La martyre du Conquet - Gérard Croguennec - E-Book

La martyre du Conquet E-Book

Gérard Croguennec

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Beschreibung

À la pointe bretonne, entre Le Conquet et Brest, de mystérieuses disparitions de jeunes femmes inquiètent la police.

À son tour, Natacha, la compagne du commandant L’Hostis, ne donne plus signe de vie. A-t-elle été enlevée, est-elle partie de son plein gré ? Entre doutes et angoisses, la tâche s’avère difficile pour notre policier qui doit mener de front une enquête officielle et une autre, plus personnelle.

Découvrez sans plus attendre le quatrième roman policier de Gérard Croguennec !

EXTRAIT

La nuit était sur le point de tomber. Dans la maison silencieuse, Jean-Marc L’Hostis tournait en rond. Arpentant la pièce de long en large, il pestait à voix
haute :
— Mais qu’est-ce qu’elle fait, nom de D... !
Partie depuis bientôt une heure, Natacha, sa compagne, n’était toujours pas revenue. Ils s’apprêtaient tous deux à aller dîner au restaurant quand, prétextant
une course urgente à faire, elle était partie au village. « Je n’en aurai pas pour longtemps », avait-elle assuré. Vêtue de sa tenue de soirée, elle avait pris ses clefs de voiture et était partie.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Morlaix en 1963, Gérard Croguennec vit avec son épouse et leurs quatre enfants dans le Beaujolais où il travaille comme
formateur dans un CFA. Brestois d’origine, la Bretagne le fascine toujours et lui inspire ici son quatrième roman policier.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Vis comme si tu devais mourir demain.Apprends comme si tu devais vivre toujours. »Gandhi

PRÉAMBULE

Bonjour ! Je suis le temps ! Pas le temps qu’il fait, non, le temps qui passe… inexorablement. Les hommes, pour se rassurer et s’organiser, ont jugé utile de me segmenter. C’est une façon pour eux d’avoir une certaine emprise sur moi, du moins c’est ce qu’ils croient… La succession des jours et des nuits, le passage d’une saison à une autre, les lunaisons ne lui suffisant plus, ils ont baptisé les répétitions de cycles circadiens du nom des astres errants qu’ils peuvent observer dans le ciel. Le soleil, la lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne lui ont inspiré des divinités et ces divinités lui ont inspiré les jours de la semaine. Un jour pour chaque dieu, constituant ainsi les balises temporelles qui forment la semaine, soit approximativement un quartier de lune.

Non contents de cela, les hommes ont attribué des pouvoirs aux astres. À chaque jour sa planète, à chaque planète ses attributions, ses qualités. Perdus dans l’espace et dans le temps, ils ont trouvé ainsi une réponse à leurs angoisses. Comme des lampes clignotantes, les terriens éclairent ma route de leurs éclats éphémères. Je suis le champ de leur conscience, de leur passage chez moi. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche… et on recommence… Leurs prières ? Que chaque jour se passe pour le mieux et qu’il y en ait le plus possible ! Et n’oubliez pas, je suis lundi, mardi, mercredi….

I

La nuit était sur le point de tomber. Dans la maison silencieuse, Jean-Marc L’Hostis tournait en rond. Arpentant la pièce de long en large, il pestait à voix haute :

— Mais qu’est-ce qu’elle fait, nom de D… !

Partie depuis bientôt une heure, Natacha, sa compagne, n’était toujours pas revenue. Ils s’apprêtaient tous deux à aller dîner au restaurant quand, prétextant une course urgente à faire, elle était partie au village. « Je n’en aurai pas pour longtemps », avait-elle assuré. Vêtue de sa tenue de soirée, elle avait pris ses clefs de voiture et était partie.

Pour patienter, L’Hostis était allé se poster en bas de leur jardin, sur un muret de pierres sèches qui bordait le sentier côtier. Là, à une quinzaine de mètres au-dessus de la mer, il dominait l’océan. Après une demi-heure passée à rêvasser, ne la voyant pas revenir, il avait commencé à s’inquiéter.

Il composa son numéro de téléphone portable. Dans l’écouteur les « bip-bip-bip » s’égrenaient, semblant chercher le correspondant. Cessant de marcher, il compta les sonneries. À la troisième, il entendit simultanément un téléphone sonner dans la maison. Il le reconnut immédiatement, c’était celui de Natacha. Elle était donc sortie sans le prendre !

Subitement, il s’inquiéta. Ennemi de l’inaction, il consulta encore sa montre puis prit ses clefs de voiture. Il chercha toutefois à se raisonner : « Tu t’inquiètes pour rien ! Elle sera rentrée dans cinq minutes. Elle aura rencontré quelqu’un, c’est tout. » Mais son instinct et son intuition lui soufflaient que ce n’était pas normal. Pas dans le contexte de ce soir.

