Des vies à l'envers - Claude Marais - E-Book

Des vies à l'envers E-Book

Claude Marais

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Beschreibung

Un récit de vies qui pose des questions existentielles.

Louise a des troubles de mémoire. Pour surmonter cette épreuve, elle s’isole dans un village de la montagne Corse et elle écrit... Entre mélancolie et tendresse, son désir de se souvenir pourrait bien l’amener à se remémorer plus qu’elle ne pense. D’une écriture authentique, qui offre des pauses et des ouvertures parfois surprenantes, l’auteure divague sur le chemin de l’amour et en explore les à-côtés avec cette attitude si féminine de se poser autant de questions. Les envies, les doutes, les rêves ! Dans un ballet incessant entre passé et présent, ombre et lumière, avec poésie et sagacité, elle nous emporte sur le thème de la liberté et le besoin de chacun de se réinventer.

Ce roman vous plongera dans la mémoire et les secrets de personnages qui renouent avec leur passé.

EXTRAIT

Elle allait avoir soixante-deux ans bientôt ; elle sortait ce matin-là de l’hôpital, hébétée. Le diagnostic était tombé : elle perdait la mémoire, la mémoire de son passé plus ancien ? plus récent ? On ne lui avait pas précisé, d’autres tests restaient à faire. Elle ne savait pas pourquoi ! Un Mystère : « Vous savez Madame, le cerveau reste encore un grand mystère ! » Encore une phrase assassine qui ne lui donnait aucune arme pour se battre ! Elle sentait bien que depuis plusieurs mois, elle était moins concentrée, fatiguée, migraineuse et lasse, si lasse… Certains souvenirs foutaient le camp ; elle essayait de s’y raccrocher et gardait la sensation que certaines parties de son cerveau se vidaient. Rien ne venait combler ce vide si ce n’est l’angoisse de voir que sa vie lui échappait ! À présent, elle savait que son état était sérieux, elle se sentait mourir au passé ; et son passé, c’était elle !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Marais, née en 1948 à Ajaccio en Corse, est consultante en communication et en thérapie comportementale.

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Claude Marais

 

 

 

Des vies à l'envers

 

 

Roman

 

 

 

Pour Elles...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

 

Amine

 

Mai 2010

 

 

 

Il était debout, sur le port de cette ville étrangère, hébété !

La fatigue avait eu raison de son enthousiasme.

 

Le voyage avait été long, trop long face à son impatience decesjoursderniers.Enfin,ilétaitarrivésurcetteterreinconnue, rêvée, espérée. Ville blanche, adossée à la colline, ruisselante de soleil ; bruissement du vent chaud dans lesfeuilles d’acacias, clapotis de l’eau des fontaines ; immense ruche, coloréeetbruyante.Villebienaiméemaisvillecruelle…« Je tetrouveenfin ».Illuifallaitlaconquérir,l’apprivoiser,nager vers elle sans la déranger… vingt ansdéjà.

 

Il l’avait rêvée – si souvent – dans le ventre secret de cette ville ; il l’avait aperçue sur cette petite place, assise sous cet arbre ; puis, marchant, nonchalante, légère, en attente de quelque chose, une rencontre, une promesse, un pardon. Il l’avait imaginée, tournant la tête lentement vers lui, et le soleil avait, l’espace d’un instant, éclaboussé ses cheveux d’une lumière si douce qu’il en garde aujourd’hui encore la saveur.

 

Elle était venue vers lui, simplement, danseuse légère et il avait pris sa main. Aujourd’hui encore, à travers ses rêveries,ilrevoitlamainsipetite,sifine ;lesdoigtssilongsqu’il entendait chuchoter la musique qu’ils faisaient naître car il l’avait rêvée musicienne de la nuit et puis aussi, ses ongles, si blancs, de petits coquillages nacrés ; il y décelait la trace bleutée de la vague… Elle l’a serré dans ses bras et lui a dit :

« C’est bien, il fallait que tu le fasses, je n’en aurais pas eu le courage. »

 

