Directives 2019/790 et 2019/789 sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique -  - E-Book

Directives 2019/790 et 2019/789 sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique E-Book

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Beschreibung

Il s’agit de proposer une mise en perspective d’une directive qui a mobilisé la société civile et de nombreux débats parlementaires devant le parlement européen. L’approche est à la fois académique et pratique en vue de contextualiser les apports du texte et contribuer à l’interprétation du droit interne des Etats membres après transposition.

La directive fut l’objet de débats vifs, d’opposition entre plusieurs forces sociales, l’origine d’alliances parfois étranges, notamment entre les GAFA et les libertaires défendant un Net gratuit. Le texte cristallise un instant de l’économie numérique appliquée à la création artistique.
Dans le cadre de son travail, l’Institut Stanislas de Boufflers a engagé un travail d’analyse de la directive pour permettre sa transposition en France. La première partie de ce travail, l’analyse, peut être publiée en tant que telle, sans nécessairement prendre en compte les éléments de droit interne. Le texte à une vocation européenne et non française.

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Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos site web www.larcier.com.

© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2021

Éditions Bruylant

Rue Haute, 139/6 – 1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN : 978-2-8027-6996-5

Directeur de la collection : Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux de l’Union européenne, directeur du Centre de droit européen et du master 2 Droit et contentieux de l’Union européenne, président honoraire de la Commission pour l’étude des Communautés européennes (CEDECE).

La collection droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne. Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels, de traités et de monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité, des grands arrêts de la Cour de justice et des grands textes commentés.

Précédemment parus dans la série :

1. Statut de la fonction publique de l’Union européenne. Commentaire article par article, sous la direction d’Ezillo Perillo et de Valérie Giacobbo Peyronnel, 2017.

2. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Commentaire article par article, Fabrice Picod, Cécilia Rizcallah, Sébastien Van Drooghenbroeck, 2e édition 2020.

3. Directive TVA 2006/112. Commentaire article par article, Dominique Berlin, 2020.

4. Directive 2004/38 relative au droit de séjour des citoyens de l’Union européenne et des membres de leur famille. Commentaire article par article, sous la direction d’Anastasia Iliopoulou Penot, 2020.

5. Directive 2000/78 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Commentaire article par article, sous la direction d’Édouard Dubout, 2020.

Sommaire

Introduction

Partie I. Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE

Titre I. – Dispositions générales

Articles 1 et 2

Titre II. – Mesures visant à adapter les exceptions et limitations à l’environnement numérique et transfrontière

Articles 3 et 4 : Exceptions de data mining

Article 5 : Exception en faveur de l’enseignement numérique et transfrontière

Article 6 : Conservation du patrimoine culturel

Article 7 : Dispositions communes

Titre III. – Mesures visant à améliorer les pratiques en matière d’octroi de licences et à assurer un accès plus large aux contenus

Articles 8 à 12 : Œuvres et autres objets protégés indisponibles dans le commerce

Article 13 : Disponibilité d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande et accès à ces œuvres

Article 14 : Œuvres d’art visuel dans le domaine public

Titre IV. – Mesures visant à assurer le bon fonctionnement du marché du droit d’auteur

Articles 15 et 16 : Droits sur les publications

Article 17 :Utilisations particulières, par des services en ligne, de contenus protégés

Articles 18 à 23 : Juste rémunération des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d’exploitation

Titre V. – Dispositions finales

Articles 24 à 31

Partie II. Directive (UE) 2019/789 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 établissant des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio, et modifiant la directive 93/83/CEE du Conseil

Chapitre 1. – Dispositions générales

Chapitre 2. – Services en ligne accessoires des organismes de radiodiffusion

Chapitre 3. – Dispositions générales

Chapitre 4. – Transmission de programmes par injection directe

Chapitre 5. – Dispositions finales

Table des matières

Introduction

Nicolas Binctin

Professeur à l’Université de Poitiers – CECOJI

et

Xavier Pres

Avocat à la Cour, docteur en droit

Genèse. La directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE s’inscrit dans la stratégie initiée au niveau européen pour mettre en place un marché unique numérique (ou Digital Single Market) (1).

Dans le cadre de ce projet pour une Europe numérique, l’Union européenne, marquant une ambition limitée (2) mais portée par une approche raisonnablement pragmatique, a souhaité notamment actualiser ses règles applicables au droit de la propriété littéraire et artistique pour les adapter à l’environnement numérique (3). La directive (UE) 2019/790 constitue l’un des textes majeurs de cette stratégie avec pour vœu de garantir « une protection adéquate aux auteurs et aux artistes, tout en ouvrant de nouvelles possibilités pour accéder en ligne à des contenus protégés par le droit d’auteur et les partager dans l’ensemble de l’Union européenne » (4).

Cet équilibre recherché entre, d’une part, la protection des titulaires de droits et, d’autre part, les utilisateurs n’a pas été facile à obtenir. La directive a rencontré une fervente opposition surtout à partir de 2018, avec la publication du rapport de l’eurodéputé Axel Voss (5), qui introduisait un régime de responsabilité pour les plateformes de « partage de contenu en ligne », ainsi qu’un principe de rémunération « juste et proportionnée » au profit des auteurs, des artistes-interprètes et des éditeurs de presse. Malgré l’adoption du rapport par le comité des affaires juridiques, le soutien des organismes de gestion collective et d’autres représentants de l’industrie culturelle (6), le texte a été rejeté le 5 juillet 2018 par le Parlement européen (7). Ce rejet est attribué principalement aux campagnes agressives et au lobbying des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple), dont la directive remettait en cause le modèle économique (8). YouTube n’aurait d’ailleurs pas hésité à encourager ses utilisateurs à se soulever contre le texte (9) avec une campagne d’affichage illustrant l’application de l’article 17 (10). Ce lobbying a également mobilisé d’autres acteurs aux objectifs différents – essentiellement des partisans d’un internet libre et ouvert (par exemple des ONG comme Wikipédia, le CCIA, la fondation Mozilla, la QDN, l’APRIL), qui mettaient en avant les risques de censure. Ces derniers ont pu aussi trouver au sein du Parlement un appui évident auprès de la députée Julia Reda et son rapport remis en janvier 2015 (11). La directive fut ainsi prise entre deux feux durant cette procédure d’adoption, ce qui a malheureusement nourri l’image aujourd’hui dégradée de la propriété intellectuelle en général, et du droit d’auteur en particulier. Le grand public est perdu entre l’idée d’une légitime appropriation par les auteurs de leurs créations et celle d’une organisation capitaliste de rentes au profit de quelques grands groupes mondialisés et l’instauration de « taxes », ce qualificatif est notamment utilisé par Madame Reda, limitant leur liberté en ligne. Une incroyable mansuétude est accordée aux plateformes et autres intermédiaires pourtant principaux gagnants des modèles actuels d’exploitations de biens intellectuels, et spécifiquement de biens culturels en ligne. Ainsi, le texte a fait l’objet d’intenses tractations et a bien failli ne jamais voir le jour. Après une première proposition de directive présentée par la Commission européenne le 14 septembre 2016, le Conseil puis le Parlement ont chacun proposé un texte, enclenchant en octobre 2018 une longue procédure de trilogue pour parvenir à un texte commun le 13 février 2019, adopté le 26 mars 2019 par le Parlement, puis approuvé le 15 avril par le Conseil de l’Union européenne (12). En définitive, son adoption peut être considérée comme une victoire pour l’Europe. Ses opposants d’hier demeurent de farouches contestataires de celle-ci. L’eurodéputée Julia Reda déplore « un droit d’auteur fragmenté à travers l’Europe » et l’absence d’une exception pour l’Internet d’aujourd’hui (13), ou YouTube qui affirme publiquement ses inquiétudes par rapport à l’application du texte (14). Toutefois, l’action récente de la Pologne devant la Cour de justice de l’Union européenne (15) laisse à penser que la directive est loin d’avoir achevé son saut d’obstacles. Il en va de même de la décision de l’Autorité de la concurrence en France d’imposer à Google une négociation constructive pour la mise en œuvre du droit voisin des éditeurs de presse (16).

