Embrouilles à Madrid - Dan Devannes - E-Book

Embrouilles à Madrid E-Book

Dan Devannes

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Beschreibung

« La Meute », cinq hommes condamnés pour « abus sexuels » et non pour viols, sont remis en liberté, malgré plus de 35 000 personnes dans les rues à Madrid qui manifestent contre la décision de justice.

En mai 2018, deux des juges les utilisent pour semer la terreur dans Madrid pour accéder au poste de Maire. Des élections municipales… Olé Olé !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Dan Devannes a exercé des métiers aussi divers que chaudronnier, illustrateur, décorateur pour le cinéma, barman, magicien professionnel, ce qui lui offre voyages et culture au gré de ses déplacements. De retour en France, il crée avec son épouse catalane un hôtel pour chiens et chats qu’il construit de ses mains dans les plaines du Roussillon. Il est également auteur de plusieurs BD, d’un livre d’art Croquis au cœur de Sitgès et d’un roman Mon chien… ce héros.

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Dan Devannes

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté hier à Pampelune, dans le nord de l’Espagne, au troisième jour d’un vaste mouvement de protestation dans ce pays contre un jugement disculpant de « viol » cinq hommes ayant abusé d’une jeune femme, et même des carmélites se sont jointes aux critiques depuis leur couvent.

Le slogan « CEN’ESTPASUNABUSSEXUEL, C’ESTUNVIOL ! » a résonné hier à Pampelune, capitale de la région de Navarre, comme chaque jour depuis que le jugement contesté y a été rendu.

Cinq Sévillans âgés de 27 à 29 ans, qui se surnommaient eux-mêmes « La meute », avaient été condamnés jeudi à une peine de neuf ans de prison chacun, pour « abus sexuel » sur une Madrilène de 18 ans pendant les fêtes de la San Firmin de l’été 2017, aggravé d’« abus de faiblesse ».

Ils avaient filmé leurs actes et s’en étaient vantés sur whatsApp, tandis qu’au procès, la jeune fille avait dû se justifier d’avoir une attitude passive face à eux. Leurs avocats soutenaient que la victime, qui avait auparavant bu de la sangria, était consentante puisqu’elle n’avait jamais semblé dire non à l’image.

Finalement, les juges n’ont pas retenu la notion de « viol » pour lequel le Code pénal espagnol stipule qu’il doit y avoir eu « intimidation » ou « violence ».

Dès vendredi, le parquet de Navarre, notamment, avait annoncé qu’il ferait appel du jugement en maintenant que « les faits sont constitutifs du délit d’agression sexuelle (viol) ».

Le gouvernement conservateur espagnol de Mariano Rajoy s’était empressé d’annoncer qu’il étudierait l’éventualité d’une révision du Code pénal.

CHAPITRE I

Pétition massive contre les juges

Mais la contestation n’a cessé d’enfler, de nombreux Espagnols s’indignant qu’un des trois juges se soit prononcé pour la relaxe des cinq hommes. Des personnalités très différentes se sont impliquées dans le débat, telle la puissante dirigeante de la banque Santander, Anna Botin, qui a glissé sur twitter que le jugement était « un recul pour la sécurité des femmes ».

L’ancienne juge Manuela Carmena, maire de Madrid, a aussi considéré que « ce jugement ne répond pas aux exigences de justice des femmes » et souhaité qu’il soit cassé.

Fait rare : plus de 1,2 million de personnes ont déjà signé une pétition adressée au tribunal suprême pour réclamer la révocation des juges ayant pris la décision. Mais d’autres voix se sont élevées pour appeler au respect du haut magistrat et à leurs argumentations.

Les 35 000 personnes manifestant chaque jour pour dénoncer un « viol » collectif ne purent rien y changer. « La meute » fut remise en liberté. Condamnée à une amende dérisoire et interdiction de vivre à Pampelune. Tricard (interdit de séjour) dans leur ville pour cinq années ne semblait pas les déstabiliser.

Ce que la rue ignorait, comme dans la société bien-pensante, c’est que cette décision avait pour but de discréditer la juge Paloma Estéban et de laisser croire à l’opinion publique que cette dernière était seule responsable de ce scandale judiciaire. Une femme juge qui relaxe des violeurs et se présente comme Maire dans un des plus grands arrondissements de Madrid, avec pour objectif plus tard la mairie de la Capitale. L’affaire semblait plutôt mal engagée pour elle.

Le juge Juan Rodriguez, la soixantaine, complet gris et cravate bleue, la pochette assortie, le crâne dégarni, de petite taille, passait pour la copie d’Alfred Hitchcock. Réputé pour son intransigeance et ses combines, détesté de ses collègues, mais grand ami de certains barons de la pègre.

Hector Garcia ressemblait à Don Quichotte, « Don Quijote » (l’homme de la Mancha, personnage de fiction reconnu par le conseil de l’Europe : un territoire chargé d’imaginaire, la vaste plaine de la Manchega semée d’obscurs cachots, de moulins à vent et de tavernes enchantées. Chevalier errant, immortel, né depuis plus de 400 ans) selon toute vraisemblance, il entretenait ce physique de grand dégingandé dans des costumes aussi étriqués que ses pensées, juge également dans cette affaire. Arriviste prêt à tout pour gravir les échelons rapidement, il était sous la coupe de Juan Rodriguez son mentor. Tous deux natifs de Pampelune, avec le même objectif, ruiner les chances d’accéder à la Mairie de Paloma Estéban, où ils étaient candidats.

Ils étaient pourtant crédités de 52 % d’intentions de vote devant le maire sortant José Maria Aznar López, dans l’arrondissement (el Centro) où se présente Paloma Estéban. Dans l’affaire de « La meute » au jugement scandaleux, les deux juges faisaient supporter la responsabilité à l’élégante Paloma Estéban, star des plateaux de TV. 

Tout le monde lui reconnaissait des qualités et une vue diamétralement opposée à celle du maire actuel de l’arrondissement convoité, pour le plus grand bien des habitants. Malheureusement ce soir, sur la chaine Télécinco, malgré une excellente prestation télévisée, le public et les appels téléphoniques restaient visiblement dubitatifs. Vêtue d’un élégant ensemble pantalon beige et chemisier fuchsia mettant en valeur sa silhouette, il y avait quelque chose de farouche dans son regard qui interpellait et que son physique n’arrivait pas à dissimuler, devant la journaliste qui la connaissait bien pour l’avoir interviewée à de nombreuses reprises.

