Éduquer autrement - Sylvain Wagnon - E-Book

Éduquer autrement E-Book

Sylvain Wagnon

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  • Herausgeber: Mardaga
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2024
Beschreibung

La société évolue, les enfants et les parents que nous sommes aussi. Alors, faut-il modifier l'accompagnement de nos enfants ? Faut-il les Éduquer autrement ? Quel type de pédagogie choisir ? Montessori, Freinet, écoles démocratiques, homeschooling... Autant de courants dont on ne connait pas toujours les particularités et l'impact qu'ils auront sur nos enfants et leur avenir. 

Dans cet ouvrage, Sylvain Wagnon analyse, avec son bagage de chercheur en histoire de l'éducation, les courants éducatifs apparus au début du XXe siècle mais aussi la psychologie positive, les neurosciences, le refus du cadre scolaire et le rôle des parents. Il examine, sans parti pris, leurs points d'accord et de désaccord, leur motivations et leurs ambitions. 

Le guide indispensable pour avoir une vue complète et éclairée des pédagogies alternatives




À PROPOS DE L'AUTEUR 

Sylvain Wagnon est Professeur à l'université de Montpellier et responsable du Centre d'histoire de l'éducation. Il concentre ses recherches sur l'histoire de l'éducation nouvelle et les défis des pédagogies alternatives et actives.




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Éduquer autrement

Sylvain Wagnon

Éduquer autrement

Tour d’horizon des pédagogies alternatives

Introduction

Depuis le début du XXIe siècle, dans la plupart des pays européens se créent des écoles, des établissements éducatifs qui se revendiquent comme des alternatives aux systèmes éducatifs publics en place.

Le terme « pédagogies alternatives » est percutant : c’est l’annonce d’une réforme ou d’une révolution de nos systèmes éducatifs. C’est aussi l’ambition d’incarner une autre voie, une autre façon d’éduquer, d’enseigner, de comprendre les apprentissages, de définir les relations entre adultes et enfants, de penser nos sociétés. En proposant une radiographie des pédagogies alternatives dans leur globalité, nous voulons comprendre ce phénomène émergent composé de multiples courants pédagogiques qui se cristallisent autour d’une distance et d’un refus, plus ou moins radical, de l’enseignement traditionnel. Autant de termes qui méritent d’être définis et analysés.

Cet ouvrage n’est pas un guide des différents acteurs qui composent cette constellation pédagogique, mais il soulève des questions sur les principes fédérateurs de ce courant éducatif. L’objectif est bien de comprendre, dans sa multiplicité et sa complexité, l’essor des pédagogies alternatives. À travers cette thématique du développement et de l’attrait des pédagogies alternatives, nous proposerons une réflexion plus large sur les nombreux défis et enjeux de nos systèmes éducatifs.

Une galaxie émergente

Depuis le début du XXIe siècle, les établissements à pédagogies alternatives se multiplient. Il s’agit d’un phé­nomène mondial. À l’échelle européenne, la proportion ­d’enfants scolarisés dans ces structures est très réduite. Les enfants et adolescents qui intègrent ces écoles ne représente que quelques dizaines de milliers en France1. Cette proportion, de 1 à 2 % d’une classe d’âge, est à peu de chose près du même ordre numérique dans la plupart des pays européens. La question des pédagogies alternatives peut ainsi apparaître comme marginale et mineure. Néanmoins leur progression est réelle, et les discours des militants de ces pédagogies rencontrent un grand écho dans les médias et une partie de la société. Au final, le nombre d’enfants scolarisés dans des structures alternatives est encore anecdotique proportionnellement à l’attrait grandissant pour une autre façon d’éduquer.

Ce phénomène éducatif n’est pas neuf et les courants de l’Éducation nouvelle, autour des pédagogues Maria Montessori, Ovide Decroly, Rudolf Steiner ou Célestin Freinet, ont voulu réformer l’enseignement traditionnel, au début du XXe siècle, en repensant la pédagogie. Des liens directs ou indirects existent entre ces deux nébuleuses : l’Éducation nouvelle et les pédagogies alternatives. Incarner l’alternative est d’ailleurs, pour ces courants, un enjeu majeur pédagogique et politique. Mais il convient de noter le succès du terme pédagogies alternatives qui fait que chacun, courants de l’Éducation nouvelle comme courants alternatifs émergents, revendique cette terminologie2.

