Jdis ça, Jdis rien - Chantal Cadoret - E-Book

Jdis ça, Jdis rien E-Book

Chantal Cadoret

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Beschreibung

Printemps 2020 Il était une fois un virus qui s'est abattu sur la planète et l'a figée. 55 jours inédits d'une histoire personnelle qui croise le chemin de l'Histoire. 55 billets d'humeur et d'humour pour vaincre la peur, la solitude et l'ennui. 55 chroniques partagées quotidiennement sur un blog. Parce que la mémoire est volatile et parce que tout ce que nous avons vécu est inédit, il fallait en garder une trace, pour ne jamais oublier que nous avons été les acteurs d'un scénario digne d'un film de Science Fiction. Jdis ça, jdis rien, bien sûr!

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Seitenzahl: 192

Veröffentlichungsjahr: 2020

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Quand un monde de déceptions et d’ennuis s’abat sur vous, si l’on ne s’abandonne pas au désespoir, on se tourne soit vers la philosophie soit vers l’humour. Charlie Chaplin

Sommaire

PREFACE

Mercredi 1 avril 2020 : 16ème Jour de confinement

Jeudi 2 avril 2020 : 17ème Jour de confinement

Vendredi 3 avril 2020 : 18ème Jour de confinement

Samedi 4 avril 2020 : 19ème Jour de confinement

Dimanche 5 avril 2020 : 20ème Jour de confinement

Lundi 6 avril 2020 : 21ème Jour de confinement

Mardi 7 avril 2020 : 22ème jour de confinement

Mercredi 8 avril 2020 : 23ème Jour de confinement

Jeudi 9 avril 2020 : 24ème Jour de confinement

Vendredi 10 avril 2020 : 25ème Jour de confinement

Samedi 11 avril 2020 : 26ème Jour de confinement

Dimanche 12 avril 2020 : 27ème Jour de confinement

Lundi 13 avril 2020 : 28ème Jour de confinement

Mardi 14 avril 2020 : 29ème Jour de confinement

Mercredi 15 avril 2020 : 30ème Jour de confinement

Jeudi 16 avril 2020 : 31ème Jour de confinement

Vendredi 17avril 2020 : 32ème Jour de confinement

Samedi 18 avril 2020 : 33ème Jour de confinement (J-23)

Dimanche 19 avril 2020 : 34ème Jour de confinement (J-22)

Lundi 20 avril 2020 : 35ème Jour de confinement (J-21)

Mardi 21 avril 2020 : 36ème Jour de confinement (J-20)

Mercredi 22 avril 2020 : 37ème Jour de confinement (J-19)

Jeudi 23 avril 2020 : 38ème Jour de confinement (J-18)

Vendredi 24 avril 2020 : 39ème Jour de confinement (J-17)

Samedi 25 avril 2020 : 40ème Jour de confinement (J-16)

Dimanche 26 avril 2020 : 41ème Jour de confinement (J-15)

Lundi 27 avril 2020 : 42ème Jour de confinement (J-14)

Mardi 28 avril 2020 : 43ème Jour de confinement (J-13)

Mercredi 29 avril 2020 : 44ème Jour de confinement (J-12)

Jeudi 30 avril 2020 : 45ème Jour de confinement (J-11)

Vendredi 1er mai 2020 : 46ème Jour de confinement (J-10)

Samedi 2 mai 2020 : 47ème Jour de confinement (J-9)

Dimanche 3 mai 2020 : 48ème Jour de confinement (J-8)

Lundi 4 mai 2020 : 49ème Jour de confinement (J-7)

Mardi 5 mai 2020 : 50ème Jour de confinement (J-6)

Mercredi 6 mai 2020 : 51ème Jour de confinement (J-5)

Jeudi 7 mai 2020 : 52ème Jour de confinement (J-4)

Vendredi 8 mai 2020 : 53ème Jour de confinement (J-3)

Samedi 9 mai 2020 : 54ème Jour de confinement (J-2)

Dimanche 10 mai 2020 : 55ème Jour de confinement (J-1)

Lundi 11 mai 2020 : D Day (Jour de déconfinement)

PREFACE

Il était une fois un méchant virus. Venu de Chine, il a voyagé dans tous les avions qui sillonnaient le ciel d’un bout à l’autre de la Planète et il s’est diffusé, partout et très vite, sans nous laisser le temps de réagir.