— Je vois à votre regard, Paloma, que cette affaire est loin d’être terminée…

— Sincèrement, qui peut croire un seul instant que moi, Paloma Estéban, jeune juge, ai pu imposer ou convaincre, comme vous voulez, deux juges d’un certain âge avec des années d’expérience de remettre des violeurs en liberté, alors que je me bats depuis des années avec mon association pour la défense des femmes et le respect dans l’espace public, comme dans les entreprises ou dans n’importe quel domaine.

— Il est vrai que cela a provoqué un tollé dont on s’accorde à dire et répéter que vous êtes la seule responsable.

— Voyez-vous, chère Carmen, quand des juges laissent leur ambition politique prendre le pas sur les jugements que l’on est en droit d’attendre de leur charge : l’honnêteté, en leur âme et conscience – les faits, seulement les faits – s’il n’y a plus ça, la démocratie serait en danger. Et vous verrez malheureusement que ces monstres referont parler d’eux.

— Vous parlez des juges ?

— Non pas ! mais de « La meute ». Et qui sait… de ces deux juges peut-être ? (Quiéne saber)

— Paloma Estéban, je vous remercie d’être venue nous informer de votre vérité, je vous souhaite bonne chance pour la suite de votre carrière, et nous nous reverrons sans aucun doute dès que la campagne pour les municipales sera lancée.

Les deux femmes debout, aussi belles l’une que l’autre, se serrèrent la main face à la caméra.

CHAPITRE II

Paloma rejoignit avec empressement ses amies au bar à tapas, le Mercado de la Reina, situé sur la Calle Gran via. Un endroit à l’ambiance survoltée, comptoir en marbre, immense. Le plafond décoré de tubes d’alu, façon fusée spatiale.

Ici, c’est le temple de la tendance des tapas et du vermouth servi à la tireuse : de grandes outres, suspendues par un système de balancier en bois, plongent des sacs cousus en peau d’animal pleins de vermouth blanc ou rouge dans de grands puits derrière le bar, comme cela existe dans certains pays arabes pour l’eau.

La tortilla est savoureuse, mais on peut aussi craquer pour les croquettas maison ou le poulpe à la braise, le plat préféré de Paloma.

Au fond, une partie restaurant pour déjeuner ou dîner assis au calme… Enfin presque, disons que l’on peut entendre la musique et discuter sans trop forcer la voix.

À son arrivée, tous ses amis se levèrent pour la saluer comme on le fait en Espagne, avec une grande ferveur ; enlacer l’un l’autre avec de grandes claques dans le dos. (Avec modération)

— Alors ?

Paloma raconta sa soirée à la TV.

***

Quelques heures plus tôt, dans la Calle de Quintana, Cécilia Bartoli avait ouvert la porte de son appartement, oubliant de demander comme elle le fait chaque fois qui était là. Au premier coup de sonnette, elle avait ouvert. Devant elle, un grand type, genre gitan, bloqua la porte avec son pied, trop tard pour la refermer ; à cet instant, elle sut que son erreur allait lui coûter cher.

Dans la petite chambre tapissée de papier à grand ramage, agrémentée de reproductions de héros d’enfants – la Reine des Neiges, Marvel, Mary Poppins et bien d’autres –, aucun de ces personnages ne lui fut d’un grand secours.

Elle était brune, environ une trentaine d’années, elle était la maman de deux petites filles de 10 et 8 ans. Mais Luis le gitan s’en moquait complètement, comme il disait très souvent :

— J’m’en touche une sans faire bouger l’autre.

Et quand on lui posait la question : ça veut dire quoi cette expression ?

— J’sais pas, et je t’emmerde !

Il avait du vocabulaire, le gitano. Il faisait rire les autres, qui se moquaient gentiment de lui, sans trop non plus, car il avait souvent la lame à la main, dont il était aussi habile qu’avec sa queue.

Dès que la porte fut ouverte, ils s’engouffrèrent dans l’appartement. Cécilia Bartoli n’eut pas le temps de crier, juste celui d’avoir peur. Immobilisée sur le lit, une balle pour chien coincée dans la bouche, les deux cordes qui s’échappaient de chaque côté permettaient de l’attacher autour de la tête.

Malko appelait cette balle la muselière, un jouet pour chien avec des petits grelots à l’intérieur qui tintaient chaque fois que les femmes secouaient la tête pour hurler ou sous les coups de boutoir quand elles étaient dans les brancards (jambes écartées et attachées). Malko en avait acheté tout un stock, il trouvait ça super. De toute façon, il fallait trouver quelque chose pour empêcher les filles de gueuler quand ils les violaient, autant trouver un truc original pour ne pas ameuter tout le quartier.

L’idée lui était venue quand il avait dû quitter le Mas où il vivait avec ses parents, près de Pampelune après le jugement. Il avait le même jouet pour son « Clébard », comme il aimait l’appeler. Il le lançait le plus loin possible, la balle rebondissait en faisant sonner les grelots et Clébard la ramenait aux pieds de son maître. Malko ne put jamais être certain que le chien courait après la balle pour le bruit que faisaient les grelots ou seulement après la balle, ou les deux à la fois. De toute façon, il s’en tapait le coquillard avec des paluches de cloportes.

Malko, le plus vieux, 24 ans, de son vrai nom Igor Malkowitch, cheveux blonds, une petite moustache blonde à la « Errol Flynn », des muscles plus qu’il n’en faut, adepte du body-building, un anneau dans le nez le faisant ressembler à un taureau, les doigts bronzés à la nicotine de sa « Marlboro ». Avant de baiser, il aimait s’offrir son petit spectacle qui le mettait en forme, voir sa victime gigoter de douleur et couiner comme un goret en agitant la muselière au rythme de ses souffrances. Il savait se servir de sa Marlboro rougeoyante autour des mamelons. Cécilia Bartoli en avait fait la douloureuse expérience. Sa magnifique poitrine aux globes rebondis, un peu écartée vu sa position couchée sur le dos et rejetée contre ses bras, portait toute une constellation de stigmates qui n’avait rien de mystique. Elle avait bien essayé de hurler, mais la balle qu’elle avait dans la bouche l’en empêchait.

— Ça y est ? interrogea-t-il en direction de Pepito qui besognait toujours la brune. Ça vient ?

L’autre faisait à peu près, en taille et poids, la moitié de Malko. Il avait un grand nez à la Pinocchio. Les cheveux noirs et plats cachés sous un petit chapeau genre tyrolien agrémenté d’une plume qu’il gardait en toute circonstance. En méchanceté, il valait bien Malko. Pour l’instant, il continuait à s’agiter par saccades entre les jambes relevées très haut de la jeune femme.

