Décrire les Cendres - Juliette Bégué - E-Book

Décrire les Cendres E-Book

Juliette Bégué

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Beschreibung

Quelle est la mystérieuse menace qui place au-dessus d'un père, de sa fille et de son frère, enfermés loin de tout ?

Gary a tout perdu. Son épouse. Ses souvenirs. Son humanité. Même sa complicité avec sa fille Alice et son propre frère Sam s’est altérée. Alors qu’une menace surnaturelle sévit à l’extérieur, tous trois se cachent dans une maison isolée de la civilisation. Si Alice garde espoir grâce à son imagination débordante et que Sam se referme dans une angoisse sourde, Gary sombre dans des délires paranoïaques qu’il tente tant bien que mal de maîtriser pour pouvoir survivre. Mais lorsque sa fille commence à développer un comportement étrange et inquiétant, Gary se sent plus démuni que jamais. Va-t-il tout perdre une nouvelle fois ?
Décrire les Cendres se situe dans un univers hybride, entre le post-apocalyptique et le fantastique. Ce monde qui pourrait être le nôtre a été détruit par un mystérieux virus rendant les hommes dépourvus d’émotions et d’humanité. Le roman relate le combat d’un père en proie à des délires paranoïaques, mais qui doit protéger ses proches malgré tout. Les éléments fantastiques vont de pair avec l’éclatement de la cellule familiale et l’instinct de survie égoïste qui naît en cas de menace.

Entre ses délires paranoïaque et le comportement de plus en plus étrange de sa fille, Gary va-t-il pouvoir sauver sa famille ? Laissez-vous emporter dans les plus sombres aspects d'un roman fantastique des plus angoissants !

EXTRAIT

— Non… Te laisserai pas prendre le…
— Gary, lâche !
Ne pas lâcher. Ne pas lâcher. J’ai mal. Ne pas lâcher, sinon elle va tout prendre. Ne pas la laisser tout prendre.
— GARY !
Je m’effondre. A côté de moi, le sac plastique bruisse légèrement. Elle saisit tout, prend tout, me vole tout. J’entends son pas s’éloigner.
Puis il s’arrête, son pas. En plein vol il s’arrête. Et tout semble s’arrêter, même, se suspendre d’un coup.
Alors je lève la tête.
Et il y a Alice en haut des marches.
Alice qui a sûrement assisté à tout. Alice toujours habillée dans son mystère. Alice que j’ai réveillée et que je ne parviens pas à protéger.
Mais elle ne semble pas effrayée. Ni même surprise.
Au contraire.
Elle est heureuse et me regarde.
— Papa, Maman a trouvé un nouveau sablier ! Ne la laisse pas repartir !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Juliette Bégué est née le 13 septembre 1999 à Reims. Elle est actuellement étudiante en classe préparatoire littéraire et collaboratrice pour un magazine de cinéma fantastique. Toute petite, elle commence à écrire des nouvelles et participe à des concours. Ses goûts littéraires sont très éclectiques, allant de la littérature blanche aux classiques en passant par la science-fiction ou le théâtre. Également passionnée de cinéma, c’est en visionnant les films de Wes Craven, Denis Villeneuve ou Guillermo del Toro que son goût pour le fantastique est né. Outre la palette d’émotions qu’il suscite, ce genre lui apparaît comme un retour aux peurs primitives, en particulier celles de l’enfance. D’où l’idée d’écrire un roman se situant aux confins des genres, entre fantastique et post-apocalyptique, et qui questionne les valeurs familiales et les peurs enfantines dans un monde en déperdition.

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Juliette Bégué

Décrire les Cendres

— Qu’est-ce que c’est, Papa  ?

— Mets ton ciré jaune, Alice.

— Pourquoi ? Papa, explique-moi, qu’est-ce que c’est  ? J’ai peur  !

— Ce n’est rien, chérie. Juste de la pluie.

— De la pluie  ?

— Oui. Tu vois les oiseaux qui volent, dans le ciel  ? Et bien voici leurs larmes. C’est ce qu’on appelle de la pluie. C’est pour ça qu’il pleut souvent, par ici. Parce qu’il y a beaucoup d’oiseaux.

— Ah bon  ? Alors si je lève la tête, je peux voir un oiseau qui pleure  ?

— Non, Alice. Parce que les oiseaux s’isolent pour pleurer.

Première Partie

Je vois des fantômes, parfois.

