Dérapages en cascade - Françoise Ivanovitch - E-Book

Dérapages en cascade E-Book

Françoise Ivanovitch

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Beschreibung

Angus, un prénom bien particulier pour un personnage ordinaire de la société actuelle. Survient un événement imprévisible et violent et le voilà qui bascule dans un comportement complètement asocial. Il alterne alors indifférence et impulsivité dans ses réactions avec ses congénères. Ce qui l’entraine dans des situations difficiles voire dangereuses. Dans sa fuite de tout, il rencontre différents individus qui essaient de le repêcher. Mais pas toujours évident quand la hargne vous tient.


À PROPOS DE L'AUTRICE



Après une carrière d’enseignante, de bénévolat dans une association sportive et d’une activité de conseillère en bien-être, Françoise Ivanovitch présente son premier roman. Des ouvrages pédagogiques et divers recueils en autoédition lui ont permis d’approcher le monde de l’écriture. Elle reste proche de la société actuelle en accentuant les travers de ses semblables tout en restant optimiste.

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FRANÇOISE IVANOVITCH

DÉRAPAGES EN CASCADE

Feel-good

Images : adobe stock

illustration graphique : graph’l

editions art en mots

Rester en colère,

C’est comme saisir un charbon ardent avec l’intention de le jeter sur quelqu’un,

C’est vous qui vous brûlez.

BOUDDHA

Quand un événement imprévu surgit,

Et si tu obéis à une réaction impulsive,

Prends garde à la direction irréfléchie

Et aux excès qui s’ensuivent.

L’AUTEUR

1.

« ANGUS FIIIICHE LE CAMP ! »

Je n’étais plus d’un naturel optimiste depuis le grand chambardement dans ma vie. Mon existence humaine comptabilisait vingt-cinq années sur la planète Terre. Pourtant, le début avait bien commencé. Et puis il y a eu ces dérapages à répétition que j’ai plus ou moins déclenchés. Peut-être que je les ai un peu accentués à chaque fois. Si j’avais été moins centré sur moi, j’aurais pu les minimiser et ménager les autres protagonistes.

Mais plutôt que de se replonger dans cet incident de parcours, une autre situation s’imposa à mon esprit. Je me revis quand cette journée ordinaire avait commencé à me porter sur les nerfs. Ce qui allait me déclencher un engrenage de problèmes.

Debout derrière un comptoir en train de faire le pied de grue, je trépignais d’impatience. La pluie tombait à verse et n’incitait pas à sortir. Seulement voilà, la fin de mon horaire de travail approchait. Le ciel était bas et tout était gris. Une atmosphère morose. Comme mon caractère. N’ayant rien de mieux à faire, je surveillais les chiffres et je les voyais avancer à une allure d’escargot sur le cadran placé sur le mur face à moi.

Il ne faudrait jamais se concentrer sur le temps qui passe, c’est pire que tout. Sans activité qui occupe le cerveau, impossible d’échapper à ce long écoulement du temps.

Au bout d’un moment, j’essayai d’être affairé et je me mis à compter les secondes. Enfin la minute suivante s’afficha. Je poursuivis ce petit jeu sur cinq minutes. Puis je revins aux heures digitales. J’attendais désespérément de pouvoir quitter ce lieu sans attrait malgré la saucée du dehors.

L’autre employé avait poussé la porte depuis peu. Ce n’était pas sa venue qui avait rendu l’atmosphère plus chaleureuse. Nous avions une heure de présence à passer ensemble avant que je me carapate.

Assis nonchalamment sur un tabouret haut derrière l’ordinateur, je lui glissai un rapide coup d’œil… Houla, c’est qu’il faisait semblant de bosser le bougre. Il tournait les pages d’un livret. Il prenait un stylo de temps en temps et gribouillait un document quelconque.

Je l’observai un moment par en dessous, puis me demandai quel document il complétait. Nous n’étions pas dans une administration. Alors il feignait de travailler, cet abruti. Seul le bruit de la pluie résonnait dans le local. Même pas de clients ou d’appels téléphoniques. Silencieux, nous étions posés chacun dans un coin sans échanges de paroles ni de regards.

Afin de casser cette longue attente, je dirigeai mes pensées vers la société actuelle et ma situation… qui n’étaient, ni l’une, ni l’autre, au top de leur forme.

Puis, par souci de communication, je balbutiai quelques mots pour dégeler l’atmosphère.