Les autres c’était Ernesto Gonzalez, petit énorme, un ventre de buveur de bière d’où son surnom « Cerveza » et Tony Zarzuela, dis l’Étourdi, une sorte de Quasimodo adolescent, intelligent mais laid. Si laid qu’à sa naissance, sa mère devant tant de laideur l’avait abandonné. Élevé par son père, « diacre » occasionnel ressemblant comme deux gouttes d’eau à Frollo, le prêtre du film Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy (Frollo, incarné par Alain Cuny, Esméralda, la flamboyante Gina Lollobrigida et Anthony Quinn, Quasimodo).

Et Martinos Estragues, dis Mêlécasse, grand blond platine, des yeux bleus qui filaient la trouille quand il les plongeait dans les vôtres, sexuellement à voile et à vapeur, d’où son surnom (Mêlécasse : mélange d’alcool et de cassis).

— Pinocchio, rugit Malko, la fête est finie. On a encore du boulot avant de rentrer.

— Ça va, grogna Pinocchio, on se retire.

Le tyrolien de travers, il se retira lentement d’entre les jambes de la fille et éjacula sur le ventre de sa victime.

— Et moi ? demanda l’Étourdi (sosie de Quasimodo), je peux la finir ?

— Non ! range ton briquet ! tu fais chier avec cette manie de leur brûler le minou. La dernière fois, on t’a laissé la finir, elle est morte brûlée sur le lit, et tout l’appartement avec !

— Peut-être, mais je n’ai pas laissé d’indices.

Et maintenant le viol se terminait. C’était toujours un moment émouvant, solennel, la fin d’un viol. Une séparation qui leur fendait le cœur. Ils en auraient presque eu la larme à l’œil. Malko les regardait tout tristounet, alors qu’au début de chaque viol, ils n’avaient pas d’état d’âme. Pour eux ce n’était qu’une « meuf » de plus qu’ils allaient violer par tous les bouts, tous les trous, durant une bonne heure, voire plus.

— Allez, on se casse avant que ses gosses se pointent, sinon, faudra les supprimer.

Ils se l’étaient tous faite, la brune. Elle gisait maintenant écartelée, à moitié étranglée par la muselière, les membres attachés aux quatre pieds du lit.

Il y eut un hurlement lointain de remorqueur sur le Rio Manzanares, le soleil brillait haut dans le ciel madrilène.

Le gitan se rapprocha de la femme pantelante sanglotant sur le lit. Les yeux exorbités, elle regarda le gitan se pencher sur elle avec effroi. Une heure plus tôt, c’est lui qui avait bloqué avec son pied la porte de son appartement.

— On se casse, mais toi ma jolie, déconne pas. Ou je reviens découper en lamelles ton beau p’tit cul. Tu entends ?

Elle ne bougeait pas, le visage ravagé par la douleur, la muselière lui distendait les maxillaires, les yeux hagards.

— Comme je suis un gars sympa, je vais te détacher un poignet avant de te quitter. Comme ça, tu pourras te libérer. Mais si tu ameutes tout le quartier, je remonte. Et là ! l’enfer ne sera rien à côté de ce que nous te ferons, mes amis et moi.

Il était en train de libérer son poignet droit ; quand il eut fini, il emprisonna un sein dans sa main aux ongles jaunes qu’il tordit violemment.

— N’oublie pas, ma jolie ! Si tu tiens à ton p’tit cul et à celui de tes filles… Méfies !

Avant de partir, il mit la radio à fond (Compay Segundo chantait : Mujeres de Mayari).

***

Quelques instants plus tard, seule dans la chambre tapissée de ramages, Cécilia Bartoli, à quatre pattes, rassemblait ses vêtements qui avaient été jetés sous le lit quand les cinq brutes les lui avaient arrachés. Elle venait de retrouver son soutien-gorge à moitié déchiré lorsqu’elle sentit derrière elle une présence, cette odeur fétide qui émanait de tout son corps, l’un des violeurs était revenu, elle le savait, le sentait. Pas besoin de se retourner, inutile.

— Magnifique ! s’écria Malko. Ne bouge pas, reste dans cette position. C’est ton cul que je veux.

Il la força à nouveau, longuement, sauvagement, les deux pouces écartant les derniers replis de son "si joli p’tit cul".

Quand il eut fini, il la poussa brutalement en avant ; sa tête heurta la petite commode en bois, l’arcade gauche ouverte saignait abondamment et commençait à colorer la moquette beige.

— J’étais venu te dire, murmura-t-il, on aimerait bien, mes copains et moi, que tu portes plainte, tu vois ? Cela nous fera un peu de publicité. Seulement, méfie-toi. N’oublie pas ! Tu es incapable de donner un signalement. On portait tous des cagoules et des gants. N’oublie pas surtout ! sinon… Pour ton beau p’tit cul, je n’ai pas pu résister, cette position…

Il poussa un énorme soupir : que du bonheur.

Il ramassa la muselière, la considéra pensivement, fit tinter les grelots et l’enfonça entre les cuisses de la jeune femme qui poussa un gémissement sourd.

— N’oublie pas, sinon, reprit-il doucement, on revient et cette fois on te crève, et tes gosses avec. Compris ?

***

La Calle Quintana était une jolie rue ensoleillée, bordée d’eucalyptus dont certains perdaient de grands lambeaux d’écorce laissant apparaitre leurs troncs rouge orangé. Les Lagerstroemia (Lila des Indes) aux fleurs roses projetaient leurs ombres parfumées sur les passants, donnaient à cette rue un air de bonheur qui contrastait avec la violence faite à une jeune et belle femme pas très loin du centre de Madrid, au second étage d’un coquet petit immeuble. Dix fois violée, souillée, torturée, Cécilia Bartoli sanglotait au milieu de la chambre dévastée.

Incapable d’aller chercher ses enfants, elle put avec difficulté appeler la directrice de l’Escuela Alto Estado Mayor, où ses deux filles étaient inscrites depuis la rentrée.

— Señora Ibanez, por favor !

Quelques minutes plus tard.

— Si ! Digame ?

— Je suis Cécilia Bartoli, je viens d’être agressée et violée, je suis blessée à la tête, incapable de venir chercher mes enfants. Pouvez-vous les faire raccompagner et prévenir la police, s’il vous plait ?

Entrecoupée de sanglots, elle trouva la force de donner son adresse.

Moins de quinze minutes plus tard, toutes sirènes hurlantes, la voiture de police et l’ambulance se garaient devant le n° 13 de la Calle de Quintana.

