De l'intelligence - Hippolyte Taine - E-Book

De l'intelligence E-Book

Hippolyte Taine

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Extrait : " Lorsque vous montez sur l'arc de triomphe de l'Étoile, et que vous regardez au-dessous de vous du côté des Champs-Élysées, vous apercevez une multitude de taches noires ou diversement colorées qui se remuent sur la chaussée et sur les trottoirs. Vos yeux ne distinguent rien de plus..."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARANLes éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : • Livres rares• Livres libertins• Livres d'Histoire• Poésies• Première guerre mondiale• Jeunesse• Policier

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L’ouvrage auquel on a le plus réfléchi doit être honoré par le nom de l’ami qu’on a le plus respecté. Je dédie ce livre à la mémoire de FRANZ WOEPKE, orientaliste et mathématicien, mort à Paris au mois de mars 1864.

H. TAINE.

Préface

Si je ne me trompe, on entend aujourd’hui par intelligence, ce qu’on entendait autrefois par entendement et intellect, à savoir la faculté de connaître ; du moins, j’ai pris le mot dans ce sens.

En tout cas, il s’agit ici de nos connaissances, et non d’autre chose. Les mots faculté, capacité, pouvoir, qui ont joué un si grand rôle en psychologie ne sont, comme on le verra, que des noms commodes au moyen desquels nous mettons ensemble, dans un compartiment distinct, tous les faits d’une espèce distincte ; ces noms désignent un caractère commun aux faits qu’on a logés sous la même étiquette ; ils ne désignent pas une essence mystérieuse et profonde, qui dure et se cache sous le flux des faits passagers. C’est pourquoi je n’ai traité que des connaissances, et, si je me suis occupé des facultés, c’est pour montrer qu’en soi et a titre d’entités distinctes, elles ne sont pas.

Une pareille précaution est fort utile. Par elle, la psychologie devient une science de faits ; car ce sont des faits que nos connaissances ; on peut parler avec précision et détails d’une sensation, d’une idée, d’un souvenir, d’une prévision, aussi bien que d’une vibration, d’un mouvement physique ; dans l’un comme dans l’autre cas, c’est un fait qui surgit ; on peut le reproduire, l’observer, le décrire ; il a ses précédents, ses accompagnements, ses suites. De tout petits faits bien choisis, importants, significatifs, amplement circonstanciés et minutieusement notés, voilà aujourd’hui la matière de toute science ; chacun d’eux est un spécimen instructif, une tête de ligne, un exemplaire saillant, un type net auquel se ramène toute une file de cas analogues ; notre grande affaire est de savoir quels sont ces éléments, comment ils naissent, en quelles façons et à quelles conditions ils se combinent, et quels sont les effets constants des combinaisons ainsi formées.

Telle est la méthode qu’on a tâché de suivre dans cet ouvrage. Dans la première partie, on a dégagé les éléments de la connaissance ; de réduction en réduction, on est arrivé aux plus simples, puis de là aux changements physiologiques qui sont la condition de leur naissance. Dans la seconde partie, on a d’abord décrit le mécanisme et l’effet général de leur assemblage, puis, appliquant la loi trouvée, on a examiné les éléments, la formation, la certitude et la portée de nos principales sortes de connaissances, depuis celle des choses individuelles jusqu’à celle des choses générales, depuis les perceptions, prévisions et souvenirs les plus particuliers jusqu’aux jugements et axiomes les plus universels.

Dans cette recherche, la conscience qui est notre principal instrument ne suffit pas à l’état ordinaire ; elle ne suffit pas plus dans les recherches de psychologie que l’œil nu dans les recherches d’optique. Car sa portée n’est pas grande ; ses illusions sont nombreuses et invincibles ; il faut toujours se défier d’elle, contrôler et corriger ses témoignages, presque partout l’aider, lui présenter les objets sous un éclairage plus vif, les grossir, fabriquer à son usage une sorte de microscope ou de télescope, à tout le moins disposer les alentours de l’objet, lui donner par des oppositions le relief indispensable, ou trouver à côté de lui des indices de sa présence, indices plus visibles que lui et qui témoignent indirectement de ce qu’il est.

En cela consiste la principale difficulté de l’analyse. – Pour ce qui est des pures idées et de leur rapport avec les noms, le principal secours a été fourni par les noms de nombre, et, en général, par les notations de l’arithmétique et de l’algèbre ; on a pu ainsi retrouver une grande vérité devinée par Condillac, et qui depuis cent ans demeurait abattue, ensevelie et comme morte, faute de preuves suffisantes. – Pour ce qui est des images, de leur effacement, de leur renaissance, de leurs réducteurs antagonistes, le grossissement requis s’est rencontré dans les cas singuliers et extrêmes observés par les physiologistes et par les médecins, dans les rêves, dans le somnambulisme et l’hypnotisme, dans les illusions et les hallucinations maladives. – Pour ce qui est des sensations, les spécimens significatifs ont été donnés par les sensations de la vue et surtout par celles de l’ouïe ; grâce à ces documents, et grâce aux récentes découvertes des physiciens et des physiologistes, on a pu construire ou esquisser toute la théorie des sensations élémentaires, avancer au-delà des bornes ordinaires jusqu’aux limites du monde moral, indiquer les fonctions des principales parties de l’encéphale, concevoir la liaison des changements moléculaires nerveux et de la pensée. – D’autres cas anormaux, empruntés également aux aliénistes et aux physiologistes, ont permis d’expliquer le procédé général d’illusion et de rectification dont les stades successifs constituent nos diverses sortes de connaissances. – Cela fait, pour comprendre la connaissance que nous avons des corps et de nous-mêmes, on a trouvé des indications précieuses dans les analyses profondes et serrées de Bain, Herbert Spenser et Stuart Mill, dans les illusions des amputés, dans toutes les illusions des sens, dans l’éducation de l’œil chez les aveugles nés auxquels une opération rend la vue, dans les altérations singulières auxquelles, pendant le sommeil, l’hypnotisme et la folie, est sujette l’idée du moi. – On a pu alors entrer dans l’examen des idées et des propositions générales qui composent les sciences proprement dites, profiter des fines et exactes recherches de Stuart Mill sur l’induction, établir contre Kant et Stuart Mill une théorie nouvelle des propositions nécessaires, étudier sur une série d’exemples ce qu’on nomme la raison explicative d’une loi, et aboutir à des vues d’ensemble sur la science et la nature, en s’arrêtant devant le problème métaphysique qui est le premier et le dernier de tous.