On l’a d’abord toisé, ce virus : toi, tu ne nous fais pas peur, on connait bien ta famille et on sait comment t’éliminer.

On a fermé les yeux, et on a continué à s’amuser.

Jusqu’à ce qu’il s’installe confortablement chez nous, s’attaquant aux plus fragiles, commençant par contaminer certaines zones pour s’étendre sur toute la France. Alors, on a pris peur et on a sonné l’alerte. Alors, on s’est arrêté de vivre, de voyager, de rire. Alors on est entrés en guerre.

Du jour au lendemain, les écrans se sont éteints, les rues se sont vidées, et les portes se sont closes. Dans le ciel, redevenu bleu, les avions avaient cessé leurs ballets. Du jour au lendemain, les rires se sont tus, remplacés par des cris de colère et de peur.

Nous qui croyions pouvoir tout maîtriser, nous nous sommes révélés impuissants et fragiles.

Cette période inédite ne pouvait pas passer sous mes yeux sans que je n’en garde un souvenir précis. Dès que la situation est devenue critique, je me suis mise à écrire ce journal.

D’abord comme une simple occupation, puis comme un besoin vital. N’ayant plus d’horizon devant moi, tout me semblait important à consigner, même les détails de la vie quotidienne, réduite à sa plus simple expression. Comme tout le monde, je n’étais pas prête à cet isolement et cet enfermement, alors, comme tout le monde, j’ai eu des moments de révolte et de déprime avant de prendre le parti de rire, de me moquer, pour, de nouveau, espérer.

Ce journal, c’est l’histoire d’un chaos que personne n’aurait pensé vivre au XXIème siècle. C’est aussi une histoire personnelle que j’ai partagée, au fil des jours, à travers un blog, Vogue la Galère, comme un rendez-vous fixe dans une journée qui avait perdu ses repères. Ecrire tous les jours, en mêlant l’actualité et ma vie personnelle m’a permis de combler le vide qui venait de se creuser en moi.

A l’heure où je finis ce journal, le virus rôde toujours et la vie n’a pas encore repris son cours normal, mais j’espère que le pire est derrière nous et que nous allons enfin pouvoir reprendre nos destins en main.

J’espère revoir très bientôt les gens sourire sans leurs masques et s’embrasser sans peur d’être contaminés. J’espère pouvoir de nouveau m’asseoir sur une terrasse de café, dans un fauteuil de théâtre ou de cinéma, voire dans un avion -laissez-moi rêver- et surtout, j’espère retrouver ce qui m’a le plus manqué durant ces cinquante-cinq jours : la liberté.

Et, par-dessus tout cela, j’espère ne pas avoir à écrire une suite à ce journal.

Jdis ça, jdis rien, bien sûr !

Chantal Cadoret

Mercredi 1 avril 2020 16ème Jour de confinement

Tout a commencé vers le mois de janvier. Un virus de grippe était apparu en Chine. Évidemment, comme tout ce qui vient de Chine, on a crié au scandale. Ces chinois font n’importe quoi et surtout mangent n’importe quoi, c’est donc bien fait pour eux. On a déjà vaincu tant de virus, celui-ci n’en sera qu’un de plus et le temps qu’il nous parvienne, on aura trouvé la parade.

Et la vie a repris son cours. Fin janvier, je suis partie en Thaïlande pour un mois. Je me rapprochais dangereusement de la zone concernée mais la Thaïlande, c’est très loin de la Chine, et il n’était pas question de gâcher mes vacances.

Le jour de mon arrivée, je me souviens d’être tombée sur le seul chauffeur, peut-être mort depuis, qui semblait avoir le coronavirus. Le pauvre homme, assez âgé, visiblement fiévreux, était pris de quintes de toux pendant tout le trajet. Je me suis ratatinée au fond de son taxi en me disant que, décidément, j’avais la poisse. J’ai veillé à ne pas approcher mon bonhomme de trop près et je l’ai vite refoulé au fond de ma tête, bien décidée à aller de l’avant sans psychoter sur ce virus. Après tout, Bangkok est une ville hyper polluée où bien des gens toussent et souffrent de problèmes respiratoires.