Tout le temps, en fait.

Dans ma chambre. Au fond des bois. Là-bas. Ici. Ils me suivent partout, m’épient, sondent chacun de mes gestes. Je pensais les avoir laissés à hier, mais certains ne veulent pas me lâcher. Tant pis. On s’habitue. Il suffit de ne pas les voir. Ou de faire semblant.

La seule peur que j’aie, c’est d’en devenir un moi-même, de fantôme. Marcher quelque part et tomber sur mon Némésis, qui me regarderait avec un air vide et m’apprendrait que je suis passé de l’autre côté.

Pourvu que ça arrive le plus tard possible.

Mais pour l’instant, je me contente de les nier. C’est ce que je fais maintenant. Parce que j’ai un fantôme devant moi. Là, en ce moment.

Et il joue avec ma fille.

Alice crie. Elle crie de joie, mais dans mes oreilles ça sonne différemment.

Alice joue. Elle a un ciré jaune, je ne sais pas d’où il vient celui-là d’ailleurs. Il est sale et terne, mais on en devine toujours la couleur canari qui se confond avec celle de ses cheveux diaphanes.

Alice saute partout en riant, tourne autour du saule. Il ne semble pas l’effrayer, le saule, alors que sa forme biscornue est plutôt angoissante.

Alice piétine la terre et les fleurs

Alice piétine la terre et

Alice piétine la terre

Alice piétine

— Qu’est-ce que tu regardes, Gary  ?

Je me tourne vers Sam. Un air soucieux appuie ses paroles. Il a les mains crispées sur le bois poli du porche, révélant ses jointures blanches.

A l’instant où mes yeux croisent les siens, son visage s’assombrit.

Je lève la tête vers le ciel.

— Comment elle se sent, aujourd’hui, à ton avis  ? demande Sam, suivant mon regard.

Je plisse les paupières. Ma vision se réduit à une fente, qui peine à contenir tout ce dégradé de couleurs d’en haut. Couleurs que j’ai du mal à distinguer, parce qu’il y en a trop et parce que j’ai perdu l’habitude de les nommer.

— Apaisée.

Les pneus crissent sur le sentier, laminent l’herbe terne, expulsent les cailloux hors de la route. D’un bref coup d’œil dans le rétroviseur, j’observe la maison. Elle ne se résume plus qu’à une ombre qui se dilue seconde après seconde.

Au-dessus, le ciel a changé de couleur.

Je me traîne jusqu’au coffre pour attraper le lourd sac en plastique. Autour de moi, la nature. Herbes et plantes et paysage montagnard.

Et au milieu coule une rivière.

Dès que je m’approche de l’eau, le sac jeté sur mes épaules en un geste nonchalant, je me retrouve miniaturisé par l’immensité du territoire.

La rivière surplombe la vallée, la domine, la surveille. D’ici, je ne distingue que le vert sombre de la forêt de pins. Et aussi la route. Celle qui mène à la ville. À l’enfer.

C’est beau mais ça oppresse.

Je saisis le sac et me penche au-dessus de l’onde. Les déchets s’y déversent en un lourd ricochet. Que du papier bulle. Taché. Évidemment, j’en mets un peu à côté. Il faut dire que ce n’est pas moi qui fais ça, d’habitude.

Faisais.

Je me redresse, le souffle court. Bouffée d’air. Inspirer. Expirer. Poumons broyés qui retrouvent bientôt leur vitalité.

Mes pieds me conduisent à nouveau vers la voiture.

Je pose le sac à côté de moi, sur le siège passager.

Et je démarre.

Je roule longtemps sur le gravier. Des cailloux freinent ma traversée, encore. Des branches viennent assombrir le pare-brise, encore.

Puis les obstacles se raréfient. La route devient plus praticable, moins scabreuse. Alors que je dépasse la forêt de pins, tout se calme. La nature me laisse partir.

Avant de m’obliger à revenir.

A l’horizon, le soleil brûlant m’éclaire, souligne les panneaux illisibles et le vide et le silence. Il n’y a rien ni personne. Seules des brindilles qui semblent se hérisser au contact du vent et des roues.

Ma respiration commence à s’accélérer.

J’ai bien fermé les vitres  ? Surtout, ne pas faire entrer d’air.

Puis l’astre se fait moins aveuglant et dévoile, là-bas, quelques tours.

Immeubles, ville, civilisation, humains.

