Enora et les Sept Mondes - Camille C.P. - E-Book

Enora et les Sept Mondes E-Book

Camille C.P.

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Beschreibung

Dans un monde détruit par les catastrophes écologiques successives. Les humains ont perdu toute autorité sur leur Terre. Anéantis et désespérés, ils tentent de survivre depuis l'arrivée d'un mystérieux royaume dans la ville de Cerest. La Spirée, reine-fée de ce royaume, a pris le contrôle de la Terre, obligeant chaque humain âgé de 21 ans de rejoindre son armée pour mener une guerre à d'autres mondes. Enora, révoltée par son manque de liberté et sa faible chance de survie, sera peut-être la seule qui pourra sauver l'humanité. Mais quel en sera le prix ?

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Camille C.P. - "Infirmière puéricultrice de métier, j’ai été influencée dès mon plus jeune âge par les contes, les livres fantastiques et les romans policiers anglais. Je dévorais tout ce qui me passait sous la main. Passionnée par les mystères du monde et la magie, j’ai décidé de me lancer dans l’écriture afin de créer mon propre univers. Enora et les Sept Mondes est mon premier roman."

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C.P. Camille

Enora et les Sept Mondes

Tome I

La Lignée Royale

Éditions des Tourments

Prologue

Je sens l’eau couler le long de mon dos. La pluie ne cesse de dégouliner le long de mes cheveux et je frissonne de froid.

La joue contre une terre boueuse me réconforte légèrement. J’ai peur, si peur…

Le champ de maïs qui m’entoure semble me protéger. Je resserre un peu plus les pans du drap blanc qui enveloppe mon corps nu.

Cela fait à peine quelques minutes que je suis réveillée dans le noir le plus complet, mais je ne suis pas en sécurité.

Un bruit sourd se fait entendre puis grandit comme des couteaux qui transpercent le vent. Les branches de maïs se plient légèrement pour découvrir le ciel au loin. Trois hélicoptères se rapprochent de moi tous feux allumés me forçant à plisser les yeux.

Je me relève en secouant une main et en tenant mon drap de l’autre.

Mes sauveurs sont arrivés, ils sont venus me secourir.

Chapitre 1

Je regarde par la fenêtre la pluie qui ne cesse de dégouliner, le temps est sombre comme toujours. Les hélicoptères dans le ciel tournent au-dessus de la maison, laissant traîner leurs feux sur le sol à la recherche constante de Déserteurs.

Une main passe devant mon nez pour fermer la persienne.

– Tu devrais faire attention Enora, ils vont te voir.

Je me retourne vers mon meilleur ami.

– Qu’est-ce que ça peut faire, un jour ils nous tueront.

Il hausse les épaules.

– Tu viens avec moi ?

Je quitte la banquette, près de la fenêtre, et enfile mon ciré. Max, mon dalmatien, me regarde peiné, se demandant si je vais aller le promener. Je secoue la tête pour lui faire comprendre que non, il retourne, la tête baissée, dans son panier.

Je descends les escaliers et enfile mes bottes en plastique avant de sortir. Elliot enfile à son tour ses bottes et son ciré et m’ouvre la porte d’entrée.

La pluie bat à tout rompt sur notre tête, nous courons à travers la route de terre pour rejoindre le grand bâtiment gris qui nous fait face. Les flaques d’eau sont nombreuses sur notre route déformée. Elliot m’arrête sur le bas-côté pour laisser passer les chars de l’armée de Terre qui tourne dans la ville. Je contourne les véhicules et, aveuglée par la pluie, je rejoins le trottoir d’en face.

Elliot me tire par la main pour franchir la grande porte du bâtiment. A l’intérieur, les bruits métalliques des chaînes résonnent. Le bâtiment est haut de plusieurs mètres et en ouvrant la porte, je vois les nombreuses rangées de couloirs qui se superposent, séparées et protégées par des grilles. Le bâtiment est un ancien entrepôt qui s’impose dans la ville comme un vestige du temps passé. Je suis mon ami pour traverser la grande porte en verre et longer un long couloir où des chaînes finies par des crochets pendent du plafond. Tout le bâtiment est sombre, privée de fenêtres. Nous voyons à peine grâceaux néons fixés maladroitement dans ce hangar.

Nous traversons un pseudo-marché, des femmes d’un certain âge vendent des marchandises sur des étalages poussiéreux. Les salades, cultivées sous serre et bourrées de produits chimiques pour compenser le manque de soleil, sont marron.