Structure. Le texte adopté est dense : il est composé de 86 considérants et 32 articles.

Les considérants de la directive, situés entre le visa de la directive et son dispositif, ont pour but de motiver de façon concise les dispositions essentielles des articles composant le dispositif du texte (17). Ces énoncés explicatifs n’ont pas de valeur normative ; ils constituent néanmoins une importante source d’interprétation des articles du texte. Chacun des articles de la directive est commenté par un ou plusieurs considérants, soit isolément, soit avec d’autres dispositions du texte. Les considérants sont souvent très denses et détaillés, d’autres fois redondants, plus rarement inutiles car paraphrasant simplement le texte qu’ils sont censés commenter, mais toujours utiles pour comprendre le sens, la portée et la finalité des dispositions de la directive.

Les articles de la directive (UE) 2019/790 sont regroupés par thématiques, ordonnées sous cinq titres. Ils constituent le dispositif de la directive.

Le titre I intitulé « Dispositions générales » énonce l’objet et le champ d’application de la directive et définit des notions qui y sont employées dans les différents articles.

Le titre II porte sur les « Mesures visant à adapter les exceptions et limitations à l’environnement numérique et transfrontière ». Il institue quatre nouvelles exceptions à l’exclusivité de tout ou partie des différents titulaires de droits de propriété littéraire et artistique, à savoir les auteurs, les titulaires de droits voisins (artistes-interprètes, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, les organismes de radiodiffusion, les éditeurs de publications de presse en ligne) et les producteurs de base de données. Ces exceptions sont commentées par Jean-Michel Bruguière, Xavier Près et Vincent Varet (18).

Le titre III concerne les « Mesures visant à améliorer les pratiques en matière d’octroi de licences et à assurer un accès plus large aux contenus ». Il est composé de quatre chapitres : le premier sur les « œuvres et autres objets protégés indisponibles dans le commerce », le deuxième sur les « mesures destinées à faciliter l’octroi de licences collectives », le troisième sur la « disponibilité d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande et d’accès à ces œuvres », le quatrième et dernier chapitre sur les « œuvres d’art visuel dans le domaine public ». Nicolas Binctin et Sylvain Chatry commentent chacun des articles du titre III (19).

Le titre IV, « Mesures visant à assurer le bon fonctionnement du marché du droit d’auteur », est encore plus dense que le précédent. Le chapitre 1er, intitulé « Droits sur les publications », comporte deux dispositions dont la finalité est d’associer les éditeurs à un meilleur partage de la valeur. Il est ainsi instauré à l’article 15 un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse en ligne et à l’article 16 un mécanisme de compensation équitable au profit de tous les éditeurs en réponse à la jurisprudence Reprobel de la Cour de justice de l’Union européenne désormais condamnée. Ces deux dispositions sont commentées par Xavier Près (20). Le chapitre 2 a trait aux « utilisations particulières, par les services en ligne, de contenus protégés ». Le très dense et controversé article 17 sur la responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne en constitue l’article unique. Son commentaire est rédigé par Guillaume Henry (21). Le troisième et dernier chapitre, intitulé « juste rémunération des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d’exploitation », apporte des modifications importantes sur le droit des contrats de ces titulaires de droit. Ces dispositions sont commentées par Alphonse Bernard et Grégoire Hadot-Péricard (22).

La directive se termine par le titre V, « Dispositions finales », dont les articles sont commentés par Nicolas Binctin et Xavier Près.

Entrée en vigueur et transposition. La directive adoptée le 17 avril 2019 a été publiée le 17 mai suivant au Journal officiel de l’Union européenne. Elle est entrée en vigueur vingt jours à compter de cette publication, soit le 7 juin 2019. Les États membres disposent de vingt-quatre mois pour transposer les nouvelles règles dans leur législation nationale.Elle devra donc être transposée au plus tard le 7 juin 2021 dans l’ensemble des États membres.

Texte de compromis. La directive (UE) 2019/790 est un texte de compromis et même de compromis au pluriel, qui furent imposés par les effets des groupes de pressions évoqués précédemment. Cela se manifeste à plusieurs égards, tant s’agissant des différents dispositifs adoptés qu’ils soient pris ensemble, les uns avec les autres, ou isolément dans leur mécanique interne.

Ce compromis est d’abord présent dans les dispositifs prévus, destinés à assurer un meilleur partage de la valeur économique. Il est ainsi au cœur des articles finalement adoptés pour chacune des deux dispositions les plus controversées de la directive : le nouveau droit voisin de nature catégorielle reconnu au profit des éditeurs de publication de presse en ligne (article 15) et le nouveau régime spécifique d’exploitation des droits d’auteur et des droits voisins par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (article 17). Ces deux textes ont une ambition économique mais laissent les intermédiaires du Net sans réelle contrainte pour le contrôle de leurs revenus. En effet, les auteurs et interprètes doivent percevoir une part des recettes proportionnées mais pas les intermédiaires qui demeurent pleinement libres d’établir leurs marges et sur-valoriser leur action dans la chaîne de valeur de la création et distribution de biens intellectuels. L’article 15 a pour objectif de préserver les investissements des éditeurs de publications de presse en ligne et de leur assurer de bénéficier de la valeur créée par l’exploitation de leurs publications par les agrégateurs d’informations ou les services de veille médiatique. L’article 17 a pour finalité d’améliorer le fonctionnement du marché des œuvres et autres objets protégés sur les plateformes de partage en instaurant les conditions d’une « juste rémunération » pour les titulaires de droits mise à la charge de ces acteurs incontournables d’Internet. Cette disposition, partiellement inspirée de la solution canadienne de l’exception de contenu généré par les utilisateurs, adoptée en 2012 (23), fut particulièrement discutée devant le parlement. Dans les deux cas, l’ambition économique commune est d’assurer un réel partage de la valeur économique issue des nouvelles formes d’exploitation numérique des œuvres et autres objets protégés, ou pour le dire autrement, de réduire le déséquilibre économique entre, d’une part, les créateurs et investisseurs ayant la qualité d’ayant droit, qui ont supporté les risques de la création (24) et, d’autre part, les exploitants de « contenus » numériques, les seconds tirant profit des premiers dont ils demeurent cependant dépendant pour l’attractivité de leurs outils numériques. Sans œuvre en ligne, il y aurait bien moins de requêtes, moins de données personnelles collectées, et moins de chiffre d’affaires généré par le placement de publicité. Ces deux nouveaux régimes édictés au profit des titulaires de droit sont toutefois limités, le nouveau droit voisin ayant ainsi une durée de protection très courte (deux ans), tandis que l’exploitation, soumise à rémunération, d’œuvres diffusées par les plateformes se double d’un régime spécifique de responsabilité en cas de diffusion d’œuvres illicites (blocage ou obligation de retrait selon l’importance de la plateforme). Des tensions émergent pour la rédaction des lignes directrices attachées à la mise en œuvre de ces textes. Dans un courrier adressé à la Commission européenne, des représentants de l’audiovisuel l’accusent de revenir par la bande affaiblir la réforme adoptée pour réguler l’utilisation en ligne de contenus protégés (25).

