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Une mère et un fils. Il est homosexuel. Elle n'avait pas coché la case grand-mère. Jusqu'à l'arrivée de Diego, joli poupon blond né à Chicago. Il a kidnappé son coeur et bouleversé ses certitudes. Mamie la semaine et auteure le week-end, elle nous fait découvrir la vie de ces parents pas tout à fait comme les autres dans une famille extraordinaire.
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Seitenzahl: 142
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Je suis doué d’une sensibilité absurde, Ce qui érafle les autres me déchire.
Gustave Flaubert, Correspondance, 1876.
À Diego,
Préambule
Un seul enfant
Moi grand-mère
My Chicago baby
Le planning
Pampers
La faute à Chanel
Les cadeaux
Mamie et auteure
En toute subjectivité
Notre famille arc-en-ciel
Écrire, pour le pire…
… Et pour le meilleur
Le Prix de la Fierté
Precious Lord
Être père
Turing
Ce que papa m’a dit
Le fils de ses pères
Le sourire de Samantha
Marraine’s day
Les premières fois
Un enfant presque comme les autres
Les promesses n’engagent que ceux qui les croient
Va savoir avec la vie
Remerciements
Du même auteur
Livres collectifs
Octobre rose, un cancer, et après ?
Jdis ça, Jdis rien
J’ai voulu voir Vierzon (et j’ai vu Vierzon)
Au fait, il faut que je vous dise
Il était une fois, dans le zoo Rosamond Gifford à New York, deux manchots mâles de Humboldt.
Elmer et Lima étaient en couple. À la saison des amours, ils construisaient toujours un nid. Ils n’avaient jamais d’oeufs, mais ils se comportaient exactement comme les autres couples, défendant leur territoire.
Les gardiens du zoo eurent alors l’idée de leur donner un oeuf factice pour les tester.
Ils constatèrent qu’ils ne se battaient pas pour savoir qui allait s’assoir sur l’oeuf pour le couver. Au contraire, ils se relayaient et en prenaient soin.
Les responsables conclurent qu’ils étaient tout à fait aptes à devenir des parents d’accueil et remplacèrent l’oeuf factice par un vrai, sauvé d’un autre couple qui avait la fâcheuse habitude de casser ses oeufs avant qu’ils n’éclosent.
Elmer et Lima s’en occupèrent et un poussin manchot vit le jour auprès de ces parents aimants. C’était en janvier 2022, quelques mois après la naissance de mon petit-fils à Chicago, dans l’Illinois.
Raph, mon fils, et Max, son mari, vivaient ensemble depuis dix ans. Mais il manquait un enfant à leur bonheur.
Après mûre réflexion, ils optèrent pour une GPA, gestation pour autrui, aux États-Unis, puisque la France l’interdit. Un long processus, complexe et à haut risque.
Ils franchirent toutes les étapes de sélection, main dans la main, leur désir se faisant plus pressant à chaque difficulté qui se présentait. Enfin, en novembre 2021, Olivia, leur surrogate, c’est-à-dire la femme porteuse, mit au monde Diego, un bébé de 3,250 kg et 51 cm, en présence de son mari et des deux papas d’intention.
Depuis deux ans, tout comme le poussin d’Elmer et Lima dans leur colonie de manchots, mon petit-fils grandit et s’épanouit auprès de ses papas, au sein d’une famille unie.
Lorsque je vois sa joie de vivre et lorsque j’entends ses éclats de rire, je sais qu’un enfant n’a pas besoin d’un papa et d’une maman pour être heureux. Il lui faut de l’amour, avant tout.
Vous avez le droit de ne pas être d’accord. Vous avez le droit de ne pas aimer. Mais vous n’avez pas le droit de juger avant de savoir. Parce que c’est de l’ignorance que nait l’intolérance.
Einstein a dit que les préjugés étaient plus difficiles à désintégrer que les atomes.
Pour ma famille et pour toutes celles que l’on montre du doigt, je me devais d’essayer.
Chantal Cadoret
Il y a dix ans, mon fils unique m’annonçait qu’il était homosexuel, se libérant ainsi de vingt-sept années de non-dits et balayant, au passage, tous mes rêves de trôner en tant qu’aïeule au bout d’une tablée remplie de petits-enfants.
Rêves est un bien grand mot, car à cette époque, l’idée de devenir grand-mère ne me chatouillait pas spécialement. Plus j’observais mes copines se débattre avec les études, les mariages, et les problèmes de leurs enfants, plus j’appréciais ma famille restreinte.
