Fight for me - Tome 3 - Brenda C. M. - E-Book

Fight for me - Tome 3 E-Book

Brenda C.M.

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Beschreibung

Elle est inaccessible, il obtient toujours ce qu’il désire. Arrivera-t-il à l’apprivoiser ?


Depuis sa sombre histoire avec son ex, Charlie semble réservée, mystérieuse et insaisissable. Mais le temps d’une soirée à l’université, Charlie baisse sa garde.

Six ans plus tard, Davis est incapable d’oublier Charlie, plus distante que jamais. Il tente le tout pour le tout pour se rapprocher d’elle et gagner sa confiance. Jusqu’à ce que l’ex de la belle rousse surgisse et ravive ses démons. Au même moment, Davis est pris comme cible par un dangereux inconnu...

À travers un duel qui ne se terminera que lorsqu’il n’en restera plus qu’un seul debout, Davis se bat pour sauver la vie de Charlie. Qui en sortira vainqueur ? Qui gagnera le cœur de Charlie ?



Brenda C.M. affirme son style dans ce troisième tome de sa saga à succès Fight for me. Des sujets terriblement réalistes dans une romance extrêmement addictive, que demander de plus ?



CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE



"Une lecture que j'ai littéralement adoré et dévoré. La plume de l'auteure est fluide, addictive et captivante." @mes_petites_lectures_a_moi
"Une lecture dure et très touchante. Avec des thèmes très compliqués à aborder, mais l’autrice a su trouver les bons mots pour aborder le tout avec réalité et simplicité." @kimietsespages
"Coup de cœur garanti ! J’adore sa plume, j’adore cette histoire." @helene_teller



À PROPOS DE L'AUTEURE



Depuis l'adolescence, Brenda C.M est passionnée par l'écriture. Entre son travail, son fiancé, sa famille et ses amis, elle garde toujours du temps pour développer ses personnages et créer des histoires passionnelles.



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Prologue

Charlie

Première année universitaire

La salle commune est un massacre.

Des litres et des litres de bières sont entassés dans des jerricans, exposés à la vue de tous. En plein milieu du salon, une piste de danse est improvisée pour laisser les étudiants sauter au rythme de la musique électro. Les basses font vibrer les murs, sur lesquels les différents cadres photo de l’équipe universitaire de hockey perdent en stabilité, et bougent de gauche à droite comme s’ils dansaient aussi. L’un d’eux se fracasse au sol sous mes yeux, mais personne ne réagit, le bruit est insignifiant à côté du vacarme musical.

— Il paraît qu’ils ont un budget exprès pour la décoration, crie June dans mon oreille.

June m’a embarquée à notre première soirée étudiante sous prétexte que c’est la plus importante de l’année. En tant que nouvelles élèves, nous ne pouvons pas nous permettre de louper la moindre soirée, et encore moins celle d’intégration que l’équipe de hockey organise chaque année. Il est facile de se perdre dans les clubs universitaires, cependant il n’y a que deux organisations fraternelles dont il faut retenir le nom : l’équipe de hockey et les Red Roses, une sororité reconnue pour l’élégance de ses membres et ses soirées inoubliables.

Nous ne faisons partie d’aucune d’entre elles, l’équipe de hockey est purement masculine et les Red Roses ont déjà annoncé leurs nouvelles recrues.

Toutefois, June et moi sommes d’accord là-dessus : il est hors de question de rejoindre cette secte de pétasses.

Quand mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon jean, je l’ignore en avalant une gorgée de vodka bon marché qui me brûle la gorge. June se tourne vers moi à ce moment et pose ses mains partout sur mon corps comme si elle voulait me faire une fouille corporelle digne d’une shérif.

— Mais qu’est-ce que tu fais ? ricané-je en m’écartant.

— Ton visage s’est fermé, donc ça veut dire qu’il cherche encore à te joindre, explique June en volant mon téléphone.

— Je l’ignore, répliqué-je.

— Il doit comprendre que tu n’es plus à sa disposition.

Si Dimitri est si déterminé, c’est parce que je l’ai cru quand il me disait que nous serions ensemble quoi qu’il arrive. Seulement, je n’avais pas prévu que son comportement changerait aussi brutalement après l’officialisation de notre relation, ce qui causa notre rupture un an après.

— Nous venons de rompre, soufflé-je. Il a dû mal à digérer la situation.

— Il devra s’y faire, grogne mon amie.

C’est aussi ce que je pense, pourtant ça ne m’enchante pas de l’ignorer… Généralement, il n’accepte pas que je lui fasse faux bond trop longtemps et ses représailles sont toujours à craindre avec sérieux.

— Nous sommes là pour nous amuser, me dit June. Ça va aller ?

— Ouais, tu as raison !

Un verre à la main, nous commençons par visiter la résidence. Nous éclatons de rire quand nous tombons par hasard sur un couple en pleine action ; nous faisons demi-tour quand nous arrivons dans le coin des junkies ; et finalement nous esquivons volontairement la terrasse où traînent les Red Roses.

La soirée s’éternise, il n’y a rien de nouveau, rien d’extraordinaire si ce n’est le nombre de litres d’alcool consommé en si peu de temps. June s’éclate comme une folle, elle danse avec cinq gars différents, balance ses hanches contre une fille aux cheveux violets et embrasse même un couple qui a fini par s’engueuler à cause d’elle. J’essaie de limiter la casse, je surveille ses moindres faits et gestes, mais deux heures après la danse collé-serré avec la fille, je perds June dans la foule.

Même si je ne devrais pas m’inquiéter, je l’appelle plusieurs fois sur son téléphone en ignorant les nombreux messages de Dimitri qui font ralentir mes applications. Je râle en essayant de chercher un peu plus de réseau et mon téléphone finit par s’éteindre, fatigué par ma détermination.

— Merde !

— Tout va bien ?

Avachie dans les escaliers, je lève les yeux et suis tout de suite happée par le regard intense du mec qui me fait face. Des baskets blanches, un jean brut et une chemise cintrée. Simple et affreusement efficace sur son corps. Ses cheveux noirs sont placés vers l’arrière sans pour autant être réellement coiffés, comme si être aussi beau était juste un simple coup du sort. Son visage est carré, entouré d’une fine barbe à peine visible dans l’obscurité de la maison. Un néon traverse la pièce et vient se bloquer sur le mur près de nous, révélant ses yeux aussi noirs que le charbon, aussi sombres que la nuit.

Je perds mes mots, secoue mon téléphone pour le rallumer, mais rien n’y fait, je suis seule.

— Tout va bien ? répète-t-il.

— Je cherche mon amie, balbutié-je.

— Elle ne doit pas être bien loin.

Son sourire me désarme quelques secondes.

— Qu’est-ce que tu en sais ? rétorqué-je.