— Il n’y a pas plus de monde ? Le chiffre d’affaires doit être léger ?

Tout en continuant d’être penché sur ses documents, l’autre me rétorqua en bougonnant.

— Vu le contexte, les gens ne cherchent plus à acquérir le dernier modèle. Les progrès technologiques ne sont plus aussi spectaculaires qu’avant.

— Ouais, tu as sûrement raison. Et puis le mouvement de l’hyperconsommation a perdu de son souffle avec cette annonce d’épidémie pas très claire.

Après cet échange d’analyse très poussée de la communauté humaine, le silence retomba d’un coup. J’avais un peu de mal à relancer la relation verbale. Il ne m’y encouragea pas.

Mes yeux parcoururent les lieux.

La boutique restait ouverte sur la rue quand il faisait beau. Par temps froid ou trop mouillé, comme aujourd’hui, les portes vitrées étaient repoussées. Des lumières au plafond blanchâtres, un immense écran mural interactif, et des petits oursons en peluche étaient là pour attirer la clientèle. Les teddy-bears présentaient chacun l’objet en miniature à acheter… le téléphone mobile. Toutefois, la couche de poussière sur les différents objets attestait de l’ancienneté de la décoration et du manque de soin du personnel.

Nous étions seulement deux conseillers présents dans le magasin pour répondre aux visiteurs. En ce moment lui et moi.

— Je languis de partir. Pas toi ? C’est long d’attendre sans rien faire… Tu ne trouves pas ?

Il mit du temps à réagir.

— Ouais, ouais… surtout quand on se retrouve seul.

Nos horaires s’alternaient. Une heure seulement en commun devait permettre d’échanger sur les nouveaux articles, les changements de prix, le flux de clientèle… comme une sorte de relève. Mais cela n’avait pas eu lieu malgré l’importance de l’objet dans la collectivité… ce fameux téléphone mobile. Il n’y avait aucune nécessité d’échanger vu que tout se déroulait de façon routinière. Je débutais, ce n’était donc pas à moi de lancer cet échange d’informations.

À ma grande surprise, c’est lui qui redémarra la conversation avec un élan inattendu. Je pris un air faussement attentif pour l’écouter.

— Avant, au bout de deux ans, les gens le changeaient. Maintenant ce serait plutôt de l’ordre de quatre ans. Alors bien sûr, moins de public en magasin.

Je fis un effort pour rentrer dans son sujet.

— Moi-même, j’ai un appareil qui date. Je m’en sers très peu, voire pas du tout.

Quelle remarque intéressante ! Je me trouvai sans intérêt. Il resta muet sur ce coup-là.

Toute la journée, l’enseigne clignotait.

« Contact Store ! Des valeurs ! Contact Store ! Des valeurs ! »

Je me demandais si cela réussissait vraiment à capter l’attention des passants. En tout cas, moi, je trouvais cette lumière jaune énervante. J’en bâillais.

La boutique m’avait embauché avec une promesse de formation en alternance… que je n’avais pas encore commencé. Je m’étais formé sur le tas, avec l’autre conseiller. Mon arrivée dans cette boutique coïncidait avec la nécessité d’avoir un travail sérieux avec un titre à l’appui. J’étais donc devenu vendeur-conseil en magasin de téléphonie.

Je n’étais pas un garçon stupide, mais j’avais adopté un laisser-aller qui n’était pas présent à ma naissance et je cernais bien ma situation actuelle. J’avais sauté sur cette proposition de job. J’avais besoin de survivre.

Hélas pour moi, je n’avais pas droit au chômage. Mon temps de travail était un peu bancal. Déclaré ? Pas déclaré ? Je ne savais pas trop.

Époque bizarre où la consommation en avait pris un coup. J’avais compris que moins de clientèle entraînait moins de personnel et pas forcément le nombre d’heures requis pour un salaire décent. Des licenciements ou des démissions ? Le nombre de chômeurs avait augmenté, de nombreuses entreprises étaient en déficit, nous rabâchait-on sans cesse dans les médias.

Pourtant, l’embauche dans cette boutique m’avait paru sérieuse… Il me semblait remplacer un salarié démissionnaire. Je n’en étais pas étonné. Le travail n’était pas folichon. J’imaginais que mon prédécesseur avait préféré claquer la porte plutôt que de s’ennuyer. Et moi, j’étais tombé juste à ce moment-là… Bingo pour moi !

Le revenu n’était pas moteur pour le travail.