Avec précaution, à l’abri des regards, nous dévions sur la droite pour traverser un passage étroit sous des gouttières de zinc. Elliot s’assure que personne ne nous voit pendant que je passe. Puis, il me suit. L’eau coule à petites gouttes pour former une flaque sur le chemin et son bruit résonne entre les murs. Nous sommes entourés de toute part par des grillages rouillés et nos pas frôlent enfin le pont en acier que nous devons atteindre. De notre position secrète, nous pouvons voir l’immense hangar de toute sa sale splendeur.

Les Hommes s’activent en bas faisant passer la marchandise en bernant les autorités : des hommes armés et casqués. Les soldats nous cernent de toute part mais de notre perchoir, ils ne peuvent nous voir.

Elliot me pousse vers le petit tuyau qui nous sert d’observatoire. Je grimpe dedans, serrant mes jambes le plus possible contre mon corps. A quatre pattes, je me faufile dans le labyrinthe de gouttières pour arriver jusqu’à la bouche d’aération au-dessus de la salle de test.

Je passe de l’autre côté pour qu'Elliot puisse voir aussi à travers l’ouverture. La salle au-dessus de laquelle nous nous trouvons est immaculée, lumineuse et bien gardée. Les soldats sont aux quatre coins de la pièce et surveillent les faits et gestes des « candidats ».

Les jeunes de Cerest traversent un à un le grand portail lumineux censé détecter tous métaux et autres objets susceptibles de blesser ou de tuer. Puis, ils avancent dans un long couloir qui se finit par deux portes. Entre les deux ouvertures, un homme les attend pour leur lire un long paragraphe ; les « candidats » acquiescent sans hésitation après sa lecture. Cela fait des années qu’Elliot et moi venons à cette bouche d’aération pour observer le déroulement du test qui a lieu tous les mois, le même jour : le premier vendredi.

Nous sommes fascinés par l’obéissance des gens. Bientôt, nous leur ressemblerons lorsque nous aurons atteint 21 ans. Soit dans deux mois à peine.

– Tu crois que tout le monde obéit ?

Elliot hoche gravement la tête.

– Tout le monde doit se battre pour la reine, en vérité, nous n’avons pas le choix.

– Qu’est-ce que les soldats leur disent, d’après toi ?

– Un truc du genre : Voulez-vous vous battre pour la reine et rejoindre l’armée ?

Au final, nous étions tous contraints de nous battre pour le royaume, comme tous les jeunes issus des ouvriers des classes B et C et toujours en assumant ensuite leur travail à l’usine ou à la ferme, si on pouvait encore appeler cela une ferme.

Une dizaine de candidats s’exécutent pour passer la porte à la droite de l’homme, aucun ne franchira celle de gauche aujourd’hui, aucun n’a mal répondu.

– Et si nous, nous répondons que nous ne voulons plus nous battre ? demandé-je.

– Alors tu prendras la porte de gauche, mais je te le déconseille vivement. Rappelle-toi de Liam.

Et je préfère oublier…

Je baisse les yeux et Elliot s’excuse aussitôt de sa référence.

– On devrait y aller, Dagan va t’attendre, dit Elliot, peiné.

Je le regarde et, indifférente, je le suis en sens inverse pour rejoindre un autre passage secret que nous connaissons bien.

Nous arrivons devant un égout dans lequel nous nous laissons glisser jusqu’en bas. Le néon intense qui illumine la pièce dans laquelle nous arrivons me force à plisser les yeux. Puis, les formes des multiples portes qui nous entourent arrivent enfin. Elliot pousse la première porte et longe un couloir humide où les canalisations ont été fixées au sol. Nous les enjambons avec difficulté avant de déboucher dans une grande pièce.

Je sens aussitôt des mains me frôler le ventre pour m’attraper. Je crie, surprise avant de découvrir que c’était Dagan qui voulait simplement m’effrayer. Il me tire à lui avant de m’embrasser et lorsqu’il pose enfin son regard sur moi, je ne peux que m’arrêter devant ses grands yeux bleus cernés de cils noirs. Les autres personnes qui sont dans la pièce se mettent à rigoler avant de reprendre leur discussion. Elliot rejoint un groupe d’amis.

– Viens, j’ai quelque chose à te montrer, me chuchote Dagan dans le creux de l’oreille.

Je le laisse m’entraîner dans une pièce plus loin, qu’il a transformé en chambre.

– Qu’as-tu à me montrer ?

Il sourit avant de me plaquer contre le grillage et de m’embrasser. Il laisse glisser une de ses mains sur mes cuisses pour me porter afin que je sois à sa hauteur. Je glisse mes doigts sur son visage pour le maintenir et l’embrasser.

– J’ai déjà vu, lui dis-je.