Par la porte de l’appartement restée ouverte, on entendait les sanglots et les gémissements de Cécilia Bartoli. Le policier et son adjoint, arme à la main, pénétrèrent à l’intérieur. À l’extérieur sur le palier, les deux adjoints et les ambulanciers attendaient l’autorisation d’intervenir.

Cinq minutes plus tard :

— C’est bon, vous pouvez y aller !

L’infirmière prit en charge la femme étendue sur le lit et constata les dégâts, aidée par les ambulanciers. La plaie de l’arcade désinfectée et recouverte d’un pansement, des prélèvements de sperme furent effectués. Le corps de la malheureuse, étendu sur la civière, ressemblait plus à une morte qu’à cette belle femme élégante qui quelques heures plus tôt avait ouvert la porte de l’appartement. Une couverture blanche recouvrait la civière comme un linceul, seules quelques mèches de cheveux noirs dépassaient.

Après avoir pu donner le nom et l’adresse de sa sœur, qui elle aussi habitait Madrid, rassurée que ses enfants soient pris en charge par une assistante sociale, elle accepta la piqure de sédatif qui mit fin aux sanglots et gémissements la faisant ressembler à un animal blessé.

***

Mêlécasse conduisait avec assurance et élégance un utilitaire de la compagnie « Extel Ascensor » chargée de l’entretien des ascenseurs d’une partie de Madrid.

— Tu l’as tirée où cette bagnole ? demanda Cerveza.

— Nulle part, c’est Malko qui m’a dit où la trouver, avec les clés planquées sous le siège.

— T’expliques ?

— Laisse tomber, Cerveza, grogna Malko.

— On va où ?

— Roule tranquillement, commanda Malko.

— Merde ! juste au moment où je voulais mettre la sirène.

— Y a pas de sirène, Ducon ! c’est ni une voiture de flic ni une ambulance. C’est pas le moment de se faire repérer, tête de nœud, on en a encore une à s’envoyer avant ce soir.

— Et on la trouve où, cette nouvelle perle ?

— Je réfléchis !

— Oh là ! fais gaffe, t’as pas l’habitude !

Une claque derrière la tête fit taire l’insolent.

— Ça peut pas attendre demain ? demanda Quasimodo. J’ai la dalle.

Aussitôt, tous les autres l’imitèrent.

— On a faim ! On a faim ! On a faim !

Ce qu’il y avait de bien dans ce boulot, pensait Malko, c’était la chasse à la femelle. Pister, piéger et baiser.

Finalement, on n’était pas à une journée près. Cécilia Bartoli, qu’ils avaient quittée tout à l’heure, était la sixième depuis qu’ils avaient commencé leur « Job ». Chacun avait choisi sa proie. Pas trop de dégâts, à part la morte cramée par ce con de Quasimodo.

— Quasimodo, il faut que tu arrêtes tes conneries ! foutre le feu aux chattes des filles. Tu en as cramé une, ça suffit.

— C’est pas ma faute, elle avait des draps en plastique !

— En nylon, abruti.

— C’est pareil, non ? Elle a cramé en musique. Elle secouait la tête en musique, la muselière faisait tinter les grelots, c’était vraiment beau, on aurait dit le carillon de Salamanque.

— Laisse tomber Nin ! (petit garçon en catalan)

Mêlécasse roulait tranquillement sur l’avenue de la Princesa en direction de l’Universidad pour rejoindre le quartier gay et branché appelé Chueca.

Cerveza reconnaissant le quartier :

— Tu nous amènes au « Bee Beer » ?

— Pas du tout.

— Pourquoi t’as pris la Calle Figueroa, si c’est pas pour nous conduire à mon Bar à Bières préféré ?

— Trop de monde ! je vais vous faire connaître un endroit super, c’est une copine à moi qui est au bar, un Français, il s’appelle Gérard mais tout le monde le surnomme Églantine.

— Pourquoi ? demanda Malko.

— Si je me souviens bien, il est juif, et à son baptême, le Rabin avait soit Parkinson, soit le hoquet, mais il a eu le coup de bistouri un peu large.

— Ohhh… tu déconnes ! s’écria Pinocchio.

— Pas du tout, et depuis, il est mou du bout.

— C’est quoi ce rade, il est où ?

— Nous y sommes presque, tu vois au bout de la calle, à droite le bar « Lo Siguiente », c’est là !

— Je passe souvent avec ma bécane dans la Calle de Fernando VI et j’avais jamais remarqué.

— Normal, tu roules comme un dingue, tu peux pas voir. Cet endroit est un barlounge où le Gin Tonic est le cocktail préféré d’un grand nombre de clients. Et là mon pote, tu pourras déguster une des meilleures bières de Madrid, brassée comme en Belgique et appelée « La brabante ».

Mêlécasse gara le Ford transit dans la Calle Regueros et ils continuèrent à pied.

L’endroit était déjà chargé, des clients hauts en couleur, attablés sur une volée de tables hautes, le bar occupé par quelques beaux mecs, gays comme des pinsons. Au fond de la salle, des fauteuils capitonnés étaient une invitation à se prélasser. Le groupe se faufila derrière Mêlécasse, en slalomant entre les tables et les éclats de rire. Beaucoup de clients saluaient Mêlécasse d’un « hola, qué tal ? hombre ».

— Bien, perfecto ! Amigo.

— Tu connais tout le monde ? demanda Malko.

— Pas mal, oui.

— Regarde-le, comme il se la pète ! éructa Pinocchio.

La fine équipe s’installa confortablement dans ces magnifiques fauteuils de couleur rouge, une moquette épaisse aux motifs écossais faisait presque disparaître leurs chaussures. Cerveza jetait des regards gourmands sur un groupe de cinq filles assises à une table haute, pas très loin d’eux. Toutes portaient des jupes découvrant leurs jambes jusqu’aux petites culottes pour certaines, d’autres avaient choisi le string qui disparaissait dans leurs parties intimes.

— Ouah !!! Je vais mourir, la grande là-bas, elle doit avoir un « barbu », j’aimerais y mettre mon groin et flamber tout ça, un vrai taureau de Fuego !

— La ferme, Quasimodo ! On est là pour se détendre et manger.

Une superbe fille, après avoir salué le groupe et embrassé Mêlécasse, prit la commande des boissons en distribuant les cartes de Tapas et autres plats.

— Gérard t’a vu ? demanda la serveuse.

— Je ne crois pas.

— Je lui dis que tu es là.

