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"Français en France" explore avec finesse les générations rurales qui ont forgé l’identité de la France contemporaine, en construisant son histoire, en affirmant sa place dans le concert des nations et en préservant ses traditions, ses valeurs familiales et son sens aigu du devoir envers la patrie. À l’heure où la société avance vers un mode de vie plus urbain et globalisé, une interrogation se pose avec acuité : ce legs précieux a-t-il su être transmis aux nouvelles générations, désormais plus ouvertes aux influences mondiales ? Cette œuvre propose une réflexion profonde sur l’évolution de la transmission culturelle et sur les défis auxquels la France d’aujourd’hui est confrontée.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après une carrière riche en fonctions électives locales,
Joël Loison, ancien cadre de l’industrie, demeure un fervent défenseur de l’action publique. Sans ambages, il partage ses réflexions sur la scène politique française, ayant déjà consigné ses analyses dans quatre ouvrages. "Français en France" s’inscrit dans la continuité de ses précédents écrits, offrant une perspective lucide et engagée sur les enjeux qui façonnent la société française contemporaine.
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Seitenzahl: 279
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Joël Loison
Français en France
© Lys Bleu Éditions – Joël Loison
ISBN : 979-10-422-5143-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’appel des loups, décembre 2003, Éditions Publibook ;
L’ambition pour moteur, décembre 2021, Éditions Maïa ;
Ni apologie ni repentance, une histoire singulière et plurielle, mai 2022, Le Lys Bleu Éditions ;
Chimères et états d’âme, novembre 2022, Le Lys Bleu Éditions ;
La 6e République en marche, novembre 2023, Le Lys Bleu Éditions.
Les peuples perdent la vie en perdant la mémoire.
Maréchal Foch
Le passé n’est pas à la mode. « Il faut résolument, dit-on, ne se préoccuper que du futur, courir vers des lendemains qui chantent ! »
Quelle erreur !
Les faits passés sont des sentinelles inaltérables qui jalonnent la mémoire. Socles du présent et de l’avenir, elles sont en granit, portent les traditions, la culture, l’image et l’identité…
Hier est la mémoire, gravée de noms, de cœurs, de dates, d’événements. En les déchiffrant, on peut y lire ce que furent les échecs, les succès et les enseignements de la vie…
Toute dynamique implique une continuité : construire un « après » résulte d’un « avant »…
Je fus… fonde je suis… érige je serai…
Celui qui oublie ses racines n’atteint jamais sa destination
Proverbe Philippin
Comme le chante Maxime Le Forestier : « être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard… »
Je suis né en ruralité, dans la France profonde, comme la moitié des Français de ma génération !
Souvenons-nous que notre « cher vieux pays », comme de Gaulle aimait l’appeler, a façonné son illustre passé grâce à sa population majoritairement rurale.
Une population rurale, laborieuse, terrienne, souvent peu instruite, mais bien éduquée, fière de son bon sens, de ses acquis, rigoureuse dans la transmission de ses valeurs…
Pour faire court, rappelons qu’en 1850, 75 % des Français, soit environ 26 millions, vivaient en zones rurales. Ce n’est que vers 1930 que la part de la population urbaine parvint à l’équilibre avec la population rurale. Le nombre de Français, en France, restant stabilisé à environ 40 millions entre 1900 et 1950.
Mon père, Marcel, est né le 23 août 1906 à Courcival. Un petit village de 300 âmes dans l’ouest Sarthois. Un village d’agriculture et d’élevage artisanal. Une famille humble tirant ses maigres ressources d’un emploi agricole dans une ferme voisine, des revenus améliorés par les trocs, complétés par l’élevage de poules, lapins, canards, etc., nourris grâce à la cueillette des herbes sauvages et au glanage dans les champs après les récoltes. Le jardin potager fournissant les légumes…
L’année 1906 ?
Des événements qui ne seront que partiellement perçus à Courcival, quelques mois ou quelques années plus tard… le plus souvent par « le bouche-à-oreille »…
À 20 kilomètres de Courcival, à Origny le Roux, dans le département de l’Orne naissait, Marguerite, ma mère, le 11 février 1911. Une famille aux conditions de vie aussi démunies, dans un village agricole de 500 habitants, généralement artisans éleveurs.
L’année 1911 ?
– Le gouvernement inaugure un système d’immatriculation des automobiles.
