Dieu n’est pas rancunier - Patrick Foultier - E-Book

Dieu n’est pas rancunier E-Book

Patrick Foultier

0,0

Beschreibung

Alaric risque sa vie pour préserver l’honneur de sa bien-aimée. Afin d’être gracié, il rejoint une croisade, d’où il rapporte une précieuse relique. Il se lance alors dans un commerce lucratif avec un complice et devient puissant et respecté. Seulement, l’incertitude demeure quant à la pérennité de sa position.

À PROPOS DE L'AUTEUR

La culture diversifiée de Patrick Foultier le conduit sans cesse à la production d’ouvrages qui poussent à la réflexion. "Dieu n’est pas rancunier" est son cinquième roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 228

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Patrick Foultier

Dieu n’est pas rancunier

Roman

© Lys Bleu Éditions – Patrick Foultier

ISBN : 979-10-422-1988-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre I

Tout commence au mois de juin de l’an de grâce 1094. Nous vivons sous le règne de Philippe premier. Nous sommes une famille de paysans, notre vie est très dure, nous ne sommes pas riches. Nous avons une vache, des poules, et chaque année nous pouvons élever un porc, ce qui nous permet de manger à peu près correctement et nous classe dans les privilégiés. Nous habitons une chaumière avec une seule pièce, c’est une construction très sommaire en terre avec un toit en chaume. Il y a une seule ouverture, la porte par laquelle entrent humains et animaux, notre vache et les poules. Un trou, au milieu de la toiture, que nous pouvons occulter, permet l’évacuation des fumées du foyer.

Notre vache est dans un angle de la maison, séparée de nous par une petite cloison en bois à clairevoie. L’hiver, sa présence nous apporte de la chaleur. À l’autre extrémité de cette remise, nous avons une zone avec de la paille, les poules y couchent, au petit matin, nous pouvons ramasser les œufs. Nous achetons un porc au printemps et nous le tuons en automne. Pendant cette période, mon père et moi, chacun notre tour, nous couchons dehors, à côté de son enclos. Sans cette précaution, il est certain que, très rapidement, nous nous le ferons voler. En fin de saison, c’est la glandée, nous l’emmenons dans les bois de chêne, il se gave de glands. C’est gratuit et donne à la viande un bon goût.

Quand nous tuons notre porc, nous invitons de nombreux voisins pour manger ce qui ne se conserve pas, en même temps nous profitons de leur présence pour qu’ils nous aident à préparer les saucisses, les pâtés et saler la viande après l’avoir découpée. L’ensemble nous sera bien utile la mauvaise saison venue. L’hiver, notre principale activité, c’est de ramasser du bois pour se chauffer, il nous est interdit de couper des arbres, nous ne prenons que ce qui est sur le sol. C’est l’une des rares activités que nous avons le droit de faire, dans la forêt, la chasse est réservée au noble. Si nous nous faisons prendre, par les gardes du comte, en train de braconner la sanction est terrible, souvent c’est la mort.

Le sol de la maison est en terre battue, nous le recouvrons, avant de nous coucher, de paille et de fougères sèches, pour limiter l’humidité. Le soir, nous devons couvrir le feu, posé à même le sol, au centre de la pièce, avec de la terre pour empêcher que toute la maison ne brûle. Mes parents dorment sur une grande paillasse, avec mon frère nous avons chacun la nôtre. Comme mobilier, nous avons également deux coffres en bois, l’un pour la vaisselle et quelques accessoires, l’autre pour les vêtements. Lors des repas, nous dressons la table, quatre planches posées sur des tréteaux, nous devons la démonter pour nous coucher, sinon nous manquons de place. Nous possédons un banc, pour les repas, les deux coffres nous servent de sièges. Nous sommes locataires du comte, nous payons un loyer en nature, céréales, fourrages ou journées de corvées. Nous travaillons pour le comte et pour l’Église, le peu qu’il reste est pour nous. Mon père est le seul du village à avoir des ruches, nous pouvons vendre le miel, avec fierté, mes parents affirment que nous sommes les seuls à avoir du personnel qui travaille pour nous.