Le silence d’une étoffe de soie s’était installé entre eux ; ellel’avaitentraînédanslesruesdesavilleetlajournées’était écouléeainsi,entreelleetlui,auhasarddulieu,auhasarddes heures. Elle n’avait pas parlé, lui non plus. Le soir pourtant étaitarrivé,paisible,étouffantlesbruits ;leséclaboussuresdu soleil avaient alors laissé la place aux ombres douces du soir venant ; puis elle avaitdisparu…

 

« Où es-tu maintenant ? Vais-je te retrouver après un si long voyage ? »

 

Il avait laissé derrière lui des êtres qu’il aimait pour la retrouver.« Jevaisrevenir »,avait-ilditàcettefemmesidouce, si compréhensive. « Fais ! Va où ton cœur te parle… mais ne nous oublie pas ! Inch-Allah mon fils, Inch-Allah! »

 

Aujourd’hui, la moitié du chemin était accompli et pourtant,ilsesentaitdésemparécommeunacteurdevantunmauvais script. Il ne savait plus ce qu’il en était de ce désir ; il n’avaitjamaisquittélaterredesonenfance,etpourtant,ilsavait que cette terre, que ses pieds foulaient aujourd’hui, était sa terre d’origine ; ses racines étaient nées dans ce pays-là, la France !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

À LA RECHERCHE DES TEMPS PERDUS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

 

Une pieuvre dans ma nuit

 

2009

 

« Ô tout ce que je ne dis pas ce que je ne dis à personne.

Le malheur c’est que cela sonne et cogne obstinément en moi. »

Louis Aragon

 

Ilyatoujoursundébutàchaquechose…etunefinàchaque chose ; un début à la vie, unefin…

 

C’était novembre ! C’est toujours en novembre – aussi loin qu’elle se souvienne – qu’elle n’a d’autre choix que de porter un autre regard sur sa vie ; novembre, le mois des séparations, des deuils ; aujourd’hui, de la maladie… encore!

 

Le début de la « chose » est passé ; la fin n’est pas encorelà,maisjel’espèredetoutmoncœurassoiffédepaix,de calme, bringuebalé qu’il est aujourd’hui dans cettetourmente sans nom, sans visage, sans horizon. Tout a commencé… mais était-ce vraiment là le commencement de cette chose qui a envahi mon corps, ma tête, me laissant exsangue, sans mots, sans raisons, sans ennemi véritablement nommé ; dans cette juste désespérance de ne savoir que faire.

 

 

Novembre, toujours novembre !

 

Elle se sent vide, sans substance déjà inexistante. Que vais-jefairedemavie,maintenant,toutdesuite ?Quevais-je devenir sans moi ? Elle ne dira rien de son état, elle jouera, elle sait faire ! Mais à quel prix ! Debout, la nuit ! Surtout ne pas s’endormir car la mort viendrait à coup sûr, emportant tout de son histoire ; rester en alerte ! Le vigile est là à ses côtés, il est si familier à sa vie !

Aujourd’hui j’ai voulu aller aux urgences, demander encore de l’aide pour faire taire cet ennemi de la nuit, du petit matin qui me trouve épuisée, hagarde, désorientée. Et pourtant,jedoisfairefacenéanmoinsauxcontratsàrespecter,honorer, servir, à l’argent qui en découle. Je dois travailler pour faire taire la peur demanquer.

Les urgences : moi contre lui, lui contre moi, fidèle, présent, stable, sa main chaude et sûre qui rassure : « Ne me lâche pas, ne permets pas qu’on m’emporte comme une barque perdue au service psychiatrique. » J’ai peur et j’ai envie de fermer les yeux sur ma plainte, ma fatigue, mon désespoir. Et surtout, ne rien te dire de ce qui m’a été annoncé, Vincent ! Ou si peu tedire.

Dormir, je veux dormir ! Oublier pourquoi je ne dors pas, je ne dors plus, ou alors, renoncer et mourir ; la vie s’échappe de mon corps ; seulement, dormir ! Qu’on me donne une pilule, blanche, rose, magique qui va régler mon sommeil ; retrouver le calme… mais, quand ai-je été calme ?

