Je n’ai pas obéi à mon père - Patrick Foultier - E-Book

Je n’ai pas obéi à mon père E-Book

Patrick Foultier

0,0

Beschreibung

À la fin du siècle dernier, Jacques Rossel, fils de cultivateur dans la Loire, refuse d’épouser la fille du voisin comme le souhaite son père. Il s’engage dans l’armée, guidé par le désir de découvrir du pays et avoir quelque chose à raconter à ses enfants. Il vivra de merveilleuses aventures. Libéré et couvert de gloire, il se marie et devient un notable de sa commune. C’est le début de son expérience la plus difficile, être parent.


À PROPOS DE L'AUTEUR 


Des grands classiques jusqu’aux romans policiers, en passant par les romans d’espionnage et de science-fiction, Patrick Foultier n’a pas de préférence quand il s’agit des livres. Après La sœur du flic et Là où tout a recommencé, il nous revient avec J e n’ai pas obéi à mon père, son troisième roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 221

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Patrick Foultier

Je n’ai pas obéi à mon père

© Lys Bleu Éditions – Patrick Foultier

ISBN :979-10-377-8091-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Toute la famille est rassemblée devant la tombe de notre vieille tante. Elle avait perdu son mari il y a de nombreuses années et elle vivait seule. En sortant du cimetière, tout le monde se retrouve dans un bar pour le verre de l’amitié et du souvenir. Ma cousine me demande si je suis libre le week-end prochain pour l’aider à débarrasser la maison de sa mère, je n’ai rien de prévu et j’accepte volontiers.

Dimanche matin, nous sommes plusieurs cousins rassemblés devant le petit pavillon où vivait ma tante depuis la nuit des temps, je ne l’ai jamais rencontrée ailleurs. Ma cousine nous explique que nous devons tout vider, la maison sera mise en vente très rapidement. Le mobilier, sauf si un cousin souhaite récupérer quelque chose, doit être entassé dans le garage, une association viendra tout débarrasser lundi. Nous nous mettons au travail, le pavillon est petit et très vite nous commençons à voir la fin de notre besogne.

Dans un carton, rangé dans un placard mural, je trouve des livres. Mon oncle a écrit plusieurs ouvrages, je le savais mais je n’en avais jamais trouvé et donc jamais lu. Je demande à ma cousine si je peux récupérer le carton, elle sourit, elle connaît les ouvrages de son père, elle m’autorise à tout récupérer. Je range le carton dans mon coffre de voiture.

Le soir en rentrant à la maison je me fais disputer par ma femme, elle m’accuse de récupérer des vieilleries sans valeur qui vont nous encombrer. Je lui explique que je n’ai jamais lu un livre de mon oncle. J’ai bien conscience que ce n’est pas de la littérature de très haut niveau, il n’y aura jamais un groupe scolaire ou une maison de la culture portant le nom de mon tonton, cependant à son époque il a eu un petit succès régional. Je me souviens parfaitement de lui, j’étais encore un enfant mais son aspect ne laissait personne indifférent. Il se voulait artiste incompris et en cultivait le look. Il ne passait pas inaperçu avec ses cheveux blancs, très longs, son écharpe de soie blanche et ses vestes aux couleurs vives. Dans le garage je vide le carton, il contient quatre ouvrages, je regarde, intrigué, dans le fond il y a un épais dossier en toile. J’ouvre la chemise, elle contient de très nombreux documents, je les étale et je fais une découverte hors du commun.

Dans les années 1960, mon oncle a rencontré un personnage qui a eu une vie pas ordinaire, il souhaitait écrire un livre sur son existence. Pour une raison que j’ignore, ce projet n’a jamais abouti et je viens de trouver toutes ses notes. Je classe tout et je décide de reprendre l’ouvrage de mon oncle, plus de cinquante ans plus tard. J’ai moi-même une modeste expérience d’écrivain. J’en parle à ma cousine, elle rit et me dit que je peux faire ce que je veux avec ces vieilleries.