— Il est impensable d’abandonner une beauté comme toi.

C’est exactement le genre de phrases toutes faites que je déteste, mais je n’arrive pas à ouvrir la bouche pour le lui dire. Quand il me tend son téléphone, j’hésite.

— Appelle-la, et ensuite pour me remercier de t’avoir prêté mon téléphone, tu viendras boire un verre avec moi.

— Tu comptes me droguer ?

Dans mon esprit, ça semblait moins direct.

— Non, rit-il.

— Alors, pourquoi tu veux que je vienne avec toi ?

— Parce que tu es toute seule, que tu sembles un peu perdue et que je préfère que ce soit moi qui t’accompagne, plutôt qu’un autre.

— Pourquoi ? insisté-je.

Il me tend sa main que j’accepte sans réfléchir. Nos corps se percutent quand il me redresse. Sa main glisse dans mes cheveux, il coince une mèche derrière mon oreille et souffle sur mes lèvres. L’odeur du whisky enivre mes sens.

— Tu crois au coup de foudre ?

— Non, réponds-je alors que nous descendons les escaliers.

— Tu devrais.

— Pourquoi ?

Décidément, je ne sais dire que ça ce soir !

— Car c’est exactement ce qu’il se passe entre nous.

Une heure plus tard, je suis dans une chambre avec un verre à la main en train de lire le SMS de June qui me rassure sur sa disparition.

Un mec canon, je n’ai pas résisté. Don’t panic ! Je vais bien. Amuse-toi !

J’envie sa facilité à se donner sans attendre en retour, c’est quelque chose que je n’ai jamais réussi à faire et je ne suis pas prête à tenter l’expérience.

À trop donner, on finit par se retrouver complètement vide.

Dimitri m’a tout pris.

— Tu es rassurée ? me demande Davis en récupérant son téléphone.

— Oui, merci.

L’alcool m’aide à brouiller mes pensées, et mon ex devient rapidement un souvenir flou que je n’ai pas envie de ressortir ce soir. Alors que j’attendais désespérément une réponse de ma meilleure amie, Davis m’a tenu compagnie sans rien me demander, juste mon prénom et mon choix de cursus.

Allongé sur le lit, il pianote sur son téléphone sans faire attention à moi. Sa chemise est chiffonnée, elle remonte un peu sur son ventre pour laisser apparaître une ligne de poils bruns qui descend de son nombril jusqu’à son boxer, ainsi que des abdominaux trop bien dessinés pour être vrais et une peau bronzée qui met l’eau à la bouche.

Depuis ma rupture avec Dimitri, je n’ai pas ressenti le moindre intérêt pour un homme.

Seulement, Davis attire mon regard plus que d’ordinaire.

Un mec canon, je n’ai pas résisté.

Amuse-toi !

Et si June avait raison finalement ?

Je me redresse difficilement et glisse sur le lit aux côtés de Davis. Surpris par ma présence, il s’arrête de jouer sur son téléphone et tourne sa tête vers moi. Simplement éclairé par la lampe de chevet, sa bouche m’attire dangereusement.

Ça ne me ressemble pas, donc je le fais.

D’abord timide, je pose ma bouche sur la sienne tout en gardant les yeux ouverts. Ce n’est pas un baiser à proprement parler, c’est une tentative pour attirer l’attention. Ses yeux s’écarquillent, alors je recule brusquement en éclatant de rire.

— Pardon, pardon, pardon, répète-je gênée.

Et finalement, il prend les devants.

Son portable tombe au sol quand il grimpe sur moi pour m’embrasser. Avec la langue. C’est aussi bon que je l’avais imaginé, si érotique et agréable que mes yeux se révulsent de plaisir. Mon corps réagit instinctivement à ses caresses, nos souffles se mélangent, s’apprivoisent, et il n’y a pas de gagnant dans cette bataille.

Nous perdons tous les deux.

Nous gagnons encore plus.

Ce sont mes vêtements qui s’évaporent les premiers, c’est ma peau qu’il embrasse comme s’il n’avait rien vu d’aussi beau. Je ne suis pas adepte des coups d’un soir, mais je suis persuadée que ce n’est pas comme ça qu’il devrait réagir.

Davis est doux, puissant, audacieux.

Il prodigue des caresses, des baisers qui dépassent l’acte en lui-même. C’est presque irréel tant c’est beau et bon à la fois.

Je ressors d’une relation compliquée avec plus de maux que de tendresse, j’en pleurerais presque de sentir un homme si attentionné envers moi.

La suite s’enchaîne, les gémissements perdurent et quand il me pénètre enfin, je me sens aussi complète qu’une femme aimée devrait l’être et c’est déstabilisant car c’est un inconnu qui me fait l’amour. Ça dure, encore et encore, mais ce n’est pas épuisant, c’est enrichissant. J’apprends à réveiller mon corps, je découvre le plaisir de l’autre et les zones qui nous font du bien mutuellement.

Comme une première fois sans douleur.

Comme une évidence qui se réveille enfin.

Loin des menaces et des insultes, je me libère totalement dans les bras de Davis et je sais qu’après cette nuit je ne serai plus jamais la même.

— Tu sais pourquoi la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit ? me demande mon amant quelques minutes après nos orgasmes simultanés.

— Non, soufflé-je, comblée.

Davis se penche au-dessus de moi pour me regarder dans les yeux. Contrairement à tout à l’heure, j’affronte son regard et il esquisse un sourire.

— On ne peut avoir qu’un coup de foudre dans notre vie, qu’une seule âme-sœur…, murmure-t-il sur mes lèvres.

Je retiens mon souffle si fort que mes poumons se serrent dans ma poitrine.

— Pourquoi tu me dis ça ?

Davis se contente de sourire et embrasse le haut de ma poitrine avec adoration.

Nous avons passé la nuit à nous explorer, sans relâche et sans gêne.

Au matin, je me suis enfuie en retrouvant June dans le hall d’entrée, j’ai passé la journée à réfléchir à ce qu’il s’était passé et finalement, j’ai décidé de ne pas y faire attention. Ma vie d’étudiante débute seulement, j’ai encore le droit de faire des erreurs.

Seulement je n’avais pas pensé que Davis serait si déterminé à faire gronder l’orage entre nous.

Chapitre 1

Charlie

Comme à chaque réception, ma famille ne fait pas les choses à moitié.

— La vache, s’exclame June près de moi, c’est encore plus beau que la dernière fois.

— Suis le sentier, nous allons nous garer derrière, c’est mieux.

Je fais un signe à Louis, l’homme à tout faire de mon père. Dès qu’il reconnaît ma chevelure à travers la vitre, il autorise le passage de la voiture de June pour que nous puissions nous garer près de la grange inhabitée. Alors que mon amie s’extasie sur toutes les lumières, je sors du véhicule en soupirant.