Nous avons un mode de vie, sans aucune intimité, nous sommes tous dans un espace réduit. Ma paillasse est très proche de celle de mes parents, quand ils ont des relations, je suis au premier rang, ils ne se cachent pas. Il est vrai que pour nous, qui vivons dans une ferme, assister voire organiser l’acte destiné à la reproduction d’une espèce est quelque chose de courant. Derrière notre chaumière, nous avons un petit appentis, fermé par des fougères sèches, avec un trou dans le sol et deux planches de bois de chaque côté, sur le sol, les latrines. Nous y allons pour déféquer. De temps en temps, mon père le vide et étale la matière qu’il contient dans le potager. Dès que la météo le permet, nous allons, les trois hommes de la famille, nous baigner, entièrement nus, dans le ruisseau proche. Je n’ai jamais vu ma mère faire sa toilette, très souvent elle sent bon.

Notre chaumière est à l’entrée du village. C’est un ensemble d’une trentaine de masures identiques, toutes appartiennent au comte. Elles sont reparties autour d’une place avec une église et une auberge, ce sont les bâtiments les plus fréquentés. Plus loin, il y a un maréchal-ferrant et le talmenier. À la sortie du village, au bord de la forêt nous trouvons un potier et un fustier, les deux ont besoin de beaucoup de bois. Encore plus loin, le long de la rivière il y a un meunier, avec son moulin et le plus écarté possible un tanneur. Nous nous approchons rarement de son atelier, l’odeur est terrible, quand il vient au village, nous avons l’impression de le sentir avant de le voir. Notre communauté est très pauvre, c’est surtout le comte qui profite largement de notre travail.

Je me réveille avec le jour, il est très tôt, le coq n’a pas encore chanté. Je sors de la chaumière, il commence à faire chaud, nous allons bientôt fêter la Saint-Jean. Je suis un jeune homme de quinze ans, mon prénom est Alaric. Je suis grand pour mon âge. Mon père veut me marier, je souhaite qu’il me choisisse Isaure, je l’ai rencontrée à de nombreuses reprises, mais je n’ose pas lui parler. Pour moi, c’est la plus belle fille du village, qui sait de peut-être beaucoup plus loin, je n’ai jamais quitté le canton.

J’entends du bruit à l’intérieur, le reste de la famille, mon père et mon petit frère apparaissent pendant que ma mère prépare le repas. Je suis très fier de ma maman, c’est une très belle femme, elle est grande, et bien qu’elle ait eu plusieurs enfants, elle a toutes ses dents, ce qui est très rare. Mon père regarde le ciel, il murmure que la journée va être très chaude, puis il se dirige vers l’abreuvoir pour se laver le visage et les mains. Il est de mauvaise humeur.

Je lui ressemble, lui aussi est très grand, il porte une moustache dont il est fier. Mon petit frère, Hugon, ressemble plus à ma mère. Il est plus petit que moi au même âge, il est châtain clair, presque blond. Alors que nous avons énormément de travail à la ferme, nous sommes de corvée. Nous allons dans des champs, appartenant au comte, près du château. C’est une charge que nous devons assurer chaque fois que cela nous est ordonné.

Nous prenons notre repas, une soupe de choux avec des haricots et des lentilles, un morceau de lard sur une grosse tranche de pain de seigle. Ce sera notre seul repas pour la journée. Le comte nous fait travailler, il ne nous donne rien à manger. Pendant que certaines femmes vont nous distribuer de l’eau, d’autres nous aident en faisant des travaux moins physiques.

Hugon est trop jeune pour participer aux corvées. Il s’occupe du potager et emmène notre vache dans une prairie voisine. Ils sont plusieurs garçons et filles à réaliser cette surveillance. Ils gardent les vaches de tout le village, même celles de ceux qui n’ont pas d’enfants, ou qui sont recrutés pour les corvées. Quand Hugon sera en âge de participer aux corvées, alors d’autres garçons viendront surveiller notre bovin. C’est une mise en commun des disponibilités de tout le monde.

Tous les hommes en âge de travailler sont rassemblés devant l’église sur la place du village. L’ambiance est lourde, nous devons rentrer le foin du comte avant le nôtre. Si le temps tourne à l’orage, ce qui est probable, nous perdrons une partie de nos revenus et surtout nous manquerons de fourrage pour nourrir les animaux pendant l’hiver. Il est certain que le comte n’aura pas ce genre de problèmes. Tout le groupe se dirige vers la réserve, une prairie au pied du château.

