En congé - Zénaïde Fleuriot - E-Book

En congé E-Book

Zénaïde Fleuriot

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Extrait: "Être En congé, quel bonheur ! J'y suis, quelle chance ! Je l'écris, que c'est drôle ! À douze ans on n'écrit guère sa vie. Pour dire vrai, on a bien assez de gratter le papier, et quand la classe et l'étude se ferment, on met plus volontiers des billes qu'un porte-plume entre ses doigts."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Au bord de la mer

À mes neveux

Francis, Charles

Georges, René et Paul Fleuriot

I

Mes bonnes résolutions. – La mer ! – Mes premiers essais de natation.

Être en congé, quel bonheur ! J’y suis, quelle chance ! Je l’écris, que c’est drôle !

À douze ans on n’écrit guère sa vie. Pour dire vrai, on a bien assez de gratter le papier, et quand la classe et l’étude se ferment, on met plus volontiers des billes qu’un porte-plume entre ses doigts. Pour moi, qui galope une demi-heure dans notre cour uniquement pour le plaisir de galoper ; pour moi, qui n’ai encore pour l’étude qu’une profonde estime, je suis tout étonné de me voir barbouiller du papier le second jour de mes vacances.

Cette singulière idée m’est venue hier. On distribuait les prix à Louis-le-Grand, et j’ai si peu travaillé cette année, mais si peu, que ce grand jour me laissait froid. Cependant, quand je me suis trouvé devant l’estrade, il m’est venu je ne sais quel remords, et quand on a prononcé les mots : classe de sixième, je me serais volontiers arraché quelques cheveux.

Je n’étais pas complètement absent de la scène, mon nom se prononçait aux accessits ; mais les accessits vous font jouer un rôle de fantôme : c’est d’un invisible que l’on semble parler.

Mon cousin Edmond a remporté tous les prix. Un moment je me suis détourné et, par une éclaircie, j’ai aperçu le banc des parents, et au premier rang ma mère et celle d’Edmond. La mère d’Edmond pleurait de joie, la mienne avait une physionomie souffrante. Quelque chose s’est remué sous mon gilet, et si je n’avais pas été entouré de mes camarades, j’aurais pleuré, je crois. Ainsi j’aurais pu donner à ma mère une joie pareille à celle qui resplendissait sur le visage de ma tante, et je ne l’ai pas voulu ; pas voulu, car enfin Edmond est un fort, grâce à son travail surtout, et notre professeur m’a dit cent fois : « Robert, si vous vouliez ! »

Oui, si au commencement de l’année j’avais pensé ce que je pensais, si j’avais vu ce que je voyais, mon nom aurait retenti plus d’une fois comme lauréat, et ma mère aurait pleuré de joie.

J’étais furieux et je me disais : Comment fixer ma rage ? comment me rappeler à la rentrée que je veux des prix l’an prochain, qu’il m’en faut ?

Toutes sortes d’idées baroques ont traversé mon cerveau : j’aurais consenti à me laisser tatouer, je me serais fait écrire sur le bras, à l’encre de Chine : Remember ! ou dessiner sur la main une feuille du laurier symbolique. Finalement j’ai tâté mes poches et j’y ai découvert un calepin sur lequel ma plume ne s’était guère promenée : le crayon n’était même pas taillé. Mes dents et mes ongles aidant, je l’ai écorché quelque peu et j’ai écrit d’abord la date de la rentrée, puis les mots : « Souviens-toi ! »

Le soir j’ai montré à maman ma petite note : elle a trouvé que j’avais bien fait de fixer ma résolution ; j’ai eu l’idée de la transcrire sur un grand cahier rouge qui n’a jamais vu d’encre ; ainsi est né mon journal des vacances : j’espère bien le continuer.

Continuerai-je ce journal ? Voilà deux jours que je me le demande en regardant de travers ce gros cahier rouge que j’ai fait si élégamment relier. Être libre ! n’avoir ni classe, ni études, ni bouquins, et se salir les doigts avec de l’encre ! Shocking ! Et puis il fait si chaud !

Voici mon quatrième jour de congé, et je commence à… – tiens, je le dirai tout simplement, – à m’ennuyer. Le jeu finit par ennuyer, on se sent lourd quand on ne fait rien, lourd et hébété. Écrire mon journal me serait une distraction, ce serait comme un devoir amusant que je pourrais relire. Je vais le continuer, et si l’ennui me talonne déjà, nous verrons bien.

