Fleurs latines des dames et des gens du monde - Pierre Larousse - E-Book

Fleurs latines des dames et des gens du monde E-Book

Pierre Larousse

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Extrait : "On voyait autrefois dans un temple de l'île de Chio une statue de Minerve, dont le visage paraissait triste et austère à ceux qui entraient, doux et souriant à ceux qui sortaient. Il n'en sera pas ainsi de ce livre: le sourire est à l'entrée, grâce au maître qui a bien voulu élever un magnifique portique à notre modeste monument."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARANLes éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : • Livres rares• Livres libertins• Livres d'Histoire• Poésies• Première guerre mondiale• Jeunesse• Policier

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Préface

Madame Émile de Girardin, qui fut sans comparaison le plus rare et le plus charmant esprit de son temps, avait une habitude excellente, surtout pour une lettrée ; elle lisait tout ce qui s’imprimait autour d’elle ; elle lisait le livre et le journal, pour peu que le livre et le journal fussent écrits par des hommes de talent ; elle lisait vite et bien, tenant à honneur d’être au courant de toutes choses, et d’être une des premières à dire à ses amis, le soir, dans son salon, qui donnait sur le jardin, son avis bien motivé sur le nouveau poème ou le nouveau roman. Personne, entre tous les beaux esprits amoureux des belles-lettres et qui les aiment pour elles-mêmes, ne fut, autant que cette aimable femme, au courant de la pensée écrite et parlée. Elle avait entendu, le matin même, le discours de M. Thiers, la leçon de M. Villemain, le sermon de l’abbé Lacordaire ; elle était au collège de France, à la Sorbonne, à Notre-Dame, à la Chambre des députés ; elle était au Palais de Justice, assistant aux luttes de M. Berryer, elle était au Luxembourg quand parlait M. de Chateaubriand. Elle avait vu la veille la nouvelle tragédie, elle était au courant de la nouvelle histoire, elle savait l’anecdote, elle avait lu le Premier-Paris, elle acérait d’un beau rire le trait piquant du petit journal. Qu’elle était gaie et contente, et que nous avons bonne grâce à nous en souvenir, nous autres les écrivains de sa génération ! Elle fut vraiment la première muse et la plus belle, qui s’offrit à nos regards, charmés de la voir. Encore enfant, elle chantait déjà son pieux cantique à l’idéal, et les vieillards, qui se souvenaient d’André Chénier, écoutaient cette enfant avec un sourire.

Elle était à peine une jeune fille, que déjà cette intelligence adroite et droite se mêlait, sans le savoir, sans le vouloir, aux grandes journées de la Restauration, au grand bruit de ces heures si bien remplies. Hélas ! elle nous apparut, pour la première fois, à la naissante aurore de la nouvelle poésie. Elle naquit à l’heure, clémente entre toutes, où déjà dans le lointain la nouvelle poésie annonçait sa bienvenue au monde étonné de ces accents tout nouveaux. Son berceau fut rempli de grâces, et sa jeunesse fut pleine de fleurs. Des cieux étaient si propices, les étoiles étaient remplies de tant de présages heureux !

Donc, tout de suite elle fut reine : à sa démarche, à sa parole, à son geste, on reconnaissait une femme élégante, inspirée, intelligente et de la meilleure compagnie. Elle attirait tout le monde à son charme, à sa verve ingénue, à son audace, à son esprit, à l’accent passionné de sa voix, à cette façon d’être un poète, un romancier, un grand observateur, un poète comique.

Il faut bien que nous vous disions tout ce détail, pour que vous compreniez l’importance d’une objection sérieuse quand elle sortait de cette bouche éloquente, et comment il advint que nous eûmes avec cette guerrière une longue conversation, qui nous revient en mémoire à propos de ce nouveau livre intitulé Fleurs latines, et cette conversation, fidèlement rapportée, sera, j’imagine, une introduction suffisante à ce monceau de fleurettes cueillies par des mains bienveillantes dans les sentiers de Virgile et d’Horace, de Tacite et de Tite-Live, de Pline et de Cicéron, de Juvénal et de Martial, les poètes, les philosophes, les moralistes de cette antiquité, notre mère nourrice, et dont Voltaire a si bien dit :

Charmante antiquité, beauté toujours nouvelle !

Voici donc notre conversation avec madame Émile de Girardin :

Un jour d’été, d’assez bonne heure (elle dormait peu et sa porte était ouverte à ses amis), je lui fis une visite à tout hasard… Elle répondit qu’il faisait jour chez Madame et que je pouvais entrer. Véritablement, elle était déjà vêtue, en simple toilette du matin, ses beaux cheveux relevés sur son noble front, ou se jouant de chaque côté de sa tête à la façon d’un double rayon plein d’aurore. Et non seulement elle était prête… elle avait encore en ses belles mains le Journal des Débats, et, contre son habitude, elle semblait irritée et de mauvaise humeur. « Je vous en veux, me dit-elle, avec votre rage de mettre à tout propos des bribes de ce mauvais latin qui m’ennuie et m’arrête en mon chemin. C’est vrai, je prends un journal français, parlant de la politique française et de la littérature française, et je me mets à le lire à la clarté d’un soleil français : bon ! cela commence assez bien, je lis tout couramment et cela m’amuse. Oui, mais au beau milieu du chemin, je rencontre un obstacle, un caillou qui m’arrête ; je me piqua le nez contre un chardon : du latin ! du latin ! toujours du latin ! ça m’ennuie. – Eh ! dites-vous, on le passe !… – On le passe, il est vrai, mais ça m’humilie ; et de quel droit humilier sans cesse une lectrice de ma sorte ? Ajoutez que si parfois je demande à quelqu’un de mes amis, voire à quelque homme de lettres, et même à certains académiciens, l’explication de ce mot latin qui m’arrête, il se trouble, il hésite, et voilà ce pauvre homme effarouché, tant ils ont peur de convenir les uns et les autres qu’ils ne savent pas le latin ! D’autres fois, sans trouble et sans hésitation, mon visiteur me traduit le journal, à livre ouvert, et moi, sans défiance, le soir venu, je m’empare de la citation, je la traduis comme on me l’a traduite, et voilà M. Villemain qui me rit au nez. Hier encore, au milieu d’un article charmant, M. Saint-Marc Girardin, le latiniste, avait écrit : Ruit arduus œther. Je demande à Gautier ce que ça veut dire. Il me répond que le ciel est en rut ; et cette fois je trouve en effet que M. Saint-Marc Girardin avait raison de dire en latin une si vilaine chose. Ah ! si vous saviez comme on a ri chez M. de Lacretelle de la traduction de Gautier ! Ruit arduus œther, cela voulait dire tout simplement : Il pleut, bergère, il grêle, il vente, il fait mauvais temps ! Pourquoi diable aussi dire en latin prends ton parapluie et mets ton manteau ? »

Disant ces mots, elle entrait dans des rages les plus plaisantes du monde ; elle ne voulait rien entendre, elle se bouchait les oreilles, elle criait : À bas le latin ! Avec sa mémoire infinie, elle avait attrapé dans les œuvres du poète Ronsard, qui était fort à la mode en ce temps-là, surtout à la place Royale, entre M. Sainte-Beuve et M. Victor Hugo, une suite d’expressions latines dont elle riait à gorge déployée. Ah ! disait-elle, est-ce assez joli le haut tonnant ; l’obscur des bois :

Le blanchissant honneur de son pudique sein !
Les chèvre-pieds ballant d’un pied nombreux !

En même temps, elle riait du « mont tant beau, » représentant le mont Saint-Michel, des tombéanes arènes, du chien-trois fois têtu, du chien portier, de l’aveugle contrée, autrement dit l’enfer. Elle riait aux éclats de cet autre animal (c’était son mot) qui traduisait cœlicolœ par « les bourgeois du ciel. » Qu’elle était gaie, amusante et railleuse, et comme on était content de l’entendre, heureux de la voir, tout alli-tonnante qu’elle était !

