Demain l'équilibre - Steph Maltuso - E-Book

Demain l'équilibre E-Book

Steph Maltuso

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La pandémie a enfin pris fin, mais une nouvelle menace s'empare du monde: la perte de la liberté. Comment va réagir Khaur ? Peut-on mener une dictature si nos idées sont bonnes ?

Après la COVID et ses multiples mutants qui ont mis à terre l’économie mondiale, et un désastre écologique lié au réchauffement climatique et à la surpopulation, un nouvel ordre s’est imposé sur Terre : la dictature de l’écologie, nommée « Équilibre ». Dans cette civilisation, a priori apaisée et égalitaire, des forces agissent pour renverser l’ordre établi. Khaur, un des garants de la stabilité de cette société, profondément convaincu du bien-fondé de sa mission, est pourtant parfois traversé par le doute. La belle et mystérieuse Sogno hante ses rêves et tente de le corrompre : « Tout n’est jamais totalement noir, tout n’est jamais totalement blanc. À ta disposition, une palette de couleurs, tu dois apprendre à peindre le tableau de ta vie avec tes nuances propres… », si loin des règles strictes et tellement sécurisantes de l’Équilibre. Khaur et ses amis Mbuttis seront confrontés à un complot machiavélique. Il y aura des traques, des meurtres, une enquête à rebondissement; il y aura de l’amour, de l’art et de la beauté, des fêtes bacchanales et du sexe; et comme dans toute épopée humaine, il y aura inévitablement la guerre, un véritable génocide…

Découvrez le roman d'anticipation de la période après-covid...le futur va-t-il y ressembler ?

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STEPH MALTUSO

DEMAIN, L’ÉQUILIBRE

Dans un monde autocratique post pandémie du COVID et désastre climatique et écologique

Roman cynique, polémique, militant… quoique ?

Steph Maltuso

On vous l’avait pourtant dit et répété depuis tellement de temps…

Thomas MALTHUS (1766-1834)

« La population croît suivant une progression géométrique, tandis que les subsistances croissent suivant une progression arithmétique… »

GERONIMO (1829-1909)

« Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été péché, alors on saura que l’argent ne se mange pas. »

Claude BRUNETTE (1954)

« En général, les gens croient que le suicide n’est pas acceptable. Cependant, à chaque jour que nous détruisons un peu plus notre environnement, nous nous engageons un peu plus sur la voie du suicide collectif. »

Haroun TAZIEFF (1979) émission télévisée « les dossiers de l’écran »

« … Concernant la fonte des glaces, ce qui peut le faire c’est la pollution industrielle qui dégage des quantités de produits chimiques de toutes natures dont une énorme quantité de gaz carbonique. Cette quantité de gaz carbonique se propage dans l’atmosphère et risque de faire de cette dernière une espèce de serre… »

GIEC. Rapport (2001)

Selon ce rapport, les années 1990 auront été la décennie la plus chaude sur la période 1860-2000. Les changements concernant le niveau de la mer, la couverture neigeuse, la superficie des glaces et les précipitations sont révélateurs d’un réchauffement du climat. Une responsabilité humaine à ce réchauffement est davantage soulignée que dans les précédents rapports. Le rapport prévoit une augmentation de température entre 1,4 °C et 5,8 °C entre 1990 et 2100 et estime que le rythme du réchauffement est sans précédent depuis les dix derniers millénaires.

Aymeric CARON, journaliste ; auteur de l’Antispéciste (2016), édition Don Quichotte

« L’antispécisme milite pour l’intégration de tous les êtres vivants sensibles dans une même famille de considération morale. Vu sous un autre angle, cela signifie que l’antispécisme revendique l’appartenance de l’espèce humaine à une communauté beaucoup plus large qu’elle-même, celle des animaux… »

Nicolas HULOT, discours (18 mai2018)

« Chers amis, Mesdames et Messieurs, depuis de nombreuses années maintenant, la nature nous lance un SOS, un appel à l’aide. La biodiversité se meurt en silence. Le silence des oiseaux qui disparaissent de nos villes et de nos campagnes.Le silence des abeilles et de tous les insectes décimés par millions par les pesticides. Le silence des derniers rhinocéros du Kenya. Le silence de toutes les espèces que nos enfants ne verront jamais ailleurs que sur le papier glacé des livres d’histoires.Nous assistons en spectateur à la 6ème extinction de masse de la biodiversité. Notre planète est entrée dans une nouvelle ère, celle de l’anthropocène. L’humanité est devenue une force évolutive, une arme de destruction massive du vivant, auquel elle oublie même son appartenance… »

Site BIOSPHÈRE (2021) extrait

« Empreinte écologique : mesure de la pression des activités humaines sur l’écosystème exprimée en « unités de surface ». Chaque unité correspond au nombre d’hectares de terre biologiquement productive nécessaire pour entretenir un certain niveau de vie des humains et en absorber les déchets. Selon cet indicateur, un critère de forte durabilité serait que chaque génération hérite d’un stock de capital naturel par individu qui ne serait pas plus petit que celui de la génération d’avant. Mais si l’ensemble de la population mondiale accédait au niveau de vie actuel des Français, la satisfaction des besoins humains nécessiterait au moins trois planètes et le capital naturel diminuerait. L’empreinte écologique de la classe globale est trop forte… »

Bien plus tard : les deux premiers articles de la constitution de l’ÉQUILIBRE seront :

Article 1 : l’homme appartient à son environnement au même titre que les animaux et végétaux, il n’est pas au-dessus des autres espèces.

Article 2 : l’homme fait partie d’un ensemble qu’il doit préserver.

Comment en sommes-nous arrivés là... 

2015-2050 : les accords de Paris signés en 2015 comme le sommet sur le climat organisé par le président Biden en 2021, deux retentissants nouveaux échecs. Les engagements, peu ambitieux, ne seront jamais tenus, malgré des opinions publiques qui, elles, évoluent…

2019-2030 : la COVID 19 et ses nombreux mutants mettent à genoux l’économie mondiale, alors que les laboratoires s’enrichissent par la mise au point de nouveaux vaccins inopérants pour les souches suivantes.

2025 : scandale planétaire. Pour régler le problème de l’immigration, plusieurs pays occidentaux ont décidé, malgré les plaintes de l’ONU et de nombreuses ONG, de créer des camps de transit obligatoire à l’extérieur de leurs frontières. Tout demandeur d’asile a obligation de passer par ces zones, situées essentiellement en Afrique du Nord. Tout migrant sans droit d’asile ou carte de séjour valide, est envoyé sans aucun recours possible dans une des trente zones dites « blanches », en attendant que les autorités statuent sur leur sort. Les pays qui ont accepté de céder une partie de leur terre sont très grassement rémunérés, les occidentaux pensent ainsi régler le problème, face à leur opinion publique excédée.

2025-2026 : années de sécheresse record en Asie. On meurt à nouveau de faim en Inde. Des millions de paysans ruinés rejoignent les villes déjà surpeuplées.

2026 : une tornade de catégorie 6 dévaste les faubourgs de Venise : cinquante morts, les dégâts sont gigantesques.

2026 : effet prévisible. Suite à l’intervention massive des banques centrales depuis des dizaines années, le monde financier croule sous la masse monétaire. Les nombreuses bulles spéculatives explosent en cette année 2026. Associé à la crise du COVID, s’ensuit la pire récession économique que le monde n’ait jamais connue.

2026 : les plastiques à usage unique sont enfin totalement interdits, la quasi-totalité des pays du monde ratifient cet accord. Il était temps, la Méditerranée est déjà totalement asphyxiée.

2027 : l’État Islamique, dit Daech, fait exploser la centrale nucléaire de Golfech en France et assassine le premier ministre israélien. Simple chant du cygne pour cette mouvance extrémiste qui disparait rapidement après ces deux derniers faits d’armes retentissants.

2027 : suite à des manifestations « explosives » de sa population, lassée par la pollution grandissante, la Chine décide l’arrêt de l’exportation des terres rares, dont l’extraction est une véritable catastrophe écologique. Certains dirigeants de pays pauvres, peu scrupuleux, accepteront de dévaster leurs terres et fourniront le reste du monde en métaux et minéraux.

2028 : France, immense scandale : un parti d’extrême droite était financé par le Kremlin afin de combattre de l’intérieur les démocraties occidentales. Un changement politique radical au sein de la Russie a permis de révéler cette terrible information. La présidente de ce parti et son mentor seront condamnés à dix ans de prison ferme.

2028 : pour lutter contre l’ubérisation de la société avec la mise à mal de tous les systèmes fiscaux et sociaux, une loi universelle internationale proclame la fiscalisation intégrale dans le lieu de production, de vente ou de prestation. De plus, les DATA ont interdiction d’utiliser les données personnelles. Le modèle économique de nombreuses sociétés du Web doit être totalementrevu.