Je me suis renseigné, de tous les personnages dont il est question, aucun n’est de ce monde. Seule Manon, l’actrice, est toujours vivante, j’ai réussi à la rencontrer. Elle vit dans un établissement pour personnes âgées, elle n’a plus tous ses esprits. Pendant toute notre entrevue, elle n’a parlé que de sa jeunesse, de grands acteurs comme Jean Gabin, Lino Ventura. Elle n’a aucun souvenir de son père et de ses frères et sœurs. Elle est très fière de n’avoir jamais fait la Une des journaux à scandale, elle est restée mariée tout le temps. Son conjoint est décédé récemment et jamais, d’après la presse spécialisée il n’a eu de relations avec une jeune starlette, elle est toujours restée fidèle. Elle m’explique que pour son père la réputation de la famille était très importante. J’ai jugé inutile de lui parler de mon projet de biographie.

J’ai écrit à de nombreux petits-enfants, mon projet à partir du moment où je change les noms et les lieux, ne les concerne pas. J’ai demandé à un avocat ce que je devais faire, ou ne pas faire pour être à l’abri de toutes poursuites. Il m’a confirmé que si je change les noms et les lieux je ne risque rien. Pour ce qui est des localités de cette histoire, le changement est très modeste, je ne l’ai déplacé que de quelques kilomètres. Je suis cependant parfaitement convaincu que plusieurs personnes, surtout les anciens, vont reconnaître les héros de cet ouvrage. Il est vrai que sa vie sort de l’ordinaire et que comme il le souhaitait il a eu de nombreuses choses à raconter à ses petits-enfants.

Je me suis mis au travail, j’ai constaté plusieurs petites erreurs historiques mais par respect pour le narrateur je n’ai rien changé. Certains propos ou attitudes peuvent choquer, il ne faut pas oublier le contexte et l’époque, ce qui était normal à ce moment, ne l’est plus aujourd’hui. Très rapidement, je me suis identifié à mon oncle, surtout que nous avons le même nom et le même prénom. Je ne me suis pas laissé pousser les cheveux et ma tenue vestimentaire est restée classique. Je me suis mis au travail.

Chapitre 1

Je vis à proximité du hameau de « Les planchettes », sur la commune de Feurs, au bord de la Loire. Nous sommes trois garçons dans la famille Rossel, moi l’aîné Jacques, j’ai dix-huit ans, je suis né en mille huit cent soixante-seize, mon frère René, quatorze ans et le petit dernier Louis, douze ans. Ma mère est décédée à la naissance de Louis. Tous les jours, sauf le dimanche une voisine, veuve sans enfant, vient à la maison pour faire le ménage, préparer le repas de midi et faire la lessive. Nous sommes cultivateurs. Mon père travaille également pour le noble local, il est régisseur de son domaine, c’est une fonction qu’il a héritée de son père.

Nous avons une exploitation plutôt importante, avec une quinzaine de vaches et une centaine de moutons. Nous élevons de la volaille, des poules, des canards et des oies, nous avons une mare à côté de la maison. La principale utilité des oies c’est de faire fuir les renards qui viennent voler nos poules. Nous avons des champs autour de la ferme, nous cultivons des céréales, des pommes de terre et des betteraves pour nourrir les animaux l’hiver. Une grande partie de notre exploitation est en prairie. Nous avons également des cochons pour notre consommation personnelle, nous n’en vendons pas. Nous avons une demande pour nous en acheter, en effet les nôtres sont élevés en semi-liberté, ils ont une grande zone pour divaguer avec une petite pièce d’eau, ils cohabitent avec les moutons. Ils ne sont pas dans un enclos. Dans ce parc, il y a de nombreux chênes et châtaigniers, en automne, les porcs se gavent, ce qui donne un goût à la chair, elle est excellente.

Nous habitons une ferme ancienne en pierres. Il y a une grande pièce au rez-de-chaussée qui sert de cuisine et de salle à manger. La maison est chauffée par un fourneau à bois, placé dans l’ancienne cheminée, il sert également de réserve d’eau chaude. Le dimanche matin, quand nous prenons notre bain c’est un confort appréciable, à la condition de passer dans les premiers, pour les derniers l’eau est tiède. L’ordre de passage est à l’origine de nombreuses disputes avec mes frères. À l’étage, il y a la chambre de mon père, elle est grande avec une armoire et trois petites pièces qui servent de chambres pour les garçons de la famille. Étant l’aîné j’ai la plus grande avec un grand lit, c’est moi qui suis installé le plus confortablement. Au rez de chaussé, sur la gauche se trouve l’étable, avec une porte qui donne sur la cuisine. L’hiver, nous tenons cette porte ouverte, ceci nous permet d’avoir un peu de chaleur, donnée par les animaux, surtout la nuit, quand le chauffage s’éteint par manque de bois. Derrière la maison, il y a une grange pleine de foin pour nourrir le bétail l’hiver. La paille, pour l’étable et l’écurie, est stockée dehors en meules. Nous vendons une bonne partie de notre lait, le reste nous permet de fabriquer du fromage.