Je roule encore un peu. Les tours se rapprochent, finissent par m’engloutir comme la nature. D’autres bâtiments apparaissent, tous fades. Tous monochromes sur ce ciel multicolore, comme s’ils avaient été crachés là, oui crachés et scotchés contre le soleil.

Tous horribles tous les mêmes. Des restes, uniquement des restes de quelque chose qui demeure là sans l’être.

Et la voilà. La ville.

Ce serait presque un euphémisme de la décrire, celle-là. Autant ne pas en parler parce que ça l’embellirait.

Je sillonne les rues.

La bestiole est bien dans la boîte à gants  ?

Je sillonne le gris.

Alors que je contourne un immeuble, un peu de couleur retient mon attention.

Enseigne McDo. Jaune comme le ciré d’Alice.

C’était quoi, ce McTruc, déjà ?

Et enfin, j’y parviens.

Bâtiment en brique froide. Comme les autres. Sauf qu’il y a un peu moins de « Rien  », là-dedans. Au contraire. Ça grouille ça fourmille ça se presse ça m’appelle. Ça attend et ça s’impatiente, ça vit comme ça peut.

Ici le «  Rien  » c’est à l’intérieur. A l’intérieur d’eux à l’intérieur de nous.

Parfois «  Rien  » vaut mieux que «  Tout.  »

J’enfile mes gants.

Allez, c’est parti. Ça y est encore un qui a l’air de tousser et l’autre là elle vient de s’essuyer la face avec son coude ne pas toucher le coude surtout oh il y en a un qui a pas mis de gants mais il se croit où

Je colle mon front contre la vitre et plisse les yeux pour voir.

Trente.

Jour de chance.

Je tends la main vers la boîte à gants et en retire le masque.

Puis je sors de la voiture.

Je vide le sac sur la table.

Papier bulle, encore. Sauf qu’il est rempli, maintenant, le papier.

Alice me regarde enlever l’emballage. Le contenu des briques en bulle se reflète dans ses yeux. Je ne reconnais plus ces aliments, d’ailleurs, ils ont fui depuis longtemps. Même leur goût, je l’oublie tout de suite. Seules leurs étiquettes me prouvent qu’ils ont un nom.

Viande crue.

Crackers.

Pain de mie.

Raviolis en boîte.

Nuggets crus.

Et…

— Des bretzels au fromage  ! C’est mes préférés, constate Alice en s’emparant de la bouffe.

Je la regarde avec un demi-sourire tandis qu’elle inspecte les autres aliments. Elle a dans ses yeux un éclat, une lumière. J’ai déjà vu ça chez elle. Hier.

Sauf que c’était plus coloré.

Je me tourne vers Sam, adossé contre le frigo. Je sais à quoi il pense, à cause de ce vert, là, qui me fixe sans ciller. Ce vert qui devient presque jaune comme si on le tachait. Comme s’il se tachait lui-même.

Et pour faire partir le jaune du vert, je retire l’emballage de l’ultime brique en bulle.

Une flasque.

Sam ne bouge pas. Le jaune ne part pas.

Je m’assois à côté d’Alice. Sam m’imite, puis commence.

— Gants  ?

— Oui.

— Masque  ?

— Toujours.

— Touché personne  ?

— Non.

— La bouffe  ?

— Non plus.

— Tu t’es servi en premier  ?

— Sam…

— T’as bousculé des gens  ? On t’a suivi quand t’es reparti  ? T’es sûr qu’il n’y avait pas de gosses sur les épaules de leurs parents qui auraient pu…

— Je ne crois pas.

— Tu ne crois pas ou tu ne sais pas  ?

— Sam, c’est bon. D’accord  ?

Il se tait. J’attrape une bouteille d’eau et la tends à Alice. Elle se met à boire doucement, savourant chaque gorgée.

La flasque trouve son chemin jusqu’à mes lèvres. J’avale la moitié, d’un trait.

Je fais semblant de ne pas voir Sam qui se lave les mains.

Puis nous rassemblons les vivres éparses sur la table. Elles brillent, les vivres, sur leur papier bulle. A la lumière tamisée de la lampe de poche qui nous éclaire, on dirait déjà des ordures. Un dégradé d’ordures, jaunâtres et brunes.

J’ai faim.

On se sert, tous les trois en même temps. Chacun pioche, picore, enfourne ce qu’il trouve à sa portée.

Alice émiette les crackers. Ça forme une poussière d’étoiles.

