Effet papillon sur le Brest-Lyon - Gérard Croguennec - E-Book

Effet papillon sur le Brest-Lyon E-Book

Gérard Croguennec

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Beschreibung

De retour d'un long congé, le commandant L'Hostis fait face à un nouveau mystère : le cadavre d'un homme sur un glof brestois...

À peine rentré d'une année sabbatique passée en Polynésie, le commandant L'Hostis se voit confier une nouvelle affaire : la mort d'un homme sur un golf brestois qui va le conduire jusqu'au sein d'une grande entreprise lyonnaise. Accident ou homicide ?

Les investigations conjointes du policier breton et du lieutenant Darcival en poste dans le Beaujolais, vont permettre de lever le voile sur des pratiques douteuses.

De nombreuses surprises attendent les deux policiers, qui, entre vignes et mer, vont peu à peu découvrir les incroyables conséquences de l'effet papillon

Découvrez cette nouvelle enquête palpitante du commandant L'Hostis !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Morlaix en 1963 et Brestois d'origine, Gérard Croguennec vit avec son épouse et leurs quatre enfants dans le Beaujolais où il travaille comme formateur dans une MFR. La Bretagne le fascine toujours et lui inspire ici son cinquième roman policier.

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Couverture

Page de titre

 

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

Merci à Annie, mon épouse, pour son travail de lecture.

Merci à Jean-Marc – Mister Moustache – pour ses précieux conseils.

Merci maman d’avoir éclairé mon chemin de vie ! Tu es partie trop tôt, avant d’avoir découvert la fin de l’histoire !

Comme le disait souvent maman en breton : « Petra vo graet 

PROLOGUE

Élégamment vêtu d’une tenue de golf blanche, le putter à la main, un homme de haute stature évaluait la situation. Concentré, il cherchait à juger du dosage de force et d’énergie nécessaires pour amener sa balle à entrer du premier coup dans le trou. Ce parcours était prévu pour être réalisé en quatre coups et il en était au dernier pour réussir un “par”.

« Le temps clair et doux était idéal pour une partie de golf », avait-il pensé le matin avant de venir, d’autant plus que la météo annonçait une dégradation importante dans la soirée. On attendait des vents violents et de la pluie. Ses projets allaient-ils se concrétiser aujourd’hui ? Il y travaillait depuis bientôt trois ans et il avait vu juste en venant frapper à la porte du Golf Majestic, fort du parrainage de membres influents. Quand il y pensait aujourd’hui, il avait alors eu la sensation de postuler pour entrer dans une société secrète. Dépôt de dossier et entretien particulier passaient encore mais il avait aussi fallu se plier à un passage devant une commission d’entrée. Il s’en souvenait comme si c’était hier. Face à lui, cinq personnes présentes s’étaient consultées, et après un échange d’environ une heure, lui avaient demandé de sortir, le temps de la délibération. Dans le couloir, il avait alors imaginé les mains choisissant entre les boules blanches ou noires avant de les déposer dans la petite urne, scellant par là son admission ou son éviction.

Une seule boule noire suffisait à annuler sa candidature, dans ce cas il était “blackboulé”. Il avait donc prié pour que ce ne soient que des boules blanches. Manifestement les dieux l’avaient entendu, en lui ouvrant les portes du prestigieux golf. Dix mille euros plus tard, le montant dont il dut s’acquitter pour faire partie du cercle restreint, il avait enfin obtenu ce sésame tant espéré. Désormais, il pouvait tout à loisir côtoyer les personnalités les plus en vue et les plus influentes de la région.

Mécontent de laisser ainsi ses pensées prendre le contrôle, il leva les yeux et inspira un bon coup. Ne parvenant pas à se recentrer, il regarda machinalement l’heure sur sa Rolex : 10 heures 40, marmonna-t-il entre ses dents. On avait pourtant rendez-vous ici à 10 heures 30, pesta-t-il encore.

La veille au soir, il avait reçu un mystérieux appel téléphonique d’un homme se recommandant de son beau-père et qui voulait le voir d’urgence. Sans rien ajouter, celui-ci lui avait donné rendez-vous sur le green du parcours n°5 à 10 heures 30. Quand il avait cherché à en savoir davantage, l’inconnu l’avait assuré qu’il ne regretterait pas leur entrevue. Joueur, il avait alors accepté, se disant qu’il en profiterait pour faire une partie avant leur rencontre.