Le travail est très physique, comme mon père est souvent au château je dois m’occuper de notre ferme, traire les vaches, nettoyer l’étable et travailler dans les champs. Mes frères vont à l’école, mon père veut que nous obtenions tous le certificat d’études. L’ayant réussi je ne vais plus en classe. En rentrant, mes frères ont chacun leur travail à faire, le deuxième s’occupe du potager et le troisième des petits animaux, les lapins, les poules. Le soir, il rentre les moutons qu’il sort le matin avant de partir, ils sont dans une grande prairie mitoyenne à la maison. C’est un très grand terrain impropre à la culture, il est couvert de genets et de ronces, les chèvres adorent. Au milieu, il y a une mare qui permet aux animaux de boire. Même lors des périodes de sécheresse, il y a de l’eau.

Tous les soirs, pendant le repas, j’ai droit aux critiques de mon père, souvent il est légèrement ivre, au château il y a une bonne cave. Il reproche à mes frères le fait qu’ils aillent à l’école, lui n’y ai jamais allé et il vit très bien. C’est son discours quand il est éméché, à jeun, il faut absolument aller en classe. Le soir, après la traite des vaches, nous nous couchons de bonne heure, surtout l’hiver, la luminosité baisse très rapidement. Travailler avec une lampe à pétrole n’est pas simple ni prudent. Le lendemain matin, après un copieux petit déjeuné le travail de la ferme reprend.

Le dimanche, après la traite et le bain, nous laissons les vaches dans une prairie, pas de travail dans les champs. Le matin, nous allons à la messe et l’après-midi si le temps est bon, nous allons tous les quatre pécher à l’étang des joncs. C’est notre jour de repos. Nous mangeons du poisson le lundi. Mon père affirme qu’il s’arrangera avec Saint-Pierre le moment venu. Il en a parlé avec le curé qui lui a confirmé que si c’est tout ce qu’il a à confesser il ne devrait pas y avoir de problème. L’été quand il fait chaud nous allons nous baigner dans la Loire, nous restons prudemment au bord, personne ne sait nager.

Deux fois par an un boucher, vient nous aider pour « tuer le cochon », pendant deux jours les voisins viennent nous donner un « coup de main ». C’est la fête, en effet nous devons manger rapidement ce qui ne se conserve pas, comme le boudin et certains pâtés. Traditionnellement, la queue du cochon est réservée au plus jeune, donc mon petit frère Louis. Nous préparons une spécialité locale, la saucisse aux choux, ici on l’appelle la « saucisse d’herbes » c’est très bon. Nos voisines viennent également pour préparer les saucissons que nous mettons à sécher, la viande est découpée et salée pour être mangée plus tard. Chaque fois, le boucher met la pression, gentiment, sur mon père. Il est prêt à tout pour que nous lui vendions une partie de notre viande de porc. Presque systématiquement, mon père lui cède des morceaux, souvent les jambons, ce n’est pas simple de les préparer et c’est un professionnel, il a le matériel pour la saumure et le fumage. Nous les échangerons contre de la viande que nous ne produisons pas. L’ambiance est joyeuse et le vin coule à flots. Quelques jours plus tard, c’est nous qui allons chez les voisins pour les aider.

Nous ne sommes pas riches mais nous avons une vie confortable. Nous pouvons embaucher régulièrement des saisonniers pour nous aider lors des fenaisons et des moissons. Nous avons deux ouvriers qui travaillent toute l’année avec nous.

