Dispersée - Marie Jamin - E-Book

Dispersée E-Book

Marie Jamin

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Beschreibung

Ce recueil vous offrira de courts et intenses instants de vie, une mise à nu honnête et poétique de l'âme.

Il existe un concept que j’adore : Il paraît que nous serions composés de la somme de nos expériences. Que chacune d’elles a sa propre texture, sa contenance, sa couleur, sa saveur et sa place. Puis, qu’inconsciemment, nous rangions tous ces vécus à l’aide de compartiments internes que nous choisissons presque de façon mécanique. Un peu comme un meuble écarlate où s’aménagerait notre intime.
Je suppose que le tri se fait via les mœurs, les nôtres mais surtout celles des autres, et de ce qu’on a pu ressentir. Certains événements seraient alors assumés et déballés quand d’autres finiraient enfouis bien au fond, cachés au possible. Le tout normalement bien ordonné, certains placés ici dans la caboche, d’autres là dans le cœur, ou qu’importe où dans notre dedans.
Je crois que je suis dysfonctionnelle : C’est un bordel dingue dans mes cases intra-muros.

Des textes tour à tour noirs, mélancoliques, sensuels et passionnés qui vous feront vous sentir vivant.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née en 1983 en Normandie, Marie Jamin dessine depuis qu’elle a l’âge d’avoir un crayon dans la main. C’est tout naturellement que tout son cursus scolaire se fit autour de l’Art. Depuis 2010, elle est à son compte comme artiste libérale où elle peut s’épanouir en explorant tous les pans du grand univers qu’est l’Art : les différentes techniques de peinture, de dessin, la musique, la création d’objets décoratifs et de bijoux, le tatouage et l’écrit. Marie a déjà été éditée plusieurs fois, en tant qu’auteure ou illustratrice. La liberté que lui procure son entreprise lui a permis de se lancer dans plusieurs projets tels que la création d’une association d’artistes et d’artisans solidaires où, à chaque événement organisé, une partie des ventes permet de participer à une bonne œuvre, la reprise d’un agenda culturel bien connu en Normandie ou encore sa formation complète au reiki. Elle continue aujourd’hui à exposer, recevoir de plus ou moins grosses commandes publiques et privées, mais elle consacre la plupart de son temps au tatouage.

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Marie Jamin

 

 

 

 

 

 

Dispersée

 

 

Recueil poétique

(oeuvre fictionnelle)

Illustration graphique : Graph’L

Crédit photo: Emma Muller

Art en Mots éditions

 

 

 

La nuancière

 

Elle semble vouloir se colorer la vie d’une nuance qui n’existe pas. Moi je pense qu’elle se décompose en trompe-l’œil, en vitrail découpé.

Parfois, un instant, on dirait qu’elle l’a trouvé, son précieux ton, et puis, soudain, elle déchante pâle, la palette pèche, saturation trop pastel, la teinte est terne et la tonalité non-adaptée.

Aucune perspective, esquisse décevante. Nouvelle croûte.

 

Alors elle s’expose aux traumatismes chromatiques. Elle se dilue lavis en polychromie. Se grave le vernis d’un croquis de plus.

 

Elle dit qu’elle la sent, au fond d’elle, la couleur exacte dont elle a besoin mais qu’elle ne peut pas me la décrire. Elle sèche. Elle pense qu’aussi puissants soient les mots, il n’en existe aucun d’assez clair-obscur et contrasté pour décrire son vœu monochrome.

Elle dit que les mots sont daltoniens. Que d’essayer de me dépeindre son souhait serait le détremper aquarelle.

Qu’à défaut de peintre à la hauteur, son spectre est transparent.

 

Je lui ai assuré, pourtant, comme elle est un prisme, qu’elle porte en elle l’éventail arc-en-ciel. Dans son décor, sa couleur s’y trouve forcément. Son rayonnement est infini, ce qu’elle cherche, elle en est enduite déjà, à l’intérieur.

Mais ça ne lui suffit pas.

 

Elle pense qu’elle est un nuancier, une galerie de tous les aplats rencontrés dans sa vie, mais qu’il manque forcément une couleur à sa fresque.

Alors je la regarde, impuissante, s’éparpiller les pigments primaires, passer d’un châssis à l’autre, nager dans le flou artistique de l’impressionnisme.