Manifestement, la météo ne s’était pas trompée. Une légère brise se levait, faisant frissonner le feuillage des arbres tout proches alors que le ciel bleu azur se marbrait des traînées blanchâtres des cirrus. Au loin, on entendait des chiens crier. Le parcours où il se trouvait se situait un peu à l’écart, tout au bout du golf. Promenant le regard autour de lui, il ne vit personne, la végétation masquant la visibilité sur les autres parcours. Lui avait-on posé un lapin ? Il s’apprêtait à reprendre le jeu quand il lui sembla entendre du bruit, là, juste devant lui, dans les taillis. Déconcentré, il leva la tête dans cette direction. Au même moment, une déflagration retentit et il porta la main à la poitrine. Sous ses doigts, une tache rouge s’élargit sur la chemise blanche.

I

Les mains dans les poches, le regard perdu sur l’horizon, Jean-Marc L’Hostis regardait les gouttes de pluie s’écraser en rafales serrées sur la baie vitrée. Dans le petit jardin, face à la mer, le vent malmenait les rares arbustes chétifs, alors qu’en contrebas les vagues montaient à l’assaut de la falaise. Tout en dégradés de gris, les nuages se noyaient dans le vert de l’océan sur lequel dansaient, blanches d’écume, les crêtes agitées des vagues. Du lointain, lui parvint le son lugubre des cornes de brume. Il frissonna et posa son front sur la vitre froide. Puis, fermant les yeux, il se laissa absorber par le bruit des gouttes sur le verre épais qui le protégeait de l’extérieur. La porte d’entrée claqua et le fit sursauter. Il tourna la tête dans cette direction et vit sa compagne Natacha qui revenait des courses.

Tout en s’essuyant les pieds, elle jeta son trousseau de clefs dans une coupelle en terre cuite posée sur un petit meuble du vestibule avant d’enlever son manteau, trempé par la pluie. Le visage encore ruisselant, elle se fraya difficilement un passage entre les cartons qui encombraient la pièce pour le rejoindre.

— Un peu rêveur ? demanda-t-elle câline tout en posant la tête sur son épaule.

Sans répondre, il passa la main autour de sa taille. Un an s’était écoulé depuis leur départ pour la Polynésie. C’est le temps qu’il leur avait fallu pour laver les souffrances subies par sa compagne.*

— Seuls points communs entre les îles du Pacifique et la pointe du Finistère, la mer et la beauté des paysages, pensa-t-il, à voix haute.

— Tu regrettes d’être revenu ?

Avant de répondre, il repensa à l’année qui venait de s’écouler. Voulue par tous les deux pour se remettre des épreuves qu’ils avaient traversées, elle avait rempli ses promesses. Au sens propre comme au sens figuré, Tahiti les avait maintenus aux antipodes de leurs souffrances et de leur quotidien. Aujourd’hui, toutefois, il réalisait que le présent les rattrapait avec son cortège de souvenirs, pas aussi enfouis qu’ils auraient pu l’espérer. « Il faudrait apprendre à vivre avec » leur avait dit le psy. Pour le reste, il aimait à se retrouver là, même si les îles du Pacifique l’avaient enchanté par la possibilité qu’elles offraient de se contenter du temps qui passe. On s’y sentait bien, comme si le bonheur y était une évidence.

Là-bas, tout semblait facile. Tout au moins pour eux qui avaient eu la chance d’être accueillis et logés chez des amis de Natacha, où ils n’avaient manqué de rien. Il en allait différemment pour d’autres. L’envers du décor, celui qu’on ne montre pas sur les cartes postales, leur avait dévoilé que la misère, tant matérielle que morale, s’y taillait aussi sa place au soleil. En définitive, la Polynésie avait agi sur eux comme un cocon, les mettant à l’abri de leurs mauvais souvenirs et tout ce qui aurait pu les raviver.

— Non, je suis content d’être là, dit-il finalement en tournant la tête vers elle.

Il la regarda avec profondeur, s’attardant sur ses yeux noisette, où il lisait la malice et l’intelligence.

— Oh là, là, tu as une déclaration à me faire ! lui dit-elle en penchant un peu la tête sur le côté tout en faisant une légère moue de ses lèvres ourlées.

— Je me disais simplement que tu étais mon évidence ! Alors oui, on peut considérer qu’il s’agit d’une certaine forme de déclaration.