2028 : en Hongrie, un parti national-socialiste pro- nazi, le Fajelmétet Normàlis, inconnu cinq ans auparavant, prend le pouvoir par le jeu des alliances avec le Parti Fidesz. La sortie de l’Europe est promulguée deux ans plus tard. Les institutions sont mises à mal, la dictature remplace la démocratie. Effondrement de l’économie, la Hongrie rejoint le club peu enviable des pays les plus pauvres au monde. Un soulèvement populaire fera près de vingt mille morts et rétablira la démocratie. De fait, les mouvements populistes, nombreux en Europe à cette époque, perdront toute influence. Plus personne ne pourra dire : « on ne les a jamais essayés ! »

2029 : après la énième crise financière, les États décident de réguler strictement la bourse et ses instruments financiers. La spéculation des matières premières est interdite ainsi que la vente de produits dérivés complexes. Le trading à haute fréquence par algorithme est stoppé par la mise en place d’une taxe sur les transactions financières, obligeant les gérants à conserver un certain temps les différentes lignes de leur portefeuille.

2030 : les douaniers Australiens tirent à balles réelles et tuent vingt réfugiés Indonésiens qui tentaient de forcer un barrage.

2030 : pour lutter contre les espèces dites invasives, la libre exportation de végétaux ou d’animaux est interdite. Dans quasiment tous les pays du monde, sont créées des brigades de l’écologie, réclamées à corps et à cris depuis de nombreuses années par Greenpeace et d’autres associations écologiques.

2030 : décision ratifiée par 112 pays, la biodiversité est décrétée bien public mondial, sa gestion ne peut donc relever de la seule souveraineté des États. En contrepartie, les pays protégeant la biodiversité bénéficieront de subventions conséquentes sous la direction de la BPM, organisme créé sous l’égide de l’ONU.

2030 : Apple invente le premier téléphone cellulaire directement relié aux neurones temporaux. Malgré l’esthétisme douteux et des effets secondaires importants, les candidats volontaires à cette nouvelle technologie sont nombreux. L’expression : « avoir le téléphone greffé à l’oreille », prend tout son sens.

2031 : coup de tonnerre : un chercheur prétend avoir trouvé le gène du vieillissement et la façon de le contrer. Il s’avérera que, si en laboratoire l’expérimentation au niveau cellulaire fonctionne, les essais sur les animaux terrifieront les observateurs. Le projet est abandonné.

2031 : après un nième carnage dans une petite ville du Texas - un enfant de dix ans tuant cinq de ses camarades et un professeur avec l’arme qu’il avait subtilisée à son père - la constitution des États-Unis est modifiée, le port d’arme sera limité. Trois États refusant la loi fédérale menacent de faire sécession. La troupe les fera revenir dans le droit chemin.

2031 : le manque de pollinisateurs fait perdre des milliards de dollars aux économies mondiales. De nombreux pesticides et fertilisants sont interdits, mais les terres seront polluées pour des décennies. Un industriel Français lance sur le marché un mini drone -pollinisateur qui suppléera à l’absence d’insectes. Malheureusement, la nature ne bénéficiera pas, elle, de cette nouvelle technologie…

2032 : l’année des tornades et des cyclones. Les États-Unis sont particulièrement touchés avec deux mille tornades d’intensité supérieure ou égale à EF1 enregistrées. La ville de Fort Smith en Arkansas est totalement rayée de la carte par une tornade EF5 : douze mille morts. Le Bangladesh subit différents cataclysmes météorologiques et perd un million d’habitants.

2035 : après l’Écosse et la Catalogne, c’est le Sud Mali qui fait sécession. S’en suivra une guerre d’indépendance qui fera soixante-dix mille morts. De son côté, la Catalogne reviendra au bout de 6 ans dans le giron espagnol.

2035 : les armées et les polices sont à présent équipées de robots et drones, capables de réaliser leurs missions sans intervention humaine. La reconnaissance faciale, les récepteurs olfactifs ou l’analyse aérienne des codes génétiques par la méthode dite du balayage chimique, inquiètent les médias et des hommes politiques attachés à la démocratie et la liberté.

2036 : d’après une étude suédoise, l’épidémie de malformations cérébrales du fœtus humain qui touche les pays de l’OCDE et la Chine, serait due à l’exposition au champ électromagnétique produit par les antennes de la 6 G. Scandale international, le Herald Tribune prouve que les opérateurs téléphoniques savaient…

2042 : l’Allemagne reste le dernier pays au monde à promulguer une politique nataliste volontariste. Elle l’arrêtera quelques années plustard.

2045 : un chercheur Sud-Africain crée le « Baotou », une substance produisant de l’énergie à partir des photons ou des calories contenues dans l’eau et dans l’air, tout en ayant la propriété de pouvoir la stocker. Le monde pense avoir réglé ses problèmes énergétiques et espère ainsi lutter contre le réchauffement climatique. L’inertie est trop importante, le permafrost poursuit sa fonte et libère des millions de tonnes de gaz à effet de serre. La banquise, couverte de suie et de poussière, ne refoule plus les rayons solaires, et accélère elle aussi le réchauffement climatique.

2045 : à la conférence sur la biodiversité de Gitega, Burundi, une mesure phare : chaque pays a obligation de mettre dix pour cent de son territoire en réserve protégée, dont deux pour cent, totalement interdite à l’homme.

2045 : 25 % du PIB mondial est réalisé à présent par le travail de robots dits « free-autonomous », capables de prises de décision et en toute autonomie, de réaliser leurs missions. Ils possèdent de surcroît la faculté de s’auto- réparer.

2046 : le Parti Écologiste International est créé. Dès 2048, le PEI gagne des élections dans de nombreuses villes du monde et même celles du puissant État de Floride auxUSA.

2046 : le Royaume-Uni devient le douzième producteur mondial vinicole.

2047 : la viande de plusieurs animaux, dont les bovins, est lourdement taxée pour en limiter l’élevage. L’apport en protéine sera largement compensé par la culture des insectes et la fabrication de viande in vitro, qui gagne chaque année des parts de marché.

2047 : grâce à l’énergie à faible coût produite par le Baotou, fermeture de nombreuses centrales au gaz et nucléaires, celles au charbon ont été interdites en 2035. Les barrages hydroélectriques ont obligation de mettre leurs turbines hors service 4 mois dans l’année. L’ambition est de réinitier le cycle naturel, les alluvions et matériaux transportés par les fleuves devant permettre le ré ensablement des côtes.

2048 : scandale sanitaire sans précédent. Après celui des ondes électromagnétiques de la 6 G, après celui des OGM qui ont perverti le génome de nombreuses espèces animales et végétales provoquant cancers et maladies génétiques, les nanoéléments s’avèrent être un nouveau poison pour toutes les espèces vivantes. Ils sont eux aussi interdits. Présents partout, ils feront néanmoins des dégâts pendant des dizaines d’années.

2048-2049 : les années-volcans. Le stratovolcan du Mont Rainier aux USA entre en éruption, un énorme lahar engloutit les villes de Orting et Puyallup et en partie Tacoma. 36 000 morts. Par ailleurs, réveil du volcan du Puy de Lassolas, en Auvergne. Pas de victime ni dégât.

2049 : robots, free-autonomous, drones, objets connectés prennent une place de plus en plus importante dans la vie des humains. La durée légale internationale du temps de travail est réduite en moyenne à 30 h, les vicissitudes de la vie quotidienne deviennent quasiment inexistantes. Les hommes, de plus en plus sédentaires, l’obésité devient cause nationale dans de nombreux pays. Une véritable épidémie de décès par suicide marque cette année2049.

2050 : prolifération de la population mondiale, dix milliards d’habitants, et plus particulièrement en Afrique, avec deux milliards et demie, concentrés dans les zones les moins affectées par la désertification, omniprésente à présent. L’essor économique est extraordinaire, la disparition des espèces végétales et animales l’est tout autant. Après les ours blancs, les bélugas, les guépards, les tigres de Sibérie, les rhinocéros blancs, les gorilles des montagnes, les chimpanzés disparaissent officiellement de la nature cette année-là.

2050 : les réfugiés climatiques deviennent de plus en plus nombreux. On estime que d’ici la fin du siècle, un milliard et demi d’individus devront changer de pays voire de continent.