Lemédecin,gentil,attentif :« Vousêtesvolontaire,lâchez prise,vivezautrement,commeavant,sortez,chantez,oubliez que vous devez dormir et vous dormirez. Pilule ? Que nenni, toute seule ! Vous devez savoir faire et vous savez faire ! » Alors,mevoilàaveccecadeaubrut,sanspapierd’emballage ; je vais donc cesser de penser à mon sommeil et vivre ; avais-je donc arrêté de vivre ? Oui ! Centrée que je suis sur cette pieuvre,centréesurcettepartiedemoiquin’obéitplusàmes ordres ; comment ? Moi, Louise, je ne maîtrise pas cette partie-làdemonêtre ?Ellen’estdoncplusàmadisposition ?Elle « roule » sans moi depuis le début de ce mois de novembre.

Quatre mois d’hostilités, de combats pour comprendre, quatremoisderespirations,deméditations,deprières ;quatre mois d’écueils mais pourtant quatre mois à apprendre de la souffrance de mon corps, de mon âme ; quatre mois d’acceptationdececorpsquirésisteàlapieuvre,quirenâclemaisqui n’en fait qu’à sa tête, sans monconsentement.

Les poches sous les yeux, la peau grise ; accepter aussice vieillissement ; accepter de lâcher l’image de marque, accepter d’avoir soixante-deux ans, de ressembler à une femme de soixante-deux ans ; accepter qu’une autre femme enfante de cet accouchement douloureux, de cette autre partie cachée ; accepter de ne plus résister au temps, aux transformations, à ces manques, à la jeunesse perdue ; accepter d’enfanter d’autre chose ! C’est ainsi, le temps fait ce qu’il a à faire sans se préoccuper de nous. Oui, bien sûr, le temps… mais c’est d’un autre temps qu’il s’agit, le temps de ma vie à moi! Mon corpscrie,hurleetauboutdeceshurlements,decestumultes et de ce désespoir, le lâcher prise arrive comme s’il ne pouvait en être autrement, comme si le passage de l’ombre à la lumière devait s’opérer de cette manière ; mon accouchement estlongmaisj’aidéjàtantapprisdescontractionsdecethiver noir ! Je ne peux pas tout : la vie, ma vie ne m’appartient pas totalementetmatêtefaitdeschoixàmoninsu ;« vousn’êtes pas très gentille avec vous », dit le gentil thérapeute des urgences… « Vous manquez d’humilité ! »

Oui ! Tu as raison, gentil thérapeute, mais dis-moi, toi qui sais, tu entends ce que je te crie ? Donne-moi la recette pour être plus gentille et plus douce avec moi ; aujourd’hui que je nedorsplus,quejenesaisplusdormir.Jedoisapprendreàne plusmelaisserenvahirparmesémotions,cespeursdunoir,de lamort,alorsquejesenslavagued’angoisseimmenseetglauque qui déferle sur moi… mes jambes se dérobent sous mes pas ; je vais mourir, je suis presque morte! Et ces cris d’enfant que j’entends en permanence quand le sommeil arrive enfin verslepetitmatin!Alors,matêteetmoncorps,qu’avez-vous à me dire que je ne sache déjà ? Je croyais pourtant avoir fait le tour de cette femme ; soixante ans et plus, ça compte tout de même ! La vie me met encore aujourd’hui devant un nouveau désert où je dois marcher… seule… vers quoi ? Le néant, je le sais !

Lecancerm’avaitapprisl’impermanencedelavie ;aurais-je déjà tout oublié ?

Viens Louise, viens dormir près de moi… oui là, comme ça ma Louise, ferme les yeux et dors.

Je ne sais plus, Vincent, je ne sais plus dormir, j’aiperdu la clef ; c’est comme si je n’arrivais plus à éteindre les lumières de la maison.

- Que se passe-t-il, Louise ? Tout allait bien, tu me disais que tout allait bien pour toi… Tu te sentais légère, sereine, presque sage disais-tu… Quels sont les monstres qui te taraudent encoreaujourd’hui ?
- Je ne sais pas, Vincent, je ne comprends rien à ce qui se passe… Peut-être encore un passage, celui de la soixantaine et plus qui arrive… et tout letralala.

Et Louise ne répondait pas à Vincent, rien de plus que ce qu’il pouvait entendre aujourd’hui. Plus tard, elle verrait, elle seraitobligéedeluidire etpuis,sûrement,ilserendraitcompte de ce qu’elle était en train de devenir, une coquille vide!