Quand elle eut bien jeté sa flamme et son feu, foulé le journal à ses pieds charmants, déchiré à belles dents les grammairiens, les Trissotin, les Vadius et les pédants en us, en din et en nin, je pris la parole à mon tour, et d’une voix câline, on peut le dire : – « Oh ! là, là, calmez-vous, lui dis-je, et n’oubliez pas que vous-même, vous, la muse à l’accent français, vous avez beau dire et beau faire et vous en défendre, oui, vous-même, vous êtes, dans votre espèce, un pédant en us, et vous savez du latin plus que vous ne pensez.

– Moi, moi, s’écria-t-elle, y pensez-vous ? Du latin ! j’aimerais presque autant avoir de la barbe au menton ! Du latin, pour dire, avec je ne sais quel Latin d’autrefois, que la bouche est le portique de l’âme, la perle du discours et le vestibule de la pensée ! Ah ! bien, oui, du latin ! je n’en sais pas un mot, et, Dieu merci ! ce n’est pas faute d’entendre à chaque instant parler de ces maudits Latins : Plaute, Apulée, Térence, Ovide, Juvénal, Perse, Tibulle, Phèdre et Catulle, et Properce, et Lucain ! C’est à en devenir enragée ! Ah ! bien, oui, du latin, moi, du latin ! j’aimerais autant être un antiquaire, m’appeler M. Dusommerard, et fouiller avec mon groin, dans les protervies carlo vingiennes ; oui-dà ! et jeter dans ma hotte à latin les chiffons et les loques de Constance Chlore, de Julien, de Valentinien, de Gratien, de Clovis, de Childebert, de Dagobert, des rois de la première, de la seconde et de la troisième race, loques, débris, fragments, bahuts, faïences, crédences, des vidercomes à bière, des luths sans cordes, des fusils sans chien, des lits sans sommeil, des fauteuils sans repos. Si vous le voulez, parlons gaulois, mais ne parlons pas latin ; sinon, je m’en vais, je pars, bonsoir ! »

Et véritablement elle s’en allait.

Je l’arrêtai par sa robe : – Comment s’appelle en latin ce que je tiens là ? lui dis-je. – Oh ! ce n’est pas difficile : toga. – Et le manteau ? – Pallium. – Et comment direz-vous, s’il vous plaît, en latin :

« Notre Père, qui êtes aux cieux, donnez-nous notre pain de chaque jour et pardon nez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »

À quoi elle répondait comme eût fait un latiniste de profession ; puis, soudain, voyant mon piège, elle se mit à rire. – Oh ! là, dit-elle, ceci n’est pas de jeu, c’est du latin de nécessité, et l’on en sait comme cela des pages entières. – Pas tant que vous croyez, lui dis-je ; il y a bien des femmes qui en savent long, et qui ne savent pas leur Credo, témoin mademoiselle Contat. Quelqu’un lui disait un jour, dans les coulisses du Théâtre Français : « – Parions que tu ne sais pas ton Credo ? – Pa rions, dit mademoiselle Contât, et la voilà qui commence : Pater noster… Ma foi, je te dirai le reste un autre jour. »

– Une femme bien élevée, et je la suis ou je le suis, l’un et l’autre se dit ou se disent, reprit madame de Girardin, tient à honneur de bien savoir les saintes paroles, et si vos faiseurs de citations ne faisaient que celles-là, je leur en saurais bon gré ; ils me réconcilieraient avec moi-même, et ils n’y perdraient pas leur latin. Mais, quoi ! le vrai latin des pédants, des moralistes, des politiques, des faiseurs de citations, voilà ma plainte et voilà ma peine, et vous savez bien ce que je veux dire, et vous avez tort de me réduire au Credo.

– Permettez donc, madame, que je vous interroge comme on ferait pour un futur bachelier ès lettres, tout joyeux, tout bouclé, et qui, déjà, en répondant au maître, guigne un coin de la porte par laquelle il veut s’échapper. – Comment direz-vous une muse en latin ? – Musa, la muse. – Et les Grâces décentes ? – Gratiœ decentes. – Comment direz-vous « le livre de Pierre ? » Or, à toutes mes questions, elle répondait sans hésiter, avec un beau rire. – En ce moment, disait-elle, il me semble que je parle latin, comme ce prêtre de Saint-Remy jouait des orgues. Quoi ! dit-elle en voyant ma mine ébahie, vous ne savez pas l’histoire du prêtre de Saint-Remy ? Écoutez-la, bien qu’elle soit en français. On venait de réparer les orgues de son église, il y monte, et sous son pied l’instrument se plaint en son patois : – C’est étonnant, disait le curé, voici maintenant que je joue de l’orgue ! Et moi, voici que je parle latin.

– C’est que, lui répondis-je, il est partout, le latin, dans cette France latine ; il est dans le Droit français qui nous vient du Droit romain ; il est dans la philosophie avec Descartes, il est dans la comédie avec Molière, enfant de Plaute, enfant de Térence ; il est dans la poésie avec Racine, enfant de Virgile autant que de Sophocle. Il fut pendant plusieurs siècles, dans nos siècles les plus considérables et les plus éclairés, la joie et la fête des beaux esprits de cette nation ; on le parlait à la ville, on le parlait à la cour ; il se faisait entendre au monde entier du haut de la chaire de vérité. Anne de Bretagne, une de nos plus grandes reines, écrivait le plus beau latin du monde ! En latin, elle répondait aux théologiens de son duché, aux politiques de son royaume ! Élisabeth d’Angleterre et Marie Stuart, le bourreau et la victime, parlaient sans hésiter la langue de Cicéron. L’histoire a conservé les versions d’Élisabeth de Valois, la femme de Philippe II, une héroïne, et la plus touchante, de Schiller. Le plus grand capitaine du grand siècle, le prince de Condé, avait soutenu en Sorbonne sa thèse latine… eu latin, et ce n’était pas une des gloires dont il était le moins fier. Il y avait en ce temps-là plus de poètes latins, et de bons poètes, que nous ne possédons aujourd’hui de poètes médiocres en français. – Ce que vous dites là n’est pas possible, s’écria madame de Girardin, et qui veut trop prouver ne prouve rien ; plus de poètes qu’aujourd’hui !… – C’est comme on a l’honneur de vous le dire, madame la dénigrante, et parmi ces poètes latins, il y avait un moine appelé Santeuil, un chrétien, un disciple enchanté d’Horace, dont l’unique tâche était de décorer d’un beau distique en latin la chapelle et le château, la fontaine et la pyramide, où quelque victoire était inscrite, et chacun, parmi les bourgeois de Paris, en passant s’amusait à scander, sans appeler son voisin à son aide, le distique de Santeuil. En ce temps-là, madame de Montespan, la superbe, instituait, aidée de Colbert, l’Académie des inscriptions et belles-lettres, uniquement pour que les tapisseries du roi, les galeries du roi, la monnaie et les jetons du roi, et les victoires du roi ne manquassent pas un seul instant, d’une inscription latine, expliquant à l’avenir dans la langue universelle les actions, les hauts faits, les élégances de cette majesté qui n’avait pas son égale sous le soleil.

– Nec pluribus impari reprit madame de Girardin ; puis, avec un geste indigné : Voilà, s’écria-t-elle, une impertinente monarchie ; il ne lui suffisait pas des vers de Despréaux, de Racine et de Corneille, il lui fallait encore à chaque instant la louange et l’admiration des faiseurs de pastiches ! Ôvanité de la poésie et vanité du latin !… car enfin j’espère bien que, Louis XIV étant mort, toute cette latinité s’est arrêtée : Hic jacet… latinitas !

– Ah ! je vous y prends, voici que vous parlez latin toute seule ; mais, si vous le vouliez, vous parleriez hébreu : Ephèta ! dirais-je à votre bel esprit, si je ne craignais de vous déplaire ; ephèta, c’est-à-dire ouvrez-vous !

– Grand merci du compliment ! mais pourquoi ne m’avez-vous pas démontré que je savais le grec ?

