Des barreaux aux fenêtres - Fidéline Dujeu - E-Book

Des barreaux aux fenêtres E-Book

Fidéline Dujeu

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Beschreibung

Complicité poignante entre une mère de famille et une ancienne religieuse, en quête de liberté...

Je suis un asticot, même pas une mouche. Je rêve d’être une mouche. Je me débats, me tortille, rampe. Il me manque des ailes. Une mère de famille isolée croise le chemin d’une ancienne carmélite. Entre elles s’installe une complicité, une compréhension intime. Ensemble, elles découvrent la place fondamentale de la culpabilité, de la souffrance et de l’enfermement dans leur vie. Contemplation, extase. Sybille me comprend. Le choix de sa prison, c’était le choix de cette liberté-là, aussi absurde que cela puisse paraître. Au Carmel, sa tâche presque unique, son devoir, c’est la prière. Quelle liberté, n’est-ce pas ?

Ce roman, traitant avec brio de l’isolement, saura vous toucher au fil de ses pages.

EXTRAIT 

Je suis un asticot, même pas une mouche. Je rêve d’être une mouche. Je me débats, me tortille, rampe. Il me manque des ailes. On me les a arrachées. Ou je les ai brûlées. Je ne sais plus. Je sais que je suis collée au sol. Un coup de tapette et je m’épands.

Je l’attends. Les enfants dorment depuis longtemps. La vaisselle est faite, chaque chose est à sa place. J’ai terminé mon roman. Une histoire de château, d’amour, de bris de vies. Le livre refermé, les personnages me quittent doucement. Je reviens à moi. Revenante.

C’est son heure. Soirée tennis entre potes, plus ou moins arrosée selon son humeur.

J’entends sa clef dans la serrure. Ses pas dans le couloir. Sa veste jetée en travers du portemanteau. Il fouille les casseroles, ouvre une bouteille. Ding du micro-ondes. Coups de fourchette, coups de couteau. Il repousse son assiette sur la table, se sert un deuxième verre. Un troisième. Monte les escaliers. Salle de bain. Ses vêtements tombés sur le sol. Ses pas plus sourds, pieds nus. Il pousse la porte de notre chambre. Lumière. Tire le drap. Ouvre les yeux, je sais que tu ne dors pas. Je me tourne, le regarde. Il évite mon visage, s’attarde sur ma bouche, mes seins, mon sexe. Se branle. Dépose son verre de vin sur la commode. Retourne-toi.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

- « Un bref et magnifique roman. L’auteure décrit avec une grande finesse le désarroi intérieur de son héroïne socialement et culturellement conditionnée dans une vie dont elle était prisonnière sans en voir les barreaux. » (L’Avenir)

A PROPOS DE L'AUTEUR 

Philosophe de formation, Fidéline Dujeu a commencé à écrire il y a quinze ans en explorant tout d’abord le roman. Elle a parallèlement mis sur pied des ateliers d’écriture créative. Son travail d’animation est toujours empreint d’un grand désir de création qui l’amène à des projets variés et très riches mêlant les disciplines. Du théâtre à l’art plastique en passant par la photographie, elle multiplie les partenariats pour donner naissance à des œuvres originales. Elle a accompagné des publics divers (enfants, adolescents de l’enseignement spécialisé, adultes en décrochage, etc.) dans l’écriture et la mise en scène du texte, de la lecture à la création théâtrale. Son écriture personnelle reflète une préoccupation constante des relations humaines, elle explore aussi bien les amours complexes que les relations intrafamiliales. Son roman Guère d’hommes a reçu le prix des Usagers des Bibliothèques Publiques du Hainaut, son roman Angie a reçu le prix FrancsAuteurs. 

Pour en savoir plus sur l'auteur rendez-vous sur son site : http://fidelinedujeu.net/

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Les mots de Fidéline sont crus, clairs, nets, durs et drus. Une histoire que l’on dévore en une bouchée, parce que l’on a faim de savoir. Fidéline finit presque par confondre deux femmes dans une vie de souffrance extatique qui souvent flirtent avec le masochisme.

L’Avenir

Du même auteur

Coquillages, Roman, Le Somnambule équivoque, 2004.

L’Île berceau, Roman, Le Somnambule équivoque, 2005.

Le petit Tom et l’embrouillamini, Livre illustré, Poésie, Tandem, 2008.

Guère d’homme, Roman, Le Somnambule équivoque, 2007.

Traces, rêves, rencontre autour d’un monde dessiné, illustrations d’Alain Deflandre, Poésie, Tandem, 2010.

Angie, Roman, Le somnambule équivoque, 2010.

