Dix poètes roumains contemporains - Association POEMANIA - E-Book

Dix poètes roumains contemporains E-Book

Association POEMANIA

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Beschreibung

Une dizaine de poètes roumains vous sont présentés dans cette anthologie traduite du roumain, classés, non pas dans l'ordre alphabétique, mais de manière aléatoire pour un panorama éclectique de la poésie roumaine de nos jours : George MIHALCEA, Costel STANCU, Constantin SARGHIUTA, Gabriel DINU, Daniela TOMA, Ionut CALOTA, Radu ULMEANU, Mihai CIOBANU, Carmen Maria MECU, Valentin IRIMIA. J'ai préféré laisser parler la poésie elle-même. Lisez et prenez du plaisir à cette découverte, sans plus attendre ! (Gabrielle DANOUX)

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Seitenzahl: 166

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Table des matières

George MIHALCEA

Costel STANCU

Constantin SÂRGHIUŢĂ

Gabriel DINU

Daniela TOMA

Ionuţ CALOTĂ

Radu ULMEANU

Mihai CIOBANU

Carmen Maria MECU

Valentin IRIMIA

Avant-propos de la traductrice

POEMANIA m’a été recommandée par Gabriel DINU dont j’ai déjà traduit trois livres. J’ai aussitôt adhéré aux valeurs défendues par cette association culturelle roumaine qui se propose surtout de promouvoir des poètes peu connus mais qui méritent largement de l’être, au point d’accepter rapidement de traduire cette anthologie comprenant presque 270 poèmes, dont certains inédits en roumain.

J’ai, volontairement et peut-être à tort, écarté de la traduction les propos de Mihai CIOBANU, considérant que le lecteur francophone a surtout envie de faire connaissance directement avec les textes, sans effectuer de détour par des problématiques concernant parfois uniquement la Roumanie. Par ailleurs, cette préface reprenait une sélection de vers déjà présents dans l’anthologie et résonnant comme des définitions de l’acte poétique.

J’y ai, à ce propos, conservé le poème L’étrange peuple des poètes de George MIHALCEA dont la force évocatrice est sans appel et qui constitue une sorte de manifeste pour que vive encore la poésie, pour que les poètes continuent invariablement d’être lus.

Une dizaine de poètes roumains donc, classés, non pas par ordre alphabétique, mais de manière aléatoire pour un panorama éclectique de la poésie roumaine de nos jours : George MIHALCEA, Costel STANCU, Constantin SÂRGHIUȚĂ, Gabriel DINU, Daniela TOMA, Ionuț CALOTĂ, Radu ULMEANU, Mihai CIOBANU, Carmen Maria MECU, Valentin IRIMIA.

J’ai préféré laisser parler la poésie elle-même.

Lisez et prenez du plaisir à cette découverte, sans plus tarder !

George MIHALCEA

L’étrange peuple des poètes

les poètes sont un étrange peuple migrateur

se dirigeant vers un continent aux abrasifs silences

on leur refuse l’appellation d’espèce protégée

ils ne sont lus que lorsqu’il est déjà trop tard

pour remédier encore en partie au moins à

la marche de travers sur les eaux

des dieux assignés au portage de nuages

à travers le sommeil souterrain des mots

aucune femme ne ment assez pour les poètes

les seuls en mesure d’évoquer la septième ride

sous les yeux cernés des grandes dames

que les diables les emportent tous ces misérables

qui osent inventer des mers et des îles nouvelles

autres que celles où ils furent exilés

bien avant leur naissance

et pourtant je vous dis encore ceci

si le poète se tait

tous les oiseaux se pendront

à leur propre cri

Sous la morsure de la bête sauvage

à Livia

J’ai la nostalgie d’un corps bleu de femme

Comme de forêts dans un rêve pétrifiées

Ou de neiges hautes comme trois ages,

J’ai la nostalgie de la bête sauvage m’ayant tué

Mais cette mort ne fut pas mortelle

Et ces années ne furent entièrement pas

Tirés sur cette roue qu’était la femme,

Bête sauvage à l’assaut de mes derniers pas…

Pas qui ne peuvent plus faire que la nuit

Ne hurle plus nuitamment ni vainement,

Puisque sous la morsure de la bête sauvage

Je demeure vivant, de plus en plus vivant !