Mus d’un même élan, ils se prirent dans les bras, leurs mains s’aventurant sur le corps de l’autre, guidées par la recherche du plaisir. Le vent, s’immisçant en geignant par les moindres interstices accompagnait leurs respirations haletantes. Dehors, les nuages pleuraient des nuées de gouttes, sauvagement lâchées par les bourrasques sur la baie vitrée. Au passage de ses doigts sur les hanches de Natacha, les courbes gracieuses et charnues régalaient ses sens. Sentant son trouble, elle lui fit remarquer :

— Je suis habillée exactement comme le jour de mon enlèvement, il y a un an ! articula-t-elle difficilement à voix basse, le timbre chargé d’émotion.

L’Hostis s’écarta un peu d’elle et prit son visage dans les mains, l’air grave. Natacha laissa couler une larme, s’humecta les lèvres et reprit :

— Il faut que je réapprenne à vivre avec mon traumatisme. Aujourd’hui, j’ai voulu conjurer le sort et reprendre ma vie, notre vie, au même moment que celui qui a précédé mon enlèvement, il y a un an. Souviens-toi, nous devions partir au restaurant, je m’étais absentée pour faire une course… Reprenons le cours de nos vies ici, à ce moment précis. Considérons que je suis revenue. Je suis prête, nous pouvons y aller !

— Aller où ? fit L’Hostis, surpris.

— Et bien, au restaurant pardi ! J’ai réservé une table pour nous deux, en amoureux ! Dans l’établissement où nous aurions dû aller ce soir-là. Et pour le dessert, je te réserve une surprise à la maison ! ajouta-t-elle, mutine.

La sonnerie d’un téléphone retentit à ce moment précis. Peu conventionnelle, elle rappelait encore par ses sonorités, les îles et le temps des vacances, le soleil du Pacifique. Contrarié, L’Hostis jeta un coup d’œil dans la pièce où ils se trouvaient. Devant eux, un amoncellement de cartons et de valises qu’ils n’avaient pas encore pris ou eu le temps de ranger, gisaient, pêle-mêle. D’un seul coup, L’Hostis se retrouva plongé dans sa nouvelle vie continentale, faite d’urgences et de stress. Il ne reprenait le travail que le lendemain, cela devait donc être personnel, chercha-t-il à se persuader. Tout bien considéré, je pourrais être n’importe où et ne pas avoir entendu, pensa-t-il. Il chercha le regard de Natacha. Elle aussi, surprise, guettait sa réaction et la décision qu’il allait prendre. Répondre, ou ne pas répondre. Quel choix allait-il faire ?

Pendant ce temps, le portable sonnait toujours. L’Hostis ne bougea pas davantage, laissant l’intrusion électronique s’essouffler. Quand enfin, le silence revint, sans un mot, il se saisit de son blouson posé sur une chaise et tendit à Natacha son manteau encore humide. Puis, se saisissant des clefs de la voiture, il dit :

— Si on part maintenant, on ne sera pas trop en avance ?

— Au contraire, cela laissera plus de temps pour l’apéritif !

Délibérément, il ne prit pas le téléphone avec lui. Il ne reprenait son service au commissariat de Brest que le lendemain à 9 heures, fin officielle de son congé sans solde. Ce soir, il voulait se consacrer tout entier à sa relation avec Natacha. Il ne pouvait être sûr à cent pour cent que l’appel provenait de son travail mais il faisait confiance à son sixième sens et ne désirait pas gâcher la soirée comme cela était si souvent arrivé. Considérant que le destin le mettait à l’épreuve, il estima qu’il s’acquittait plutôt bien de ce premier test, même s’il dut, pour cela, lutter contre sa curiosité et un certain sens du devoir.

Natacha conduisait lentement sur le trajet menant au restaurant. La voiture faisait de soudaines embardées, subissant les assauts des rafales de vent. L’Hostis étendit le bras vers l’appui-tête de la conductrice laissant sa main s’égarer dans les cheveux de sa compagne, le regard perdu dans la tourmente qui secouait la mer. À l’extérieur, dominant fièrement la falaise, le phare de Saint-Mathieu promenait ses rayons lumineux dans la tempête océanique, inlassablement, comme une mère veillant sur ses enfants perdus en mer.