Confuse, se saturer.

 

Insensibilise

 

Au début, je pensais que j'étais juste venue pour passer le temps.

Prendre l'air, sortir un peu, voir du monde...

Mais quand, derrière le comptoir, essuyant négligemment un verre, le patron du bar m'a lancé sans même me jeter un coup d’œil :

" Alors ma jolie, c'est quoi ton poison ?"

J'ai compris.

 

Ce mot-là, "poison", son trait d'humour, il m'a résonné jusqu'à l'inconscient et, au passage, a bien tout bousculé en surface.

Mais bien sûr, je voulais foncièrement m'empoisonner.

J'en ressentais même complètement le besoin.

Du plus profond de mes tripes.

C'est exactement ce que j'étais venue chercher.

 

"Hey Chef !

Sers-moi ce que tu as de plus fort !

Drogue-moi !

Oui, empoisonne-moi !

S'il te plaît !

Pitié...

Aujourd'hui, je suis fatiguée.

Vraiment.

À force de chercher l'intense, de me battre pour trouver du joli et le distribuer, d'aimer trop fort, je m'épuise et m'assèche.

 

Je ne veux plus courir après l'ivresse.

Il me faut du « qui me chauffe sans pétiller ».

Donne-moi l'anesthésiant qui brûle l'intérieur, cautérise là où personne n'arrive à vraiment m’enflammer.

 

Endors-moi le temps d'une pause.

Que de tout mon poids j'étouffe ton comptoir et que j'y dépose mon trop plein de tout accumulé bêtement.

 

Sers-moi le poison transparent.

Celui qui diluera la saturation exagérée des couleurs que je m'acharne à placer dans ma vie.

Je n'en peux plus de ce manège arc-en-ciel, il me file le vertige.

 

Du spiritueux pour passer l'orage.

J'aime fort l'orage mais là, tout de suite, je n'en veux plus.

J'aurai davantage besoin de sa couverture nuageuse pour m'y rouler, y disparaître.

Cocon.

File-moi du toxique, ça accélère la combustion des bouts de chandelle.

Et oui, tu crois quoi ?

C'est bien beau de mordre la vie à pleine dent, mais ça la raccourcit.

Quand la quantité est ennuyeuse, la qualité est épuisante.

Oh Tavernier !

Abrutis-moi de venin !

Place-moi dans une case, que je m'y cache, sagement invisible.

Mets-moi dans un coin.

Éteins la lumière.

Oublie-moi.

Et, juste pour aujourd'hui, je t'en supplie,

Fais que je m'oublie aussi."

 

Myosotis

 

« Tu es vraiment trop fleur bleue » jugeaient-ils, le nez froncé, les yeux au ciel.

Une fois de plus, elle ne les comprenait pas.

Pas mieux qu’ils ne l’appréhendaient.

Encore ce mur érigé entre eux, paroi subtile invisible si limitante.

Ils médisaient par comparaison de jolitudes. Illogique comme un compliment-reproche.

Complètement qu’elle était « fleur bleue » ! Où était le mal ?

De préférer les couleurs de romance aux relations pâles ;

De rêvasser du tout doux des dentelles-pétales ;

De se blottir au creux d’arôme bouquet ;

De sentir éclore les papillons d’abdomen et les laisser librement butiner...

Alors, l’humain en était rendu tellement blasé qu’il préférait nier ses sentiments pour les qualifier « niais » ?

Elle trouvait tellement triste de les voir transis en forteresse congelée, là-haut.

Oui, « là-haut », posés sur une montagne de condescendance.

Quand même, elle espérait qu’un jour, au moins l’un d’eux sera pris de sa même folie et qu’il viendra la retrouver dans la forêt d’en bas.

Qu’ils s’élèveront plein de papillons saturés puis, hilares, s’ébattront au milieu des fleurs d’azur.

Puis du palais, les autres blêmes, s’en mordront les doigts glacés de voir combien, loin d’être niaise, la « trop fleur bleue » est délurée.

 

Quatre heures à tuer

 

Quatre heures… J’avais quatre heures à tuer.

Tuer le temps, quelle expression étrange.

Nous qui avons inventé ce concept, tuer notre création, c’est un peu un infanticide.