Mais je vivais seul et ma vie était simple.

Je mis un terme à ma réflexion, car les chiffres du cadran avaient enfin sonné ma délivrance.

Je me sauvai des lieux sans une remarque aimable pour l’autre, genre BONNE FIN JOURNÉE. Je ne pus m’empêcher de le provoquer en lui adressant un sourire mielleux et goguenard. Il m’adressa un signe peu amical. J’étais déjà dehors.

Cette pluie tombait encore régulièrement avec moins de débit. Humeur et pluie vont souvent de pair. Tant pis pour mon moral. J’étais devenu pessimiste depuis longtemps. Je pressai le pas pour rejoindre mon appartement. Direct. Sans détour. Je n’avais rien d’autre à faire. J’avais élu domicile dans cette commune de 60 000 habitants, voisine de celle où j’avais grandi et fait mes études.

J’étais sûr de passer inaperçu, ici, par manque de connaissances. Je n’avais aucun horaire imposé pour un loisir. Je n’en avais pas les moyens. En plus, les lieux d’activités collectives étaient fermés à cause de l’arrivée de cette épidémie très contagieuse. Un virus particulièrement dangereux. Les gens ne devaient pas s’infecter. Le monde médical était en baisse. On ne savait pas pourquoi, mais il n’y aurait pas assez de personnel pour soigner tout le monde… si tout le monde tombait malade en même temps… Mais d’un autre côté, c’est le principe d’une épidémie, d’être en surnombre de malades. De toute façon j’ai horreur du collectif.

J’avais entendu le gérant discuter de tout cela avec l’autre employé. Je n’avais émis aucune remarque sur la situation. Ce n’était pas mon rôle. Pour pousser le contexte à son comble, les poignées de main et les embrassades étaient interdites. Il était même fortement conseillé, voire obligatoire, de tenir une distance physique avec son entourage. Ces consignes passaient en boucle sur les radios et la télé, paraît-il. Je dis ça, car pour ma part, je n’écoutais pas les infos… Elles ne m’intéressaient pas.

Je gambergeais encore sur le chemin vers ma voiture. Des pensées s’enchaînaient pêle-mêle. J’étais un grand penseur… Je passais mon temps à ressasser. Un trait de mon caractère qui datait de l’événement terrible.

Je ne pus m’empêcher de faire le point sur mon cas. Le temps était désagréable. Je devais attendre la fin du mois pour toucher ce maigre salaire. Ma bouche pâteuse m’indiqua que je n’avais pas bu depuis le début de mon travail ce jour. J’aurais dû prévoir de l’eau. Les collègues de travail traînaient une tristesse inimaginable. Mon sort ne s’améliorait pas… L’optimisme n’était pas mon point fort.

Qu’est-ce que ce travail était peu passionnant ! Et puis là-dessus, je vivais vraiment en grande solitude. Mais je n’avais pas à me plaindre. C’était un choix ou plutôt une façon de vivre qui s’était imposé à moi à un moment donné.

Ah, ça y est, la pluie diminuait. Bien sûr, je n’avais pas de parapluie. Donc même en me protégeant sous les auvents des commerces, après dix minutes de marche à pied, j’atteignis le parking plutôt trempé. Arrivé à proximité de ma voiture, j’aperçus un petit prospectus sous le pare-brise.

Zut, une amende. Ce n’était pas possible… c’était un emplacement sans indications particulières, donc gratuit. Pourtant, mon vieux véhicule ne gênait pas. À moins que ce fût une publicité.

J’accélérai le pas. Ouf ! Ce n’était pas une contravention… Une petite enveloppe blanche, enfin plutôt grisâtre, avait été placée sous l’essuie-glace.

J’étais surpris de recevoir du courrier sur mon pare-brise ? C’était plutôt original et inquiétant à la fois.

Je n’avais pas mis mon nom sur la boîte aux lettres de ce nouvel appartement. Mais qui pouvait connaître ma voiture et savoir que je me garais régulièrement dans le coin depuis quelque temps ? Qui pouvait avoir envie de me joindre par écrit ? À vrai dire, je n’étais plus vraiment quelqu’un de recommandable. À moins que ce courrier fut une erreur ?

Je pensai que ce serait complètement illisible vu le temps. Pas du tout. La missive était protégée par une pochette plastique. Quelle précaution l’expéditeur avait prise !

J’eus une envie ou un sixième sens de m’en débarrasser. J’avais un peu la trouille de l’ouvrir.