— N’exagère pas, balancé-je quand je la vois prendre une photo.

— Ce jardin est incroyable, laisse-moi profiter de ta richesse, boude-t-elle.

J’aimerais voir le jardin familial à travers ses yeux, les sapins taillés à la perfection, la fontaine qui domine le centre et les lampadaires en métal noir, exceptionnellement reliés entre eux par une guirlande lumineuse. Tout ce que je vois, ce sont des centaines de souvenirs avec mes sœurs, à jouer dans la boue en automne et à créer nos bonshommes de neige en hiver. Même si j’ai bien conscience du luxe que ça représente d’avoir une si belle propriété dans Boston, c’est surtout la chaleur familiale qui fait la richesse de ce lieu.

— Pourquoi est-ce qu’on partage une chambre universitaire alors que ta maison fait la taille de notre immeuble ? demande June en regardant une dernière fois son maquillage dans son miroir de poche.

— Parce que je suis une adulte indépendante qui n’a pas besoin de sa famille pour réussir, ricané-je en lui volant l’objet de ses mains. Donne-moi ton rouge à lèvres.

Le miroir est trop petit pour que je puisse voir mes cheveux, mais c’est inutile, de toute manière je ne les contrôle pas. Ma chevelure rousse tombe en cascade jusqu’au milieu de mon dos dans un fouillis bouclé indomptable. J’ai cessé de me battre avec mes cheveux au lycée, je les laisse pousser, prendre la forme qu’ils veulent et je gagne un temps fou dans la salle de bain. Mes yeux verts scintillent dans la vitre arrière de la voiture, éclairés par les guirlandes au-dessus de ma tête. J’applique une dernière touche de couleur bordeaux sur mes lèvres et me tourne vers June.

— Jusqu’au discours de mes parents, ensuite nous partons nous saouler en ville.

— Pourquoi on ne se saoule pas ici ?

— Parce que je n’ai pas envie de traumatiser ma mère avec ta super danse d’alcoolique.

June éclate de rire, tout en glissant une main dans ses cheveux blonds parsemés de mèche rose pâle. L’une de ses dernières folies depuis qu’elle a raté l’un de ses examens.

— Tu sais que plus je me regarde, et plus j’hésite à me faire toute la tête en rose, me dit-elle sérieusement.

— June, tu es passé au rattrapage et tu as validé ton année.

— Justement, je veux marquer le coup.

— Essaie le vert, proposé-je en lui rendant son rouge à lèvres.

Elle me tire la langue avant de coincer son téléphone dans son soutien-gorge. Sa robe bleu marine épouse ses formes. Si elle n’avait pas mis de talons, la traîne frôlerait le sol à chacun de ses pas. Son décolleté est assez recouvert pour cacher son téléphone et ses clés de voiture qu’elle refuse de mettre dans ma pochette.

— Cette robe te fait un cul incroyable, balance-t-elle alors que je commence à monter les marches.

— Tu as toujours été doué pour les compliments, la remercié-je.

— Tout le plaisir est pour moi, bitch.

J’attrape les pans de ma robe noire pour ne pas marcher dessus, la soie caresse mes jambes nues quand j’essaie de ne pas tomber avec ces talons aiguilles de dix centimètres.

J’espère sincèrement que ma mère saluera mon effort.

— Ton décolleté va faire rager toutes tes cousines, me dit June.

Je frappe trois coups à la porte devant moi. Nous sommes dans les jardins privés, tous les invités passent par les portes principales donc il y a peu de chance que nous croisions ma mère dans les cuisines.

— Je porte une robe, c’est déjà un exploit.

— Charlie, la rebelle des Argent, s’amuse June.

Je lève mon majeur au moment où la porte s’ouvre sur Edward, le major d’homme de la maison. Ses yeux se plissent devant mon doigt en l’air que je m’empresse de cacher dans mon dos. Un fin sourire sur les lèvres, je me penche pour l’embrasser sur sa joue ridée.

— Mademoiselle Charlie, décidément vous ne faites jamais les choses comme tout le monde, soupire-t-il en nous laissant entrer. Mademoiselle June, ravi de vous revoir.

— Vous êtes particulièrement charmant ce soir, Edward, sourit June avec son air malicieux. Échappons-nous de cette soirée, volons une bouteille de champagne et partons à l’aventure ensemble, Ed ; vous êtes mon seul et unique amour.

J’éclate de rire alors que cette folle se jette presque à son cou. Habitué par ses conneries, Edward fait un pas de côté pour l’esquiver tout en remettant correctement ses manches autour de ses poignets.

— Votre mère vous attend dans le vestibule, il serait préférable de ne pas la faire attendre plus longtemps, nous indique le major d’homme. Et la cuisine n’est certainement pas un endroit pour deux jeunes femmes comme vous.

— Oh, vous savez, tant que je peux manger, rit June.

— Suivez-moi.

Je salue d’un coup de tête rapide tous les employés que je croise entre les cuisines et l’entrée. Rapidement, nous arrivons près des escaliers juste en face des portes principales. La première chose que je vois est l’immense toile qui prend presque tout un mur où nous sommes représentés, mes sœurs, mes parents et moi.

— Tu étais vraiment mignonne quand tu étais petite, me dit June. Qu’est-ce qu’il s’est passé depuis ?

— Je t’ai rencontrée, morue.

— Ah ouais, ça doit être ça, rit-elle.

— Madame Argent, intervient Edward, Charlie est arrivée.

Ma mère, Isabella, marche dans ma direction en sortant de la salle à manger. Sa robe sobre et élégante met ses courbes de femme en valeur, alors que de grosses créoles pendent de ses oreilles. Son sourire fait écho au mien, ses cheveux roux coupés au carré bougent au rythme de son rire. Ma mère est une femme sublime, pleine de charme et de bonté saupoudré d’autorité naturelle et parfois étouffante. Isabella veut le meilleur pour ses filles, même si ça veut dire les confronter.

— Est-ce qu’un jour tu feras les choses comme tout le monde ? me demande-t-elle en m’embrassant la joue.

— Tu as déjà une fille pour ce rôle, m’amusé-je.

— Je t’ai entendue !

Anastasia, ma sœur aînée, arrive près de nous dans un tailleur aussi sexy que glamour. Contrairement au reste de la fratrie, Ana n’a pas hérité des cheveux roux. Depuis des années maintenant, elle se fait des mèches blondes sur son châtain clair et ses cheveux sont aussi lisses que les miens sont bouclés. Il est difficile de voir une ressemblance physique entre nous, mais nous avons les mêmes yeux, les mêmes expressions de visages et le même rire bruyant.

— Par où est-elle arrivée cette fois ? demande Ana à Edward.