Ce compromis se manifeste encore s’agissant de la protection accrue accordée aux auteurs et artistes interprètes dans le cadre de leurs relations contractuelles avec les exploitants des œuvres et autres objets protégés. La directive pose ainsi nombre de dispositions destinées à assurer une meilleure protection contractuelle au profit des auteurs et des artistes-interprètes (articles 18 à 23). Ainsi, au premier chef de la rémunération « appropriée et proportionnée » (ou proportionnelle, selon la traduction choisie pour la version française du terme anglais « proportionate », toutes les autres versions linguistiques retenant le terme « proportionnée »), du dispositif de révision du prix et du droit de rétractation prévus au bénéfice de la partie supposée économiquement la plus faible ou encore des obligations de transparence mise à la charge des exploitants. Si la partie économiquement la plus faible est ainsi protégée, les solutions adoptées tendent toutefois à assurer le principe de la liberté contractuelle et un juste équilibre des droits et intérêts en présence. Surtout, la solution retenue met en avant des personnes physiques qui ne sont que minoritairement parties aux contrats d’exploitation des biens intellectuels en ligne. Si ces éléments ont fait l’objet d’intenses discussions et d’un compromis intéressant, ils n’améliorent pas la situation des PME et ETI, éditeurs et producteurs européens de biens intellectuels, face à des exploitants mondialisés.

En contrepoint de ces dispositions favorables aux auteurs et autres titulaires de droits, d’autres dispositions ont pour objet cette fois de faciliter l’accès et la circulation des œuvres et autres objets protégés par exception ou limitation aux droits de propriété reconnus aux titulaires de droits de propriété littéraire et artistique. Il en est ainsi des quatre nouvelles exceptions instaurées par la directive. Ces exceptions ne sont toutefois pas complètement nouvelles en ce sens qu’elles existent déjà dans de nombreux pays de l’Union européenne. Et leur champ d’application est, par ailleurs, bien circonscrit, les unes portant sur les fouilles de données et de textes (article 3 et 4) et les autres sur les activités d’enseignement numériques et transfrontalières (article 5) et la conservation du patrimoine culturel (article 6). L’équilibre entre protection des titulaires de droits et diffusion des œuvres et autres objets protégés se retrouve donc ici, tant s’agissant de l’existence de ces exceptions qui viennent contrebalancer les avancées par ailleurs posées au bénéfice des titulaires de droits, que du contenu limité de ces exceptions.

Le même compromis existe s’agissant des autres mécanismes d’incitation à la diffusion des œuvres et autres protégés. Ainsi, la directive propose un mécanisme facilitant la diffusion en ligne d’une copie des œuvres indisponibles dans le commerce, et présentes dans les collections permanentes des institutions culturelles. Cette mesure répond au souhait d’accroître la diffusion en ligne, transfrontalière, de biens intellectuels mais utilise le garde-fou des institutions culturelles pour en limiter l’effet et préserver un peu l’intérêt des ayants droit. La consécration par la directive d’un mécanisme d’opt out, bouleversement risqué pour la propriété intellectuelle qui pourrait, après ce premier pas passer d’une propriété à un mécanisme strictement indemnitaire, cherche aussi à traduire ce compromis. L’opt out permet d’avoir une solution par défaut de diffusion des biens intellectuels visés, mais permet aux propriétaires de retrouver le contrôle de l’exploitation de ses biens intellectuels si l’exploitation par défaut ne convient pas à ses souhaits. La promotion de la médiation par l’article 13 pour accroître la disponibilité d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande doit être lue au regard des dispositions de l’article 17. Elle doit aussi être envisagée comme l’institutionnalisation de l’intervention d’un médiateur entre les propriétaires d’œuvres audiovisuelles et les exploitants de plateformes pour faire émerger un accord, un compromis, pour la diffusion de ces créations. Le compromis émerge aussi à l’article 14, malheureusement sous l’angle de la faiblesse que l’on peut parfois attacher à l’idée de compromis. L’article 14, dont l’apport normatif est limité, propose de confirmer les effets du domaine public, ce qui doit renforcer la libre diffusion des biens intellectuels en cause, mais confirme aussi l’obligation de respecter les droits d’auteur et les droits voisins. Tout le monde est cité, pas de jaloux… mais pas d’innovation juridique.

Le compromis ressort, enfin, du mécanisme de compensation équitable posé à l’article 16 de la directive, destiné à assurer un meilleur partage de la valeur économique, non plus seulement dans les relations entre titulaires de droits et exploitants de « contenus » numériques (articles 16 et 17), mais dans les relations entre auteurs et éditeurs, les seconds étant ainsi associés aux rémunérations revenant aux auteurs et résultant de l’exploitation des œuvres réalisées dans le cadre des exceptions soumises à rémunération. Le texte profite ainsi aux éditeurs, mais la détermination de la part de leur rémunération est laissée à la discrétion des États membres « conformément à leurs politiques culturelles nationales » (considérant 60).

Cette liberté laissée aux États membres se retrouve, à des degrés variables, dans chacun des dispositifs adoptés ; elle est le signe d’un ultime compromis entre désir d’harmonisation et prise en compte pragmatique de la diversité des législations nationales. La consécration d’un droit d’auteur de l’Union européen devra encore attendre.

Directive câble et satellite. Un second texte important adopté dans le cadre de l’harmonisation du droit de la propriété intellectuelle dans le marché unique numérique est analysé dans le cadre du présent ouvrage : la directive (UE) 2019/789 du Parlement européen et du conseil du 17 avril 2019 établissant des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio, et modifiant la directive 93/83/CEE du Conseil dite directive câble et satellite.

Le texte est plus court que celui de la directive (UE) 2019/790. Il est composé de 27 considérants et 14 articles. Très technique, ce texte est commenté par Julien Grosslerner (26).