Ils avaient prévu de sortir au restaurant, mais pas n’importe lequel, un restaurant gastronomique. Pour l’occasion, il s’était mis sur son trente et un, costume et cravate. Quant à elle, robe de soirée et talons hauts, elle ne passerait pas inaperçue dans le village. Elle avait même mis des bas à couture, se souvenait-il.

Cédant à ses tensions intérieures et à son inquiétude, L’Hostis sortit. Il avait enlevé sa cravate pour être plus à l’aise et fit rapidement le point pour organiser ses recherches. Il gagnerait d’abord le bourg du Conquet où elle devait aller. « Les commerces doivent déjà être fermés », pensa-t-il. Il repérerait sa voiture, c’est sûr ! Elle avait peut-être simplement eu un problème mécanique et, n’ayant pas de portable, ne pouvait pas prévenir. S’appliquant à faire le tour de tous les parkings, son angoisse s’intensifia. Nulle part, il ne vit sa 205 rouge. Il élargit alors le champ de ses investigations et le poussa aux rues importantes et aux environs du port. Natacha aimait s’y rendre, il le savait. Il emprunta la rue Sainte-Barbe en direction de l’hôtel du même nom, tout au moins au temps de sa splendeur. Aujourd’hui, ce n’était plus qu’une grande carcasse de béton, de verre et d’acier qui veillait sur l’entrée du port, perchée en haut de sa falaise. Il se gara de façon à bien distinguer le parking du quai Aviso Vauquois ; ainsi, d’où il se tenait, il le surplombait et avait une large vue sur les abords de la gare maritime. Mais là encore, il dut se rendre à l’évidence, pas de voiture. Natacha restait introuvable.

Il alla se renseigner chez les tenanciers des bars-restaurants sans plus de succès. Personne ne l’avait vue. Peut-être était-elle rentrée entre-temps… Il rebroussa chemin et regagna leur maison. Une sourde angoisse lui serra la poitrine quand il se gara devant chez lui. Elle n’était pas là. On se moquerait de lui s’il allait signaler une disparition inquiétante. Trop tôt et pas d’éléments probants. Pourtant, il en restait persuadé, il se passait quelque chose d’anormal. Il fallait qu’il cherche par lui-même, sa voiture était bien quelque part ! Où diable voulait-elle aller tout à l’heure ? Il réalisa qu’elle ne lui avait rien dit de précis, simplement qu’elle sortait faire une petite course et qu’elle revenait vite. Natacha connaissait peu de monde au Conquet et dans les environs, n’y ayant emménagé avec lui que la veille. S’il devait en croire les commerçants qu’il avait pu questionner, on ne l’avait pas vue au centre du village. Que restait-il ? Plougonvelin, le village voisin ! Ne pouvant se résoudre à ne rien faire, il s’y rendit. La nuit tombait, rendant les recherches plus difficiles. Alors qu’il roulait sur la route touristique, ne faisant pas attention au paysage, se contentant de négocier les courbes au plus juste, regardant les emplacements de parking tout le long de la côte, il prit le temps d’une halte sur celui de la Grève Bleue. Ce dernier surplombait la plage, juste en dessous, et il voulait vérifier que la voiture n’y était pas tombée par accident.

À l’Hostellerie de la Pointe Saint-Mathieu où ils devaient passer la soirée ensemble, on lui assura qu’elle ne s’y était pas présentée. Il en profita pour annuler leur réservation. Sur le trottoir, hagard, le cœur battant à tout rompre, il pressentit le pire, mais n’aurait su dire à quoi il ressemblait. Il poursuivit ses recherches sur Plougonvelin, descendant jusqu’à la plage du Trez-Hir.

À vingt-trois heures, l’obscurité rendant le travail trop compliqué, il cessa ses recherches. Très inquiet, il prit le chemin du retour, non sans faire un crochet par la maison de son ami Henri Lavanant. Ce dernier habitait vers le hameau de Lochrist et n’avait pas son pareil pour tout savoir sur ce qui se passait dans le pays.

Les contours des volets bleu ciel apparurent dans la lumière des phares. Devant la fenêtre, il le reconnut qui écartait les rideaux. Le bonnet de laine bien vissé sur le haut du crâne, il ne changeait pas.

— Qu’est-ce que tu viens faire à cette heure-ci chez moi ? lui demanda ce dernier. Ça doit être grave ! Ah oui ! Quand je vois ta tête, ça se confirme ! Entre !