2050 : La production annuelle de soja au Brésil dépasse la barre symbolique des 200 millions de tonnes. Il ne reste que 18 % de la forêt primaire amazonienne…

2052 : cent états votent la loi Natura : tuer un animal volontairement ou détruire un végétal faisant partie d’une espèce protégée devient passible de la réclusion à perpétuité, et même de la peine de mort dans les pays ne l’ayant toujours pas abrogée. Par extension, la possession d’objets en ivoire, d’onguent ou de toute partie d’un animal protégé, engendre les mêmes peines. La population d’éléphants et de rhinocéros croît à nouveau. Trop tard pour d’autres.

2055 : une mission spatiale américaine a ramené avec elle une bactérie martienne. Suite à un incident, elle s’est répandue sur Terre, provoquant la mort d’environ cent cinquante millions d’humains. Il s’est avéré par la suite qu’il s’agissait d’une bactérie humaine amenée sur Mars lors d’une précédente expédition et qui avait muté du fait des radiations.

2056 : le Chili, l’Espagne et l’Algérie, deviennent les trois premiers pays au monde gouvernés par le Parti Écologiste International. Les habitants abandonnent la notion de propriété et de possession, comme ils abandonnent aussi les outils technologiques, les armes, les objets connectés superflus, l’égoïsme et le repli sur soi, au profit de l’art, de la communication et de l’entraide. Un programme informatique complexe appelé « Équilibra » est mis au point pour les aider à gérer leur pays en respectant cette politique volontariste.

2060 : c’est l’année du point d’orgue des guerres dites climatiques. Lassés d’être rejetés voire abattus, les réfugiés climatiques tentent de forcer le passage par les armes, aidés en cela par les passeurs de plus en plus puissants. Les révoltes dans les camps de réfugiés font trois cent mille morts. Les extrémismes religieux, politiques ou ethniques amplifient le phénomène. Partout dans le monde des zones de guérillas voient le jour. L’Europe et les États-Unis sont relativement protégés mais ont dû construire pour cela de véritables camps retranchés derrière des murs puissants et l’armée, dont on a changé la mission première.

2063 : le suicide devient la première cause de mortalité dans les pays dits développés. Une mission d’enquête internationale est envoyée dans les douze pays à dictature écologiste PEI, pour en comprendre la quasi-absence de ce phénomène. Une vie simple voire ascétique, l’égalitarisme, la communication, l’échange, l’art, l’absence de stress et de besoins. Vivre sous la dictature de l’Équilibra rendrait heureux, sera la conclusion de cette enquête.

2063 : chaque nouvelle technologie crée son lot de problèmes. Les scandales sanitaires liés à la pollution atmosphérique et de l’eau, sont de plus en plus nombreux. Les pays plus respectueux de l’environnement et cherchant à sortir de la logique consumériste, supportent de moins en moins bien les pollueurs car les frontières n’arrêtent ni les particules, ni les fumées toxiques, ni la bêtise…

2075 : le Sud de la Floride, le delta du Mississippi, Bangkok en Thaïlande, les Maldives, Venise, une grande partie de Tokyo, les Pays-Bas, Shanghai,… ont quasiment disparu sous les flots, dépassant très largement les prévisions les plus pessimistes des experts.

Le GIEC avait pourtant tiré la sonnette d’alarme dès1990.

Quatre-vingts pour cent des espèces végétales et animales ont disparu ou sont en quasi-disparition sur terre.

2080 : onze milliards et demi d’habitants, la Terre s’est échauffée de 8 degrés depuis le début du siècle. Destruction des zones naturelles, disparition des forêts primaires, désertification, déchaînement de la Nature, famines à répétition, révoltes, guérillas, émeutes... La Terre n’est que haine et guerres. Pour tenter de rétablir la situation, de nombreux pays, totalement dépassés et paniqués, décrètent l’état d’urgence, et mettent à leur tête les dirigeants les plus virulents du PEI (Parti Écologiste International).

2084 : la dictature de l’Écologie est décrétée, des mesures draconiennes sont prises dont :

-contrôle des naissances avec limitation à un enfant par couple

-mise au ban de toutes les technologies utilisant des métaux ou matériaux rares mise en place de réserves naturelles interdites à toute présence humaine sur vingt pour cent des territoires.

Les États-Unis et le Mexique sont les deux seuls États à refuser la ratification de cet accord international, malgré une opinion publique très partagée. Les négociations commencent.

2090 : les avancées sont spectaculaires dans de nombreux pays. « L’humain redevient humain », s’enthousiasment les dirigeants mondiaux. En effet, les hommes retrouvent la communication, le rire et le goût des belles choses. Le Mexique a rejoint le camp des news écolos, les USA font de la résistance...

La dictature de l’écologie, suite aux recommandations du programme Équilibra, décide de mettre les USA au ban des nations. Un blocus économique est décrété en cette fin d’année.

2091 : les Américains plieront ou disparaîtront. Quelques escarmouches plus qu’une véritable guerre, puisque le chacun pour soi domine nécessairement.

2093 : les Ricains renoncent à leur attitude et rejoignent l’Équilibre. Ils en deviendront rapidement les leaders les plus actifs grâce à une opinion publique toujours aussi volontariste lorsqu’elle est convaincue.

2095 : la population mondiale se stabilise voire diminue légèrement. La possession d’animal de compagnie est interdite, et quelques décennies plus tard, l’interdiction formelle de tout animal en captivité est votée dans l’enthousiasme général.

2096 : première victoire de la France depuis 1977 au concours de l’Eurovision de la chanson.

Les personnages par ordre d’importance :

Khaur : Traqueur de l’Équilibre dans la zone d’habitage Alternatiba. Héros de cette épopée, qui devient rapidement « Je ». Le lecteur devient, de fait, le Traqueur Khaur.

Tikki : Pisteur Mbuti d’Alternatiba, ami de Khaur. Ancien Traqueur destitué

Akka : Pisteur Mbuti d’Alternatiba, ami de Khaur ; il compose avec Khaur et Tikki, l’équipe de Traqueurs d’Alternatiba. Il est l’homme au sourire constamment aux lèvres.

Sogno : femme imaginaire (ou pas) qui hante les nuits deKhaur

Inquisitio : Vérificateur de l’Équilibre de la zone d’Alternatiba

Jomuir : Guide d’Alternatiba

Chiourme : Garde féminin de la Maison du Gouvernement. Fera partie de l’équipe d’enquête.

Mésoc : Saltimbanque du Sanctuaire

Maingelé : Supraguérisseur de la Maison du Gouvernement d’Haeckelie

Hornica : Supraviseur de l’OME. Gouverneur d’Haeckelie

Suthra ; Supravérificatrice de l’Équilibre au Sanctuaire. Responsable de l’équipe d’enquête de la Maison du Gouvernement. Gouverneur d’Haeckelie

Stowhen : héros légendaire, premier Traqueur de l’Haeckelie

Nion : Compagnon du Sanctuaire, fera partie de l’équipe d’enquêteurs

Perblaize : Guérisseur-Hypnotiseur d’Alternatiba

Toluh : Traqueur ayant dirigé l’embuscade contreKhaur

Sua : un des Pisteurs ayant participé à l’embuscade contreKhaur

Bila : un des Pisteurs ayant participé à l’embuscade contreKhaur

Snah : Supraviseur de l’OME. Gouvernement d’Haeckelie

Wanriga : une des cinq Tabellions du Sanctuaire. Gouvement d’Haeckelie

Barricom : un des trois Oracles de l’Équilibre. Gouvernement d’Haeckelie

Fom (Fombeco) : Traqueur de Nitiobrige. A mis au point une méthode de camouflage.

Saka : jeune fille connue dans la jeunesse deKhaur

Luce : membre du Gouvernement disparue

Risveglio : membre du Gouvernement disparu

Vop : jeune Ricain deVièla

Amongöth : Ricain au Sanctuaire

Bartheinz : Ricain au Sanctuaire

Pour les autres, ils passent si vite...

I) LA TRAQUE

Depuis longtemps le crépuscule avait enténébré la scène. Nous devinons, plus que nous voyons, une forme recroquevillée contre le tronc d’un arbre mort. La lune a fait son nid entre les branches fantomatiques. L’astre sera l’unique témoin de la tragédie. En arrière-plan, se fondant dans le ciel, les flots scintillent de mille feux. Je n’avais jamais vu la mer... Le bruit régulier des vagues qui se cassent sur la plage, et plus encore, celui du ressac aspirant les petits galets qui s’entrechoquent, restent captivant malgré la tension.

Nous avons couru et transpiré toute la journée, plusieurs dizaines de kilomètres parcourus, nous rapprochant dangereusement de la zone interdite, refuge salvateur pour le fuyard. Heureusement, il était à bout de force. Le dénouement est imminent.