Mon cousin Louis est venu me voir aujourd’hui c’est un assez bon garçon que mon cousin Louis, mais comme il fait sa tête ! Je dis que c’est un bon garçon parce que cela se dit toujours, car je ne le trouve bon ni pour sa mère, ni pour sa sœur, ni pour ses camarades. Aujourd’hui il a ricané parce qu’il m’a entendu appeler « ma bonne » la vieille femme de chambre de maman, que je connais depuis que je connais quelqu’un. Il m’a monté une telle scie que j’en ai eu la peau écorchée. Ses « oui, bébé, » ses « dis donc, petit, » m’avaient sottement agacé. Quand il m’a dit en partant : « Bien des choses à ta bobonne, » je suis monté comme une flèche à la mansarde où Julie repasse et sans reprendre haleine j’ai frappé un grand coup de poing sur la table en criant : « Désormais je t’appelle Julie, entends-tu ? »

Elle a entendu, elle a compris, elle est devenue pâle, puis rouge, et j’ai vu de grosses larmes rouler dans ses yeux. J’ai sauté sur la table au risque de culbuter les fers, l’eau, l’empois ; et je l’ai embrassée en disant : « Ma pauvre vieille bonne, c’est pour rire. »

Elle m’a cru sur parole et s’est essuyé les yeux. Est-il sot ce Louis avec ses airs grandioses ! Suis-je sot moi-même d’aller, pour lui faire plaisir, contrister ma pauvre bonne Julie. Elle est bonne pour maman, elle est bonne pour tout le monde, je l’appellerai « ma bonne » à la barbe de Louis. Il a une ombre de moustache rousse qui le rend très fier ; mais enfin j’en aurai aussi moi des moustaches et je ne prendrai pas de grands airs pour cela. Qu’il porte ses moustaches et ses ingratitudes ! Mon oncle Bellavan, qui a cinq pieds huit pouces et une barbe de pacha, a aussi une vieille bonne qui le tutoie ; je ferai comme mon oncle Bellavan.

Nous sommes encore à Paris, et je grille d’envie d’être à la campagne. Maman voudrait louer un chalet à Enghien de moitié avec la mère de Louis. Je ne connais pas Enghien, mais je sais qu’il y a un lac et je frétille d’avance comme un poisson.

Aujourd’hui ma tante est venue s’arranger pour Enghien ; il faisait une chaleur accablante. Louis m’a suivi dans la salle à manger et s’est couché sur le canapé. Il a tiré de sa poche de vilains journaux coloriés et illustrés, et il a dit de bien drôles de choses. Si ma mère l’entendait !

Je devrais peut-être répéter à maman ce qu’il m’a dit ; mais rapporter c’est très laid. Me voici bien embarrassé.

C’était pour rire.

Je ne dirai rien, d’abord parce que je n’aime pas à vendre mes camarades, ensuite parce que si maman connaissait Louis à fond, cela l’empêcherait d’aller à Enghien, où il y a un lac.

Je suis tout mal à mon aise. Il y a comme une voix qui me chansonne toujours : « Dis à ta mère, dis à ta mère ; » il y a comme une petite vrille qui tourne en dedans de moi. Je suis tout drôle et tout grognon.

Ce n’est peut-être pas rapporter que confier un secret à sa mère.

J’ai tout dit, c’était trop agaçant de sentir tourner la petite vrille intérieure. Maman est tombée des nues. Louis ! un modèle ! Elle a voulu des preuves : j’ai couru chez le marchand de journaux en face et j’ai acheté les caricatures que Louis m’avait montrées en pouffant de rire. Ma mère n’a plus douté et m’a embrassé pour me remercier d’avoir obéi à ma conscience.

Elle m’a bien expliqué la différence qui existe entre un vil espionnage et le témoignage de confiance donné à ceux qui sont chargés de nous, et j’ai répondu bien sincèrement aux questions qu’elle m’a adressées sur Louis.

Mais comme j’ai été saisi quand elle m’a dit : « Mon enfant, je te remercie ; je vais écrire à ta tante sur-le-champ. Il m’est encore possible de refuser sa proposition.

– Ah ! mon Dieu ! et le lac ! me suis-je écrié tout plaintif.

– Certes, nous fuirons le lac, mon Robert, m’a-t-elle dit, ou plutôt nous fuirons Louis, qui te donne de si mauvais conseils ; mais puisque tu t’es montré consciencieux, je te récompenserai, je ferai tous les sacrifices d’argent nécessaires et nous irons jusqu’à la mer. »

Lui ai-je sauté au cou ! La mer ! Mais c’est mon rêve ! La mer ! mais c’est ma passion ! Que Louis garde son lac et ses affreux journaux, nous irons à la mer, ce sera autrement amusant.