Il se colle contre mon corps avant de m’emmener jusqu’à son lit. Il me laisse glisser sous les draps et retire son T-shirt pour me rejoindre. Je retire à mon tour le chemisier que je porte et mon soutien-gorge et colle ma peau contre la sienne. Je le plaque sur le lit pour lui retirer son pantalon et laisser ma bouche glisser sur son torse.

Son bras musclé m’entoure, décoré de nombreux tatouages. Je me laisse dominer par son corps avant qu’il ne retire mon bas et me prend tout entière. Au-dessus de moi, ses mouvements de va-et-vient se frottent contre ma poitrine et nos souffles se calent l’un sur l’autre.

Je laisse parfois échapper un cri de jouissance qu’il étouffe d’un baiser dans le cou. Il resserre de plus en plus son étreinte comme pour me posséder tout entière, pour que je fasse partie intégrante de son corps. Puis, lorsque sa force s’échappe de lui, il me relâche avant de glisser sur le côté pour reprendre de l’air. La peau collante, je laisse l’air étouffant de la cage m’envelopper et me sécher avant de me coller de nouveau contre son torse et de sentir battre son cœur à tout rompre.

Je regarde sa cage thoracique qui tente de reprendre son rythme. Je contemple son visage si dur. Bientôt, je ne verrai sans doute plus tous ses détails de lui, je serai de l’autre côté.

Dagan a choisi la révolte et la fuite. A 23 ans, il ne s’est jamais présenté au test et s’est caché dans cette rangée de cages pendant deux ans. Aujourd’hui, les autorités sont à sa recherche, mais n’étant pas un grand criminel, tous leurs efforts ne se concentrent pas sur lui. Si un jour ils le découvrent, ce sera par pur hasard.

Mais je compte me présenter au test et pour cela, je dois renoncer à lui.

– Tu sais que dans deux mois…

Il soupire. Je baisse le visage, Dagan va me perdre. Il a déjà perdu son meilleur ami, Liam. Choisir de déserter c’est devoir renoncer à beaucoup de choses. Pourtant, Liam était destiné à déserter avec lui. Il avait toujours voulu se révolter et contester chaque loi, chaque règle. Mais son esprit révolutionnaire a très vite été recadré.

Au contraire de Dagan, il s’est présenté le jour du test et l’a refusé. Elliot et moi étions là, au-dessus de la salle ce jour-là. Il a été envoyé dans la porte de gauche et on ne l’a plus jamais revu. Dagan n’a plus jamais prononcé son nom. D’abord, il lui en voulait de s’être présenté au test parce qu’ils avaient prévu de rester ensemble tous les deux. Puis, il lui en voulait de ne pas lui avoir parlé de son projet de refuser le test.

Je ne sais pas si Dagan l’aurait suivi et c’est sans doute pour cela que Liam ne lui en a pas parlé. Maintenant, personne ne sait s’il est toujours en vie, mais une chose est sûre : plus personne n’a entendu parler de lui après cet événement.

Je n’ai jamais évoqué son prénom devant Dagan, nous avions vécu tellement de moments tous ensemble et maintenant… que reste-t-il de lui ? Et que restera-t-il de moi ? Je n’ai pas menti sur mes intentions à Dagan. Je lui ai toujours dit que j’irais me battre pour le retrouver ensuite, mais plus les jours avancent, plus je me pose des questions.

– Je sais, tu peux encore choisir Enora.

Je souris avant de laisser retomber ma tête sur l’oreiller.

– Je ne peux pas devenir une fugitive comme toi. L’armée finira par nous retrouver.

Il se penche au-dessus de moi et caresse mon visage puis laisse ses doigts s’entrecroiser dans mes longs cheveux qui s’étalent sur l’oreiller.

– Elliot est un mec bien, me dit-il soudain.

Je hausse les sourcils.

– Pourquoi me dis-tu cela ?

– Parce que lorsque tu auras rejoint les forces de la reine, il sera le seul sur lequel tu pourras compter. Il a le même âge que toi, il va suivre le même parcours.

– C’est avec toi que je veux être Dagan.

Il m’embrasse sur la joue et descend du lit pour se rhabiller. Je le regarde faire, incrédule.

– C’est fini Enora, on a deux mois pour en profiter. Après tu ne pourras plus revenir ici.

Je me pince les lèvres, retenant mes larmes alors qu’il s’éloigne dans une autre pièce en refermant la porte. Je me laisse tomber sur le côté pendant qu’une sirène retentit au loin. Il se passe quelque chose dans l’entrepôt.

Elliot entre précipitamment dans la chambre de Dagan.