J’ai demandé à mon père de me prêter un peu d’argent pour acheter des ruches. Il me regarde un peu septique, je lui explique qu’un ami qui a des abeilles va me faire voir. Ce petit commerce me permettra de gagner un peu d’autonomie. Il sourit, me répond que mon initiative l’amuse et qu’il va m’aider. Très rapidement, mon commerce prend de l’importance. J’ai voulu rembourser mon père, il a refusé mon argent en me disant qu’il ne croyait pas à mon succès. Mes frères m’aident dans mon petit négoce et nous partageons les bénéfices. J’ai eu du mal à les convaincre de s’approcher des ruches, maintenant c’est bon, ils ont compris comment faire. Avec les bénéfices, nous avons multiplié le nombre de ruches et surtout leurs localisations, au bord de la forêt, près des champs ou des prairies, ce qui nous permet de produire différents miels.

Chapitre 2

Dès que le cheval est attelé, je pars avec mon père pour labourer un champ près de la ferme. Pendant que mon père guide le cheval, je tiens la charrue, elle saute dans tous les sens et je dois forcer très fort pour la maîtriser, je suis en nage. Toute la journée, mon père me parle de la fille du voisin. Il s’est arrangé avec son père, sa femme est décédée. Dès que mon deuxième frère n’ira plus à l’école, je dois l’épouser. Elle est petite, grosse, honnêtement elle est hideuse. Je ne me vois pas finir mes jours avec ce laideron. C’est dans ces moments que je regrette le plus ma mère, je suis certain, qu’elle saurait ramener mon père à la raison.

Quand j’en parle au village, tout le monde se moque de moi en me disant que comme elle est pour moi, ils me la laissent. Pour mon père, les terrains des deux fermes seront réunis, elle est fille unique, et l’exploitation deviendra une des plus grandes du canton. Le fait qu’elle soit très laide ne le dérange pas. Il m’explique que le soir dans la chambre il fait nuit, donc je ne la verrai pas. Dans la journée, j’ai autre chose à faire que regarder ma femme. Mon père a toujours une solution. Inutile de préciser qu’il n’est pas question que je me marie avec cette fille.

Je cherche une solution pour quitter la ferme, mais sans un sou c’est impossible. Je suis allé voir le curé, pour lui annoncer que je veux entrer au séminaire. Il n’a pas été dupe. Il m’a répondu que l’on doit obéir à ses parents, qu’ils ne pensent qu’à mon bien.

Le jeudi matin, il n’y a pas école, toute la famille va au marché à Feurs pour vendre sa production. Nous avons un stand avec des légumes, des œufs, du fromage et à une extrémité de notre banc, je vends mon miel. J’ai beaucoup de succès et je réalise un bon chiffre d’affaires. Notre père profite de notre présence à tous dans le village, pour nous procurer ce que nous ne produisons pas, du sucre, du café… Régulièrement, nous en profitons pour aller chez le coiffeur ou acquérir des chaussures, des vêtements. Je profite de cet instant de liberté pour acheter, avec l’argent du miel, des friandises ou des pâtisseries que nous nous partageons tous les quatre. Parfois, lors de l’anniversaire de l’un d’entre nous, notre père nous emmène manger la friture dans un restaurant, au bord de la Loire, c’est notre moment de détente et de fête en famille.

Le dimanche matin, après la messe, je retrouve les gars du village, dans un bar. Je leur explique que la seule solution, c’est de trouver une fille enceinte, de dire à mon père que le bébé est de moi et donc l’épouser. Tous mes amis éclatent de rire. Leurs pères n’ont qu’un espoir c’est que ce mariage ne se fasse pas, dans ce cas ils arrangeront un mariage pour leur fils. Pour eux, il n’est pas question de m’aider. Mon frère va bientôt passer son certificat d’études. Mon père programme le mariage pour la fin de l’été, après les fenaisons et les moissons.

Le samedi soir, avec les garçons du village, nous allons dans des bals populaires de la région. Les filles dansent avec moi, dès que je cherche à aller plus loin, dans notre relation, elles refusent en me disant que je suis déjà promis à une autre. Cet engagement de mon père me suit de partout. Systématiquement le samedi soir je rentre seul.