En effet, ce terme regroupe un ensemble d’expériences pédagogiques qui sont parfois issues directement de la mouvance de l’Éducation nouvelle du début du XXe siècle, comme les mouvements Freinet, Decroly, Steiner ou Montessori, mais aussi toute une variété de courants qui font du triptyque, primauté des familles, impact des neurosciences et développement personnel, des notions fédératrices. Ces alternatives éducatives qui se développent depuis le début du XXIe siècle semblent à la recherche de nouvelles figures. Ainsi, si Montessori et Steiner restent des références, apparaissent de nouveaux noms, comme Daniel et Hanna Greenberg, Mimsy Sadofsky de la Sudbury School Valley pour les « Écoles démocratiques » ou John Holt (1923-1985) pour l’instruction à domicile.

Un courant pluriel

Analyser le courant éducatif des pédagogies alternatives, c’est prendre en compte une multitude d’îlots éducatifs qui possèdent des liens plus ou moins étroits entre eux. Nous avons choisi de regrouper des courants de pensée très différents dans cette « radiographie » du mouvement. Quels points communs, en effet, entre une école Montessori, une classe Freinet, des enfants d’une École démocratique ou pratiquant l’éducation à domicile ? Cet ouvrage, en choisissant d’étudier les pédagogies alternatives dans leur ensemble, répondra à plusieurs questions : comment définir les pédagogies alternatives ? Comment établir leurs principes directeurs et leurs spécificités, et enfin comment analyser leurs finalités ?

Le contexte est favorable pour les nouvelles initiatives en matière d’éducation. En effet, une part grandissante de la société s’intéresse et aspire à ce que l’on nomme le « développement personnel ». Ce concept réunit une volonté de prendre en compte les différentes facettes d’une individualité et celle de redéfinir, par le prisme du bien-être et du bonheur, son existence, celle de sa famille et de ses enfants. Ensuite, le regard envers l’institution scolaire, et notamment les écoles publiques en France, est de plus en plus critique3. Les évaluations internationales sur l’éducation donnent l’impression que l’enseignement actuel n’est pas adapté à l’évolution de la société. Or cette inadéquation est pointée du doigt par de nombreux acteurs sociaux. Enfin, du côté des institutions éducatives publiques, se dessine un mouvement de mutation : on n’observe peut-être pas un désengagement, mais, en tout cas, un désir de libéralisation du secteur éducatif. Ainsi l’essor des pédagogies alternatives pose-t-il clairement une question politique : celle de la transformation des paysages éducatifs.

Nous nous devions aussi de réfléchir aux finalités éducatives et nécessairement politiques de ces ­courants. Ces écoles sont-elles le signe d’un repli sur soi de nos sociétés ou symbolisent-elles l’essor d’une autre vision sociale, avec des rapports humains plus bienveillants et plus fraternels ?

Des révélateurs des défis éducatifs actuels

L’essor des pédagogies alternatives ne peut laisser indif­férent. Chacun, qu’il soit critique ou partisan, porte un intérêt à ce phénomène éducatif. Très présents médiatiquement, les débats sur les pédagogies alternatives permettent de réfléchir aux défis de nos systèmes éducatifs. Notre tour d’horizon des pédagogies alternatives donne plusieurs perspectives, qui témoignent de l’importance de cette question. Toutes ces initiatives, réflexions et créations d’écoles à pédagogies alternatives interrogent l’évolution actuelle et future de nos systèmes d’éducation.

Il est toujours délicat de définir une nébuleuse composée de multiples courants de pensée et d’en analyser les principes fédérateurs. Les courants et pédagogies alternatives actuelles sont difficiles à dénombrer, et proposent des intentions et des finalités éducatives divergentes.

Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de délimiter les contours d’un courant émergent, par définition insaisissable, mais d’en comprendre les dynamiques internes, les divergences et les logiques fédératrices. Il se joue, au cœur de cette constellation, une lutte – pour le moins concurrentielle – entre différents groupes qui ambitionnent d’incarner l’alternative légitime.

Les pédagogies alternatives s’insérant dans les débats politiques actuels, leur analyse est d’autant plus cruciale. Les caricatures, les descriptions réductrices et approxi­matives, les analyses militantes et hagiographiques ou ­outrageusement critiques qui entourent les pédagogies alternatives rendent nécessaire une clarification des fondements et des finalités politiques de ces mouvements. Leur connaissance est pourtant une nécessité, car il ne s’agit pas d’un effet de mode à la marge, mais bien d’une tendance de fond de notre société.