– Il faut qu’on s’en aille, l’armée est entrée dans l’entrepôt.

Sans demander plus d’explications, je m'extrais du lit, complètement nue, et m’habille alors que mon meilleur ami détourne le regard. Puis je laisse un baiser sur les lèvres de Dagan et sors de notre cachette pour longer l’égout et revenir en sens inverse dans l’entrepôt. L’armée est partout dans le centre du grand hangar, arme levée et pointée vers des gens.

Elliot passe devant moi et longe les murs pour rejoindre la sortie arrière. Des coups de feu retentissent au moment où nous franchissons la porte. Nous courons sans arrêt jusque chez moi avant de refermer la porte et de nous laisser glisser à terre, effrayés.

– On l’a échappé belle, me dit Elliot.

– Vous étiez où ? demande ma mère en surgissant de la cuisine.

Je reprends mon souffle avant de lui dire :

– Nous étions sortis un instant, mais…

– Ils ont arrêté des Déserteurs dans l’entrepôt. J’espère que vous n’étiez pas là-bas ?

Elliot, inquiet de mentir à ma mère, secoue néanmoins la tête.

– Nous étions dehors, mais nous avons entendu les coups de feu.

Ma mère, rassurée, se précipite sur nous et nous prend dans ses bras.

– J’ai eu si peur en entendant la nouvelle à la radio. Vous ne devez pas sortir, c’est trop dangereux.

Puis, elle reprend son torchon qu’elle a posé sur le buffet de l’entrée pour continuer sa vaisselle. Elliot et moi montons dans ma chambre pour être au calme.

– Tu vas le dire un jour à ta mère ?

Je secoue la tête tout en tirant sur une affiche pour abaisser le faux mur de ma chambre. Un bureau se décroche du mur avec le plan de la ville décoré de punaises.

– Ferme la porte ! ordonné-je à Elliot.

Il s’exécute en regardant nos plans et nos croquis. Une boîte noire est dessinée sur plusieurs d’entre eux. Cela fait plusieurs mois qu’avec Elliot nous préparons une bombe énorme et un plan d’évasion pour Dagan. Parce qu’un jour il faudra l’aider, il faudra qu’on soit là pour le secourir. 

– Nous n’avons plus beaucoup de temps…

– Je sais Enora. Dagan le sait aussi, il te l’a dit et redit.

Je secoue la tête, je ne peux pas y croire. Dans deux mois, je devrai dire oui à la reine, oui à son armée. Je devrai être prête à combattre pour sauver notre Terre. Pour sauver notre Spirée.

Chapitre 2

Je scrute l’immense montagne qui ne ressemble qu’à un buisson vu de ma fenêtre. Miss You des Rolling Stone résonne dans ma chambre ; Elliot est assis au bureau, devant l’amoncellement de plans que nous avons assemblés.

– Nous devrions trouver un moyen d’aller sur la montagne, lancé-je à mon ami.

Il me regarde un moment et me sachant perdue de nouveau dans une quête improbable, il replonge sa tête dans les plans.

– Imagine, nous pénétrons dans cette montagne et nous trouvons le moyen de nous protéger des Autres Mondes. On empêche les puissances magiques de nous atteindre pour retrouver notre monde, le monde de nos parents.

Je descends du rebord de la fenêtre et rejoins un mur de ma chambre recouvert de cartes postales. Je regarde les groupes de musique agiter la foule de spectateurs pendant les concerts, les cultivateurs dans leur champ au bord des marécages, une vieille dame sourire devant ses draps blancs étendus dans une prairie, une famille, un verre à la main devant le barbecue fumant.

– La montagne est une partie d’un Autre Monde qui s’est échoué sur notre Terre, répond Elliot. Ce n’est pas un moyen.

– C’est le seul vestige que nous possédons.

– Arrête de rêver Enora, viens m’aider !

Je me retourne vers lui et m’approche du bureau pour regarder les points qu’Elliot a surlignés. 

– Il faut se rendre à l’évidence, Dagan ne pourra plus rester très longtemps dans l’égout de l’entrepôt. Regarde !

Elliot approche son doigt de plusieurs petits points roses.

– Ce sont les dernières interventions des soldats pour trouver des Déserteurs. Dagan se trouve ici. Peu à peu, ils l’encerclent.

– Ils vont finir par le trouver.

Elliot hoche gravement la tête.

– Nous le savons Elliot et dans deux mois, on ne sera plus là pour le sauver.

Mon meilleur ami me scrute.

– Tu ne comptes pas déserter aussi ?

Il déglutit, s’attendant à ma réponse.