Dans l’habitacle de tôle qui les abritait, l’autoradio restait éteint. Tout à leur contentement, les deux passagers se laissaient bercer par le trajet, comme hypnotisés par les rugissements des violentes bourrasques et la danse folle des gouttes de pluie sur les vitres. On distinguait de plus en plus mal.

Alors qu’ils s’approchaient de leur destination, L’Hostis ne put s’empêcher de repenser aux épreuves que Natacha avait traversées. Intérieurement, il salua son courage et la faculté qu’elle avait de remonter la pente.

Il y a un an, elle avait été enlevée et durant une dizaine de jours, séquestrée et violentée par une bande de cinglés. Comme si cela n’avait pas suffi, elle avait aussi perdu deux de ses amies les plus chères, comme elle, soumises à la folie humaine*. Seule une voiture était stationnée sur le parking faisant face au restaurant où ils se rendaient. Immédiatement, L’Hostis la reconnut pour être celle de son coéquipier. Alors c’était bien ça le coup de fil de tout à l’heure, pesta-t-il intérieurement, ils viennent me chercher jusque chez moi ! Sentant la colère monter en lui, il sortit du véhicule et se dirigea vers Le Meur, qui lui-même marchait à présent dans sa direction. Il lui sembla qu’il avait pris du poids depuis un an qu’il ne l’avait pas vu. De loin, il l’apostropha, criant presque pour couvrir le bruit du vent :

— Tu ne trouves pas que tu exagères ! Je ne reprends que demain matin ! Vous ne respectez plus rien !

— C’est comme ça que tu accueilles tes amis ? s’exclama avec jovialité celui qui avait toujours su le soutenir dans les moments difficiles.

L’Hostis parcourut les derniers mètres qui les séparaient. Arrivé à sa hauteur, il lui serra la main et le regarda en silence, le regard interrogateur alors que la pluie froide les assaillait de toutes parts, ayant raison de la moindre surface sèche.

— Viens, mettons-nous à l’abri dans ma voiture ! se hâta de dire Le Meur tout en ouvrant sa portière avant.

Une fois à l’intérieur de l’habitacle, l’un et l’autre fixèrent un point imaginaire, devant eux, comme hypnotisés par cette eau venue du ciel qui attaquait sans relâche la carrosserie du véhicule en martèlements incessants. Quelques gouttes se frayèrent un passage dans le cou de L’Hostis, le faisant frissonner.

Il regarda Le Meur dans les yeux :

— Alors ?

— Alors quoi ? Que tu ne donnes pas de nouvelles pendant un an, c’est une chose, mais se faire recevoir de la sorte c’en est une autre ! Je ne te reconnais pas, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

L’Hostis se relâcha un peu et prit une inspiration.

— Excuse-moi. J’appréhende ma reprise demain matin, tu me comprends ? dit-il en tournant la tête à droite dans la direction de sa voiture. À travers les vitres floutées par le déluge, Natacha l’attendait. Il lui fit un signe de la main auquel elle répondit de suite. Nous avions besoin de tout oublier, reprit-il, pour cela il n’y avait pas d’autres solutions que de couper totalement avec tout ce qui, de près ou de loin, nous rappelait notre quotidien d’avant. Aujourd’hui, je sais bien qu’il va falloir remettre le pied à l’étrier mais c’est violent, crois-moi.

— Justement, je suis venu pour te préparer à demain, pour que ce soit moins violent comme tu dis.

L’Hostis, surpris, attendait qu’il développe ses propos.

Le Meur passa la main dans ses cheveux mouillés et l’essuya sur son manteau avant de poursuivre :

— Comme tu es resté injoignable pendant tout ce temps, je n’ai pas pu te tenir au courant des événements récents. Le commissaire Duval est mort.

— Merde ! fit L’Hostis qui aimait beaucoup son supérieur hiérarchique et dont la perte l’affectait au plus haut point. Il mesura alors combien il s’était tenu à l’écart durant l’année qui venait de s’écouler.

Passé l’effet de surprise, Le Meur continua :

— Il est mort d’un cancer fulgurant il y a six mois. Il n’aura pas pu profiter de sa retraite au bord de la mer. Tu te rends compte, il ne lui restait plus que deux ans avant de la prendre ! Son successeur est arrivé, il s’appelle Pierre Dombes. J’aime autant te prévenir, c’est un con, un jeune ambitieux sans expérience mais tu te feras ta propre opinion.

— C’est pour me dire tout ça que tu es venu me voir ?

