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Qui n'a jamais eu envie, un jour, de retrouver son amour d'enfance? Qui n'a pas rêvé de transformer une histoire inachevée, fantasmée en une belle histoire d'amour? 1978 : Jeanne et Thierry se retrouvent, chaque été, à Saint-Malo. Ils sont amoureux, mais ils ont dix-sept ans. "l'année prochaine, c'est sûr, on le fera..." 2018 : Ils ne se sont jamais revus. La vie les a séparés, abimés. De La Ciotat à Vierzon, l'amour réussira-t-il à traverser le temps?
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Seitenzahl: 206
Veröffentlichungsjahr: 2023
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La magie du premier amour est d’ignorer qu’il puisse finir un jour
Benjamin Disraeli (1837)
À Annick,
La Ciotat, Mai 2017
Vierzon, Mai 2017
La Ciotat, Avril 2018
Vierzon, Avril 2018
La Ciotat, septembre 2018
Méreau, septembre 2018
La Ciotat, novembre 2018
Vierzon, novembre 2018
La Ciotat, novembre 2018
Thierry, Novembre 2018
La Ciotat, novembre 2018
Vierzon, novembre 2018
Novembre 2018
Novembre 2018
La Ciotat, novembre 2018
Vierzon, novembre 2018
La Ciotat, décembre 2018
Vierzon, décembre 2018
Vierzon, décembre 2018
Vierzon, décembre 2018
Vierzon, décembre 2018
La Ciotat, 1er Janvier 2019
Seule, enfin !
Je me sers un verre de vin et me promène dans l’appartement, le sourire aux lèvres. Chez moi, je suis de nouveau chez moi.
J’ai débarqué ici avec mes filles, il y a presque vingt ans. Après un divorce houleux, j’ai quitté Le Havre, où je vivais depuis ma naissance, bien décidée à refaire ma vie. J’ai immédiatement été séduite par ce petit village de La Ciotat. Il faut dire, qu’à l’époque, ce n’était pas aussi touristique qu’aujourd’hui. Cet appartement cochait toutes les cases puisqu’il était assez spacieux pour nous trois et, tout en étant en retrait de la ville, il était à quelques minutes de la mer. Je voulais bien repartir à zéro, mais pas question de me passer de la mer.
J’ai rencontré Pascal peu de temps après mon installation. Il tenait un bar sur le port. Nous nous retrouvions là, entre collègues, après le travail, pour quelques verres. C’est un vrai Méditerranéen, grand, brun et le verbe haut, qui ne manque jamais une occasion de se faire remarquer. J’avais bien compris que je ne lui étais pas indifférente. J’aurais dû prendre le temps nécessaire pour panser mes blessures et me reconstruire. Mais, en amour, on apprend rarement de ses erreurs. Enfin, moi je n’apprends jamais de mes erreurs. Mes filles grandissaient et avaient besoin de plus de liberté, me laissant seule. Plaire de nouveau me redonnait goût à la vie, d’autant que Pascal était plus jeune que moi, ce qui était très flatteur.
Au début, notre histoire a été simple et légère. Sans contraintes. Je l’aimais, bien sûr, mais sans doute moins que lui. Pour être honnête, j’aimais surtout l’amour que je croyais voir dans ses yeux. Cependant, il y a un revers à cette médaille : il désirait une famille à lui. Il s’entendait bien avec mes filles, mais il avait envie d'un enfant à lui. Je ne me suis pas fait prier longtemps pour lui faire ce cadeau, d’autant que l’horloge biologique me rappelait à l’ordre. C’était ma dernière chance d’avoir un bébé, alors pourquoi pas ?
J’ai emménagé chez lui, mais j’ai conservé cet appartement, officiellement pour que mes filles, Marie et Céline, puissent être indépendantes.
Officieusement, je me laissais une porte de sortie, au cas où …
Lisa est arrivée très vite. À presque quarante ans, j’étais heureuse de pouvoir à nouveau pouponner, serrer ce petit être à la peau tendre entre mes bras, le câliner et je savourais chaque minute passée avec elle.
J’étais très jeune lorsque j’ai eu mes enfants, coup sur coup, et je n’ai pas eu l’occasion de bien apprécier ces moments. Pourtant, malgré tout l’amour que je ressentais pour mon bébé, j’ai prévenu Pascal que je refusais catégoriquement de le porter seule sur mes épaules. Je l’avais fait une première fois, par la force des choses, mais il était hors de question de revivre le même scénario. Ne t’en fais pas, je m’en occuperai , a-t-il promis tendrement. Je lui ai fait confiance, il était si différent d’Hervé.