– Non, je ne ferai jamais ça, ce serait suicidaire. Dagan sait très bien comment tout va se terminer, il me l’a dit et il préfère que ce soit ainsi, m’empressé-je de lui dire.

– Ce type est taré, taré et suicidaire.

Je secoue la tête pour le défendre.

– Non, je pense juste qu’il défend ses idées du mieux possible.

– En se laissant tuer par des soldats. Ils vont lui mettre une balle dans la tête et il mourra comme les autres Déserteurs.

– De toute façon, nous sommes destinés à mourir aussi en protégeant la reine.

– Finalement, ton idée de rentrer dans la montagne n’est pas si bête…

Elliot tourne son regard mielleux vers moi avant d’éclater de rire. Je le rejoins aussitôt dans son euphorie, sachant pertinemment qu’elle est à la fois nerveuse et inappropriée.

Le calme revenu, Elliot me relance.

– Vraiment Enora, ton idée n’est pas si bête. Imagine que nous pénétrons la montagne et que nous trouvons le moyen de tout remettre dans l’ordre, de fermer tous les accès des autres mondes sur le nôtre et que nous rétablissons la Terre de nos ancêtres, sans la magie, sans la Spirée, sans la reine, sans les démons qui ont pris possession de nous. Il ne resterait que des humains, rien que des humains pour diriger.

– Plus aucune puissance céleste... Mais cela voudrait dire que la montagne est l’accès à tous les mondes, qu’elle est la seule ancre qu’ils possèdent.

Elliot me regarde avec tout son sérieux.

– Si seulement c’était vrai, on détiendrait la solution… Assez rêvé Enora, il faut que je rentre chez moi.

– Tu ne veux pas rester dîner ?

Il secoue la tête en enfilant son manteau.

– Mes parents n’aiment pas que je rentre trop tard, avec tout ce qui se passe en ce moment.

Je hausse machinalement les épaules et referme le bureau encastré dans mon mur avant de raccompagner Elliot jusqu’à la porte.

Il m’embrasse sur la joue et s’éloigne en secouant la main sous la pluie battante.

Les odeurs de cuisson sont encore faibles, je remonte dans ma chambre pour me replacer de nouveau sur le rebord de la fenêtre.

Si seulement c’était vrai, si seulement la seule solution se trouvait dans la montagne, mais elle est infranchissable, une barrière invisible la protège de tout intrus. Notre Terre n’a pas la barrière de ces êtres magiques qui ne s’interdisent pas de venir chez nous, sur notre territoire. Ces démons qui nous entourent, les gardiens de la reine.

Je ne peux m’empêcher d’être révoltée contre cette magie qui est arrivée sur la Terre par cette montagne, mais mes parents n’ont pas tort, c’est un peu de notre faute aussi, la faute de l’humanité tout entière qui n’a pas su se contenter de la nature offerte. La faute de ces générations de personnes sur mes cartes postales qui n’ont pas su préserver la Terre, qui l’ont maltraitée, qui l’ont polluée. Nous aurions dû faire d’autres choix, mes ancêtres auraient dû nous offrir une autre nature. Le Monde serait différent…

– Enora, viens manger ! me crie ma mère du bas de l’escalier.

Je descends les quelques marches qui me séparent de la cuisine pour rejoindre mon père déjà attablé. Son visage est tiré par la fatigue, il m’ignore, il est rentré du travail tard ce soir.

– Bonsoir, Enora, murmure-t-il.

Ma mère se tourne vers nous et des pleurs ont envahi ses yeux. Elle tente tant bien que mal de me les cacher.

– Que se passe-t-il ? demandé-je en déglutissant.

Une mauvaise nouvelle sans doute…

– Eh bien, ce matin, Mr Cheer est venu nous voir dans le maillon fabrication de l’usine. Il a reçu un courrier de la reine qui manque d’effectifs. Bientôt, les adolescents ne suffiront plus.

Mon père se retourne enfin vers moi et me regarde gravement.

– Ils sont censés vous laisser reprendre une vie normale à 28 ans, mais… la reine veut vous garder plus longtemps.

– Plus longtemps, c’est combien de temps ?

– Jusqu’à 35 ans.

J’avale difficilement ma salive. Mon monde s’enfonce un peu plus profondément, il s’écroule…

– Elle veut nous garder 14 ans ? Mais pourquoi ?

Mes parents se contentent de hausser les épaules alors que mes projets sont détruits en quelques secondes.

– Parce qu’elle n’a pas assez de personnes…

– Mais pourquoi a-t-elle besoin d’une armée ? Je ne comprends pas, où vont tous ces gens ?