– Vous le savez, madame. Un jour qu’Archimède venait d’expliquer un problème, il sortit de son bain très peu vêtu en criant…

– Eurêka, je l’ai trouvé ! reprit-elle en riant aux éclats.

– Vraiment, oui, vous l’avez trouvé, et vous voyez bien que vous parlez grec.

Elle plia son journal, le posa poliment sur sa table de travail, et, croisant ses belles mains l’une sur l’autre, selon sa coutume : – Êtes-vous content ? Je commence à goûter la plaisanterie, et s’il vous plaît, continuons cette étrange histoire à vos risques et périls. Je dis à vos risques et périls, car, prenez garde ! Il ne s’en faut guère que vous ne ressembliez à ce pédant d’une comédie de Cyrano. – « Par la sambleu ! disait-il, depuis le jour que cette furieuse pensée a pris jour au ventricule de mon cerveau, je ne mange pour toute viande, qu’un pœnitet, lœdet, misvret !… » Vous voyez donc que j’abonde en votre sens, et que je viens obviam de tous vos désirs. »

Elle disait ces choses-là si gentiment ! Elle avait un si bon rire !… et tant de mémoire imperturbable ! Elle se moquait si bien du pédantisme et du pédant ! – Prenez garde au ciel, disait-elle, il se nébuléfie. Où donc avez-vous rencontré ce fatal oiseau de ma blanche ou de ma noire destinée ! Et tant qui a que je m’entends bian ! Dixi ; Perge ! – Bref, toutes sortes de bribes qu’elle avait ramassées à la suite des disciples de Rabelais.

Plus elle riait, et plus (naturellement) je cherchais à la surprendre. – Eh ! eh là ! lui dis-je, en voilà une râtelée, et du latin et demi ! Oui-dà, vous voilà bien fière, et que vous baisseriez le ton, madame la latiniste, si l’on vous démontrait que vous n’entendez pas un mot de notre antique langue française, à l’heure où, déchirant ses langes, elle s’échappe et renverse son berceau tout latin ! »

Comme elle vit que je parlais sérieusement, elle me regarda sans mot dire, attendant ma preuve, et je lui déclamai de mon mieux l’antique chanson dont voici les premiers vers :

Cella dona beu aia
Que non fai languir son amie
Ni non tem gelos ni castic
Qu’il non an, am son cavallier
En bosc, en prat o en vergier
E dins sa combra non l’amene.

– Bon ! dit-elle, vous nous donnez ces gutturales pour du français ?

– Oui, madame, et ce n’est pas ma faute si le sens de cette calende amoureuse échappe à votre esprit charmant :

Ma dame est brune, elle est blonde,
Et n’aime pas à demi.
En riant du mari qui gronde,
Elle suivra son ami
Dans le verger, dans la campagne…

Ah ! si vous saviez le latin, que vous sauriez bien ce français-là ! Clémence lsaure, une de vos sœurs, était si savante, et sa pléiade aimait tant ce savant langage des cours d’amour : Marie de Ventadour, Mabille de Villeneuve, la dame de Vence, la vicomtesse de Tallard, Blanche de Castellane, Antoinette de Cadenet.

– Disons tout de suite Laure et Pétrarque, et Thibaut, comte de Champagne, Olivier de la Marche, et Charles d’Orléans, la grande flotte de poètes. – « Et comment va la petite chanson ? » disait le duc de Savoye à notre ambassadeur. Puis, battant des mains, elle se mettait à chanter la petite chanson :

Arrèst ; qu’aquel grand persounatge,
Qu’a ta pla muscat soun ramèl,
Que pot pretendr’à l’abantatge
D’embelina les Dius al cèl…

Vous avez raison, reprit-elle, en hochant la tête, elles étaient de vrais poètes ces latino-charmantes de la cité de Toulouse, et si je n’étais pas déjà si vieille (elle avait trente ans), je voudrais butiner dans le jardin des fleurs latines parcouru par tant de grâces, de dames et de poètesses, qui ne dédaignaient pas la couronne des sept collines, que Corinne a portée ! Ut flos purpureus… c’est du Virgile ; hier encore mon neveu me récitait sa leçon : il s’agissait d’un jeune homme emporté par la mort, et le poète le comparait à la fleur que la charrue a brisée… Ut flos purpureus… à la fleur empourprée… »

On eût dit en ce moment, qu’elle avait su jadis toute l’Énéide, et qu’elle cherchait à s’en souvenir.

– Bon, repris-je, il suffirait de vous mettre un instant sur la voie, et vous iriez toute seule, à l’exemple des plus illustres dames françaises qui étaient de bonnes latinistes. Cependant savez-vous que votre illustre aïeule (elle a créé la prose française, et la meilleure prose), madame de Sévigné, savait le latin, et que son maître n’était rien moins que M. Ménage, un des quarante, un des fondateurs de l’Académie ?

– Ah ! oui, reprit-elle, en retrouvant soudain tout son enjouement, parlons-en de M, Ménage, un cuistre, un rustre ; il faisait des sonnets pour son élève, il en était amoureux ; on l’eût pris pour M. Guillaume en habit de bouracan.

– Madame, il ne faut pas juger les gens sur la mine. Ulysse, un sage, à la recherche de son île d’Ithaque et de sa Pénélope, aborde en très mince équipage, sur les côtes de Phéacie ; en ce moment, les jeunes princes phéaciens jouaient au disque, à la balle, au palet, et le sage Ulysse prenait plaisir à les regarder. L’un d’eux, qui était le plus mal élevé de la bande, lui tint à peu près ce langage :

« Ôtez-vous d’ici, mon bonhomme, et vaquez à vos affaires, vous m’avez l’air tout au plus de quelque marchand qui se connaît beaucoup mieux en livres, sous et deniers, qu’en nobles exercices. » Ulysse, à ces mots, saisit une pierre énorme, et, avec l’aide de Minerve, il la lance, et dépasse de moitié les disques de tous ces mal-appris. Tel était M. Ménage : un rustre au dehors, un dieu au-dedans.

– Eh bien, monsieur le gréco-latino-français, je voudrais savoir ce que madame de Sévigné a gagné à apprendre le latin de ce demi-dieu, et si son génie avait besoin de ces entraves et de ces ornements, douteux pour le moins.

– Elle y a gagné, madame, et sans nul doute, une allure à la fois plus concise et plus hardie ; elle y a gagné l’habitude excellente de résumer sa pensée, et d’en tirer une conclusion rapide ; elle y a gagné de plaire à quantité d’honnêtes gens, comme on disait alors. Par le latin, elle se fit adopter de MM, et même de mesdames de Port-Royal ! Elle plut à M. Arnaud, à la mère Angélique Arnaud, qui n’aurait pas compris, non certes, que l’on pût atteindre à cette prose excellente et d’un ton si vrai, sans avoir traversé le royaume d’urbanité. Voilà donc ce qu’elle y gagnait ; puis des élégances, des tournures, des vivacités, et enfin des repos très inattendus et très charmants, rien ne reposant davantage un lecteur sérieux que certaines paroles bien placées qui le ramènent soudain dans un ordre éloquent de chefs-d’œuvre longtemps oubliés. Or, ce mot unique, placé là comme par mégarde, a fait soudain reparaître à l’esprit le plus négligent quantité de belles et grandes idées. À la bûche qui brûle obscurément, un coup de pince arrache un tas d’étincelles. Certes, madame, on ne saurait le nier, ceci est un artifice heureux du beau langage et du beau style, une élégance, un bon ordre, une exquise façon de se reconnaître les uns les autres, dans une communauté d’études et de sentiments, de passions, d’admirations, de souvenirs. »

Ces choses-là, je les disais, comme je les pensais, sans prévoir qu’un jour ou l’autre apparaîtraient les Fleurs latines. Or, je vis sans trop d’étonnement que mon discours n’était pas une vaine parole. Évidemment, madame de Girardin était un esprit sincère, qui voyait, de très loin, beaucoup de choses. Si elle se fâchait et s’impatientait sans motifs, elle se calmait volontiers, sitôt qu’on lui donnait une raison à laquelle elle avait peine à répondre. Elle hésitait cependant à se rendre. Il lui en coûtait beaucoup de reconnaître, en sa qualité d’habile et spirituel écrivain, que madame de Sévigné, par sa fréquentation même avec les anciens, était devenue un des maîtres de la langue française, et de cette incontestable supériorité elle eût accepté allègrement toute autre cause que celle-là. On n’était jamais fort tranquille avec une éloquente de cette force ; à la moindre échappée elle partait comme une fusée, et si j’avais eu le malheur de lui citer madame Dacier, pour exemple, ah ! quelle sortie et quelle ironie, et comme elle eût traité cette pédante et cette laide ! Et si j’avais prononcé le nom de mademoiselle de Scudéry, comme elle se fût moquée de cette folle, de cette malpeignée ! En ce moment, elle s’impatientait contre elle-même… et contre moi. Elle frappait son bras de son couteau d’ivoire, et je compris que j’y perdrais mon grec et mon latin si je ne portais pas les grands coups.