Le huitième jour de la création

au bout de cette dissipation de l’été

il s’était mis à pleuvoir en grande beauté

sur nos noms d’anges

du passage clandestin à travers les rêves

de sorte que toutes les eaux se sont figées

sous des ombres dorées d’oiseaux pas encore nés

et Dieu encore un jour de

repos s’est octroyé

L’embrasement du tout

encore un oiseau de la terreur

qui surgit de la mer

et coupe en deux parts égales

ton nom de femme

il m’en donne une en gage

pour le passage par les douanes du brouillard

tandis que la seconde il la cache

sur l’île immergée dans le silence

où tu m’as enfoncé entre les épaules

l’épée de bronze du baiser

comment puis-je encore m’étonner de la nuée

des nuits qui dansent entre tes seins

quand notre histoire entière

est contenue dans une seule parole non prononcée

et que nous n’avons plus rien à laisser en héritage

après avoir totalement brûlé sur le bûcher de la

stupéfaction

d’avoir jadis été ici aussi

Flottant à travers la nuée de cris

encore une saison hivernale qui court les rues

déguisée en femme d’une seule nuit

la police municipale s’est alertée

et fait monter dans ses cars ceux qui distribuent des bons

vœux

pour trouble à l’ordre public

mais surtout parce qu’ils parlent trop

de quelqu’un qui voyage sans passeport

sous les nuages de l’empire

flottant avec somnolence à travers la nuée de cris

surgis du balancement des histoires interdites

je songe à nouveau à la bonne fée des sables

comme au passé réinventé

par je ne sais plus qui

à chaque oscillation de signe du zodiaque

Rêve par 39° Celsius

elle est partie vers le nord

tandis que moi vers le sud

les lambeaux de son ombre

font un goutte-à-goutte chaotique

au-dessus du sable du silence remué

qui nous avait définitivement projetés

sur un atoll de cendres

moi, en revanche,

resté sans ombre

je suis devenu seul le souffle

d’un sursaut de baiser

entre ses épaules de reine

de mon île

perdue au jeu

Quatre histoires sous l’emprise du gel

gel jamais vu

à la lisière de la forêt

vagues traces de pas

des femmes cherchant

la larme de l’étoile d’hier

froid glace et c’est tout

loin vers le sud

grues cendrées rêvées par les pécheurs

ici le dur hiver

ponton abandonné

pris dans les neiges

les canots crépitent

*

Nous deviendrons ma bien-aimée

le point d’où l’on peut voir

l’étrange alignement des planètes

nées jadis

quand entre moi et toi

un tel silence régnait

que toutes les eaux

s’étaient, dans leurs lits, figées

depuis nous nous vouons

aux dieux des forêts de pissenlits

et nous ne nous cachons plus

ni à cause des gens de la mer

ni de la griffe de brouillard

de notre temps trop court

Prière murmurée

verse, chère mère, une larme

pour moi aussi

l’égaré entre les étoiles filantes

cordes d’obscurité

où je suis pendu

à un chant

que je ne cesse d’oublier

Histoire avec des papillons carnivores

je tâtonne terriblement

dans le lit de cendres

où nous avons pétri nos petits

et sous mon front

explose de nouveau

une espèce rare

de papillons carnivores

dans ma mémoire discontinue

il fait de plus en plus froid

comment faire pour te détacher du brouillard de la