Soyons réaliste : si l’un doit tuer l’autre, à terme, qui gagne ?

Quatre heures à tuer dans cet enfer de gare parisienne.

Au quotidien, moi, je vis dans la forêt, loin de cette foule et du bitume.

Là, il m’a fallu prendre des bus/tramways/métros et ne pas rater mon train : J’ai cru crever d’une trouille urbaine.

Cette même trouille qui m’a poussée à partir bien trop tôt de mon hôtel, à quitter bien trop tôt mes amis, pour être sûre de ne pas me perdre dans la toile complexe des transports en commun.

Sans parler des autres paramètres à prendre en compte : mon corps subissait encore les attaques nicotino-éthyliques des excès du week-end.

Excès qu’un trop peu d’heures de sommeil n’avait pas su balayer.

Le corps en berne, oui… Mais l’esprit nourrit de rires, de folies, d’amitié, de couleurs et de vie.

Donc, quatre heures à tuer… Mais j’avais bien de quoi m’occuper : le sac plein d’écrits qui n’attendaient qu’à être lus.

Après deux jours passés au salon du livre, ma liste de pages à avaler s’était encore allongée. Tellement qu’il me faudra plusieurs vies pour en venir à bout.

Au détriment des membres plus anciens de cette liste, m’attendant sagement au pied du lit, j’avais commencé à me plonger dans les mots d’un bijou acheté hier, attirée par son titre, par l’esthétisme de sa couverture et par le choix du pseudonyme complètement décalé de l’auteur.

De l’auteurE, même je pensais, je le sentais, c’était UNE auteure, une énergie tellement délicate et féminine se dégageait de ce début de lecture.

 

Son choix de mystère était une technique commerciale acérée et réussie, la curiosité démangée, je ne pouvais que m’appauvrir un peu plus du portefeuille pour me soulager. Et quelle frustration quand j’avais appris que cet écrivain(e)-fantôme avait été présent(e) sur le salon quelques heures auparavant.

En dédicaces privées.

Plus j’avançais dans ses lignes, plus je m’en mordais les doigts d’avoir raté cette possible rencontre. J’aimais ses jongleries de mots, ses images pétillantes, son histoire incroyable, son univers entier et comme l’auteur(e) rebondissait ses phrases.

Quatre heures, ça ne sera jamais assez, en fin de compte, pour une fois que je n’avais que lire à faire.

Il fallait que je me replonge dedans. Vite. Y aller par étape : trouver un endroit à peu près cosy, se faire transparente dans un coin de gare, fuir la foule citadine et enfin me re-immerger.

 

Ne pas se laisser submerger par la somme des auras de tous autour, ceux qui s’entremêlent là, qui s’entrechoquent et te traversent en continu. Une multitude d’humains comme des bancs de poissons illogiques, multicolores et odorants.

Et puis, trouver une boisson chaude. L’air froid s’engouffrait partout ici, valsait avec la foule.

Il n’y avait pas de petit rade, bien sûr. Il allait me falloir suivre ce rituel de grande consommation à l’enseigne connue.

Quatre heures assise dans un fauteuil hype/vintage, dans le recoin hors prévision de la grande conso à m’être faite piégée la gourmandise. Ou comment se faire hypnotiser par les couleurs d’une affiche vantant une boisson délicieuse hors de prix et finir par payer une fortune un liquide vert dégueulasse.

Le vert, à Paris, c’est à la mode, plus ça a le goût de faux-sauvage, plus ils aiment, le semblant de détox semble déchainer les passions ici.

J’étais sûre d’une chose : jusqu’alors, je n’avais jamais mis dans ma bouche un truc aussi infâme. Mes voisins semblaient l’apprécier. Peut-être faisaient-ils semblant sous fashion coupe ?

Souvent, mes congénères, je ne les comprends pas. Mais soit.

C’est parti : je me créais une bulle d’un peu moins de quatre heures.

Me fermer les oreilles. Me couper des autres, surtout de l’homme ivre qui parlait vraiment très fort à côté. D’autant plus qu’il s’exprimait sans queue ni tête. Oublier ses odeurs de viandes cuites et du liquide infect dans ma tasse.

Ouvrir mon livre comme on se cache derrière un paravent.