Madame, il faut cependant que je vous force enfin de convenir que le latin…

– Est la langue de l’amour, et mieux encore, le langage des fleurs ? Je le veux bien.

– Eh bien oui, madame, le latin est la langue des fleurs. Dans le jardin, demandez au jardinier le nom d’une plante ? il va vous répondre en latin. Le célèbre Van Spaëndonck, peintre du cabinet du roi, ne parlait qu’en latin à ses œillets, à ses jasmins, à ses renoncules, et il en était parfaitement compris. Redouté, son digne élève, peintre de la reine Marie-Antoinette, au petit Trianon, Redouté parlait en patois, et dessinait en latin ; tous les beaux ouvrages qu’il a laissés s’appellent Flora Cloantioa, Flora Borealis, Americana ; s’il a appelé la rose une rose, ce fut uniquement par politesse, et Rosa eût beaucoup mieux convenu au titre de son livre admirable. Ainsi, vous n’êtes pas heureuse en vos interruptions. Vous me parlez botanique et j’allais vous parler d’amour…

– Quel miracle ! Un amour en latin, une amoureuse écrivant : amo, je t’aime, et deux amants dont on peut écrire : amaverunt, ils ont aimé ! Je n’ai pas besoin de votre latin, j’ai les vers de Lamartine :

Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : ils ont aimé,

– Vous riez, madame ; ah ! que vous allez regretter votre ironie ! Un nom seul suffira, j’en suis sûr, pour que madame de Girardin soit très fâchée de son ironie ! Ah ! certes, les amours des amoureux dont je parle ont fait verser bien des larmes, ils ont tenu tout leur siècle attentif et charmé aux enivrements de leur passion ; le monde entier a répété leurs plaintes et leur délire ; le monde entier s’est intéressé à leurs malheurs. Pauvre Héloïse !

– Héloïse ! elle savait le latin ; il ne lui manquait plus que ce ridicule ! Ah ! la pédante, ah ! l’ennuyeuse ! Elle savait le latin ! du moins elle avait le bon esprit de ne citer que de l’italien, et je trouvais déjà que c’était beaucoup trop.

– Mais vous parlez ici de la nouvelle Héloïse ; une pédante, en effet, quand je vous parle, moi, de la vraie et sincère Héloïse, une fille de sainte Thérèse et de saint Augustin ! Voilà des larmes, voilà des passions, voilà le plus touchant langage, avec des pitiés, des plaintes ineffables, une intime émotion, tout ce que l’amour le plus sincère a de plus ravissant et de plus tendre. Elle écrivait en latin cependant, et ce latin, d’un temps barbare, emprunté à la théologie, autant pour le moins qu’à Cicéron, est resté tout un langage que les hommes les plus savants et, ce qui vaut mieux, les plus amoureux, n’ont jamais pu bien traduire. Ah ! vous voilà muette en ce moment,

Tu te tais maintenant, tu gardes le silence…

et je tiens à vous fermer la bouche en vous citant une histoire dans laquelle vous-même, oui vous-même, vous vous seriez estimée une femme heureuse et superbe entre toutes, d’avoir su parler en latin.

Figurez-vous, madame, sous les Valois, qu’une ambassade arrive du fond de la Pologne, apportant à un prince français une couronne, une admirable couronne. Ils étaient là, tous ces seigneurs, fils de rois, dont chaque aïeul avait porté cette éphémère et royale couronne. Ils arrivaient chez ces Valois, arbitres suprêmes de l’élégance, en leur plus splendide appareil ; chacun de ces Polonais portant sur soi, sur ses habits, à son sabre et sur ses bottes, les perles et les diamants de sa maison. Ils étaient cent ; ils étaient jeunes, superbes, en grands uniformes, et s’avançaient, au bruit de leurs éperons sonores, comme une tempête à pied qui aurait laissé son cheval à la porte ; et chacun, autour de Henri de Valois, contemplait ces féeries, sans mot dire, et comme on contemple un rêve éblouissant. Quand ils se furent bien rangés autour du trône, en bon ordre, un des plus anciens de l’ambassade, il avait bien vingt-cinq ans, s’avance aux pieds de la majesté du roi de France, et d’un riant visage, et d’une voix claire, il débite au roi, à la reine mère, aux courtisans, aux capitaines, aux anciens amis et compagnons de François Ier, un discours en beau latin, comme on le parle en Pologne, et comme on le parle en Hongrie. Ils n’avaient pas d’autre langue en leurs jours de cérémonie ; ils avaient fait, de la langue latine, une vraie langue d’État. Hélas ! ces malheureux Polonais, quand ils curent perdu leur dernière bataille contre ces puissances injustes qui déchiraient la mère patrie, il advint que leur dernier défenseur, leur dernier général s’écriait en latin en brisant son épée…

– On sait cela, reprit madame de Girardin : Finis Poloniœ, fin de la Pologne ! J’ai entendu souvent Son Altesse le prince Czartoriski répéter ce triste latin… mais il ajoutait tout de suite, avec un regard vers le ciel, un regard plein d’espérance et de consolation, que la Pologne ne pouvait pas mourir.

Continuez cependant votre histoire ; elle m’intéresse.

– Ainsi, l’orateur de la Pologne, avec le geste ingénu d’un jeune homme, enivré de sa propre parole, et content des choses qu’il va dire, expliquait à cette assemblée ignorante et superbe comment ils étaient venus, lui et les siens, pour offrir à Henri de Valois la couronne de Sigismond-Auguste. « Arrivez, prince (il disait cela toujours en latin), on vous attend, et l’on vous donne un beau trône, entouré de soldats valeureux et d’ennemis irréconciliables. Arrivez, nous vous promettons de grandes batailles, des fêtes brillantes, de charmantes amours, et des combats dignes de François Ier lui-même. On vous appelle, on vous attend. » Mais quoi ! ces belles paroles étaient perdues ; pas un, dans le royal entourage, ne savait un mot de la langue des Sobieski ; cependant, comme ils étaient intelligents au degré suprême, ces seigneurs français, ils avaient compris confusément cette offrande éloquente d’une si belle couronne, et déjà le souverain, très inquiet, cherchait autour de sa personne royale un interprète, un homme assez habile pour avoir retenu le discours de l’ambassadeur, assez savant pour y faire une réponse convenable… Il n’y avait pas un seul homme en toute cette assistance ; Amyot, l’abbé de Bellozane, et le traducteur de Plutarque, était mort ; dans cette réunion pro coronâ, il n’y avait que des soldats, des capitaines, des jeunes gens, des ambitieux, et l’on vit l’instant où la cour de France était sans répondre à l’offre d’une couronne. Un siècle plus tard on répondit beaucoup plus vite à l’ambassadeur d’Espagne, apportant le sceptre de Charles-Quint et de Philippe II, à monseigneur le duc d’Anjou.