Sam veille à ne pas toucher ma main.

Je m’empare de la viande et l’avale tout rond. 

Et bientôt ça devient une bataille. On ne regarde plus l’autre on repousse ses doigts. On ne choisit plus la bouffe on l’ingurgite.

— Je suis passé dans ta chambre, Alice, lance soudain Sam. Pas mal, tes nouvelles créations.

Je saisis un nugget alors que j’ai encore la bouche pleine de viande.

— Ah oui  ? Laquelle tu préfères ?

Je mâche. J’avale. Quel goût ça a, je ne sais pas.

— Et bien… J’adore celles sur ta table de nuit. Les trois créatures en pâte à sel. J’aime beaucoup quand tu fabriques des monstres.

Le visage d’Alice s’assombrit. Elle délaisse sa boîte de raviolis et rétorque  :

— Ce ne sont pas des monstres. C’est une vision hypothétique d’un futur potentiel.

Je pouffe de rire. Des miettes de pain de mie giclent sur la table. Sam lui-même ne peut retenir un sourire amusé.

— Pardon. Et d’où te vient cette inspiration métaphysique  ?

Alice baisse les yeux sur la table avec un air mélancolique. Puis elle murmure:

— J’imagine ce qu’il peut se passer à l’extérieur. Et ce qu’il va arriver plus tard.

Sam et moi échangeons un regard gêné. Mais Alice, à nouveau occupée à manger, ne nous prête plus aucune attention.

Le repas se poursuit en silence.

J’ouvre les yeux.

Cauchemars. Encore. Je ne m’en souviens pas, mais ma respiration sifflante et la sueur dans mon dos me prouvent que la nuit n’a pas été tranquille. Je fais toujours de mauvais rêves, mais je ne le sais qu’à travers ce sentiment de mal-être et de peurs enfouies. Impossible de savoir ce qu’ils contiennent. Impossible de dire ce qui les procure.

Mais ils sont là.

Ma paume se pose sur l’oreiller voisin. Là où le drap n’est pas plissé. Où la couverture est parfaitement bordée.

Puis je me lève, la respiration encore saccadée.

Mes jambes me conduisent vers la petite salle de bains contiguë à la chambre. Je me rue vers le lavabo. Mes mains saisissent le rebord, l’agrippant fermement.

Pourvu que mes yeux soient toujours bleus, pourvu que mes yeux soient toujours bleus, pourvu que mes yeux…

Je ne veux pas regarder mais je le dois.

Et s’ils ne sont pas bleus, qu’est-ce que je fais s’ils ne sont pas bleus, qu’est-ce que je fais s’ils ne sont pas bleus  ?

Il faut vérifier. Toujours.

Sam saura quoi faire, Sam saura quoi faire, Sam saura…

Parce que ça vient toujours la nuit.

Il la protégera. Je le sais.

Je lève la tête vers le miroir.

Ouf.

Je ne suis pas perdu.

Mes mains quittent le lavabo.

Pas encore.

Et je souris à mon reflet.

Encore une journée de plus.

Je descends l’escalier à pas feutrés puis pénètre dans la cuisine.

Dehors, le ciel est menaçant. Couleur fade et unie. Mono expressive.

Je me prépare une tasse de café, puis en avale une gorgée.

Trop fort. Pas assez chaud.

— Salut.

Je fais volte-face.

— N’aie pas peur, c’est moi, me rassure Sam.

Ses mains sont placées devant lui, comme en signe de défense.

On s’observe. Avant de s’approcher, il faut vérifier. Regarder si l’autre ne paraît pas trop fragile, pas trop fatigué. Se tenir à l’affût. Si l’estomac de l’autre gronde, attendre de voir si c’est à cause de la faim ou d’autre chose.

Et examiner les yeux. Surtout les yeux. Toujours les yeux.

Ceux de Sam sont verts.

Je lui adresse un signe de tête. Il me répond de la même manière.

Il se rapproche de moi et me donne une tape sur l’épaule.

Je lui sers une tasse de café et l’observe boire en silence. Ses yeux regardent par la fenêtre, vers le ciel.

Alors que je suis sur le point de m’éclipser dans ma chambre, Sam m’interrompt  :

— Il faut qu’on parle.

Je marmonne quelque chose d’incompréhensible.

— D’Alice, précise-t-il.

Sam détache ses yeux de la fenêtre pour se tourner vers moi.