bourgade transylvaine

où nous avons été les seuls témoins

de la multiplication par division directe

des cris qui heurtaient les fenêtres

tandis que sur nous s’abattaient

les porteurs de l’ennui, de masques

s’étant échappés d’un rituel orphique

à présent comme alors je purifie le rêve de ses craintes

et je me guéris de chemins perdus à aimer

sans voir la meute de papillons

m’observer avec convoitise

L’éteint retour sur le mont des fruits

Cette femme-là, presque une enfant

dort sous ton front

comme si toutes ses forêts

s’y étaient perdues

ta progéniture est déjà plus âgée

que la plaine sylvaine nommée Fruit

où tu leur as appris pleinement

le tard dans les seins et dans les entrailles

sous un soleil étranger

le rêve présent n’est rien d’autre

qu’une histoire inachevée

dont tu ne peux plus sortir

jusqu’à ce qu’il soit dévoré

par les chiens de la mémoire

*

je vais me taire

jusqu’à l’autre

bout de la mer

ensuite je vais crier

que je suis vivant

et les pluies non plus

ne sauront

sous quelle saison

je me suis caché

Le psaume du départ

à travers les terres des cieux

les troupes des anciens chevaux galopent sauvagement

montés par des femmes sans ombre

derrière eux s’effondrent toutes les murailles

qui me séparent des oiseaux de l’obscurité

baptisés en secret avec les noms des eaux

où je me suis attardé et où j’ai pleuré

libère, Seigneur, de Ta larme

mes années sous les mers demeurées invisibles

pour que je puisse Te dédier ce chant de départ

vers le sommeil profond des parents

ayant trébuché sur le sang lourd de Tes plaies

Ma part de temps et de pluies

« les mots viennent d’un autre monde

même s’ils s’apparentent à nous »

a dit jadis quelqu’un à une époque

où piliers chassant l’obscurité

nous surgissions des tombes des anges

tandis que le rêve nous faisait terriblement plus mal

que le cri de goéland

hérité de père en fils

ma part de temps et de pluies

est restée sans mains et sans pieds

où pourrais-je encore fuir vers quel étonnement

quand les lignes de force de son rire à Elle

ont volé en éclats à la sortie de la mer

je me tiens tout droit et les yeux fermés

devant la Haute instance des nuages

et je rends des comptes pour le vol de nuits

mais surtout pour les volutes de brouillard

éparpillées dans la fièvre des départs

vers les jamais vues eaux

il y a des jours durant lesquels tu sembles t’effilocher

Ma prière muette

Sainte mère Marie

trop pure et à jamais vierge

lave-nous de la haine et du dégoût

avec Ta larme

car nous nous sommes vêtus

du ricanement de la bête sauvage

et nous avons oublié comment pleurer

égarés que nous sommes

sous la poussière du plus inique

des siècles

L’instant où je T’appelle

à toujours marcher dans des dunes de rosée

dans l’aveuglement du siècle égaré

j’ai cessé de voir sous les mers inconnues

autre chose que des chevaux au galop odieux

et un grand silence tombe

plus rien ne bouge et il fait froid

tandis que dans mon œil une épée s’enfonce

au même instant où je T’appelle

Nous pensons une chose et nous disons une tout autre

(ou une autre version du Malentendu)