Il fait très chaud, les femmes nous apportent de l’eau et le travail est très physique. En permanence, nous sommes surveillés par les prévôts du château. Ils sont odieux et n’hésitent pas à nous insulter. Ils nous traitent de fainéants, alors qu’ils sont assis à l’ombre d’un arbre en buvant du vin. Nous ne devons jamais répondre à leurs remarques, sinon les sanctions, souvent des coups, ou financières, tombent. Mon père murmure que si nous sommes attaqués, alors ils devront nous défendre, il ajoute qu’ils sont gras et avinés, il a du mal à les imaginer avec des armes contre des barbares. Les travailleurs proches de nous sourient.

Nous entendons un bruit de cavalcade, le comte avec tout un aréopage de courtisans passe devant nous. Une meute de chiens les précède, tout le monde part à la chasse. Toute la troupe passe au milieu des travailleurs, nous devons nous écarter rapidement pour ne pas nous faire renverser. Nous entendons plusieurs dames, richement habillées, rirent en nous traitant de manants. Nous reprenons notre labeur pendant que la troupe s’éloigne.

Un de nos surveillants s’approche d’une femme du village, il l’entraîne à l’écart dans un petit bosquet. Aucun de nous ne réagit, elle est veuve, sans revenu, et sans doute son tourmenteur va lui donner une pièce. Ils reviennent quelques instants plus tard, elle a un grand sourire. L’homme, qui est en train de se rajuster, a été généreux. Elle va pouvoir nourrir sa petite famille pendant plusieurs jours.

Le travail continue, dans un silence impressionnant, personne ne parle. Nous n’entendons que le bruit des outils. Pour avoir de l’eau, nous faisons un signe aux femmes, elles viennent et nous abreuvent. Si nous échangeons quelques mots, alors les hommes du comte nous interpellent. En fin d’après-midi, il faut être très prudents, nos surveillants ont bu une grande quantité de vin, ils peuvent devenir violents et nous blesser. Il ne faut surtout pas attirer l’attention sur nous et rester discrets. Toute la journée, nous avons devant nous, en hauteur, la demeure du comte, à aucun moment nous ne pouvons oublier que nous sommes à son service.

Chapitre II

Le château est un bâtiment très grand, en pierres, très froid et austère, avec des douves tout autour. Un pont-levis permet d’entrer dans la cour et d’accéder au donjon. Les appartements du maître de maison sont en haut de cet édifice. Il est inutile de nous présenter le comte quand nous allons chez lui. Il est très grand, il dégage de son allure une certaine noblesse. Il est évident que c’est le maître de maison, personne ne discute ses ordres. Il est issu d’une longue lignée de nobles, passionnée de chasses et de tournois. Bien qu’il soit bel homme, il est célibataire, nous ne lui connaissons aucune conquête féminine. Il n’a donc aucun héritier, il n’est plus tout jeune, plus de trente ans. D’après certaines rumeurs, il préfère les garçons, je n’y crois pas, comment un homme peut aimer un autre homme, c’est impossible, interdit par l’Église et condamné par la justice. Je pense plutôt qu’il s’agit de ragots colportés par des jaloux.

En cas d’attaque de Normands ou de barbares, nous devons, dès que le tocsin sonne, nous réfugier à l’intérieur de l’enceinte fortifiée. Mon père nous explique que ni lui ni son père n’ont eu besoin de cet asile. Il espère n’avoir jamais besoin de ce refuge, en effet les soldats censés nous défendre ne sont pas rassurants, pour la plupart, ils sont avinés et incapables de porter des armes. Il ajoute que de toutes les façons cette protection ne servira à rien. En sortant, après le départ des pillards, nos fermes seront détruites, nos réserves pillées et nos animaux volés. Nous mourrons tous de faim.

Dans son donjon, le comte est furieux. Un messager du roi vient d’arriver. Sa majesté lui envoie un petit cousin. Il souhaite que le comte le présente à sa nièce, la fille de son jeune frère, afin qu’il la courtise et l’épouse. La manœuvre est grossière, le comte n’a pas d’enfant et à sa mort, cet ambitieux héritera du titre de comte et du comté. Le roi aura ainsi placé un vassal qui lui sera redevable et fidèle.