La nuit était tombée d’un coup, comme si elle désirait précipiter les choses. Notre approche a été longue, minutieuse, silencieuse. Pas à pas, centimètre après centimètre, nous avons pris subrepticement position, encerclant l’être immonde. Plusieurs fois, toujours aux aguets dans son sommeil, il a relevé la tête, humé l’air... il ressent quelque chose, imperceptible pour celui qui n’a jamais été pourchassé. Mais la fatigue est là, ses réflexes et son instinct de survie émoussés par ses nuits courtes et les longues journées éprouvantes, sans jamais pouvoir réellement récupérer. Après chaque alerte, sa tête a dodeliné, la respiration régulière a repris.

À présent, à quinze mètres de la cible, chacun sûr de son rôle. Au signal, deux sifflements caractéristiques, deux chocs puissants, des cris vainqueurs, de la joie, du soulagement, on s’enlace, on danse, on chante, comme des enfants exubérants… la bête est enfin terrassée.

Épilogue heureux d’une Traque de plusieurs jours.

Une flèche plantée dans le thorax, l’autre a traversé son cou et s’est fichée profondément dans le tronc de l’arbre. De cette blessure, le sang sort en bouillonnant, et de sa bouche, dégouline une écume de bave rouge. Ses membres supérieurs battent l’air misérablement, les jambes dessinent nerveusement des volutes dans le sol poussiéreux. En vain, il restera épinglé sur son étaloir1. Ces mouvements désordonnés déclenchent en nous, gestes vainqueurs et éclats de rire incontrôlables.

Les yeux encore ouverts, le supplicié regarde tristement la danse macabre qui fête sa mort imminente : « Il ne pensait pas qu’on puisse autant s’amuser autour d’une tombe. »2

Trois jeunes adolescents gringalets… Il aurait pu, il aurait dû leur tendre un piège et s’en débarrasser. Ses forces déclinent. Il n’a pas mal, juste un poids au niveau de la poitrine. Il respire difficilement, le sang remplit rapidement ses poumons, la vie le quitte inexorablement. Il sait qu’il ne doit pas s’endormir mais ses yeux sont lourds, trop lourds ; il a froid, très froid. Une pensée fugace pour la vallée, sa vallée chérie dans laquelle il vivait ; une interrogation : « Y a-t-il quelque chose après... ? » Las ! Il est mort.

Quelques jours auparavant...

Khaur est sur la piste depuis six jours, le soleil haut, une chaleur impitoyable, pas un nuage, pas une ombre, dans cette savane jaunie par des mois de sécheresse.

Cela fait des décennies que les trop rares orages, des mois d’août à novembre, d’une violence inouïe, ne compensent pas la saison des pluies, absente cette année encore. À l’horizon, quelques arbres secs pétrifiés toujours dressés, squelettes d’une nature en déperdition.

Le drone a perdu la trace du prédateur dans des collines arides et usantes. Étonnamment, au fond de certaines ravines caillouteuses, on a parfois la chance de trouver quelques ceps de vigne, misérablement tordus, s’accrochant par miracle à la vie. Secs et acides, les grains de raisin sont néanmoins une délectation tant les rations alimentaires habituelles sont détestables.

Pourquoi, après avoir d’abord réalisé un long chemin sinueux ainsi que de larges détours dans une plaine sans abri, sans âme, sans vie, avec comme seule évidence, la direction sud-ouest, le prédateur a-t-il tout d’un coup bifurqué nord-ouest, et son relief plus marqué ? Tentative désespérée d’échapper à la Traque, ou la recherche d’un point d’eau ou de nourriture…

Khaur lève les yeux vers ce ciel dont il connaît l’encore fragilité de la couche d’ozone qui protège néanmoins la vie sur terre de terribles rayons nocifs. Une surprenante irisation bleuâtre trouble sa vision, la chaleur probablement. Malgré ses lunettes, malgré ses vêtements- coutou, véritable seconde peau thermo- régulée, malgré son équipement de récupération et de traitement de la sueur et des fluides, Khaur souffre le martyre. Néanmoins il aime sa mission… il l’aime et surtout, il est convaincu de son importance. Grâce à lui, l’Équilibre est respecté.

Il souffre, mais que devraient alors dire les deux Pisteurs pygmées qui l’accompagnent. Chacun d’eux porte une sacoche-ceinture bien garnie, un chapeau ingénieusement réalisé avec des touffes d’herbe sèche qui tombent jusqu’aux hanches ; aux pieds, les fameuses « samaras » à la semelle en alfa, et seule concession au progrès, leurs lunettes de soleil et de vieux pantalons- coucou, récupérés probablement sur un marché-troc ou lors d’une précédente mission.

Cela fait bien longtemps qu’ils ont perdu leur fonction de régulateur thermique, ne peut s’empêcher de penser Khaur en souriant.

Avec leurs arcs et flèches, semblables à des plumeaux au-dessus de leur tête, ses acolytes ressemblent à deux bouquets d’herbe de la Pampa sur pied. Khaur ne peut s’empêcher de rire à la vision de ce spectacle. Il avait déjà vu cette plante, se souvient-il, au jardin botanique du Sanctuaire et n’avait d’ailleurs jamais croisé cette si particulière herbacée dans la nature. Les garants de l’Équilibre avaient décidé depuis fort longtemps de la classerespèce nuisible , au même titre d’ailleurs que de nombreuses autres invasives.

Il aime profondément ses pygmées, même si ce terme déclenche chez eux une colère disproportionnée... « Nous sommes Mbutis !! » crachent-ils chaque fois avec véhémence.

Certes, ils sont un peu plus noirs et vraiment plus petits que la moyenne, mais de là à se prétendre de lignée directe à ce vieux peuple des forêts… Surtout que l’on raconte que le terme « pygmée » fut employé pour la première fois par un joyeux luron, au moment de la mise en place des brigades de l’Équilibre, les comparant là, aux fameux rabatteurs des chasses africaines du 19ème et du début du 20ème siècle. Mais en y songeant, il est vrai que nombre de nouveaux pisteurs possèdent ces mêmes caractéristiques génétiques, pourtant par ailleurs exceptionnelles dans notre communauté.

Tikki et Akka ne payent pas de mine, pourtant Khaur est persuadé que les deux Mbutis et lui-même, constituent la meilleure brigade d’Haeckelie.

Tikki, l’a beaucoup aidé à ses débuts... Il connaissait toutes les ficelles d’une activité longtemps pratiquée. Comment survivre dans la savane, éliminer les prédateurs tout en évitant les griffes des fauves, les morsures de serpent ou la chaleur, trouver les rares points d’eau ; mais aussi savoir rédiger un compte rendu acceptable aux yeux du redoutable Vérificateur du Maintien de l’Équilibre. Tikki avait d’ailleurs été rétrogradé « simple Pisteur » après avoir été épinglé alors qu’il dégustait un savoureux lézard vert.

Le jugement, étonnamment clément, avait pris en compte ses états de service élogieux avec un nombre important de prédateurs éliminés, mais aussi l’excuse d’un delirium lié au manque de nourriture et d’eau. Pour son crime, il risquait Pitance. Pourtant, jamais Tikki n’évoque cette douloureuse expérience.

Khaur, malgré la souffrance liée aux conditions, apprécie ce paysage désolé d’une nature âpre et exigeante. Errer de longues journées, quasiment seul du fait du nécessaire silence, permet à son cerveau de vagabonder et, fouillant ses souvenirs, de tenter de retrouver le visage de la femme qui hante ses nuits depuisquelque temps. Mais s’il en ressent le besoin, ses efforts restent vains. Sogno, avec ses longs cheveux noirs, ne dévoile toujours pas ses traits en dehors de ses rêves…

Jomuir3, la Guide, lui a intimé l’ordre d’évacuer l’image de cette femme. « Les rêves n’ont pas leur place, seul l’Équilibre compte », lui a-t-elle à nouveau asséné en lui remettant le recueil qui l’accompagne lors de cette nouvelle mission. De peur de lui déplaire voire d’être démis de ses fonctions, Khaur lui ment depuis plusieurs séances, ce qui lui procure un mal à l’aise certain. Serait-il insuffisamment pur ? Il est pourtant intimement persuadé que l’Équilibre est la seule voie envisageable.

Chaque pas soulève une poussière fine ; la moindre brise, loin de rafraîchir, dessèche encore plus l’atmosphère. Hormis les arbres, morts encore miraculeusement debout, subsistent quelques acacias, des touffes d’herbe jaune éparses, du pennisetum - autrefois appelé « herbe à éléphant », lui souffle son neuro- transmetteur - et parfois un « balanites aegyptacia » sur lequel nous cueillons quelques fruits à sucer. Cette nature dégage une beauté à l’état brut.