je pense à l’immobilité

mais je prononce le mot main

je me concentre très fort

en songeant à une femme

mais la bouche pleine d’amadou

s’entête

et balbutie rivage

je pense à l’enfant

sachant déjà que je dirai

autre chose à un autre endroit

et, en effet,

mes lèvres murmurent

un grand silence

autour de moi il n’y a plus

que des murs

qui fondent

sous l’effet de l’acide sulfurique

de nos regards

La mort est un diamant avec plusieurs facettes

nuit après nuit dès que je ferme les yeux

je meurs différemment tandis que les derniers instants

se dilatent comme une femme à l’accouchement

je croyais avoir expérimenté

toutes les façons de mourir

mais je me suis trompé

le supplice de la roue les fourches levées

l’empalement la guillotine le bain d’huiles brûlantes

le sacrifice dans un temple maya

et tout ce qui nous est arrivé d’autre

nous sommes devenus de simples bagatelles

car le dieu qui a maudit en se disant mon père

se distille en moi péniblement

et invente toujours autre chose

le plus cruel c’est cependant

quand j’ouvre les yeux cernés

par la brûlure du cauchemar

car je vois à travers le sulfurique brouillard

tourner en ronds de plus en plus petits

toujours la même grue cendrée avec son bec en onyx

dont s’égouttent les restes

de mon sang infesté

la mort est un géant diamant noir

avec plus de facettes que le Koh-i-Noor

me dis-je tandis que je tente de m’évader

en chevauchant follement et l’épée à la main

des tortues volantes du maître de Hobița

Ils ont voulu Te tuer

ils ont voulu Te tue ils croyaient t’avoir tué

de la nuit s’égouttait le fiel et encore une étoile tombait

même les apprentis d’après ce que l’on confesse

étaient cachés dans les brouillards oublieux de tes

promesses

ô Eli Eli Eli quelle larme venait

sur Ton front trempé du sang sanctifié

envoyé par le Père lui-même et à la parole arraché

piétinant énergiquement la mort pour la vie Te redonner

seuls souriaient dans leur sommeil les bébés apprenant

que le miracle s’était accompli et sur les nuages Tu

flottais

alors qu’au petit matin les gardiens pâles et effrayés

voyaient l’Inconnu mais point ne le reconnaissant

depuis, des siècles passèrent et un autre temps arrivera

Tu illumines pour l’éternité même si trop d’aveugles

Te rouspètent même par ces temps apocalyptiques

mais je sais qu’eux aussi Tu les renforceras

prête-moi, Seigneur, au moins un clou

pour l’enfoncer dans le front de la mort quand du rêve je surgis

et qu’ensuite je tisse pour Toi à la fleur d’abricotier des tapis

pleurant de la joie qui appartient à tout

Chevaux frappés à mort1

mes chevaux frappés à mort

personne ne les pleure et ils ont tort

seuls les vieillards vêtus de brouillard épais

ressuscitent pour leur enseigner

comment fuir dans la dernière des forêts

pas encore par la hache touchée

mais le licol du temps les use

et d’en haut un ange noir tombe

en stoppant leurs hennissements hardis

vers les juments du paradis

Tardivement au mois d’août

la nuit dernière

je me suis enveloppé dans sa respiration

ensuite j’ai tamisé des murmures

à l’odeur de silence d’oiseau

j’ai rendu limpide le chemin vers Ithaque

en lui ôtant les brouillards amers de l’illusion

que deux nous sommes

et j’ai dit que tout allait bien

1. Note de Mihai CIOBANU : Lors du processus de collectivisation, les communistes ont dépouillé les paysans de tout ce qu’ils possédaient, y compris leurs chevaux. Quelques années plus tard, ils les ont même tués et ont inscrit sur des piliers installés à l’entrée des champs „s-a dovedit tovarși c caii este nerentabili” (on a prouvé, camarades, que les chevaux ne sont pas rentables). Cela a été raconté par Cristian Țopescu (avant 1989), un dimanche alors qu’il commentait une course équestre.Note de la traductrice : à noter également, une cacophonie présente dans la phrase. Toutes les autres notes sont de la traductrice.

Qui es-tu, mon corps d’obscurité ?