C’est holistique, un livre, ça peut te séparer du monde corps et âme.

Un cocon tissé de phrases capables de te faire voyager sur place.

Soupir d’aise. Je ne savais même plus, entre mon livre et moi, lequel dévorait l’autre, à n’en faire plus qu’un.

Est-ce qu’ils en ont conscience, les auteurs ? Que l’on consomme leurs mots parfois si intensément que ça en devient érotique ? Comme ils nous rentrent à l’intérieur ? Et les émotions, et le plaisir qu’on en retire ? Ils savent ça ?

L’auteur est un pornographe qui s’ignore.

Et j’aimais très fort la personne que je lisais là. Elle arrivait à me faire sourire, me surprendre, me faire sursauter le cœur, me faire pleurer, me faire imaginer ses fleurs et la couleur de son ciel.

Elle m’offrait une belle rencontre : celle de son personnage. Je pouvais presque le voir, sentir sa chaleur, son odeur, goûter la saveur de sa peau du bout des lèvres.

Je n’étais pas loin d’en subir une éclosion abdominale de papillons, tomber un temps amoureuse de cette réalité parallèle, de ce personnage imaginaire et de son créateur/sa créatrice. Les sublimes insectes qui virevoltaient dans mon ventre, c’était le résultat de la fusion entre cet(te) auteur(e), sa créature et moi-même. Ils étaient un peu comme nos enfants.

Clouée à mon fauteuil, je virevoltais avec eux.

Plongée dans mon bijou littéraire, je naviguais dans des nuages arc-en-ciel de bonbon-mots quand, soudain, une corde-réalité apparut, m’attrapa la cheville et m’arracha violemment de mon cocon. Elle me fit redescendre à la gare d’un coup sec.

Bulle explosée en mille morceaux de rêves avortés rebondissant et s’éparpillant partout, éclaboussant au passage mes voisins buveurs de vert.

Mais qui avait osé me ramener ici ? Elle était à qui, cette corde ?

« Madame ??? Maadaaaame ??? Vous m’entendez ? Youhouuuu ! Elle est sourde ou quoi, elle ?! »

Un homme.

Pas bien grand, pas bien petit.

Pas bien gros, pas bien mince.

Pas bien beau, pas bien moche.

Un homme… Fade.

Avec une aura de gros nuage gris tout autour. De celles qui te plombent et t’aspirent l’énergie à t’en vider la joie de vie.

Mais il me voulait quoi, lui, ce sans-gêne qui avait explosé mon paravent livresque ?

Je le regardais, un peu éberluée, en redescente littéraire, et grommelais un « moui ? » peu engageant.

« Vous vous poussez un peu ? Genre vous pouvez peut-être vous décaler ou mettre votre sac par terre ? Y’a plus d’places ! »

Ok, la politesse, lui, elle ne l’étouffait pas. Peut-être même qu’il n’avait jamais entendu parler de ce complexe concept.

Abruti.

Je levais ostensiblement les yeux au ciel pour bien lui montrer qu’il serait judicieux de ne pas trop continuer sur ce ton, chopais mon sac en soupirant bruyamment, me décalais et essayais de recréer ma bulle.

Bulle qui éclata de nouveau dans la seconde : mon voisin râlait à propos des fauteuils, de toute évidence, il n’arrivait visiblement pas à bien se caler le fondement. Il s’agaçait à répétition, son nuage gris noircissait et polluait notre alentour.

La serveuse, qui passait par là, en subit les foudres. Il lui hurlait son manque de rapidité et lui commandait la même chose que moi.

Que pouvait-il commander d’autre ? Il était tout aussi imbuvable.

Ma bulle ne tenait plus, le charme était définitivement rompu.

Je me rendais compte que j’avais su égrainer quelques heures. Mais pas encore assez.

Je restais dépitée devant le grossier : « qu’il avale son imbuvabilité et qu’il se casse ! » pensais-je tellement fort qu’il avait dû le sentir. Il me regarda de haut, snob, et me fit un sourire teinté d’hypocrisie... et d’autre chose… Le petit soulèvement de sourcil qui suivit me fit comprendre l’horrible réalité : il avait l’air d’avoir envie de jouer les séducteurs. Je la connaissais bien cette expression de gros lourdo à deux doigts de vouloir mettre les siens en moi.