Des faits lointains, discernés et compris à travers la rumeur en France rurale, dans l’Orne et dans la Sarthe…
Marcel a tout juste 8 ans, Marguerite un peu plus de 3 ans lorsque l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août 1914. La mobilisation générale de tous les hommes valides va priver la France de main-d’œuvre, plonger les familles dans la précarité.
Les mères, devenues cheffes de famille, face aux difficultés quotidiennes, font appel à la contribution des aînés pour nourrir les fratries.
L’école gratuite et obligatoire, selon les lois récentes (1881 et 1882) de Jules Ferry, est bien souvent sacrifiée sur l’autel de l’impératif alimentaire !
L’instituteur parti à la guerre, une villageoise volontaire inculque quelques préceptes élémentaires à des élèves intermittents sur des bancs prétendus studieux, en d’autres temps.
À 8 ans, commis utile pour garder les troupeaux, Marcel devient rapidement un employé assidu dans la ferme voisine. Nourri sur place, il rapporte un litre de lait, un peu de beurre, un morceau de pain… de temps à autre…
Marguerite, 3e de la fratrie, épargnée par son âge, subit néanmoins les restrictions…
Loin du front meurtrier, sanglant, inhumain et sordide, la désorganisation sévit. L’absence des forces vives, mal compensée malgré les efforts individuels et collectifs, pèse sur la production des denrées essentielles. L’administration, sourde aux difficultés, impose une contribution à « l’effort de guerre » chaque jour plus prégnante.
Dans l’adversité, on subit, on se restreint, on s’ingénie, on s’organise…
On survit dans l’angoisse quotidienne pour ceux qui sont au combat. Dans l’attente de nouvelles rares et irrégulières qui alternent inquiétudes et apaisements…
Les rumeurs les plus extravagantes circulent, affolent… soufflent parfois l’espérance…
Quatre années de folies destructrices, dévastatrices !
Marcel et Marguerite ne se connaissent pas encore, acteurs au cœur de ces bouleversements, ils essaient chacun dans leur entourage de se frayer un chemin, de se construire un avenir…
Marcel, toujours employé de deuxième rang aux tâches paysannes, parvient, à 14 ans à obtenir un emploi de farinier dans un moulin à Saint Vincent des Prés…
La rivière, la Dive, actionne la roue à aubes qui entraîne meules, tamis, dynamo électrique et toute la machinerie…
Du lundi au samedi, 6 jours par semaine, Marcel, déterminé, volontaire, coltine, malgré son jeune âge, les sacs de céréales, il alimente « la bête » en blé, orge ou avoine selon la commande. Veille à la qualité du rendu, emplit et transporte, en retour, les sacs jusqu’au quai de chargement, en attente des clients.
La nuit, il dort sur place, dans un recoin aménagé d’un lit et d’un coffre pour ses vêtements. Le moulin ne s’arrête pas. Bercé par le feulement des poulies, le chuintement de la résine sur les courroies et le ronronnement rauques des broyeuses, il se réveille et intervient au moindre bruit anormal.
Son salaire, les pourboires lui ont permis d’acheter un vélo. Une plus grande autonomie, de la liberté ajoutée…
Le dimanche, après avoir balayé, nettoyé le moulin, il revient à Courcival, visite sa famille, échange le linge de la semaine que sa mère entretient…
Avec quelques copains, employés des fermes voisines, il sillonne les fêtes des villages alentour ou bien joue à la « galoche ».
Blond, râblé, ses yeux clairs, pâles, très mobiles, interpellent, son regard vif, pénétrant, montre sa détermination. Les filles y sont sensibles…
Séquelle des gaz de la « Grande Guerre », son père, mon grand-père, meurt en 1924, les poumons brûlés, rongés par un mal qui ne lui a jamais laissé de répit depuis son retour des tranchées. Marcel, dix-huit ans, devient, avec Victor, son frère aîné, le soutien de sa mère, de ses deux sœurs et de son jeune frère !
C’est aussi l’année de sa conscription. Convoqué à Mamers, la sous-préfecture, pour ce recensement. « Le Conseil de Révision » comme on l’appelait ! Reconnu « apte pour le service armé », confirmé adulte, un homme… l’opportunité de faire la fête, de boire au-delà de la raison avec quelques copains… un jour où « tout est permis »…
Un an plus tard, l’appel sous les drapeaux, le service militaire consacre l’émancipation de Marcel.