En quittant maman, j’ai compté ce que j’ai dans ma bourse ; il va me falloir bien des choses : de la ficelle fine pour filets, des hameçons, une ligne, des espadrilles, un traité sur la pêche, etc. ; mes vingt francs y passeront.

Maman a écrit à ma tante, j’ai fait flamber les journaux de Louis. À bas le lac et vive la mer !

Les journées, les heures, me semblent interminables. Être toujours dans ce four qui s’appelle Paris quand l’Océan vous appelle !

Nous allons décidément à Saint-Pierre, où nous trouverons mon oncle Alphonse, ma tante Fanny et une grappe de cousins.

Une seule chose m’ennuie, il y a une petite fille. J’ai remarqué que les petites filles sont souvent difficiles, babillardes, ennuyeuses et se plaignent de tout comme des dames nerveuses.

Moi qui veux devenir officier, je n’entends pas passer mon temps à porter la poupée ou le parasol d’une petite Madame qui m’invitera à ses dînettes.

Maman a lu ceci par-dessus mon épaule, et m’a grondé en me disant qu’elle ne me croyait pas aussi égoïste.

Je lui ai promis d’être très poli pour ma cousine Berthe, qui a dix ans et est très gentille pour ses frères.

À Saint-Pierre, j’espère devenir un bon nageur. Tous les exercices du corps développent la force, et je veux être fort : il faudra bien un jour que nous nous battions pour la revanche : c’est pour en être que je vais à Saint-Cyr.

Que cela doit être fortifiant la mer ! Je me sens dedans, je dessine mes coupes : glac glou du bras droit, glac glou du bras gauche, puis la planche, puis le plongeon. Quel plaisir ce sera de piquer une tête dans les belles vagues vertes ! je n’ai jamais vu de vagues et on dit souvent la mer bleue ; mais on la dit verte aussi, et je l’aime mieux verte, c’est moins fade.

Comme je nage bien sur le tapis du salon ! Je m’étends, tête haute, mains collées, et puis, glac glou, glac glou. Maman et ma bonne s’amusent beaucoup de mes exercices de natation, qui usent joliment mes gilets.

« Il est temps de partir, madame, disait ma bonne à maman ce matin ; Robert salit ses gilets et se meurtrit l’estomac sur ce plancher. »

Elle dit cela, et quand j’arrive dans la salle à manger où elle coud, vite elle prend une serviette, essuie le parquet et alors moi, m’élançant sur mes flots de bois, je décris des glac glou sans fin.

II

Les conséquences d’une révolution. – Mon cœur balance entre les Batignolles et la Bretagne.

Je suis d’une humeur massacrante et j’ai quitté le salon pour ne pas montrer plus longtemps ma figure grognon à ma petite mère. Mais aussi quel guignon ! Tout est arrangé, nous partons demain, et voilà que ma tante Lucie s’imagine d’avoir une révolution d’asthme. J’avais entendu parler des révolutions des astres et des révolutions des hommes, mais je ne savais pas qu’il y eût les révolutions de l’asthme. Quand je pense que nous allons être cloués à Paris pendant les vacances ! À Paris ! mais on s’y évaporera, il fait une chaleur à vous roussir ; pas un camarade, pas un jeu, rien, rien que les bateaux de la Seine. Elle est jolie la Seine, et c’est amusant d’aller clapoter au milieu de toutes sortes de gens sur un fond de bois. Je suis littéralement écrasé sous cet obus. Avoir rêvé Enghien, puis la mer, et juste au moment de partir, ni l’un, ni l’autre !

Une voiture ! c’est maman qui va chez ma tante Lucie aux Batignolles. Qu’est-ce que je vais faire ? qu’est-ce que je vais devenir ? Si j’allais couper les oreilles à Griffard, cela ferait bien enrager ma bonne et cela me tirerait peut-être de mon humeur noire.

Non, rien que de l’écrire me déplaît : pourquoi ce pauvre chat porterait-il la peine de mon dépit ? J’entends la voix de maman : est-ce qu’elle serait rentrée ?