— Par la cuisine, madame, soupire-t-il dépité.

— C’est plus discret, me défende-je.

— Arrête de te prendre pour une star, rit ma sœur, les paparazzis ne se bousculent pas à nos portes.

— C’est sûr que ça ne serait pas pour toi qu’ils feraient ça, m’esclaffé-je.

Je lui tire la langue comme une enfant alors que ma mère lève les yeux au ciel en nous demandant d’entrer dans la salle de réception. Contrairement à d’habitude, la salle a été entièrement vidée pour ne laisser qu’une grande table de buffet avec de quoi grignoter et boire. Deux serveuses préparent quelques coupes de champagne alors que deux serveurs s’occupent de terminer les derniers détails de décoration. Une fresque immense retrace les années de ma petite sœur, Marley, de sa naissance jusqu’à sa remise de diplôme, une semaine auparavant. Des couronnes de ballons ornent les murs, et au-dessus de nos têtes, des guirlandes de lumières donnent une ambiance chaleureuse à la pièce.

— C’est magnifique ! s’exclame June.

— Marley voulait marquer le coup, nous dit Ana. C’est beaucoup plus joli que le barbecue de Charlie.

— J’avais le droit à la soirée de mes rêves, affirmé-je, et il me semble que tu étais heureuse de manger des hot dogs avec des frites.

— Un barbecue pour fêter ton diplôme, rit ma sœur, celle-là je ne m’en remettrais jamais, et les parents non plus.

— C’était atypique, confirme ma mère.

— Papa a adoré !

— Papa adore tout ce que fait sa fille chérie, raille ma sœur.

— Tu n’es pas un peu trop vieille pour faire la jalouse ? me moqué-je.

Ana et moi avons dix ans d’écart, mais nous sommes aussi proches que des jumelles.

— Je ne suis pas si vieille que ça, siffle Ana en me fusillant du regard.

— Trente-quatre ans, mariée, deux enfants et tellement susceptible, continué-je en attrapant une coupe de champagne.

Alors qu’elle lève son doigt pour me montrer son majeur, notre père entre dans la salle à manger. Son costume sur mesure pourrait presque nous faire oublier qu’il est plus rond et plus joufflu que dix ans auparavant. Sa mâchoire est recouverte d’une barbe de quelques jours, ses yeux entourés de petites rides se plissent dès qu’il voit la main d’Ana levé.

— Qu’est-ce que vous faites ? nous demande-t-il.

Ma mère éclate de rire quand elle voit ma sœur et moi baisser nos yeux.

— Tu connais nos filles, Charles, elles ne peuvent pas s’empêcher de se taquiner entre elles.

Mon père échange un regard avec moi et mon sourire s’agrandit. Nos prénoms sont semblables à une lettre près, ce qui n’est pas du tout une coïncidence. Quand je suis venue au monde, il a déclaré à tout le monde que je serais celle qui lui ressemblerait le plus et il ne s’est pas trompé. Ce n’est pas qu’il m’aime plus qu’Ana et Marley, c’est juste que nous sommes constamment sur la même longueur d’onde et que nous pouvons lire dans l’esprit de l’autre.

Mon père et moi avons un lien que les filles ont réussi à accepter sans se poser de question ; elles comprennent que j’ai besoin de lui autant qu’il a besoin de moi.

Et puis, elles sont beaucoup plus proches de notre mère, donc chacune y trouve son compte.

— Où est la reine de la soirée ? demandé-je.

— Elle ne devrait pas tarder à descendre pour accueillir ses invités, nous confie ma mère. Elle est un peu stressée.

— Tu m’étonnes ! On dirait qu’elle va annoncer ses fiançailles, rit June à côté de moi.

— D’où mon idée géniale du barbecue, assuré-je. Simple et efficace.

À chacune de nos remises de diplômes, nos parents nous ont laissé le choix sur l’évènement que nous voulions organiser. À la sortie du lycée, Ana a fait une grosse fête avec tout le lycée réuni ; personnellement j’ai préféré faire un barbecue dans le jardin avec ma famille et mes amis les plus proches ; et Marley, notre sœur de dix-huit ans, a décidé d’organiser une soirée aussi chic que notre statut social, en regroupant le plus de gens friqués possible ; personnes que je déteste la plupart du temps.

C’est fou d’être née dans ce milieu et d’y être si mal assortie.

Pendant que je prends des nouvelles de mon neveu et de ma nièce auprès de ma sœur aînée, la salle commence à se remplir de plus en plus et bientôt c’est un brouhaha joyeux qui nous entoure. Ana me quitte pour retrouver son mari dans la foule, alors que June s’empresse de rejoindre le buffet pour goûter tous les petits fours. Je me balade entre les invités, je serre beaucoup de mains, je reçois autant de baisers sur le dos de la mienne, je retrouve des visages familiers et finalement, l’euphorie de la soirée ne me gêne plus tant que ça.

Mes parents sont populaires ; mon père est un homme d’affaires d’origine française réputé à Boston et ma mère, une ancienne actrice espagnole qui a volontairement arrêté sa carrière pour se consacrer à ses filles et à ses œuvres de charité. Je ne connais pas ma mère en tant que comédienne puisqu’elle a arrêté toute activité dès qu’elle est tombée enceinte de moi, mais Ana se souvient encore d’avoir été baladée de pays en pays pour accompagner Isabella dans ses nombreuses aventures. C’est peut-être pour ça qu’elles sont si proches l’une de l’autre ; Ana est arrivée soudainement dans leur vie, mais sa naissance n’a pas empêché ma mère de réaliser ses rêves.

Un visage attire particulièrement mon attention ; le doyen, Donald Harris, vient de faire son entrée. Accompagné par ce que je pense être sa femme, il fend la foule pour saluer quelques personnes avant de se diriger vers mon père avec quelques hésitations. Sa réputation de doyen est en jeu depuis que des rumeurs ont circulé sur Angie et le scandale des Red Rosess cette année. Il ne me reste qu’un an avant de décider de mon avenir, et je tiens à garder ma place à l’université de Boston, mais je ne comprends pas pourquoi le doyen est présent ce soir.

Tout en finesse, je me glisse vers le couple et arrive en même temps qu’eux auprès de mon père.

— Monsieur Harris, c’est une joie de vous recevoir, balance ce dernier en mettant une coupe de champagne dans mes mains. J’ose espérer que vous ne venez pas vous plaindre de ma Charlie ?

— Monsieur Argent, salue le doyen. Je n’ai rien à redire sur Charlie, c’est une élève exemplaire. Je ne doute pas de l’obtention de son Master l’année prochaine.

Mon père sait déjà tout ça, mais il aime jouer avec les nerfs des gens.

— Est-ce que Marley suivra le même parcours que sa sœur ? demande monsieur Harris.