Remerciements. Les deux directives (UE) 2019/790 et 2019/789 sont commentées plus en détails ci-après. Plusieurs auteurs ont accepté de participer à cet ouvrage collectif et nous les en remercions.

Nos remerciements vont également à tous ceux qui avaient contribué à l’organisation de la Commission ad hoc, placée sous l’égide de l’Institut Stanislas de Boufflers et soutenue par l’École de droit et de management de Paris Panthéon-Assas Sorbonne Universités (par ordre alphabétique) : Léna Amouyal (étudiante en Master spécialisé Juriste Manager International à l’EM LYON), Lorraine Bazin (avocat), Romain Bourdon (élève avocat à l’EFB), Rosa Brunet (avocat), et Benjamin Mollet-Vieville (avocat). Ces travaux, qui ont fait l’objet d’une publication sous la forme de propositions de textes en vue de la transposition de la directive en droit interne puis d’un débat lors d’un colloque au Sénat, devraient être publiés prochainement par les Éditions de Boufflers.

(1) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen et au Comité des Régions, Stratégie pour un marché unique numérique en Europe, COM/2015/0192 final.

(2) Voy. N. Binctin, « Les aspects de la propriété intellectuelle », in La construction européenne en droit des affaires : acquis et perspectives, rapport de l’Association Henri Capitant, Paris, LGDJ, 2016, p. 89.

(3) Voy. en ce sens, Conseil de l’Union européenne, communiqué de presse, « L’UE adapte les règles relatives au droit d’auteur à l’ère numérique », 15 avril 2019.

(4) Conseil de l’Union européenne, « L’UE adapte les règles relatives au droit d’auteur à l’ère numérique », préc.

(5)http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-8-2018-0245_FR.html?redirect.

(6) Des organisations de médias et des grands éditeurs, selon la lettre signée #YES2COPYRIGHT, http://authorsocieties.eu/mediaroom/334/33/Rights-holders-band-together-for-a-strong-statement-on-the-Copyright-Directive.

(7)https://www.nextinpact.com/news/106819-directive-droit-dauteur-parlement-europeen-rouvre-debat-echec-pour-industrie-culturelle.htm.

(8) Ce modèle permettant d’exploiter le contenu mis en ligne par leurs utilisateurs sans garantir une redistribution équitable des bénéfices générés aux ayants droit ; https://lvsl.fr/la-bataille-des-lobbies-europeens-autour-de-la-directive-copyright. Voy. aussi, rapport du Sénat français, rapport n° 581 (2018-2019) de M. David Assouline, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, déposé le 19 juin 2019 qui mentionne qu’une étude publiée par News Media Alliance aux États-Unis en juin 2019 estimait à 4,7 milliards de dollars le montant tiré en 2018 par le seul Google de l’utilisation sans rémunération des informations produites par les médias aux États-Unis. Si la méthodologie de cette étude fut contestée, elle fournit a minima une estimation de l’ampleur des revenus captés par Google sans jamais bénéficier à la presse.

(9)https://www.challenges.fr/media/l-incroyable-lobbying-de-youtube-contre-les-droits-d-auteur_640237.

(10)http://journalofmusic.com/news/google-campaign-scare-musicians.

(11) Commission des affaires juridiques, rapport de Julia Reda sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (2014/2256 (INI)), 20 janvier 2015.

(12) J.-M. Bruguière, La directive droit d’auteur dans le marché unique numérique (2019/790), Livre blanc, Bruxelles, Larcier, 2019 ; C. Alleaume, « Propriété littéraire et artistique(novembre 2018-novembre 2019), Panorama », Légipresse, décembre 2019, p. 705 ; V.-L. Benabou, « La directive droit d’auteur dans le marché unique numérique ou le pendule du sourcier », JCP G, 2019, n° 26, p. 693 ; C. Caron, « La miraculée du droit d’auteur », Communication commerce électronique, 2019, repère 5 ; P. Sirinelli, « Premières vues sur la directive droit d’auteur dans le marché numérique », Dalloz IP/IT, 2019, p. 279 ; E. Treppoz, « Premiers regards sur la directive droit d’auteur dans le marché numérique », JCP E, 2019, n° 27, p. 1343.

(13)https://juliareda.eu/2019/04/not-in-vain.

(14)https://www.youtube.com/saveyourinternet.

(15)https://www.nextinpact.com/brief/la-pologne-attaque-la-directive-droit-d-auteur-et-son-article-17-sur-le-filtrage-8782.htm.

(16) AdlC, décision 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse, CCC, 2020, comm. 101, D. Bosco ; D., 2020, point de vue J.-Ch. Roda.

(17) Guide pratique commun du Parlement européen, du Conseil et de la Commission à l’intention des personnes qui contribuent à la rédaction des textes législatifs de l’Union européenne.

(18) Voy. infra, commentaires sous le Titre II, directive (UE) 2019/790, pp. 23 et s.

(19) Voy. infra, commentaires sous le Titre III, directive (UE) 2019/790, pp. 59 et s.

(20) Voy. infra, commentaires sous le Titre IV, chapitre 1, directive (UE) 2019/790, pp. 147 et s.

(21) Voy. infra, commentaires sous le Titre IV, chapitre 2, directive (UE) 2019/790, pp. 173 et s.

(22) Voy. infra, commentaires sous le Titre IV, chapitre 3, directive (UE) 2019/790, pp. 201 et s.

(23) V.-L. Benadou, « Quelles solutions pour les UGC en France ? », Juris art etc., 2015, n° 25, p. 21 ; P.-E. Moyse, « Les droits des utilisateurs au Canada », Juris art etc., 2015, n° 25, p. 30 ; Y. Gendreau, « User-generated Content and Other Digital Copyright Challenges : A North American Perspective », Droit d’auteur 4.0, Genève, Schulthess, 2018, p. 99.

(24) Voy. not., A. Ghanty, Le financement de la production culturelle, thèse dactyl. Univ. de Poitiers, 6 décembre 2019.

(25)https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/reforme-europeenne-du-droit-dauteur-les-ayants-droit-craignent-une-entourloupe-1241595.

(26) Voy. infra, pp. 239 et s.

Partie I.
Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE

Titre I.
Dispositions générales

Articles 1 et 2

Article 1 : Objet et champ d’application

1. La présente directive fixe des règles visant à poursuivre l’harmonisation du droit de l’Union applicable au droit d’auteur et aux droits voisins dans le cadre du marché intérieur, en tenant compte, en particulier, des utilisations numériques et transfrontières des contenus protégés. Elle fixe également des règles relatives aux exceptions et limitations au droit d’auteur et aux droits voisins, à la facilitation des licences, ainsi que des règles destinées à assurer le bon fonctionnement du marché pour l’exploitation des œuvres et autres objets protégés.

2. Sauf dans les cas mentionnés à l’article 24, la présente directive laisse intactes et n’affecte en aucune façon les règles existantes fixées dans les directives actuellement en vigueur dans ce domaine, en particulier les directives 96/9/CE, 2000/31/CE, 2001/29/CE, 2006/115/CE, 2009/24/CE, 2012/28/UE et 2014/26/UE.