Son père et ma promise sont venus manger à la maison, pour me la présenter officiellement. En la voyant, mes frères ont du mal à garder leur sérieux. À plusieurs reprises, ils sortent de table et je les entends éclater de rire dans la cour de la ferme. J’en profite pour examiner ma fiancée. Elle est énorme, une obésité certainement liée à un problème de santé. Elle sent très fort, une odeur d’urine. Une petite moustache orne ses lèvres. Elle ne parle pas, son père m’explique qu’elle est bègue, de plus elle a du mal à s’exprimer, pour la comprendre il faut en avoir l’habitude. Elle ne sait ni lire ni écrire, à l’école ils n’en ont pas voulu. Lorsqu’ils partent, je constate une claudication très importante. J’ai répété à mon père qu’il n’est pas question que je l’épouse. Il me conseille de prendre mon mal en patience, avec un peu de chance elle va rapidement passer de vie à trépas, je serai alors libre, avec une grande exploitation. Je répète à mon père que je ne veux pas l’épouser, il me regarde et me répond qu’il ne se souvient pas de m’avoir demandé si j’étais d’accord.

Je ne sais pas comment me sortir de cette situation. Je ne veux pas épouser cette fille, et je ne me vois pas finir mes jours comme fermier. Je suis jeune et je veux voir du pays, je veux avoir quelque chose à raconter à mes petits-enfants si un jour j’en ai. J’explique à mes frères mes projets d’avenir, ils sourient en me disant qu’il est bien d’avoir des rêves mais que je dois revenir sur terre, je suis fermier, je resterai fermier. Je vais épouser ma promise et je finirai mes jours dans ma ferme avec de nombreux enfants et petits-enfants. Si j’ai de la chance alors je prendrai la place de régisseur du château quand notre père ne sera plus en mesure d’assurer cette fonction, mon avenir est tracé. Il n’est pas nécessaire d’avoir des dons de voyance. Je sais qu’ils ont raison, je me couche, déprimé.

Chapitre 3

Les jours passent, la date fatidique approche, soudain un espoir, je suis convoqué à la mairie pour le conseil de révision. Si je suis apte au service, il n’y a aucune raison pour que je ne le sois pas, je vais partir trois ans, peut être un si je suis tiré au sort. Mon père est effondré, il n’avait pas pensé à ça. Deux jours plus tard, mon père arrive avec un grand sourire, il a la solution à son problème.

Le soir pendant le repas, il m’explique, lors du conseil de révision je dois avouer que je suis obligé de me marier, la fille que je vais épouser est enceinte. Mes deux frères éclatent de rire, il y aura des représentants de la mairie et personne ne croira que ce laideron attende un bébé. Mon père calme tout le monde avec un juron dont il a le secret. Il ajoute qu’il suffise que je donne cette information au représentant de la préfecture. Le comte, avec qui il a d’excellentes relations, fera jouer ses contacts pour que je sois exempté. Lors de ma visite, je serai déclaré réserviste, le nécessaire sera fait ensuite.

Quelques jours plus tard, nous sommes une trentaine de jeunes classards rassemblés devant la mairie. Le maire nous demande d’entrer dans la salle du conseil municipal. Dans le hall de la mairie, tenue fermée au public ce matin-là, nous devons nous déshabiller et ensuite entrer, tous ensemble, entièrement nus, dans la salle du conseil. La table normalement dédiée au maire et au conseil est occupée par une dizaine de personnes, tous des hommes. Un représentant de la mairie, de la préfecture, un médecin militaire, il y a même mon instituteur, plusieurs militaires, je ne connais pas la fonction des autres présents.

Nous nous présentons devant le médecin les uns après les autres, nous sommes examinés sous toutes les coutures, taille, poids, cœur, poumons. Devant tous les spectateurs, le médecin, humiliation suprême, nous touche les testicules et examine notre sexe. Après cet examen, le représentant de la préfecture me demande si je n’ai pas une information à donner au conseil. Je le regarde et lui dis que non, je n’ai rien à déclarer, il insiste, je confirme. Je suis déclaré « bon pour le service ».

En sortant de la mairie, après nous être habillés, c’est la fête. Sur la place devant la mairie il y a de nombreux stands qui vendent des accessoires pour les futurs militaires. Nous achetons des insignes « bon pour les filles » et nous faisons le tour des bars. De partout, nous sommes accueillis et les tournées du patron se succèdent. Les exemptés sont partis discrètement, pour eux il va être difficile de se marier. Déclaré inapte c’est qu’il y a un problème. Je conseille à l’un d’entre eux d’aller voir ma promise, il éclate de rire et me répond qu’il préfère se faire curé.