De Courcival à Sarrebruck pour rejoindre l’armée d’occupation en Allemagne à quelques kilomètres de la frontière française, en Sarre. La vie militaire, un monde nouveau à découvrir. Devenu ordonnance du commandant, après quelques mois, Marcel observe la vie facile d’une famille d’officiers en garnison, goûte le privilège d’une protection. Estafette circonstancielle, chargé du transport des plis confidentiels, il se rend régulièrement, à vélo, en France, à la caserne de Forbach, distante de 12 kilomètres. Ces sorties lui autorisent des libertés, quelques relations avec la population occupée…
18 mois de transmutation… inoubliables…
18 mois que le retour à Courcival et à Saint-Vincent-des-Prés ne pourront effacer !
Marguerite, élève appliquée, termine sa scolarité en 1923, elle a 12 ans. Depuis plusieurs années, elle aide aux tâches ménagères, à la maison. Deux petits frères complètent la famille depuis le retour de son père. Curieuse, courageuse, elle rencontre quelques jeunes du village, propose son concours dans les fermes voisines, en rapporte le lait, quelques légumes, parfois un lapin en échange. Le soir, sous la lampe à pétrole, elle s’adonne à des travaux de couture, offre ses prestations à ceux qui n’en ont pas le temps ou le goût, récupère quelques pièces…
Elle a 16 ans, quand elle loue formellement ses services d’aide agricole.
Une indépendance nouvelle, qui ouvre son champ relationnel, lui permet d’accéder à de rares loisirs, pendant de courtes pauses, l’après-midi du dimanche dans le village.
Les mois passent, Marguerite s’affirme, mais demeure réservée. Elle est grande, élancée, ses yeux foncés, presque noirs, scrutent, interrogent. Elle s’est fait couper ses longs cheveux noirs, c’est la mode. Son teint, ses yeux, ses cheveux donnent un air d’Espagne, paraît-il.
La fête annuelle à Origny le Roux, son bal sous la structure mobile installée pour l’occasion, le stand de tir à la carabine, le « chamboule-tout », la buvette, annexe du café, trop petit pour la circonstance, amènent les jeunes des environs…
Ils ne savent pas parfaitement danser, Marcel et Marguerite, ils imitent les autres, essaient de se laisser porter par le rythme de la musique. Les musiciens, des amateurs locaux ; un accordéoniste-chanteur-meneur de jeu, un saxophoniste, un batteur qui monnaient leurs talents chaque semaine, de village en village.
Ils ne se connaissaient pas, Marguerite et Marcel se sont rencontrés par hasard, dans ce bal, se sont plus, au premier regard, sans même se parler.
Lui, sûr de lui, s’avançant, l’invitant. Elle, hésitante, n’osant pas avouer son inexpérience…
Ils ne se connaissaient pas, ils ne savent pas bien danser… mais ils se sentent bien dans les bras l’un de l’autre…
Ils ne se quitteront plus pendant toute la soirée, se résigneront à se séparer à la fin du bal, après un chaste baiser et la promesse de se retrouver, dimanche prochain, à l’abri des regards…
Se revoir chaque fois que c’est possible, le téléphone public n’est pas accessible, de rendez-vous en rendez-vous, le dimanche, danser, s’enlacer, s’embrasser…
Elle n’a pas de vélo, une amie lui prête le sien de temps à autre, donnant à Marguerite la possibilité de rejoindre Marcel au bal, à la fête, dans un autre village…
Un an de félicité qui conduit à un engagement, l’officialisation, les présentations, la rencontre avec les familles.
L’avenir ?
Comment être chez soi en étant employés chez les autres ?
Pour Marcel et Marguerite, être deux, c’est être ensemble, vivre ensemble, travailler ensemble, décider ensemble, voir l’avenir ensemble… voir grandir les enfants ensemble…
Leurs compétences, procurées par la pratique, leur offrent peu de possibilités… Les opportunités rurales limitées à quelques spécialités de transformation alimentaire et d’entretien des bâtiments sont hors de leurs acquis.
Trouver, louer une fermette, une métairie, quelques hectares de terre, une maison avec une grange et une écurie… ?
L’année 1929 ?
Pourquoi monsieur Maginot lance-t-il la construction de forts de défense sur la frontière avec l’Allemagne ?