Puis non finalement. J’étais trop curieux. Je sortis le document de sa protection. Je décachetai rapidement et sans soin la missive. Je la parcourus d’un trait…

Ça commençait par ces mots.

« ANGUS FIIIICHE LE CAMP ».

La surprise de ces mots et la colère supposée de l’auteur furent telles que je ne pus aller plus loin. C’était comme un coup violent que je recevais en pleine face. Silence total dans ma tête. Je contrôlai ma réaction. Rien ne fut visible de l’extérieur. Mais en réalité, cette agressivité écrite me bloquait complètement. Je ne m’y attendais pas du tout. Les bruits autour de moi me parvenaient de façon confuse. Je n’entendais plus rien et en même temps je distinguais mille bruits. C’est comme si j’étais dans une autre dimension. Une sirène, des klaxons, des aboiements, la circulation. Mes sens fonctionnaient encore dans un fouillis total. Mon corps était bloqué.

Cet instant fut horrible…

Quelle était la cause de cette catastrophe ? Vu ces premiers mots, la suite ne pouvait pas être joyeuse. Et tout ça m’était destiné. Aucun doute là-dessus. Angus est bien mon prénom.

Je levai les yeux du papier. La vie continuait autour de moi. Les passants, les voitures cheminaient de façon ordinaire. Il n’y avait que moi qui étais figé dans cette rue… Personne de ma connaissance alentour pour m’y raccrocher… J’étais seul.

Alors je poursuivis ma lecture. Je restai scotché sur ces mots qui s’enchaînaient d’une façon violente et qui soulevaient une question vitale… Qu’allais-je devenir ?

ANGUS FIIIICHE LE CAMP.

Tu es un mec invivable.

On en a marre de ton comportement insupportable.

On a tout le temps envie de t’en coller une.

Tu nous parles mal. Tu ne fais rien dans l’appart. Tu râles tout le temps.

Il faut que tu comprennes que tout le monde a des soucis dans la vie.

En plus, tu nous dois ta part sur quatre mois de loyer.

On a été assez patients avec toutes les raisons minables que tu nous as débitées.

On vit en colocation. Pas en coproblèmes.

ON NE PEUT PLUS CONTINUER COMME CELA.

Tu nous as bien roulés dans la farine quand on t’a rencontré.

On a donc changé la serrure.

Passe à 18h PILE.

Tes affaires, telles que tu les as apportées le premier jour, seront devant la porte.

NE SONNE PAS !!!!

ON NE T’OUVRIRA PAS !!!!!

On acceptera ton retour sous condition de changements dans ton comportement

1. Il nous faudra des explications.

2. Tu communiqueras avec nous par mail uniquement.

3. Tu devras t’acquitter de tes quatre parts de loyer… Soit 1000 €, et ce dans l’immédiat.

PAS CORDIALEMENT. PAS BONNE CHANCE.

LES DEUX AUTRES COLOCATAIRES EXCÉDÉS.

J’avais été mis au ban sans déclaration préalable. Les accusateurs n’avaient même pas apposé leurs noms au bas de la lettre. Mais il n’y avait aucun doute sur leur identité.

Je restai à côté de mon vieux véhicule. Valeur 5 000 €, il y a déjà quelques années. Entretien pas vraiment suivi. Ça coûtait cher.

Au bout de quelques minutes, je pris appui sur le capot de ma voiture.

Je n’avais jamais rien reçu de tel. Que ce soit verbal ou par écrit… ou même physiquement.

Ah si, il y a longtemps.

En sixième, j’avais rendu un devoir rédigé avec l’aide de mon père. Aide presque totale, il faut bien le dire. Aux trois quarts. Mais, moi, bête, innocent et naïf, j’en parlai à un très bon camarade de classe. Lui n’avait pas réussi à rendre une copie correcte. Moi, j’avais eu confiance dans les compétences de mon père. Et en plein cours, ce « super bon camarade » en souffla mot au prof devant toute la classe.

— Ce n’est pas Angus qui a fait son devoir, c’est son père.

Je ne m’étais pas du tout attendu à cette attitude. J’ai viré au rouge. J’ai bouillonné intérieurement. Je ne savais plus où me mettre. J’aurais voulu me transformer en petite souris et me sauver. J’ai bien été obligé d’avouer et j’ai eu un zéro.