Hervé, c’est mon premier mari. Je l'ai connu au lycée, en première. Toutes les filles étaient amoureuses de lui. Pantalons pattes d’éléphant, chemise cintrée et cheveux au vent, le vrai playboy. Pourtant, c’est la plus timide qu’il a choisie et, même si je n’ai rien fait pour, je n’en étais pas peu fière. L’été de nos dix-huit ans, j’ai refusé de suivre mes parents à Saint-Malo, où nous passions toutes nos vacances, pour partir avec lui et des copains, en camping. Quand ma mère l’a appris, elle a hurlé :
— Si tu pars avec lui, tu ne remets plus les pieds à la maison.
Ma mère est une vraie méditerranéenne, au tempérament excessif. Elle crie et menace, mais elle n’est pas méchante. J’étais majeure et sûre de mon bon droit. Je n’ai rien voulu entendre. À mon retour, deux sacs de vêtements m’attendaient sur le palier.
— Non, mais tu es sérieuse, là, maman ? lui ai-je demandé, en me moquant d’elle.
— Je t’ai prévenue. Tu as déshonoré notre nom en allant vivre avec ce garçon.
— Mais maman… On n’est plus au moyen-âge et puis je suis majeure. On est partis en vacances, ça va, on n’a tué personne.
Ma mère s'efforçait de refouler ses larmes, en prenant un air outragé. Qu’allaient dire nos voisins ? Majeure ou non, ça lui était bien égal tant que je vivais sous son toit. À ses yeux, j’étais devenue une trainée.
— Mais je vais où maintenant ?
— Retourne avec ton mec, puisque vous avez couché ensemble, a-t-elle rétorqué sèchement.
J’ai tout essayé pour l’attendrir et lui faire changer d’avis.
— Oh maman … Combien de fois dois-je te le dire, c’était juste des vacances entre copains.
— Tu ne reviens à la maison qu’à une seule condition.
Je l’ai regardée, pleine d’espoir, prête à tout accepter pour retrouver ma chambre.
— Ton père vous a trouvé un appartement en ville. Vous vous fiancez à l’automne et vous vous mariez dès qu’on aura tout organisé.
Je n’en croyais pas mes oreilles. C’était une plaisanterie.
— Tu m’as bien comprise. Fiançailles, mariage. Je ne veux pas de honte sur ma famille, a-t-elle ajouté d’un ton sans appel.
— Mais je ne veux pas me marier avec lui. Je le connais à peine. On n’a pas encore passé le bac.
— Eh bien, vous auriez dû y penser avant. Chaque acte a sa conséquence, ma fille.
C’était délirant. Elle me faisait marcher, ce n’était pas possible autrement. Pourtant, même si c’est difficile à croire aujourd’hui, elle n’a pas cédé et, pire, j’ai plié.
J’avais à peine vingt ans lorsque nous nous sommes mariés. Comme prévu, nous n’avons pas pu poursuivre nos études. Cela faisait partie de la punition. J’ai trouvé une place de caissière dans un magasin tandis qu’Hervé faisait les marchés. Je suis tombée enceinte dans la foulée, sans vraiment le vouloir. J’ai dû m'arrêter pour élever Marie et comme Céline a pointé son nez sans attendre, je n'ai jamais retravaillé. Hervé assurait notre subsistance à lui tout seul mais il s’absentait de plus en plus, me laissant l’entière responsabilité du foyer. En quinze ans à ses côtés, j’ai perdu mon innocence et mes illusions. Mais je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. J’avais commis une faute et je devais l’assumer.
Jusqu’à ce jour où je me suis aperçue que nous étions ruinés. L’histoire classique. La carte bleue qui ne passe pas, les courses qui s’étalent sur le tapis et la file qui s’allonge à la caisse. La tête basse, tremblante de honte, je me suis enfuie, sous les reproches des clients.
Comme d’habitude, Hervé est rentré tard, mais cette fois, je l’ai attendu.
— Tu ne dors pas ? a-t-il demandé, étonné de me trouver assise dans le canapé.
J’avais déployé des efforts surhumains, toute la journée, pour ne pas craquer devant les filles, mais le voir si tranquille m’a fait sortir de mes gonds.
— On n’a plus d’argent. Je n’ai pas pu payer les courses aujourd’hui. J’ai appelé la banque, nous sommes à découvert. Et quand je dis « à découvert », c’est un bien faible mot. Je veux comprendre ce qui se passe.