Le lendemain, un carrosse arrive avec une escorte. Un jeune noble demande à être reçu immédiatement par le comte. Le maître des lieux estime que ce jeune freluquet va patienter, il lui doit le respect, il est le comte. Il vient à peine de terminer sa réflexion que sa porte est forcée. Un homme se présente devant lui en disant qu’il est le chevalier de Hauterive et cousin du roi. Le comte pense petit-cousin, cependant il ne dit rien. Il exige une chambre correcte et du personnel. Étant donné son rang, il a droit à des égards. Le comte le regarde, il a moins de vingt ans, c’est un vaniteux et cela se voit, il regarde tout le monde de haut. Son physique ne le sert pas, il est relativement petit, avec de l’embonpoint. Quand il se déplace, il boite légèrement. Il a également un défaut de prononciation, avec ce que l’on nomme populairement « un cheveu sur la langue ». Le comte pense que c’est une perruque qu’il a dans la bouche, il sourit et a du mal à garder son sérieux. Ce sourire fait que son visiteur, qui l’interprète différemment, se sent bien reçu, avec un accueil digne de son rang. Très rapidement, il s’installe et devient presque le maître de maison. Il sait qu’il va hériter du titre de comte, il se considère, déjà, comme étant chez lui.

La nourrice du comte demande à le voir, c’est une ancienne et elle a des relations privilégiées avec le maître de maison, elle l’a tenu sur ses genoux et nourri au sein. Elle est un peu la porte-parole du personnel et paradoxalement, bien qu’elle ne soit qu’une employée de bas étage, le comte l’écoute et la respecte. Une femme entre dans la pièce, qui sert de salle de travail. C’est une dame énorme, elle a du mal à se déplacer, sa poitrine est plus que volumineuse, c’est, sans doute, lié à son ancienne fonction. Elle est relativement âgée, près de cinquante ans.

Elle explique au noble que le personnel féminin du château a un problème avec le chevalier de Hauterive. Dès qu’une femme passe à côté de lui, systématiquement il la trousse, depuis la pucelle de treize ans, jusqu’aux femmes mariées, en rougissant elle ajoute qu’elle aussi, elle a dû subir ses assauts. Elle demande au comte de faire en sorte que cette situation cesse, plus personne n’ose se déplacer sans être accompagné par un homme. En le regardant, elle le prévient que rapidement il risque d’y avoir un drame. Elle ajoute, en colère, qu’il est pire qu’un chien, il faut le castrer. Le comte pense qu’il est plus facile de le dire que le faire. Surtout, il comprend pourquoi le roi lui a envoyé ce prétentieux, il voulait s’en débarrasser en l’éloignant. Sa majesté a trouvé une solution, à ses dépens, maintenant c’est au comte d’en trouver une.

Pour le comte que ce pédant se fasse trucider n’est pas un problème. Il ne souhaite, cependant, pas exécuter un membre du personnel pour avoir rendu service à tout le monde. Il demande au chevalier de venir le voir immédiatement. Pour mettre en avant son dédain pour le noble, et sa situation familiale, le chevalier arrive plus de deux heures après sa convocation. Le comte lui demande de se calmer et d’arrêter de tourmenter tout le personnel féminin du château. Le nobliau éclate de rire, il rétorque que les femmes ont de la chance qu’un cousin du roi daigne poser un regard sur elles. Pour lui, elles ne demandent que ça et se précipitent sur lui dès qu’elles en ont la possibilité. Le comte insiste pour qu’il respecte le personnel, il lui est répondu qu’il va faire le maximum pour les faire jouir. Sans saluer, il sort de la pièce. Le comte n’a toujours pas présenté sa nièce à ce prétendant, il ne souhaite pas la marier à ce prétentieux, il ne sait pas comment se débarrasser de ce problème.

En fin de journée, les travailleurs rentrent au village, quand les chasseurs reviennent, encore une fois nous devons nous écarter. Visiblement, l’ambiance est joyeuse, nous voyons la dépouille d’un cerf. Un des courtisans arrête son cheval devant Isaure, il la regarde et lui murmure, que très bientôt il viendra la voir dans sa ferme. Il a une façon surprenante de parler, nous avons du mal à saisir ses mots.

Nous savons tous ce que cela signifie, elle ne pourra pas refuser et elle devra se soumettre à ce noble, qui l’abandonnera quand il sera lassé de cette fille. Si elle a de la chance, elle ne sera pas enceinte. De toutes les façons, avec ou sans un bâtard, il lui sera impossible de se marier. Elle devra quitter le village. Cette coutume est ancienne ; pour elle, le seul moyen de survivre, ce sera de se vendre, elle doit donc quitter la région afin qu’il n’y ait aucun risque d’inceste. C’est l’un des pires péchés pour l’Église. Je suis abattu, jamais je ne pourrai me marier avec Isaure, mon père s’y opposera, on ne mange pas dans l’écuelle d’un autre. En silence, chacun regagne sa chaumière.