Cet article ne fait pas l’objet d’un commentaire spécifique.

Article 2 : Définitions

Auar :

1) « organisme de recherche », une université, y compris ses bibliothèques, un institut de recherche ou toute autre entité, ayant pour objectif premier de mener des recherches scientifiques, ou d’exercer des activités éducatives comprenant également des travaux de recherche scientifique :

a) à titre non lucratif ou en réinvestissant tous les bénéfices dans ses recherches scientifiques ; ou

b) dans le cadre d’une mission d’intérêt public reconnue par un État membre ;

de telle manière qu’il ne soit pas possible pour une entreprise exerçant une influence déterminante sur cet organisme de bénéficier d’un accès privilégié aux résultats produits par ces recherches scientifiques ;

2) « fouille de textes et de données », toute technique d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données sous une forme numérique afin d’en dégager des informations, ce qui comprend, à titre non exhaustif, des constantes, des tendances et des corrélations ;

3) « institution du patrimoine culturel », une bibliothèque accessible au public, un musée, des archives ou une institution dépositaire d’un patrimoine cinématographique ou sonore ;

4) « publication de presse », une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, mais qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés, et qui :

a) constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée sous un titre unique, telle qu’un journal ou un magazine généraliste ou spécialisé ;

b) a pour but de fournir au public en général des informations liées à l’actualité ou d’autres sujets ; et

c) est publiée sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un fournisseur de services.

Les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires, tels que les revues scientifiques, ne sont pas des publications de presse aux fins de la présente directive ;

5) « service de la société de l’information », un service au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point b), de la directive (UE) 2015/1535 ;

6) « fournisseur de services de partage de contenus en ligne », le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives.

Ne sont pas des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne au sens de la présente directive les prestataires de services tels que les encyclopédies en ligne à but non lucratif, les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres, les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972, les places de marché en ligne, les services en nuage entre entreprises et les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur propre usage.

Cet article ne fait pas l’objet d’un commentaire particulier, les définitions étant explicitées sous les commentaires des articles concernés.

Titre II.
Mesures visant à adapter les exceptions et limitations à l’environnement numérique et transfrontière

Articles 3 et 4 : Exceptions de data mining

Jean-Michel Bruguière

Professeur à l’Université Grenoble-Alpes, directeur du CUERPI (CRJ)

L’un des objectifs de la directive 2019/790 est de favoriser la diffusion des contenus susceptibles d’être couverts par un droit d’auteur ou un droit voisin. Plusieurs outils peuvent être sollicités à cette fin notamment celui des exceptions. Sont ici commentés les articles 3 et 4 de la directive relatifs au data mining qui s’inscrivent ainsi dans cette volonté de libéralisation de certains contenus en ligne.

Wikipedia (1) présente le data mining (2) (ou fouille de données) en ces termes : « L’exploration de données, connue aussi sous l’expression de fouille de données, forage de données, prospection de données, data mining, ou encore extraction de connaissances à partir de données, a pour objet l’extraction d’un savoir ou d’une connaissance à partir de grandes quantités de données, par des méthodes automatiques ou semi-automatiques ». L’article 2 de la directive en donne la définition suivante : « Toute technique d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données sous une forme numérique afin d’en dégager des informations, ce qui comprend, à titre non exhaustif, des constantes, des tendances et des corrélations ». Le data mining permet ainsi à des médecins de mettre au jour de possibles relations entre un symptôme et une maladie. Des sociologues peuvent, à partir de l’analyse systématique de faits divers dans un journal régional, depuis vingt ans, montrer que le traitement de ces faits est profondément raciste.

Cette fouille de données met en jeu plusieurs prérogatives attachées au droit d’auteur et aux droits voisins dont l’extraction ou la reproduction. Or, il n’est pas assuré que les exceptions existantes, exception de reproduction privée et surtout exception de reproduction provisoire, permettent de rendre licite ces fouilles (3). Voilà pourquoi certains pays se sont efforcés d’instituer une exception particulière comme cela est le cas, en Europe, du Royaume-Uni, de la France ou de l’Allemagne ou, hors Europe, du Japon (4). Ces interventions disparates renforçaient le besoin d’harmonisation en même temps qu’elles remettaient en cause la politique bien établie de nombreux éditeurs scientifiques (5).

Les articles 3 et 4 instituent deux régimes de data mining. Le premier est soumis à une finalité d’exercice « scientifique ». Le second n’est subordonné à aucune finalité. Nous allons voir que le régime de ces deux articles est bien différent eu égard, notamment, aux droits concernés et aux conditions posées. Il est permis de se demander d’ailleurs si l’article 4 institue bien une exception (l’article 4 est déjà hésitant puisqu’il vise « l’exception » ou « la limitation », ce qui est bien différent) puisqu’au final le propriétaire des bases de données convoitées pour le data mining peut écarter la fouille par un certain nombre d’opérations. L’exception de l’article 3 est bien obligatoire, celle de l’article 4 est finalement facultative. À supposer que nous soyons bien en présence de deux nouvelles exceptions (qu’il va falloir au demeurant articuler), il est certain que ces exceptions sont toujours soumises au triple test et à une lecture conforme aux droits et libertés fondamentaux suite à la jurisprudence de la Cour de justice du 29 juillet 2019 (6). Par ailleurs, les mesures techniques de protection (hormis dans le cadre de l’article 4) ne doivent pas remettre en cause la jouissance des exceptions.

Article 3 : Fouille de textes et de données à des fins de recherche scientifique

1. Les États membres prévoient une exception aux droits prévus à l’article 5, point a), et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE, à l’article 2 de la directive 2001/29/CE et à l’article 15, paragraphe 1, de la présente directive pour les reproductions et les extractions effectuées par des organismes de recherche et des institutions du patrimoine culturel, en vue de procéder, à des fins de recherche scientifique, à une fouille de textes et de données sur des œuvres ou autres objets protégés auxquels ils ont accès de manière licite.

2. Les copies des œuvres ou autres objets protégés effectuées dans le respect du paragraphe 1 sont stockées avec un niveau de sécurité approprié et peuvent être conservées à des fins de recherche scientifique, y compris pour la vérification des résultats de la recherche.

3. Les titulaires de droits sont autorisés à appliquer des mesures destinées à assurer la sécurité et l’intégrité des réseaux et des bases de données où les œuvres ou autres objets protégés sont hébergés. Ces mesures n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

4. Les États membres encouragent les titulaires de droits, les organismes de recherche et les institutions du patrimoine culturel à définir d’un commun accord des bonnes pratiques concernant l’application de l’obligation et des mesures visées aux paragraphes 2 et 3, respectivement.

I. – Le data mining scientifique

Nous envisagerons successivement les droits concernés, le champ d’application et les conditions d’accès.