Mon père n’avait pas cru de bon ton de prendre rendez-vous avec le professeur qui d’ailleurs ne l’avait pas convoqué. Je me suis donc retrouvé complètement largué par tout le monde…

Ce fut la même impression à la lecture de cette lettre… sauf que maintenant le temps avait accentué mon hostilité envers mes congénères.

2.

Au bout d’un moment, je repris mes esprits. Et c’est vraiment le cas de le dire. Car je les avais bel et bien perdus pendant quelques instants. Je me mis à relire cette lettre dans n’importe quel ordre en revenant sur les différents passages.

Je me souvins de mon tour de nettoyage il y a seulement quelques jours. Comme d’habitude, j’avais joué l’esquive.

— Mince, impossible pour moi de m’occuper de la salle de bains, j’ai un mal à la tête carabinée. J’ai dû choper la grippe, les mecs. Vaut mieux que je ne vous approche pas et que je ne touche pas les parties communes. Je vais me prendre un cachet et je vous évite.

— T’es pénible. Angus. T’as toujours quelque chose.

Au moment de régler le loyer, je restai dans le même rôle. J’ai voulu les berner.

— Houlà, je suis embêté. Est-ce qu’un de vous deux peut m’avancer ma part de loyer pour ce mois-ci. Je suis un peu dans le rouge, ils m’ont versé un petit salaire. Je vous verserai mon dû, dès que je pourrai bien sûr. Vous pouvez compter sur moi.

— Ah non, tu nous as déjà fait le coup le mois d’avant. Justement, t’es pas du tout un gars fiable.

— Je crois qu’on s’est fait avoir, rajoute le deuxième. À force, on va-t’en coller une. On porte plainte. On te fout dehors.

— Pas la peine de vous déclarer une maladie. Je vous le rembourserai votre pognon. C’est pas comme si c’était une grosse somme.

Ils ont craqué. J’ai eu droit à un sursis. Je les avais eus à l’usure. La discussion sur ce sujet s’est arrêtée net. Mais ce n’est pas cela qui ferait cesser mon comportement abusif.

À l’heure d’un repas du soir quelque temps plus tard, j’ai ouvert le réfrigérateur et balancé d’un ton faussement surpris une nouvelle excuse.

— Zut, j’ai plus rien à manger. Je me sers chez vous pour une fois. Je remplirai le frigo demain pour vous dédommager.

— Ça ne va plus Angus, on pète un câble avec toi. Ou tu changes ou on te flanque dehors illico presto.

— Mais non, c’est pas humain ça. Vous avez pas le droit, c’est l’hiver.

Je bougonnais souvent. Je m’en tirais toujours. Là, une fois de plus. Certaines gens sont très, très patients face aux irrégularités flagrantes d’un tiers proche d’eux. Je reconnais être un mec pas intéressant du tout. Et très flagorneur.

Devant cette lettre, je suis obligé de me rendre à l’évidence… ils sont passés à l’acte… Comme je me retrouve dans une situation très inconfortable, je décide donc de passer à l’étape suivante. Celle de la prise de décision. Je suis bien obligé de me défendre.

Il me reste quinze minutes avant cet ultime rendez-vous.

Dans un premier temps, je dois récupérer mes affaires. Ce ne sont que des vêtements. Je ne possède rien d’autre. Je ne détiens que l’important pour ma vie quotidienne. Et les vêtements c’est essentiel bien sûr.

Dans un deuxième temps, une haine envers eux vient de se renforcer. Je me sens prêt à n’importe quelle action négative. … Coincer l’un ou les deux auteurs de ce terrible message. Exiger des comptes… Et je ne vais pas être gentil… Ils ne peuvent pas me virer comme cela… Où je vivrai ? On a tous besoin d’un logis.

Tout en marchant, je gamberge de façon décousue.

J’ai tout de même encore un travail… à l’essai. Une voiture… je pourrais toujours y dormir… Je ne risque rien de me mettre en colère… Je pourrais prendre une chambre d’hôtel… mais c’est cher pour ce que je gagne… Je suis sur la sellette au boulot en tant que dernier arrivé… c’est un contrat limité. Et en plus vu les circonstances actuelles de la société, je ne suis pas à l’abri d’un licenciement ou d’autre chose. Mon salaire ? Pas de plan de carrière en vue.