— En effet, c’est son souhait, confirme Charles.

Quoi ?

J’ignorais que ma petite sœur désirait intégrer l’université de Boston alors qu’elle a été acceptée à Harvard. Pourquoi choisir une fac plus modeste ? Je jette un coup d’œil dans la salle et me rends compte qu’il n’y a rien de simple dans cette soirée ; Marley est peut-être celle qui agit le plus comme une princesse, mais elle n’est pas idiote.

Pourquoi ameuter la foule si c’est pour annoncer son acceptation à l’université de Boston ?

— Elle a toujours pris Charlie en exemple, explique mon père en voyant mon regard surpris. J’imagine qu’elle veut continuer sur sa lancée.

— Ce serait un honneur de recevoir votre fille dans notre établissement.

Tu m’étonnes !

Son nom et son université sont en jeu depuis quelques mois, il ne peut pas se permettre de se mettre un homme aussi important que mon père à dos. Avoir les deux filles Argent qui étudient dans sa fac ne peut qu’être bénéfique pour lui.

— Elle doit faire ses propres choix, interviens-je.

— C’est ce qu’elle fait.

— Elle devrait aller à Harvard, papa, et tu le sais.

— Je sais aussi qu’elle est encore plus têtue que toi quand elle a décidé quelque chose, rit-il. Finalement, c’est vraiment Anastasia la plus facile à vivre.

— Merci ! s’exclame cette dernière. Enfin quelqu’un qui le reconnaît.

Je lève les yeux au ciel et décide de chercher Marley pour lui demander une explication plus approfondie. Elle a dix-huit ans, elle rêve de briller et d’avoir le monde à ses pieds ; alors aller dans la même université que sa grande sœur n’est pas logique. Ma petite sœur est une vraie teigne quand elle le veut vraiment, mais elle ne fait jamais rien sans réfléchir. Si elle décide de suivre mes pas, ce n’est pas un hasard. Je repère facilement son groupe d’amis qui parle fort et qui se goinfre tout en prenant des selfies toutes les deux minutes.

— On était comme ça à dix-huit ans, tu crois ? me demande June en arrivant près de moi.

— Nous étions pires, affirmé-je. Tu n’as pas vu Marley ?

— Elle discutait avec quelqu’un sur la terrasse tout à l’heure, confirme mon amie.

— Va te servir, je te rejoins.

— J’ai repéré un charmant spécimen près du buffet, donc prends ton temps, beauté.

— Ne m’appelles pas comme ça, grogné-je.

Cette garce éclate de rire, m’envoie un baiser de la main et je la perds de vue, une seconde fois. Tout en esquivant l’un des serveurs, je me dirige vers la terrasse, illuminée par des guirlandes de toutes les couleurs. S’il ne faisait pas si bon, on pourrait se croire à Noël. Quelques fumeurs traînent près des jardins, mais ma sœur n’est pas dans le coin.

— Bordel, Marley, marmonné-je en revenant sur mes pas. Il faut toujours te courir après.

À peine ai-je passé les portes qu’on me tire le bras pour me retourner.

— Tu es toujours aussi belle.

Non…

Surprise, je recule de quelques pas, mais il ne me laisse pas m’éloigner. Sa prise sur mon bras se raffermit m’envoyant des images floues de souvenirs malveillants. Je cherche une porte de sortie, quelque chose à dire ou à faire pour l’écarter de mon chemin, mais comme d’habitude, il ne me donne pas l’occasion de choisir ; il m’impose sa volonté.

— Viens.

— Non !

Je proteste un peu trop fort et quelques invités se tournent vers nous. Pour ne pas faire de scène à la soirée de ma sœur, je leur souris doucement et réussis à dégager mon bras de son emprise. Je prends quelques secondes pour calmer les battements de mon cœur et lève les yeux vers l’homme qui ne devrait pas être là.

Dimitri.

Aussi beau et abîmé que dans mon souvenir, son visage arrogant trahit son intention. Habillé d’un costume gris pâle, il pourrait presque paraître aimable s’il n’avait pas ses nombreuses bagues aux doigts et sa peau tatouée jusqu’aux poignets. Ses cheveux noirs sont coupés très court, comme s’il revenait de l’armée. Ses pommettes hautes, sa mâchoire qu’il bouge sans arrêt de gauche à droite comme s’il venait de se prendre un coup violent… C’est un aspect qui me plaisait chez lui ; le style mauvais garçon et ténébreux.

Aujourd’hui, je regrette d’avoir été si naïve et d’avoir cru qu’un homme tel que lui pouvait avoir un cœur.

— Qu’est-ce que tu fais là ? soufflé-je.

— Ce n’est pas comme ça que tu devrais accueillir ton fiancé.

Sa voix, brouillée par la menace, me fait frissonner.

Il y a peu de choses que je redoute, mais cet homme en face de moi, qui me regarde comme si j’étais sa chose… C’est tout ce que je ne veux plus dans ma vie.

— Ex-fiancé, précisé-je. Ça fait six ans que nous sommes séparés.

— Et je ne passe pas une journée sans penser à toi.

J’ai envie de vomir.

Je m’avance d’un pas, mon talon résonne dans mon oreille et s’il n’y avait pas autant de monde autour de nous, on entendrait l’écho pendant plusieurs secondes. Je refuse de me laisser intimider par cette enflure, Dimitri ne mérite pas ma colère, ni même ma compassion, mais il est difficile de rester impassible quand il se pointe chez moi.

— Si j’étais toi, je partirais maintenant, chuchoté-je.

Ses yeux marron se plissent d’incertitude. Il fut un temps où il était le bienvenu chez moi, mais ce n’est plus le cas et il le sait. Le voir se mélanger à ma famille et à nos amis ne me plait pas. Je ne sais pas à quoi il joue, ce qu’il cherche exactement ; cependant, je ne le laisserais plus s’insinuer dans ma vie.

— C’est ta mère qui m’a invité, clame-t-il fier de lui. Je ne suis pas malpoli au point de m’éclipser sans la remercier.

— Tu mens.

— Tu veux que nous allions la retrouver ensemble ?

Il me tend la main, avec un sourire sournois.

Comme si j’allais accepter !

— Elle s’en remettra. Pars maintenant.

— Je viens juste d’arriver.

Son épaule vient se coller à la mienne. Il regarde la terrasse, je regarde la foule d’invités. Ils ignorent tous que le loup est entré dans la bergerie et que si je ne le fais pas partir tout de suite, il pourrait bien tous nous détruire.

Notre proximité me met mal à l’aise, comme si mon corps se souvenait de tout ce qu’il avait enduré avec cet homme abject. Je m’écarte rapidement, si vite que je trébuche à cause de mes talons aiguilles. Je sens le poids de mon corps s’appuyer sur ma cheville et la seconde d’après je bascule en avant, faisant valser le plateau d’un serveur qui passe devant moi.