Mais c’était sans compter avec les réseaux sociaux. A peine ai-je commencé mon voyage que déjà, on me mettait en garde : Ouh la, la, le virus, attention. Oui, le virus, en Chine, d’accord, mais moi je suis en Thaïlande. Mais c’est pareil, me disait-on. Comment ça, pareil ? Il y a quand même des milliers de kilomètres entre les deux pays, non ? Il a fallu que je pousse un grand cri de mécontentement pour que mes amis de Facebook acceptent de garder leurs peurs pour eux et de me laisser vivre mon voyage tranquillement. Mais, on n’entend que ça, ici, c’est normal, on a peur, tu comprends, on ne va même plus dans les restaurants chinois. Des chinois étaient même agressés en pleine rue, sous le prétexte... d’être chinois. J’étais sidérée. Comment cette psychose pouvait-elle prendre de telles proportions ? J’étais heureuse d’être loin de tout cela pour ne pas voir la bêtise humaine se propager, plus vite que le virus.

J’ai décidé d’ignorer et de profiter. Et j’ai eu bien raison ! La mer était bleue, le soleil était doux, les Mojitos délicieux et les paysages fabuleux. De plus, comme pendant le mois, la Chine avait fermé ses frontières, rapatriant tous ses ressortissants, il y avait très peu de monde, où que j’aille. La Thaïlande sans la foule, c’est vraiment un régal et je suis heureuse de l’avoir vue de cette façon. Ce mois de vacances et de liberté a été un mois de jouvence et m’aide sûrement à supporter le confinement actuel. Je reconnais que j’ai vraiment beaucoup de chance.

A mon retour, j’ai repris ma vie sociale comme si de rien n’était. Théâtres, cinémas, expositions, sorties avec les copines. Avec le recul, je me demande si je n’ai pas agi, inconsciemment, dans l’urgence d’une menace. Je ne suis jamais autant sortie dans une période aussi courte, auparavant, et je suis contente d’avoir eu ce sixième sens. Lorsque nous avons eu l’annonce du confinement, j’étais déjà repue de bonnes choses, j’avais repris mes habitudes avec mes copines et surtout, j’avais pu voir mon fils. Je n’avais pas remis à plus tard. Il me disait qu’il était surbooké et m’avait donné rendez-vous pour un déjeuner… mi-mars. C’était trop loin pour moi, bien sûr, alors je suis allée l’applaudir, l’embrasser, même si je devais le partager avec d’autres. Et j’ai bien fait, car quinze jours plus tard, on nous enjoignait de rester chez nous et il n’y a jamais eu de déjeuner.

Une fois de plus, ma théorie, celle que je crie depuis cinq années, a pris tout son sens : il faut profiter de la vie, vite et tout de suite car on ne sait jamais quand elle s’arrête. Et là, la vie vient de s’arrêter, momentanément, pour la majorité d’entre nous et définitivement, pour d’autres. Aujourd’hui, tout le monde comprend les valeurs les plus importantes : la liberté, l’amour, l’amitié ... la santé, promue au rang de valeur, pourquoi pas. Aujourd’hui, tout le monde comprend que rien n’est éternel, et que l’équilibre sur lequel reposent nos vies est fragile et peut s'écrouler sans prévenir.

Jeudi 2 avril 202017ème Jour de confinement

Quand j’ai arrêté mon travail, il y a deux ans, on m’a prévenue : il te faut un planning, des activités, des objectifs, sinon, c’est la dépression assurée. Faisant confiance à mes ainés qui étaient déjà à la retraite, je me suis donc organisée. La première année, j’ai programmé et réalisé un voyage par mois. Et vraiment, c’était très bien. Je n’ai jamais eu le temps de m’ennuyer et franchement, je le recommande à tout le monde. Pour moi, c’était le rythme parfait. Comme cela ne semblait pas être une évidence pour les autres, la deuxième année, j’ai modifié mon rythme : je suis partie moins souvent mais plus longtemps. Rien à redire là-dessus : c’était parfait aussi. Depuis deux ans, aucun signe de dépression, au contraire, je ne me suis jamais sentie aussi bien.