La psychologie est à chaque département de l’histoire humaine ce que la physiologie générale est à la physiologie particulière de chaque espèce ou classe animale. On admet maintenant que les lois qui régissent la formation, la nutrition, la locomotion chez l’oiseau ou le reptile ne sont qu’un cas et une application des lois plus générales qui régissent la formation, la nutrition, la locomotion de tout animal. Pareillement on commence à admettre que les lois qui régissent le développement des conceptions religieuses, des créations littéraires, des découvertes scientifiques dans un siècle et dans une nation ne sont qu’une application et un cas des lois qui régissent ce même développement à tout instant et chez tout homme. En d’autres termes, l’historien étudie la psychologie appliquée, et le psychologue étudie l’histoire générale. Le premier note et suit les transformations d’ensemble que présente telle molécule humaine ou tel groupe particulier de molécules humaines ; et, pour expliquer ces transformations, il écrit la psychologie de la molécule ou du groupe ; Carlyle a fait celle de Cromwell ; Sainte-Beuve celle de Port-Royal ; Stendhal a recommencé à vingt reprises celle de l’Italien ; M. Renan nous a donné celle du Sémite. Tout historien perspicace et philosophe travaille à celle d’une époque, d’un peuple ou d’une race ; les recherches des linguistes, des mythologues, des ethnographes n’ont pas d’autre but ; il s’agit toujours de décrire une âme humaine ou les traits communs à un groupe naturel d’âmes humaines ; et, ce que les historiens font sur le passé, les grands romanciers et dramatistes le font sur le présent. J’ai contribué pendant quinze ans à ces psychologies particulières ; j’aborde aujourd’hui la psychologie générale. Pour l’embrasser tout entière, il faudrait à la théorie de l’intelligence ajouter une théorie de la volonté ; si je juge de l’œuvre que je n’ose entreprendre par l’œuvre que j’ai essayé d’accomplir, mes forces sont trop petites ; tout ce que je me hasarde à souhaiter, c’est que le lecteur accorde à celle-ci son indulgence, en considérant la difficulté du travail et la longueur de l’effort.

H. TAINE.

Décembre 1869.

PREMIÈRE PARTIELES ÉLÉMENTS DE LA CONNAISSANCE
LIVRE PREMIERLes signes
CHAPITRE PREMIERDes signes en général et de la substitution

SOMMAIRE.I. Divers exemples de signes. – Un signe est une expérience présente qui nous suggère l’idée d’une expérience possible.II. Les noms sont une espèce de signes. – Exemples. – Noms d’individus. – Un nom d’individu est une sensation ou image des yeux ou des oreilles, qui évoque en nous un groupe d’images plus ou moins expresses.III. Très fréquemment ce groupe n’est pas évoqué. – Exemples. – En ce cas le nom devient le substitut du groupe.IV. Autres exemples de la substitution. – En arithmétique. – En algèbre. – Nature et importance de la substitution.

I. Lorsque vous montez sur l’arc de triomphe de l’Étoile, et que vous regardez au-dessous de vous du côté des Champs-Élysées, vous apercevez une multitude de taches noires ou diversement colorées qui se remuent sur la chaussée et sur les trottoirs. Vos yeux ne distinguent rien de plus. Mais vous savez que sous chacun de ces points sombres ou bigarrés il y a un corps vivant, des membres actifs, une savante économie d’organes, une tête pensante, conduite par quelque projet ou désir intérieur, bref une personne humaine. La présence des taches a indiqué la présence des personnes. La première a été le signe de la seconde.

Des associations de ce genre se rencontrent à chaque instant. – On lève la nuit les yeux vers le ciel étoilé, et l’on se dit que chacune de ces pointes brillantes est une masse monstrueuse semblable à notre soleil. – On marche dans les champs vers le soir en automne, on remarque des fumées bleues qui montent tranquillement dans les lointains, et à l’instant on imagine sous chacune d’elles le feu lent que les paysans ont allumé pour brûler les herbes, sèches. – On ouvre un cahier de musique, et, pendant que le regard suit les ronds blancs ou noirs dont la portée est semée, l’ouïe écoute intérieurement le chant dont ils sont la marque. – Un cri aigu d’un certain timbre part d’une chambre voisine, et l’on se figure un visage d’enfant qui pleure parce que sans doute il s’est fait mal. – La plupart de nos jugements ordinaires se composent de liaisons semblables. Quand nous buvons ou que nous marchons ou que nous nous servons pour quelque effet de quelqu’un de nos membres, nous prévoyons, d’après un fait perçu, un fait que nous ne percevons pas encore ; les animaux font de même ; à la couleur et à l’odeur d’un objet, ils le mangent ou le laissent. – Dans tous ces cas une expérience présente suggère l’idée d’une autre expérience possible ; ayant fait la première, nous imaginons la seconde ; l’aperception d’un évènement, objet ou caractère éveille la conception d’un autre évènement, objet ou caractère. En touchant le premier anneau du couple, nous nous figurons le deuxième, et le premier est le signe du second.

 

II. Dans cette grande famille des signes, il est une espèce dont les propriétés sont remarquables ; ce sont les noms.

Considérons d’abord les noms propres, qui sont plus aisés à étudier parce qu’ils désignent une chose particulière et précise, par exemple les noms de Tuileries, Lord Palmerston, Luxembourg, Notre-Dame, etc. Évidemment ils appartiennent à la famille qu’on vient de décrire, et chacun d’eux est le premier terme sensible, apparent d’un couple. Lorsque j’entends prononcer ce mot, Lord Palmerston, ou que je lis les quatorze lettres qui le composent, il se forme en moi une image, celle du grand corps sec et solide, vêtu de noir, au sourire flegmatique, que j’ai vu au Parlement. De même lorsque je lis ou j’entends ce mot Tuileries, j’imagine plus ou moins vaguement, en formes plus ou moins tronquées, un terrain plat, des parterres encadrés de grilles, des statues blanches, des têtes rondes de marronniers, la courbe et le panache d’un jet d’eau et le reste. Telle courte et petite sensation entrée par les yeux ou l’oreille a la propriété d’éveiller en nous telle image, ou série d’images, plus ou moins expresse, et la liaison entre le premier et le second terme de ce couple est si précise qu’en cent millions de cas et pour deux millions d’hommes le premier terme amène toujours le, second.

 

III. Maintenant supposons qu’au lieu de m’appesantir sur ce mot Tuileries et d’évoquer les diverses images qui lui sont attachées, je lise rapidement la phrase que voici : « Il y a beaucoup de jardins publics à Paris, des petits et des grands, les uns étroits comme un salon, les autres larges comme un bois, le Jardin des Plantes, le Luxembourg, le bois de Boulogne, les Tuileries, les Champs-Élysées, les squares, sans compter les nouveaux parcs qu’on arrange, tous fort propres et bien soignés. » Je le demande au lecteur ordinaire qui vient de lire cette énumération avec la vitesse ordinaire : quand ses yeux couraient sur le mot Tuileries, a-t-il aperçu intérieurement comme tout à l’heure quelque fragment d’image, un pan de ciel bleu entre une colonnade d’arbres, un geste de statue, un vague lointain d’allée, un miroitement d’eau dans un bassin ? – Non certes, ses yeux couraient trop vite ; il y a une différence notable entre l’opération précédente et l’opération présente. Dans la première, le signe éveillait des simulacres plus ou moins décolorés de la sensation, des résurrections plus ou moins affaiblies de l’expérience ; dans la seconde, le signe ne les éveillait pas. Dans l’une, les deux anneaux du couple apparaissent ; dans l’autre, le premier anneau seul apparaît. Entre les deux opérations sont une infinité d’états intermédiaires qui occupent tout l’intervalle ; ces états relient la demi-vision intense à la notation sèche, par une série de dégradations, d’effacements, de déperditions, qui peu à peu ne laissent subsister de l’image complète et puissante qu’un simple mot.