Dans ce suprême embarras, au milieu de tous ces princes et de tant de seigneurs qui se regardaient l’un l’autre assez mécontents de leur silence, apparut une femme, une grâce, une beauté, voire une muse. Elle avait épousé, noces trop hâtives et trop hâtées, le futur roi de Navarre, qui fut plus tard le roi de France, Henri IV. Mais le jeune Henri était en pleine disgrâce ; il était en fuite, et sa jeune épouse était restée en otage aux mains de la reine Catherine de Médicis, qui en avait fait le capitaine, haut la main, de cet escadron volant qui servait à ses conquêtes de chaque jour. La reine Margot (c’était le nom de la princesse) avait été très frappée… avant tout, de la jeunesse, de la grâce et de la beauté de l’orateur de cette Pologne qui s’offrait elle-même, et bientôt des promesses de son discours. Elle avait écouté, comme une femme et comme une reine intelligente, cette harangue où brillait cette couronne, et quand elle comprit qu’elle seule était capable en ce moment de répondre à ce beau discours, elle se leva, et dans une période excellente, avec l’instinct du cardinal Bembo lui-même (il écrivait, ne vous déplaise, en très bon latin des lettres d’amour à Lucrèce Borgia, qui lui répondait en latin ; même on a conservé dans une lettre latine, une mèche des cheveux blonds et dorés de cette adorable tigresse), elle répondit à ces Polonais, impatients d’une réponse. Elle disait, dans ce discours pour la couronne, que le roi de France acceptait volontiers les honneurs que la Pologne apportait à son frère Henri de Valois ; que désormais la France et la Pologne, associées à la même œuvre, étaient unies, inséparables, et que la fortune de celle-ci devenait la fortune de celle-là. Donc elle imita, de son mieux, les beaux discours qu’elle avait lus dans les Histoires de Tite-Live, où l’éloquence et l’histoire sont mêlées avec tant de zèle et de goût, et ces Polonais, charmés d’un si beau langage dans cette bouche ouverte à tous les sourires, s’écrièrent qu’ils n’avaient jamais entendu un discours plus éloquent et plus digne. Eh bien, madame, eh bien, que dites-vous de cette latinité, et ne trouvez-vous pas, en effet, que cette histoire soit digne d’envie ? Il y en a peu d’aussi belles, dans l’histoire des femmes de tous les temps.

Madame Émile de Girardin prêtait une oreille attentive à mon récit ; en ce moment, elle eût donné ses plus beaux vers en échange de ce grand rôle d’une princesse acceptant un si vaste et si beau royaume, au nom de la France. Elle avait un esprit tout semblable à l’épée d’Hali, le prophète, qui avait deux pointes, et qui menaçait l’Orient et l’Occident tout à la fois. En ce moment, je vous assure, elle avait cessé de rire. On lui eût apporté la grammaire latine de Lhomond, elle l’eût dévorée ; et, bien vite, elle eut souscrit à ce bronze ingénu qui représente en sa petite stature, avec son doux visage, un si bon maître. Et moi je profitai de cet apaisement, comme un obstiné que je suis, toutes les fois qu’il s’agît de la langue immortelle, pour revenir sur l’excellence de la langue latine. – Elle est, disais-je, ou peu s’en faut, encore aujourd’hui, la langue universelle ; elle est la seule inscrite sur les médailles, au fronton des temples, sur les tables d’airain, sur les marbres où l’histoire écrit de son burin, plus dur que le diamant, les noms qu’elle veut sauver de l’oubli. À ce compte, le latin est la langue des vivants et des morts. Sur les tombeaux solitaires et bien vite oubliés, quels qu’ils soient, la langue ancienne apparaît concise et superbe, et ne disant que le nécessaire : « Halte-là, voyageur, tu foules un héros ! » Le latin est aussi la langue originale du blason, il s’allie à tous les honneurs du Moyen Âge ; il remonte aux croisades ; il explique en quatre ou cinq mots les origines ; il compose agréablement les devises ; il écrit les traités de paix, les alliances, les chartes, les donations, les prières, les contrats ; il aide à la gloire, il sert à l’ambition : Quo non ascendam ? Ainsi parlait l’écureuil du surintendant Fouquet. – Nec plaribus impar, disait le soleil de Louis XIV.– Cominus et eminus est le mot du porc-épic de Louis XII. Les lis de France, cette fleur du printemps de la royauté, disaient si bien : Lilia non laborant neque nent. C’est toute une histoire, l’histoire des devises, et l’histoire en peu de mots ; mais chacun de ces mots dit tant de choses ! Un cri de guerre, un chant d’amour, une souvenance, un appel, une gloire, une conquête et parfois une ironie. Il faut nécessairement que l’on sache un peu de latin, pour se reconnaître en ces révélations qui représentent tant de grandeurs, tant de victoires. Voilà souvent tout ce qui reste, un cri poussé par le héraut d’armes et recueilli par le généalogique et infaillible M. d’Hozier…

Comme elle écoutait bien, je profitai de cette étrange attention pour débiter tout mon catéchisme. En même temps, j’en vins à lui raconter des anecdotes latines. – Deux étudiants se rencontrent sur les bords du Rhin, Allemand et Français. – Le premier salue en disant : – Salve Gallia Regina ! – Le second salue en disant : Salve Germania mater ! Mettez l’une et l’autre appellation en français, elles perdent soudain tout leur charme !

Au moment où le grand pensionnaire de Hollande, Corneille de Witt, un héros, est appliqué à la question, – il récite à haute voix, et la tête haute, le Justum ac tenacem d’Horace ! Il eût dit l’ode en français, on lui eût trouvé moins de courage et d’expression.

En 1757, le grand Frédéric poussé par la coalition ardente des quatre puissances, se voit sur le bord de l’abîme ; il est vaincu, il est perdu ; rien ne peut le sauver… qu’une victoire à Rosbach ! Comme il quittait Leipzig pour aller livrer cette bataille qui pouvait être la dernière, il entre en l’école du professeur Gottsched. Justement, le maître entouré de ses jeunes disciples, expliquait l’Ode à la Fortune. Ils l’écoutaient le feu dans les yeux ! Ah ! Fortune insolente ! et tant qu’elle règne, on l’implore ! eh bien ! va-t-en, Fortune ; une grande âme te méprise !… À ces mots, tous les regards se tournent vers le haut capitaine, un seul cri se fait entendre, un cri d’enthousiasme, une prière, un cantique, et le roi quittant l’école au milieu des plus vives sympathies, s’en va, d’un pas plus délibéré, chercher sa victoire à Rosbach !

Telle était ma dissertation, entremêlée à plaisir de ces anecdotes qui nous charment, nous autres les rhétoriciens et les rhéteurs.

Malheureusement pour ma dissertation, madame de Girardin n’avait guère la coutume de laisser le dernier mot à son interlocuteur. Si grande était sa présence d’esprit, qu’elle ne lui a pas manqué deux fois peut-être en toute sa vie :

« Avez-vous tout dit ? me dit-elle.

– Oui, madame.

– Et n’avez-vous rien oublié ?

– Je ne crois pas, madame.

– Ainsi nous avons le latin de l’histoire, le latin des poètes, le latin des hommes, le latin des femmes, du barreau, du bourreau, des tombeaux, des monnaies, des médailles, des armoiries et le latin des citations à l’usage des latinistes qui savent toutes les langues… surtout si elles sont en français ? C’est bien cela, c’est tout à fait votre compte et vous n’avez rien oublié ?

– Non, madame.

– Eh bien, j’en suis fâchée pour vous, mon cher confrère, et me voilà toute confuse : une ignorante telle que moi donnant à un savant tel que vous une leçon de latinité ! Dans toutes ces espèces de latin, vous oubliez le plus utile et le plus sage de tous, un latin que chacun parle et que chacun sait de naissance, un latin savoureux, sans réplique et tout charmant… le latin de cuisine ! »

Et de rire.