Il m’a regardée d’un air las, comme si j'étais une gamine capricieuse réclamant un bonbon.
— Tu crois que c’est facile pour moi ? Les affaires ne sont pas bonnes en ce moment. Je fais ce que je peux. Tu ne bosses pas, toi, tu ne peux pas savoir ce que c’est, a-t-il ajouté d’un ton méprisant, en se dirigeant vers la chambre.
— Non, non, attends. Le banquier m’a dit que non seulement il n’y avait plus d’argent qui rentrait mais qu’il y en avait qui en sortait. Beaucoup. Tu n’iras pas te coucher avant de m'expliquer ce qui se passe.
Il est, alors, entré dans une colère noire et a refusé toute discussion, ne gardant que son leitmotiv : lui travaillait, moi, je ne faisais rien. Pour finir, il a repris sa veste et est parti en claquant la porte, sans un mot.
Le lendemain, j’avais rendez-vous avec la banque pour trouver une solution. J’aurais pu y aller en voiture. J’aurais aussi pu prendre un autre chemin. Plus court. Mais il n’y a jamais de hasard dans la vie. Je voulais marcher un peu sur le bord de mer, pour réfléchir et me préparer à l’entretien. Devant le Casino, je suis tombée sur lui, les cheveux en bataille, débraillé, les yeux cernés et la mine sombre. Il semblait hagard. Je me suis avancée vers lui.
— C’est donc là que tu passes toutes tes nuits ? Et c’est là que tu as englouti notre argent ?
Je n’ai jamais pu oublier le regard qu’il m’a lancé :
— Au moins, j'essaie de gagner de l’argent, moi !
J’ai toujours été une femme docile. Je n’ai jamais élevé la voix, quelles que soient les circonstances. Mais cette fois, c’en était trop. Le coup est parti sans prévenir. Je l’ai giflé, de toutes mes forces, avec toute la hargne et la rancœur que j’avais accumulées durant toutes ces années. L’homme qui se tenait la joue d’un air ahuri n’était plus mon mari. C’était un minable à qui j’avais sacrifié mes plus belles années et qui les avait brûlées.
— Tu viens chercher tes affaires, dire au revoir à tes enfants. Ensuite, tu ne remets plus les pieds à la maison. C’est fini. Je ne veux plus te voir.
Ce geste, que je n’avais pas prémédité, m’a libérée. Pour la première fois, j’osais réagir et prendre ma vie en main. J’ai donc laissé les avocats se débrouiller avec les dettes et je me suis enfuie, mes filles sous le bras, pour atterrir ici.
Avec Pascal, j’ai retrouvé confiance en moi. Il m’adulait. Enfin, au début. Les choses ont commencé à se gâter avec la naissance de Lisa. Très vite, j’ai senti que son amour pour moi se cristallisait sur elle. Ce n’était pas notre bébé, c’était sa fille. Fidèle à sa promesse de prendre part à son éducation, il s’est même arrêté de travailler pour l’élever. Seulement, plus elle grandissait, moins il faisait attention à moi.
Au point où j’ai fini par me demander si je n’avais pas été qu’une simple mère porteuse pour lui. Mais je ne me plaignais pas, Lisa, elle, avait le père qui faisait tant défaut à ses sœurs.
Puisque j’étais devenue transparente, j’ai décidé de me lancer dans une activité qui s’est, rapidement, transformée en passion. Je me suis mise à la peinture sur porcelaine, avec la bénédiction de mon mari, heureux d’avoir le champ libre à la maison. J’ai même suivi des cours pendant deux ans, pour obtenir un CAP. Cela va sans dire que je suis immédiatement passée pour une rêveuse utopique mais j’ai tenu bon et je l’ai eu, mon diplôme, majore de promotion, pardessus le marché !
Grâce à lui, je devenais crédible et, pour la première fois, j’allais pouvoir gagner ma vie, avec mes mains.
Pascal s’est démené pour me trouver un local à Aubagne. Je travaillais, pendant des heures, dans mon atelier, à créer mes modèles que j’allais vendre, chaque fin de semaine, sur les marchés de la région. C’était un monde nouveau, aux antipodes de mon quotidien. Exaltant, libre. Cependant, plus je m’épanouissais, plus mon mariage s’effritait et même si j’avais beaucoup de mal à l’admettre, je devais me rendre à l’évidence : je m’étais trompée, une fois de plus. Je devais mettre un terme à cette union fantôme.