Au ciel de son lit, Roman-songe, Ker éditions, 2013.

Préliminaire

J’ai rencontré Philomène il y a deux ans, au détour de vies apparentées. J’ai rencontré une femme libre et indépendante, forte, sûre d’elle. Elle en imposait. Au coin d’une conversation, elle a évoqué son passé de carmélite. J’ai été troublée. Cette femme, celle-ci même qui m’avait d’entrée de jeu fait l’effet d’une militante féministe-écolo, bras de fer et barricades, s’était un jour laissée enfermer, l’avait même choisi, et cet enfermement avait duré près de vingt ans.

Je l’ai recontactée quelques jours plus tard. J’avais envie d’écrire sur « ça », ce choix de l’enfermement. Je ne savais pas trop ce que j’allais faire de son histoire, mais j’avais envie de l’entendre.

Nous avons passé une journée ensemble, chez elle, et c’était très doux.

Je n’ai plus revu Philomène ensuite. Je ne voulais pas raconter son histoire, je voulais raconter une histoire.

Cette histoire n’est pas celle de Philomène, ni d’aucune de mes amies, ni la mienne, mais elle nous ressemble un peu.

OuiJe suis malade d’amourSa main gauche tient ma têteEt sa droitem’enlace

Cantique des Cantiques, 2,5-6

Ton amourest-il si différent des autres ?Toi la plus belle des femmesTon amour est-il si différent des autrespour nous adjurer ainsi ?

Cantique des Cantiques, 5, 9

Qui estCelle qui monte du désertappuyéeSur son amour ?

Cantique des Cantiques, 8, 5Traduction d’Olivier Cadiot et Michel Berder

Mise en voix d’Alain Bashung et de Chloé Mons sur une musique de Rodolphe Burger(Album paru chez Dernière bande)

Je suis un asticot, même pas une mouche. Je rêve d’être une mouche. Je me débats, me tortille, rampe. Il me manque des ailes. On me les a arrachées. Ou je les ai brûlées. Je ne sais plus. Je sais que je suis collée au sol. Un coup de tapette et je m’épands.

*

Je l’attends. Les enfants dorment depuis longtemps. La vaisselle est faite, chaque chose est à sa place. J’ai terminé mon roman. Une histoire de château, d’amour, de bris de vies. Le livre refermé, les personnages me quittent doucement. Je reviens à moi. Revenante.

C’est son heure. Soirée tennis entre potes, plus ou moins arrosée selon son humeur.

J’entends sa clef dans la serrure. Ses pas dans le couloir. Sa veste jetée en travers du portemanteau. Il fouille les casseroles, ouvre une bouteille. Ding du micro-ondes. Coups de fourchette, coups de couteau. Il repousse son assiette sur la table, se sert un deuxième verre. Un troisième. Monte les escaliers. Salle de bain. Ses vêtements tombés sur le sol. Ses pas plus sourds, pieds nus. Il pousse la porte de notre chambre. Lumière. Tire le drap. Ouvre les yeux, je sais que tu ne dors pas. Je me tourne, le regarde. Il évite mon visage, s’attarde sur ma bouche, mes seins, mon sexe. Se branle. Dépose son verre de vin sur la commode. Retourne-toi.

*

Quand je rencontre David, j’ai seize ans. Il est beau. Il est différent. Il est coiffé d’une crête blonde, rasé sur les côtés du crâne, il est habillé en noir. New wave. Ses yeux sont bleus, ses mâchoires carrées, son sourire carnassier et charmant. Je suis classique, pantalon droit et chemise en coton, les cheveux peignés, domptés, sages malgré les boucles, visage d’ange. J’ai un visage d’ange, je le sais, c’est le visage de l’innocence, je me le suis fabriqué, toute petite. Comme si elle n’allait pas de soi, mon innocence.

Mon père est de l’ancienne école : les filles ne sortent pas, elles se tiennent bien à table et en société, elles mangent toute leur assiette. Je passe des heures à table à regarder mes petits pois, mon morceau de lard, ma soupe. Mange. Mange. Mange. Je m’accroche à cette sensation de vide dans l’estomac. C’est la seule chose qui m’appartient.

Mes joues sont creuses et ça me plaît. Ses joues à lui sont pleines, j’ai envie de mordre dedans. Soudain la faim.

Il fait trois kilomètres à pied avec une échelle sur le dos pour me libérer de ma prison. Je m’enfuis par la fenêtre. Mon père est fou de rage, il perd le contrôle. Ma mère ne me parle plus. On m’envoie à l’internat.

Je suis de plus en plus folle de lui.