Une musique douce semblait envelopper toute cette belle jeunesse, çà et là des éclats de rire s’échappaient des conversations. Curieusement, pas de téléphone portable sur les tables ni dans aucune main.

Malko en fit la remarque à Mêlécasse ;

— Normal ! Tout comme la cigarette, le portable est interdit. Tu peux l’avoir en mode vibreur, si tu reçois un appel, mais tu dois te rendre dehors ou dans l’aquarium.

— Et c’est quoi l’aquarium ? demanda Cerveza.

— Tu vois au bout du bar, vers l’entrée ?

— Ouais ! le truc plein de fumée ?

— Exact, c’est le fumoir.

— Tu ressors de là-dedans, non seulement tu sens le Bacalao fumé, mais tu dois en avoir la couleur. Beurk !

Un énorme sourire semblait lui couper le visage en deux, le beau Gérard arrivait à la table de Mêlécasse qui se leva immédiatement, prenant dans ses bras le Français en l’embrassant goulument sur la bouche. En fait, c’était plutôt dans la bouche, le baiser !

Mêlécasse présenta tout le monde. Quasimodo prit la main avec une certaine fermeté pour faire un baise-main à la belle Églantine, mais d’un geste brusque, elle la dégagea de cette étreinte qui lui déplaisait.

— Oh ! Fais pas ta mijaurée, de toute façon, t’es pas mon genre et moi tu sais p’tète pas, on m’appelle D.D pine d’acier, et c’est uniquement pour les dames !

— Eh bien, mon cher ami, bravo ! Je savais que les grands nabots, tout comme les nains, étaient bien montés, mais j’ignorais que même laids ils pouvaient être aussi cons que mal élevés. Cela fait beaucoup pour un si petit corps.

Devant ce qu’il considérait comme une insulte, Quasimodo se leva d’un bond, retenu par Cerveza.

— Reste assis, petit homme, sinon ta queue va trainer sur la moquette.

Dans un grand éclat de rire, Églantine fit demi-tour en ondulant entre les groupes de clients pour rejoindre le bar.

— Quelle salope, pour qui il se prend le travelo !

Mêlécasse était furieux.

— T’es vraiment qu’un pauvre abruti ! Ici je suis connu et respecté, ton comportement est inexcusable.

— Oh ! tu me saoules, tu parles comme les bourges qui fréquentent ce « Rade », mais n’oublie pas d’où tu viens !

Devant la tournure de la conversation, Malko intervint pour rétablir l’ordre. Quasimodo, vexé, se leva.

— Tu vas où ? demanda Malko.

— Je me casse !

— Pour aller où ?

— J’ai besoin de marcher seul.

— Et ta commande ?

— Vous la boirez !

— Tu rentres comment ?

— Te tracasse pas, Malko, je serai au quartier cette nuit, demain matin au plus tard.

— Pas de connerie !

— Tranquille Jefe ! (chef)

Telle une anguille, l’Étourdi « dis Quasimodo » se faufila entre les clients et gagna la sortie, la rage au ventre de l’humiliation subie par cette salope d’Églantine. C’est à ça qu’il pensait en s’engouffrant dans la Calle de Belen ; il traversa sans regarder la chaussée, criant des injures aux automobilistes qui le klaxonnaient.

Une nuit chaude descendait sur Madrid, remplissait les terrasses d’une foule joyeuse et colorée, les bars étaient pleins à craquer, à certains endroits les clients débordaient sur le trottoir. La Calle Barbara de Braganza, qui longeait le Palacio de justicia, était déserte. On pouvait entendre au bout de la rue le bourdonnement du Paséo de Recolétos, avenue super animée de magasins, de boutiques de mode, de restaurants, de bars ; des filles et des garçons : tous pour cramer la carte bleue, et les pilules du même nom.

Tout en fulminant, Quasimodo alluma une cigarette, la flamme de son briquet entre les mains pour se protéger des courants d’air, quand une jeune femme sortant du Palais de Justice par une petite porte réservée au personnel le heurta légèrement. La surprise lui fit lâcher son briquet qui roula dans le caniveau. Aussitôt, Quasimodo plongea presque pour le récupérer.

La belle jeune femme s’excusa et malgré tout, éclata de rire. Un rire cristallin, pur.

— Je vous prie de m’excuser, mais votre attitude et votre rapidité m’ont fait penser à un maitre-nageur plongeant pour sauver une vie.

— C’est un peu ça, ma belle, il a autant d’importance pour moi qu’un poupon en danger au bord de la mer.

— Oh là ! vous exagérez. Comment un briquet peut-il avoir autant d’importance qu’un enfant ?

— Ce briquet, il est merveilleux, source de plaisir subtil !

— Allumer et fumer une cigarette procure certainement du plaisir, mais je ne vois rien de subtil là-dedans.

Il regardait en souriant cette fille magnifique, en robe noire décolletée, laissant déborder du chemisier une épaule dénudée, les seins n’étaient retenus par aucun soutien-gorge, la jupe ample ondulait au rythme de la brise légère, comme si sous cette robe des dizaines de mains l’agitaient.

Quasimodo, esprit pervers transpercé par un éclair fulgurant dans sa tête de dégénéré, une onde de choc lui brûlant le bas du dos le fit réagir. Il se précipita sur la fille qu’il ceintura comme l’aurait fait un joueur de Rugby. Projetés tous les deux contre la porte du tribunal qui s’ouvrit avec fracas, les deux corps enlacés s’écroulèrent sur le carrelage blanc de l’entrée ; l’arrière de la tête de la fille éclata sur le sol comme un melon trop mûr. Aucune panique pour Quasimodo, il referma la porte du pied, toujours allongé sur la fille dont un sein avait quitté le corsage ; tout en mastiquant le téton, il le mordit violemment pour vérifier qu’elle n’était pas morte ; il n’aimait pas baiser les mortes, il l’avait fait plusieurs fois quand il était encore à Pampelune, il avait travaillé un temps comme embaumeur, jusqu’au jour où il se trouva en mauvaise posture, au moment même où le responsable ouvrit le tiroir réfrigéré devant la famille, pour l’identification. Il était sur le cadavre nu, en train de lui donner le dernier sacrement, son goupillon enfoncé jusqu’aux burnes. Le tiroir fermé le faisait bander comme un âne, aimait-il expliquer. Personne ne le croyait tellement cette chose était improbable. Et pourtant !