Je pourrais peut-être marchander avec les deux zigotos. Après tout, je suis fort pour rouler les autres dans la farine. Leur proposer de leur faire toutes les courses, tout le ménage… n’importe quoi en échange de ce que je leur dois. Ou de leur payer une toute petite somme tous les mois. Un petit prêt sans intérêt. La colocation, c’était pour payer moins cher. Surtout en ce moment où les loyers ont flambé.

Pendant que mes pensées galopaient, mes pas m’ont conduit naturellement devant mon immeuble.

D’abord j’attends un moment à l’extérieur. Un flash traverse mon esprit. Je me vois tel que je suis devenu. La réserve, la réflexion, le calme, la générosité me caractérisaient durant mon enfance. Mon caractère a basculé dans une sorte de désinvolture envers autrui. L’impulsivité a pris le pas. L’exaspération m’a embarqué dans des situations difficiles. L’égoïsme m’a envahi. J’en arrive à cette conclusion inexorable.

Angus, tu es un casse-pieds. C’est pas possible de vivre ainsi en société. Ça peut mal se terminer pour toi un de ces jours. 

Hélas pour moi, ce constat est fugitif et s’envole aussitôt. Je récupère de suite mon habit d’asocial.

Excédé et accablé, je grimpe les deux étages, plutôt vieillots et étroits. J’y vais à grandes enjambées. Me voici devant ma porte. Mes quatre sacs m’attendent bien en vue comme me l’ont bien écrit mes chers colocataires. Aucun signe audible de présence à l’intérieur. Je tourne violemment la poignée de la porte. J’essaie ma clé. Sésame inutile. J’appuie en continu sur la sonnette. Peine perdue. La porte reste close. J’insiste. Je frappe furieusement du poing. Je ne supporte pas qu’on me contrarie. Tout d’un coup, j’entends le voisin râler à l’intérieur de chez lui. Il tourne sa clé. Lui ça marche. Il se montre sur le pas de sa porte très en colère, prêt à me bousculer.

— Oh, vous vous calmez. Vous voyez bien qu’il n’y a personne. Si vous voulez, j’appelle les flics.

Je suis bien décidé à mettre de l’ambiance dans l’immeuble. Je n’ai pas l’intention de m’en laisser conter.

Je le fixe d’abord avec désinvolture, puis je me fais menaçant et enfin je fais mine d’aller vers lui. Il repousse rapidement sa porte. Je ne peux plus rien déverser sur personne, alors je dévale les escaliers en hurlant.

 « ILS SONT TIMBRÉS CEUX-LÀ. ON MET PAS LES GENS À LA PORTE COMME ÇA. »

J’insiste avec une bordée d’injures. Tout le monde reste cloîtré. C’est le silence complet dans la cage d’escalier à part mes hurlements. Je me retrouve haletant et penaud dans la rue.

Je monte dans ma voiture en claquant la portière. Je pose mes mains sur le volant en m’enfonçant dans le siège et en criant « MARRE, MARRE, MARRE »

Au bout de deux minutes de cris et de coups, l’adrénaline ne peut que retomber. Et je me repasse le film de cette première rencontre avec eux. Déjà paumé et agissant n’importe comment.

Ce jour-là, bien avant cette terrible lettre, six mois environ, je poussai la porte de la première agence immobilière que je rencontrai. À la recherche d’une location. Deux garçons à la physionomie normale, et peut-être même un peu trop sympathique étaient assis. Je les évaluai comme deux gars faciles à entourlouper. Ils discutaient dans le coin salle d’attente. C’était une agence très simple. Pas un truc de luxe.

Je restai debout, un peu à l’écart. D’abord je les écoutai. Je compris qu’ils cherchaient un appartement en colocation. Ils ne voulaient pas un loyer élevé. Leurs moyens financiers étaient limités, malgré les aides diverses… C’était l’occasion pour moi de m’incruster.

Alors de but en blanc, je m’insérai dans leur conversation… sans me gêner… Je suis comme ça moi maintenant. Certains événements de la vie changent parfois le caractère du protagoniste. J’étais dans ce cas de figure.

— Vous voulez payer peu ? Vous avez qu’à prendre un troisième larron. Vous l’avez devant vous. Moi aussi j’ai besoin d’un logement de ce type.

— Oui, enfin, on ne se connaît pas. Nous, on est potes.

— On n’a qu’à discuter.

— ………….

Ils restèrent silencieux et me regardèrent interloqués. Je ne les laissai pas réfléchir. J’enchaînai.

— Peu importe pourvu que ce soit une coloc pas chère. Je suis un type normal et réglo. J’ai un boulot et une voiture.