Le soir, la chaleur est très lourde et dans la nuit un orage violent éclate. Nous espérions que la pluie n’allait pas s’éterniser, grosse erreur, au petit matin tout est inondé. Le déluge a duré toute la nuit sans le moindre répit. De nombreuses chaumières n’ont plus de toiture, des voisins sont venus se réfugier chez nous. Notre chaumière est sous un gros chêne, l’été nous sommes à l’ombre et en cas d’orage nous sommes protégés. Des murs se sont écroulés le long des chemins transformés en torrents. Le petit ruisseau qui longe le village draine de nombreux bois, il est en crue. Une famille est décimée, un arbre s’est effondré sur leur chaumière, seul un bébé a survécu. Les tenures en bas du village sont inondées.

Chapitre III

Le petit matin, nous allons dans nos champs, les dégâts sont très importants, une bonne partie de la récolte est détruite. Nous sauvons ce que nous pouvons. Cet hiver, nous ne pourrons pas nourrir notre bétail. Beaucoup d’habitants n’auront pas de quoi manger, nombre d’enfants et de vieillards, ne verront pas le printemps. L’ambiance est morose, d’abondants grognements se font entendre. Pour beaucoup, le comte est responsable de cette situation. Mon père précise que nous devons travailler avec la nature, c’est elle qui commande. Tout le monde se sépare de mauvaise humeur en maugréant. Notre chef propose d’aller voir le comte, il déclenche des soupirs résignés, nous savons bien, tous, que nous sommes le cadet de ses soucis, il ne fera rien pour nous.

Nous préparons les fêtes de la Saint-Jean. Je me motive tous les soirs pour trouver le courage d’inviter Isaure à danser. Le matin du 24 juin, le village est en effervescence, nous préparons notre feu, c’est l’un des plus importants de la région, il est visible de très loin. Un orchestre est en train de répéter. J’ai une boule dans le ventre, je suis angoissé à l’idée d’inviter Isaure à danser. Un grand buffet est mis en place et de nombreux tonneaux de vin sont déchargés. Le soir, tout le village se rassemble et la fête commence. Isaure est seule dans un coin, pour tous les garçons du village elle est promise à un autre. Je prends mon courage à deux mains et je m’avance pour l’inviter.

Soudain, un bruit de cavalcade nous fait sursauter, le comte et sa suite ont décidé de s’inviter à notre soirée. Tout le monde descend de cheval. Les hommes nous regardent de haut, les femmes se moquent à haute voix. Elles rigolent très fort en regardant les tenues de nos compagnes. Le comte se sert un verre de vin, le goûte et le jette au sol en crachant. Il ajoute que ce genre de breuvage ne peut convenir qu’à des manants, ils n’ont aucun goût. Toute sa cour éclate de rire. Il nous félicite pour notre feu, il précise qu’il est visible depuis le château. Le chef du village lui répond que c’est une tradition, notre bûcher est l’un des plus grands des environs, il est visible depuis plusieurs villages, alors que nous ne voyons pas les leurs. Le comte éclate de rire en nous disant que s’il suffit d’un feu pour nous satisfaire, alors nous sommes faciles à exaucer. Il ajoute, plus doucement, qu’il saura s’en souvenir le moment venu. Ce genre de réflexions n’est jamais une bonne chose, venant du noble.

Je cherche Isaure des yeux, elle a disparu, je fais le tour de la place, elle est introuvable. J’aperçois un courtisant du comte qui entre dans une grange, visiblement il vient de pousser quelqu’un à l’intérieur. Je me suis un peu éloigné de la place et il n’y a personne pour m’aider. Je pars en courant vers la porte qui vient de se fermer. Je trébuche contre un bâton, je le ramasse. Silencieusement, je pousse la porte. J’entends une voix qui ressemble à celle d’un serpent, s’il pouvait parler, enfin elle ressemble à celle que prend le curé, dans les cours de catéchisme, pour nous parler du péché originel. Il explique qu’elle a de la chance qu’un homme comme lui, cousin du roi, ait daigné poser un regard sur elle, j’entends qu’on pleure. Je m’approche sans bruits et je lui assène un violent coup de gourdin sur le crâne, il s’écroule. Je regarde Isaure et je lui explique que je dois, elle aussi, l’assommer, ainsi elle pourra dire qu’elle n’a pas vu l’agresseur. Elle se tourne, je la frappe, elle s’écroule inconsciente.