je me réveille avec des ongles qui ont tant poussé

qu’on dirait un sommeil de plus

de mille ans

je ne vois plus rien

à cause de mes sourcils

qui s’épandent sur moi

comme des mèches d’une autre forêt

tressées à une autre époque

et dans laquelle on entend parfois

des bruits de créatures étranges

qui es-tu mon corps d’obscurité

et qui te creuse en y extrayant

des morceaux de chair avec des reflets opalins

quelle sorte de sang pulse dans ton oreille

quand tu parviens à déchiffrer les significations

d’une langue pas encore inventée

pour les hommes et les femmes de ton peuple

dévoué à un dieu qui l’a créé

à partir d’une larme déserte

j’ignore si tu te trouves encore à proximité

femme venue en retard depuis mes automnes

mais si tu es là, me diras-tu peut-être ce que j’ai fait

après être passés l’un à travers l’autre

à l’instar de deux poignards de feu à travers la panse du gel

et d’où viendra ce sommeil

plus lourd que tes seins sursautant

dans la lumière diffuse des yeux phosphorescents

de poissons abyssaux

peut-être me le diras-tu

mais en le chuchotant seulement

car c’est pour nous uniquement

Le passage quotidien par ses cercles conduisant au paradis

tout autour il n’y a plus rien d’autre à voir que

quelques étincelles hiératiques

de goélands égarés

sous la paupière pourpre du départ

même Toi, Seigneur,

je te sens de moins en moins

pourtant je passe chaque jour

par Tes cercles conduisant au paradis

mon ange est tombé

dans une mer étrangère

tandis que j’attends presque paisible

que la Lumière des Lumières vienne

D’en haut tombait un léger souffle d’anges récalcitrants

d’en haut tombait un léger souffle d’anges récalcitrants

de la mer surgissaient des fées qui vers le couchant criaient

que personne ne respire sur la rive supposée

sauf des regards jamais contés par des yeux brûlants

entrait aussi dans la ronde de l’automne une ville érigée

par-dessus la cité morte où nous étions des princes

par des anciens parents baignés dans de la belladone

et crucifiés sur le secret de la parole jamais prononcée

en nous le silence vendu à prix d’or dormait

tandis que le corps aérien de la dernière femme

dans une crainte de dents dépourvue se dissimulait

mais la dame des sables avec les plus lourds seins

et du gémissement de laquelle je suis le prisonnier

est à présent partie dans le paradis où manquent les

saints

Les tristes débris de la journée

les tristes débris de la journée du calendrier tombant

s’égoutte un soir agonisant dans les coquelicots hardis

tandis que tu vends tes grues cendrées et les abricotiers

étourdis

contre un cheval reçu en cadeau ou bien une larme de

sang

en vain invoques-tu tes parents si tu n’as pas de

traducteur

pour les paroles âpres prononcées inutilement

alors que ton passé se récrit par conséquent

avec de telles encres et toi, en ancien meneur

sur la mer disparue où un aveugle gardien

a fait couler ton embarcation et son équipage proscrit

tu n’es qu’un rêve de poisson veillé par un plongeon

catmarin

maintenant que souffle le vent à travers le siècle inouï

tu bois en lisant cette histoire dans un vieil abécédaire

une vodka diluée dans du vert de Paris

L’oiseau pétrifié dans un point

cet oiseau pétrifié

dans un point né de

la migration des nuages

vers des territoires du sud pas encore contés

est comme mon rêve

de toi

ce soir, ma chère

nous ne devons pas parler de nous

mais parler le silence du cri du sang

qui nous a béni nos nuits

ou mieux encore faire semblant de rire

de tout ce qu’on aurait pu être et que nous ne fûmes

point

Les versets de l’être

Je suis vivant, Seigneur, vivant

mais je cours après moi

comme l’oiseau après son chant

et je me rattrape rarement…

Je suis vivant, Seigneur !

Beaucoup tu m’as pris, beaucoup tu m’as donné

Il n’y a que toi qui ne m’oublies pas et qui ne me laisse

pas

me baigner dans l’eau de Ta Parole.

Je suis vivant, Seigneur, et je pèse

précisément autant que mon cri !

Je n’ai pas besoin de plus que cela…

Je suis vivant, Seigneur, ou est-ce juste une impression ?

Il est de plus en plus pénible le passage

à travers les marécages des jours.

Je suis vivant, Seigneur, comme si je m’étais réveillé

d’un sommeil de deux mille ans,

parmi les semblables qui veulent Te chasser !

Ils sont plus morts que les morts, Seigneur,

ceux qui crachent sur Ton nom !

Ne laisse pas, Seigneur, le Vivant périr

et pardonne même à ceux qui

te hissent quotidiennement sur la Croix !

À la toute fin, Seigneur,

s’il te reste un peu de temps

pardonne-moi aussi,

moi, le plus insignifiant de tous les apprentis,

celui qui plus d’une fois a douté

de la Vérité que Tu te trouves en toute chose,

du cri muet

du nourrisson tué sans raison,

jusqu’au bout de ma pensée

pour Toi.

Le chasseur de nuages

le vent du soir

fait tomber les fleurs du pommier

sous l’arbre deux vieux

loin d’être paisible

ce paysage extrait

d’un film de guerre

me rappelle les enfants égarés

dans les cendres de mes histoires

dans l’une ma grand-mère

confectionne des chaussettes

dans l’autre grand-père pleure

les chevaux volés

tandis que dans celle inachevée

il y a moi, le chasseur de nuages

et de femmes transparentes

qui m’ont appris

comment chanter sans étonnement

des retours

jamais arrivés

entre les seins tremblant

de tant d’attente

Que leur dire d’autre

que dire d’autre à grand-mère

sur son jardin de rosiers

où poussaient un peu n’importe comment

des chrysanthèmes et trois cents lys

que dire d’autre à grand-père

sur ses chevaux enterrés

si ce n’est que dans le silence de soie

des nuits des saisons oubliées

je les entends encore galoper

bien plus vivants que nous-mêmes

que me dire à moi-même

sur le noyer où je m’étais fait un royaume

alors qu’il n’y a plus ni grands-parents ni chevaux

ni forêt ni pré ni village

quelqu’un a regardé ennuyé

mes souvenirs

et les a coupés net

Arbre parfait pour en faire une croix

précisément quand je ne savais plus pourquoi

je suis exilé dans le brouillard amer

j’ai découvert un arbre ensanglanté