Ils prirent place autour de la table en formica jaune de la cuisine. Comme d’habitude, on sentait le parfum du savant mélange de café et chicorée qui s’échappait de la cafetière maintenue au chaud. Henri Lavanant le laissa dérouler son récit, impassible. À aucun moment, il ne l’interrompit.

Quand l’Hostis eut terminé, Henri Lavanant se leva et apporta deux tasses qu’il remplit de son breuvage.

— Ça ne t’empêchera pas de dormir ! Il est très léger, mais ça réchauffe.

Après en avoir bu une gorgée, il ajouta :

— J’ai aperçu une 205 rouge passer devant chez moi à vingt heures environ, mais la conductrice n’était pas seule. Il y avait un homme à côté d’elle. Ils allaient du côté de Lochrist.

L’Hostis afficha sa surprise.

— Tu as remarqué un détail particulier sur la voiture ?

— Des rubans blancs qu’on met pour les mariages. Y’en avait sur les poignées de portières et sur l’antenne.

— C’est elle !

En face de lui, son ami l’observait, attentif, silencieux, la barbe de trois jours éclairant le visage buriné de tons poivre et sel. Droit dans ses bottes, le sexagénaire rassurait par sa force tranquille ; il portait en lui l’expérience et la sagesse d’une vie bien remplie.

— Et le passager, tu pourrais le décrire ?

— Non, il tournait la tête.

Sur ce, Henri alla chercher deux verres à liqueur et une bouteille de calva.

— Tiens, je crois que tu en as besoin…

Ils trinquèrent en silence. L’Hostis reprenait espoir, mais le mystère demeurait entier. Où était-elle allée, avec qui et pourquoi ?

LUNDI

Lundi, je suis le jour de la lune. Pour l’organisation internationale de normalisation, je suis le premier jour de la semaine ; pour les chrétiens, le deuxième après le dimanche qui commémore la résurrection du Christ. Jour d’Artémis pour les Grecs, de Diane pour les Romains. On m’a ainsi nommé par référence à la lune, le luminaire nocturne. Les astrologues associent cet astre au genre féminin, au froid et à l’humidité. La lune symbolise aussi l’épouse, la femme, mais également les changements, les lacs et rivières, l’intuition, l’imagination, la vie intérieure et la sensibilité… jusqu’à demain.

II

Dans un coin de la pièce, plongée dans l’obscurité la plus totale, une femme sanglotait bruyamment. Les mains serrées autour des genoux, elle se tenait prostrée par terre, le dos appuyé contre le mur. Les spasmes de ses pleurs soulevaient ses épaules à intervalles réguliers. Soudain, elle redressa la tête et poussa un cri déchirant provenant du plus profond de son être. Tout son corps vibra à l’unisson de cette plainte teintée de ses angoisses : la peur du noir conjuguée à celle du silence.

Elle se mit debout péniblement en prenant appui sur les murs et se déplaça à tâtons dans le noir jusqu’à la porte qu’elle frappa de ses poings. Avec toute l’énergie du désespoir, elle assena ses coups de boutoir sur la plaque d’acier qui lui barrait le passage vers la liberté. Un instant, elle s’interrompit, interrogeant les ténèbres, mais seule la douleur ressentie aux mains lui répondit par des lancements lancinants.

Abattue, elle se laissa choir à terre.

— Laissez-moi sortir ! hurla-t-elle, à bout de force.

Tendant l’oreille, il lui sembla entendre du bruit. Tous les sens en éveil, elle attendit, portant tout son espoir dans ce son qu’elle avait cru percevoir. Au lieu de cela, elle retrouva l’opacité du silence, tenace, épaisse, obsédante, aliénante… Elle qui d’ordinaire n’aimait pas le bruit aurait tout donné pour le vacarme le plus fou. Elle se prit à rêver de marteau-piqueur, d’avion à réaction…

Privée de ses oreilles et de ses yeux, le seul contact qu’elle entretenait avec son environnement lui provenait de sa peau et de son nez. Mais les informations qu’elle y puisait contribuaient à alimenter davantage ses angoisses. Plusieurs fois, des dizaines ou peut-être plus, elle ne savait plus, elle avait fait le tour de sa geôle, l’inspectant minutieusement. En vain. Le cube de pierre dans lequel on la retenait prisonnière restait inviolable. Son univers se résumait désormais à six faces, les quatre murs, le sol et le plafond.