— Je voulais te ménager, sachant que ce serait dur pour toi. Pour info, on a un homicide sur les bras. C’est arrivé il y a deux jours, un gars tué par balle sur un parcours de golf. Nous sommes tous les deux chargés de l’enquête.

*  Voir du même auteur : La martyre du Conquet.

*  Voir du même auteur : La martyre du Conquet.

II

L’Hostis se gara, coupa le contact de la voiture et se laissa aller en arrière sur le dossier de son siège. Sa montre indiquait 8 heures du matin. Dans la rue Colbert, la circulation allait bon train. Fermant les yeux, il chercha à se convaincre qu’il faisait un mauvais rêve et qu’il allait se réveiller mais un coup de klaxon répété le fit aussitôt sursauter. Instantanément, ses paupières laissèrent entrer la lumière, avec en toile de fond les murs gris du commissariat.

— Dur retour à la réalité, laissa-t-il échapper entre les dents.

Sur le trottoir d’en face, il reconnut la silhouette et surtout la démarche caractéristique de Le Meur qui arrivait à pied. Le haut du dos un peu voûté, les bras, qu’il avait longs, pendant lourdement sans accompagner le rythme de la marche. Son coéquipier arrivait nonchalamment tout en sifflotant. Le voir ainsi dans son quotidien lui rappela tous les moments qu’ils avaient passés ensemble, les bons comme les mauvais. Il repensa ainsi aux enquêtes difficiles que leur complicité et leur complémentarité avaient permis de résoudre. Un peu rasséréné, il trouva la force de s’extirper du véhicule et de parcourir les quelques mètres qui le séparaient du commissariat. Là, il serait irrémédiablement et immédiatement projeté dans le feu de l’action, il le savait. D’une façon générale, son métier lui plaisait, mais la dernière affaire sur laquelle il avait travaillé l’avait entraîné trop loin à son goût. C’était surtout parce qu’elle avait impliqué sa compagne Natacha. Enlevée, séquestrée, elle avait vécu l’enfer et il l’avait sauvée in extremis des griffes d’une secte satanique qui s’apprêtait alors à la sacrifier sur l’autel du mal. Depuis, il appréhendait la reprise de ses fonctions de commandant au commissariat de Brest.

L’Hostis marqua un temps d’arrêt et prit le temps de détailler le bâtiment qui lui faisait face. Tant de souvenirs l’y tenaient attaché. Ce qu’il supposa être un grand yucca, à droite de l’entrée, lui permit de faire le lien avec l’année écoulée, ajoutant une petite touche d’exotisme dans la grisaille ambiante. Pour le reste, l’austérité de la construction en granite gris bleu qui s’élevait sur trois étages, avec les barreaux aux fenêtres du rez-de-chaussée, ne faisait pas à proprement rêver, jugea-t-il en se présentant devant la porte automatique coulissante de l’entrée.

Une demi-heure plus tard, il put enfin s’asseoir à son bureau. Au préalable, il avait dû accorder un peu de temps à tous ceux qu’il avait croisés, bien conscient qu’on ne pouvait pas partir un an en Polynésie sans distiller à son retour un peu de soleil et de bleu azur à tous ceux qui étaient restés prisonniers du quotidien besogneux et gris. Il leur devait bien ça.

Il nota que, comme à son habitude, Le Meur avait déjà mis la cafetière en route qui répandait dans la pièce une douce odeur de café.

— Pas trop dur le retour au bercail ? lui demanda Le Meur en lui apportant une tasse de café fumant. Désolé pour hier soir mais il m’a semblé que c’était nécessaire.

— N’en parlons plus, tout va bien ! Montre-moi plutôt ce que tu as sur cette affaire qu’on nous a confiée.

Il avait parlé vite et avec une petite pointe d’agacement dans la voix. Le Meur fit de la place sur le bureau et y déposa des photos. On y voyait un homme gisant sur une pelouse impeccablement tondue.

— Je te présente Olivier Krant, 30 ans. Abattu d’une balle alors qu’il finissait un parcours sur le green du Golf Magestic près de Brest. La mort a eu lieu entre 10 et 11 heures.

— S’il avait projeté de jouer hier, il serait encore vivant, ironisa L’Hostis, repensant à la tempête de la veille qui aurait pu perturber l’assassin dans ses intentions.