Sauvée par le gong, son téléphone sonna. Ouf !

Je ravalais ma nausée en faisant semblant de replonger sérieusement dans mon livre. Mais il était hors de question que j’y retourne vraiment. Ces écrits méritaient mieux qu’une nauséeuse polluée par la conversation bruyante de son horrible voisin graveleux. C’était prendre le risque de le laisser pénétrer ma bulle de force. Un viol virtuel en quelque sorte. J’allais devoir laisser filer le temps autrement.

À défaut de pouvoir faire autre chose pour patienter, et parce qu’il me l’imposait, je me basculais l’ouïe de l’entente passive à l’écoute active. Quitte à subir, autant avoir l’impression d’être actrice, je n’aimais pas mettre mon nez dans les affaires des gens, mais là, c’était de bonne guerre. Et ça allait m’occuper cinq minutes.

Sa voix nasillarde s’imposait à moi quoique je fasse dans tous les cas. Elle me faisait l’effet d’un frottement de papier de verre sur le tympan. C’était très moyennement plaisant et me renvoyait, par opposition, au souvenir de ma douce bulle quittée à regret. Une fois de plus, ce n’était pas étonnant que l’Humain passe son temps à chercher à fuir la réalité d’une façon ou d’une autre. Quand on voit ce qu’il en fait.

Après la serveuse, c’était au tour de son interlocuteur de subir l’humeur de Môssieur. Il l’engueulait copieusement. Mon Dieu que cet homme était sans filtre ! Ou, en tout cas, en grosse carence de quelques-uns : celui de la politesse, du respect, de la délicatesse… pour ne citer qu’eux.

En général, ces filtres restaient plutôt pratiques dans la vie en société. Je dus m’avouer me trouver assez sociologiquement fascinée.

Le ton montait encore et toujours. L’éventail de ses filtres sociaux avait été absorbé par l’éventail de ses capacités sonores : quelle incroyable amplitude !

Ironiquement, j’en conclus qu’il n’était pas content du tout, mais alors vraiment pas ! Je décidai d’arrêter de subir et d’en sourire. Ce qu’il remarqua et eut l’effet de le rendre pire. Conséquence miroir inversé.

Il se vautrait dans la vulgarité à outrance. Se roulait dedans d’une furieuse délectation. Plus il s’enfonçait dans la nappe goudronneuse de sa colère et plus j’avais envie de rire. Mon spectacle devenait cramoisi, incendiait le téléphone et me lançait des regards noirs. D’une gêne délicieuse, je baissais la tête en pouffant.

Il raccrocha. Visiblement au nez de l’autre. Je n’avais pas réfléchi au fait que sa représentation allait devoir cesser, au bout d’un moment. Et que j’allais sûrement être en première ligne dans son choix de potentielles prochaines victimes.

Ce qui devait arriver, arriva :

« C’est moi qui te fais rire, connasse ? »

Cette fois, il m’avait eu. J’étais soufflée.

Je m’étouffais d’incompréhension. Je ne réagissais pas, un lapin dans les phares, emprisonnée en violente sidération.

Avant que je ne puisse retrouver mes esprits, il se leva, envoya valser son gobelet dans un tonitruant « Ce truc, c’est dégueulasse ! » ; ce qui, soudain, le rendit un peu plus pareil que moi et me permit d’émerger de ma torpeur.

Il partit comme il était arrivé : d’un brutal discourtois.

Les mots ont un pouvoir considérable, il m’avait comme physiquement frappée des siens. D’un sortilège pauvre en vocabulaire, il m’avait statufiée.

Flottement silencieux. Il avait médusé la gare entière, peut-être même la capitale ? La foule s’était figée, chaque membre qui la composait avait envie d’être transparent, le nez dirigé vers le sol. La vie semblait suspendue dans la gêne. Puis, quelqu’un fit tomber un stylo. Alors le monde entier s’engouffra dans cette brèche pour ainsi fuir et replonger dans son quotidien.

Encore plus d’une heure à tuer. J’étais au milieu de tous. Seule.

J’avais froid. Congelée de colère. Contre lui, bien sûr, contre eux, un peu, contre moi, surtout. Je l’avais laissé me parler d’une façon dont personne n’a jamais eu le droit. Je l’avais laissé partir tranquillement, retourner à sa vie de bourreau.