*

Nous sommes invités à une fête, le mariage d’un de ses employés. Il me fait mille recommandations.

Ne pas boire, ne pas danser, ne pas faire la pute.

Je n’ai pas choisi la bonne jupe, trop courte, je dois changer.

Sa mère est venue garder les enfants, clin d’œil complice.

Je ne suis pas sage au mariage. C’est plus fort que moi. Je bois, je danse. Aguicheuse. Je ne suis pas discrète. Il devient fou. Je sens son regard couteau entre mes omoplates pendant que je danse avec la jeune mariée et ses amis. Je joue avec le feu. Il boit de plus en plus, ne décolle pas du bar. Il n’est pas seul, quelques jolies femmes se relaient à ses côtés, il n’hésite pas à leur glisser ses coordonnées et la main au cul. Il est très attirant. Un pouvoir de séduction flagrant. Peu lui résistent.

Je ne suis pas aussi belle que lui. Mais je suis jolie et parfois charmante.

Slow. On m’invite, sa main broie son verre de vin, j’ai peur j’attends j’espère, que le verre explose et lui déchire la paume. Il ne prête plus aucune attention à la blonde qui lui parle dans le creux de l’oreille, jette son verre au sol, le bruit couvert par la musique, seulement en imagination sonore, il vient, c’est peut-être ce que je voulais, c’est ce que je redoute, je ne sais pas, j’ai peur, mon cœur cogne, je tremble, sa main dans ma nuque, pince, on rentre.

*

Cette semaine, c’est la voisine qui conduit les enfants à l’école. Je ne peux pas sortir, je ne veux pas qu’on voie. Les marques, le bleu sur la joue et sous l’œil, ses empreintes sur ma peau. Ça n’arrive pas souvent. Et c’est de ma faute. Je l’ai cherché. Je savais où j’allais. Parfois j’ai juste envie qu’il me détruise.

Il a pleuré toute la nuit. Sur lui, sa violence, sur moi, ma putasserie.

Au petit matin, il m’a prise et ça l’a soulagé, il ne voulait pas voir ma gueule, seulement mon cul, salope.

Il évite de croiser mon visage quand il rentre, les larmes lui montent aux yeux dès qu’il me fait face.

Sa mère est douce, elle m’a prise dans ses bras sans rien dire. Elle vit dans ce silence depuis longtemps.

J’ai dit aux enfants que j’étais tombée dans un escalier à la fête. Je sais que Greg ne m’a pas crue.

*

Je repense à l’internat, cette période hors du monde. Ces jours de répit, hors combat, hors passion. Je me déchire petit à petit entre mon père et lui. Ma peau se tend comme un élastique prêt à se rompre. Les murs clos de la pension me protègent. De mon père, de David, de moi. Mais sa peau alors, et les cris de mon ventre. Je le désire tant.

Mon père et lui, aujourd’hui, presque amis. Discutent affaires ensemble. Voitures. Mon père achète ses voitures à David. David lui fait une réduction personnelle. Ils parlent moteur, marques allemandes, taxes et impôts. Mon père s’est associé à lui pour m’asservir. Ça y est, elle est enfin domptée, elle ne s’enfuit plus par la fenêtre, elle reste sagement à la maison, entre ses quatre murs. Elle sait où est sa place.

Ma mère ne me parle pas, si ce n’est du temps qu’il fait, des résultats des enfants à l’école, de la naissance d’une cousine.

Je crois que je vais m’éteindre à force de silence. Ma langue va se figer, puis ma gorge et enfin mon cœur.

Il y a Lula, il y a Greg.

*

Invitation au resto. Il m’offre une robe. Des bijoux. Des sous-vêtements. Toi et moi. Mon amour. Je bois du champagne, du bourgogne. Je pétille. Il me caresse la cuisse sous la table. Il me gagne à nouveau, me prend sur le parking, ma pute à moi, rien qu’à moi. Je m’abandonne. C’est simple, c’est bon.

Et j’ai beau savoir avec ma tête, mon cul ne m’obéit pas.

*

Il baise la voisine. C’est pour ça qu’elle ne dit rien quand mon nez pisse le sang et que mon œil se teint en jaune.

Il me raconte qu’elle aime la sodomie, elle, elle s’offre, il ne doit pas la forcer. Il me raconte comment elle suce, moins bien que moi. Stupide fierté.

Je le regarde dormir et je le trouve beau. Horriblement beau. Le sang palpite dans son cou, mouvements de l’artère. Il suffirait de. Ça prendrait peu de temps, un geste de gauche à droite, comme une tranche de rôti coupée net. Sec.

J’embrasse son cou.

*