Lorsque je lui ai annoncé ma décision, Pascal n’a pas bronché. Très calmement, il m’a expliqué qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que je le quitte. Par contre, il ne voulait pas entendre parler de divorce et refusait de se séparer de Lisa.
— Elle reste avec moi, jusqu’à sa majorité. Après, elle pourra choisir. Elle peut venir chez toi autant qu’elle le voudra. Mais je t’en prie, ne me l’enlève pas.
Me perdre n’était pas un problème, mais se séparer de sa fille en était un.
Je n’ai pas eu envie de me battre, d’autant que nous vivions dans la même ville. J’ai repris ma liberté, sans faire de mal à personne, et j’ai récupéré mon appartement.
La bouteille de vin, que mes copains déménageurs n’ont pas eu le temps de finir, me tend les bras. Je m’en ressers un verre, avec délectation.
Le bip de mon téléphone me ramène à la réalité.
Alex
Ça va ? Pas trop triste d’être seule ?
Tu veux que je vienne dormir avec toi ?
Moi
Nooon ! Tu rigoles !
Je suis super contente d’être seule.
La vie est belle.
Alex
OK. Mais tu n’hésites pas surtout.
Tu m’appelles quand tu veux.
Moi
Oui, promis.
Merci ma copine
Alex
Je t’aime tu le sais bien
Moi
Moi pareil. Bonne nuit
Alex… ma copine, mon alter ego. Nous nous sommes rencontrées sur un marché. Sa spécialité, ce sont les bijoux. À la fois magnifiques et étranges. Comme elle.
Alex est aussi blonde que je suis brune. Mais elle peut aussi être rousse, verte ou bleue, selon ses humeurs. Bref, elle est aussi extravertie que je suis réservée. Pourtant, au premier regard, nous avons compris que nous étions faites pour nous entendre et nous ne nous sommes plus quittées depuis.
Alex est exubérante. Elle aime sortir, danser et boire jusqu’au bout de la nuit. Mais elle ne parle jamais d’elle. Elle laisse, parfois, échapper quelques indices qui me donnent à penser que, derrière ses silences, il y a de la souffrance. Elle se reprend, verrouille son armure et s’empresse de noyer son entourage dans les rires et les plaisanteries qui la caractérisent.
Elle a toujours une cour autour d'elle, comme un paravent pour la protéger, mais elle préfère vivre seule. Quand nous évoquons ce sujet, elle dit simplement qu’elle n’est pas prête de retomber amoureuse, que ce n’est plus son truc .
Mon téléphone s’est éteint. Plus de batterie. Je le mets en charge avant de retourner chercher la bouteille et de la vider dans un dernier verre. Je me sens bien, très bien même. Je voudrais croire que c’est à cause de ma nouvelle liberté, mais j’ai l’impression que l’alcool y est aussi pour quelque chose. Tant pis, j’adore ça.
J’entre dans ma chambre. Entre les cartons et les vêtements, il y règne un désordre qui me ressemble. Sur la table de chevet, je remarque un vide. Il manque quelque chose. Un cadre avec une photo noir et blanc qui devrait être là. Mes filles ont dû le ranger. Je cherche frénétiquement dans les tiroirs.
— Ah, te voilà, toi. Tu m’as fait peur.
Je fais un clin d’œil complice au cliché vieilli et j’ai presque envie de l’embrasser. Deux adolescents se dévorent des yeux. Lui, c’est Thierry, mon amour de vacances. Nous nous sommes connus à treize ans, sur la plage de Saint-Malo, et nous nous retrouvions chaque été, jusqu’à ce que je rencontre Hervé. Titi et Jeannette , c’est comme cela qu’on nous appelait. La constance de notre amour attendrissait tout le monde. Sauf mes parents, évidemment !
J’adore cette photo. Elle ne m’a jamais quittée depuis mon adolescence. Lorsque la vie me joue des tours, je regarde, le cœur serré, ce gamin au visage d’ange et aux cheveux longs et je me dis que lui, sans doute, ne m’aurait jamais fait de mal.
Je replace le cadre sur ma table de chevet, en lui souriant bêtement.
Puis, comme une star de music-hall, je commence à me déshabiller en jetant, un à un, tous mes vêtements autour de moi, avec délice. Une fois éparpillés sur le sol, je m’offre le luxe de les piétiner et de les faire voler à travers la pièce. Pascal aurait détesté ça, pour sûr !