L’émergence des pédagogies alternatives en opposition à l’enseignement public pose la question de la libéralisation de l’éducation. Le phénomène de libéralisation et son corollaire de privatisation sont des mouvements importants, aux conséquences multiples pour les équilibres sociaux et politiques de nos sociétés. L’étude des pédagogies alternatives est au cœur de ces problématiques.

En s’intéressant aux pédagogies alternatives, cet ouvrage entre aussi dans un débat : comment ces écoles définissent-elles l’éducation et de la pédagogie. En effet, l’émergence des pédagogies alternatives place la définition de pédagogie elle-même au cœur des débats. Les pédagogies alternatives se comprennent par les idées et les pratiques qu’elles proposent, mais aussi par leurs critiques à l’égard de l’organisation de l’enseignement, de la forme scolaire et de la façon de penser l’éducation. Les pédagogies alternatives ouvrent le débat, non pas sur le plan stricto sensu scolaire, mais bien sur celui de l’éducation au sens large de l’individu.

La controverse ne porte pas sur la technique ou la méthode, mais bien les finalités de ces pédagogies. La question « quelle éducation voulons-nous ? » est liée à celle de « quelle société voulons-nous ? ». Une éducation se rapporte toujours à un projet de société. Comment construire une éducation émancipatrice ? La critique du système en place n’est pas l’apanage des progressistes. Les tenants d’un néolibéralisme économique et politique peuvent proposer une éducation « à la carte », singulière, qui certes peut apparaître émancipatrice pour quelques-uns, mais qui souligne surtout la volonté d’un entre-soi, assumée ou non.

Au final, nous devons nous demander quelles mutations, au sein de l’institution scolaire, révèle l’essor des pédagogies alternatives. Ainsi, les pédagogies alternatives impliquent-elles une privatisation de l’éducation, ou sont-elles les laboratoires d’une nouvelle école publique, d’une nouvelle façon d’enseigner ?

Pour la radiographie d’un courant éducatif

Cet ouvrage propose donc plusieurs axes pour délimiter et analyser ce courant éducatif. En premier lieu, pour définir les pédagogies alternatives dans leur variété et leur originalité, et afin de mieux cerner les ruptures et les continuités avec les pédagogies alternatives émergentes, nous devons analyser les courants « historiques » (Freinet, Decroly, Steiner et Montessori), car les pédagogies alternatives actuelles se positionnent toutes par rapport aux idées de l’Éducation nouvelle. Nous pourrons définir ce que sont les pédagogies nouvelles, actives et alternatives dans leurs similitudes et leurs singularités. Le cas de la pédagogie Montessori, courant historique, mais aussi modèle de toutes les pédagogies alternatives actuelles, mérite toute notre attention.

Nous examinerons, en second lieu, l’un des paradigmes majeurs des pédagogies alternatives : celui de l’éducation positive. La notion de ­développement personnel apparaît comme un leitmotiv structurant des écoles et des acteurs de ces courants. Comment comprendre la convergence des notions de bienveillance, positivité et bien-être au sein de ces pédagogies ? Quelles sont les attentes d’une éducation fondée sur le développement personnel et la psychologie positive ? Nous répondrons à toutes ces questions pour saisir les tenants et les aboutissants de ces pédagogies qui prônent une aspiration au bien-être et au bonheur.

En troisième lieu, nous nous arrêterons sur le rayonnement des neurosciences dans l’éducation pour mieux comprendre l’essor des pédagogies alternatives. La neuro­éducation est devenue l’assise « théorique » de ces péda­gogies. Se basant sur le caractère « scientiste » des neuro­sciences, et sur leurs impacts dans la société, ces écoles entendent « légitimer » leurs expériences éducatives par le biais des découvertes sur le cerveau. L’importance de cette nouvelle discipline scientifique amène ces courants à définir autrement l’éducation.

Ensuite, l’étude de telles formes éducatives nous impose de préciser le rôle des parents, acteurs majeurs de ces expériences éducatives. S’agit-il d’un retour des parents dans l’éducation des enfants ou même d’une revanche à l’égard d’une institution scolaire qui apparaît, pour une part grandissante de parents, comme ne répondant pas à leurs attentes ? Parentalité positive et hyperparentalité sont des notions nouvelles qui mettent en lumière une transformation éducative majeure : la lutte contre les violences envers les enfants.