La fête se poursuit très tard, nous faisons le tour des hameaux, perchés sur un char tiré par des chevaux, de partout nous sommes attendus. Lors de nos déplacements, nous nous arrêtons dans des fermes pour nous désaltérer, à chaque fois le vin coule à flots. Je rentre le lendemain, dans la matinée, ivre mort. En voyant mon insigne, mon père comprend que je ne suis pas exempté, il ne sait pas pourquoi, vu mon état, il préfère attendre.

Le soir, j’ai récupéré, mon père a vu le comte dans la journée. J’ai droit à une scène mémorable, mon père ne m’a jamais frappé mais je comprends très vite qu’il ne faut pas insister avant que ses nerfs ne craquent. Je laisse passer l’orage en courbant le dos, de toutes les façons il n’y a plus rien à faire. Je dois partir faire mon service, pour un an si je suis tiré au sort, sinon trois ans. Mon père me dit qu’il n’ose pas encore relancer le comte pour que je sois libéré après un an. Mon père conclut en me disant que, quelle que soit la durée de mon service, ma promise va m’attendre, ce dont je ne doute pas. Il est inutile que je revienne à la maison en permission.

Fin mai 1896 je pars pour la gare afin d’être incorporé comme appelé, le premier juin au 35e régiment d’infanterie à Belfort.

Chapitre 4

Dès notre arrivée, nous sommes rassemblés devant la gare, et en groupe nous rejoignons la caserne Friederichs. Après avoir passé un portail monumental, avec le nom écrit en gros, nous découvrons un ensemble de bâtiments, austère, en pierres. Immédiatement, nous comprenons que nous ne serons pas en vacances.

Dès notre entrée dans la caserne nous sommes accueillis par des cris « bleusaille », « bleu bite » et j’en passe, nous sommes dans l’ambiance. La première journée est passée à récupérer notre paquetage, notre arme. Nous nous installons dans une chambrée de vingt-quatre militaires, tous arrivés le même jour. Le confort est rustique, pourtant, pour la plupart d’entre nous, nous sommes originaires de la campagne. Il me suffit pour tirer cette conclusion de regarder les autres, ils ont des tenues et des mains qui ne sont pas d’origine citadine.

Les murs sont blanchis à la chaux, au milieu de la pièce, à côté d’une table en bois avec des bancs, trône un poêle à charbon, le tuyau de cheminée traverse la chambre. Les lits, superposés, sont en bois avec des paillasses, elles ont plusieurs années, elles sont toutes avachies et tachées. Des râteliers sont installés pour ranger nos armes, nous y déposons nos Lebels. Nous n’avons pas de munitions, elles nous seront distribuées lors des séances de tir. Nous avons des rayonnages pour ranger nos affaires personnelles et militaires.

Nous nous changeons, maintenant nous sommes en uniforme, c’est la seule tenue que nous allons porter pour les années à venir. Nous avons fière allure avec nos képis à turban ornés d’un bandeau portant le numéro du régiment. Nos capotes en drap gris bleu, avec six boutons en laiton, nos pantalons rouges et nos guêtres. Des plaquettes en métal, avec une fente, nous sont remises, nous les glissons sous nos boutons ainsi nous pouvons les astiquer facilement, ils doivent briller en permanence.

Avec nos uniformes neufs, nous nous dirigeons vers l’ordinaire pour manger, les mêmes quolibets nous accueillent. C’est vrai qu’avec nos tenues neuves nous tranchons sur les anciens. Le repas est immonde, je suis certain qu’après un tel menu le chef est bon pour le peloton d’exécution. Mes camarades me rassurent sur son avenir, ce n’est pas pire que la veille ou demain.

L’après-midi, nous le passons dans la cour de la caserne à faire de l’exercice, « marche au pas », « présentez armes » quart et demi-tour, nous faisons plusieurs kilomètres sans sortir. Alors que la marche au pas me semble naturelle, pour plusieurs camarades c’est un exercice difficile, ils sont l’objet de brimades de nos encadrants et écopent de nombreuses corvées.