Malade, encore malade, occupez-vous de moi ! S’est-on déjà occupé de moi ? Aidez-moi ! Au secours, je vais mourir, je ne peux plus vivre debout la nuit ! Je ne peux plus parler, lamâchoireestenplombetlesmotsn’arriventplusàdirema douleur.

La vie est à mi-temps et je suis lasse d’être ça : ce que l’on dit de moi : « bonne, formidable, géniale, courageuse. » Laissez-moi!Foutez-moilapaix!Jeveuxêtreunepetitefille qu’on garde contre soi, qu’on console. Ce soir, je ne crois plus au miracle et je ne vois plus que moi, j’oublie que le monde existe, les autres, ceux que j’aime. Mon toutpetit-fils, le premier, je pense à toi dans mes insomnies, tes grands yeux plein de vie, et ta voix qui me dit « Guégué ! » ; tu prends des centimètres ces temps-ci, mais je ne vois plus rien de ce qui est beau, si préoccupée que je suis de l’inconnu qui m’habite. Le gros ventre de ta maman plein de vie s’épanouit et cette petite princesse qui tressaille de vie et qui s’apprête à conquérir le monde n’a pas encore entendu, comme toi, la berceuse que je te fredonnais et que je chantais aussi à ta maman, avant et après la naissance ! Je suis si loin de tous ces bonheurs qui comblaient ma vie !

 

3

 

L’homme sage

 

2009

 

Il s’est levé tôt ce matin. Debout devant la fenêtre du salon,ilattendl’aubequipointe.C’estnovembreici.Lecielest gris, la terre grise et la mélancolie se répand sur ce paysage quisemblefigé.C’estsouventainsiennovembre ;lagestation au creux de la terre commence mais, malgré cette attente, la mélancolie demeure ; pourtant, il ne peut s’empêcher depenser qu’une certaine harmonie lie le ciel et la terre et ainsi, ce temps devient le sien, dans l’attente espérée mais patiente du renouveau. Il est un peu paumé ce matin, Vincent ; il ne reconnaît plus sa Louise, lointaine, silencieuse, toujours douce et tendre, mais évanescente, absente, et il repense à… il y a bientôt douze ans,leurrencontre ! Comment était-elle ?

Il était depuis de nombreuses années, seul, dans une solitude qui commençait à lui peser ;malgré les rencontres amou-reuses, il n’arrivait pas à s’engager véritablement dans une relation. Et puis ce jour-là, quinze décembre – il s’en souvenaitprécisément–ill’avaitvueouplutôtelleavaitsouhaité le rencontrer ;il était arrivé un peu en retard à leur rendez-vous ;elle l’attendait, assise dans l’escalier, le visage éclairé par le rayon de soleil qui filtrait depuis la lucarne ; ses cheveux longs et bouclés avaient une couleur mordorée ; elle lui avait fait penser, l’espace d’un instant, à un Botticelli ainsi offerte à la lumière, sans artifices. À ce moment-là, il s’était dit : « Et si c’était elle ? »

Quand il l’avait questionnée sur les raisons de ce rendez-vous elle avait répondu : « Je voudrais poser mes valises. » Et là, il s’était dit : « Eh bien, pose les ici ! » Et ce rendez-vous avait porté ses fruits. Elle sortait d’une longue histoire d’amourdifficileetdoucement,telunjardinierpatient,ilavait pris le temps de laisser l’amitié, la tendresse et l’amour germer. Elle avait essayé de résister, indépendante et libertaire, mais la vie avait fait ce qu’elle avait à faire et depuis bientôt douze ans, ils vivaient un amour doux, paisible et complice.

« La vie est bonne avec ma Louise et le temps qui vient de

notre vieillesse s’annonce serein et joyeux. »

Louise avait peu parlé d’elle et il respectait ses silences et ses secrets. Vincent n’avait pas d’enfants ; Louise en avait trois et par chance ils s’étaient tous adoptés mutuellement, dans la tendresse et l’amitié ; Vincent aujourd’hui jouait son rôle de grand-père avec ces quatre petits si aimants. Mais aujourd’hui, que se passait-il ?