Enfin, il convient de souligner les liens, les résistances, voire les oppositions, à l’institution scolaire publique. Présentes en majeure partie dans l’enseignement privé, ces écoles ne participent-elles pas à une privatisation, rampante ou assumée, de l’éducation ? Cependant, l’étude des pédagogies alternatives, qu’elles se situent hors ou dans l’institution scolaire, nous incite à analyser leurs liens avec cette institution et les différentes « stratégies » d’entrisme, ou d’évitement de l’enseignement public.

Toutes ces interrogations, récurrentes lorsque l’on aborde une alternative pédagogique, soulignent l’importance des finalités revendiquées, assumées et parfois niées de ces pédagogies. En effet, leur essor actuel est dû au malaise persistant à l’égard de l’enseignement public, mais aussi à une volonté nouvelle de prendre en compte l’éducation de ses enfants en tant qu’êtres singuliers. Ce double mouvement se retrouve dans la plupart des pays occidentaux et doit être relié à la libéralisation des structures d’enseignement.

1. Les sites de diffusion des militants des pédagogies alternatives, comme Le Printemps de l’éducation, estiment à près de 60 000 le nombre d’enfants scolarisés ou non scolarisés. En France, le chiffre officiel d’enfants non scolarisés est de 24 878, et cela sur les 8,2 millions d’enfants soumis à l’obligation scolaire, soit 0,3 % pour l’année 2014-2015. Ce chiffre comprend les enfants ­instruits en dehors de tout établissement d’enseignement public ou privé. Si le chiffre semble très réduit, il convient de noter son augmentation de plus de 32 % en trois ans. Voir Brugnera A. & ­Pau-Langevin G., Mission flash sur la déscolarisation, août 2018, Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale, http://www.autisme-france.fr/offres/doc_inline_src/577/Communication%2BMission%2BFlash.pdf et Miviludes, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (2015), Rapport 2013-2014 au Premier ministre, 29 avril. En ligne : https://www.derives-sectes.gouv.fr/sites/default/files/publications/francais/Rapport-au-Premier-ministre_2013-2014_Miviludes.pdf.

2. Actes du colloque Innovations : l’approche des pédagogies et structures alternatives, Caen, Espe, 18 mai 2018. En ligne : http://www.cemea.asso.fr/IMG/pdf/colloque-caen.pdf.

3. Kammerer B., « École publique, un monopole contesté », Sciences Humaines, n° 307, octobre 2018.

Chapitre 1 Éduquer autrement, une histoire ancienne

L’idée d’alternative n’est pas nouvelle puisque les courants d’Éducation nouvelle issus des pédagogies Célestin Freinet (1896-1966), Maria Montessori (1870-1952), Rudolf Steiner (1861-1925), Ovide Decroly (1871-1932) et Janusz Korczak (1878-1942), pour ne prendre que quelques figures incontournables, existent depuis la première moitié du XXe siècle et se sont structurés en réaction à l’école traditionnelle. Les pédagogies alternatives du XXIe siècle, qu’elles soient hors ou dans l’école, se revendiquent implicitement ou explicitement des courants d’Éducation nouvelle du début du XXe siècle. Ces expériences éducatives alternatives sont parfois des émanations directes de l’Éducation nouvelle, comme c’est le cas pour les écoles Montessori, Steiner, Decroly ou les classes Freinet. Par ailleurs, les pédagogies d’Éducation nouvelle, tout comme les autres pédagogies alternatives, sont des courants de pensées pluriels. Si les courants d’Éduca­tion nouvelle sont cadrés par une pédagogie spécifique, les pédagogies alternatives émergentes, elles, souhaitent « butiner » ou accueillir une série d’activités et non un cadre pédagogique spécifique.

Trois axes méritent d’être précisés pour bien comprendre qu’éduquer autrement est une histoire ancienne. Tout d’abord, les pédagogies alternatives actuelles ne peuvent pas être comprises sans une mise en perspective. Il faut établir les lignes de continuité et de rupture entre les différents mouvements à un siècle de distance. Au début du XXe siècle, les mouvements d’Éducation nouvelle ont revendiqué une « révolution copernicienne », une réorganisation scolaire et des méthodes d’enseignement, à travers une autre vision de l’enfant et d’autres relations pédagogiques entre adultes et enfants.