Ce mot ainsi réduit n’est point cependant un signe mort, qu’on ne comprend plus ; il est comme une souche dépouillée de tout son feuillage et de toutes ses branches, mais apte à les reproduire ; nous l’entendons au passage, et si prompt que soit ce passage ; il n’entre point en nous comme un inconnu, il ne nous choque pas comme un intrus ; dans sa longue association avec l’expérience de l’objet et avec l’image de l’objet, il a contracté des affinités et des répugnances ; il nous traverse avec ce cortège de répugnances et d’affinités ; pour peu que nous l’arrêtions, l’image qui lui correspond commence à se reformer ; elle l’accompagne à l’état naissant ; même sans qu’elle se reforme, il agit comme elle. Lisez cette phrase : « Londres, la capitale de l’Angleterre, renferme plusieurs beaux jardins, Hyde-Park, Regent’s-Park et les Tuileries. » – Vous éprouvez une sorte de heurt et d’étonnement ; vous portez involontairement la main de deux côtés, vers Paris et bien loin vers une autre ville. L’image des Tuileries se réveille, celle de la Seine et de ses quais tout à côté, et vous vous sentez arrêté quand vous voulez transporter la première ailleurs. Mais avant qu’elle apparût, vous aviez éprouvé dans le mot lui-même une résistance. Cette résistance n’a fait que se répéter plus forte quand l’image a reparu. – Prolongez et variez l’épreuve : vous trouverez dans le mot un système de tendances toutes correspondantes à celles de l’image, toutes acquises par lui dans son commerce avec l’expérience et l’image, mais à présent spontanées, et qui opèrent, tantôt pour le rapprocher, tantôt pour l’écarter des autres mots ou groupes de mots, images ou groupes d’images, expériences ou groupes d’expériences. – De cette façon, le nom tout seul peut tenir lieu de l’image qu’il éveillait, et, par suite, de l’expérience qu’il rappelait ; il fait leur office, il est leur substitut.

 

IV. Dans ce cas, comme dans celui de tous les noms propres ordinaires, l’effacement de l’image qui fait le second membre du couple est graduel et involontaire. Cherchons un autre cas ou la suppression soit subite et voulue ; le lecteur y verra l’opération plus nette et plus à nu.

J’ai un jardin enclos de haies, et on me vole mes fruits ; je me décide à l’entourer d’un mur, je prends ce que je trouve d’ouvriers dans le village, quatre par exemple, et je vois au bout d’un jour qu’ils m’ont fait ensemble douze mètres de mur. L’ouvrage va trop lentement, j’envoie chercher six autres ouvriers au village voisin, et je me demande de combien de mètres chaque nouvelle journée augmentera mon mur. Pour cela, je cesse de me figurer les ouvriers avec leur blouse et leur truelle, le mur avec ses pierres et son mortier. Je remplace mes premiers ouvriers par le chiffre quatre, leur premier travail par le chiffre douze, tous mes ouvriers ensemble par le chiffre dix, l’ouvrage inconnu qu’ils me feront par le signe X, et j’écris la proportion suivante :

À partir d’aujourd’hui, sauf accident ou ivrognerie, si les nouveaux ouvriers, travaillent comme les anciens, si tous ensemble travaillent comme les premiers ont travaillé d’abord, mes dix ouvriers feront chaque jour trente mètres de mon mur. – Rien de plus commun qu’une pareille opération ; tous les calculs pratiques se font de même. On substitue aux objets réels qu’on imaginait d’abord, des chiffres qui les remplacent partiellement ; ils les remplacent au seul point de vue qu’on avait besoin de considérer en eux, je veux dire au point de vue du nombre. Cela fait, on oublie les objets représentés ; ils reculent sur l’arrière-plan ; on ne considère plus que les chiffres, on les assemble, on les compare, on les transpose, on travaille sur eux à titre d’équivalents plus commodes, et le chiffre final auquel on arrive indique l’objet ou groupe d’objets auquel on veut arriver.

La substitution va plus loin, et les chiffres substituts des choses reçoivent eux-mêmes des substituts qui sont des lettres. Après avoir fait plusieurs opérations comme la précédente, je puis remarquer que, dans tous les cas semblables, la proportion s’écrit de la même façon, que toujours le premier chiffre remplace les premiers ouvriers, que toujours le second remplace leur ouvrage, que toujours le troisième remplace tous les ouvriers pris ensemble, que toujours le quatrième remplace l’ouvrage inconnu. Cette remarque me fait passer de l’arithmétique à l’algèbre. Dorénavant je remplace le premier chiffre par A, le second par B, le troisième par C, et j’écris la proportion suivante :

Et je vois que dans tout cas semblable, pour savoir l’ouvrage total, il me suffira de multiplier le nombre des ouvriers réunis par le chiffre de l’ouvrage des premiers, puis de diviser le produit par le nombre de ces premiers.

Au lieu de ce cas si réduit, considérez le travail d’un algébriste qui écrit des équations sur un tableau pendant une heure. Il opère à côté des chiffres, et, par contrecoup, sur les chiffres, comme un arithméticien opère à côté des choses, et, par contrecoup, sur les choses. Il efface en lui les chiffres, comme l’autre efface en lui les choses. Tous deux alignent et combinent des séries de signes, et ces signes sont des substituts. – À la vérité, ils ne sont point, comme les noms propres, substitués à l’objet total qu’ils désignent, mais seulement à une portion ou à un point de vue de cet objet. La lettre algébrique ne remplace pas le chiffre arithmétique tout entier avec sa quantité précise, mais seulement sa fonction et son rôle dans l’équation où il doit entrer, Le chiffre arithmétique ne remplace point la chose entière avec toutes ses qualités et caractères, mais seulement sa quantité et son nombre. L’une et l’autre remplacent seulement quelque chose de l’objet imaginé, c’est-à-dire un fragment, un extrait ; le chiffre, un extrait plus complexe ; la lettre, un extrait moins complexe, c’est-à-dire un extrait du premier extrait. Mais la substitution, quoique partielle, n’est pas moins visible. Deux sciences complètes, infiniment fécondes, reposent sur elle, et ne sont efficaces que par là. – Que le lecteur me pardonne de l’avoir arrêté sur des remarques si simples. Des couples, tels que le premier terme fasse apparaître aussitôt le second, et l’aptitude de ce premier terme à remplacer l’autre, en tout ou en partie, de façon à acquérir, soit une province définie de ses propriétés, soit toutes ses propriétés réunies, voilà, selon moi, l’origine des opérations supérieures qui composent l’intelligence humaine ; on en va voir le détail.