— Charlie ! s’affole la voix de ma mère.

Cependant, je ne tombe pas. On me rattrape aisément, comme si je ne pesais rien alors que j’ai les hanches larges et la poitrine trop généreuse pour mon pauvre dos. Un peu déboussolée, je me redresse doucement pour remercier mon sauveur tout en cherchant Dimitri du regard.

— Je te rattraperai toujours, beauté.

Surprise, je me tourne vers Davis. Dans un costume trois pièces, aussi noir que ses cheveux et son regard, il maintient sa prise sur ma taille pour ne pas me laisser partir. Son parfum m’envahit, un mélange viril que j’aurais voulu supprimer de mon esprit. Ses pupilles scrutent ma silhouette de haut en bas, sa main vient froisser ma robe sur ma hanche puis il lève la tête pour observer les invités qui nous entourent.

À côté de nous, le serveur s’excuse de mille façons, mais tout ce que je sens est la main possessive de Davis sur mon corps. Dimitri a complètement disparu de mon champ de vision, seulement c’est le cadet de mes soucis pour le moment.

— Tu veux bien me lâcher ? soufflé-je vers Davis.

Plus grand que moi, il se penche légèrement pour coller ses lèvres à mon oreille.

— Pourquoi ?

Isabella arrive vers nous avec un sourire crispé, et Davis décide enfin de me laisser partir. Je respire de nouveau normalement, loin des effluves de son parfum que je connais par cœur malgré moi.

— Tout va bien, ma chérie ? s’inquiète ma mère. J’ai cru que tu allais finir la tête dans le buffet.

Alors qu’elle s’amuse de ma petite mise en scène, je scanne les invités, mais ne parviens pas à trouver mon ex-copain.

— Merci beaucoup, jeune homme. Charlie n’est pourtant pas ma fille la plus maladroite.

Son petit accent espagnol fait vibrer mon prénom dans sa voix ; un son que j’ai toujours adoré.

— Maman, m’indigné-je en époussetant ma robe. Je vais bien.

— Ce fut un plaisir, répond simplement Davis toujours à mes côtés.

Sous mes yeux, ma mère tombe sous le charme du russe et dès qu’il laisse échapper un sourire, elle ne se contrôle plus et lâche un ricanement insupportable.

— Je n’ai pas eu le plaisir d’être présentée, roucoule-t-elle. Isabella Argent, la mère de Charlie.

— Davis Ivanof, votre futur gendre.

Quoi ?

Toute l’université croit que je sors avec lui, personne n’ose m’approcher et tous les garçons sont persuadés que nous allons nous marier à la fin de l’année. Ma vie sexuelle est réduite à mon imagination et cet abruti continue son cinéma devant ma mère.

Évidemment, celle-ci est un très bon public. Elle rit de son audace en lui tendant la main, Davis l’attrape comme un gentleman et l’embrasse doucement. Un frisson me parcourt en même temps qu’un sentiment qui refait surface. J’ai déjà goûté à ses lèvres, donc je ne peux pas en vouloir à ma mère de devenir aussi rouge que ses cheveux.

— Je comprends mieux d’où vient la beauté de Charlie, lâche-t-il.

— Quel crétin, râlé-je.

— Charlie, s’offusque ma mère. Laisse-le être charmant, c’est trop rare de nos jours.

— C’est lourd.

— Quelle rabat-joie ! Un bel homme vient lui porter secours et elle trouve encore le moyen de se plaindre.

Anastasia s’incruste dans la conversation avec un sourire poli qui en dit long.

— Tu n’as rien de mieux à faire ? Comme surveiller tes enfants, par exemple ?

— Ils sont avec leur père, me dit-elle en buvant une gorgée de champagne. Enfin, je crois.

— J’espère qu’ils sont en train de retourner le manoir, me moqué-je.

Davis nous observe en silence alors que nous continuons ce petit jeu pendant quelques minutes. Quand nous sommes réunies, c’est toujours comme ça entre mes sœurs et moi.

Bordélique, vivant, aimant.

— Cette soirée est pour moi, non ? se plaint Marley en arrivant près de nous. Alors pourquoi tout le monde regarde Charlie ?

Ma petite sœur est celle qui me ressemble le plus physiquement. Ses cheveux roux tombent en cascade sur ses épaules, mais contrairement à moi, ils ne sont pas aussi bouclés, ils ondulent simplement. Ses yeux sont aussi verts que les miens, son nez aussi fin agrémenté de taches de rousseur. Marley a les joues plus rondes, comme une enfant qui boude constamment et son regard est innocent et malicieux.

— Elle a failli se vautrer sur le parquet, explique Ana rapidement.

— Ne commencez pas, se plaint ma mère au moment où j’allais lever une nouvelle fois mon majeur en direction de ma sœur aînée. Davis, pardonnez mes filles, elles aiment attirer l’attention.

Alors qu’Ana et moi répondons que c’est faux, Marley hoche la tête avec un sourire faussement innocent en lorgnant Davis.

— Il est difficile de ne pas leur prêter attention ; on ne voit qu’elles.

Je sais qu’il s’adresse à toutes les Argent présentes, pourtant son regard ne me quitte pas. Isabella nous observe tour à tour en essayant de comprendre ce qui nous relie, Davis et moi.

— Êtes-vous de la famille d’un élève ?

Dès que ma mère pose cette question, Ana arrête d’embêter Marley pour écouter la réponse. Son côté protecteur est aussi affûté que celui de notre père, et malgré le charme indéniable de Davis, s’il ne répond pas comme il faut, elle va rapidement le black-lister.

Comme Dimitri.

— Je participe au développement des écoles. Même si le lycée de Marley est privé, il n’en reste pas moins un exemple à suivre. J’ai été invité par le directeur qui voulait me présenter votre mari, explique Davis sans hésiter.

— Vous faites partie du conseil municipal ? s’étonne Isabella.

Il a toute la ville dans sa poche, maman.

— En effet.

— Vous êtes jeune, réplique ma sœur aînée, suspicieuse.

Alors que je lui fais les gros yeux, Davis sourit, imperturbable.

— Trop jeune pour aider la ville à se développer correctement ?

— Disons que ce n’est pas courant de voir un homme si jeune s’investir dans l’éducation, continue Ana en sortant les griffes.

Je remarque seulement maintenant le verre de whisky qu’il apporte à ses lèvres. Sa pomme d’Adam bouge doucement quand il avale une gorgée. Davis est affreusement séduisant, et il le sait. Le moindre petit geste est calculé, il sait ce qu’il fait et comment il le fait.

— Je ne vais pas vous mentir, j’ai de l’argent et je le dépense. Il me semble juste plus intéressant de le dépenser à des fins honorables.