Ensuite, que l’on parle de « pédagogies nouvelles », « actives », « critiques », « différentes », ou « alternatives », les termes sont importants et annoncent tous une autre façon d’éduquer, d’enseigner, de comprendre les apprentissages, les relations humaines et, parfois, de penser la société. Il nous faut donc éclaircir toutes ces dénominations qui dessinent les contours et la logique de ces différents courants éducatifs. Les pédagogies nouvelles nées au XXe siècle et les pédagogies alternatives du xxie siècle convergent vers une vision « confiante » de l’enfant, et ont l’ambition de changer l’éducation. En revanche, leurs différences sont perceptibles dans leurs assises scientifiques. Les courants d’Éducation nouvelle sont issus des réflexions et des pratiques de la psychologie de l’enfant et de la psychologie sociale (Ohayon, 2004). Les pédagogies alternatives du XXIe siècle, tout en reprenant une partie du corpus psychologique, notamment celui de la psychologie positive, légitiment leurs pratiques par les avancées des sciences cognitives et en particulier des neurosciences (Alvarez, 2016). Cette différence de « légitimité » scientifique ne souligne-t-elle pas des divergences dans les finalités éducatives choisies ? Les pédagogies alternatives et les pédagogies d’Éducation nouvelle possèdent des histoires parfois similaires, mais avec de fortes différences, voire des oppositions. Il convient donc de préciser les intentions pédagogiques, les modalités et les finalités politiques des différents courants. Ce sont autant d’éléments à prendre en compte dans cette analyse des pédagogies alternatives.

Enfin, une pédagogie d’Éducation nouvelle, celle de Maria Montessori, a réussi à devenir un modèle pour l’ensemble des pédagogies alternatives. Le succès actuel de cette dernière irrigue la totalité des pédagogies alternatives, mais aussi les systèmes éducatifs publics. Chaque courant semble se positionner pour ou contre cette pédagogie. Quelles sont les raisons de ce succès ? Elles sont multiples et prouvent que les pédagogies alternatives rencontrent aujourd’hui un écho grandissant dans la société. Il converge avec une mutation sociétale, celle de la prise en compte de l’individualité.

1.1. Les courants historiques de l’Éducation nouvelle comme repères

Certaines des pédagogies alternatives sont directement issues des mouvements d’Éducation nouvelle du début du XXe siècle. Ces courants pédagogiques se sont opposés au système d’enseignement traditionnel et se sont structurés autour de pédagogies précises et identifiables (Freinet, Decroly, Steiner, Montessori, Korczak). Forts des réflexions théoriques et des expériences d’écoles depuis le début du XXe siècle, ils sont toujours présents aujourd’hui dans les paysages éducatifs, en Europe comme dans le reste du monde. Néanmoins ils restent marginaux quantitativement4.

Si les valeurs de l’Éducation nouvelle (autonomie de l’enfant, prise en compte de ses besoins et de ses intérêts, nouvelle relation entre l’enseignant et l’enseigné) fédèrent ces mouvements, de nombreuses différences existent. Il ne s’agit donc aucunement d’un « front » commun contre l’enseignement traditionnel, mais d’une multitude de courants et d’établissements qui parfois n’ont pas de liens entre eux.

Les idéaux de mixité sociale et de transformation de l’éducation restent des points d’ancrage forts dans les mouvances Freinet et Decroly, alors que les courants Steiner et Montessori mobilisent avant tout le développement de la personnalité. Le développement actuel de ces deux derniers courants n’est d’ailleurs pas un hasard, car ils sont en phase avec les nouvelles écoles alternatives du XXIe siècle.

Des principes fédérateurs

Les courants de l’Éducation nouvelle prennent leurs racines dans le XVIIIe siècle avec les idées de liberté, de bonté enfantine, de confiance et de lien avec la nature, développées par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans l’Émile ou De l’éducation. Ils sont aussi imprégnés des pensées et des pratiques de Johann Pestalozzi (1746-1827) dans cette nécessité de développer chez l’enfant à la fois la tête, le corps et l’esprit. Les travaux du médecin Jean Itard (1774-1838) avec l’enfant sauvage de l’Aveyron et d’Édouard Seguin (1812-1880) sur l’enfance handicapée ont eu une influence dans l’apparition de l’Éducation nouvelle à la fin du XIXe siècle (Duval, 2002).

Le projet de renouveler de fond en comble l’entreprise éducative est donc un fait historique de longue durée, caractéristique des sociétés occidentales contemporaines et de leur projet démocratique. C’est aussi l’affaire de médecins inquiets de l’abandon de l’enfant porteur de handicaps, fragile parmi les fragiles, dans une société industrielle naissante où les inégalités sociales s’accroissent.