CHAPITRE IIDes idées générales et de la substitution simple

SOMMAIRE.I. Noms propres et noms communs. – Importance des noms communs ou généraux. – Ils sont le premier terme d’un couple. – Le second terme de ce couple est un caractère général et abstrait.II. Conséquences. – L’expérience de ce second terme est impossible. – Raisons de cette impossibilité. – Divers exemples. – Différence entre l’image vague suscitée par le nom et le caractère précis désigné par le nom. – Différence de l’image sensible et de l’idée pure.III. Formation actuelle d’une idée générale. – Ce qui se dégage en nous, après que nous avons vu une série d’objets semblables, c’est une tendance finale dont l’effet est une métaphore, un son ou un geste expressif. – Exemples contemporains. – Exemples anciens. – Nos noms généraux sont des résidus de sons expressifs. – Il n’y a en nous, quand nous pensons une qualité générale, qu’une tendance à nommer et un nom. – Ce nom est le substitut d’une expérience impossible.IV. Une idée générale n’est qu’un nom pourvu de deux caractères. – Premier caractère, la propriété d’être évoqué par la perception de tout individu de la classe. – Second caractère, la propriété d’évoquer en nous les images des individus de cette classe et de cette classe seulement. – Par ces deux propriétés, le nom général correspond exclusivement à la qualité générale et devient son représentant mental. – Utilité de cette substitution.V. Formation des noms généraux chez les petits enfants. – La faculté du langage a pour fondement les tendances consécutives qui survivent à l’expérience d’individus semblables et qui correspondent à ce qu’il y a de commun entre ces individus. – Exemples de ces tendances chez les enfants. – Sens particuliers qu’ils donnent aux noms que nous leur enseignons. – Originalité et variété de leur invention. – Leurs tendances à nommer finissent par coïncider avec les nôtres. – Acquisition du langage. – Différence de l’intelligence humaine et de l’intelligence animale.VI. Passage des noms abstraits aux noms collectifs. – Le nom qui désignait une qualité générale désigne un groupe de qualités générales. – Exemples. – Le nom devient alors le substitut de plusieurs autres noms et le représentant mental d’un groupe de qualités générales. – Ce sont ces substituts que nous appelons idées.

I. La famille des noms, comme on sait, se divise en deux branches, celle des noms propres et celle des noms communs, et on les distingue très justement en disant que les premiers, comme César, Tuileries, Cromwell, ne conviennent qu’à un seul objet, tandis que les seconds, comme arbre, triangle, couleur, conviennent à un groupe indéfini d’objets. Ceux-ci sont les plus nombreux et les plus usités dans toute mémoire humaine ; il y en a trente ou quarante mille dans une langue et ils forment à eux seuls tout le dictionnaire. En outre, ils sont les plus importants ; c’est par leur moyen que nous faisons des classifications, des jugements, des raisonnements, bref, que nous passons de l’expérience brute et décousue à la science ordonnée et complète. Considérons-les avec attention. Ce serait atteindre une vérité capitale, infinie en conséquences, que trouver, non pas en grammairiens et en logiciens, mais en psychologues, leur vraie nature et leur office précis.

Comme tous les signes, et en particulier comme tous les noms, ils sont le premier terme d’un couple et tirent derrière eux un second terme. Mais ce second a des caractères fort singuliers qui le séparent de tous les autres et prêtent au nom des qualités propres. Les logiciens et les grammairiens disent très bien qu’un nom commun, comme arbre ou polygone, est un nom général ou abstrait. – Il est général parce qu’il convient à un genre ou groupe d’objets semblables, le nom d’arbre à tous les arbres, peupliers, chênes, cyprès, bouleaux, etc. ; le nom de polygone à tous les polygones, triangles, quadrilatères, pentagones, hexagones, etc. – Il est abstrait parce qu’il désigne un extrait, c’est-à-dire une portion d’individu, laquelle se retrouve dans tous les individus du groupe ; le nom d’arbre exprime la qualité commune à toutes les espèces d’arbres, peupliers, chênes, cyprès, bouleaux, etc. ; celui de polygone représente la qualité commune à toutes les sortes de polygones, triangles, quadrilatères, pentagones, hexagones, etc. – On voit la liaison de ces deux caractères du nom ; il est général parce qu’il est abstrait ; il convient à toute la classe parce que l’objet désigné, n’étant qu’un morceau, peut se retrouver dans tous les individus de la classe, lesquels, semblables à ce point de vue, restent néanmoins dissemblables à d’autres points de vue. Voilà un couple d’espèce nouvelle, puisque son second terme n’est pas un objet dont nous puissions avoir perception et expérience, c’est-à-dire un fait entier et déterminé, mais une portion de fait, un fragment retiré par force et par art du tout naturel auquel il appartient et sans lequel il ne saurait subsister.

 

II. Pouvons-nous avoir l’expérience, perception ou représentation sensible de ce fragment détaché et isolé ? Non certes ; car cela serait contradictoire. – Lorsqu’après avoir vu sur le tableau des triangles, des quadrilatères, des pentagones, des hexagones, etc., et tout à côté, en contraste, des cercles et des ellipses, je prononce à propos des premiers le nom de polygone, je n’ai pas en moi-même la représentation sensible du polygone pur, c’est-à-dire abstrait ; car le polygone pur est une figure à plusieurs côtés, sans que ces côtés fassent un nombre ; ce qui exclut toute expérience et représentation sensible ; dès que les côtés sont plusieurs, ils font un nombre, trois, quatre, cinq, six, etc. ; qui dit plusieurs, dit nombre déterminé, fixé. Ordonner à quelqu’un de voir ou d’imaginer plusieurs côtés et, en même temps, de n’en voir ou imaginer ni trois, ni quatre, ni aucun nombre, c’est prescrire et interdire à la fois la même opération. – Pareillement, lorsqu’après avoir vu dans la campagne trente arbres différents, des chênes, des tilleuls, des bouleaux, des peupliers, je prononce le mot arbre, je ne trouve pas en moi-même une figure colorée qui soit l’arbre en général ; car l’arbre en général a une hauteur, une tige, des feuilles, sans avoir telle hauteur, telle tige, telles feuilles ; et il est impossible de se représenter une grandeur et une forme, sans que cette grandeur et cette forme soient telles ou telles, c’est-à-dire précises. – À la vérité, devant le mot arbre, surtout si je lis lentement et avec attention, il s’éveille en moi une image vague, si vague qu’au premier instant je ne puis dire si c’est celle d’un pommier ou d’un sapin. De même, en entendant le mot polygone, je trace en moi-même fort indistinctement des lignes qui se coupent et tâchent de circonscrire un espace, sans que je sache encore si la figure qui est en train de naître sera quadrilatère ou pentagone. Mais cette image incertaine n’est pas l’arbre abstrait, ni le polygone abstrait ; la mollesse de son contour, ne l’empêche pas d’avoir un contour propre ; elle est changeante et obscure, et l’objet désigné par le nom n’est ni changeant, ni obscur ; il est un extrait très précis ; on peut en beaucoup de cas donner sa définition exacte. Nous pouvons dire rigoureusement ce qui constitue le triangle, et presque rigoureusement ce qui constitue l’animal. Le triangle est une figure fermée par trois lignes qui se coupent deux à deux, et non cette image indécise sur fonds noirâtre ou blanchâtre, aux pointes plus ou moins aiguës, qui tour à tour, à la moindre insistance, se trouve scalène, isocèle ou rectangle. L’animal est un corps organisé qui se nourrit, se reproduit, sent et se meut, et non ce quelque chose informe et trouble qui oscille entre des formes de vertébré, d’articulé ou de mollusque, et ne sort de son inachèvement que pour prendre la couleur, la grandeur, la structure d’un individu.