- Qu’as-tu ma Louise, je te sens lointaine et tu as l’air si fatiguée !
- Ne te soucie pas de moi, Vincent, j’ai besoin de ces temps de silence, peut-être pour faire le point sur ce nouveau moment, la retraite, autre chose à vivre, à définir… je ne sais pas…

-…

- Et puis, tu sais bien, c’est novembre… et je n’aime pas le mois de novembre, c’est un mois qui m’encombre, qui m’empêche de vivre, d’avancer… va savoir… et puis cesinsomnies, ces nuits terribles m’épuisent ; nous en avons déjà parlé.

-…

- Sois patient.

Ilétaitpatient ;ilavaitrelurécemmentlescourriersqu’ils s’étaientéchangés ;cettepremièrelettrequ’elleluiavaitécrite peu de temps après leur rencontre : « Tu disais dimanche, en souriant certes, mais avec un brin de déception, que tu ne recevais jamais d’autres courriers que des courriers ordinaires. Je t’avais alors répondu que je t’écrirais. Eh bien c’est fait, vite, vite, sans relire, entre Mozart et les flocons de neige, j’ai écrit ce moment et je t’en fais cadeau, à toi l’Homme sage ! Merci de ton amitié, elle me laisse "étonnée" mais elle est déjà bonne à ma vie. »

Il était une fois une rencontre étrange ou du moins le croyait-elle, d’un homme devenant sage et de Elle qui savait qu’elle ne l’était pas encore! Car le chemin menant à l’autre rive vers laquelle elle se sentait attendue était encore long à parcourir ; elle disait qu’elle n’avait pas encore épuisé ces bonheurs de l’instant qui, jusque-là, avaient en partie rempli son existence.

Le temps et l’espace se modifiaient, la lumière se faisait plus proche avec la « connaissance » ; elle avait cependant en elle ces peurs d’enfant qui persistent devant l’inconnu qui arrive.Ellesavaitpourtantquelasagessedecethommeallait lui apporter le temps d’autres partages qu’elle était prête à recevoir. Il lui fallait pourtant garder l’enthousiasme et cette passion de la vie qu’elle sentait vibrer en elle à chaque aube « naissance ».Restersoi,sefaireconfianceetselaisserapprivoiser…

Lui, il avait dit au téléphone, ce dimanche : « Laisse faire le temps ! » Le temps allait faire. Elle, attendait.

 

4

À la rencontre de soi

2009

 

 

… C’était avant, en octobre…

Elle allait avoir soixante-deux ans bientôt ; elle sortait ce matin-là de l’hôpital, hébétée. Le diagnostic était tombé : elle perdaitlamémoire,lamémoiredesonpasséplusancien ? plus récent ? On ne lui avait pas précisé, d’autres tests restaient à faire.Ellenesavaitpaspourquoi !UnMystère :« Voussavez Madame,lecerveauresteencoreungrandmystère! » Encore une phrase assassine qui ne lui donnait aucune arme pour se battre ! Elle sentait bien que depuis plusieurs mois, elle était moins concentrée, fatiguée, migraineuse et lasse, si lasse… Certainssouvenirsfoutaientlecamp ;elleessayaitdes’yraccrocher et gardait la sensation que certaines parties de son cerveau se vidaient. Rien ne venait combler ce vide si ce n’est l’angoisse de voir que sa vie lui échappait ! À présent, elle savait que son état était sérieux, elle se sentait mourir au passé ; et son passé, c’était elle !

La ville était figée comme elle dans une absurdité sans nom ;ellereprendsavoitureet,somnambule,latraverse,vite, sans prendre garde à l’état de la route : des torrents d’eaudévalent du ciel et noient la ville dans une brume d’acier. Rien ne serait plus jamais comme avant!

Plus tard…

Au secours ! J’ai tellement peur ! La vie passe… rien à faired’autrequedelavoirpasseretd’attendre !Jenedisrien, je ne dois rien dire à personne de mon état ; simplement dire que, oui ! ça y est ! Je dors, c’est tout ! J’ai retrouvé le mode d’emploi ! Mais l’angoisse du vide qui se pointe me paralyse.

Avril… c’est avril, le joli mois d’avril quand le coucou chante! Et que le sommeil m’est redonné.