La porte du bureau s’ouvrit brusquement. Un homme grand, la trentaine environ et vêtu d’un costume impeccable fit irruption dans la pièce. L’Hostis ne se souvenait pas l’avoir entendu frapper. Agacé par ce manque de savoir-vivre, il le lui fit remarquer :

— Vous pourriez frapper avant d’entrer !

Le Meur lui adressa des regards de détresse, cherchant visiblement à l’avertir de quelque chose mais c’était trop tard, L’Hostis avait compris. Il s’agissait à coup sûr de Pierre Dombes, le nouveau commissaire dont il lui avait parlé la veille. Alors, il allait falloir bosser avec ce mec, songea-t-il, ça ne sera pas facile.

Instantanément, il ressentit une forme d’antipathie à son égard, accentuée par l’attitude suffisante de son supérieur hiérarchique. Celui-ci se tenait tout près de lui, le dominant de toute sa hauteur en s’adressant à lui d’un ton cassant :

— C’est donc vous, le commandant L’Hostis ! Pour votre gouverne, je suis Pierre Dombes votre nouveau commissaire et il faudra vous habituer à mes façons de faire.

L’Hostis ravala une répartie. Ne voulant pas entrer dans un conflit ouvert dès le premier jour, Il prit l’option de se taire, attendant la suite. Le commissaire continua :

— J’ai pris connaissance de vos états de service et à l’avenir j’attends que vous respectiez scrupuleusement les procédures ! Fini de jouer au cowboy. Je n’ai pas besoin de héros dans mes services, conclut-il en tournant les talons et en fermant bruyamment la porte derrière lui.

Les deux policiers se regardèrent, perplexes. L’Hostis se leva, la tasse à la main et alla se poster vers la fenêtre. Dehors, la ville s’éveillait doucement, parée de ses murs gris. Sans regarder Le Meur, tout en buvant une gorgée de café, il se reconnecta à l’enquête dont ils avaient la charge et demanda :

— Qu’est-ce qu’on a de plus, concernant cet Olivier Krant ?

— Quelques témoignages des golfeurs présents au même moment. À part les détonations, que tout le monde a entendues, personne n’a rien vu. Au moment où c’est arrivé, la victime finissait un parcours. Il est mort sur le green, son putter à la main alors qu’il s’apprêtait à jouer son dernier put. Il était seul, précisa Le Meur en montrant des clichés pris aux abords de la scène du crime.

Une épaisse végétation bordait à cet endroit la fin du parcours n°5 sur lequel jouait Olivier Krant avant de mourir. Quelqu’un aurait facilement pu s’y cacher et l’attendre patiemment, se dit L’Hostis en regardant attentivement le cliché. Il demanda :

— Qu’a donné la fouille des abords ?

— Tu penses aux taillis juste là ? dit-il en pointant du doigt la photo que tenait L’Hostis. D’après la balistique c’est de là qu’a été tiré le coup de feu. L’équipe scientifique, quant à elle, a ratissé les lieux et maintenant il faut attendre les résultats. Nos gars analysent les vidéos de surveillance disponibles de l’entrée du golf, nous devrions être informés rapidement mais il n’y a guère de chances d’en tirer quelque chose ! Le meurtrier n’est quand même pas assez bête pour passer par la grande porte !

— On ne sait jamais mais tu as probablement raison. Et l’IML ?*

— Ils nous attendent ce matin.

L’Hostis laissa à Le Meur le soin de les conduire à l’Hôpital de la Cavale Blanche, se donnant par la même occasion l’opportunité de se réapproprier la Cité du Ponant. Pendant le trajet, tout absorbé à redécouvrir les quartiers qu’ils traversaient, il commença à se sentir en phase avec l’instant présent. Petit à petit, il retrouvait sa ville. Le temps de la veille s’était calmé mais il subsistait encore une pluie fine qui coloriait Brest d’un gris poisseux.

Un médecin légiste, que L’Hostis ne connaissait pas, les accueillit dans son bureau. On part seulement un an et tout change, on perd vite ses repères, pensa-t-il en prenant place en face du praticien. Ce dernier, une fois les présentations faites, les précéda dans la salle d’autopsie où le corps de la victime était étendu sur une table d’inox immaculée.