À quatre pattes, elle rejoignit le matelas posé à même le sol et s’y coucha sur le ventre, toujours sanglotant. Elle réajusta sa robe le long de ses jambes et rabattit la couverture sur elle. De sa main droite, elle caressa le mur. La multitude d’aspérités minérales que lisaient ses doigts, quand elle y laissait courir ses ongles, lui rappelait le granit de la cheminée de sa maison quand elle habitait encore à Commana. Mais où était-elle ? Dans une cave, peut-être. Ce qui l’étonnait était l’absence totale de lumière. Nulle part le jour ne filtrait, même pas sous la porte. Elle n’avait jamais connu une telle obscurité. Ou plutôt si ! Elle s’en souvint subitement, elle qui croyait cet épisode de sa vie à jamais enfoui, oublié. Cela déclencha chez elle une nouvelle crise d’angoisse. Criant sans retenue, elle se tordit convulsivement sur sa couche, donnant des coups de pied dans le mur. Puis, ramenant la couverture vers elle, elle y mordit de toutes ses forces.

Elle se revit, enfant, prisonnière du frigo de son oncle boucher. Alors qu’ils jouaient, son cousin l’y avait enfermée par jeu. Incapable de lui ouvrir, ce dernier n’avait rien dit. Ce n’est que le soir, après des recherches angoissantes que ses parents l’avaient retrouvée. Frigorifiée, en hypothermie, elle était restée une semaine sans parler. Par la suite, comme par magie, elle avait occulté ce souvenir. Jusqu’à aujourd’hui…

Depuis combien de temps était-elle séquestrée ? Elle n’aurait su le dire. La faim la tenaillait, le froid et l’humidité la transperçaient. Le seul élément de confort, hormis le matelas, tenait en un seau hygiénique et du papier toilette posés dans un coin. Son geôlier avait aussi pensé à l’eau, lui laissant un pack de bouteilles d’eau minérale. Il lui semblait qu’on devait être lundi si elle en jugeait par son rythme de sommeil, mais elle n’en était pas sûre. Elle commençait à perdre ses repères. Terrorisée, envahie par ses démons intérieurs elle fixait le vide, les yeux grands ouverts dans le noir. L’idée de la mort s’immisçait en elle. « Je vais devenir folle », se dit-elle.

Un bruit attira son attention. Le premier depuis le début de sa détention dans ce lieu infâme. Au-delà de sa surprise, elle en eut presque peur. Se redressant sur le matelas, elle tendit l’oreille, attentive. Le silence lui répondit, relayé par des battements sourds et réguliers. « Mon cœur ! J’entends mon cœur », se dit-elle. Suspendant sa respiration, elle fixa son attention au maximum. À nouveau, ce qui lui parut être des grattements lui parvinrent. Une souris ! Elle ne bougea plus, dans l’attente. Cette petite manifestation de vie lui redonna espoir. Le silence de sa prison se déchirait enfin un peu. Le petit rongeur lui permettait de reprendre contact avec le monde extérieur. Enfant, elle en avait eu une dont elle s’occupait. Elles ne lui faisaient pas peur, bien au contraire.

Curieux, le petit quadrupède s’enhardit jusqu’à venir gratter à une vingtaine de centimètres de sa jambe gauche. Elle sentait la présence du mammifère et cela lui faisait du bien. Subitement, ce dernier rebroussa chemin. Elle perdit sa trace un peu sur la droite, non loin de la porte. Vivement, elle se déplaça jusque-là et, à quatre pattes, entreprit de rechercher le trou, l’interstice par lequel il s’était faufilé. Fébrilement, elle caressa le mur de ses dix doigts, méthodiquement, suivant le tracé des pierres, en inspectant les joints.

Elle le trouva ! Une minuscule ouverture de la taille d’une pièce de deux euros à l’angle formé par les deux pans de mur et le sol. En y approchant son visage, elle sentit un minuscule filet d’air. Elle poussa un cri de joie, tant l’émotion lui serrait la gorge. Mais savoir la souris libre d’aller et venir raviva en elle sa situation de prisonnière, emmurée vivante… L’euphorie tomba, elle s’effondra à terre en pleurant.

— Maman ! Je suis en train de rêver ! dit-elle à haute voix. Je vais me réveiller, dis-moi que je vais me réveiller ! Je ne veux pas mourir !

Elle se roula en boule sur le matelas et s’y endormit en sanglotant, épuisée. Pour ne pas sombrer dans la folie, elle se persuada qu’au réveil, tout serait redevenu comme avant. Rapidement, les rêves l’emportèrent, le cauchemar étant déjà passé…

III

— Je veux voir tout le monde en bas dans cinq minutes !