Ainsi, entre l’image vague et mobile, suggérée par le nom et l’extrait précis et fixe, noté par le nom, il y a un abîme. – Pour s’en convaincre que le lecteur considère le mot myriagone et ce qu’il désigne. Un myriagone est un polygone de dix mille côtés. Impossible de l’imaginer, même coloré et particulier, à plus forte raison général et abstrait. Si lucide et si compréhensive que soit la vue intérieure, après cinq ou six, vingt ou trente lignes, tirées à grande peine, l’image se brouille et s’efface ; et cependant ma conception du myriagone n’a rien de brouillé ni d’effacé ; ce que je conçois, ce n’est pas un myriagone comme celui-ci, incomplet et tombant en ruine, c’est un myriagone achevé et dont toutes les parties subsistent ensemble ; j’imagine très mal le premier et je conçois très bien le second ; ce que je conçois est donc autre que ce que j’imagine, et ma conception n’est point la figure vacillante qui l’accompagne. – Mais d’autre part cette conception existe ; il y en a en moi quelque chose qui représente le myriagone et qui lui correspond exactement. En quoi donc consiste ce représentant intérieur, ce correspondant exact, et qu’y a-t-il en moi lorsque, par le moyen d’un nom général que j’entends, je pense une qualité commune à plusieurs individus, une chose générale, bref, un caractère abstrait ?

 

III. Pour cela considérons tour à tour plusieurs cas où, après avoir parcouru une série d’objets semblables, nous en retirons mentalement une qualité ou caractère général que nous notons par un nom abstrait. Le lecteur a sans doute visité des galeries de tableaux rangés par écoles ; après deux heures de promenade parmi des peintures de Titien, de Tintoret, de Giorgione et de Véronèse, si l’on sort et si l’on s’assied sur un banc, les yeux fermés, on a d’abord des souvenirs ; on revoit intérieurement telle rose et blonde figure demi-penchée, tel grand vieillard majestueusement drapé dans sa simarre de soie, des colliers de perles sur des bras nus, des cheveux roux crêpelés sur une nuque de neige, des colonnades de marbre veiné qui montent dans un ciel ouvert, çà et là une mine gaie de petite fille, un beau sourire de déesse, une ample rondeur d’épaule satinée, la pourpre d’une étoffe rouge sur un fond vert, bref cent résurrections partielles et désordonnées de l’expérience récente. À ce moment, si l’on cherche le trait dominant qui règne dans ce monde divers, on ne trouve rien ; on sent bien que tout cela est beau, mais on ne démêle pas encore de quelle beauté ; on est agité par vingt tendances naissantes et aussitôt détruites ; on essaye les mots de voluptueux, de riche, de facile, d’abondant ; ils ne conviennent pas ou ne conviennent qu’à demi. On recommence alors en divisant la recherche ; on passe tour à tour en revue le paysage, l’architecture, les vêtements, les types, les expressions, les attitudes, le coloris général ; on trouve quelque trait principal et saillant pour chacun de ces fragments, on le note, comme on peut, au passage, par un mot familier ou, exagéré, puis, reprenant tous ces résumés, on tâche de les résumer encore en quelque phrase abréviative qui serve de centre à tant de rayons dispersés. On approche du but, et enfin une tendance définitive ou presque définitive se dégage. Elle se manifeste sur les lèvres par les mots d’épanouissement, de bonheur, de volupté noble ; en même temps la vue intérieure a saisi quelque image correspondante, une fleur qui s’ouvre, un visage qui sourit, un corps penché qui s’abandonne, un accord riche et plein d’instruments doux, une caresse d’air parfumé dans une campagne ; voilà des comparaisons et métaphores expressives, c’est-à-dire des représentations sensibles, des souvenirs particuliers, des résurrections de sensations, toutes analogues à celles que je viens d’éprouver, du même ton et du même tour. Elles sont les effets et les expressions de la tendance finale qui s’est formée. – Si notre promeneur est artiste, la formation, le dégagement et les effets de la tendance sont encore plus visibles. Tout le corps parle ; souvent à défaut du mot, c’est le geste qui exprime ; une grimace, un haut-le-corps, un bruit imitatif deviennent signes à la place du nom ; pour désigner une allée de vieux chênes, la taille se dresse droite, les pieds se prennent au sol, les bras s’étendent roides, puis se cassent aux coudes en angles noueux ; pour désigner un fourré de chèvrefeuille et de lierre, les dix doigts étendus se recourbent et tracent des arabesques dans l’air, pendant que les muscles du visage se recourbent en petits plis mouvants. – Cette mimique est le langage naturel, et, si vous avez quelque habitude de l’observation intérieure, vous devinez à quel état intérieur elle correspond. En effet les expériences que nous faisons et les images qui nous reviennent ne sont pas de pures connaissances ; elles nous affectent autant qu’elles nous instruisent ; elles sont un ébranlement en même temps qu’une lumière. Chacune d’elles est accompagnée d’une ou plusieurs petites secousses, et chacune d’elles a une ou plusieurs petites tendances pour effet. Au-dessous des images et des expériences, sorte de végétation qui vit au grand jour, il est un monde obscur d’impulsions, de répugnances, de chocs, de sollicitations ébauchées, embrouillées, discordantes, que nous avons peine à distinguer et qui cependant sont la source intarissable et bouillonnante de notre action. Ce sont ces innombrables petites émotions, qui, au terme de notre examen prolongé, se résument en une impression d’ensemble, par suite en une tendance finale et définitive, et la tendance elle-même aboutit à une expression. Quelle que soit cette expression, geste imitatif de l’artiste, demi-vision métaphorique du poète, pantomime figurative du sauvage, parole accentuée de l’homme passionné, parole terne et mots abstraits du raisonneur calme, l’opération mentale est toujours la même ; et, si nous examinons ce qui se passe en nous lorsque de plusieurs perceptions nous dégageons une idée générale, nous, ne trouvons jamais en nous que la formation, l’achèvement, la prépondérance d’une tendance qui provoque une expression, et, entre autres expressions, un nom.