Le silence parfois troublé par le rugissement lointain d’un lion. Khaur serre alors son bâton électrique, seul recours contre les fauves affamés. Les herbivores ont dans leur grande majorité quitté la contrée, toujours plus au nord.

À une cinquantaine de mètres, les deux Pisteurs, pourtant démunis d’arme -repoussoir, poursuivent leur quête du moindre indice, sans marquer la plus petite des réactions au danger potentiel. Ils font entièrement confiance à leur chef d’équipe. Sous cette canicule, leurs silhouettes évanescentes ressemblent à deux fantômes impalpables et désarticulés, flottant au-dessus de la poussière.

Tout d’un coup, Akka s’immobilise, se redresse prestement et, utilisant le langage sifflé aasien de l’ancienne Pyrène, appris durant les stages de survie, me somme de le rejoindre. Malheureusement, seuls les Traqueurs sont appareillés de neuro-transmetteur permettant la communication par ondes télépathiques. Une bosse de forme rectangulaire sur mon tympan gauche atteste de ma propre implantation. Tikki arbore au même endroit, une large et vilaine cicatrice blanchâtre… Le Vérificateur lui a fait comprendre ne pas avoir apprécié son lézard- carnassier- écart lors de l’intervention nécessaire pour lui retirer son neuro- transmetteur. Il lui a été quasiment arraché sans anesthésie. L’hypnotiseur-herboriste n’était apparemment pas disponible ce jour -là. On raconte que les cris de douleur de mon ami s’entendaient à des kilomètres à la ronde. Après s’être enfin évanoui, le malheureux est resté inconscient plusieurs heures. De sa large blessure, s’échappait un faisceau de micros-filaments qui reliaient précédemment ses neurones au capteur. Il aurait pu, il aurait dû conserver de très graves séquelles de cette expérience.

Où est passé Akka ? Disparu…

Aucune réponse à mes appels. Une poussée d’adrénaline, sueurs froides, mon bâton électrique à la main, je4 me précipite. Un lion ? Stress, inquiétude, tout mon être sur le qui-vive… Un éclat de rire sur ma gauche ! L’imbécile s’était glissé dans une immense termitière abandonnée, partiellement effondrée sur elle-même.

« Je t’ai bien eu, Khaur, t’as eu peur eh eh t’as eu peur !!?? » pouffe-t-il en s’approchant… Salto arrière, yeux tout d’un coup exorbités, Akka se retrouve le nez dans la poussière. « Aie aie aie aie, hi hi hi hi ». Entre la douleur de la petite décharge de mon bâton électrique, et la surprise d’être pris à son propre jeu, il éclate d’un rire franc et contagieux, ponctué de hoquets désopilants. Son fou rire communicatif me gagne, et évidemment, Akka explose de plus belle… Mon ventre tout en spasmes, devient vite douloureux, je me laisse tomber dans ses bras, la crise s’amplifie encore et encore… Nous nous esclaffons, gémissons, nous tordons de rire durant de longues minutes, incapables de nous regarder sans pouffer à nouveau… Impossible de nous relever, juste le besoin de nous laisser aller après tous ces jours de tension et de souffrance.

Et ce n’est sûrement pas l’arrivée de Tikki qui arrange les choses... son gros nez aux narines immenses, ses yeux paniqués, cette cicatrice temporale exagérément blanche aujourd’hui, les longues herbes de son chapeaucollées aux joues par la crasse et la sueur, et son arc qui semble une antenne au-dessus du monstre,relancent l’hilarité. Bientôt, les terribles chasseurs deviennent un tas bruyant de bras, de jambes, de torses et de têtes, inextricablement mêlés, dans une explosion de rires et de gloussements…

Un rugissement plus proche que le précédent. Je me redresse prestement, Tikki, déjà sur ses pieds, me fixe, les yeux chargés de lourds reproches… Je n’arrive néanmoins pas à réprimer un sourire en constatant l’état de son couvre-chef après notre mêlée.

J’ai mis la sécurité du groupe en péril, je dois me reprendre :

« J’espère que tu ne nous as pas fait venir jusqu’ici juste pour t’amuser ? » grogné-je, plus méchamment que souhaité réellement.

Akka, sentant la tension, réduit son sourire béat d’environ… deux millimètres ! Malgré ses talents de pisteur, je suis persuadé qu’il est fondamentalement idiot.

« Suis-moi Maîtreeeeeeeeeeee », répond-il, espiègle et taquin… Il n’est finalement peut-être pas aussi stupide qu’il en a l’air.

Derrière la termitière, des viscères verdâtres, couverts d’une nuée de mouches, et la tête aux cornes caractéristiques d’une gazelle de Thomson.

Ce n’est visiblement pas l’œuvre d’un fauve ou d’une hyène… « Tikki, au travail ! » aboyé-je, cherchant à asseoir mon autorité vacillante, alors que le Pisteur, déjà agenouillé, inspecte, hume les boyaux et termine par la tête de la victime. Les yeux de la gazelle, étonnamment vivants, semblent nous reprocher notre retard.

« C’est le travail du prédateur, il a éviscéré et étêté notre Cousine de la savane avant d’emporter le reste du corps. Cinq heures d’avance environ. S’il s’arrêtait au prochain point d’eau pour se reposer, nous pourrions le rattraper là-bas… Nous y serons dans deux ou trois heures. » annonce un Tikki aux yeux haineux et aux lèvres serrées par larage.

La fatigue liée à notre longue traque a disparu, notre équipe plus soudée que jamais. Avec la pointe de mon couteau, je grave un « E » sur une des cornes de l’animal, comme nous l’ordonne la règle a ordo vivendi5.

« Tu étais Équilibre et tu redeviendras Équilibre », énoncé-je, tout en jetant une poignée de sable poussiéreux sur le reste de la dépouille de notre Cousine. Les deux Pisteurs en font de même. On va débarrasser le pays de ce prédateur qui laisse sur son chemin, cadavre après cadavre.

« Formation en triangle, quarante mètres l’un de l’autre, arcs bandés, Akka, tu prends la tête ! » Aucune jérémiade à mes ordres, même s’ils savent qu’il n’est pas aisé de marcher dans de telles conditions. À perte de vue un décor minéral, il est certain que le prédateur n’est plus dans les environs depuis fort longtemps, pourtantje dois affirmer mon autorité et démontrer ma reprise en main de l’équipe.

Une vingtaine de kilos de viande à transporter, le prédateur laisse à présent des traces plus évidentes, avec parfois dans la poussière, ce que Tikki nomme : « larme de lune »..., d’étranges boulettes à paillettes métalliques multicolores qui partent en poussière entre les doigts.

La bête a filé droit vers l’est, a priori en direction du point d’eau, comme prévu par Tikki. Je lève la formation en triangle, un seul arc prêt à l’action suffira à protéger le groupe. Le soleil commence lentement à décliner, la chaleur reste inouïe. Pourtant, mes pygmées ne semblent pas transpirer et ne boivent qu’avec parcimonie dans leurs outres remplies lors du dernier bivouac. Avec mon équipement, je suis bien mieux loti qu’eux. Heureusement, bientôt de l’eau à profusion...

Akka, le sourire encore et toujours accroché aux lèvres, mène le groupe à présent, désignant de temps en temps, d’une main dédaigneuse, les quelques indices, évidents à ses yeux, laissés par le prédateur. À travers ce relief collinaire, entrecoupé çà et là, d’anciens cours d’eau asséchés, nous menons un train d’enfer.

En approchant du fond d’une combe, la végétation apparaît tout d’un coup à nos yeux : des arbres miséreux et quelques buissons plus ou moins épais. Ce paysage à peine plus généreux s’accompagne de quelques cris, et de bruits de courses d’animaux. Bientôt le point d’eau est là, devant nous. Dans la poussière et la boue, mêlées aux nombreuses traces de sabots, celles du prédateur indiquent, à notre grande déception, un départ depuis plusieurs heures déjà.

« Allez remplir les outres, je vous couvre ! »

En même temps, je sors mon bâton électrique. Les abords des points d’eau sont en parallèle oasis et zone à risque.