Les deux policiers se regardèrent. Au ton de la voix du commissaire Duval, ils pressentirent le pire. Ils allaient avoir du travail, une grosse affaire probablement… Le capitaine Le Meur lut la crainte sur le visage du commandant L’Hostis. Blême, ce dernier se rendit tel un automate à la salle de réunion. Il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Inlassablement, il s’était repassé le film de leur relation de ces derniers jours. Henri l’avait vue en compagnie d’un autre homme ! Il ne comprenait plus. Son imagination l’emportait sur des sentiers non balisés. Le trompait-elle ? N’était-ce qu’un auto-stoppeur ? Une connaissance ?

Le capitaine Le Meur, son adjoint, qu’il avait mis au courant, l’observait en silence, ne sachant quelle conduite tenir. Dans ces cas-là, les mots ne lui venaient pas facilement, même si son collègue de travail lui faisait de la peine.

Dans les couloirs régnait une agitation indescriptible. Duval n’aimait pas attendre. Quand les derniers retardataires se furent installés et que les derniers bruits de chaise qu’on déplace prirent fin, il s’adressa à ses hommes :

— On a une sale affaire sur les bras. Le corps mutilé d’une femme de 30 à 40 ans a été retrouvé il y a dix minutes au port de commerce. Une équipe est en place qui balise le terrain. La scientifique est en route. L’Hostis et Le Meur, vous m’accompagnez sur place. Pour les autres, Le Calvez vous a préparé un topo, vous procédez à une enquête de voisinage serrée. Ne négligez aucun indice, aucune piste. Pour info, ceux qui sont déjà là-bas pencheraient pour un détraqué sexuel.

Ses derniers mots restèrent en suspens.

— Allez, au boulot ! Prochain débriefing ce soir.

Le trajet jusqu’au port se fit en silence. Le gyrophare promenait son reflet bleuté sur les véhicules en stationnement. L’Hostis regardait dehors, évitant le regard de ses collègues. Le no man’s land industriel et portuaire défilait sous ses yeux. Au beau milieu des mauvaises herbes s’amoncelaient pêle-mêle tas de tuyaux rouillés, blocs de béton tagués. L’instant présent, noir, dense, engluait son esprit, l’empêchant de penser à autre chose. De loin, il vit qu’ils étaient presque arrivés. Un attroupement, des véhicules de la « maison », la presse… « Faut-il finir ainsi tragiquement pour mériter les feux de la rampe ? », se dit-il cyniquement.

Le corps de la victime gisait à deux pas de la cale de radoub n°1. En guise d’épitaphes, des tags colorés s’étalaient sur la friche industrielle toute proche. Un artiste inspiré avait peint en rouge sur une buse en ciment : « Jésu t’aime. » Où est passé le « s » ? se demanda-t-il. Quand ils furent garés, L’Hostis s’extirpa avec lenteur de l’habitacle. Du coton plein les jambes, il suivit ses collègues jusqu’à la scène du crime. La première chose qui retint son attention fut la posture humiliante dans laquelle gisait le corps de la jeune femme. La robe remontée jusqu’à la taille, elle gardait les jambes écartées avec les genoux relevés. Nue, des petites lacérations couvraient l’intérieur de ses cuisses. La tête reposait un peu penchée sur le côté, les cheveux châtains mi-longs encadrant un visage aux traits fins. Il soupira intérieurement. La ressemblance avec Natacha l’avait surpris, mais ce n’était pas elle. Le teint mat comme elle, même son nez offrait les mêmes caractéristiques avec des ailettes qui suggéraient l’animal aux aguets. Le Meur, le premier rompit le silence.

— J’ai le sentiment qu’elle n’est pas morte ici. Regardez sa position, on dirait plutôt qu’on l’y a déposée.

La police scientifique s’activait à leurs côtés. Le médecin légiste intervint à son tour :

— Je partage votre avis, cela ressemble presque à une mise en scène.

— On recherche des traces de voiture ! dit Duval à l’attention des hommes en blouse blanche qui gravitaient autour d’eux avec leur matériel d’investigation.

— On va avoir du boulot, répondit l’un d’entre eux. Vous avez vu toutes les traces au sol ? On va faire de notre mieux !

La morte avait les mains posées sur le ventre comme si elle cherchait à le protéger. Les ongles de ses mains, abîmés, avaient été peints en rouge carmin, mais on n’en voyait plus qu’une surface écaillée. Elle ne portait pas d’alliance, pas de bijoux si ce n’est un collier très fin. Les motifs à fleurs pastel de sa tenue contrastaient avec la violence qu’on ressentait quand on la regardait. La souffrance de la victime, palpable, imprégnait les quais.