J’aurais bien aimé que le mien s’incruste un peu plus à la maison, qu’il entre et sorte jusqu’à ce que je lui hurle ce n’est pas un hôtel ici . Mais à dix-huit ans, il a intégré le campus d’une grande école d’ingénieur et n’est plus jamais revenu vivre chez nous.
À la vitesse de l’éclair, mon bébé était devenu un adulte. Et plus il était heureux, plus je me sentais abandonnée. On ne fait pas des enfants pour soi , me répétait-on. Certes, mais le mien, j’aurais préféré le garder plus longtemps. En public, je faisais bonne figure. Pouvais-je faire autrement ?
N’avoir qu’un enfant était un choix réfléchi. D’une part, parce que je craignais de ne pas avoir les moyens financiers d’assumer une grande famille et d’autre part, parce que je ne voulais pas sacrifier ma liberté sur l’autel de la maternité.
Au bout du compte, j’étais libre, mais j’étais surtout seule.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
dit la fourmi
Je chantais, répondit la cigale
Vous chantiez ?
Eh bien, dansez maintenant !
Or, quand on ne rentre pas dans la norme, les occasions de « danser maintenant » sont très nombreuses.
Prenons par exemple la fête des Mères.
De bon ou de mauvais gré, presque toutes les mamans se soumettent à la tradition. À part les puristes qui s’y opposent délibérément, celles qui se retrouvent sur la touche ont beau dire moi, je m’en fiche, je n’ai pas besoin d’une date sur le calendrier pour être honorée , elles ne peuvent s’empêcher de ressentir, ce jour-là, un grand vide que la gaieté des autres rend encore plus vertigineux.
Tout petit, Raphaël se faisait une joie de me réveiller avec ses cadeaux et ses câlins. À l’âge où l’amour maternel se conjugue avec plus de pudeur, c’est-à-dire à l’adolescence, il sortait tôt le matin et revenait avec un bouquet de fleurs qu’il m’offrait en me serrant fort contre lui. Au fil du temps, cette célébration a perdu sa saveur pour se transformer, comme tous les événements convenus, en corvée.
– Je ne serai pas là pour la fête des Mères. Je te téléphonerai… si je peux.
– Ce n’est pas grave. Tu sais, la fête des Mères…
Je l’avoue, c’est un peu ma faute !
Lorsque j’enseignais, je me faisais un devoir d’expliquer à mes élèves que cette fête n’avait rien d’angélique, puisqu’elle avait été instituée par Pétain pour mettre à l’honneur les mères françaises, dans son programme :
Travail, Famille, Patrie .
Prêchant également pour ma propre paroisse, je finissais par leur dire que, peu importait son origine, elle restait un événement particulier dans le coeur de toutes les mères, et qu’ils avaient intérêt à y penser s’ils ne voulaient pas déclencher une guerre familiale.
Combien de fois donc, me suis-je retrouvée à pleurer, seule dans mon fauteuil, en imaginant toutes les mamans de France entourées de leur progéniture – Eh oui, madame la cigale, les fourmis ont plusieurs enfants et il y en a toujours un qui répond présent. Bien fait –.
– De toute façon, ça vient de Pétain, alors on s’en fout, me taquinait Raph.
On s’en fout, on s’en fout… c’est vite dit .
Prenons également Noël.
À l’image de la fête des Mères, ces festivités de décembre accentuent le sentiment de solitude de ceux qui restent en marge. Parce qu’ils n’ont pas de famille et qu’en entendant ou en imaginant les rires chez les autres, ils trouvent leur foyer, tout à coup, bien vide de sens.
Noël ne fait pas partie de la culture juive. Entre novembre et décembre, les juifs font Hanouka, une jolie fête d’une semaine pendant laquelle on allume des bougies, en souvenir de la destruction du Temple de Jérusalem.
C’est une commémoration importante, pleine de fierté et d’espoir, mais ce n’est pas une fête familiale. Tant que Raph était à la maison, nous nous retrouvions autour du chandelier éclairé, la hanoukia. J’aime la prière de Hanouka. Elle me rappelle mon père qui la chantait avec la force de ses convictions.
Chaque soir d’allumage, nous nous offrions des cadeaux, comme le veut l’usage, et lorsque ça tombait le vingt-quatre décembre, nous en profitions pour fêter Noël. À notre manière.
Comme tous les petits, mon fils a cru au père Noël. Il aurait été impensable de le priver de cette tradition.