Seule cette dernière information est perçue, ressentie et commentée dans tous les foyers…
À Courcival et à Origny le roux, on parle mariage :
Il a lieu à Origny le Roux, au domicile des parents de la mariée, c’est la tradition…
Marguerite, Marcel, les frères, les sœurs, les parents ont tout organisé : Les invitations, former les couples de célibataires, le plan de table, les musiciens, louer la structure mobile du bal. Retenir les aides pour la cuisine ; commander les ingrédients et les boissons pour le repas.
Après la mairie et la messe, c’est le banquet sous la structure mobile.
Garçons et demoiselles d’honneur veillent au bon déroulement, animent…
Après le festin, vers 18 heures, on débarrasse, on pousse tables et chaises, les musiciens attaquent.
La mariée ouvre le bal avec son père, Marcel enchaîne avec sa belle-mère, les autres suivent… Jusqu’au petit jour… demain, c’est dimanche…
Les mariés, mes futurs parents, n’ont pas trouvé la fermette ni une métairie…
Leurs économies ont fondu, en partie consommées, avalées par la cérémonie du mariage…
Temporairement, ils vont continuer leurs activités d’employés agricoles, venant dormir chaque soir à Courcival, la mère de Marcel leur prête sa chambre…
Marguerite est enceinte… !
Une opportunité se présente enfin, à Saint-Calez-en-Saosnois, 15 kilomètres de Courcival ; 12 hectares de prairies et cultures, une habitation, une écurie, un hangar…
Les actuels occupants partent en retraite, organisent une vente du cheptel et du matériel. Les économies du couple permettent d’acheter deux vaches, une jument, la basse-cour, un peu de matériel… pas d’emprunt, le crédit n’existe pas… sauf avec quelques amis, modestement…
La famille, les amis donnent ou prêtent les meubles, les outils indispensables… pour commencer…
Le travail et le temps permettront de rembourser, de rendre, de se développer, de faire croître les avoirs…
Le jeune ménage accepte les conditions du propriétaire, il n’a pas le choix ! Il s’installe dans la précarité, le courage ne manque pas…
« Faux-les-Fils », c’est le nom du lieu-dit. Au bout d’un chemin de terre tracé entre deux clôtures de fils barbelés, marqué par les stigmates des roues ferrées du tombereau. Une cour ceinturée de grillage, fermée d’un portail en bois vermoulu, brinquebalant. Quelques poules, un couple de canards s’activent à trouver leur pitance dans les herbes, entre les pierres. Le puits, protégé par sa margelle de pierres maçonnées, surmonté du treuil à manivelle, est isolé tout au fond, dans l’angle près de l’écurie. Un seau en zinc pend, accroché à la chaîne. L’abreuvoir, une auge en ciment, près du puits, s’intercale en amont, près de l’entrée de l’étable. La demeure et l’écurie, contiguës dans le même bâtiment, ferment la cour, au fond, face au portail. Perpendiculairement, à droite, le hangar, couvert de tôles ondulées, laisse le passage donnant accès à la prairie. Les murs du bâti, recouverts d’un torchis blanchâtre, laissent apparaître des blessures de pierres grises. Le toit de tuiles moussues, vaguement marron, est bordé d’un chéneau patiné.
La porte du logis, grise, en bois peint, à deux battants superposés, donne l’accès au foyer. La façade éclairée d’une fenêtre encadrée de deux volets gris en bois. Pas d’étage. La pièce à vivre, carrelée d’épais pavés ocres, sert à la fois de cuisine, de salle à manger, de chambre d’appoint et de laiterie. La cuisinière à bois, entre la fenêtre et la cheminée, chauffe la maison, réchauffe également l’eau pour tous les usages domestiques. Le buffet où sont rangés la vaisselle, les ustensiles de cuisine et les provisions occupe le mur à gauche de la porte. Une petite table, de travail, à droite, pour l’écrémeuse et la bassine à laver la vaisselle, abrite le broc d’eau froide tirée du puits. La table, au milieu de la pièce, peut accueillir six convives sur les deux bancs de bois qui l’encadrent. Elle est surmontée de l’opaline, la lampe à pétrole suspendue au plafond à une hauteur réglable, contrebalancée par un contrepoids grâce à un système de corde et poulie. Au fond, blotti dans le coin gauche, le lit d’appoint permet d’accueillir un invité de passage. La porte située dans l’angle opposé donne accès à la chambre.
La chambre, une pièce spacieuse, éclairée d’une petite fenêtre carrée qui ouvre à l’arrière sur le potager. Meublée d’un grand lit, d’une table de chevet, support d’une petite lampe à pétrole. Près de la fenêtre, la table de toilette avec sa cuvette et son pichet en faïence, surmontée d’un miroir, complète l’équipement de ce lieu d’intimité.
