gardait d'elle un souvenir durable; ses airs maniérés et nobles, son teint pâle et chaud, lui inspirèrent ses premiers vers, et elle lui fut la source des mille sonnets germèrent dans son cœur. Il eût voulu l'amener au vrai pays de gloire, sur les bords de la Seine or de la vaste Loire; il jugeait sa beauté digne d'orner les vieux manoirs de France.—Il aimait encore dans Jeanne une fille du Malabar qu'il avait hésité à amener avec lui en France. Elle a des yeux de velours plus noirs que sa chair; ses pieds sont aussi fins que ses mains et sa large hanche est charitable aux fatigues. Dès que le matin fait chanter les platanes, et tout le jour, doucement, sur une natte, son corps vêtu de mousselines frêles, jusqu'au soir d'écarlate, elle fredonne tout bas des airs inconnus, et ses rêves flottants sont pleins de colibris. Comme il se félicite, maintenant, de ne pas lui avoir imposé nos sales brouillards et d'avoir laissé l'heureuse enfant aux pays chauds et bleus où Dieu la fit naître; elle eût dû emprisonner ses flancs dans la brutalité d'un corset et glaner son souper dans nos fanges.—Il aimait enfin dans Jeanne Duval l'image de la belle Dorothée, une coquette des tropiques qui moulait sa taille longue et sa gorge pointue dans une robe collante de soie rose... le poids de son énorme chevelure presque bleue, l'ombrelle rouge fardant sa peau ténébreuse, sa jambe luisante et souple... et demandait aux officiers si les belles dames de Paris étaient toutes plus belles qu'elle. Elle s'avançait, harmonieusement, heureuse de vivre et souriant d'un blanc sourire, comme si elle apercevait au loin dans l'espace un miroir reflétant sa démarche et sa beauté. Et, souvent, Baudelaire s'évade de la liaison qui l'obsède; il revoit la case sacrée où cette fille très parée évente ses reins en écoutant pleurer les sanglots des bassins; il se caresse à sa peau délicate frottée d'huile odorante. Des fleurs se pâment dans un coin... Les images, les images toujours, la primitive, l'exclusive passion de Baudelaire.
...IL A PLUS DE SOUVENIRS QUE S'IL AVAIT MILLE ANS. Dans l'océan de la chevelure de la Bien-Aimée, il retrouve tout l'hémisphère de sa vie idéale, de cette existence monotone et langoureuse qu'il rêve toujours, toujours, plus la réalité lui est mauvaise. Le Spleen. L'Idéal. Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, il respire l'odeur de son sein chaleureux, son âme inquiète appareille pour les climats enchanteurs, et il songe à la douceur d'aller là-bas vivre ensemble, aimer, et mourir, au pays qui lui ressemble... Au bord de la mer, une belle case, en bois, enveloppée de tous ces arbres bizarres et luisants, dont j'ai oublié les noms... dans l'atmosphère, une odeur enivrante, indéfinissable... dans la case, un puissant parfum de rose et de musc... plus loin, derrière notre petit domaine, des bouts de mâts balancés par la houle.... Autour de nous, au delà de la chambre éclairée d'une lumière tamisée par les stores, décorée de nattes fraîches, et de fleurs capiteuses, avec de rares sièges d'un rococo portugais, d'un bois lourd et ténébreux, (où elle reposerait si calme, si bien éventée, fumant le tabac légèrement opiacé)... Au delà de la varangue, le tapage des oiseaux ivres de lumières, et le jacassement des petites négresses ... et la nuit, pour servir d'accompagnement à mes songes, le chant plaintif des arbres à musique, des mélancoliques filaos... Oui, en vérité, c'est bien là le décor que je cherchais... C'est là qu'il faudrait demeurer pour cultiver le rêve de ma vie. Et y posséder sa chère vie... LÀ, TOUT N'EST QU'ORDRE ET BEAUTÉ, LUXE, CALME ET VOLUPTÉ... Et, sur ce thème favori, Baudelaire brode les variations les plus vagabondes; il écrit L'Invitation au voyage, pour l'offrir à la femme aimée, à la sœur d'élection; il l'écrit sur des vers qui s'eurythment en beauté et en harmonie, comme là-bas dans le port les formes élancées des navires; il l'écrit en des proses parfumées aussi douces que le revenez-y de Sumatra, et légères. Jamais sa chaude fantaisie n'a de rêves plus tendrement mélancoliques, jamais ses musiques (musiques de Weber, lointaines, et apaisantes, un sommeil magnétique) ne se sont détachées en un murmure plus amoureux. Il trouve même à cette jouissance, désir et regret, tant de délices infinies qu'il aboutit à cette conclusion orientale: Pourquoi contraindre les corps à changer de place, puisque l'âme voyage si lestement?