Elle riait de si bon cœur, elle était si charmante ; elle avait conquis avec son bon français, une si grande autorité sur les esprits et sur les choses de son temps ! Elle était l’ironie et la grâce, et l’abandon, avec tant d’invention, de volonté forte, et l’art de plaire au degré suprême. Esprit, beauté, intelligence, éclair ; elle tenait au drame, à la comédie, à la satire, à toute chose… Hélas ! la voilà morte, et ce doit être un profond regret pour les studieux et ingénieux collecteurs de ces Fleurs latines de ne pas présenter à cette intelligence, qui l’eût mis en si grand honneur, ce livre habile où sont recueillis, parmi tant de sentiers si divers, tant d’exemples heureux de ce que peut devenir, dans une bonne page, un souvenir de cette langue admirable, dont le Moyen Âge est sorti, et qui produisait Dante et Pétrarque avant de produire Ronsard et son école, Montaigne et son doute, Régnier et ses satires, et Lafontaine et Despréaux.

JULES JANIN.

Introduction

On voyait autrefois dans un temple de l’île de Chio une statue de Minerve, dont le visage paraissait triste et austère à ceux qui entraient, doux et souriant à ceux qui sortaient. Il n’en sera pas ainsi de ce livre : le sourire est à l’entrée, grâce au maître qui a bien voulu élever un magnifique portique à notre modeste monument. Si nous prenons la parole après le brillant écrivain, ce n’est pas pour faire une nouvelle préface. Nous voulons seulement expliquer en quelques mots le but, le plan de cet ouvrage.

Une vérité dont tous ceux qui lisent ont pu se convaincre depuis longtemps, c’est que la prose française, et la meilleure, est souvent émaillée de citations latines, désespoir de ceux qui n’ont pas été initiés aux mystères de la langue de Cicéron. On trouve le latin partout, dans le livre, dans le journal, au théâtre ; il faut se résigner à rencontrer ce caillou, à se piquer contre ce chardon, en faveur duquel nous ne ferons pas un second plaidoyer après la belle et éloquente plaidoirie du plus légitime défenseur du latin. Mais nous avons voulu enlever les aspérités du caillou, arracher les piquants du chardon ; non pas que nous ayons conçu la pensée de métamorphoser nos charmantes lectrices en autant de Bélises et de Philamintes, amoureuses du grec et du latin ; nous nous sommes efforcé de devenir pour elles un traducteur commode et discret, qu’elles puissent consulter sans craindre jamais d’être humiliées ni trompées, et nous avons fait les FLEURS LATINES.

Armé de patience, nous avons parcouru tous les sentiers battus par les écrivains français, nous avons exploré en tous sens cet immense domaine, fouillant les halliers et les buissons aussi bien que les riches guérets et les champs de roses, la feuille légère qui n’a l’ambition de vivre que l’espace d’un matin, comme le livre qui est resté ou qui restera monument. Nous donnons la liste des auteurs que nous avons ainsi feuilletés, et cette liste renferme, à peu d’exceptions près, les noms de tous les écrivains qui, dans les différents genres et à différentes époques, ont jeté une part d’éclat sur la littérature française ; à côté des gloires du dix-septième et du dix-huitième siècle, Pascal, Corneille, Bossuet, Racine, Boileau, La Fontaine, Montesquieu, Voltaire, Beaumarchais, Bernardin de Saint-Pierre, nous avons rangé l’un après l’autre tous les contemporains, poètes, philosophes, historiens, moralistes, romanciers, publicistes, gloires consacrées, réputations nées d’hier, tous jusqu’à deux étrangers, les plus français des écrivains anglais, Sterne et Walter Scott. Et nous les avons tous relus, et nous avons recueilli chacune des phrases où nous découvrions une fleur exotique, et, de cette chasse patiente et active, nous sommes revenu chargé de dépouilles opimes. Nous avons alors classé tout ce latin, nous l’avons traduit, commenté, expliqué, et nous avons rangé à la suite de notre commentaire les phrases françaises recueillies ; nous ne pouvions choisir de meilleurs, de plus clairs exemples pour compléter nos explications.

Ceci nous amène à répondre à deux objections que nous pouvons prévoir, d’autant mieux qu’elles nous ont été faites déjà et par des esprits sérieux.

« Pourquoi, nous a-t-on dit, laissez-vous figurer dans votre livre des noms à peu près inconnus ? Pourquoi mêler ainsi à des passages empruntés aux écrivains les plus autorisés, des phrases d’un français douteux ? Belles autorités que vous invoquez là ! » Sans doute, certains noms cités par nous n’ont aux yeux des lettrés qu’une valeur très secondaire, à ce point, que pour un certain nombre de phrases nous nous sommes contenté d’indiquer la source, Revue des Deux-Mondes, Revue de Paris…, etc. Mais qu’importe, si la phrase convient à notre point de vue tout spécial, c’est-à-dire si elle renferme une citation latine amenée avec à-propos, et si elle est propre à faire ressortir le sens et le véritable emploi de tel hémistiche d’Horace et de Virgile. Ce livre n’est pas exclusivement littéraire et nous sommes bien obligé de nous conformer à l’usage suivi par les auteurs de dictionnaires, dont les exemples n’ont certes pas tous la même valeur sous le rapport du style.

À cette objection, qui ne portait que sur la forme, est bientôt venue s’en joindre une autre qui portait sur le fond : – « Pourquoi citer des phrases qui expriment de pareilles idées, pourquoi les tirer de l’obscurité où elles dorment et les mettre de nouveau en lumière ? Croyez-vous que l’explication que vous donnez du non possumus, par exemple, eut été moins claire quand vous vous seriez abstenu de citer MM. Léon Plée et Adrien Guéroult après Joseph de Maistre et le Père Félix ? » – Oui, d’abord, nous croyons que notre explication eût été moins claire, et puis ce n’a pas été là notre seule raison. Supposez que nous ayons prévu votre critique et que nous y ayons fait droit à l’avance, n’aurions-nous pas dû, sous peine de donner à notre livre une couleur politique ou religieuse, sous peine d’arborer un drapeau sur un dictionnaire, n’aurions-nous pas dû montrer la même complaisance à l’égard de vos adversaires ? Et alors que serait-il resté de ces malheureuses phrases si laborieusement recueillies ? Quand les unes auraient été déchirées au nom des idées soutenues par Joseph de Maistre et le Père Félix, les autres, au nom des opinions défendues par MM. Léon Plée et Adrien Guéroult, un troisième larron serait venu supprimer les pâles survivantes au nom du bon goût littéraire. Et voyez-vous alors à quoi se réduisait notre livre ? Mais nous nous sommes souvenu à temps du Meunier de La Fontaine, et nous avons dit :

… Est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.

Nous avons donc conservé toutes nos phrases, de quelque couleur qu’elles fussent, nous réservant seulement de dire : Nous ne citons pas des pensées à l’appui d’une opinion philosophique ou religieuse ; nous remplissons le simple rôle du rapporteur et non les fonctions du juge ; enfin nous sommes le chirurgien qui, le scalpel à la main, cherche dans le corps qu’il dissèque sous les yeux de ses élèves, les éléments d’une démonstration, sans se demander si ce cadavre a été un Mandrin ou un saint Vincent de Paul.

Grâce à ce procédé, nous avons réuni, non pas toutes les citations latines, ce serait chose impossible, car, à l’heure même où nous fermons notre recueil, le fleuve poursuit son cours, et il y aura du latin dans le livre d’aujourd’hui, dans le journal de demain : mais nous avons recueilli au moins les citations qui se rencontrent le plus fréquemment. Nous avons dû nécessairement nous borner à celles-là ; nous avions sous les yeux les œuvres de plus de deux cents écrivains français ; quand telle locution latine ne s’y trouvait pas, nous pouvions en conclure qu’elle n’était pas d’un usage très ordinaire, et cependant nous ne la rejetions pas d’une manière définitive : ce sont les locutions de cette sorte que nous avons réunies dans notre APPENDICE.