Il fait chaud ce soir et, pour fêter ma nouvelle vie, je décide de dormir nue. Depuis l’ablation de mon sein, il y a cinq ans, j’ai toujours refusé de me dénuder, sauf devant un médecin. Même si je me suis battue contre mon cancer et que je suis heureuse d’être en vie, je n’ai jamais accepté cette balafre qui réveille trop de souffrances en moi et je ne suis pas encore prête à la livrer à d’autres yeux. Le miroir me renvoie une image que, pour la première fois, j’ose affronter. Une belle cicatrice, a dit le chirurgien, content de lui. Seuls les chirurgiens peuvent dire ce genre de connerie . Moi, même ivre, je n'y vois absolument rien de beau.
Pourtant, ce soir, j’ai l’impression d’être moins mutilée, comme réparée. Et je veux juste profiter de ma nuit, libre et nue.
***
On sonne à la porte. Furieusement.
J’ouvre péniblement les yeux et je regarde autour de moi, histoire de me remettre les idées en ordre.
En tâtonnant, je cherche mon téléphone. Pas là. Je me penche sur mon réveil. Treize heures trente. Je me lève d’un bond, pour retomber immédiatement sur le lit.
Et toujours cette sonnerie, en continu.
La tête bloquée entre mes mains, je me dirige d’un pas lent vers mon entrée. En passant devant le miroir, je constate, horrifiée, que je suis nue. J’ai fait fort hier soir ! Je saisis une tunique au vol et ouvre.
Alex est appuyée sur la porte, le doigt bloqué sur la sonnette. Elle me tombe dans les bras. Devant ma mine ensommeillée, elle éclate de rire et me balance le sac de croissants frais sous le nez.
— Tu m’as fait vachement peur, idiote ! dit-elle en me poussant.
— Chut … Moins fort. Qu’est-ce qui se passe ?
— Tu as vu l’heure ? Tu ne réponds plus au téléphone, tu ne donnes plus signe de vie. Pardon de m’inquiéter.
— Ah, c’est tout ? Je n’ai pas aussi bien dormi depuis un siècle, dis-je en baillant et me frottant les yeux.
— Dis-moi, la Belle au bois dormant, pourquoi tu ne décroches pas quand on t'appelle ? Ce n’est vraiment pas malin, je te jure, me lance Alex en montrant le portable sur le bras du canapé.
— Hummm … en charge. Enfin je crois. Besoin d’un café, tout de suite.
Alex me regarde en soupirant et file s’occuper du café. Je profite de son absence pour sauter sur les croissants. Elle pose les deux tasses sur la table basse, retourne dans la cuisine et réapparait avec une bouteille vide.
— C’est quoi, ça ? Il y en a des dizaines … Vous n’avez pas été de main morte, hier soir !
— Des dizaines ! Et pourquoi pas des centaines, pendant que tu y es ? C’est ça un déménagement, que veux-tu ? Après l’effort, le réconfort . Ils ne voulaient plus partir. J’ai dû les mettre à la porte. Il en restait une presque vide, je l'ai terminée avant d'aller me coucher.
— Ah, d’accord ! Depuis quand tu bois seule, toi ? demande Alex, en levant le sourcil.
— Tout de suite, les grands mots ! Je ne bois pas seule. C’était juste un fond. À force d’exagérer comme cela, tu vas finir par ressembler à ma mère. Méfie-toi !
J’engloutis un second croissant avec délice et vide ma tasse d’un coup.
— Encore.
— Dis donc ! C’est la liberté qui te rend si exigeante ?
— Non, mais il me faut un peu plus d’un café si tu veux que je redevienne moi-même. Et trouve-moi du doliprane, je crois bien que ma tête va exploser.
Alex part dans la chambre en marmonnant un bien fait entre ses dents. Son cri me jette hors du canapé. Je la rejoins.
— C'est quoi ce bordel ? demande-t-elle en montrant toutes mes affaires éparpillées sur le sol.
— C'est rien. J’ai simplement eu envie de piétiner mes vêtements … et mon passé.
Elle me regarde d’un air inquiet, comme pour déceler, chez moi, le début d’une démence.
— Oh ça va ! il n’y a pas mort d’homme. C’était juste pour enterrer ma vie avec Pascal. J’ai bien le droit quand même !
Alex me fait un clin d’œil en souriant. Elle n’a pas besoin de plus d’explications. Nous sommes sur la même longueur d’onde. Elle connait mon mari aussi bien que moi et ne s’est jamais privée de se moquer de son côté psychorigide.