Il devait bien mesurer 1,90 mètre. Les épaules larges, la taille fine et le corps musclé témoignaient d’un bon état physique apparent. En voyant sa peau, L’Hostis se fit la réflexion qu’il avait dû être un adepte des salles de bronzage tant le teint général ne reflétait pas le halage naturel donné par le soleil. Il marqua un temps d’arrêt sur les mains. Les doigts longs et fins se terminaient par des ongles impeccablement entretenus et joliment taillés. Puis, se plaçant devant la table, il s’attarda sur le visage. La mâchoire carrée traduisait une force de caractère et la détermination alors que le nez droit et fin, presque acéré, le faisait ressembler à un oiseau de proie. Des cheveux blonds complétaient une physionomie que L’Hostis qualifia intérieurement de plastiquement agréable.

— Il est mort sur le coup ! La balle a perforé le poumon droit, tout près du cœur, précisa le médecin légiste en montrant l’endroit de l’impact. Tenez, je vous ai mis le projectile de côté. La balle, d’après les lésions tissulaires que j’ai pu constater, a vraisemblablement été tirée d’une distance de trente mètres environ mais il faudra recouper mes observations avec ce qu’en dit la balistique. Tout est consigné dans ce rapport, conclut-il en le leur remettant.

L’Hostis se saisit également de la balle et la fit bouger dans le petit sarcophage de verre où elle avait été placée, marmonnant à voix basse, comme pour lui-même :

— Quand on dit que la vie ne tient qu’à un fil !

— On dirait une balle de fusil de chasse, du genre de celles qu’on utilise pour le sanglier et le gros gibier en général, fit remarquer Le Meur. Serait-ce un accident de chasse et le chasseur se serait enfui ?

— Ben oui, une partie de chasse sur le green d’un golf, pourquoi pas ! ironisa L’Hostis. Ceci dit, s’il s’agit d’une balle perdue, on en aura la confirmation avec l’étude balistique et l’enquête de voisinage.

Pour compléter le portrait d’Olivier Krant, ils apprirent de la bouche du légiste la composition du dernier petit déjeuner ingéré, un reflet fidèle des prestations impeccables du restaurant du Golf Majestic. Mais ni L’Hostis, ni Le Meur n’accordèrent de réelle attention au détail du contenu gastronomique, estimant que cela ne serait pas d’un grand intérêt pour la suite de l’enquête. C’est ce qu’ils dirent au médecin légiste en s’excusant tous deux avant de prendre congé.

Pendant le trajet du retour, Le Meur informa L’Hostis de ce qu’on savait déjà sur la victime. Olivier Krant était âgé de 30 ans, marié et résidait dans un bel appartement du centre-ville de Brest. On savait aussi qu’il travaillait pour le compte de la succursale d’une importante entreprise spécialisée dans le travail des métaux : Cufor Metal.

*  Institut médico-légal.

III

Reprenant leur souffle après avoir gravi à pied les cinq étages d’un immeuble cossu dominant le Cours d’Ajot, L’Hostis et Le Meur, appuyèrent sur le bouton en cuivre de la sonnette. Peu de temps après, une belle jeune femme d’une trentaine d’années, vint leur ouvrir. Vêtue d’une tenue sombre en tissu fluide, elle portait autour du cou un collier de perles. Son visage ovale aux traits réguliers et fins exprimait de la gravité. Nadia Krant les invita d’un geste de la main à la suivre et les guida ainsi jusqu’à une grande pièce de vie qui offrait une superbe vue sur la rade de Brest.

Regardant en contrebas par une des trois baies vitrées, L’Hostis chercha à apercevoir le petit deux pièces qu’il avait conservé sur le quai de la Douane. Lui aussi, jouissait d’une vue imprenable sur un des bassins du port, mais les Krant bénéficiaient d’une vue panoramique sur la rade dans sa quasi-totalité. Tout en rejoignant la table de verre où Le Meur s’était déjà installé, il prit le temps de détailler l’intérieur. Manifestement, le couple ne rencontrait pas de difficultés financières : mobilier contemporain haut de gamme, tableaux signés, sans compter la valeur de l’appartement. Renseignements pris, ils savaient que le couple en était propriétaire depuis trois ans. Au bas mot, se dit-il, il doit valoir dans les six cent mille euros.

— Quand pourrai-je disposer du corps de mon mari pour organiser les funérailles ? demanda-t-elle avant toute chose sur un ton quelque peu détaché.

— Cela ne devrait pas tarder, on vous préviendra dès que possible, répondit Le Meur.