A – Les droits concernés

L’exception de l’article 3 concerne les droits de reproduction et de réutilisation et d’extraction du producteur d’une base de données (article 5, point a), et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE), le droit de reproduction des titulaires de droits d’auteur et de droits voisins (article 2 de la directive 2001/29/CE), le droit de reproduction des titulaires de droits voisins des éditeurs de presse en ligne (article 15, paragraphe 1, de la présente directive). Aucune exception n’est prévue pour le logiciel contrairement à l’article suivant (voy. infra). L’exception de data mining scientifique concerne avant tout le droit commun du droit d’auteur.

B – Champs d’application

Nous considérerons, tour à tour, les bénéficiaires de l’exception et les données couvertes

Les bénéficiaires de l’exception. L’exception prévue par l’article 3, concerne l’activité de « recherche scientifique » menée par « des organismes de recherche » ou des « institutions du patrimoine culturel », indépendamment de la nature de leur financement. Ainsi, est visée, en qualité d’organisme de recherche, « l’université, y compris ses bibliothèques, un institut de recherche ou toute autre entité ayant pour objectif premier de mener des recherches scientifiques ou d’exercer des activités éducatives comprenant également des travaux de recherche scientifique » (7). Cet organisme de recherche, par exemple un hôpital, peut exercer ses activités « à titre non lucratif ou en réinvestissant tous les bénéfices dans ses recherches scientifiques » ou bien « dans le cadre d’une mission d’intérêt public reconnue par un État membre » à condition « qu’il ne soit pas possible pour une entreprise exerçant une influence déterminante sur cet organisme de bénéficier d’un accès privilégié aux résultats produits par ces recherches » (8). Cette mission d’intérêt public doit être « reconnue par un État membre ». Le douzième considérant précise, par ailleurs, à titre d’exemple, qu’une mission d’intérêt public pourrait « se traduire par un financement public ou par des dispositions dans les législations nationales ou les marchés publics ». L’institution du patrimoine culturel, quant à elle, est définie comme « une bibliothèque accessible au public, un musée, des archives ou une institution dépositaire d’un patrimoine cinématographique ou sonore ». Sont donc concrètement visés : les universités, établissements d’enseignement supérieur, instituts de recherche et hôpitaux dans le domaine des sciences naturelles et humaines, les bibliothèques, musées, archives et institutions dépositaires du patrimoine ciné ou sonore, mais aussi établissements d’enseignement, organismes de recherche et organismes publics de radiodiffusion, y compris dans le cadre de partenariats publics/privés (le considérant 11 précise sur ce point sensible que les partenaires privés doivent pouvoir aider les bénéficiaires à opérer les fouilles, y compris en utilisant leurs outils technologiques, sans pour autant que ces acteurs privés ne deviennent les bénéficiaires des résultats des fouilles). À noter enfin que le considérant 14 souligne encore que : « L’exception relative à la fouille de textes et de données devrait s’appliquer aux organismes de recherche et aux institutions du patrimoine culturel, y compris aux personnes qui y sont rattachées, pour ce qui est des contenus auxquels ils ont accès de manière licite ».

Les données couvertes. L’objectif de la directive, grâce à cette exception, est de permettre l’analyse de textes, mais aussi « des sons, des images ou des données » (9). La discussion qui a pu naître en France s’agissant des images animées et des sons est donc réglée. Rappelons, en effet, que, à lire attentivement le texte français (article L.122-5, 10°), qui visait « les textes » et les « écrits », il semble que le législateur n’ait pas eu à l’esprit les sons et les images (10). Au demeurant, aucune exception aux droits voisins des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes n’était prévue. Le doute est ainsi levé pour les pays ayant opté pour une interprétation restrictive.

Les conditions d’accès.Finalité scientifique, licéité de l’accès et sécurisation des données entourent ces conditions.

Finalité scientifique. L’article 3 subordonne l’accès à un data mining établi « à des fins de recherche scientifique ». C’est là une différence essentielle avec l’article suivant qui ne vise aucune finalité particulière. Le texte français, encore lui, s’attachait à la finalité de « recherche publique à l’exclusion de toute finalité commerciale » ou de « recherche » tout court. La recherche scientifique, toutefois, ne se résumait pas à la recherche publique et elle peut, par ailleurs, poursuivre une finalité commerciale. Quant à « la recherche », visée de manière générale, elle pouvait parfaitement englober une recherche autre que scientifique. La position de l’Union européenne est donc moins dogmatique que la position française.

Accès licite. Le data mining est conditionné à un accès licite ? Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que l’accès aux données se fera avec l’accord du titulaire des droits (au moyen d’une licence, par exemple) ou dans le cadre d’une politique de libre accès (open access). Pour raisonner concrètement, un chercheur ne pourra analyser les données figurant dans les revues publiées par un éditeur que s’il accède à ces dernières dans le cadre d’un abonnement souscrit par l’institution à laquelle il appartient ou si les contenus en question sont disponibles en open access. Quant au chercheur qui analyse les données de haine en ligne diffusées sur les réseaux sociaux, il devra respecter les conditions générales d’utilisation imposées par ceux-ci. L’accès licite renvoie également indirectement au droit pénal et au droit de la concurrence. L’accès et le maintien frauduleux dans un système d’information (bases de données par exemple) sont incriminés pénalement dans le système de nombreux États membres. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que des données peuvent représenter une ressource essentielle au sens du droit du marché, et leur refus d’accès, sanctionné par l’abus de position dominante (11). La question se pose de savoir si l’accès aux données par le biais contractuel doit ou non prévoir une rémunération au profit des titulaires de droit. Le considérant 17 précise que, « compte tenu de la nature et l’étendue de l’exception, qui est limitée aux entités qui font de la recherche scientifique, le préjudice potentiel que cette exception pourrait occasionner aux titulaires de droits serait minime ». Aucune compensation n’est donc prévue. Cette manière de voir a été justement critiquée car elle occulte les investissements de nombre d’opérateurs dans la constitution des bases de données (12).

Conservation et sécurité. La directive s’attache également au sort des copies réalisées pour permettre la fouille et encadre les « mesures destinées à assurer la sécurité et l’intégrité des réseaux et bases de données ». À ce titre, elle encourage les ayants droit et les bénéficiaires de l’exception à « définir d’un commun accord des bonnes pratiques ». Un recours à la soft law que l’on observe par ailleurs dans le droit de la propriété littéraire et artistique (avec l’adoption de codes de bonne conduite dans certains secteurs, la publicité par exemple). S’agissant des copies réalisées pour permettre la fouille, la directive permet leur conservation « avec un niveau de sécurité approprié » et cela « à des fins de recherche scientifique, y compris pour la vérification des résultats de la recherche ». Un tel acte sera bien souvent nécessaire et il est heureux que la directive l’envisage. Les ayants droit et bénéficiaires de l’exception pourront dans ce cadre s’accorder pour définir « des organismes de confiance aux fins de stockage de ces copies » (13). Des gardiens de l’information en quelque sorte, pour autant que ce rapprochement du droit de garde et de l’information ait un sens. Par ailleurs, « les titulaires de droit sont autorisés à appliquer des mesures destinées à assurer la sécurité et l’intégrité des réseaux et bases de données ou les œuvres ou autres objectifs protégés sont hébergés », mais à la condition que « ces mesures n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ». L’obligation de sécurité, qui évoque celle présente dans le règlement général sur les données personnelles, peut se concrétiser par des mesures mises en œuvre afin de « garantir que seules les personnes ayant accès de manière licite à leurs données puissent y accéder, notamment sur la base de la validation de leur adresse IP ou de l’authentification de l’utilisateur » (14). Mais la directive impose ici un principe de proportionnalité qui n’est pas sans rappeler, comme cela a été justement relevé (15), celui posé par la CJUE dans l’arrêt Nintendo (16), s’agissant justement des mesures techniques.