Les principes de l’Éducation nouvelle dessinent une autre façon de penser l’éducation. En premier lieu, il s’agit de donner la priorité à l’éducation et non à la transmission des seules connaissances et à l’instruction. Cette primauté de l’éducation implique une vision « juste » de l’enfant, comprenant l’ensemble de ses facettes. Les pédagogues d’Éducation nouvelle parlent d’éducation intégrale, car elle prend en compte l’intellect, mais aussi le corps, le mental et donc les émotions. Cette prise en compte de l’enfant dans sa globalité nécessite donc de la part de l’enseignant d’observer l’enfant pour mieux le connaître.

En deuxième lieu, l’action éducative doit tenir compte de la singularité de l’enfant en tant que tel. L’enfant n’est pas pour les nouveaux pédagogues un homme en miniature, il doit pouvoir vivre sa vie d’enfant. Il faut donc considérer ses intérêts et ses besoins. Il s’agit d’un des questionnements majeurs des tenants de l’Éducation nouvelle. La critique faite à l’enseignement traditionnel est qu’il organise le temps et l’espace par des programmes, des disciplines scolaires segmentées, des leçons, des devoirs, des exercices qui ignorent les besoins et le rythme de l’enfant. L’objectif est donc de comprendre ses intérêts et ses besoins pour les mettre au service d’une éducation en harmonie avec la vie. Partir des intérêts profonds de l’enfant n’est pas contradictoire avec des apprentissages, une progressivité des savoirs et des compétences acquises, du moment que ces savoirs ne contredisent pas la nature de l’enfant et son rythme. La plupart des pédagogues de l’Éducation nouvelle, et en tout premier lieu les médecins comme Maria Montessori et Ovide Decroly, se sont intéressés aux enfants handicapés, avec des déficiences. Ils en ont tiré la conclusion que la nature de l’enfant est la même, qu’il soit handicapé ou pas. Les progrès de l’enfant dépendront de l’intérêt qu’on a porté à ses besoins et à sa nature.

Il s’agit donc de définir les intérêts de l’enfant et de s’adapter à ses besoins. Engager une éducation « pour la vie et par la vie », pour reprendre les mots d’Ovide Decroly, c’est faire connaître à l’enfant son environnement, c’est lui permettre d’être dans un environnement végétal, animal, etc.

Le troisième principe repose sur la volonté de développer l’autonomie. Cette notion suppose la maîtrise de soi et la domination des tendances instinctives. Elle se fonde sur une base librement consentie et non pas imposée. L’enseignant est présent dans l’Éducation nouvelle, mais son rôle est celui d’un « entraîneur et non d’un enseigneur » (Châtelain & Cousinet, 1969). Cela veut dire que, comme l’écrit Montaigne, l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume. L’enseignant est ici pour guider et accompagner l’enfant dans ses progrès. Grâce à une bonne connaissance de l’enfant, l’enseignant est à même de le faire agir : l’enfant tâtonnera, fera des erreurs, pour développer des aptitudes et des connaissances nouvelles. Grâce à des activités qui mettent en jeu ses facultés créatrices, ses aptitudes manuelles et intellectuelles, ainsi que sa personnalité affective, l’enfant découvre son rôle pour lui-même et pour le groupe. Progressivement, il devient autonome.

Le quatrième principe reste que cette éducation individuelle, centrée sur le sujet, se fait, doit se faire, dans un esprit communautaire. L’École nouvelle, qui promeut l’école sur mesure, la liberté des rythmes, combat l’individualisme et la docilité. Quant à l’esprit communautaire, ce n’est pas le chacun-pour-soi, le classement, mais la préparation à la vie sociale par la vie en commun. Faire de la classe une vraie communauté enfantine, cela passe par l’entraide et la coopération, plutôt que la compétition. L’Éducation nouvelle tente donc de remplacer « la discipline extérieure par une discipline intérieure, librement consentie » (Châtelain & Cousinet, 1969).

Tous ces changements ne sont possibles qu’en construisant une autre relation pédagogique entre l’adulte et l’enfant, en créant une atmosphère d’optimisme et de confiance.

Ces principes sont des bases évidentes pour l’ensemble des pédagogies alternatives actuelles, qu’il s’agisse des courants Montessori, Decroly, Steiner, Freinet, ou des Écoles démocratiques, qui se reconnaissent dans l’ensemble de ces idées.