Et puis, murmurer que ces mois d’insomnie m’ont laissée vide,sansforces.Ilcomprendcemariaimant,quej’aibesoin de prendre le large, le soleil, quitter la maison momentanément,lachambre,celitoùj’aivécul’enfer.Trouverdutemps pour moi, oisive, disponible à du nouveau, paysages,visages, peut-êtreaussidenouvellesrencontres…etsurtout,retrouver cette partie de moi qui va bientôt me manquer ; m’inventer peut-être des histoires pour faire du plein dans mon cerveau qui se vide ; je vais partir… dans quelques mois, je suis à la retraite.

Lesenfantsrenâclent,lespetitsaussi ;entre-temps,lajolie princesse est née et me voilà grand-mère pour la troisième fois ; la joie est là, le désir d’être proche aussi, mais je suis si fatiguée ! J’ai besoin de ces quelques mois de solitude. C’est décidé, je pars dans le Sud ; je vais louer une petite maison dans la montagne corse. Je vais écrire tant que je peux le faire, partir à la recherche de mon passé !

Le printemps est si beau ici, mais si beau là-bas. Je me souviens encore, mais pour combien de temps ? Mes souvenirs m’emportent déjà vers le Sud. De ce voyage à Avignon avec elle, mon amie, ma sœur, chez sa mère. C’était il y a longtemps à présent, 1984, 1985 ? Déjà les dates me font défaut ; je cherche des repères… notre jeunesse encore! Comme c’est curieux, j’avais oublié cet épisode de ma vie et il me revient comme cela, brusquement, juste en évoquant le Sud !

Oui, je me la rappelle cette ville, je n’y suis d’ailleurs jamais retournée. Je revois cette vieille demeure tapie au fond d’un immense jardin, à l’abri des regards, l’immense eucalyptus près du portail ; la maison de sa mère. Sa mère ? Moine Zen, femme fascinante, qui, en quelques heures, dans une tendre autorité, nous a intégrées dans le stage de méditation qu’elle animait ce week-end-là. Et là, ces rencontres inattendues, avec ces inconnus de tous âges, en toge noire, dans cette salle blanche, dépouillée, ce silence pendant que nous méditions assis, face au mur blanc ; la cloche qui tintait et mettait fin au silence. Quelle situation étrange ! Et puislui, jeune, beau, attentif à ce que je vivais là, novice, découvrant un monde inconnu jusqu’alors. Le temps s’était alors déroulé au rythme desmantras…

Et la terrasse nue sous ce soleil d’octobre ; heure exceptionnelle où rien ne bouge ; le soleil à gauche du clocher d’abord, puis au-dessus du clocher, puis à droite du clocher. Le temps qui s’écoule doucement et pourtant, moment béni entre lui et moi où le silence seul suffit à faire passer les mots. Étrange rencontre, il ne me demande rien !

Épaule de laine rousse comme l’automne et sa respirationlenteetlamiennequej’essaied’accorderàlasienne ;sa main sur son genou, large, claire ;ces doigts que j’observe, longs, souples ;sa voix au timbre grave, mélodieuse, teintée d’un accent qui ne me permet pas de comprendre tous ces mots qu’il me dit maisqu’importe,lavoixestdoucecommel’épaule de laine rousse, comme la main posée sur son genou et le soleil nous enveloppe tendrement de sa chaleurmatinale.

Il a sonné ce matin-là pour me revoir et je l’attendais, lui dontjeneconnaissaisrien ;justesamaindansmescheveuxet lelongdemondospourmesalueretsonpasavecmoijusqu’à laterrasseausoleil ;c’étaitbien !

Je revois aujourd’hui ton profil de médaille et je ressens à nouveau sous ma main si longtemps après, la texture de la laine que tu portais, couleurd’automne.

C’est par ce chemin-là de douceur que je veux aller me retrouver, simplement retrouver la quiétude pour refaire connaissance avec celle qui est déjà en train de m’échapper! Jesaisquebientôt,toiaussi,tudisparaîtrasdemamémoire,et j’aiencoreenviedem’accrocheràtonsourired’angequirendaitcepassésibon,siléger,sitendre ;justeunpetitsouvenir d’un moment si court mais si intense. Tu vas foutre le camp, et que restera-t-il à la place ? Une béance, une cicatrice, une trace ? Me restera peut-être ma mémoire poétique où, sans rien nommer, je saurai, de manière évidente, qu’une trace de toi s’ytrouve.