Ma mère pose le plat sur la table, plusieurs poulets minuscules dont la carcasse est plus imposante que la chair. Puis, elle défait son tablier et s’assit à mes côtés.

– La plupart sont les soldats qui nous entourent, nous surveillent, font en sorte que nous restions bien sagement dans le rang.

– Enora, interpelle mon père, la reine, investie de tous pouvoirs, aussi grands qu’ils puissent être, nous condamne pour nos actes passés, pour les actes de nos ancêtres. Nous avons détruit la Terre par la pollution, par notre consommation excessive, par notre manque de lucidité, par notre stupidité.

– Désormais, continue ma mère, elle est la plus haut placée, mais pour nous empêcher de nous révolter, elle doit nous surveiller tout en menant une guerre ailleurs dont nous ne connaissons pas vraiment les tenants et les aboutissants. Tu sais qu’il y a d’autres mondes, Enora ?

Je hoche la tête.

– C’est là-bas qu’elle vous emmène, pour vous battre contre ses ennemis. C’est une femme horrible Enora, mais nous ne pouvons que lui obéir, car nous sommes formatés pour.

Je sens les mains de mon père se poser sur mes épaules.

– Qu’importe ce qui arrivera le jour du test, sache qu’on t’aime énormément. Tu es ce que nous avons de plus précieux. On espérera toujours que tu reviennes à la maison, on priera pour toi, pour que tu reviennes saine et sauve.

Une larme coule le long de ma joue. Mes parents me condamnent, tout le monde me condamne à vivre 14 ans de terreur.

– Essaie de nous pardonner nos erreurs, nous sommes désolés. Nous aurions dû savoir ce qui se passerait.

Ma mère pleure de nouveau.

– Nous aurions dû vous offrir une meilleure vie…

Chapitre 3

Je balance la balle de Max au loin avant de me concentrer à nouveau sur le peu d’eau qui reste de la mer. Mes larmes inondent mon visage et je serre mes mains emmitouflées dans des mitaines contre mon ventre. Je reste accroupie à contempler le va-et-vient des amas de plastique qui se sont accumulés sur l’eau recouvrant la totalité de la surface. Une bouteille de Coca-Cola en plastique a perdu son rouge flamboyant et plus loin, des carcasses de bateaux flottent encore sur l’eau. Ils sont rongés par la rouille, écrasés les uns contre les autres près du bord qui n’est que l’ancien port de la ville. Tout est abandonné et la mer n’est plus une voie de commerce, ce n’est plus une voie du tout, mais un nouveau continent inhabitable surtout pour les oiseaux et les animaux qui s’en nourrissaient. Les Hommes ont lâchement abandonné la faune marine au détriment de leur stupidité et de leur survie.

Max revient en petites foulées, la tête bien droite et tenant dans sa gueule la balle de tennis plus noir que jaune. Je l’extirpe de sa gueule, prête à lui lancer à nouveau, mais sentant ma peine, il frotte son museau contre mon bras pour réclamer une caresse. Je passe mes doigts entre ses oreilles, caressant son poil dru et grattant sa chair du bout des ongles. Satisfait, il balance sa queue et me vole un sourire malgré mes pleurs.

– Tu es heureux, Max ! Tu ne sais pas, tu ne comprends pas pourquoi notre monde est ainsi. Tu ne quitteras jamais le foyer.

L’oreille attentive, il s’assoit près de moi et scrute l’horizon. Il accompagne mon regard.

Je fouille dans ma poche pour retirer une petite boîte sertie de perles bleues. C’est un pilulier qui contient l’unique médicament de la journée.

Je le prends et le dépose entre mes lèvres avant de l’avaler. Cette petite pilule blanche est notre survie. C’est elle qui protège notre organisme entier de la pollution qui nous entoure. Sans elle, nous serions incapables de survivre à nos propres échecs. Nous avons créé un monde atomique et cette pilule arrête le compte à rebours. 

Chaque personne sur cette planète est désormais obligée de l’avaler.

Je me redresse, ne pouvant rester là une éternité. Désormais, il y a plus de chances que je ne revoie plus mes parents que l’inverse. Quatorze ans sans les voir, quatorze ans sans doute de guerre pour disparaître à jamais.

Cela me fend le cœur de ne plus voir Dagan, de le laisser prisonnier de ses propres choix. Je vais laisser mes parents sans enfants et sans avenir. Toute leur vie, ils vont attendre que je revienne. L’espoir puis le désespoir vont les ronger. Mon père va continuer à aller travailler pour payer les légumes noirs et sans goût du marché et les galettes de caoutchouc censées être de la viande. Il va travailler pour que ma mère puisse transformer les aliments du mieux possible en un repas appétissant.