— Si je m’attendais à ce qu’on m’annonce la mort de mon mari alors que je me trouvais sur mon lieu de travail ! Qu’est-ce qui a bien pu arriver ! Un accident de chasse ?

— Votre mari avait-il des ennemis, des gens qui auraient pu lui en vouloir ? demanda L’Hostis sans répondre à sa question.

— Mais non, pas du tout ! assura Nadia Krant. Nous menons une existence tout à fait normale.

— Que faisait votre mari sur un terrain de golf en pleine semaine ? demanda Le Meur un peu maladroitement, ce qui eut le don d’agacer L’Hostis qui lui lança un regard désapprobateur.

Surprise par la question, Nadia se raidit un peu sur sa chaise, puis, se reprenant elle lança à l’adresse de Le Meur :

— Aucune loi n’interdit de faire du golf en semaine, que je sache ! Pour le reste, sachez qu’au-delà d’être un sport, le golf, tel que le pratiquait Olivier, lui servait également dans le domaine professionnel. Il avait bataillé pour se faire accepter au Golf Majestic et il y était arrivé. C’était un compétiteur et il n’avait qu’un but, atteindre les objectifs qu’il se fixait, quel qu’en fut le prix à payer. Ceci étant, la veille au soir, il m’avait laissé entendre qu’il y avait rendez-vous le matin avec une personne dont il ne m’a pas donné le nom.

Elle se tut sur ces mots et laissa son regard divaguer au-dehors, où la lumière du temps changea brusquement. Le soleil opérait une furtive percée dans la couche pluvio-nuageuse, arrosant au passage la mer d’un lumineux vert bouteille.

— Quand vous dites qu’il cherchait par tous les moyens à atteindre ses objectifs, jusqu’où était-il prêt à aller ?

— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! s’offusqua Nadia. Il est toujours resté dans le cadre légal, il n’était pas violent. Pour le reste, on n’a aucun problème d’argent. Il gagnait bien sa vie et de mon côté, ma famille a largement de quoi subvenir à nos besoins.

— Il travaillait chez Cufor Metal, n’est-ce pas ? Pouvez-vous nous en dire davantage ? demanda L’Hostis en se levant de sa chaise et en arpentant la pièce, promenant son regard sur les murs et les tableaux qui y étaient accrochés.

— Le siège se trouve à Lyon, ici à Brest, ce n’est qu’une succursale. Cufor Metal s’occupe de produire des pièces métalliques en alliages spéciaux. C’est un secteur de pointe. Ils fournissent l’industrie nucléaire, l’armée, les laboratoires… tous les domaines qui nécessitent des pièces en métaux très résistants. Olivier y était ingénieur commercial et c’est la raison pour laquelle il faisait du golf en semaine. Comme je vous le disais tout à l’heure, au-delà d’être un sport, le golf permet de rencontrer des décideurs, donc de prospecter et de signer des contrats. Cela peut aussi être un accélérateur de carrière ! Il faut rencontrer la bonne personne, au bon moment. Tout n’est qu’une question de réseau aujourd’hui.

Tournant le dos à Nadia, alors qu’il regardait les photos d’un pêle-mêle accroché au mur, L’Hostis rebondit sur ce qu’elle venait de dire :

— En parlant de relations, qu’en était-il de votre couple ?

— À quel niveau ? crut-elle bon de demander.

— En termes de fidélité réciproque par exemple… et d’entente générale ! précisa-t-il en se raclant la gorge.

— Mon mari aimait plaire aux femmes alors je ne peux rien jurer quant à sa fidélité. Pour ma part, il m’est arrivé d’avoir des aventures mais il n’en a jamais rien su. Vous savez, nous avions l’un et l’autre une vision élastique de tout ce qui relève de la morale. Pour le reste, nous nous entendions bien…

Sur ces mots, elle se leva, prenant appui sur la table de ses deux mains tout en guettant la réaction des deux policiers. L’Hostis comprit d’instinct qu’elle souhaitait mettre un terme à l’entretien et il fit un signe discret à Le Meur. Alors qu’elle les raccompagnait vers la sortie, elle conclut l’entrevue, la tête baissée et les yeux dans le vague, en leur disant :

— La vie est bien décevante, parfois…

L’Hostis s’arrêta à sa hauteur, s’apprêta à lui répondre pour finalement y renoncer, se contentant d’abonder dans son sens par une mimique de circonstance.