Je pars et je ne laisse derrière moi que ce que je veuxbien laisser d’inutile, d’éphémère. Je les garde, ceux que j’aime, dans mon cœur et je leur dis à bientôt, je reviendrai car le fil desoieténuquimerelieàvousesttropfortpourqu’ilrompe ; gardez-moi ; je ne vais qu’à la recherche de moi-même pour revenir… vivante ! Pardonnez-moi, je ne peux pas tout vous dire ; je ne suis pas prête à partager ces angoisses avec vous, à vous les faire porter ; je vais sauver les apparences aussi longtemps qu’il me sera possible de simuler lasérénité.

Et toi Vincent, laisse-moi le temps, le temps de savoirqui je suis, le temps de faire connaissance avec cet autre Moi. Il mefautallerplusvitequelamaladie,àlarecherchedutemps passé,dessouvenirsquis’estompentdéjàetquiglissentcomme le sable entre mesdoigts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5

Le Père

2010

 

 

Louise voyait peu son Père, son vieux Père ! L’histoire d’amour qui les liait était si complexe, avait été si douloureuse qu’elle ne lui accordait que peu de visites depuis des années. Voilà deux ans qu’elle ne l’avait vu ; elle avait de ses nouvelles par l’un de ses frères qui allait régulièrement dans la vieille maison de famille prendre l’air du passé et entendre lepèredire : « Bonjourmonfils ! » Ilsn’avaientpaslamême histoire ces deux-là ! Elle se sentait si peu la force depousser laroutejusqu’àlui.Lepardonaccordén’avaitpassuffiàdissiper l’agacement qu’elle ressentait en sa compagnie, devant son arrogance, sa supériorité toujours aussi présente. Aucun changement malgré son grand âge ; elle avait perdu l’espoir de pouvoir échanger un jour aveclui.

Aujourd’hui, la maladie, cette perte de souvenirs anciens, m’oblige malgré moi à faire des retours incessants vers l’enfance ; souvenirs joyeux avec ma grand-mère, mes cousins, cousines, mais aussi souvenirs tristes de cette famille, la mienne, où les coups pleuvaient, les insultes, les humiliations. Mais que m’importe les souvenirs tristes, l’essentiel étant qu’ils soient, qu’ils me prouvent encore que j’existe, moi Louise, encore intacte !

Curieusement, je les ressens avec tellement de recul aujourd’hui, distanciée que je suis de cette petite fille, qu’ils ne m’attristent plus. Depuis peu, l’idée d’aller le voir se fait plusinsistante ;maispourquoiyaller,parconvention,respect pour le grand âge qu’il a, parce qu’il est seul et qu’il souffre de sa solitude me dit-on ? Parce que j’ai envie et le mot apparaît : dichotomie ! Envie de voir mon Père ? Y aurait-il pourmoiaujourd’huiquelquechoseàvivred’autreaveclui ? Ma propre souffrance me rend plus tendre, meilleure mère avec moi-même et plus compréhensive avec ce père quin’est plus dans ma vie depuis si longtemps. Mais plus encore, sans aucun doute, ne pas laisser le temps qui passe filer dans les méandres de mon cerveau malade ! Oui, moi Louise, pas la bonne fille, juste la Louise que je suis à présent va aller voir sonvieuxPère.Oui,letempsdel’échangeestarrivé ;étrangeté de la situation, rien ne laisse prévoir qu’un miracle puisse seproduireetpourtant,jesuisconfiantesurcequivaadvenir ; comme si c’était là, maintenant, dans cette situation difficile, qu’il fallait yaller.

Jemesenscalmedevantcettedécision :cetempsserapour lui, ne pas parler de ce qui m’arrive, juste être là, l’écouter, lavée de tout agacement, tout ressentiment ; je vais faire du « neuf » avec mon vieux Père puisque je suis vivante et que lui l’est encore.

- Papa, c’estLouise.
- Ah !Louisec’esttoi ;commentvas-tu ?
- Bien Papa ; je me proposais de passer te voir, deuxjours avec toi… il y a longtemps…
- Viens Louise, tu es chez toi dans cette maison ; je t’attends.