Pas d’herbivore en vue… très surprenant. Tikki et Akka sentent intuitivement le danger. Ils ôtent leur chapeau, se délestent de leurs armes afin d’éviter tout accident avec une Cousine. Ils hument l’air tout en avançant précautionneusement, cherchant des yeux d’où pourrait venir la mort. Et Akka sourit encore…

À peine trente mètres parcourus par mes amis, deux furies, jusque-là à l’affût derrière un entrelacement d’herbes hautes, se lancent vers leurs proies. Des lionnes, affamées... Immédiatement réagir ! Les Pisteurs connaissent leur seule chance de survie : crier, et mimer une contre-attaque. Tel un dément, j’arrive à leur hauteur tout en hurlant aussi, les fauves ne sont plus qu’à une vingtaine de mètres. Déboussolée, la plus jeune lionne s’arrête, l’autre poursuit sa course. Le premier arc électrique, puissance maxi, télécommandé par mon neuro- transmetteur, zèbre l’air. Touché à l’épaule, déstabilisé, l’animal trébuche, se relève avec agilité mais moins solide sur ses pattes, rugit, et, tel le bateau ivre, reprend de façon désordonnée sa course, toujours puissante néanmoins. À deux mètres, il perd à nouveau l’équilibre, lance sa patte vers un Akka tétanisé, le sourire pourtant figé aux lèvres. La seconde décharge s’abat sur le museau du félin. La peur change de camp. Désorientées, les deux lionnes courent se réfugier à quelques dizaines de mètres. De la faim ou de la crainte, laquelle l’emportera ? De là peuvent dépendre nos vies…

« Remplissez vite les outres, mon bâton électrique n’a plus assez d’énergie pour répondre à une nouvelle attaque. »

Faisant face aux fauves, réserve d’eau faite, nous nous éloignons en reculant pas à pas d’abord, puis, après avoir récupéré armes et chapeaux, en trottinant droit devant nous sur quelques hectomètres, malgré la chaleur accablante. Nous trouvons refuge sur un promontoire qui nous permettra de surveiller les environs. Les tremblements de peur qui secouent mon corps, s’estompent peu à peu. Tikki est livide, et Akka, s’il sourit encore, est étrange. Son pantalon - coucou, largement déchiré se teint inexorablement en rouge, le haut de sa cuisse saigne abondamment. Le coup de patte de la lionne…

Des feuilles de Jatropha Curcas, sorties de ma sacoche -ceinture, sont appliquées sur la blessure. Bientôt le sang s’arrête de couler. Ce n’est finalement pas aussi vilain que je ne le craignais. « Même les lions ne veulent pas de vous, les pygmées ! Ironique, certes, mais surtout soulagé.

– Nous sommes des Mbutis ! » répondent-ils dans une belle harmonie. Nous explosons de rire. Le stress. Nous avons échappé de peu à la mort.

La formation de premiers secours qui clôture les longs stages de Traqueur va nous servir. Je sors une aiguille et du fil.

« Akka, il faut que je recouse la plaie.

–Toi, tu as décidé de me faire payer cher la blague de l’après -midi », ne peut s’empêcher de plaisanter le futur supplicié, le sourire inexorablement aux lèvres.

Outre le fait que je ne suis pas forcément doué pour la couture, je dois bien avouer que je ne me sens pas très fier lorsque j’enfonce dans la chair l’aiguille chauffée à blanc préalablement.

 « C’était plus facile avec les poupées d’entraînement, elles ont le cuir moins dur que ta couenne.

– Quand tu auras fini de recoudre ma jambe, pourras-tu t’occuper de mon pantalon ? J’y tiens beaucoup ! Quoique... lorsque je vois ton travail pour refermer ma plaie, je pense que je le ferai moi-même. » plaisante-t-il, mais son sourire légendaire est cette fois quelque peu figé par la douleur.

 « C’est rassurant, la folie a ses limites. » Je ne peux m’empêcher de m’amuser de cette pensée pourtant peu empathique.

Tikki mâche depuis plusieurs minutes une décoction de plusieurs plantes médicinales dont du samtarde.Mon œuvre artistique terminée, la pâtée peu ragoûtante est étalée consciencieusement sur la blessure. « Antibiotique Mbutis, déclare Tikki, fier delui.

– Nous bivouaquerons ici. Buvez avec parcimonie, le prochain point d’eau est à plus de deux jours de marche. »

Les rations sèches et insipides à base de protéines végétales et de galettes sont avalées sans plaisir, une poignée de graines de tournesol complètent le festin. Heureusement quelques restes de baies, racines et graminées, ramassées ça- et- là, améliorent l’ordinaire. Je me délecte, directement au goulot de l’outre, de quelques petites gorgées d’eau, tiédasse, certes, mais tellement plus agréable que le liquide écœurant élaboré par le récupérateur de fluides de ma combinaison.

Après cette rude journée, eau et aliments nous redonnent rapidement des forces, et le repos soulage les muscles endoloris. Le digo6, mélange de tabac et de chanvre, fourni par le Guide à chaque mission, passe de main en main, l’euphorie gagne le groupe. L’optimisme de la jeunesse a pris le pas sur le doute et la peur. Les jacasseries fusent, nos pitreries nous rendent hilares, l’ombre de la mort a quitté nos têtes. Les deux Pisteurs entament un étrange chant, tantôt polyphonique, riche et complexe, tantôt mêlé à des variations fascinantes de yodel, d’ostinato et même du hoquet. De leurs mains, ils frappent tout objet à portée, et les sons générés s’orchestrent d’eux-mêmes en une harmonie étonnante et libre. Dans le regard de mes compagnons, une émotion certaine…

En ce qui concerne l’origine de ces chants, je n’ai jamais eu de réponse précise de leur part. J’essaie de les accompagner en soufflant maladroitement dans un pipeau en bois dont je ne me sépare jamais.

Bientôt la tête d’Akka dodeline, il transpire légèrement, ses lèvres retroussées dans un sourire figé. Le crépuscule va bientôt nous transporter de la lumière à l’ombre, la chaleur reste intense mais dans quelques heures, la fraîcheur sera vivifiante. Akka s’est endormi. Il grogne de temps en temps dans un sommeil agité par quelques cauchemars, probablement liés à la fièvre montante. De son visage, on ne voit plus que ses dents, luisantes dans la pénombre.

« Tikki, laissons-le récupérer, et allumons un feu, cela éloignera les Cousins- lions cette nuit. » Mon bâton électrique n’est pas encore totalement réarmé malgré le chargeur solaire et calorique de ma combinaison. J’espère simplement que le prédateur n’apercevra pas les flammes. Le sol est jonché de branches et de bois mort, comme pétrifiés là par une force invisible, vestige d’un maquis arboré disparu depuis longtemps.

« Mais Khaur, le Vérificateur ?...

–J’assume. Si nous n’allumons pas de feu, la proximité des fauves, nous obligera à veiller à deux toute la nuit. Demain, la Traque serait alors plus difficile encore, sans force, le prédateur pourrait nous échapper. Repose-toi, je prends le premier tour de garde. »

Tikki, s’installe à même le sol, sa sacoche-ceinture lui servant d’oreiller. Il ne tarde pas à s’endormir… Son ronflement un peu sifflant, qui semble parfois monter haut, très haut dans la gamme, m’amuse. Un « si »ou un « la » ?

Mon moment préféré. Le silence à peine perturbé par quelques rugissements lointains et les stridulations monotones de nombreux insectes. Les étoiles, dans un ciel noir profond, semblent dessiner mille cartes, mille personnages, des animaux ou différents paysages ; de temps en temps, une lueur fugace… et comme de nombreux humains depuis la nuit des temps, mon vœu s’envole. La lune, visage blafard et plat, tente, en vain, de conquérir la suprématie dans ce tableau qui, de tout temps, a fait tant briller tant d’yeux. J’aimerais avoir un don pour la peinture, j’aimerais dompter la poésie, j’aimerais posséder l’art de savoir conter, et alors je sublimerais plus encore ce spectacle.

Je récupère dans ma sacoche le nouveau recueil de la Connaissance, confié par le Vérificateur, comme à chaque mission, pour m’imprégner de la parole du Guide et poursuivre mon apprentissage. Un jour, je serai probablement Guide. À moins que l’Équilibre n’ait besoin de ma vie avant…

À notre retour, afin de pouvoir prétendre recevoir un nouveau recueil, donc une nouvelle tâche, le Vérificateur analysera ma compréhension des textes et du chemin qui mène à l’Équilibre. Il me reproche souvent d’être plus intéressé par les missions que par les écritures, alors que ces dernières devraient représenter à mes yeux, la récompense suprême.

Au coin du feu protecteur, je lis à haute voix, comme d’habitude :« Guide, parle-nous de la Mort.

Mourir, qu’est-ce d’autre que se tenir nu sous le vent et se dissoudre dans le soleil ?