La veille de Noël, pour marquer le coup, nous allions diner au restaurant chinois avec ma soeur et ses filles. Un restaurant traditionnel comme il en existait autrefois. Le seul à être ouvert ce soir-là. Nous étions les uniques clients et nous en profitions pour parler fort, rire aux éclats ou danser, sous les yeux impassibles des serveurs.
Je n’ai jamais été très pratiquante, mais j’étais sans doute trop empêtrée dans mes principes pour acheter un arbre de Noël. Pendant les premières années, Raph n’a rien dit et s’est contenté d’en fabriquer avec du carton et des crayons de couleur, pour faire comme les autres. Jusqu’à ce qu’un jour, il émette l’idée d’en avoir un vrai, avec des lumières, des décorations brillantes et des chocolats. J’ai accepté sans hésitation.
Ainsi le sapin de Noël intégra-t-il nos habitudes avec à son pied, une hanoukia en lieu et place de crèche.
Hormis l’histoire du père Noël et des cadeaux tombés du ciel, le vingt-cinq était pour nous un jour normal. Je me souviens de cette année où nous avions décidé de prendre un brunch… au McDo du coin. Seulement voilà, Noël c’est Noël, y compris pour McDo. Nous avons écumé tous les restaurants de la région avant d’en trouver un d’ouvert.
Cette fois-là, j’ai senti qu’il avait du mal à assumer sa différence. Pourtant, il n’a rien dit. Nous avons eu notre brunch, un peu tardivement, et tout s’est terminé par des rires. Comme d’habitude.
Lorsqu’ils se sont rencontrés, Max et Raph ont adopté leurs univers respectifs, mélangeant les rites et assistant ensemble à toutes les fêtes. Celle de Hanouka est la préférée de Max, car elle ajoute au mois de décembre encore plus de lumière et de cadeaux. Quant à Raph, inutile de décrire sa joie de vivre enfin des Noëls dignes de ce nom.
Pour la famille de Max, Noël est la fête la plus importante de l’année.
Le 1er décembre sonne le début des festivités.
Les caisses contenant des centaines de décorations descendent du grenier. Tout ce qui n’évoque pas Noël est banni de la maison. Et pendant vingt-quatre jours, la seule playlist autorisée est celle des chants de Noël qui passent en boucle, du lever au coucher.
C’est aussi le mois des investigations pour deviner quel présent ferait plaisir ou quel objet serait utile aux uns et aux autres. Chez eux, on ne s’intéresse pas à la valeur des cadeaux. Ce qui importe, c’est l’originalité et surtout l’effet de masse.
Près du sapin, le feu crépite dans l’immense cheminée, quelle que soit la température extérieure. Parce qu’un Noël sans feu ne serait pas envisageable, même en cas de réchauffement de la planète.
Au-dessus et sur les côtés de l’âtre sont suspendues les chaussettes du père Noël, portant le nom de tous les enfants et petits-enfants. À l’intérieur se cachent des friandises qui, si elles arrivent intactes jusqu’au vingt-cinq, ne résistent pas au-delà.
Les parents de Max sont comme nous, plus attachés aux traditions qu’à la religion. La veille de Noël n’a pas d’importance pour eux, mis à part le plaisir d’être ensemble. C’est le calme avant la tempête. Chacun finit d’emballer ses cadeaux à l’écart des autres, avant de se retrouver devant une soupe et un plateau de fromages. Tels des sportifs qui se préparent à l’effort.
Les festivités, c’est pour le lendemain.
Au lever du jour, tout le monde se réunit, en pyjama de Noël, devant l’immense sapin.
Parents, enfants et petits-enfants trépignent d’impatience. Commence alors l’ouverture de dizaines de paquets, au milieu des exclamations de surprise et de joie.
Puis, chacun se pare de ses plus beaux atours pour faire honneur au déjeuner de Noël. On y sert la mythique dinde fourrée au stuffing, mélange de pain, d’oignons et de beurre, que le père de Max enfourne tôt le matin, et les gâteaux traditionnels anglais dont le fameux Christmas Pudding, qu’il conserve depuis de longs mois, à l’abri de la lumière.
Raph a découvert cela avec émerveillement.
C’était tellement loin de l’ersatz de Noël que je lui offrais depuis sa naissance. Comment lui en vouloir ?
J’étais très heureuse pour lui, mais chaque année, je ravalais mes larmes devant ma solitude. Cela n’a pas duré. Dès qu’ils ont réalisé que nos traditions n’étaient pas incompatibles avec les leurs, les parents de Max nous ont proposé de partager avec eux cet esprit de Noël. Proposition que nous nous sommes empressés d’accepter.