Cependant, on m’a dit et répété que je ne comprenais rien et que les activités, il fallait les faire ici, et non aux quatre coins du monde. Alors, cette année, j’avais pris de sages décisions. Je me suis inscrite à des tas de cours pour rythmer mon temps. Le lundi, marche, le mardi, aquagym, le mercredi, poterie, le jeudi, yoga et le vendredi, aquarelle. J’ai estimé qu’un peu de repos le week-end ne me ferait pas basculer dans la dépression, alors, j’ai laissé la place à l’improvisation.

Et c’est là que je crie à l’arnaque.

Depuis dix-sept jours, tout est à l’arrêt, toutes les associations ont fermé leurs portes et moi, je fais quoi avec ma dépression ? Heureusement, j’avais commencé l’année par un long et beau voyage ! Quand je pense que j’ai failli remplacer la Thaïlande par une cure à la Roche Posay, j’en ai encore des frissons dans le dos !

Donc, me revoilà à la case départ et comme tout le monde est aujourd’hui retraité, je me suis un peu renseignée sur les occupations de chacune en cas de confinement. L’activité qui remporte la palme, haut la main, c’est le ménage. Posez la question à tout le monde, vous verrez. Le ménage, vous dis-je . Moi, je dois bien l’avouer, ce n’est pas franchement ma tasse de thé mais j’ai voulu essayer. La cuisine de fond en comble, les meubles de la salle à manger, les chambres, j’ai tout fait.

Et maintenant ? Que vais-je faire ? Quoi ? On recommence ?

Et c’est là que je crie à l’arnaque.

On ne peut pas faire ça tout le temps quand même ? D’autant que je me connais bien. Je deviens maniaque, chatouilleuse et grincheuse et fort capable d’arracher les yeux de ceux qui partagent mon confinement, sans pour autant partager ma passion du propre.

Comme je ne veux pas d’histoires et que je tiens à garder ma bonne humeur, j’ai essayé autre chose. La deuxième activité préférée des confinés, c’est la cuisine et la pâtisserie. C’est une bonne idée, la cuisine, surtout quand on a du temps. On peut se régaler sans se ruiner et, surtout, on se fait du bien.

Je ne suis pas trop douée et je le regrette, mais j’adore inventer des recettes simples et goûteuses. J’ai, à la maison, plein d’épices exotiques pour donner à mes plats des goûts d’ailleurs. Seule devant mon repas, je m’imagine facilement devant les temples d’Angkor ou sur le bord du Mékong. Pour la pâtisserie, par contre, j’ai un gros problème. La pâtisserie exige une rigueur presque scientifique qui ne laisse pas la place à la fantaisie. C’est mon problème et je suis même capable de rater un gâteau Alsa, où il n’y a rien d’autre à faire que la cuisson. Mais rassurez-vous, je me fais plaisir quand même. Parce que les gâteaux, si je ne les fais pas, je les achète. Ils font partie de mes courses de première nécessité, avec le chocolat, bien entendu.

Et c’est là que je crie encore à l’arnaque !

Après seize jours en survêtement, je viens de passer un jeans. Mais c’est quoi ce délire? Je ne peux plus l’enfiler et encore moins le fermer. Je commence à croire que le gouvernement ne nous dit pas tout. En tout cas, il nous a caché les conséquences directes du confinement. Sous prétexte de tromper l’ennui et/ou de se faire plaisir, on va bientôt ressembler à la grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf.

Bon, ça y est, je crois que je déprime. Je vais manger un chocolat, il parait que c’est du magnésium, antidépresseur naturel.

Et surtout, à partir de demain, j’arrête le jeans !

Vendredi 3 avril 2020 18ème Jour de confinement

Ce dix-huitième jour de confinement me fait réfléchir à la fragilité de nos vies. Non, non, je ne déprime pas, mais je trouve que cette situation appelle à des réflexions et des remises en question.