Quelques minutes plus tard, la fermeture éclair de la housse mortuaire plastifiée résonna aux oreilles de L’Hostis comme la page d’un livre qu’on ferme. Le livre d’une vie que sa lectrice n’avait pas choisi d’interrompre si tôt…

Le Meur, se saisissant du portefeuille de la victime, commença à en faire l’inventaire. La carte d’identité dans la main droite, il lut :

— Awena Brieux, née le 10 janvier 1980 à Rennes. La carte est récente, l’adresse qui y figure est peut-être toujours d’actualité : rue d’Armor à Brest. Pour le reste, il ne contient plus d’argent et il n’y a pas de cartes de crédit. Juste la carte d’identité, le permis de conduire et la carte de sécu.

Derrière eux, on emmenait le corps à l’Institut médico-légal. Les badauds, attirés là par l’odeur du sang, reprenaient maintenant le cours de leur existence, peut-être trop banale à leurs yeux. La circulation se rétablissait doucement, les moteurs des voitures alimentaient à nouveau la rumeur de la ville. Dans la cale de radoub, les sableurs se mirent au travail. La vie continuait…

IV

La victime, comme l’indiquait l’adresse sur la carte d’identité, habitait rue d’Armor dans le quartier des Quatre-Moulins à Brest. Au dernier étage d’un immeuble qui en comptait trois, elle occupait un appartement mansardé. Rénové récemment, le bâtiment, plutôt coquet, était exposé au sud. Un serrurier, appelé en renfort, ouvrit la porte du domicile d’Awena Brieux.

— Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un homme ici ! fit remarquer Le Meur.

L’intérieur, propre et bien rangé, meublé et décoré avec goût, ne laissait voir aucune trace masculine apparente. Pas de rasoir, pas de mousse à raser ni d’après-rasage dans la salle de bains, pas de slips ou caleçons qui traînent dans le couloir, l’intérieur avait tout de celui d’une célibataire.

— Pas de bière dans le frigo, pas d’alcools forts dans le bar ! Je crois que tu as raison ! répondit le commandant L’Hostis.

— Tu as vu ? Sur le petit meuble ici, il y a une fille qui revient souvent sur les photos.

— Oui, mais sur celle-ci, il y a un homme ! fit L’Hostis en la mettant dans une pochette plastifiée avec les autres.

Ils ne remarquèrent rien d’anormal dans l’appartement, aucune trace de lutte apparente. La police scientifique ferait peut-être parler davantage les lieux, mais pour l’instant, il était trop tôt pour tirer des conclusions. Un inventaire du réfrigérateur les renseigna sur la date approximative à laquelle elle avait dû quitter son domicile pour la dernière fois, de même que le contenu de la boîte aux lettres. Apparemment, elle n’avait pas remis les pieds dans l’appartement depuis une petite semaine.

— Soit elle n’aime pas cuisiner, soit elle a un emploi du temps qui ne le lui permet pas ! Tu as vu toutes les boîtes de conserve dans les placards !

— Ah ! Toi et la bouffe ! plaisanta L’Hostis à l’adresse de son collègue. Allons plutôt voir les autres pièces…

Dans la chambre à coucher, le lit double était recouvert d’un dessus-de-lit en soie rose sur lequel des coussins bleus étaient joliment disposés. Le mobilier en bois blanc comprenait deux tables de chevet. Sur celle de gauche, un réveil électrique affichait des chiffres luminescents rouges ; sur l’autre, un réveil à aiguille égrenait ses tic-tac. Près de chacun, un livre était posé, de même que des bijoux et un flacon de parfum, comme si deux personnes y avaient leurs habitudes. L’Hostis s’intéressa tout d’abord aux deux petits vaporisateurs. Il s’en aspergea successivement les poignets et sentit deux parfums très différents : l’un très floral et l’autre très musqué. S’attardant ensuite sur les bijoux, il se saisit d’une gourmette comme en ont les enfants, et lut : « Mathilde 10/7/1982. »

— Quelque chose me dit qu’Awena ne vit pas seule. Pas d’homme certes, mais une compagne de vie ! Il n’y avait qu’un nom sur la boîte aux lettres ? demanda Le Meur.

— Oui, on a vérifié.

— A priori, la copine ne vit pas à demeure avec Awena parce qu’elle ne s’est pas manifestée pour signaler sa disparition ou nous informer de quoi que ce soit.

— Pas à demeure mais assez pour y laisser des affaires intimes ! Tu peux aller te renseigner sur elle dans l’immeuble ?

— J’y vais !