Depuis, la crèche côtoie la hanoukia pour le plus grand plaisir de tous, et pour ne pas être de reste sur la photo annuelle, nous avons fini par acheter le fameux pull à tête de renne, à défaut de pyjama.
Devenir grand-mère fait partie des mêmes standards.
Autour de moi, mes amies avaient depuis longtemps troqué la fête des Mères contre celle des Grands-Mères, creusant, une fois de plus, le vide de mon existence.
Tu chantais ta liberté, eh bien, danse maintenant.
Pour la majorité des femmes, être grand-mère, c’est la consécration de toute une vie. C’est un peu comme recevoir l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle féminin. À chaque nouveau bébé, elles paradent et font la roue sous les projecteurs, tandis qu’éternelle doublure, je reste la tatie qu’on laisse pouponner par charité.
La pauvre, elle n’aura jamais de petits-enfants, son fils est… enfin, tu comprends… chuchotait-on derrière mon dos, d’un air compatissant, comme si j’étais condamnée par une maladie incurable.
L’homosexualité n’étant ni un choix ni une tare, je décidai de ne pas me laisser aller à la nostalgie et de profiter pleinement d’une retraite anticipée (je suis de tout coeur avec ceux qui ne pourront plus le faire à l’heure où j’écris ces lignes) pour partir à la découverte du monde.
Sans travail ni petits-enfants, j’étais libre. J’avais envie de partir loin et surtout seule. C’était le défi que je voulais relever pour ma nouvelle vie. Pour ne pas faire pitié. Pour ne pas être un poids. Et quitte à souffrir de solitude, autant que ce soit dans des endroits paradisiaques.
Lorsque j’annonçai ma décision à mon fils, je vis briller ses yeux. Il était fier de moi, fier de mon indépendance et de ma détermination.
À chaque retour à la maison, je retrouvais mes amies prises au piège de leurs obligations. Plus je les observais et plus je me disais que si par miracle je le devenais à mon tour, je saurais, à coup sûr, quelle grand-mère je ne serai jamais.
Moi grand-mère , je ne serai pas la nounou de service. Celle que l’on appelle au dernier moment lorsque le gosse est malade, qui arrive en courant, toute affaire cessante, et que l’on ignore dès que tout rentre dans l’ordre :
Maman, tu comprends, on est une famille maintenant, on ne peut pas toujours venir te voir.
Moi grand-mère , je ne serai sûrement pas une mamie prof ou éducatrice – je l’avais assez fait dans ma vie, il n’était pas question de reprendre cette casquette – et encore moins une mamie rigoriste. Comment imaginer l’être pour des petits-enfants alors que je ne l’avais pas été pour mon propre fils ? Les fais pas ci, fais pas ça, dis merci, s’il te plait, ne dis pas de gros mots , et toutes les injonctions classiques, c’était du ressort des parents.
Pas question non plus d’être laxiste, bien entendu, mais il n’allait pas falloir compter sur moi pour interdire toutes les sources de plaisir ou pour remplir une tirelire au moindre gros mot prononcé.
Moi grand-mère , je ne serai pas pour autant une de ces mamies gâteuses qui noient leur entourage avec les photos de leurs petits-enfants.
Oui, oui, elle est belle ta petite-fille , leur marmonne-t-on du bout des lèvres, se retenant de préciser en fait, on s’en fiche complètement.
D’autant qu’une fois lancées sur le sujet, on ne peut plus les arrêter. Et les voilà parties sur le miracle des premiers exploits qui, soit dit en passant, n’intéressent personne :
Elle a dit caca, ou pire et en général ça va de pair, Hourrah ! Merci mon Dieu, elle a enfin fait caca toute seule !
Et chacun sait que lorsque Dieu s’en mêle, il ne faut plus chercher à argumenter.
Même engouement pour les premiers dessins ou créations de leurs petits prodiges qu’elles exposent à la vue de tous.
Comme tout le monde, à chaque fête des Mères, j’ai eu mon lot de boites de camembert et surtout de colliers de pâtes.
À l’époque, quitte à passer pour une mère indigne, j’aurais bien aimé murmurer à l’oreille des maitresses si expertes en travaux manuels :
Pitié, arrêtez avec ces colliers de pâtes. On n’en peut plus !
Parce que ce n’est pas tout d’être fière des qualités artistiques et créatrices de son enfant et de l’en féliciter. Il faut aussi arborer ses bijoux. Sans une hésitation, sans un doute.