Reprenons maintenant notre premier exemple. – J’observe tour à tour des pins, des frênes, des châtaigniers, des bouleaux, des chênes, toute une futaie, et je remarque cet élan du tronc et cet épanouissement des branches qui sont les deux caractères distinctifs de l’arbre ; je conçois l’arbre en général et je prononce le nom d’arbre. Cela signifie simplement qu’une certaine tendance correspondante à ces deux caractères et à ces deux caractères seulement, a fini par se dégager en moi et dominer seule. Cinquante fois de suite et sans un seul cas contradictoire, elle s’est tour à tour éveillée à l’aspect des cinquante arbres ; seule elle s’est éveillée cinquante fois de suite ; toutes les autres qui correspondaient aux particularités de chaque arbre se sont effacées et annulées par leur contradiction mutuelle ; elle est donc la seule qui surnage, et maintenant son œuvre, comme celle de toute tendance, est une expression. Au dedans, cette œuvre est une image plus ou moins vague, celle d’une ligne élancée, puis épanouie ; au dehors, elle est l’attitude et le geste imitatif du corps ; dans le langage primitif, chez les peuples enfants, à l’origine de la parole, elle est une autre imitation poétique et figurative, dont nous retrouvons çà et là des fragments ; aujourd’hui elle est un simple mot appris, pure notation, reste desséché du petit drame symbolique et de la mimique vivante par laquelle les premiers inventeurs, véritables artistes, traduisaient leurs impressions.

 

IV. Le lecteur voit maintenant comment nous pensons une qualité générale ; quand nous avons vu une série d’objets pourvus d’une qualité commune, nous éprouvons une certaine tendance, une tendance qui correspond à la qualité commune et ne correspond qu’à elle. C’est cette tendance qui évoque en nous le nom ; quand elle naît, c’est ce nom seul qu’on imagine ou qu’on prononce. Nous n’apercevons pas les qualités ou caractères généraux des choses ; nous éprouvons seulement en leur présence telle ou telle tendance distincte qui, dans le langage spontané, aboutit à telle mimique et, dans notre langage artificiel, à tel nom. Nous n’avons pas d’idées générales à proprement parler ; nous avons des tendances à nommer et des noms. – Mais une tendance prise en soi, n’est rien de distinct ; elle est le commencement, le rudiment, l’ébauche, l’approche, plus ou moins pénible ou facile, de quelque chose, image ou nom, ou tout autre acte déterminé, qui est sa plénitude et son achèvement ; elle est l’état naissant de l’acte qui est son état final. – En fait d’actes positifs et définitifs, lorsque nous pensons ou connaissons les qualités abstraites, il n’y a donc en nous que des noms, les uns en train de s’énoncer ou de se figurer mentalement, les autres tout énoncés et figurés. Partant ce que nous appelons une idée générale, une vue d’ensemble, n’est qu’un nom ; non pas le simple son qui vibre dans l’air et ébranle notre oreille, ou l’assemblage de lettres qui noircissent le papier et frappent nos yeux, non pas même ces lettres aperçues mentalement, ou ce son mentalement prononcé, mais ce son ou ces lettres doués, lorsque nous les apercevons ou imaginons, d’une propriété double, la propriété d’éveiller en nous les images des individus qui appartiennent à une certaine classe et de ces individus seulement, et la propriété de renaître toutes les fois qu’un individu de cette même classe et seulement quand un individu de cette même classe se présente à notre mémoire ou à notre expérience. – La seule différence qu’il y ait pour nous entre le mot bara qui ne signifie rien, et le mot arbre qui signifie quelque chose, c’est qu’en entendant le premier, nous n’imaginons aucun objet ou série d’objets appartenant à une classe distincte et qu’aucun objet ou série d’objets appartenant à une classe distincte ne réveille en nous le mot bara, tandis qu’en entendant le second, nous nous figurons involontairement un chêne, un peuplier, un poirier ou tel autre arbre et qu’en voyant un arbre quelconque, nous prononçons involontairement le mot arbre. Au lieu du mot bara mettez le mot tree ; pour un homme qui ne sait pas l’anglais, les deux se valent et aboutissent au même effet nul ; pour un Anglais le mot tree a justement les propriétés que nous venons de trouver dans le mot arbre. – Un nom que l’on comprend est donc un nom lié à tous les individus que nous pouvons percevoir ou imaginer d’une certaine classe et seulement aux individus de cette classe. À ce titre il correspond à la qualité commune et distinctive qui constitue la classe et qui la sépare des autres, et il correspond seulement à cette qualité ; toutes les fois qu’elle est présente, il est présent ; toutes les fois qu’elle est absente, il est absent ; il est éveillé par elle et n’est éveillé que par elle. – De cette façon il est son représentant mental et se trouve le substitut d’une expérience qui nous est interdite. Il nous tient lieu de cette expérience, il fait son office, il lui équivaut.

Artifice admirable et spontané de notre nature : nous ne pouvons apercevoir ni maintenir isolées dans notre esprit les qualités générales, sortes de filons précieux qui constituent l’essence et font la classification des choses ; et cependant, pour sortir de la grosse expérience brute, pour saisir l’ordre et la structure intérieure du monde, il faut que nous les retirions de leur gangue et que nous les concevions à part. – Nous faisons un détour ; nous associons à chaque qualité abstraite et générale un petit évènement particulier et complexe, un son, une figure facile à imaginer et à reproduire ; nous rendons l’association si exacte et si étroite que désormais la qualité ne puisse apparaître ou manquer dans les choses, sans que le nom apparaisse ou manque dans notre esprit, et réciproquement. Le couple ainsi formé ressemble à ces instruments de physique et de chimie qui, par un mince effet sensible, un déplacement d’aiguilles, une variation de teinte, mettent à la portée de nos sens des décompositions de substances ou des variations de courants situés hors de la portée de nos sens. La rougeur subite d’un papier imprégné ou le recul plus ou moins grand d’une lamelle de fer sont liés à une métamorphose intime ou à un degré fixe d’action profonde, et nous observons le second objet que nous n’atteignons pas dans le premier que nous atteignons. – Pareillement, quand il s’agit d’une qualité générale dont nous ne pouvons avoir ni expérience ni représentation sensible, nous substituons un nom à la représentation impossible et nous le substituons à bon droit. Il a les mêmes affinités et les mêmes répugnances que la représentation, les mêmes empêchements et conditions d’existence, la même étendue et les mêmes limites de présence ; affinités et répugnances, empêchements et conditions d’existence, étendue et limites de présence, tout ce qui se rencontrerait en elle se rencontre en lui par contrecoup. – Par cette équivalence, les caractères généraux des choses arrivent à la portée de notre expérience ; car les noms qui les expriment sont eux-mêmes de petites expériences de la vue, de l’ouïe, des muscles vocaux, ou les images intérieures, c’est-à-dire les résurrections plus ou moins nettes, de ces expériences. Une difficulté extraordinaire a été levée ; dans un être dont la vie n’est qu’une expérience diversifiée et continue, on ne peut rencontrer que des impressions particulières et complexes ; avec des impressions particulières et complexes la nature a simulé en nous des impressions qui ne sont ni l’un ni l’autre et qui, ne pouvant être ni l’un ni l’autre, semblaient devoir échapper pour toujours, par nécessité et par nature, à notre être tel qu’il est construit.