J’essayais de me consoler en me disant que cet homme, il devait être bien triste et malheureux, au fond. Mais j’étais encore piquée. Il me fallait du doux, du velours, du sucré, de la chaleur.

Je rouvrais mon livre pour qu’il m’ouvre les bras. Que j’aille me réfugier dans ce papier qui fût forêt, tout au fond. Et que la forêt me console. Comme chez moi. J’avais tellement hâte de retourner chez moi.

Les dernières minutes d’attente étaient passées. J’avais tant bien que mal réussi à avancer dans ma lecture sans trop la contaminer de ma colère ou de la noirceur de l’homme. Assise dans le train, pas peu fière d’avoir trouvé le bon et de ne pas l’avoir raté.

Une femme s’assit à côté de moi. Ce n’était vraiment pas contre elle, mais sa présence m’était pénible. Ma solitude me manquait. J’overdosais de mon prochain. Ma bulle, trop fine, menaçait d’éclater au moindre mouvement de voisine. Rien que par sa respiration. Essayer de me concentrer à garder ma bulle intacte me prenait tout l’esprit, je ne pouvais même plus m’immerger du récit. Je refermais le livre, éclatant moi-même mon cocon.

« Oh ! J’ai adoré ce livre ! - me lança-t-elle, - j’ai rencontré l’auteur au salon hier ! Il était assez différent de l’idée que je m’étais faite de lui, d’ailleurs, mieux vaut qu’il reste dans l’ombre. »

Je n’avais pas spécialement envie de discutailler mais la curiosité me poussa à lui demander le nom de cet homme si rare, précieux et délicat. Je crevais d’envie de mettre un visage sur ses mots. J’en étais déjà presque complètement amoureuse. Si, en plus, il était beau, c’était la cerise épicée sur le gâteau littéraire. Je savais bien que jamais je ne pourrais vraiment le croiser, mais mon fantasme prenait le pas sur la réalité et je le laissais faire. Je lâchais prise tellement c’était bon.

Elle me donna son nom. Un nom assez simple. Mais qui me paraissait être tout sucré sur ma langue quand je le prononçais à mon tour, l’air rêveuse.

Je me ruais sur mon téléphone, allumait la 4G et couru dans Google.

Son visage s’afficha.

Mon cœur loupa un battement. Et se mit à battre plus fort et plus vite, comme pour se rattraper.

Il rebondissait tellement, qu’il arrivait dans ma gorge. C’est bien, en bouchon il allait me permettre d’éviter de vomir.

Je n’allais jamais réussir à le finir, ce livre que j’aimais tant, ce livre qui m’avait fait tellement de bien. J’allais devoir faire le deuil de ma bulle.

Mon délicat auteur était l’infect imbuvable.

 

Bonbon

 

Il a des lèvres-sucreries,

bien charnues,

qui souvent s’acharnent sur les miennes.

Toutes les miennes.

 

De la tête qui nous sépare,

tant il est grand, mon bonbon,

il me fait , avec sa belle et longue échelle

à la peau cuivrée et à la toison d’or,

des allers simples vers les plaisirs du ciel.

Le septième dira-t-on, évidemment.

 

De ce ciel, ses yeux en ont pris la couleur.

Des yeux d’anges ? Oui…

c’est vrai qu’il n’a pas la bouille de l’insolence…

Et pourtant !

C’est bien en diablerie qu’il est mon meilleur complice.

 

Dans de grands éclats de rire,

avec mon bonbon,

on peut faire les 400 coups…

Surtout quand les coups viennent de ses reins

jusqu’en moi.

 

C’est un bonbon bien spécial,

sculpté aux plaquettes de chocolat.

Pourtant, il ne fond pas dans la bouche,

mais moi…

moi, je fonds.

 

Du sucre mais pas de caries,

des couleurs toutes légères,

des bêtises qui font rire et frissonner,

c’est sain et bon pour la santé.

 

Alors tendons du délicieux vice vers ça !

 

Suspendue

 

J'aime bien, moi, quand je le peux, retarder.

Pousser les limites, flirter avec, j'ai toujours aimé ça.

Mais c'est vrai que c'est rarement aussi doux que là. Aussi chaud.