Avant de partir, je devrais faire disparaître à jamais les plans de la bombe et de la ville pour ne pas décevoir mes parents et pour ne pas qu’ils aient des ennuis. Ils m’ont élevée et nourrie depuis mes dix ans. Ils m’ont recueillie alors qu’il ne me restait aucun souvenir de mon enfance. Ce sont les gardes qui m’ont emmenée jusqu’à eux et maintenant, ils vont me reprendre.

Max marche tranquillement à mes côtés, reniflant une touffe d’herbe de temps à autre et avalant la nourriture qu’il a la chance de trouver. Il met son museau au milieu des pneus et de la ferraille des vieilles voitures. Elles ont été abandonnées au milieu des routes lorsque l’essence et le gasoil sont devenus trop chers.

Je le laisse passer devant quand la demeure devient visible. Il pousse la porte d’entrée entrouverte et je l’enferme dans la maison pour rejoindre ma formation. Après nos 18 ans et l’obtention de notre baccalauréat dans un cursus scolaire traditionnel, nous pouvons choisir une formation pour nous préparer à nos 21 ans et à ce qui nous attend ensuite. J’ai opté pour la formation basique, soit : le poison, les armes et l’art de parler, bien que je ne sois pas la meilleure dans cette dernière catégorie. A ceux-ci s’ajoutent des techniques de survie obligatoires pour tous, quelques heures de sport et les différents examens mensuels pour connaître nos aptitudes avant de partir.

Nous sommes le 27 janvier et j’appréhende le prélèvement sanguin qu’on va me faire aujourd’hui pour vérifier mon état de santé et mes capacités à me battre et à survivre.

La pluie se déverse sur moi dans une brume humide et étouffante, j’enfile la capuche de mon sweat sur la tête et m’abrite sous la cage d’escalier d’un immeuble. L’odeur de pisse et les cartons imbibés de sauces de fast food recouvrent le sol. Je supporte l’endroit pendant quelques minutes en attendant qu’Elliot me rejoigne comme tous les jours.

Il se laisse attendre et je surveille ma montre, impatiente.

J’entends crier mon prénom derrière la grille qui sépare mon abri de la rue.

Elliot contourne l’escalier, l’air effrayé.

– Que se passe-t-il ? demandé-je. On va être en retard.

– Tu es au courant pour la nouvelle règle ?

Je hoche la tête et enfonce mon menton dans mon écharpe.

– Il faut qu’on y aille.

Il se met à mes côtés pour avancer jusqu’à notre formation.

– Je l’ai annoncé à Dagan ce matin, dit-il. Il n’a rien dit, mais il doit te parler assez rapidement.

Je continue ma route tout en scrutant Elliot, puis finis par hausser les épaules. J’irai le voir le soir même, curieuse de savoir ce qu’il a à me dire.

Nous rejoignons le seul morceau de prairie qui reste dans la ville, bien qu’il soit à moitié rongé par le macadam.

– Ils annoncent une tempête, dis-je à Elliot. Demain dans l’après-midi.

Mon ami respire un bon coup pour avaler la nouvelle, une annonce de ce genre n’est pas anodine. Depuis que la Terre dérive, les catastrophes naturelles sont de plus en plus nombreuses.

– Cache les plans ce soir au cas où ta maison serait touchée. Il ne faut pas que tes parents les voient.

Il scrute l’horizon puis lâche dans un soupir :

– Peut-être que nous ne devrions pas accepter le « T ».

Je m’arrête de marcher, surprise.

– Mr Elliot se rebelle?

Il met un doigt devant sa bouche pour me faire taire et regarde les alentours de peur que quelqu’un m’ait entendu. Il emploie « T » pour test, car nous soupçonnons d’être constamment écoutés.

– Pourquoi cette idée soudaine ? demandé-je plus bas.

– Avec les tempêtes et la nouvelle règle, je ne sais pas si c’est une bonne idée d’abandonner nos parents.

Je le regarde attentivement, il a le regard baissé, inquiet de ses propres paroles. A nos côtés, un homme barbu à la blouse blanche sort du container qui se trouve au milieu de la pâture. 

– Enora ! appelle-t-il, coupant court à notre conversation.

Je le regarde puis dirige mon regard à nouveau vers mon ami, peinée.

– On en reparlera plus tard, lancé-je à Elliot avant de me diriger dans l’autre sens.

Je m’approche alors du médecin barbu qui m’incite à entrer dans le container.

A l’intérieur, un siège déjà basculé m’attend parmi les branchements étranges et les monitorings. Je connais cet endroit pour y être venu tous les mois depuis mes 18 ans.