L’Hostis continua la visite de l’appartement. Il restait une pièce dans laquelle ils n’étaient pas encore allés. Idéalement conçue sous la pente du toit, la charpente y occupait une place de choix. Les entraits, contrefiches, poinçons et arbalétriers en chêne foncé contrastaient sur le plafond blanc. Une fenêtre de toit l’arrosait de lumière. Awena savait ce qu’elle faisait quand elle avait décidé d’y installer son atelier. Face à l’ouverture, une toile blanche attendait qu’on veuille bien s’en occuper. Anachronique dans le décor, un gwenn ha du, le drapeau breton, recouvrait un des pans de mur. Se saisissant d’un flacon d’essence de térébenthine, il en dévissa le bouchon et le porta à son nez. Instantanément, il repensa à Natacha. Il ne put s’empêcher de relier les deux affaires, le meurtre d’Awena et la disparition de sa maîtresse. Toutes les deux peignaient, et, cerise sur le gâteau, elles se ressemblaient un peu physiquement. Une angoisse l’envahit.

Des toiles appuyées contre le mur attirèrent son regard. Les unes après les autres, il les fit défiler sous ses doigts. Une d’entre elles retint davantage son attention. Il la porta à bout de bras et la regarda à la lumière. Un champ de blé noir s’étendait doucement sur la pente d’une colline arrosée par la lumière d’un ciel d’orage. Le vent agitait les fleurs blanches rosées et des coquelicots perçaient la toile çà et là.

D’un panier d’osier dépassaient des pinceaux. Il en prit un et en caressa les poils de martre. « Curieux, se dit-il, on dirait qu’ils n’ont pas servi depuis longtemps. » Un examen plus approfondi du contenu le confirma, les tubes de peinture à huile étaient neufs et pas encore utilisés. Nulle part, elle n’avait laissé de traces d’une utilisation récente de l’atelier pour peindre. La pièce évoquait plus un musée, quand on y réfléchissait, qu’un atelier de peintre. La porte d’entrée claqua. Le Meur revenait.

— Awena a bien une copine régulière. Le voisin de palier dit qu’elle vient au moins une fois tous les quinze jours, elle s’appelle Mathilde Seignosse. Elle serait hôtesse de l’air d’après ce qu’il en sait, et d’une certaine façon, elle ferait ses escales chez Awena.

— On sait pour qui elle travaille ?

— Chez Iberia a priori.

En faisant l’inventaire du placard de la chambre, ils constatèrent que la penderie se séparait nettement en deux parties. Dans l’une d’entre elles, une tenue d’hôtesse aux couleurs de la compagnie pendait sur son cintre. Si on pouvait supposer qu’elles vivaient ensemble, l’appartement était bel et bien au nom d’Awena et c’est elle qui en réglait toutes les factures comme le leur apprirent les documents administratifs rangés dans une boîte à dossiers.

— Tiens ! Voilà ses bulletins de salaire. Elle travaille pour l’entreprise « Le Moulin de l’Aulne » à Châteaulin.

— Moi, j’ai le répertoire téléphonique et le carnet d’adresses correspondant. On a du grain à moudre.

Le Meur releva la pointe d’humour mais ne dit rien.

V

Ce soir, il ne retournerait pas au Conquet dans la maison qu’il occupait depuis peu avec Natacha. Il appréhendait de se retrouver seul avec son “fantôme”. Si elle revenait, elle l’appellerait de toute façon. Sur Brest, il resterait absorbé par l’affaire en cours. Toutefois, il ne laissait pas tomber pour autant ses recherches à titre privé. Sa compagne ne faisant pas l’objet d’une disparition inquiétante, il était le seul à pouvoir entreprendre quelque chose.

Absorbé dans ses pensées, il n’eut pas sa chance habituelle pour se garer. Contrarié, il dut faire le tour du quartier deux fois pour se résoudre à se rendre sur le grand parking sous la rampe d’accès au port. Tant pis, il serait mouillé. Un grain porté par des vents d’Ouest commença à lâcher ses projectiles. A l’unisson, de grosses gouttes venues du large tambourinèrent an cadence sur le toit du véhicule. Comble de malchance, il n’avait pas de parapluie. Un examen plus approfondi du ciel ne lui laissa pas augurer d’amélioration avant un bon moment. Il estima le temps qu’il lui faudrait pour rejoindre son deux-pièces sur le quai de la Douane. La conclusion lui sauta à la figure quand il ouvrit la portière, le temps d’être trempé.

Avec Natacha, ils avaient fait le choix de conserver cette location pour plusieurs raisons. Le côté pratique tout d’abord, cela leur permettait en effet d’y rester en fonction des exigences professionnelles du moment. Lui, travaillant sur place, et elle, y ayant sa galerie de peinture, cela présentait des avantages. Enfin, l’un et l’autre aimaient l’atmosphère du quartier et les souvenirs qui y étaient attachés. Sa situation, juste au-dessus du bassin dans lequel venait s’amarrer le remorqueur de haute mer l’Abeille-Bourbon et la goélette la Recouvrance, les ravissait par la vue imprenable que le logement offrait sur le port et la rade. Mais c’était surtout le prix de la location, très avantageux, qui les avait décidés. Du coup, elle avait même installé un petit atelier de peinture dans leur chambre.