Le latin n’est pas seul à jouir de ses grandes entrées dans la prose française : tel vers du Dante ou de Shakespeare a, comme les vers de Virgile et d’Horace, l’honneur d’être fréquemment cité par nos écrivains. Lasciate ognl speranza, – To be or not to be, that is the question avaient le droit de figurer à côté des citations latines les plus connues. Il en était de même de quelques expressions empruntées à la langue vulgaire de la Grèce, de l’Italie moderne, de l’Angleterre, et nos lecteurs ne seront pas surpris de rencontrer dans ce livre, destiné à expliquer toutes les citations, l’Alpha et l’Omega des Grecs, l’Eurêka d’Archimède, le Far niente, la Furia francese, le Sotto voce des Italiens, le God save the king des Anglais. Ces locutions étrangères, presque naturalisées en France, forment, du reste, dans notre livre une imperceptible minorité, car nous venons de les indiquer à peu près toutes.

Cette excursion hors du pays latin nous remet en mémoire une anecdote qui prouve que les Fleurs latines pourraient bien s’adresser à d’autres qu’aux dames et aux gens du monde.

Une brave femme, venue de Soissons à Paris, entra un jour par mégarde dans une chapelle grecque où l’on célébrait la messe ; elle fut bien un peu déroutée par la nouveauté des chants qu’elle entendait. Cependant elle continua à prier, se disant, à part elle, que le bon Dieu saurait bien s’y reconnaître. Néanmoins, elle sortit tout interloquée, et, de retour à Soissons, quand elle racontait son aventure, elle ne manquait jamais d’ajouter qu’elle n’avait reconnu dans toute la messe que deux mots latins : « Kyrie eleison. » – Puisque nous nous adressons à des dames, hasardons-nous à leur dire que ces deux mots sont des mots grecs qui se sont glissés dans la liturgie romaine.

Nous devons, en terminant, donner à nos lectrices quelques instructions sur la manière de se servir des Fleurs latines. L’écrivain qui mêle à sa prose française un passage emprunté aux Latins, se contente parfois de prendre un fragment du vers ou de la phrase ; d’autres fois, il intervertit l’ordre des mots. Prenons un exemple : Ave, Cœsar, morituri te salutant, devrait naturellement se placer dans notre liste alphabétique à la lettre A. Mais si dans le livre que vous parcourez, madame, et qui vous fera recourir au nôtre, vous lisez : Cœsar, morituri te malitant, ou bien moriluri te suintant, ou enfin : Te morituri salutant (et toutes ces différentes formes sont parfaitement permises en latin), vous chercherez à la lettre C, à la lettre M, ou à la lettre T, et vous trouverez ces quatre formes différentes, et trois vous renverront à la page 256, où est placée l’explication. Cette précaution indispensable a été prise toutes les fois qu’il y avait lieu.

 

Un mot encore : il est dicté par la reconnaissance et imposé par la justice. Les ouvrages de cette nature n’ont de prix que par l’exactitude. L’auteur qui cite n’est pas toujours infaillible ; parfois la mémoire est en défaut, et cela s’explique quand il s’agit de phrases latines, semées à la hâte dans les colonnes d’un journal ou dans les nages d’un roman. D’autres fois, on se laisse séduire par l’harmonie de la période ou la sonorité du mot, et l’on met sous les grands noms d’Horace ou de Virgile le vers ou l’hémistiche heureux qui est de Martial, de Juvénal, d’Ovide. Quelques-uns prennent le vraisemblable pour le vrai, et l’homo sum si chrétien de Térence est attribué à l’un des Pères de l’Église. Ce sont là des erreurs faciles à commettre, et nous avons rectifié, sans les relever, toutes celles que nous avons rencontrées. Toutefois, ces inexactitudes, qui ne sonique peccadilles chez les autres, eussent été impardonnables pour nous, qui avions ou qui devions avoir les textes mêmes sous les yeux. Nous n’avons donc pas voulu nous en rapporter à nous seul, et, pour parcourir ce domaine de l’érudition semé d’écueils, nous nous sommes associé de savants amis. Les deux collaborateurs auxquels nous devons une grande part de reconnaissance, sont MM. Louis Baude et Charles Dumas.

M. Baude, l’estimable auteur des Cahiers d’une Élève de Saint-Denis, ancien professeur au collège Stanislas, a été enlevé par une mort prématurée à des travaux philologiques plus sérieux. Il unissait à la science de Ménage la finesse et la bonhomie de Santeuil, et, s’il vivait encore, je ne sais si son extrême modestie me permettrait de lui rendre ici ce témoignage de publique et sincère reconnaissance.

M. Charles Dumas est un des membres les plus jeunes de cette brillante pléiade, l’orgueil de l’Université, qui a déjà donné aux lettres Rigault, About, Taine, Paradol, Alloury, Sarcey. Il me serait difficile de distinguer ce qu’a fait M. Charles Dumas de ce que j’ai écrit moi-même ; mais ce que je puis dire, c’est que, si ce livre vaut quelque chose par quelque endroit, assurément sa plume a passé par cet endroit-là.

PIERRE LAROUSSE.

Liste des principaux écrivains cités dans cet ouvrage

ABOUT (EDMOND).

ALEMBERT (D)

ALLOURY.

ARGENS (marquis D).

ARNAULT.

AUGIER (ÉMILE).

AYCARD (MARIE).

BABINKT.

BALZAC.

BAUTAIN (l’abbé).

BEAUMARCHAIS.

BEAUVOIR (ROGER DE).

BÉDOLLIÈRE (ÉMILE DE LA).

BERNARD (CHARLES DE).

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.

BEYLE (HENRI).

BIÉVILLE (EDMOND DE).

BLAZE (CASTIL).

BOILEAU.

BONALD (DE).

BOSSUET.

BOUFFLERS (DE).

BOURDON (Dr ISIDORE).

BRILLAT-SAVARIN.

BROUSSAIS (Dr).

CAPEFIGUE.

CAPO DE FEUILLIDE.

CASTILLE (HIPPOLYTE).

CHADEUIL (GUSTAVE).

CHASLES (PHILARÈTE).

CHATEAUBRIAND.

CHATELET (madame DU).

CONDORCET.

CONSTANT (BENJAMIN).

CORMENIN.

CORNEILLE (PIERRE).

COURIER (PAUL-LOUIS).

COUSIN (VICTOR).

CRETINEAU-JOLY.

CUSTINE.

CUVILLIER-FLEURY.

DAMIRON.

DEFFANT (madame DU).

DELORD (TAXILE).

DÉSAUGIERS.

DESCARTES.

DESMOULINS (CAMILLE).

DIDEROT.

DROZ.

DUCANGE (VICTOR).

DUMAS (ALEXANDRE).

DUPANLOUP.

ENAULT (LOUIS).

ESQUIROS (ALPHONSE).

FÉLIX (le Père).

FÉVAL (PAUL).

FOË (DANIEL DE).

FOURNIER (ÉDOUARD).

FRAYSSINOUS.

FRÉDÉRIC II.

CATIEN ARNOULT.

GÉNIN.

GERUZEZ.

GOZLAN (LÉON).

GRANIER DE CASSAGNAC.

GRIMM.

GUÉROULT.

HAVIN.

HEINE (HENRI).

HELVÉTIUS.

HOLBACH (Dr).

HOUSSAYE (ARSÈNE).

HUGO (VICTOR).

JANIN (JULES).

JOUFFROY.

JOURDAN (LOUIS).

KARR (ALPHONSE).

LACORDAIRE.

LACROIX (Bibliophile Jacob).

LA FONTAINE.

LAMARCHE (HIPPOLYTE DE).

LAMARTINE.

LAMENNAIS.

LANFREY.

LAROMIGUIÈRE.

LASTEYRIE (FERDINAND DE).

LAVERGNE (ALEXANDRE DE).

LECLERC (VICTOR).

LEFRANC DE POMPIGNAN.

LEPELLETIER de la Sarthe.

LEPELLETIER DE SAINT-FARGEAU.

LERMINIER.

LEROUX (PIERRE).

LOUVET.

LUCAS (HIPPOLYTE).

LUCHET (AUGUSTE).

LIMAYRAC (PAULIN).