La main droite de Quasimodo cherchait sous la robe : quand ses doigts eurent atteint ce qu’il cherchait, la petite culotte, il l’arracha avec une telle violence que le corps de la jolie brune fut soulevé ; en retombant, un peu plus de sang macula le beau carrelage blanc du Palais de Justice. La jupe relevée, ses doigts caressaient cette toison bouclée et noire qui descendait du nombril pour remonter haut entre ses fesses. Il plongea son « groin » au milieu de cette forêt tropicale, de sa langue baveuse il léchait avec gourmandise le clitoris, inondait de salive ses deux petites lèvres d’un rose… d’un rose baiser.

Complètement K.O., inconsciemment elle gigota un peu ses cuisses, emprisonna la tête de Quasimodo, comme pour garder au fond de son ventre la langue du nabot. D’un geste, il défit son jean, jamais de slip, dans sa profession cela pouvait nuire, éjaculation précoce ! Il la pénétra avec violence, à chaque coup de reins, toutes les parties du corps de cette pauvre fille étaient agitées de soubresauts, le nez collé au niveau des seins, il aperçut pour la première fois le petit tour de cou en or avec une plaque où le nom de sa victime était inscrit. Il s’arrêta de ruer entre les brancards et lut : Bernadette.

— Eh bien maintenant, te voilà Sainte Bernadette sous-biroute !

Et reprit avec entrain, heureux de son jeu de mots.

Un râle d’orang-outan fit trembler toutes les vitres de la petite porte qui séparait le couloir de l’entrée à l’escalier conduisant au greffe. Le nabot avait le cri sonore au moment de l’éjaculation. Mais sa jouissance suprême était à venir ! Le briquet « zippo » en main, il commençait à brûler cette petite chatte qui l’avait tant enchanté ; c’est l’instant même que choisit la minuterie pour rendre l’âme. La rage au cœur, privé de la vue de son spectacle préféré, il se mit à hurler tel un loup blessé, la folie semblait l’avoir gagné, il sortit de son briquet le coton imbibé d’essence pour en extraire le contenu, arrosant la forêt tropicale.   

De son pouce tremblant, il s’y reprit à deux fois, deux coups de molette et l’étincelle jaillit, enflammant cette toison dont les poils brûlés se recroquevillaient, dégageant une odeur qu’il aimait tout particulièrement. Cette vision lui rappela son enfance ; placé chez un forgeron, dans un petit village où la population ne prêtait pas une attention particulière à ce petit monstre. Dès qu’il s’approchait du brasier allumé dans le four, qu’il entendait le bruit du fer battu sur l’enclume et sentait les étranges odeurs de corne, de cuir, « de chair brûlée », il était heureux. Mais cette odeur de viande cramée le sortit de sa torpeur, il n’était pas à la forge de son enfance ; il entendit enfin les hurlements de cette pauvre ancienne fille belle, de ses yeux hagards, ce n’était pas les flammes de la forge, mais la robe qui brûlait. Une torche vivante, elle voulut se relever mais retomba en hurlant sur le ventre, le feu crépitait de joie sur cette partie de tissu encore intact que lui offrait bien involontairement Bernadette. L’alarme incendie résonna, suivie de multiples jets d’eau tombant du plafond, les éclairages de secours venaient de s’allumer et l’on entendait des bruits de pas dévalant les escaliers, d’autres arrivant des couloirs.

Quasimodo eut juste le temps de remonter son « bénouze » et de sortir le cul à l’air, tenant de la main gauche un côté de pantalon, le service trois-pièces en ballotage entre la fermeture éclair du « falzar » et le grand air, la main droite serrée sur le briquet, pas question de s’arrêter pour mettre de l’ordre dans sa tenue de séducteur. En quittant la Calle Barbara Braganza, il tourna à droite sur le Paséo, en direction de la Plaza de Cibeles. Il fit quelques pas sur l’avenue et derrière un de ces nombreux kiosques à journaux, remit de l’ordre dans sa tenue dans l’indifférence totale des Madrilènes qui déambulaient par cette douce nuit. La musique des bars envahissait l’espace public, le changement des rythmes musicaux faisait voyager le chaland tout le long de ses déplacements sur le Paséo.

Après avoir parcouru une bonne distance et s’être assuré qu’il n’était pas suivi, il se laissa tomber dans un fauteuil venant de se libérer à la terrasse « Du Paris ». Deux femmes, qui visiblement attendaient la place depuis un moment, le lui firent remarquer.

— Asseyez-vous les poulettes, il y a de la place pour nous trois !

Après quelques secondes d’hésitation, elles prirent place à côté de lui. La table en bordure de terrasse était si près des gens qui se baladaient qu’on pouvait sentir les parfums qui échappaient de ces corps en mouvement.

— Ça sent bon ! les arbres, les femmes, tous ces beaux mecs sapés.

Il aurait aimé ajouter ces chattes cachées sous les robes ou des pantalons trop serrés que la marche devait faire transpirer, « les escalopes à la crème »… Humm ! Il est comme ça le nabot, un romantique.

La commande passée, les filles discutaient entre elles. À la vue des policiers dont le nombre semblait indiquer qu’ils recherchaient quelqu’un, il posa quelques questions banales aux deux filles qui lui répondirent en riant. Une fois la police éloignée, il dégusta tranquillement la bière que l’on venait de lui servir. Détendu, le petit monstre, jusqu’à l’instant où un groupe de touristes caméra au poing filmait la ville, les terrasses des cafés et la vie nocturne de ce beau quartier de Madrid. Une fulgurante mauvaise idée venait de transpercer ce cerveau détraqué : y avait-il des caméras de sécurité ?

— Merda !

— Pardon, vous avez dit quoi ?

— Je viens de réaliser que j’ai quitté mon appart avec le gaz de la cuisinière allumée.

Il jeta sur la table une liasse de billets.

— Je vous invite, mesdames. La monnaie pour le larbin ! Adios guapa !!!

Il se leva et disparut au milieu de la foule.

Chapitre III

Malko faisait le tour du squat, à la recherche de Quasimodo. Il était 6 h 30 du matin, le jour tardait à se lever, les piaules étaient séparées par de grandes bâches blanches opaques, celle que l’on utilise pour les serres. Le squat était situé dans la Calle Marmolinia, un quartier d’immeubles neufs pas terminés, le promoteur avait fait une faillite frauduleuse et des milliers d’acheteurs squattaient leur logement pour pouvoir rembourser les crédits. D’autres avaient renoncé et se trouvaient à la rue, faute de pouvoir occuper leur appartenant occupé par des petits voyous comme Malko et sa bande. La police avait rayé depuis longtemps ce quartier de leur intervention. Tout le monde dormait, le ronflement de Cerveza ne semblait pas déranger Pinocchio, la tête posée sur un oreiller aux couleurs douteuses, le bonnet posé sur les yeux, le visage tourné vers Cerveza dont le souffle parfumé à la bière faisait onduler la plume du chapeau ridicule à chaque expiration. Après la pièce qui servait de salle commune, deux autres piaules et celle de Mêlécasse, encombrée de machines de sport, des altères trainaient au sol près du lit. Malko s’approcha en silence, presque à tâtons, tellement l’éclairage de la petite lampe posée à même le sol était faible.