Maman était rentrée avec M. Benoît, son homme d’affaires, un gros monsieur à lunettes et à triple menton qui aime peu les enfants. J’ai assisté à une conversation bien agaçante pour un pauvre collégien qui a pensé s’en aller vivre en pleine eau et qui reste griller en plein soleil. Je suis arrivé comme M. Benoît relevait ses grosses lunettes sur son front, et, maman ne m’ayant pas fait signe de partir, j’ai entendu le vilain dialogue suivant :

« Madame, a dit M. Benoît, permettez-moi de vous féliciter sur ce revirement subit ; j’ai été charmé d’entendre votre parente me dire que le testament qu’elle avait fait était annulé.

– Je n’osais pas non plus espérer cet acte de justice. Ma tante en avait tant voulu à mon, pauvre mari, que je me figurais que mon fils porterait la peine de ce ressentiment.

– Il ne faut jamais désespérer de rien, a répondu M. Benoît en prenant une prise.

– Je m’en aperçois. Enfin cette pauvre tante me demande d’oublier le passé, ce que je fais de grand cœur.

– Sans doute, sans doute, mais que le passé vous rende prudente ; croyez-moi, redoutez les influences, ajouta M. Benoît en aspirant la prise.

– J’ai remis mon départ de quelques jours, afin de lui faire une visite de remerciement.

– Comment ! de quelques jours ! s’écria le gros M. Benoît en frappant un grand coup sur sa tabatière. Vous n’allez pas vous imaginer de quitter Paris en ce moment, madame !

– Mais si ; voilà mon pauvre Robert, dit maman en me regardant, à qui j’ai promis une saison au bord de la mer.

– Mais non pas aux dépens de son avenir, n’est-ce pas ? riposta M. Benoît en haussant ses lunettes d’un pouce et ramenant ses trois mentons au-dessus de sa cravate ; mais pas aux dépens de sa fortune ? Vous n’hésiteriez pas, je le suppose, à le priver d’un plaisir plutôt que d’un héritage ?

– Certainement : je suis la gardienne de ses intérêts, et, s’il le faut, je resterai. »

M. Benoît se leva et se déploya en long et en large.

« Il le faut, madame, il le faut. Comment ! voilà une parente qui ne vous a pas vue depuis vingt ans, qui consent à oublier ses rancunes, qui vous appelle près d’elle, qui me dit à moi-même qu’elle réparera vis-à-vis du fils d’Alfred les torts faits à celui-ci, et vous allez quitter Paris ! Vous disparue, les autres héritiers se représenteront, ses bonnes dispositions faibliront ; si vous partez, cette affaire si bien engagée peut être perdue. »

Maman me regarda et se leva à son tour.

« Je vais voir ma tante et me rendre compte de l’état des choses ; si cette pauvre tante désire mes visites, mes soins, je ne les lui refuserai pas, ne fût-ce qu’à cause de ses bontés passées.

Il ne faut jamais désespérer de rien.

– Ne s’agirait-il que d’une réconciliation, répondit M. Benoît en rabaissant ses lunettes, vous comprenez que vous ne devez pas quitter Paris.

– Son état est-il donc très inquiétant ?

– Non, dit-il en rouvrant sa tabatière et en saluant ; mais vous savez, les révolutions ! on n’en sait jamais la fin. »

Il est sorti, et maman est venue à moi.

« Ne te désole pas, Robert, m’a-t-elle dit, notre départ n’est que suspendu ; attends mon retour avant de te désespérer. »

Elle est partie avec M. Benoît et je suis allé rejoindre ma bonne qui repasse. Je suis le gril.

Maman est revenue ; elle m’a dit qu’il lui est impossible de quitter Paris, ma tante Lucie lui ayant demandé de rester. Je suis furieux : mes pauvres projets ! de si jolis projets !

Maman vient de me proposer de m’envoyer seul à Saint-Pierre chez mon oncle. Irai-je ? N’irai-je pas ?

Je n’irai pas, je ne veux pas quitter ma petite mère, et voilà que l’ordre est donné de défaire nos malles ; si Griffard me tombe sous la main, je lui couperai les oreilles bien sûr.

Maman est depuis ce matin chez ma tante Lucie. Les révolutions d’asthme sont aussi longues et aussi ennuyeuses que les autres, il paraît. Voilà deux jours que je ne vois plus ma petite mère, je m’ennuie bien.

Quelle a été ma stupéfaction quand j’ai entendu le dialogue suivant. Maman dans la cour appelant ma bonne : « Julie, avez-vous défait la malle de Robert ?

– Non, madame, répondit ma bonne en s’arrêtant à la porte de la cour ; j’ai commencé par la vôtre, mais ce sera fait aujourd’hui.

– N’y touchez pas et refaites vite la mienne, nous partons.

– Pour où, madame ?