—Il faut qu’elle prenne ses responsabilités. On ne peut pas la laisser se comporter de façon aussi puérile. Donc je me disais que…

— Je refuse.

Sam soupire.

— J’en étais sûr. Gary, réfléchis. Imagine qu’il nous arrive quelque chose, à tous les deux. Qu’est-ce qu’elle ferait, hein  ? Ce n’est pas sa «  vision hypothétique d’un futur potentiel  » qui l’aidera!

— Elle est trop jeune pour ça, Sam.

— Nous aussi, on était trop jeunes pour ça. Tout le monde était trop jeune pour ça.

Je demeure silencieux. Je n’ose même plus regarder Sam.

Il pose sa main sur mon épaule.

— C’est ta fille, Gary.

— C’est ta nièce, Sam  !

Il me lâche et recule d’un pas.

— Comme tu voudras. Mais fais quelque chose. N’importe quoi, mais fais quelque chose.

Il repose sa tasse de café encore à moitié remplie et sort de la cuisine.

— Sam  ?

Il s’arrête.

— Oui  ?

Je désigne le ciel d’un signe de tête.

— Elle est contrariée.

Le visage de Sam s’assombrit.

— Je sais. J’ai vu. Alors agis comme elle agirait.

Je le regarde monter à l’étage, pesant encore les mots qu’il vient de laisser sur son sillage.

Je ne peux pas faire ce qu’il me demande.

Avec un soupir, je plonge la main dans la poche de ma veste.

Et soudain, je le sens. Là, sous ma paume.

J’avais oublié que je l’avais encore. Ça fait tellement longtemps que je ne m’en suis pas servi.

Je souris.

Je sais quoi faire.

Lorsque j’entre dans sa chambre, Alice joue avec les monstres et les fantômes.

En fait, elle observe les sculptures posées sur sa table de nuit. Des créatures fantasmagoriques, difformes, hargneuses. Elles me colleraient presque le frisson, ces sculptures. Mais quand je me rappelle que ce sont les doigts de ma fille qui les ont façonnées, elles me paraissent moins démoniaques. 

Elle joue avec des monstres. Seulement des monstres.

Mais moi, je vois un fantôme, aussi. Un fantôme qui la borde et la berce, là, de l’autre côté du lit.

Ce n’est pas réel, Gary. C’est hier.

— Papa  ?

Alice se redresse, remarquant ma présence. Un large sourire illumine son visage et quelque chose me frappe le cœur. Quelque chose de puissant, qui semble venir d’ailleurs. Quelque chose que je ne décris pas mais qui est là.

Ça aussi, tu dois le laisser à hier.

Je m’assois près d’elle.

— Tu veux voir mes nouvelles sculptures, toi aussi  ?

Elle pointe du doigt les trois horreurs à côté du lit. J’en prends une, l’examine.

C’est dingue. Fabriquer ça à son âge, seulement avec du bois et de la pâte à sel.

— C’est Gizmo, précise-t-elle. Et là, il y a ses amis, Freddy et Jason.

J’acquiesce, puis repose Gizmo sur sa table de nuit. 

— Tu ne l’aimes pas, Papa  ?

Ses grands yeux bleus me dévisagent avec un soupçon de crainte.

Et c’est là que je m’en rends compte.

J’ai franchi la porte sans avoir vérifié leur couleur.

— Si, si, Alice, j’aime bien. Mais je viens t’apporter un cadeau qui te servira beaucoup plus.

— C’est mon anniversaire ?

— Je… Je ne sais pas. J’ignore quel jour on est.

Je sors l’objet de ma poche. Mes yeux le détaillent un instant, mon doigt caresse sa surface polie.

Intact. Magique.

Alice fait de même, puis lève les yeux vers moi d’un air interrogateur.

— Qu’est-ce que c’est, Papa  ?

Je frissonne. Cette phrase, scandée par sa voix fluette. Ce «  Papa  » qui semble si innocent dans ce monde-là. Cette question teintée de peur, comme si l’objet pouvait lui faire du mal.

Elle m’a déjà dit ça.

Je le sens, une fois de plus.

Pendant une fraction de seconde, j’ai l’impression que ça va revenir. Que hier va revenir, que je vais l’affronter hier, que je vais le vomir hier et qu’il va me rendre faible. Je vais tout revoir devant mes yeux, tout entendre dans mes oreilles et ce que je croyais refoulé va remonter à la surface comme une bulle à la surface de l’eau.