Et qu’est-ce que cesser de respirer, sinon libérer son souffle des courants qui l’agitent pour lui permettre de s’élever, se dilater, et, délivré de toute contrainte, rechercher à retrouver l’Équilibre ? »7

Mes pensées vagabondent bien loin - mais pas tant que ça finalement - du texte dansant devant mes yeux, suivant en cela le rythme salsa des flammes. Même si j’ai réagi comme il le fallait, j’ai eu peur de mourir cet après-midi, je n’aurais pas dû… L’Équilibre veille en la bonne marche de la terre, et s’il avait fallu que je finisse dans l’estomac d’une

Cousine-lionne, cela aurait été dans l’ordre des choses car « je suis Équilibre, je retournerai à l’Équilibre. »

Une nouvelle page prise au hasard…

« L’écologie humaine dans sa finalité,

Rêve d’un monde meilleur, utopiste il estvrai,

Gouverné par des sages, des sages éclairés,

Abandonnant l’usage de nos fausses priorités,

Pour que les espèces vivent dans leur totalité.

L’équilibre reste fragile, notre devoir est de lutter

Pour que nos congénères dans leur égocentrisme,

Prennent conscience d’une réalité : la précarité.

L’eau, l’air, l’énergie sont des biens à usage limité,

Faisons en sorte par une action commune de les préserver. »8

Une annotation en fin de page précise qu’il s’agit d’un poème du Temps d’Avant.

« Temps de l’abondance, temps des excès, des gaspillages, de l’égoïsme aveugle et fou », s’énerve Jomuir, le Guide, sans jamais s’expliquer, lorsqu’il évoque fortuitement ce fameux Temps d’Avant.

Penché sur mon texte, après plusieurs lectures, je ne comprends pas tout, voire pas grand-chose. Certains mots et concepts me semblent tellement surannés, hermétiques et surréalistes. Qu’est-ce que l’écologie ? Les anciens ne connaissaient certes pas l’Équilibre, mais j’imagine que leurs sages guidaient le monde… Et que de mystères dans cette phrase :

« ... pour que les espèces vivent dans la totalité. » Hormis les attaques des prédateurs, qui pourraient les empêcher de le faire ? … « équilibre fragile », « précarité », « usage limité », « préserver »… me voilà bien dépassé. C’est la première fois que je suis confronté à un poème aussi sibyllin. Je verrai ça demain avec Tikki, même si je sais qu’il s’est lui-même arrêté au recueil six. (A priori, c’est avec soulagement qu’il a intégré le corps des Pisteurs et quitté le chemin de la Connaissance qu’impose le statut.) J’en suis personnellement à ma 13e mission en tant que Traqueur.

Mais possèdera - t-il demain les clés de la compréhension que je ne détiens pas moi ce soir ? Inapte à la réflexion, je referme le recueil. Suis-je tout simplement capable d’évoluer dans la hiérarchie ? Ai-je vraiment envie de quitter les missions ? Mes vieux démons…

Quelques pas autour du bivouac, la température a beaucoup baissé, tout est devenu apaisement et douceur. Les corps se reposent, tout est calme et volupté. Étonnamment, même les Cousins- lions et autres animaux carnassiers de la nuit semblent respecter cette nouvelle atmosphère. Suspect... ils devraient être en toute logique en chasse. Quelque herbivore a déjà dû succomber ce soir.

Dès demain, brûlure du soleil, poussière, fatigue liée à une marche âpre, et danger permanent, redeviendront notre lot quotidien. En résumé, un nouveau jour de bonheur.

Passage de relais à un Tikki, immédiatement sur pied. À lui de veiller sur notre sécurité à présent. Il s’approche d’un Akka au sommeil agité, s’agenouille à ses côtés, puis pose ses lèvres avec une tendresse quasi maternelle, sur le front de son ami. « La fièvre est montée », me glisse-t-il.

Il débarrasse la blessure de l’ancienne décoction, grimace devant l’estafilade à présent boursouflée et rouge violacé. Il prépare à nouveau la fameuse pâtée antibiotique, et l’applique avec une immense délicatesse. « Cela devrait aller », dit-il, autant pour me rassurer que pour se rassurer lui-même.

Ce serait un choc de perdre Akka. De plus, les Pisteurs allant par paire, deux autres seraient nommés pour reconstituer ma brigade, Tikki me quitterait aussi. Les équipes n’ont habituellement pas la même longévité que la nôtre, le taux de perte est conséquent… Déjà deux ans que nous traquons ensemble avec une réussite à faire pâlir de jalousie toutes les autres brigades. Mais grâce à l’Équilibre, ce type de sentiment ne peut exister. Convoitise et orgueil ont été bannis, comme nombre des maux du Temps d’Avant.

« Oui, cela ira mieux demain car la mission doit reprendre. Réveille-moi dans deux heures ! »

Mon optimisme reprend vite le dessus. Aussitôt les yeux clos, je savoure le moment, Sogno devrait venir me rejoindre… Mais qui est-elle ? Pourquoi ne puis-je me souvenir de son visage au réveil même si je sens, même si je sais, qu’elle est belle, très belle même ?!

J’ai déjà oublié les exigences du Vérificateur : « un rêve interdit… »

Après la rudesse de la journée, mon cerveau se love dans une ouate douce voire tendre. Je m’enfonce avec bonheur dans un sommeil réparateur. Très rapidement, une pensée sonde mon esprit, comme de légers coups donnés à la porte d’entrée de mon âme. Je t’attendais Sogno, je t’accueille avec délectation et savoure déjà nos retrouvailles… 

Le bruit d’une cascade au loin, le léger chuintement d’un ruisseau à nos pieds, une herbe verte et grasse, il fait doux, tu es à mes côtés. Main dans la main, nos doigts jouent la partition du bonheur. Tant de mots, tant de chaleur et tant d’amour exprimés par le biais de légères contractions de nos phalanges et nos caresses insistantes. Jeux de mains, jeux de béguin9.

À nouveau, je te retrouve dans cette clairière ensoleillée, cernée de bois et de forêts. Ici tout n’est qu’ordre et beauté, calme et volupté10… Je me sens pleinement heureux, sans oser pour l’instant tourner les yeux vers ma compagne, la nuit précédente, c’est à ce moment- là que son monde a disparu.

« Khaur, regarde-moi ! »  La voix de Sogno, suave, sensuelle, envoûtante.

Elle me sourit. Avec ses longs cheveux noirs tombant sur ses épaules nues, ses yeux noisette, profonds et bienveillants, une peau satinée et lisse, ses lèvres charnues, légèrement entrouvertes découvrent des dents d’une blancheur extraordinaire. Son parfum boisé m’enivre. Comment une aussi belle femme peut s’intéresser à moi, humble vermisseau ?

Je lui souris niaisement. Elle se penche sur mon visage et… dépose un léger baiser sur mes lèvres. Je crois défaillir, mon cœur s’emballe, mon corps réagit immédiatement, une protubérance sous mon pantalon en est témoin. Sogno constate l’effet produit, un léger sourire, mi- ironique, mi- complice.

Je rougis.

D’une main, elle caresse lentement ma joue, l’autre, toujours dans la mienne, poursuit sa longue conversation silencieuse. Un nouveau baiser. Sa bouche sur la mienne, elle force mes lèvres, bientôt nos deux langues se mêlent et s’entre- mêlent, se lancent dans une valse ô combien sensuelle, ô combien vivante et belle. Bientôt Sogno se redresse « Viens ! » dit-elle.

Sonné par tant d’émotion, marionnette soumise, conservant le goût fruité et frais de sa bouche, je la suivrais jusqu’en enfer voire un peu plus loin si elle le désirait…

C’est la première fois qu’elle m’embrasse avec tant de fougue, je n’avais connu jusqu’alors que de chastes baisers. Nos doigts entrecroisés, nous marchons, direction l’aval du ruisseau sauvage, mes mouvements toujours contraints par l’émotion « sous - ceinturale11 ». Joueuse, Sogno jette un coup d’œil rapide vers la bosse qui m’entrave, et sourit tendrement. Un brin honteux, mais surtout ému, je reste coi, savourant juste l’instant présent.

Bizarrement, je ne porte pas mon pantalon-coutou habituel, mais un autre totalement différent, réalisé dans une matière inconnue, légère et douce au toucher, comme une seconde peau… Même ma propre odeur m’est étrangère. Terminées la vieille sueur et la crasse de plusieurs jours, chez les Traqueurs les bains sont rares. Je dégage un parfum fruité, fin et délicat. Rasé de près, mes mains sont propres, mes ongles coupés courts, même mes cheveux semblent plus aériens, portés par la légère brise de cet éden miraculeux. Plus de proéminence sur ma tempe… Pourquoi m’a-t-on retiré mon neuro- transmetteur ?

Sogno ramasse une fleur bleue qu’elle glisse délicatement dans ses cheveux, juste au- dessus de l’oreille. En d’autres circonstances, je devrais la sanctionner. Mais là, je trouve le geste simplement naturel, et le résultat prodigieusement esthétique. Je l’aime...

Je bégaie : « Tu es belle !»