– Pour Saint-Pierre, où je vais conduire Robert.

– Va-t-il être content, le pauvre enfant !

– Je l’espère ; il m’en coûte de me séparer de lui : aujourd’hui il le faut.

– Vous ne partez pas avec nous pour Saint-Pierre, madame ?

– Si, Julie, mais je m’arrête à Rennes, où je dois prendre un papier important ; puis je reviendrai à Paris.

– Seule, madame ?

– Seule, car j’irai m’installer aux Batignolles pendant la durée des vacances.

– Pourquoi aux Batignolles, madame ? Je ne comprends rien à tout ça.

– Parce que ma tante l’a demandé. Elle n’a guère que quelques semaines à vivre, il serait cruel de l’abandonner.

– Mère, m’écriai-je en me penchant par la fenêtre, j’irai avec toi aux Batignolles, je ne veux pas m’en aller sans toi en Bretagne. »

Maman est venue m’embrasser et m’a dit très sérieusement : « C’est impossible, le plus léger bruit fait un mal affreux à ta pauvre tante ; et puisqu’il faut nous séparer, autant vaut que tu sois à Saint-Pierre à t’amuser et à te fortifier qu’ici à t’ennuyer. »

Mère disait cela d’un ton auquel je sais que je n’ai pas à répliquer, et je n’ai rien dit. Elle part avec moi : donc vive le voyage !

 
III

Les voyageurs. – Le chat Griffard et son camarade Fidélio. Je fais acte de chef de famille.

Nos malles sont refaites, et j’exécute d’excellents exercices gymnastiques dans notre maison en sautant par-dessus tout ce que je rencontre c’est un vrai steeple-chase.

J’aimerais beaucoup les chevaux et les courses ; mais maman préfère ne pas me voir m’occuper trop tôt de ces passe-temps, qui ont tant de dangers, dit-elle. Eh bien, mère, n’en parlons plus, mais par exemple nageons : glac glou, glac glou, glac glou.

Enfin on part aujourd’hui, tout est prêt ; maman et ma bonne s’occupent des derniers préparatifs. Pour moi, je suis à cheval sur une malle, j’ai ma sacoche en bandoulière et je griffonne d’impatience sur mes genoux.

Les hommes ont si peu de chose à faire dans les arrangements domestiques, qu’ils s’ennuient toujours un peu pendant les préparatifs des voyages.

Six heures et demie sonnent, encore une grande demi-heure d’attente. Voyons ! pour la remplir je vais décrire les voyageurs.

1° Maman. – Je pense qu’on doit toujours trouver sa mère charmante ; mais, tout sentiment filial à part, la mienne est très jolie, très comme il faut, grande, mince, aimable : ses yeux ne sont noirs et sévères que quand elle gronde ; autrement ils sont doux ; elle a de beaux cheveux châtains et blancs. Quand je cache les mèches blanches sous les mèches châtaines, ma petite mère a l’air très jeune. Je vois bien que tout le monde la respecte et l’aime ; quant à moi, j’en raffole et je ne sais pas comment je ne la comble pas de satisfaction, car je l’aime, je l’aime… comme on n’aime que sa mère, je crois.

Je vais décrire les voyageurs.

2° Moi. – Ah ! mais comment m’y prendrai-je pour me peindre moi-même ? Voyons ! il y a là une grande glace, je monte sur la malle. Allons, fameux Robert, exécute ton portrait en pied : corps fluet et souple, jambes de coq, bras comme des ficelles, et, pour terminer tout cela, une assez jolie petite boule blanche percée de grandes lanternes bleues, ornée d’un nez qui prend je ne sais quelle courbe géométrique et de cheveux blonds qui ondulent ; signe particulier, une petite verrue au sourcil gauche.

J’aimerais mieux être brun, gros, grand, et avoir des moustaches, que d’être grêle, blanc et blond comme je suis ; mais j’ai déjà remarqué que toujours on aime mieux ce qu’on n’a pas. Puisque voilà mon signalement tracé, retombons sur le dos de mon cheval de bois et passons à :

3° Ma bonne Julie. – Ma bonne Julie est une grosse mère qui a le visage rond et rouge comme une pomme, le nez en éteignoir, des yeux comme de petits vers luisants, pas plus de cou que sur ma main, des bras courts et gros, des pieds grands et lourds ; mais une physionomie si riante et si bonne qu’on s’arrange tout de suite de cette figure-là. Elle n’a vraiment pas volé son nom de bonne, et c’est grâce à elle que se présente à sa suite :