Ce n’est pas le manque d’activités qui me pèse. Des activités, j’en ai suffisamment pour meubler les heures qui s’égrènent. Entre la télé, euh pardon, pas la télé mais Netflix qui propose des films et des séries plus inédits et intéressants que les chaines classiques, la couture à la main de vêtements, qui, c’est certain, ne m’iront plus lorsque je sortirai, l’écriture et la marche quotidienne autour de ma cité, les journées passent, malgré tout, assez vite.

Non, ce qui me manque à moi, c’est la liberté et les contacts sociaux. Rester seule, voyager seule, sortir seule, c’était, jusqu’à présent, un choix déterminé. Un choix qui me laissait la liberté d’associer mes amis si nous en avions envie. Mais aujourd’hui, cette liberté est impossible et la solitude est imposée. Ça fait toute la différence.

Donc, ce qui me manque le plus actuellement, c’est de pouvoir me dire : tiens j’irais bien voir ce film ou j’irais bien au théâtre, ce soir.

Ce qui me manque le plus actuellement c’est d’aller boire un café ou déjeuner chez l’un ou avec l’autre de mes amis. Parler à quelqu’un, en vrai, et non plus par SMS…

Nous avons si peu à nous dire et nos journées sont tellement construites sur le même rythme que, tout d’un coup, j’ai l’impression d’avoir pris vingt ans et d’être devenue mon père ou ma mère.

Lorsque je les appelais, ce que je faisais scrupuleusement, je raccrochais toujours en levant les yeux au ciel d’impuissance et d’exaspération, et en déplorant le manque d’intérêt de nos conversations. Ils ne s’intéressaient pas à ce que je faisais et n’avaient rien à me raconter. Exactement ce que nous sommes en train de vivre. Ceux qui ont quelque chose à raconter mettent en évidence les frustrations de ceux qui, eux, n’ont rien à dire. D’où les SMS qui remplacent les communications en donnant l’illusion d’un lien social.

Alors, pour pallier ce manque, il nous reste la vidéo conversation, heureusement. Comme dans tous les foyers, ou presque, ce moment convivial se déroule généralement, au moment de l’apéritif. Avez-vous remarqué que depuis notre confinement, nous prenons tous l’apéro même si nous n’en avions pas l’habitude auparavant ?

Cette heure, celle à laquelle les bébés pleurent sans qu’on comprenne pourquoi, celle à laquelle on ressent une angoisse incontrôlée sans qu’on comprenne pourquoi, est celle que j’appelle « entre chiens et loups ». Le jour s’achève et la nuit s’annonce. Et on ressent le besoin d’un moment festif avant d’aller dormir. Les plus chanceux d’entre nous ont plusieurs apéros d’affilée, ce qui leur occupe plus de temps. C’est bon de pouvoir voir ceux que l’on aime, vérifier qu’ils sont en bonne santé et tourner en dérision avec eux, pendant quelques instants, la pauvreté de nos activités ou l’irrationalité de nos angoisses.

Après, avant ou entre deux apéros, il y a un autre moment très important dans nos journées. Ce sont les applaudissements pour tous ceux qui nous aident à vivre normalement. Ce petit rituel est finalement une sorte de relais social. Lorsque je me mets à ma fenêtre, armée de ma cuillère en bois et de ma casserole, qui, soit dit en passant sera inutilisable lorsque nous en aurons fini avec ce virus, je me surprends à guetter mon voisin d’en face, inquiète quand il tarde à sortir et rassurée lorsqu’il apparaît. On se salue avec des grands signes, on rit, on fait du bruit, puis on se dit au revoir et à demain. La casserole et la cuillère en bois, ce sont un peu les nouveaux Tinder de 2020.

Cette nécessité du moindre lien social me pousse à réfléchir. La peur de mourir, il y a cinq ans m’avait déjà fait revoir mes priorités. Mais le temps qui passe nous éloigne toujours de nos sages décisions, et je trouve cette période très utile pour les remettre au goût du jour. J’espère juste qu’après ce confinement, nous garderons cette envie de faire attention aux autres, de les voir, de leur parler même si nous n’avons pas grand-chose à leur dire.