MAISTRE (JOSEPH DE).

MAQUET (AUGUSTE).

MARMIER (XAVIER).

MARS (DE).

MARTIN (HENRI).

MATHAREL DE FIENNES.

MÉRIMÉE (PROSPER).

MÉRY.

MICHELET.

MIGNET.

MIRABEAU.

MONTAIGNE.

MONTESQUIEU.

MORNAND (FÉLIX).

MUSSET (ALFRED DE).

MUSSET (PAUL DE).

NAPOLÉON III.

NAUDET.

NETTEMENT (ALFRED).

NISARD (DÉSIRÉ).

NODIER (CHARLES).

PASCAL (BLAISE).

PRISSE (LOUIS).

PELLETAN (EUGÈNE).

PICHAT (LAURENT).

PICHOT (AMÉDÉE).

PLANCHE (GUSTAVE).

PLÉE (LÉON).

PONTMARTIN (DE).

PREVOST-PARADOL.

PROUDHON.

QUINET (EDGAR).

RACINE.

RASPAIL.

RENÉE (AMÉDÉE).

REYBAUD (LOUIS).

REYNAUD (JEAN).

RICHARD (du Cantal).

RIGAULT (HIPPOLYTE).

RIVAROL.

ROYER-COLLARD.

SAINTE-BEUVE.

SAINT-MARC-GIRARDIN.

SAINT-VICTOR (PAUL DE).

SALVANDY (DE).

SANDEAU (JULES).

SARRANS.

SAY (JEAN-BAPTISTE).

SIMON (JULES).

SOULIÉ (FRÉDÉRIC).

SOUVESTRE (ÉMILE).

STERNE.

SUE (EUGÈNE).

TAINE (HIPPOLYTE).

TEXIER (EDMOND).

THOMAS.

THOUVENEL (ÉDOUARD).

TOPFFER.

TOUSSENEL.

ULBACH (LOUIS).

VACHEROT.

VÉRON (LOUIS).

VEUILLOT (LOUIS).

VILLEMAIN.

VOLTAIRE.

WALTER-SCOTT.

WEY (FRANCIS).

ZELLER.

Ab absurdo

(Par, d’après l’absurde.)

Lorsque, pour démontrer une vérité, on commence par supposer un résultat contraire à celui qu’on se propose, et qu’en raisonnant d’après cette supposition, on aboutit à une conséquence que la raison ne peut admettre, on démontre ab absurdo.

Je veux démontrer l’existence de Dieu par le spectacle de l’univers. Je suppose que Dieu n’existe pas ; par conséquent, le monde est l’œuvre du hasard. Or, il règne dans le mécanisme de l’univers une harmonie plus parfaite que dans les œuvres les plus parfaites de l’homme, que dans une montre, par exemple. Si l’univers, œuvre parfaite, s’est formé seul, à plus forte raison la montre, œuvre moins parfaite, doit à elle-même son existence : conséquence évidemment absurde.

Ab hoc et ab hac

(À tort et à travers. Littéralement : de ci, de là.)

Expression pittoresque, imitative, qui est une onomatopée, et pourrait se passer de traduction. Raisonner ab hoc et ab hac, parler ab hoc et ah hac, c’est-à-dire déparler, déraisonner, battre la breloque, avoir une conversation décousue, faire des coq-à-l’âne.

Je pars en chantant ;
Un concert m’attend,
Je n’y reste qu’un instant,
J’entre au
Caveau
Où, sur la guerre,
Buvant du scubac,
Prenant du tabac,
Je parle ab hoc et ab hac.

DÉSAUGIERS.

*
Sans honte, dis la vérité,
Ouvriras-tu chaque semaine
Le temple si peu respecté
De Thalie ou de Melpomène
À ce petit maître affecté,
Fat par penchant, sot par nature,
Qui, parlant ab hoc et ab hac,
Juge de la littérature
Comme d’un jabot et d’un frac ?

MILLEVOYE, Épître à mon dernier Écu.

Ab imo pectore

(Du fond du cœur.)

Cette locution se trouve souvent dans Virgile, pour exprimer l’extrême douleur, qui semble tirer ses larmes, ses gémissements, ses paroles du plus profond du cœur.

On dit aussi imo pectore.

Ab intestat

(Sans avoir fait de testament.)

On dit de quelqu’un qu’il est mort ab intestat, quand il n’a pas laissé de testament ; alors l’héritier que la loi appelle à succéder est dit héritier ab intestat. Toutes les législations ont permis à l’homme de disposer, par testament, de ce qui lui appartient ; mais il fallait bien prévoir le cas où il mourrait sans en avoir disposé. La raison naturelle semblait appeler le fils à la succession du père. La législation, dans tous les pays civilisés, crut aussi devoir, pour conserver les biens dans les familles, appeler, à défaut du fils, les père et mère, frères et sœurs du défunt, et même les autres collatéraux, jusqu’à un certain degré.

La Constituante décida l’égalité des partages dans les successions ab intestat entre les héritiers de même degré, saris distinction d’âge ni de sexe.

J. SIMON.

*
J’apprends soudain qu’un oncle trépassé,
Vieux janséniste et docteur de Navarre,
Des vieux docteurs certes le plus avare,
Ab intestat, malgré lui, m’a laissé
D’argent comptant un immense héritage.

VOLTAIRE, le Pauvre Diable.

*

La duchesse de Suffolk s’empara des biens de son fils, fondant ses prétentions sur cette loi de Henri VIII, qui porte, que si quelqu’un meurt sans enfants et ab intestat, la propriété de ses biens passe à son plus proche parent.

STERNE.

Ab irato

(Par un mouvement de colère.)

Il semble que son testament ait été fait ab irato ; cela seul suffirait pour l’invalider.

VOLTAIRE, Testament politique du cardinal Albérmi.

*

Arrivé au comble de la souffrance et touchant au terme de sa vie, Molière sentit s’exaspérer son ressentiment contre la médecine, et sa dernière comédie, le Malade imaginaire, fut comme un testament ab irato contre une science qui ne pouvait ni soulager ses maux, ni prolonger son existence.

AUGER, Commentaires sur Molière.

*

La légitimité est fatalement condamnée d’avance, quoi qu’elle fasse, à une politique de contre-pied, à une politique ab irato qui humilie au lieu de rallier, qui blesse au lieu de guérir.

EUG. PELLETAN.

Ab jove principium…

(Commençons par Jupiter…)

VIRGILE, Églogne III, v. 60.

Jupiter est le père des dieux et des hommes ; dans l’application, ce mot : Commençons par Jupiter, répond au proverbe : À tout seigneur, tout honneur.

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Ab Jove principium : la loi est le premier principe de l’ordre social ; le pouvoir qui la fait est donc le premier des pouvoirs politiques.

VACHEROT.

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Le sénat romain avait pour le Dieu suprême et pour les dieux secondaires un aussi profond respect que nous pour nos saints : Ab Jove principium était la formule ordinaire.

VOLTAIRE.

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Dans la plupart des banquets où se perpétue la coutume des toasts, il est d’usage de porter la santé du roi : Ab Jove principium ! Mais le carliste endurci crut devoir se dispenser de cette formalité.

CHARLES DE BERNARD, le Gentilhomme campagnard.

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Et d’abord, à commencer par Dieu, ab Jove principium, nous trouvons, et avec regret, que cette magnifique et féconde idée est trop absente de leur poésie (Mathurin Régnier et André Chénier), et qu’elle la laisse déserte du côté du ciel. Chez eux, elle n’apparaît même pas pour être contestée ; ils n’y pensent jamais et s’en passent ; voilà tout.

SAINTE-BEUVE.

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En toutes choses, Dieu apparaît ; son nom, sa splendeur éclatent de toutes parts, et il faut redire avec le poète païen : Ab Jove principium.

DUPANLOUP, de l’Éducation.

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J’entre en matière par un long morceau sur Descartes, abJove principium, c’était mon premier hommage à rendre, ma première étude, mon premier soin.

DAMIRON.

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