Après avoir relevé le courrier, il grimpa les trois étages en courant. Ruisselant, il peina à introduire la clef dans la serrure L’eau du ciel gouttait sur le paillasson. La première impression qu’il éprouva en entrant fut un profond sentiment de solitude. Le silence de l’appartement lui renvoya en pleine figure l’absence de sa compagne. Où était Natacha ? Que lui était-il arrivé ? L’infidélité dont il aurait pu être la victime lui traversa l’esprit. Henri Lavanant ne l’avait-il pas vue en compagnie d’un homme dans sa voiture ? « Je suis bête, pensa-t-il, ce n’est pas possible ; chasse cette idée stupide ! » Attablé dans la cuisine, il décapsula une bière et la but au goulot. Le regard perdu au-delà de la fenêtre, comme suspendu dans le temps et dans l’espace, il fit le vide en lui. La matinée avait été éprouvante.

Il ouvrait une deuxième bière quand son téléphone sonna. C’était Jo Le Doaré. Le vieil ami avec qui il pêchait en mer, prenait de ses nouvelles.

— J’ai appris par Henri que Natacha a disparu ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

L’Hostis lui raconta par le détail les dernières quarante-huit heures, de même que l’affaire sur laquelle il travaillait en ce moment.

— Écoute ! Je partage ton avis ! Il lui est certainement arrivé quelque chose. Si les flics ne veulent pas s’en charger, il faut mettre en place un dispositif pour la retrouver. Comme tu n’es pas libre de tes mouvements à cause de ton boulot, il y a une autre solution…

— Dis toujours !

— Mets en place un réseau.

— Explique-toi !

— Fais comme les jeunes avec leurs réseaux sociaux, parle de la disparition de Natacha autour de toi et fais en sorte que cela fasse boule de neige. Ensuite, il faut attendre et rester réactif. Tu te souviens de François Madec ?

— Celui chez qui nous avions mangé avec Le Meur quand on enquêtait sur le meurtre de Mathieu Creisméas ?*

— C’est ça ! Il a vendu sa maison et s’est installé sur Brest où il vit en colocation avec deux autres retraités comme lui. Il a gardé intact son réseau de connaissances dans la région du Conquet. Va le voir et demande-lui de l’aide !

Le temps d’avaler un sandwich, il se rendit ensuite chez le retraité, ancien cuisinier de la marine marchande. Ce dernier habitait dans un appartement à l’angle de la rue du Château et de la rue d’Aiguillon. L’Hostis poussa la porte d’entrée de l’immeuble et se dirigea vers les boîtes aux lettres. Sur l’une d’entre elles, il lut : « François Madec, Auguste Le Floc’h, Nicolas Pensec, rez-de-chaussée gauche. » Il y sonna. Un homme âgé lui ouvrit. « Il doit bien avoir quatre-vingt-cinq ans », se dit-il. Un vieux labrador se tenait à ses côtés, débonnaire.

— Bonjour, je suis Jean-Marc L’Hostis, se présenta-t-il, je pourrais voir François ?

L’Hostis avait dit cela vite, sans y mettre les formes. Le vieil homme prit le temps de le regarder en détail puis appela en tournant la tête vers l’intérieur du logement :

— François, tu as de la visite !

Sur ce, il referma la porte derrière L’Hostis, le laissant seul en compagnie du chien, et alla s’enfermer dans une pièce au fond du couloir. L’animal qui n’avait pas bougé, avança son museau, quémandant une caresse. Il céda à sa demande en lui grattant le cou, faisant la joie du quadrupède.

— Il est très affectueux !

Surpris, il leva les yeux, abandonnant le compagnon à quatre pattes. Il n’avait pas entendu arriver François Madec.

— Quel bon vent vous amène ? Entrez ! fit le retraité qui le guida jusqu’à la cuisine où il le fit s’asseoir.

L’intérieur sentait la propreté. « Les hommes se débrouillent bien sans femme », pensa L’Hostis, non sans humour. Quand son hôte lui eut servi un verre de vin, il recommença le récit des événements récents.

— C’est une bonne idée qu’a eue Jo de vous amener à moi. Je ne prétends pas faire des miracles, mais faire fonctionner les réseaux pour glaner çà et là des informations, je dois avouer que c’est pertinent. En plus, j’aurais bien aimé travailler dans la police, alors vous voyez…

— Qu’est-ce que vous pouvez faire ?