Article 4 Exception ou limitation pour la fouille de textes et de données

1. Les États membres prévoient une exception ou une limitation aux droits prévus à l’article 5, point a), et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE, à l’article 2 de la directive 2001/29/CE, à l’article 4, paragraphe 1, points a) et b), de la directive 2009/24/CE et à l’article 15, paragraphe 1, de la présente directive pour les reproductions et les extractions d’œuvres et d’autres objets protégés accessibles de manière licite aux fins de la fouille de textes et de données.

2. Les reproductions et extractions effectuées en vertu du paragraphe 1 peuvent être conservées aussi longtemps que nécessaire aux fins de la fouille de textes et de données.

3. L’exception ou la limitation prévue au paragraphe 1 s’applique à condition que l’utilisation des œuvres et autres objets protégés visés audit paragraphe n’ait pas été expressément réservée par leurs titulaires de droits de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne.

4. Le présent article n’affecte pas l’application de l’article 3 de la présente directive.

II. – Le data mining « généraliste »

A – Considérations générales

L’exception de data mining initialement circonscrite à la recherche scientifique, devant ne bénéficier qu’aux organismes énoncés, et excluant toute finalité commerciale a été « étendue » par le parlement, dans un article 4, à tous et à des fins diverses « à condition que l’utilisation des œuvres et autres objets protégés […] n’ait pas été expressément réservée par leurs titulaires de droits d’une manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à disposition du public en ligne ».

B – Droits concernés

L’exception de l’article 4 concerne les droits de reproduction et de réutilisation et d’extraction du producteur d’une base de données (article 5, point a), et article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE), le droit de reproduction des titulaires de droits d’auteur et de droits voisins (article 2 de la directive 2001/29/CE), le droit de reproduction des titulaires de droits voisins des éditeurs de presse en ligne (article 15, paragraphe 1, de la présente directive). La différence avec l’article 3 repose sur le fait que cette disposition déroge également à l’article 4, paragraphe 1, points a) et b), de la directive 2009/24/CE. L’exception est donc étendue à la reproduction, la traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation d’un logiciel. Cette différence, sur le logiciel, entre le data mining scientifique et le data mining généraliste, est difficile à comprendre.

C – Champs d’application

Bénéficiaires. Les bénéficiaires de cette exception sont toutes les entités publiques ou privées sans restriction. Contrairement à l’article 3, l’article 4 ne désigne, en effet, aucun opérateur en particulier. Là où la directive ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

Données couvertes. Tous types de données sont ici concernés : sons, textes, images, etc. Nous rejoignions ici les observations à propos des pays, dont la France, ayant opté pour une approche restrictive (voy. supra).

D – Conditions d’accès

Finalité ? La finalité de la fouille n’est pas ici précisée. Elle peut par exemple permettre « la prise de décisions commerciales complexes » ou « l’élaboration de nouvelles applications ou technologies » comme le précise le considérant 18.

Opt-out ? L’article 4 est ici beaucoup moins contraignant que l’article 3. L’accès est conditionné à sa licéité (nécessité d’une licence) et, si la base de données est publique, à l’absence de réserves contraires du titulaire par les métadonnées ou les conditions générales d’utilisation (CGU) ou alors s’il n’y a, ni métadonnées, ni CGU, la réserve doit se comprendre par « des procédés lisibles par machine » (c’est-à-dire l’utilisation d’un langage informatique universel). Le propriétaire de la base de données est ainsi appelé à se manifester s’il n’entend pas autoriser le data mining sur son fond. Une fois de plus, le mécanisme du opt-out est consacré discrètement (17) ce qui interroge fortement lorsque l’on considère la position de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de livres indisponibles (18).

Obligation de sécurité. Sur l’obligation de sécurisation des données fouillées, les observations relatives à l’article 3 peuvent être reprises (voy. supra).

(1) Consultation été 2018.

(2) Sur le sujet, voy. J. Martin et L. de Carvalho, Mission du CSPLA sur l’exploration de données,juillet 2014 ; P. Kamocki, « Laissez fouiller ! L’argument pour les utilisations orthogonales des œuvres de l’esprti dans le contecte du débat sur l’exploration des données », RIDA, 2016, n° 1, p. 5. Aussi, l’article de S. Dussolier, « Realigning Economic Rights with Exploitation of Works : the Control of Authors over the Circulation of Works in the Public Sphere », in B. Hugenholtz (éd.), Reconstructing rights, Information Law Series, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2018, pp. 163-201.

(3) Le point de vue contraire a été soutenu. Ainsi S. Dussolier, « Realigning Economic Rights with Exploitation of Works : the Control of Authors over the Circulation of Works in the Public Sphere », op. cit. : « Text and data mining operations are easily excluded from a redefined scope of exploitation for two reasons. The first is that, absent the inclusion of mere technical copies in the economic rights, no exploitation activity could be found in the mere analysis and processing of data and texts implied by TDM. There is no public circulation of the processed works through an operation of text and data mining. A second reason is that the mining operation only aims at exploiting the data and information contained in the analysed material. The exploitation, if any, is not about communicating works, but only deals with data and underlying information. In conclusion, text and data mining should not be considered as infringing economic rights under copyright. Therefore, treating it as a privileged use under an exception, as envisaged in the proposed EU Directive on copyright in the Digital Single Market (proposed DSM Directive), is not necessary ».

(4) Royaume-Uni : Copyright Act, art. 29 A ; France : art. L. 122-5, 10 ; Allemagne : Urheberrechtsgesetz, art. 60d (exception en vigueur depuis le 1er mars 2018) ; Japon : loi japonaise sur le droit d’auteur, art. 47septies. Voy. M. Nagatsuka, « L’exception de data mining en droit d’auteur japonais », Revue francophone de la propriété intellectuelle, 2016, n° 3, p. 68.

(5) De nombreux éditeurs scientifiques préféraient, en effet, conserver une certaine maîtrise des données produites. Ils avaient, en effet, pris l’habitude de mettre en ligne les données sur une plateforme particulière ou de les mettre à disposition via des licences spéciales.