L’un des deux se dérida

— On ne sait pas si on veut un troisième. Et c’est quoi ton boulot d’abord ?

— Je suis vendeur dans une boutique de téléphonie mobile.

Je me fis la réflexion que c’était seulement depuis deux mois. Mais je ne leur communiquai pas ce détail.

— Cool ! Tu pourras nous donner des combines.

— Pas vraiment. J’évite ce genre de choses.

— Tant pis. Tu gagnes bien ta vie ?

— Oui, je peux assumer ma part de location. Il faut des meubles ? C’est combien au fait ?

— On a demandé un meublé. Donc pas la peine. Il y aura tout le nécessaire.

— Chouette. Parce que tout ça j’ai en horreur. C’EST VRAIMENT MON JOUR DE CHANCE LES GARS.

— Attends, mec. Il faudra effectuer le ménage régulièrement sans qu’on te le dise. Tes courses tu t’en occupes toi-même. Ta vaisselle, tu te la laves. Et il faut que tu sois compatible avec nous.

— Pas de problèmes. Voyez, je suis d’un naturel communicatif.

— Oui, c’est ce qu’on voit. Peut-être un peu trop.

— On en reparlera. Vous verrez bien. Moi je suis partant. Angus Martin. Un gars simple, pas envahisseur, réglo. Voyez, alors que je vous connais pas, j’hésite pas à me proposer pour arranger vos affaires… et les miennes aussi bien sûr… Alors combien à trois ?

Les deux autres marquèrent une hésitation… Ils se regardaient l’un l’autre afin de trouver une réponse chez l’autre. Puis finalement, tous les trois, nous nous sommes serré la main.

— Thomas Paulet.

— Kevin Robert. Angus c’est un drôle de prénom.

— C’est le mien. Je suis particulier… Allez, on les signe ces papiers ?

Ils calmèrent mon enthousiasme d’un signe de la main. Ils voulaient du temps.

— Attends. On réfléchit encore.

Bonne pâte, je m’écartai sur le côté. J’allumai mon vieux téléphone pour me donner un air détaché et je commençai à le parcourir. Je les laissai bavasser.

Il leur fallut dix bonnes minutes. Je gardai mon calme extérieur.

— OK, on te prend. Ça fera 250 € chacun. Après tout, ce sera moins cher. T’es peut-être une aubaine.

Comme ils avaient déjà discuté de tout avec la responsable, on a eu seulement à signer tous les papiers avec toutes les consignes pour la colocation. J’ai fait mine de m’y intéresser. Puis l’employée de l’agence nous a guidés jusqu’à l’appartement miracle.

Les deux marchaient devant en répondant à ses questions. Et là, j’ai commencé à faire bande à part.

Encore maintenant, je souris de mon comportement de l’époque. Je suis vraiment gonflé, sans gêne, hors du temps…

Eux devant et moi derrière, en route vers la coloc miracle. Ils se retournèrent bien de temps en temps et me lancèrent un regard furtif du coin de l’œil. Évidemment, ils s’étonnaient de mon comportement changeant. Volubile dans l’agence, un tantinet culotté, il faut bien le dire. En retrait maintenant de la nouvelle association… Ils ne m’intéressaient plus.

Ce que je voulais à ce moment-là, c’était payer une location minime et avoir un toit. Je n’avais plus envie de leur parler. Mon problème était réglé. Je préférai rester à l’écart.

Nous avons eu chacun une clé. Sans plus attendre, j’ai foncé vers les chambres et j’en ai choisi une d’autorité… sans leur demander leur avis. Puis j’ai repris le large pour récupérer mes sacs dans ma voiture, et repérer les alentours par la même occasion.

Il faut bien me cerner, je ne supporte pas trop les autres.

Une petite supérette pas loin du tout et affichant DISCOUNT me fit un clin d’œil. J’y courus pour mes emplettes personnelles. Des sandwichs préparés, un peu de bière et je revins dans mes pénates avec mes sacs.

À mon retour, je me plantai devant la télévision commune. Je m’alimentai et me déshydratai tranquillement sans me préoccuper de mon entourage. Les échanges ne m’étant pas indispensables, je m’enfermai dans ma chambre vers vingt-trois heures.

CIAO LA COMPAGNIE.

Évidemment, je ne leur avais pas raconté mon dernier épisode de vie raté qui avait précédé.

À savoir une fuite rapide de mon ancien logement. Pourquoi ?