— Honorables..., répète Ana, attentive.

Marley vient d’être diplômée du lycée privé le plus prestigieux de Boston. Mes parents ont payé une fortune pour nos études, et ils sont tombés de haut quand je leur ai annoncé que je refusais Harvard pour intégrer l’université de Boston. Seule Anastasia est ressortie de cette grande université, et il semblerait que Marley ne suive pas ses pas.

— Vous êtes un homme important, comprend ma mère.

— Pas plus qu’un autre, proteste doucement Davis.

— D’où vous connaissez-vous déjà ? reprend ma sœur, qui ne lâche rien.

— De l’université, interviens-je finalement. Vous avez fini votre interrogatoire ? Je peux rejoindre June ?

— Bien sûr, ma chérie, sourit Isabella.

Marley est déjà à l’autre bout de la salle pour discuter avec ses amis. Ana ne me quitte plus du regard alors que je lève le menton pour lui montrer que sa méfiance envers Davis ne m’atteint pas. Nous nous sommes assez battues toutes les deux quand je sortais avec Dimitri, je ne veux pas revivre ça avec ma sœur alors qu’il n’y a rien entre Davis et moi.

Je m’écarte de ma famille pour retrouver mon amie turbulente parmi les invités. J’ai à peine fait deux pas, que Davis me ramène contre lui pour souffler à mon oreille.

— Danse avec moi.

Je lève les yeux vers lui, cette situation a un goût de déjà-vu. Davis a toujours été entreprenant, sans aucune gêne, mais ce n’est pas le moment de faire une scène alors que mes parents sont dans la salle.

— Pourquoi ? marmonné-je.

— Parce que c’est le moment. Notre moment.

Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?

Chapitre 2

Davis

Dès les premiers jours de septembre, l’université de Boston revient à la vie. Quelques élèves ont déjà envahi les lieux depuis août, mais les cours reprennent officiellement aujourd’hui et c’est l’effervescence sur le campus. Entre les anciens qui traînent la patte pour rejoindre leurs bâtiments et les nouveaux qui se perdent sur l’immense parking, je me sens comme un putain de requin en pleine mer, prêt à croquer le premier qui le mériterait.

J’aime ce campus comme j’aime mon appartement sur Beacon Hill ; c’est mon royaume. Ça fait quelques années que je me pavane comme un roi ici, personne n’a jamais rien trouvé à redire sauf ce branleur de professeur Baranov qui débarque pour me pourrir la vie.

Fraîchement arrivé de Russie, il se permet des choses qu’il ne devrait pas et même si je suis courtois la plupart du temps, me faire emmerder par un inconnu ne m’enchante pas.

Ma ville, ma fac, mon royaume.

Pour ne pas perdre la face, je me pointe le jour de la rentrée au bureau du doyen, sans demander à la secrétaire s’il est là. J’entre sans frapper, comme je l’ai toujours fait depuis que je ne suis plus étudiant et reste un moment dubitatif.

Monsieur Harris n’est pas seul.

J’aurais presque préféré le trouver avec sa secrétaire, le cul à l’air et le crâne luisant de sueur.

— Monsieur Ivanof, vos entrées sont toujours aussi remarquables, clame-t-il pour ne pas perdre la face devant l’autre crétin.

— J’ai dû louper l’invitation, monsieur Harris. Est-ce abusé de votre gentillesse de vous demander un café également ?

Le doyen sait que je ne suis pas là pour plaisanter, donc il s’empresse de réclamer un café noir à sa secrétaire qui arrive deux minutes plus tard pour me le tendre avec une mine déconfite. Elle déteste quand je débarque dans le bureau de son patron sans autorisation, mais je m’en fous.

Le professeur Baranov se lève du fauteuil en cuir pour me faire face tout en boutonnant sa veste cintrée de créateur. Le rôle du gentleman lui irait à la perfection s’il n’était pas déjà pris par un autre spécimen russe, beaucoup plus séduisant.

C’est à dire moi.

— Nous n’avons pas eu le plaisir d’être présentés, parle-t-il en russe. Professeur de langues, monsieur Baranov.

Son accent me fait tiquer, comme si le grain de sa voix ne m’était pas inconnu, mais je n’arrive pas à mettre ce nom sur ce visage angélique. Derrière son sourire poli, ses yeux ne brillent pas, il cache ses intentions et je déteste ce genre de personnes. S’il y a bien une chose qu’on ne peut pas me reprocher, c’est ma franchise à toute épreuve.

Et cet homme en face de moi pue l’hypocrisie à des kilomètres.

— Pourquoi me parlez-vous en russe ? demandé-je en m’asseyant sur le fauteuil qu’il occupait. Nous sommes en Amérique.

Son rire me grille les tympans, pourtant il n’est pas bruyant, juste faux à faire grimacer des visages botoxés. Tout en buvant une gorgée, je me permets un premier coup d’œil dans sa direction. Assez chétif, il est néanmoins assez grand pour paraître important. Les épaules carrées, un nez droit, une mâchoire imberbe et des yeux marron. Banal mais charismatique. Son costume sur mesure m’indique qu’il n’est pas qu’un simple professeur d’université, sa posture est trop droite pour qu’il paraisse à l’aise.

Il est sur ses gardes et il a raison.

— C’est vrai que ça serait impoli devant monsieur Harris, confirme-t-il avec un sourire.

On dirait le chat de Alice aux pays des merveilles.

Aussi attirant qu’effrayant.

— J’imagine que ce rendez-vous matinal concernait les directives à prendre pour la rentrée ? osé-je demander.

— Monsieur Baranov me propose de reprendre l’ancien gymnase pour en faire une galerie d’art.

Un artiste ?

Trop cliché.

Je lève les yeux vers Harris qui se referme sur lui-même dès qu’il voit mes pupilles devenir aussi noires que du charbon. C’est moi le principal actionnaire de cette université ; je décide et le doyen exécute. Il n’est pas rare de voir un ou deux professeurs venir proposer des projets dans ce bureau mais aucune décision n’est prise sans mon aval.

Or, j’ai l’impression que tout est déjà bouclé et ça ne me convient pas du tout.

— Où vont s’entraîner le club de boxe ? demandé-je ouvertement.

Harris prend vingt pour cent des bénéfices du Tournoi. Vingt pour cent dans sa poche alors qu’il ne fait rien de plus que fermer les yeux devant les rumeurs qui impliquent plusieurs étudiants et des combats clandestins une fois par mois. Le Tournoi est mon chef-d’œuvre, il est hors de question que l’ancien gymnase — que j’ai fait retaper à neuf il y a deux ans, soit dit en passant — soit réaménagé en galerie d’art pour ce mec.

— Dans le vrai gymnase, répond Baranov.