Et puis, dans mon cocon, je suis toute suspendue pendant que je retarde.

J'ai l'impression de me suspendre en même temps que le temps.

Je le sais, hein, que ça ne reste qu'un fantasme, que les minutes avancent.

Et bien, ça sera sans moi. Encore un peu.

Encore un peu..., je navigue entre la nuit et le jour.

La lumière dehors toque à la porte, me rappelle mes obligations, mes devoirs, la vie qui m'attend... elle essaye de m'amadouer avec l'odeur du café.

Mais là, je me vautre en semi-morte.

Et, insolence suprême, c'est moi qui décide quand aujourd'hui commencera. C'est tout.

 

"Grasse matinée"... C'est vrai qu'il y a comme ce genre de texture, c'est voluptueux.

La couette sur la tête, j'étouffe un peu dans ma propre chaleur odorante, m'anesthésie les sens.

Toute molle, m'étire, me frotte au tissu et me recroqueville fœtus.

Puis, soudain, sur un coup de tête, sans vraiment réfléchir, mais parce que ça sera "Maintenant", sans choix bien arrêté, comme par une pulsion sauvage, je me soulèverai, enfilerai quelconque tissu, me collerai un sourire sur les lèvres et irait l'affronter une fois de plus, la Vie, et tout ce qu'elle comporte de défis.

Tout à l'heure...

 

Quand je fus effoudrée

 

Me voilà arrivée à côté de « La Brasserie de la Mairie ».

Je suis en avance, il fait froid dehors, je vais devoir attendre dans la voiture qu’il me fasse signe.

Il se passe quelque chose d’étonnant. Là, dans mon ventre.

Ce n’est pas du tout pareil que les dernières fois.

En général, je ressens du stress, de la nervosité, la situation me résonne fort le manque de confiance que je peux avoir en moi.

D’habitude je me maquille un peu plus pour me cacher derrière, me rogne la peau autour des ongles au sang - RIP ma carrière comme mannequin de mains - même en conduisant… surtout en conduisant vers eux.

Parce que je suis toute divisée du dedans à chaque fois que je vais pour rencontrer un inconnu : « Que lui raconter ?... Va-t-il me trouver repoussante ?... Ou Inintéressante ? … Et moi, je suis curieuse de voir si, lui, est intéressant…  Est-ce qu’il est aussi beau que sur les photos ? … Va-t-il être aussi drôle qu’en virtuel ?... Vais-je rigoler niaisement ?... Si on boit du vin rouge, est-ce que le tanin va me colorer les dents en foncé anti-glamour ?...  Et là, maintenant, est-ce que j’ai un truc entre les dents ?! »

Quand on conduit, c’est dangereux de regarder dans le rétro si on a un truc entre les dents.

Pour ma défense, je n’étais absolument pas habituée non plus à ce genre de situation… Célibataire depuis longtemps après une longue relation, pas du tout une accoutumée du site de rencontre.

Juste un soir, comme ça, sur un coup de tête, en finissant ma bouteille de vin, bouteille que j’avais ouverte pour me réchauffer la solitude, les joues roses, le vertige éthylique et les dents noires de tanin, je m’étais inscrite sur ce site.

Persuadée de ne pas rencontrer de « vraies personnes ». Sûre de ne pas plaire aux hommes qui pourraient, eux, me taper dans l’œil. Sans trop connaître mes limites et mes capacités.

Et puis, sans me rendre vraiment compte, ce soir-là, je m’étais mise à discuter avec un homme…, deux, trois hommes… Une heure, deux heures, trois heures…

Et sourire niaisement devant mon écran…

Et même rire…

Puis Flirter !

Pour la première fois de ma vie, bien à l’abri derrière mon écran, j’avais osé flirter.

Alors, j’avais envie de les rencontrer, oui, surtout par double curiosité : celle de les découvrir et celle de savoir si j’en étais capable. Un par un, un par jour, je leur avais donné rendez-vous, un peu comme une sorte de casting de qui ils sont et de qui je suis.

Mon premier rendez-vous, j’étais dans tous mes états, mon déo n’y avait pas survécu.

J’avais manqué de m’étouffer avec mon café à la suite d’un compliment… Et j’avais passé un super moment.