En retard de paiement de location depuis trois mois.

Je ne sais plus si j’avais oublié ou si je ne voulais pas payer. Cette fois-là, j’occupais un minuscule appart. Un petit studio pas reluisant du tout. Après avoir vécu dans une chambre chez des particuliers. Ces derniers m’avaient conseillé de partir avant de me signaler à la police suite à mon comportement financier avec eux. De toute façon, j’étais sûr qu’ils ne déclaraient pas leur revenu foncier. Donc je n’avais qu’à prendre le large. Je ne risquais rien.

Pour en revenir au studio, le propriétaire m’avait impressionné. Tout de suite copain-copain pour louer son truc tout de suite. Il n’était pas pénible, avait-il ajouté. On n’avait qu’à s’arranger. Je le réglerai de la main à la main.

Il avait patienté un mois et demi suite à mon absence de paiement que j’avais justifiée par des ennuis personnels.

Puis il m’avait annoncé sa visite la veille pour discuter et récupérer son argent. Il croyait peut-être que j’avais des problèmes qu’il allait m’aider à résoudre. Un jeune dans la panade. Une âme à sauver.

Ma réaction… La seule envisageable… La poudre d’escampette et le plus rapidement possible. Ce que je mis à exécution sans tarder avant son arrivée fatidique. Je me suis enfui sans aucune honte d’avoir été un mauvais payeur.

Je suis comme ça… Quand je n’ai pas envie de faire quelque chose, je ne me force plus depuis la tragédie et je disparais quand ça sent le roussi… sans y mettre des manières.

J’avais encore abusé.

3.

Alors que les gouttes d’eau avaient repris leur rythme lancinant sur la carrosserie, j’entendis une sirène vrombir. Police ? Ambulance ? Pompiers ?

Il n’y a donc pas que moi qui suis victime de problèmes.

La pluie m’incitait à rester à l’abri dans ma voiture. Je ne pus m’empêcher de relire de nouveau cette lettre comme si les mots pouvaient être changés. La suite de mon histoire est simple à deviner.

ME VOILÀ ENCORE SANS LOGEMENT ET ENCORE UNE FOIS AU RANG DES BANNIS.

Je ne suis pas idiot et je me répétai que j’avais dû exagérer avec mon comportement je-m’en-foutiste dans cette cohabitation. Après le fameux clash dans ma vie, ma mère me le répétait sans cesse.

— Arrête de te foutre de tout. Ça ne changera rien à notre situation. Tu nous rajoutes des complications.

J’ai toujours l’impression de participer à un jeu avec des cases et un dé. De temps en temps, on me fait dégager et je dois recommencer à l’emplacement de départ. Et ça me met le stress, car les autres joueurs me talonnent. Ce sont des obstacles à franchir. Mais moi je veux gagner, ou du moins aller là où je veux. La vie est peut-être un grand jeu pour de vrai. C’est pour cela qu’on se débat sans cesse dans tous les sens.

Mais à l’heure qu’il est, le jeu redémarrait, il me fallait dénicher une autre colocation ou un tout petit logement.

Pour ce soir, je n’avais d’autre solution que ma voiture pour hébergement.

Je flanquai le courrier dans le vide-poche côté passager et je claquai le rabat. Je mis le moteur en marche… Je calai comme tout imbécile ayant des pensées autres que la conduite. Je m’y repris à deux fois pour redémarrer. Alors je marmonnai tout seul.

— T’es vraiment nul, t’es vraiment un pauvre mec.

Le moteur démarra enfin et je roulai vers une direction inconnue, mais à l’opposé. J’étais à l’affût d’un endroit qui paraîtrait tranquille. En définitive, je ne savais pas trop ce que je voulais. Dans la conjoncture actuelle, je devais juste ne pas trop dépenser d’essence. Son prix continuait d’augmenter ces derniers temps et mettait beaucoup de gens dans l’embarras. Même si ce ne sont que des centimes,

J’arrivai sur un espace de parkings. Ils se juxtaposaient au bas d’un immeuble avec de nombreux commerces au rez-de-chaussée. Une murette le séparait de la rue. Un centre médical et une petite agence bancaire complétaient une épicerie, un fleuriste et une pharmacie. Je choisis une place à l’écart de tout. En cette fin de journée, peu de voitures s’étaient fixées à cet endroit. Elles allaient et venaient sans cesse. Il y avait pas mal de places vides.