Arrivé au bord du lit pour réveiller le dormeur, il n’eut le temps de rien : un sifflement, comme celui d’un serpent, la lame du coupe-chou (rasoir à main utilisé par les barbiers) de Mêlécasse lui coupa la chemise à l’horizontale qui flottait autour de lui.

— Oh, putain ! T’as failli me saigner. Jamais tu dors autrement qu’avec des yeux partout, les sens en éveil et ta machine à trancher entre les mains ?

— Avant si ! Mais depuis que l’on travaille pour des politiciens, je suis sur mes gardes.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Ne me prends pas pour un con. Je t’ai entendu discuter, l’autre jour au téléphone.

— Et alors ?

— Et alors, je sais par expérience qu’en politique, il faut toujours être vigilant. Tous ces viols à qui on demande aux victimes de porter plainte, et toujours dans la même distritos. (arrondissement) Juste celui où se présente le juge Juan Rodriguez et Paloma Estéban contre le Maire actuel.

— OK, tu n’es pas si con que j’imaginais.

— Heureux de l’entendre. Alors t’expliques ?

— Pas maintenant ! Je cherche l’Étourdi, il n’est pas rentré de la nuit et avec lui, ça craint, il a été vexé hier soir par Églantine au bar, et dieu sait que ce demeuré est dangereux quand il se sent humilié.

Malko regardait en connaisseur le pan de chemise qui pendouillait misérablement entre ses doigts ; il imaginait avec un frisson glacé au bas du dos ce qui lui serait arrivé s’il avait porté une de ses chemises moulantes qu’il affectionne, rentrées dans le futal. (Pantalon)

La sonnerie de son portable le sortit de sa torpeur.

— Digame !

— Hola ! Malko. Vous avez écouté la radio ?

— Nada. Por qué ?

— La fille du juge Rodriguez a été agressée à la sortie du tribunal hier au soir. Dans la calla Barbara de Braganza, alors qu’elle sortait par la porte réservée aux employés.

— Pourquoi, vous me racontez ça ?

— Elle a été violée et brûlée. Une torche humaine. Ça ne vous rappelle rien comme mode d’emploi ? Dans votre équipe, il y a bien Tony Zarzuela, dis l’Étourdi ou Quasimodo, déjà condamné pour des faits similaires.

— Oui.

— Il est avec vous ? Je veux dire, il a passé la nuit au squat ?

— Non, justement je suis à sa recherche.

— Dans une heure environ, nous aurons la photo des caméras de surveillance. Si comme je pense c’est bien lui, démerdez-vous pour le récupérer et je vous dirai quoi en faire. Carcassonne (de son vrai nom Jacques Larfeuille, ancien mercenaire au Katanga et depuis de nombreuses années homme de main du juge Juan Rodriguez et de Hector Garcia) prendra contact avec vous et restera votre unique intermédiaire.

Hector Garcia avait mis fin à la communication, laissant Malko un peu sonné. Mêlécasse, assis au bord du lit, regardait le chef les bras ballants, le téléphone tremblait légèrement dans sa main.

— Qué passa Malko ?

— Malheureusement rien de bon ! Quasimodo a violé et mis le feu à la fille de celui qui nous emploie !

— Celui-là même qui nous a fait remettre en liberté ?

— Exact vieux. On nous demande de le retrouver au plus vite, et de préférence avant la police. Tu as une idée où il pourrait se planquer ?

— Pas vraiment, il avait une cousine un peu comme lui, dans un quartier avec une église ; elle avait été placée chez les bonnes-sœurs.

— Chez les sœurs ?

— Nada, elle habite dans une rue toute proche. Je sais y aller et je pense retrouver l’endroit.

— C’est un squat ?

— Pas du tout ! Un petit studio que lui loue le clergé.

— Habille-toi, je préviens les autres et on part à la chasse.

En moins de vingt minutes, toute la troupe était dans l’utilitaire de la compagnie des ascenseurs.

***

Comme toujours, Mêlécasse conduisait et Cerveza avait enfourché sa moto ; il se mit à la hauteur de la portière côté conducteur.

— Je fais un saut à un squat que lui et moi connaissons, voir s’il ne traine pas dans le coin ou si quelqu’un l’a aperçu.

— T’appelles si tu as quelque chose.

Cerveza claqua la visière de son casque et en quelques secondes, la Kawa 1100 avait disparu dans l’avenue Aurora Boréal déserte à cette heure-ci.

Le fourgon s’engagea dans la Calle Florencio Cano Cristóbal, la cloche d’une chapelle résonnait pas très loin. Mêlécasse arrêta le fourgon, vitre baissée.

— Tu reconnais quelque chose ?

— Il me semble, le carillon de ces cloches, une petite église ?

— Tu as dit la même chose tout à l’heure pour le quartier Moratalaz, éructa Pinocchio.

— Tu as raison, mais contrairement à l’autre, ici il n’y a qu’une seule église, alors qu’à Moratalaz…

— Cinq, le coupa Malko.

— Et jour de chance, mes « poteaux », regardez la fille qui s’apprête à monter dans sa voiture ? La cousine !

— Gare-toi juste devant pour la bloquer et je descends lui parler.

***

À peu près à la même heure, dans le quartier Puente de Vallecas, dans la Calle de Fuengirola, Cerveza ne reconnaissait plus grand-chose ou presque, tous les immeubles étaient neufs, ou restaurés. Deux ou trois bâtiments attendaient d’être rendus à l’état de gravats, la plupart des ouvertures étaient murées.

Cerveza avait mis la Kawa sur sa béquille, rangeait son casque et ses gants dans le coffre métallique de la bécane. L’immeuble gris et triste, complètement délabré, faisait tache au milieu des autres peints de couleurs chaudes et vives que le soleil enfin levé éclairait comme un projecteur dans ce quartier rénové. Bientôt les rues allaient retrouver l’animation d’un nouveau jour.  