Je viens vers toi Papa, légère et soulagée d’avoir entendu le plaisir dans ta voix. Tu m’accueilles gentiment, souriant ; tu as beaucoup vieilli, un peu plus ratatiné, toi déjà si petit autrefois ; je te ressemble, là sur la joue gauche, la grande ride qui fait comme une trace du haut de la tempe jusqu’àl’ossaturedelamâchoire ; maistesyeuxsonttoujours aussi vifs ; ta voix basse un peu cassée – la vieillesse sûrement – et bien sûr, comme chaque fois, je regarde tes mains, fortes, puissantes, encore jeunes et si dissemblables du reste ducorps.

Et tu parles, tu parles, tu n’arrêtes pas de parler des choses qui t’intéressent, des livres que tu lis et que je ne lirai jamais, des livres que tu écris et que je n’ai pas non plus envie de lire, mais je t’écoute, et malgré toutes ces divergences, je suis un peu fascinée par ton érudition, fascinée par ta mémoire, ta curiosité intellectuelle, ta vivacité d’esprit ;je te regarde toi, mon vieux Père, avec de la tendresse ;je t’écoute et c’est bien, c’est possible, c’est juste !Tu es monPère.

Cematin,huitheures,lacuisineestvide ;jecroyaisquetute levais très tôt ! La maison est froide, solitaire, triste, vieille elle aussi et je m’inquiète ; je vais frapper à la porte de ta chambre, lieu sacré, inviolable, porte à jamais fermée depuis l’enfance. Je n’y suis jamais entrée ! Je cogne à la porte, et j’entends ta voix, faible : « Entre Louise. »

Et je te vois, Papa, recroquevillé sous tes draps ;juste ton épaule nue découverte et ta tête si petite sur l’oreiller :un moineau perdu, triste, souffrant. J’approche la chaise près de ton lit et j’attends. Tu prends ta tête dans tes mains et, d’une toute petite voix, tu murmures : « Je n’ai pas dormi… je ne dors plus depuis si longtemps ; ça m’épuise ». Et moi ta fille, j’entends, je sais, je comprends, ressuscitée d’une traversée du désert où durant quatre mois, debout, la nuit, j’attendais assoiffée d’un sommeil qui ne venait pas. Je remonte le drap sur ton épaule ;et puis soudain, ce calme dans cette chambre, une densité, un silence particulier et je me dis, à ce moment précis, que j’ai envied’avancermamainverstoipourtetranquillisercomme je le fais avec mes enfants, mes petits-enfants. Je songe à ta mère disparue alors que tu avais à peine huit ans ; tu as l’air d’un enfant abandonné mon pauvre Père, dans la tourmente de tes vieux démons. « Ce n’est pas drôle de vieillir mon vieux Papa. » Les mots sont venus là, sur le bord des lèvres, je me sentais si pleine de compassion pour toi, de bienveillance. J’ai eu envie de te serrer dans mes bras. Bien sûr, je ne l’ai pas fait, simplement pensé. Si les mauvais souvenirs avec toi doivent disparaître, eh bien qu’ils disparaissent ! La place est libre pour cet instant, ce moment présent et je le garde comme un cadeau que nous nous sommesofferts…Enes-tuconscient ?J’aienviedelecroire.

Et puis, tu fais le café, tu manges avec plaisir les croissants du dimanche et tu me parles de tes nuits difficiles, de tes souvenirs d’enfance comme tu ne l’as jamais fait : ton père, sa méchanceté, cette enfance si douloureuse, l’absence de la mère, le vide, les enfants de troupe et ensuite la marine. Curieux la vie, ma chère Louise ! Voilà que ton père se met à parler de son enfance ; il a oublié la tienne, mais qu’importe ; ses souvenirs sont intacts et les tiens foutent le camp ; étrangeté de la situation. Je reviendrai te voir, mon vieux Père, avec plaisir, jusqu’à la fin, car aujourd’hui je sais pourquoi. Ce que je ne connais pas encore, c’est la fin, la fin de quoi, de toi ? De moi ? Jusqu’à quand vais-je pouvoir taire ce qui m’arrive et rester debout ? Il y a toujours un début et une fin à chaque chose, un début à la vie – à la relation, la nôtre a commencé bien tard, mais qu’importe – et une fin à lavie…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Pace e salute