La pédagogie Montessori, « une aide à la vie »

« La pédagogie dite “Montessori” est indissociable de la personne qu’était Maria Montessori, de son parcours professionnel et de ses expériences auprès des enfants. Cette pédagogie ne se résume pas à un ensemble d’outils et de techniques. C’est avant tout une philosophie, une manière de percevoir l’enfant en le considérant comme l’acteur de sa propre construction et sur laquelle repose toute la richesse de la démarche mise en œuvre par les éducateurs. L’objectif de l’éducation est alors de permettre le développement et l’expression du potentiel de chaque enfant, individuellement, grâce à un environnement approprié et au respect de sa personnalité. Ainsi, l’essentiel de l’éducation Montessori repose sur le développement de l’être humain dans toutes ses dimensions : physique, sociale, intellectuelle et émotionnelle. N’ayant pas les mêmes besoins au même moment, un environnement approprié, qui respecte l’histoire de chaque enfant, sa personnalité et son rythme, lui permet d’être le maître de son propre développement à travers des expériences choisies. »Source : https://www.montessori-france.asso.fr/page/155447-la-pedagogie-montessori-une-aide-a-la-vie

« Les écoles adhérentes du mouvement Montessori s’engagent dans une “démarche d’amélioration continue de la qualité pédagogique et de respect des valeurs Montessori” en certifiant sur l’honneur respecter au moins les quatre piliers fondamentaux de la pédagogie Montessori : • un groupe d’enfants d’âges mélangés ; • un éducateur diplômé par l’Association Montessori internationale (AMI) ; • un jeu de matériel complet proposé aux enfants ; • une plage de travail continu de 2,5 à 3 heures, matin et après-midi. »Source : https://www.montessori-france.asso.fr/page/198700-ecoles-adherentes

La charte de l’École moderne Freinet

La charte de l’École moderne a été mise au point et adoptée à l’unanimité au congrès de Pau de 1968 et « réactualisée » en 2018. « 1. L’éducation est épanouissement et élévation et non accumulation de connaissances, dressage ou mise en condition. 2. Nous sommes opposés à tout endoctrinement. 3. Nous rejetons l’illusion d’une éducation qui se suffirait à elle-même hors des grands courants sociaux et politiques qui la conditionnent. 4. L’école de demain sera l’école du travail. 5. L’école sera centrée sur l’enfant. C’est l’enfant qui, avec notre aide, construit lui-même sa personnalité. 6. La recherche expérimentale à la base est la condition première de notre effort de modernisation scolaire par la coopération. 7. Les éducateurs de l’ICEM sont seuls responsables de l’orientation et de l’exploitation de leurs efforts coopératifs. 8. Notre mouvement de l’École moderne est soucieux d’entretenir des relations de sympathie et de collaboration avec toutes les organisations œuvrant dans le même sens. 9. […] Nous sommes prêts à apporter notre expérience à nos collègues pour la modernisation pédagogique. 10. La pédagogie Freinet est, par essence, internationale. »Source : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/charte-de-l-ecole-moderne

La pédagogie Steiner-Waldorf, une « alternative » ?

« La transmission des savoirs ne suffit pas. La crise de l’école montre partout la limite des systèmes d’enseignement qui visent exclusivement l’entraînement de l’intellect et la transmission des savoirs abstraits. L’absence d’un pluralisme pédagogique véritable prive notre pays des expériences et de l’émulation qui pourraient le conduire à considérer des voies de changement insuffisamment explorées jusque-là. L’école Steiner-Waldorf, depuis 100 ans, est fondée sur l’idée de la liberté de l’homme, convaincue que l’amour, la confiance et l’enthousiasme, aux lieu et place de l’ambition, la crainte et la compétition, dotent les enfants de la sérénité et des forces qui leur seront indispensables pour avancer dans un monde incertain, y réaliser leur projet d’existence, en contribuant au progrès de l’homme. Croire en chaque enfant. Accueillir l’enfant à l’école, cela signifie le reconnaître dans sa personne individuelle, établir avec lui une relation de confiance et de responsabilité dans la continuité. Lorsque ces bases sont posées, l’école peut alors répondre aux besoins fondamentaux de l’être humain en développement qui lui est confié. La tâche de l’enseignant devient alors de favoriser l’épanouissement de chaque enfant dont il a la charge, de l’accompagner vers la découverte de sa voie originale. »