 

V. On peut assister de près à la naissance de ces noms généraux ; chez les petits enfants on la prend sur le fait. Nous leur nommons tel objet particulier et déterminé, et, avec un instinct d’imitation semblable à celui des perroquets et des singes, ils répètent le nom qu’ils viennent d’entendre. – Jusque-là, ils ne sont que des singes et des perroquets ; mais ici se manifeste une délicatesse d’impression toute spéciale à l’homme. Vous prononcez devant un bambin dans son berceau le mot papa, en lui montrant son père ; au bout de quelque temps, à son tour, il bredouille le même mot, et vous croyez qu’il l’entend au même sens que vous, c’est-à-dire que ce mot ne se réveillera en lui qu’en présence de son père. Point du tout ; quand un autre monsieur, c’est-à-dire une forme pareille, en paletot, avec une barbe et une grosse voix, entrera dans la chambre, il lui, arrivera souvent de l’appeler aussi papa. Le nom était individuel, il l’a fait général ; pour vous, il ne s’appliquait qu’à une personne, pour lui, il s’applique à une classe. En d’autres termes, une certaine tendance correspondante à ce qu’il y a de commun entre les divers personnages munis d’un paletot, d’une barbe et d’une grosse voix s’est éveillée en lui, à la suite des expériences par lesquelles il les a perçus. Ce n’est pas cette tendance que vous vouliez éveiller ; elle s’est éveillée toute seule ; voilà la faculté du langage ; elle est fondée tout entière sur ces tendances consécutives qui survivent à l’expérience d’individus semblables, et qui correspondent précisément à ce qu’il y a de commun en eux.

À chaque instant nous voyons ces tendances opérer dans les enfants, et contre la langue, en sorte qu’on est obligé de rectifier leur œuvre spontanée et trop prompte. – Une petite fille de deux ans et demi avait au cou une médaille bénite ; on lui avait dit : « C’est le bon Dieu, » et elle répétait : « C’est le bo Du. » Un jour, assise sur les genoux de son oncle, elle lui prend son lorgnon et dit : « C’est le bo Du de mon oncle. » Il est clair qu’involontairement et naturellement elle avait fabriqué une classe d’individus pour laquelle nous n’avons pas de nom, celle des petits objets ronds, munis d’une queue, percés d’un trou et attachés au col par un cordon, qu’une tendance distincte, correspondante à ces quatre caractères généraux et que nous n’éprouvons point, s’était formée et agissait en elle. – Un an plus tard, la même enfant, à qui on faisait nommer toutes les parties du visage, disait, après un peu d’hésitation, en touchant ses paupières : « Ça, c’est les toiles des yeux. » – Un petit garçon d’un an avait voyagé plusieurs fois en chemin de fer. La machine avec son sifflement, sa fumée et le grand bruit qui accompagne le train, l’avait frappé ; le premier mot qu’il eût prononcé était fafer (chemin de fer) ; désormais, un bateau à vapeur, une cafetière à esprit de vin, tous les objets qui sifflent, font du bruit et jettent de la fumée étaient des fafer. Un autre instrument fort désagréable aux enfants (pardon du détail et du mot, il s’agit d’un clysopompe) avait laissé en lui, comme de juste, une impression très forte. L’instrument, à cause de son bruit, avait été appelé un zizi. Jusqu’à deux ans et demi, tous les objets longs, creux et minces, un étui, un tube à cigares, une trompette étaient pour lui des zizi, et il ne s’approchait d’eux qu’avec défiance. Ces deux idées régnantes, le zizi et le fafer, étaient deux points cardinaux de son intelligence, et il partait de là pour tout comprendre et tout nommer.

À cet égard, le langage des enfants est aussi instructif pour le psychologue que les états embryonnaires du corps organisé pour le naturaliste. Ce langage est mouvant, incessamment transformé, autre que le nôtre ; non seulement les mots y sont défigurés ou inventés, mais encore le sens des mots n’y est pas le même que dans le nôtre ; jamais un enfant, qui pour la première fois prononce un nom, ne le prend au sens exact que nous lui donnons ; ce sens est pour lui plus étendu ou moins étendu que pour nous, proportionné à son expérience présente, chaque jour élargi ou réduit par ses expériences nouvelles, et très lentement amené aux dimensions précises qu’il a pour nous. – Une petite fille de dix-huit mois rit de tout son cœur quand sa mère et sa bonne jouent à se cacher derrière un fauteuil ou une porte et disent : Coucou. En même temps, quand sa soupe est trop chaude, quand elle s’approche du feu, quand elle avance ses mains vers la bougie, quand on lui met son chapeau dans le jardin parce que le soleil est brûlant, on lui dit : « Ça brûle. » Voilà deux mots notables et qui pour elle désignent des choses du premier ordre, la plus forte de ses sensations douloureuses, la plus forte de ses sensations agréables. Un jour, sur la terrasse, voyant que le soleil disparaît derrière la colline, elle dit : « A bule coucou. » Voilà un jugement complet, non seulement exprimé par des mots que nous n’employons pas, mais encore correspondant à des idées, partant à des classes d’objets, à des caractères généraux, à des tendances distinctes qui chez nous ont disparu. La soupe trop chaude, le feu du foyer, la flamme de la bougie, la chaleur du plein midi au jardin, et enfin le soleil forment une de ces classes. La figure de la bonne ou de la mère disparaissant derrière un meuble, le soleil disparaissant derrière la colline forment l’autre classe. L’une et l’autre sont limitées à cela ; la tendance consécutive à la première aboutit aux mots a bule ; la tendance consécutive à la seconde aboutit au mot coucou. – Un pareil état diffère beaucoup du nôtre, et néanmoins il n’y a là que des tendances analogues aux nôtres, éveillées de la même façon que les nôtres, correspondantes à des caractères généraux comme chez nous, mais à des caractères moins généraux, que chez nous, bref aboutissant à des noms semblables de son et différents de sens.

À mesure que l’expérience des enfants se rapproche davantage de la nôtre, leurs tendances à nommer coïncident plus exactement avec les nôtres ; elles s’organisent par degrés, comme un embryon. De même que, dans le fœtus, on voit tour à tour la tête disproportionnée se réduire à sa juste mesure, les fontanelles du crâne se fermer, les cartilages se changer en os, les vaisseaux rudimentaires se clore et se ramifier, la communication de la mère et de l’enfant se fermer, de même, dans le langage enfantin, on voit tour à tour les deux ou trois noms dominants perdre leur prépondérance absolue, les mots généraux limiter leur sens trop vaste, préciser leur sens trop vague, s’aboucher entre eux, acquérir des attaches et des sutures, se compléter par l’incorporation d’autres tendances, ordonner sous eux des noms de classes plus étroites, former un système correspondant à l’ordre des choses, et enfin agir par eux seuls et d’eux-mêmes sans l’aide des nomenclateurs environnants. – Un enfant a vu sa mère mettre pour une soirée une robe blanche ; il a retenu ce mot, et désormais, sitôt qu’une femme est en toilette, que sa robe soit rose ou bleue, il lui dit de sa voix chantante, étonnée, heureuse : « Tu as mis ta robe blanche ? » Blanc est un mot trop large ; il faut que désormais il le réduise à une seule couleur. – Le même enfant entend sa mère qui lui dit : « Tu balances trop ta tête ; ta tête va frapper la table. » Il répond d’un air curieux et surpris : « Ta tête va frapper la table ? » Ta est pris dans un sens trop vaste, il faut que désormais ce mot désigne seulement la tête de celui à qui l’on parle. – L’endiguement va se faire ; de nouvelles expériences compléteront la tendance qui produisait le mot blanc, et, désormais achevée, elle correspondra, non seulement à la présence de l’éclat, mais encore à la présence d’une certaine couleur. Pareillement et par une autre série d’expériences, la tendance qui produisait le mot ta, définitivement précisée, correspondra non seulement à la possession, mais encore à cette circonstance supplémentaire que la chose possédée appartient à quelqu’un à qui l’on parle. Telle est l’histoire du langage : spontanément, après avoir expérimenté des objets semblables, nous éprouvons une tendance qui correspond à ce qu’il y a de commun dans ces objets, c’est-à-dire à quelque caractère général, à quelque qualité abstraite, à un extrait de ces objets, et cette tendance aboutit à tel geste, à telle mimique, à tel signe distinct qui aujourd’hui est un nom.