L’eau court, joyeuse, vivante et si claire... Des traits d’argent la zèbrent de temps en temps. « Des ombles chevaliers », m’annonce Sogno, sans que je ne connaisse la signification de ces mots.

Le bruit de la cascade s’estompe, peu à peu remplacé, à ma grande stupéfaction, par des cris et des rires d’enfants.

Au bas d’une légère dépression, apparaît un petit chalet blotti contre un rocher, et à sa droite, un autre plus grand, plus cossu, puis un troisième, plus grossièrement réalisé. Bientôt une quinzaine de bâtisses devant mes yeux médusés… et des gamins qui courent partout, gesticulant, remuant, tombant, explosant de rire et de joie,… un feu d’artifice de bruits et de mouvements. Le portrait ne manque pas de surprendre. Ces garçonnets et fillettes en short, souvent torse nu ou portant simplement de légères tuniques à bretelles, ne prêtent aucune attention à notre arrivée, leur seule préoccupation, le jeu. Hurlant, tenant haut un bâton, un petit blondinet passe juste à côté de nous, trébuche et tombe lourdement, et comme tous les enfants du monde… se met à pleurer.

Sogno réagit vite, elle le relève et le prend dans ses bras pour le consoler. Des larmes vite essuyées, une bise sur la joue, une petite tape sur les fesses. « C’est rien Yo, allez file ! »

Je regarde avec effroi son épaule gauche, puis avec panique celle de chacun des bambins du groupe passant à proximité, mes yeux roulent dans leur orbite, j’ai du mal à respirer, avec crainte, appréhendant déjà ce que j’allais constater, lentement je me retourne vers Sogno… Horrible ! Elle non plus, nulle trace d’un quelconque tatouage sur son épaule… Je sombre brutalement.

« Khaur, Khaur, réveille- toi ! »

Je sors lentement mais douloureusement de mon sommeil, transpirant abondamment, mon cœur bat la chamade, dans ma bouche un goût amer.

« Que se passe-t-il ? » Ne sachant pas très bien où je me trouve.

–Tu as hurlé de terreur ! Un cauchemar sans doute. Ce n’est d’ailleurs pas le premier. Il faudra en parler au Vérificateur à notre retour. De toute façon, c’est ton tour de garde », poursuit Tikki.

Je me redresse, toujours un peu perturbé.

« Continue à donner régulièrement à boire à Akka, a priori sa fièvre est stabilisée, il dort profondément à présent. »

À peine couché, le sommeil s’empare de Tikki. La fatigue est en nous… Aurons-nous suffisamment récupéré demain matin ?

Je tente, en vain, de me remémorer du mauvais rêve qui a provoqué en moi un tel effroi. Inconsciemment, je sais qu’il y a eu un incident important, même si aux tréfonds de mon âme, mon cœur est tout acquis à Sogno. « On ne peut s’éprendre d’un être imaginaire, m’avait rétorqué le Vérificateur,… et un Traqueur n’a tout simplement pas le droit de tomber amoureux car seul l’Équilibre doit habiter ton esprit, telle est ta quête. »

Comment ce prénom, Sogno, est-il entré dans mon cerveau ? Pourquoi ce souvenir précis, sans pourtant jamais parvenir à mettre un visage dessus ? Je conserve juste une sensation de beauté, d’amour, de pureté, de sérénité et de bonheur.

Akka semble apaisé, un sommeil profond, aucun gémissement. Je n’ose le déranger pour l’instant, je lui donnerai à boire un peu plus tard. Tout est silencieux, hormis les insectes impétueux. Je reprends le jeu favori de mes longues nuits de veille, la paréidolie12. Dans la nature, toute chose peut prendre des formes bien particulières, libre à l’homme de les interpréter. J’imagine ainsi des visages, des personnages ou des animaux dans ce ciel aux multiples étoiles lumineuses. Depuis la galaxie, des yeux profonds, peut-être couleur noisette, me fixent.

QUELQUE PART, AILLEURS : « Je l’ai perdu ! Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé, il a paru tout d’un coup terrifié et a échappé à mon emprise », annonce- t- elle en se retournant vers le responsable de groupe.

« Nous allons étudier les enregistreurs et nous trouverons. Ne tente plus d’entrer dans ses rêves jusqu’à nouvel ordre ! » impose mentalement le vieil homme, penché sur un étrange écran liquide.

Dans la salle austère, trois autres jeunes femmes aux cheveux noirs et aux yeux profonds, couleur noisette…

Sur mon manuscrit, ces quelques mots :

« Lorsque Dieu créa l’homme, il agit selon sa volonté souveraine et réfléchie, comme il le fit pour l’ensemble de ses œuvres. Il le créa à son image. Cette particularité distingue l’homme de toutes les autres créatures de la terre. »

Quel humain pédant, égocentrique et présomptueux, aurait l’outrecuidance de se comparer à un quelconque dieu ? Toute croyance est légitime, dès lors qu’elle respecte l’Équilibre, mais dans ce cas d’espèce...

La suite de ma lecture : « Faisons-les hommes pour qu’ils soient notre image, ceux qui nous ressemblent. Qu’ils dominent sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les bestiaux sur toute la terre et sur tous les reptiles et les insectes... »

Le Vérificateur de l’Équilibre doute-t-il tant de mes convictions pour revenir à des concepts aussi provocateurs qu’une classification de l’importance des espèces ? Défendre ces folles thèses en public pourrait même finir en condamnation à Pitance. Ou alors, le chemin de la Connaissance m’impose d’explorer des questions philosophiques auxquelles je ne suis pas encore habitué ? Il est vrai que l’Équilibre a toujours réglé ma vie et mes pensées. Mais peut-il exister une autre voie que celle indiquée ? Quel serait ce dieu démoniaque qui permettrait à un humain de dominer les poissons, les oiseaux, les bestiaux, les reptiles ou même les insectes ? Qu’il soit dieu des vents, des pluies, du soleil ou des astres, dieu de l’air et de l’eau, dieu des êtres vivants, des végétaux ou des minéraux, dieu du tonnerre ou du feu, qu’il soit dieu de la terre prolifique, dieu des récoltes ou des déserts, celui des forêts ou des mers, un dieu ne reste qu’une force participant à l’équilibre de la vie, à l’équilibre du monde, au seul Équilibre connu…

Imaginons juste un instant que tel dieu démoniaque existât. À mon sens, l’homme, supposant être son égal, deviendrait narcissique et irrespectueux, il nuirait alors à l’équilibre du monde. Les quelques Défroqués déviants rencontrés en Haeckelie ainsi que les Ricains évoqués pendant nos formations, en sont des exemples probants. Est-ce là l’analyse attendue par la Guide ?

Les premiers manuscrits étaient nettement moins théoriques et visaient plus à juger mes réactions face à des délits ou en situation de Traque, et il est vrai que ma vision primaire des mots et des idées méritait régulièrement d’être approfondie voire revisitée par l’autre bout de la lorgnette.

« Quand nos jambes seront fatiguées, marchons avec la force qui vit dans notre cœur. Quand notre cœur sera fatigué, avançons cependant avec la force de la foi en l’Équilibre13 », en fut un bon exemple. Après une nuit entière branché à l’apprentisseur et un long échange avec la Guide, je compris mieux la profondeur du texte. Le lendemain, notre conversation éveilla en elle un mystérieux sourire, si rare sur les lèvres de la vieille femme.

Pour la première fois, après avoir été facile dans mes études et le plus jeune Traqueur d’Haeckelie, me voilà confronté à mes limites… Trop fatigué et stressé, voilà l’explication plausible. Le prédateur a un comportement tellement erratique depuis le début de la Traque, avec de surcroît, l’inquiétude pour mon ami blessé... Le Vérificateur n’acceptera jamais un échec après tous les dégâts provoqués par la bête immonde.

Après avoir fait boire quelques petites gorgées à Akka, arborant son sourire désopilant, dernier tour de garde de la nuit pour Tikki. Le sommeil est long à venir… Probablement la crainte d’être à nouveau confronté à une frayeur, mais quelle en était la raison ?

Je m’étire longuement... Quel soulagement, après ce dernier somme profond, sans rêve perturbateur, la forme est à nouveau là. Tikki s’affaire déjà. Il change le cataplasme et donne à nouveau un peu d’eau à un Akka tout souriant, bien évidemment… Sa fièvre est, semble-t-il, tombée. Nous picorons un maigre petit-déjeuner dans nos réserves.

À distance, je tente d’interroger le drone, mystérieusement prénommé Hélios par le Guide. Toujours le brouillard, plus aucune trace du prédateur ni dans sa base de données, ni dans son radar. C’est déjà arrivé dans le passé, pour cette raison les Pisteurs continuent et continueront d’être formés et entrainés.