– Assieds-toi Enora.

Je ne me fais pas prier, prête à écouter et je m’installe sur le siège bleu foncé de la pièce, éblouie par l’intense lumière au-dessus de ma tête. Une odeur de soufre m’enveloppe et m’est désagréable.

– Je vais te poser différentes questions, commence le médecin. Tu dois avoir l’habitude maintenant.

Il jette un coup d’œil à mon dossier pour vérifier mon âge. Puis, il prend une feuille dans l’armoire près de lui et un stylo avant de débuter le questionnaire sur mes habitudes alimentaires, hygiéniques et j’en passe. Parfois, il pose des questions indiscrètes comme le veut le questionnaire, mais j’omets de lui dire toute la vérité, surtout concernant ma sexualité clandestine.

Finalement, il enfile une paire de gants et s’approche de moi avec son matériel. Je trésaille, pleine d’appréhension à l’approche de l’aiguille.

– Ne t’inquiète pas Enora, je ferai au plus vite.

Je remonte ma manche, finalement soumise à la pratique sans pouvoir ou non consentir et faisant déjà partie du programme de la Spirée malgré ma volonté.

Il pose son garrot et m’enfonce l’aiguille beaucoup trop grande dans le bras pour me prélever plusieurs tubes de sang. Il le retourne légèrement, grave mon numéro dessus, le numéro qui me désigne administrativement : 140 304.

– Vous pouvez y aller, Enora. Il reste un seul bilan avant le test.

Je sors immédiatement du container et de son air suffocant pour rejoindre Elliot qui m’attend, arme à la main, face aux cibles.

« Un seul bilan avant le test », quelques semaines avant de quitter à jamais mes parents et peut-être pour ne plus jamais les revoir.

Elliot ne me pose pas de questions à mon approche et me tend un pistolet.

– Le « T » va arriver très vite, dis-je à Elliot pour reprendre notre conversation tout en tirant le premier coup.

Il se pince les lèvres et tire trois coups d’affilée. Nous sommes seuls face aux cibles, notre professeur est occupé plus loin avec d’autres personnes.

– Tu pensais vraiment ce que tu as dit ?

Sans me répondre, il enchaîne les coups.

– Elliot ? J’ai besoin de savoir.

Il baisse son arme et se retourne vers moi.

– Je n’aurai pas le courage qu’a eu Dagan. Tout ce que je dis est foutaise de toute façon. Comme un mouton, je vais accepter le « T », point !

– Tu pourrais y renoncer, dire non.

– Tu ne penses pas ce que tu dis Enora, du moins je l’espère, s’énerve-t-il. On ne sait rien de ce qui se passe après. Tu crois que c’est une vie de vivre comme Dagan ?

Je secoue la tête, une nouvelle fois soumise à ma propre destinée.

Chapitre 4

La dernière heure de la formation approche. Elliot s’est éloigné vers le troisième atelier de survie alors que je range déjà mes affaires, impatiente de partir.

– Enora, m’interpelle le professeur en s’approchant de moi. Le test approche bientôt pour Elliot et toi.

Je hoche timidement la tête en rangeant l’arme dans un carton et en refermant mon sac à dos.

– Te sens-tu prête ?

– Je ne serais jamais prête, mais de toute façon, je n’ai pas le choix.

Le professeur m’aide à porter les cartons jusqu’au container de rangement.

– Que se passerait-il si quelqu’un refuse le test ?

– Je ne sais pas exactement, mais je pense qu’ils n’auront plus jamais l’espoir de rentrer chez eux.

– La Spirée serait-elle en capacité de tuer ?

– Personne n’est revenu, Enora.

Je place le dernier carton en haut des étagères puis salue le professeur avant de quitter la prairie avec Elliot.

– Il est venu te parler aussi du test ? demande mon ami en grinçant des dents. J’aimerais oublier ce moment, mais ils ne cessent de nous le rappeler.

– Il ne reste que quelques semaines, nous devons finir la chose.

Elliot sort un carnet de couleur terre de sa poche et le feuillette.

– Il ne manque que quelques câbles, dit-il. Nous devrions trouver ça au même endroit que la dernière fois. Le quartier Saint-Exupéry, dans le grand immeuble de la rue principale.

– On peut y aller ce soir, dis-je. Il nous suffit de récupérer le matériel à la maison avant de partir et de préparer la tempête après.

Elliot ne discute pas et me suit jusque chez moi. Ma mère est assise dans le fauteuil, livre à la main en attendant la fin de la cuisson du repas du soir. Elle nous salue brièvement avant de replonger dans sa lecture du Stephen King qu’elle a entre les mains.