Le courtisan gémit, il reprend vie. Je suis indécis, si je le laisse, il reviendra à la charge, il en fera une question de principe, avoir Isaure à son tableau de chasse. Surtout, il risque de me reconnaître et la sanction du comte sera très dure. Je ne peux cependant pas le tuer. Soudain, j’ai une idée, il est la culotte sur les chevilles, son sexe est visible. Je prends mon couteau et d’un geste vif je lui coupe les testicules. Chaque année, je vois mon père faire la même chose avec notre cochon pour que la chair soit plus savoureuse. Dans mon cas particulier, ce n’est pas le but de l’opération. La douleur le ranime, il veut crier, je ne lui en laisse pas le temps et lui donne un nouveau coup de gourdin plus fort que le précédent. Je m’éloigne.

J’arrive discrètement sur la place, personne n’a remarqué mon absence, je me glisse dans la foule. Le comte et sa suite remontent sur leurs chevaux, ils s’apprêtent à partir, pour eux le jeu a assez duré. Le comte remarque l’absence d’un des hommes, il appelle et ordonne à un autre de faire le tour des granges. Il ajoute qu’il est certain qu’il est avec une gueuse, tous éclatent de rire. L’homme pousse la porte de plusieurs granges, il entre dans une et en ressort immédiatement, il demande au comte de venir. Un groupe important de villageois et de nobles entre, des cris sont poussés.

Avec un seau d’eau, Isaure est ranimée, elle affirme qu’elle n’a rien vu, elle était tenue face au mur, elle a entendu un choc, puis elle a senti un coup sur sa tête. Avec de l’eau, l’homme est ranimé, il hurle de douleur. Le comte est furieux. Il ordonne au chef du village de lui livrer dès le lendemain matin le coupable, sinon dix hommes pris au hasard seront pendus devant l’église. Toute la troupe rentre au château.

Un villageois ramasse les testicules, il crie que les nobles ont oublié quelque chose, tout le monde éclate de rire. La fête reprend de plus belle, tout le village rit de la mésaventure du jeune noble. Je n’ai pas revu Isaure, son frère m’indique qu’elle est rentrée chez elle, elle a très mal au crâne, de plus elle est toute mouillée. La fête s’est terminée très tard, de nombreux villageois sont ivres, la reprise du travail, pour eux, le matin, va être très difficile.

Chapitre IV

Le comte et ses courtisans rentrent au château, l’humeur est joyeuse. Le blessé ne peut monter sur un cheval ni rentrer à pied, surtout, il ne veut pas rester dans le village. Sur l’idée d’un suivant, il a été chargé sur un étalon, comme lorsque nous ramenons un cerf de la chasse. Tout le long du chemin, la victime, qui gémit très fort, est l’objet de moqueries et de plaisanteries douteuses. Le comte crie que quelqu’un doit aller devant, au château, prévenir la cuisinière que nous lui ramenons un énorme chapon. Un cavalier précise que ceci devait lui arriver tôt ou tard, il ne respecte personne, ni les femmes mariées ni les pucelles. Une autre ajoute que le chevalier n’a plus d’épée. Un cavalier touche le crâne du chevalier, il trouve deux énormes bosses, il crie que la victime n’est pas castrée, il vient de retrouver ses attributs, le comte et sa suite éclatent de rire. Chacun y va de son mot et de sa moquerie. En arrivant dans la cour du château, le blessé est déchargé brutalement sur le sol.

La sage-femme, seule personne ayant des notions de médecine, examine l’estropié et elle précise qu’à part un pansement elle ne peut rien faire. Elle ajoute qu’à sa connaissance, contrairement à la queue du lézard, ça ne repousse pas. Tout le monde éclate de rire. L’homme est emmené dans sa chambre, le transport est rudimentaire, le blessé hurle de douleur à chaque pas que font les hommes qui le portent. Le comte explique qu’il ne va pas perdre du temps à rechercher le coupable. Il n’a pas l’intention d’exécuter un bienfaiteur, s’il le peut, il ira le féliciter.

Un courtisan regarde le maître de maison, il lui explique que le caudataire blessé est de sang royal, il est, certes de loin, de la famille du roi. Si ce dernier envoie un messager pour savoir ce qu’il en est de la sanction contre le coupable, le comte devra pouvoir répondre. Le noble murmure que c’est décevant, mais il doit trouver et sanctionner sévèrement l’auteur de ce bienfait.