Par contre, pour les apéros, il va falloir perdre rapidement cette habitude. Parce qu’entre la boisson, le chocolat, la cuisine, la pâtisserie, et le manque d’exercice, ce ne sont pas seulement les jeans qu’il faudra abandonner, mais l’ensemble de notre garderobe.

Samedi 4 avril 2020 19ème Jour de confinement

J’ai d’excellentes nouvelles pour ce nouveau bulletin. Nous sommes samedi, début d’un beau week-end aux températures estivales et début des vacances de pâques.

Ah… Vous ne sautez pas de joie ? Vous ne trépignez pas d’impatience ? Vous ne cherchez pas vos vêtements d’été au fond de vos armoires ? Rassurez-vous, moi non plus. En fait, je ne fais que résumer ce qui passe en boucle sur toutes les chaines d’info depuis ce matin. Et comme vous, j’ai envie de crier : on s’en fout de la météo, on s’en fout du week-end et on s’en fout des vacances !

Ce virus se moque de nous ! Il n’est pas plus grand qu’un infime grain de poussière (oui, je sais, je ne suis absolument pas scientifique et j’ignore totalement la grosseur de ce truc), mais ce qui est certain c’est qu’il nous terrorise. Avez-vous remarqué à quel point mettre le nez dehors devenait un défi ? Sortir demande une longue et minutieuse préparation. On répertorie d’abord le matériel nécessaire : masque, gants, gel, lunettes de plongée pour les plus anxieux, tout est là. Puis, on se dirige vers la porte : oups, on revient aussi vite : l’autorisation, j’ai oublié mon autorisation.

Les mains tremblantes, comme si on faisait un faux certificat de baptême à un juif pendant la deuxième guerre mondiale, on remplit scrupuleusement le précieux sésame. Avant de signer, on vérifie l’heure sur toutes les pendules de la maison, on ne sait jamais, il ne faut pas se tromper. Enfin, nous voilà prêts à affronter l’ennemi invisible.

Mais l’angoisse n’en est pas pour autant diminuée. A peine sortis de chez nous, les mains frottées au gel, nous regardons furtivement, à droite et à gauche, puis encore une fois à gauche et à droite, en mode commando. Le cœur battant, on vérifie que personne ne s’approche à moins d’un mètre de nous. Vade Retro Satanas ! Nos mains aseptisées, enfoncées dans les poches, la tête rentrée dans les épaules, nous commençons un peu à nous détendre et à détendre nos muscles. A peine quelques mètres et nous avons l’impression d’avoir franchi le Rubicon. Le sourire aux lèvres, les yeux pétillants, on aurait presque envie de lever le poing en signe de victoire : Je l’ai fait, je suis dehors et je n’ai même pas peur !

Une fois dehors, pour peu que l’on arrive à se décoincer un peu, on peut faire tout ce que l’on a envie: danser, parler seule, chanter, se déshabiller ou plus simplement faire des selfies pour envoyer à tous nos contacts. Seuls au monde, la rue est à nous. Parfois, cependant, on croise quelqu’un qui se promène aussi ou qui va faire ses courses. Panique à bord, tête basse, en apnée, on se dépêche de changer de trottoir ou de faire demi-tour : ce sale virus ne nous aura pas, qu’on se le dise !

Le pire de tout, c’est lorsque nous apercevons une patrouille de policiers. Avez-vous remarqué à quel point nous sommes prompts à nous sentir coupables ? Notre cœur s’emballe, le pas se fait hésitant, le temps de se remémorer ce qui est écrit sur l’attestation et de préparer notre défense au cas où : Monsieur l’agent, je suis juste sortie pour me détendre . Regardez, monsieur l’agent, l’heure n’est pas encore passée. Sûrs de notre bon droit, la tête haute, le pas plus ferme, nous sommes prêts à affronter les forces de l’ordre.

Quelle déception lorsque la brigade passe son chemin sans nous arrêter. Non, mais,Eh! Je suis là, j’existe moi aussi ! Je suis en règle, je respecte les gestes barrières, j’ai mon attestation, je n’arrête pas de dépenser de l’encre et du papier pour ces fichues attestations, alors, pour une fois que je vous croise, contrôlez moi, s’il vous plait ! Mais non, ils nous regardent, nous saluent poliment et passent leur chemin.