(6) CJUE, gde ch., 29 juillet 2019, Funke Medien NRW GmbH c/ Bundesrepublik Deutschland, aff. C-469/17, Propr. intell., 2019, n° 73, p. 26, obs. Lucas ; Com. com. électr.,2020, comm. 1, note Caron ; RTD com.,2020, p. 53, obs. Pollaud-Dulian ; RTD eur., p. 927, obs. Treppoz ; RIDA,2020, n° 163, p. 93, obs. P. Sirinelli et A. Bensamoun. CJUE, 29 juillet 2019, Spiegel Online c/ VolkerBeck, aff. C-516/17, Propr. intell.,2019, n° 73, p. 32, obs. Bruguière ; RTD com.,2020, p. 83, obs. Pollaud-Dulian ; RTD eur., 2020, p. 927, obs. Treppoz ; RIDA,2020, n° 163, p. 93, obs. P. Sirinelli et A. Bensamoun. CJUE, 29 juillet 2019, Pelham, aff. C-476/17, Propr. intell.,2019, n° 73, p. 46, obs. Lucas ; V. Varet, « Droit d’auteur et liberté d’expression : la Cour de justice entre régression et innovation », Légipresse,octobre 2019, n° 375, p. 541 ; Com. com. électr.,2020, comm. 11, note Caron ; RIDA,2020, n° 163, p. 93, obs. P. Sirinelli et A. Bensamoun.

(7) Voy. art. 2 de la directive.

(8) Voy. ici le considérant 12 qui vise les entreprises commerciales qui seraient actionnaires ou associés.

(9) Voy. considérant 8.

(10) Contre cette interprétation, voy. V.-L. Bénabou, « La loi pour une République numérique et la propriété intellectuelle », Dalloz IP/IT, 2016, p. 531.

(11) J.-M. Bruguière, « Intelligence artificielle et droit d’auteur. Sortir de la science-fiction des machines-auteurs, entrer dans la réalité du droit des données », Com. com. électr., 2020, n° 6, p. 11.

(12) N. Binctin, « TDM : un enjeu de l’intelligence artificielle », RIDA, 2019, vol. 262, n° 10.

(13) Voy. considérant 15

(14) Voy. considérant 16.

(15) Voy. le commentaire de C. Bernault, Propr. intell., 2019, n° 72, pp. 39 et s.

(16) CJUE, 23 janvier 2014, Nitendo, aff. C-355/12, Comm. com. électr., 2014, comm. 26, obs. C. Caron ; Propr. intell., 2014, n° 51, p. 176, obs. J.-M. Bruguière.

(17) M. Beurskens, P. Kamocki et E. Ketzan, « Les autorisations tacites. Une révolution silencieuse en droit d’auteur numérique. Perspectives étasunienne, allemande et française », RIDA,2013, vol. 238, n° 4, p. 2.

(18) CJUE, 16 novembre 2016, Marc Soulier, Sara Doke, aff. C-301/15, qui semblait condamner ce mécanisme du opt-out, Propr. intell.,2017, n° 62, p. 30, obs. (critiques) J.-M. Bruguière ;V.-L. Bénabou, « Pourquoi l’arrêt Soulieret Doke dépasse le cas ReLire : le contrôle par la CJUE des modalités de l’autorisation préalable de l’auteur », Dalloz IP/IT, 2017, p. 108 ; F. Macrez, « Soulier et la résurgence de l’auteur », D., 2017, p. 84 ; M. Guillemain, « Le consentement de l’auteur dans l’exploitation numérique des livres indisponibles », JCP E, 2017, 1128.

Article 5 : Exception en faveur de l’enseignement numérique et transfrontière

Vincent Varet

Avocat, docteur en droit, professeur associé à l’Université Paris II – Panthéon Assas

Article 5 : Utilisation d’œuvres et autres objets protégés dans le cadre d’activités d’enseignement numériques et transfrontières

1. Les États membres prévoient une exception ou une limitation aux droits prévus à l’article 5, points a), b), d) et e), et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE, aux articles 2 et 3 de la directive 2001/29/CE, à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2009/24/CE et à l’article 15, paragraphe 1, de la présente directive afin de permettre l’utilisation numérique des œuvres et autres objets protégés à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi, à condition que cette utilisation :

a) ait lieu sous la responsabilité d’un établissement d’enseignement, dans ses locaux ou dans d’autres lieux, ou au moyen d’un environnement électronique sécurisé accessible uniquement aux élèves, aux étudiants et au personnel enseignant de cet établissement ; et

b) s’accompagne d’une indication de la source, y compris le nom de l’auteur, à moins que cela ne s’avère impossible.

2. Nonobstant l’article 7, paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir que l’exception ou la limitation adoptée en vertu du paragraphe 1 ne s’applique pas, ou ne s’applique pas en ce qui concerne certaines utilisations ou types d’œuvres ou autres objets protégés, comme le matériel qui est principalement destiné au marché éducatif ou les partitions musicales, pour autant que des licences adéquates autorisant les actes visés au paragraphe 1 du présent article et répondant aux besoins et aux spécificités des établissements d’enseignement puissent facilement être obtenues sur le marché.

Les États membres qui décident de se prévaloir du premier alinéa du présent paragraphe prennent les mesures nécessaires pour garantir que les licences autorisant les actes visés au paragraphe 1 du présent article sont disponibles et visibles de manière appropriée pour les établissements d’enseignement.

3. L’utilisation des œuvres et autres objets protégés à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement réalisé au moyen d’environnements électroniques sécurisés qui a lieu dans le respect des dispositions de droit national adoptées en application du présent article, est réputée avoir lieu uniquement dans l’État membre dans lequel l’établissement d’enseignement est établi.

4. Les États membres peuvent prévoir une compensation équitable pour les titulaires de droits pour l’utilisation de leurs œuvres ou autres objets protégés en vertu du paragraphe 1.

I. – Justification et objectifs de l’exception

L’instauration, par la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE(ci-après « directive »), d’une exception en faveur de l’utilisation d’œuvres et autres objets protégés dans le cadre d’activités d’enseignement numérique et transfrontière est justifiée par un double constat (considérant 19 de la directive) :

D’une part, la portée du droit existant (antérieur, donc, à la directive) est incertaine dans son application à l’univers numérique, ce qui est générateur d’insécurité juridique.

D’autre part, ce droit existant ne régit pas les situations transfrontières, ce qui suscite également des difficultés à l’heure où l’enseignement à distance en ligne prend son essor ; ce dernier pourrait être, de ce fait, entravé, ce qu’entend éviter le législateur européen.

L’objectif affiché de l’article 5 de la directive et de l’exception qu’il instaure est donc (i) d’assurer la sécurité juridique des établissements d’enseignement lorsqu’ils utilisent des œuvres ou autres objets protégés sous forme numérique dans le cadre de l’enseignement qu’ils dispensent et (ii) d’offrir un cadre juridique à cette utilisation lorsqu’elle est transfrontière.

Il est manifeste que, avec cette exception, le législateur européen a souhaité faciliter l’essor des nouveaux moyens numériques d’éducation, et opéré une balance entre cet objectif et les intérêts des titulaires de droits.