En cela consiste la supériorité de l’intelligence humaine. Des caractères très généraux y éveillent des tendances distinctes. En d’autres termes, il suffit de ressemblances fort légères entre divers objets pour susciter en nous un nom ou désignation particulière ; un enfant y réussit sans effort, et le génie des races bien douées, comme celui des grands esprits, et notamment des inventeurs, consiste à remarquer des ressemblances plus délicates ou nouvelles, c’est-à-dire à sentir s’éveiller en eux, à l’aspect des choses, de petites tendances fines et, par suite, des noms distincts qui correspondent à des nuances imperceptibles aux esprits vulgaires, à des caractères très menus enfouis sous l’amas des grosses circonstances frappantes, les seules qui soient capables, quand l’esprit est vulgaire, de laisser en lui leur empreinte et d’avoir en lui leur contrecoup. – Cette aptitude une fois posée, le reste suit. Par l’accumulation et la contrariété des expériences journalières, les tendances et les noms se multiplient, se circonscrivent, se subordonnent, comme les qualités générales qu’ils représentent ; et la hiérarchie des choses se traduit et se répète en nous par la hiérarchie des tendances et des noms.

 

VI. D’autre part, si l’on peut ainsi parler, les noms se remplissent. À mesure que nos expériences deviennent plus nombreuses, nous remarquons et partant nous nommons un plus. grand nombre de caractères généraux dans un même objet. Son nom, qui d’abord désignait le caractère unique qui nous avait frappé dans la première expérience, en désigne maintenant plusieurs autres. Il correspond, non plus à une qualité abstraite, mais à un groupe de qualités abstraites ; il n’était que général, il devient collectif.

Considérons un animal quelconque, un chat, par exemple. Comme tous les chats se ressemblent fort et diffèrent beaucoup de nos autres animaux, nous avons aisément appris leur nom commun et remarqué leurs caractères communs. En d’autres termes, ce nom correspond en nous, à une certaine forme distincte, immobile ou bondissante, qui dort dans une grange ou court avec précaution sur un toit. Voilà le gros sens populaire ; la tendance qui aboutit au nom ne correspond guère qu’à ce caractère-là. – Mais voici qu’un naturaliste m’ouvre un chat et me fait voir cette poche qu’on appelle l’estomac, ces petits tubes infiniment ramifiés qu’on nomme les veines et les artères, ce paquet de tuyaux lisses qui sont les intestins, ces bâtons, ces cages, ces cerceaux, ces boîtes ou demi-boîtes solides qui s’emmanchent les unes dans les autres et qui sont les os. – Je resterais là pendant six mois que je verrais toujours des choses nouvelles ; si je prends un microscope, ma vie n’y suffira pas ; et, à parler exactement, aucune vie ni série de vies ne peut y suffire ; par-delà les propriétés observées, il en restera toujours d’autres, matière illimitée de la science illimitée. Désormais le nom correspond pour moi, non seulement à l’expérience d’une certaine forme extérieure, mais encore à l’expérience d’une certaine structure intérieure, c’est-à-dire à un nombre énorme d’expériences de toutes sortes qui sont faites, et à un nombre indéfini d’expériences de toute sorte qui pourront se faire. Si j’ai remarqué suffisamment cette structure intérieure, à l’aspect du squelette blanc, comme à l’aspect du corps vivant vêtu de son poil, je prononcerai sans me trompe le mot chat. La seconde expérience aboutit maintenait au même nom que l’autre. Deux tendances distinctes coïncident donc en un même effet. Le nom est devenu ; l’équivalent des caractères communs aux divers squelettes de l’espèce, comme des caractères communs aux divers individus vivants de l’espèce ; sa présence qui auparavant ne réveillait que les images de certaines formes velues, animées, bondissantes, réveille en outre maintenant les images de certaines charpentes osseuses et inanimées. – Elle peut réveiller bien d’autres images, celles de toutes les particularités mécaniques, physiques, chimiques, anatomiques, vitales, morales, qu’un naturaliste ou un moraliste peut remarquer dans l’espèce des chats ; elle les rassemble sous elle en même temps que les noms par lesquels on les désigne ; elle est le substitut de toute cette troupe. Si on prononce devant vous le mot chat, vous pouvez lui substituer une définition ou une description, c’est-à-dire mettre à sa place les deux noms principaux qui lui fixent sa place dans la classification animale ou le remplacer par le nom de tous les Caractères que vos expériences ont dégagés en lui, et, par suite, voir reparaître en vous, plus ou moins nettement, les simulacres de ces expériences. Dorénavant, le couple dont le nom est le premier terme comprend, comme second terme, un cortège immense d’autres mots et, par suite, une série aussi grande de tendances distinctes, lesquelles correspondent à des caractères généraux également distincts, et laissent place à côté d’elles pour une infinité de tendances nouvelles que l’expérience pourra provoquer. – Telle est la vertu de la substitution établie par les couples. Deux termes étant les équivalents l’un de l’autre, le premier si simple, si maniable, si aisé à rappeler, peut remplacer le second, même quand le second est une armée immense dont les cadres toujours ouverts attendent et reçoivent incessamment de nouveaux soldats.

Le lecteur voit tout de suite qu’au lieu du nom de chat on pourrait mettre celui de chien, singe, crabe, et d’un animal quelconque, ou d’une plante quelconque, et aussi d’un groupe quelconque, animal ou végétal, aussi large ou aussi étroit qu’on voudra, et, en général, d’un groupe quelconque, moral ou physique ; l’opération serait pareille ; tous les noms généraux se remplissent de la même façon. – Ordonnés les uns par rapport aux autres, chacun avec son escorte de tendances, ils composent l’ameublement principal d’une tête pensante. À côté des expériences perpétuelles et des images renaissantes, il y roule des noms que nous appelons idées, tous représentants mentaux de caractères abstraits et de qualités générales, tous évoqués par des tendances distinctes, tous incessamment accrus de nouvelles tendances, tous incessamment précisés dans leur portée, tous incessamment amplifiés dans leur contenu, par le progrès journalier de la découverte qui, ajoutant à leur sens, limite leur application.