— Je ne me rappelle pas avoir demandé votre avis.

C’est plus fort que moi, je ne supporte pas sa manière condescendante de me répondre.

— Ce serait un gros avantage pour l’université d’avoir un lieu consacré à l’art ; que ce soit la peinture, la sculpture ou la photographie. Plusieurs élèves sont en manque de liberté artistique.

En manque de liberté artistique ?

En manque de drogue, d’accord mais ça m’étonnerait que les étudiants aient quelque chose à foutre de l’art. À Boston, il n’y a que deux choses qui dominent sur le campus, le hockey, que Zack contrôle depuis le départ de Trez, et les Red Rosess, qu’Evy Jones dirige désormais grâce à son mec et moi.

Nous dominons l’université, mes potes et moi.

Mon Tournoi ?

La cerise sur le gâteau.

L’art ?

Ça passe en second plan, désolé Picasso.

— Il serait plus judicieux de terminer cette discussion en privé.

Ma voix froide fait sursauter le doyen qui courbe l’échine pour demander au professeur Baranov de quitter son bureau. Loin d’être vexé, ce dernier se lève et se tourne vers la sortie sans nous adresser un seul regard.

— Je n’ai pas retenu votre prénom, clamé-je sans me retourner.

Son rire fait pâlir monsieur Harris sous mes yeux ; il n’a pas l’habitude de voir quelqu’un se montrer si insolent avec moi.

Moi non plus, cela dit.

— Encore une fois, c’est un plaisir, Davis.

La porte claque derrière ce murmure qui ne devrait pas autant m’ébranler. Il y a quelque chose dans sa voix qui me met hors de moi. Comme s’il détenait un secret que je voudrais absolument connaître. Peut-être agit-il ainsi parce que nous avons les mêmes origines et qu’il pense créer un lien avec moi, sauf que sa démarche n’est pas bonne.

— Davis, soupire le doyen en face de moi. Je n’allais pas prendre de décision sans votre accord, évidemment, mais…

— Ce n’est pas l’impression que j’ai eue, Donald.

Donald Harris est le pire doyen que l’université de Boston ait pu avoir, mais c’est aussi le meilleur à mes yeux. Conciliant, compréhensif et aussi soudoyable qu’un homme politique, il est parfait pour mon business qui ne cesse de s’agrandir entre ces murs. Légèrement exploitable et aussi agressif qu’un chaton, il manque cruellement de discernement et d’autorité au sein de ses étudiants. Heureusement, je suis là pour rattraper le tir de temps à autre, comme pour le scandale des Red Rosess.

— Ce projet n’aboutira pas.

— Le conseil d’éducation a déjà donné son verdict, bégaie-t-il. Les travaux d’aménagement doivent commencer la semaine prochaine.

Merde.

Je ne peux pas me mettre à dos le conseil d’éducation tout entier, ça serait du suicide pour mon nom. Je réfléchis rapidement, les idées fusent, se confrontent et finalement, un élément perturbe mon analyse.

— Qui finance cette rénovation ? demandé-je en posant brutalement ma tasse sur son bureau en chêne.

Sous le poids de ma main, elle vibre et quelques gouttes brûlantes de café viennent tacher le bois verni. Harris s’empresse d’attraper une petite serviette carrée en papier pour absorber le liquide et éviter le pire.

— Donald, grogné-je alors qu’il ne me répond toujours pas, préférant se concentrer sur son bureau.

Apeuré, il lève ses yeux globuleux dans ma direction. Une goutte de sueur perle de son grand front à son nez.

— Monsieur Baranov a déposé son chèque ce matin, avoue-t-il enfin.

Ils ont l’accord du conseil, ils ont l’argent pour le projet.

Je ne peux rien faire pour stopper cette mascarade et ça me met hors de moi.

— Ça fait cinq mois qu’il est là, et vous lui donnez déjà le feu vert pour détruire l’un de vos bâtiments ? cinglé-je. Quelle idée vous est passée par la tête pour accepter l’argent de cet inconnu, Donald ?

J’ai bien conscience d’avoir l’air d’un parent en colère qui engueule son gamin pour une connerie réparable, mais ça va bien plus loin que ça. Le gymnase n’est que le début des emmerdes, je le sens. Je dois trouver une autre salle, proche du campus et assez insonorisée pour ne pas ameuter le voisinage.

Baranov veut se mettre en travers de mon chemin, parfait.

Qu’il ne soit pas étonné de finir piétiné comme un vulgaire insecte.

Après avoir incendié le doyen pendant une heure, je quitte le secrétariat d’un pas furibond. Cette lopette n’a rien voulu savoir alors que je proposais deux fois le prix de la galerie d’art. Le conseil d’éducation est friand de la culture artistique et ils ne comprennent pas pourquoi ils garderaient un gymnase supplémentaire alors que la salle de sport de l’université est aussi grande que celle de la ville.

Évidemment, Donald peut s’asseoir sur les vingt pour cent qu’il touchait.

Alors que je monte dans ma voiture pour retrouver les garçons chez Trez et Evy, mon téléphone se connecte au tableau de bord et fait vibrer tout l’habitacle. J’enclenche la première en même temps que j’accepte l’appel.

— Moy syn1.

Comme le petit garçon que j’étais, mes muscles se détendent au simple son de la voix de ma mère. Raillée par la vie, sa voix garde néanmoins la clarté russe qui ne l’a jamais quittée, même après trente ans aux États-Unis.

— Mama2, souris-je.

— T’es où ?

Son accent fait rouler ses lettres. Heureusement que j’ai grandi avec elle, sinon je ne comprendrais pas le quart de ce qu’elle raconte à longueur de journée.

— Au travail, pourquoi ? Tu as besoin de quelque chose ?

— Viens, j’ai fait à manger.

Et elle raccroche.

Tout en faisant demi-tour, j’appelle Trez pour le prévenir que je n’arriverais pas tout de suite, mais il s’en tape royalement puisque j’entends le rire de Evy et de la musique assez forte en fond sonore. L’appel dure à peine vingt secondes, comme celui de ma mère. Je roule rapidement, pressé d’arriver chez ma mère pour m’assurer que tout va bien.

Dès que j’arrive dans sa rue, je ralentis et baisse le volume de ma radio. C’est un quartier assez modeste, il n’y a rien de dangereux, mais ce n’est pas non plus le grand luxe. Quand j’ai pris mon appartement, après l’université, j’ai voulu l’héberger, puis mon frère Vadim s’est proposé de l’emmener avec lui en Europe, et même Luc, le plus insociable des trois frères Ivanov, était prêt à la forcer pour venir en Asie, chez lui.

Peu importe ce qu’on lui proposait, elle répondait toujours qu’elle préférait se laisser mourir que de quitter cette maison.