— C’est clair que tu n’aurais pas pu mettre un tel bazar chez lui, dit-elle en éclatant de rire.
— Oui, et tu ne peux pas imaginer le bonheur que cela m’a procuré.
— Si, je peux ! Tu te souviens de ton anniversaire et de la tête qu’il a faite quand il a vu ta table ! Mon Dieu, j’ai cru qu’il allait nous faire une crise cardiaque !
Cela a été ma première et dernière provocation. Nous n’avions pas encore parlé de séparation, à cette époque, mais je n’en pouvais déjà plus de vivre selon ses règles. Pendant qu’il s’occupait de la cuisine, j’ai posé le couvert. À ma manière.
Lorsque j’avais débuté la peinture sur porcelaine, je lui avais offert mes premières assiettes, avec fierté, pour lui faire plaisir.
Elles étaient travaillées avec amour, mais elles avaient le tort d’être dépareillées. Pascal m’avait remerciée du bout des lèvres et les avait rapidement rangées au fond d’un placard, prétextant qu’elles étaient fragiles et que ce serait dommage de les abimer.
Ce soir-là donc, j’ai décidé de les utiliser, assorties de verres et de couverts de couleurs différentes. Le tout posé sur une nappe d’un jaune vif du plus bel effet. Je n’étais pas peu fière de mon œuvre.
Fidèle à son habitude, Alex est arrivée la première. Quand elle a aperçu la décoration de la table, elle a jeté un regard inquiet en direction de la cuisine :
— C’est pas très règlementaire, tout ça ! Il n’a rien dit, ton homme ?
— Il n’a pas vu encore, ai-je chuchoté.
Nous avons pouffé de rire comme deux enfants en train de préparer un mauvais coup. Puis, elle est partie saluer mon mari, toujours aux fourneaux. Les autres invités sont arrivés dans la foulée et se sont immédiatement extasiés devant l’originalité de ma présentation.
Leurs compliments ont fini par alerter Pascal qui a lâché son tablier pour se joindre à nous. Dès qu’il a vu la table, il s’est arrêté net.
— Tu n’aimes pas ? a demandé hypocritement Alex.
Il n’a pas répondu, mais le regard qu’il m’a lancé parlait de lui-même.
Tous nos amis connaissaient la rigueur quasi maladive de Pascal et s’amusaient discrètement de la situation.
— Pourquoi tu ne les as jamais sorties, ces assiettes ? Elles sont superbes.
— Eh bien, figurez-vous que j’ai un mari, Pascal, ici présent, qui ne supporte pas la vaisselle dépareillée, toute artistique soit-elle. Il a toujours préféré les laisser dormir au fond du placard plutôt que de les utiliser, ai-je lancé d’un ton provocateur.
Plus je le voyais rougir, plus je m’en amusais. Il a eu la prudence de ne pas insister, désamorçant ainsi un règlement de compte en public. La soirée s’est déroulée dans la bonne humeur, comme si rien n’était venu l’assombrir. Pourtant, lorsque la porte s’est refermée sur le dernier invité, il m’a regardée d’un air triste et m’a demandé :
— Pourquoi as-tu fait cela ?
Je l’avais blessé et je n’avais pas envie d’en rajouter. Je suis allée me coucher sans répondre mais je savais qu’un jour, j’aurais le courage de ne plus me soumettre.
— Comment as-tu pu rester avec ce mec aussi longtemps ? Il était tellement chiant ! s’écrie Alex en se jetant sur mon lit.
— Chiant, mais pas méchant et puis, c’est le père de ma fille. Je ne voulais pas admettre que je m’étais trompée, une fois de plus.
Alex contemple, amusée, le majestueux désordre de ma chambre. Ses yeux se posent sur le cadre trônant fièrement sur ma table de chevet. Elle s’en empare en se moquant :
— Eh bien, on est en pleine régression ! Ça fait longtemps que tu ne l’avais pas sorti, celui-là.
— Non, il a toujours été là. Tu sais, plus le temps passe et plus je suis sûre que c’est lui, le grand amour de ma vie, dis-je en rougissant.
Elle le repose en secouant la tête d’un air désolé.
— Faut vraiment arrêter la picole, ça ne te réussit pas. Le grand amour de ta vie ? Vous aviez treize ans et vous n’avez même pas trouvé le moyen de coucher ensemble. Par contre, j’aimerais bien entendre ce que Pierre va dire en voyant cette photo à côté de ton lit.
Je sursaute.