Cerveza était en train d’attaquer, à pas de plus en plus lents, le cinquième étage. Le grondement de l’avenue Miguel Hernández n’était plus qu’un souvenir. L’immeuble se dressait au bout d’une cour pavée et de ce qui restait du jardin d’enfants. Les ronces avaient envahi la vieille structure de métal qui regroupait balançoire et toboggan. On avait l’impression qu’il allait s’écrouler tant il penchait du côté qu’il allait tomber sans aucun doute.

Tout à l’heure au pied de l’escalier, Cerveza avait dérangé quelques rats qui le regardaient de leurs petits yeux noirs et méchants. Un énorme rat d’un noir luisant, la tête engagée dans un sac crevé et puant, regardait l’intrus qui s’engageait sur son territoire ; un coup de botte au bout ferraillé mit fin à son instinct de propriété. Le rat était allé se planquer derrière un tas de pneus et une carcasse de lit et son matelas outrageusement dégueulasse.

Les appartements du premier et du second étaient condamnés par des parpaings et des panneaux d’agglo servant de protections, un peu comme les boutiques parisiennes qui avaient la malchance de rencontrer les terroristes fossoyeurs de l’économie française, « les gilets jaunes ».

Au quatrième, on avait abattu les parpaings et des panneaux d’agglo arrachés à d’autres étages servaient de portes.

Cerveza avait interrompu une scène de ménage. Un homme torse nu ou presque, les lambeaux de son marcel ne cachaient pas grand-chose de sa poitrine aussi velue qu’un gorille. Une petite femme face à lui brandissait au-dessus de sa tête une pile d’assiettes, un couteau de cuisine coincé entre ses gras-doubles et la gaine qui avait toutes les peines du monde à retenir toute cette tripaille, à la manière des flibustiers, les bas tombant sur ses pantoufles. Elle attendit que la porte fût refermée pour balancer sur la tronche de son homme des bois la vaisselle qui explosa contre un mur.

À part ça, le mec ne connaissait personne dans l’immeuble et n’avait vu personne ce matin correspondant à la description de Quasimodo. Il ne comptait pas s’attarder avec cette créature, confia-t-il à Cerveza, pas à cause de la vaisselle, il s’en tapait le coquillard avec des paluches de cloportes, vu qu’elle était à elle. Mais cette malade du cul était dangereuse à cause de sa jalousie. « Elle a essayé de m’assassiner trois fois, et la dernière, j’ai failli y laisser mes burnes et mon sboub qui ne les quitte jamais ».

Au cinquième, frapper à des portes d’agglo lui parut complètement con ; selon son habitude, il les ouvrit à grands coups de botte : personne dans ce qui restait des appartements.

Restait le sixième, une enfilade d’anciennes chambres de bonnes sans porte ni agglo, d’infects trous sombres où quelques rats devaient s’emmerder, rien à bouffer à part de vieilles paillasses.

— Chié ! Tous ces étages pour rien.

Par acquit de conscience, il poussa du bout de sa botte des portes déjà défoncées. Celle du fond était en partie ouverte, juste sous le vasistas que la verdure avait envahi, éclairant le palier d’une lueur verdâtre, couleur aquarium dégueulasse.

Cerveza glissa la tête par l’entrebâillement ; un drôle de bruit venait de la chambre, une machine à laver en mode essorage, impossible, pensa-t-il.

Lui tournant le dos, face à la fenêtre masquée par une ancienne toile cirée, une fille se faisait prendre en levrette debout, « le mecqueton » le pantalon affalé sur les godasses, croupe offerte, les jambes bien ouvertes, la fille, sa grosse culotte en coton (genre petit bateau) arrêtée à mi-mollet à la limite de faire péter l’élastique, tenait l’espagnolette de la fenêtre à deux mains ; son front faisait un bruit de tambourin chaque fois qu’elle heurtait la fenêtre sous les coups de queue de son partenaire.

D’un regard, Cerveza fit le tour de la piaule. Un lit défoncé et une cuvette en plastique posée sur un guéridon bancal, une glace accrochée au mur, un vieux poster de Bob Marley donnait un peu de couleur à l’endroit.

— Tu as vraiment un cul superbe !

— Ça va, mec, arrête de parler, tu t’essouffles, t’arrives même plus à baiser !

Le gros se remit à l’ouvrage avec ardeur, de grands coups de boutoir accompagnaient le bruit du front de la fille sur le bois de la fenêtre.

— Oh ma salope ! je sens que je vais jouir, écarte ! écarte !

— Hé ! tu ne vas pas rentrer tes couilles !

— Je veux pas les rentrer, je veux les sortir !

La fille ouvrit les jambes en grand pendant que l’autre éjaculait. De sa voix au bord de l’apoplexie, il poussa un râle qui ressemblait à celui d’un lavabo qui se vide.

Cerveza toussota bruyamment ; la fille tourna la tête vers lui.

— Bonjour Paolina !

— Oh, Ernesto ! comment tu vas ? (elle était une des seules à l’appeler par son prénom) j’ai eu peur, je croyais que le suivant était arrivé, mais non ! heureusement c’est toi mon ami, je vais pouvoir faire une pause. Qu’est-ce qui t’amène ?

— J’ai besoin d’un renseignement !

La voix hachée par les secousses de son client qui continuait à aller et venir, on aurait pu croire qu’elle était bègue. Plus maquillée qu’une voiture volée, la sueur avait fait des dégâts sur la tronche qui en avait déjà eu pas mal avant. Le rimmel avait coulé jusqu’au milieu des joues, elle ressemblait maintenant à un « pierrot », ces pantins de la commedia dell’arte.

— Hé, oh ! c’est fini, tu ne vas pas me repeindre le fion avec ton gland !

Cinq minutes plus tard, il avait remballé sa gaule et dégagé le pas de tir. Paolina avait remonté sa culotte, l’élastique tenait encore par miracle ou par une longue habitude de l’extension extrême. Elle ajusta sa touffe de poils dorés, rentrant le foin qui dépassait de la charrette avec une précision de moissonneur.

— Les clients aiment quand la touffe est conséquente.

— Pas de souci, Paolina, range ton matériel !

Le sourcil froncé, elle regardait Ernesto, toujours appuyé sur ce qui restait du chambranle de la porte, qui la regardait sérieusement, puis tous deux éclatèrent de rire.

— T’es con ! mais tu as raison, un coup de serpillère dans la salle de jeux, et je viens t’embrasser.

— Si tu as encore un peu d’eau, fais le haut et la bouche !

— Eh chérie ! je suce pas, tu ne risques rien

— Ça tombe bien, je n’ai pas une Volkswagen.