L’écurie, dans le prolongement de l’habitation, répond largement aux besoins de l’exploitation. Profonde, elle peut accueillir 4 vaches et 2 chevaux. Marcel et Marguerite envisagent d’utiliser l’espace laissé libre, d’aménager un enclos pour quelques cochons dans l’angle opposé à la porte.
Septembre est déjà là !
La saison pour s’installer est défavorable ; pas de moisson, quelques œufs, un peu de lait à vendre pendant la saison morte… ne suffiront pas à faire face aux charges. Les dernières économies permettront-elles d’attendre la prochaine récolte ? Il faudra négocier des paiements à terme avec les fournisseurs et les commerçants…
L’accouchement, le 2 février 1931, dans la chambre, se déroule sans complications. La mère de Marguerite, celle de Marcel, sages-femmes circonstancielles, fortes de leur expérience, ont accompagné l’événement, assisté, soutenu la parturiente. Marcel vacant à ses occupations quotidiennes… à proximité…
C’est une fille !
Ma sœur, mon aînée, s’appelle Marcelle.
Pas de congé pour Marguerite, les travaux n’attendent pas. Sa mère, restée pendant quelques jours, initie les premiers instants de la vie à trois…
Une organisation nouvelle, des tâches, des responsabilités supplémentaires qui laissent peu de place aux attentions témoignées au bébé…
Les mois passent, les jours de labeur finissent avec la nuit. Les semaines ne laissent pas de temps pour les loisirs.
Marcelle, vive, s’éveille. Elle fait la joie de ses parents quand le matin ou le soir ils se penchent sur elle pour des échanges complices.
Le 7 décembre 1932, Gérard lance ses premiers vagissements. Le frère de Marcelle, mon grand frère, agrandit la famille…
Les journées commencent tôt, souvent avant le lever du jour. Elles finissent toujours après le coucher du soleil, sept jours sur sept.
Ils ne s’en plaignent pas, Marguerite et Marcel.
C’est le rythme de travail qu’ils ont toujours connu. C’est le quotidien de tous ceux qui les entourent.
L’hiver, quand les jours sont courts, de temps à autre, le samedi soir, ils s’autorisent une veillée avec les voisins. Une fois chez l’un, une fois chez l’autre. On joue aux cartes en buvant une liqueur maison, en mangeant un gâteau confectionné dans la journée. Le dimanche qui n’est pas différent des autres jours, offre cependant une pause, le matin après le nettoyage de l’écurie et de la basse-cour, l’après-midi avant la traite des vaches et le nourrissage des animaux… C’est le jour qui autorise une sortie, un déjeuner en famille, grâce à la carriole attelée à la jument…
Bon an, mal an, les récoltes, la vente du lait, des œufs, des lapins, des cochons, des veaux améliorent les revenus. Une troisième puis une quatrième vache complètent l’écurie. La jeune pouliche, acquise récemment, apportera une plus grande autonomie, évitera d’emprunter un cheval au voisin…
En octobre 1938, Marcelle rentre à l’école, au village distant d’un kilomètre. Pas de cantine, elle effectue deux allers-retours, à pied, chaque jour. Plus loin, sur le chemin, les enfants voisins, l’attendent, l’accompagnent, solidaires. La pluie, la neige contrarient quelque peu, c’est la vie ! L’été, le parcours prolonge les récréations…
Le jeudi, Marcelle retrouve Gérard. Elle aime particulièrement cette journée, elle joue à la maman !
Ghislaine, la petite sœur de Marcelle et Gérard, ma grande sœur, naît au printemps, le 16 mai 1939.
Il faut réorganiser la chambre, libérer le berceau devenu trop petit pour Gérard, faire la place pour Ghislaine. Les deux aînés dormiront dans un même lit.
L’année 1939 ?
Une année de tous les dangers…
Après sa réélection, en avril 39, Albert Lebrun, le président de la République, négocie un accord d’assistance mutuelle avec le Royaume-Uni et l’URSS. Il garantit une assistance à la Pologne en cas de conflit avec l’Allemagne.
Le décret de mobilisation générale, placardé dans tous les villages, lu sur la place et dans les hameaux par le garde champêtre est un ordre formel. Tous les hommes soumis aux obligations militaires doivent rejoindre leurs affectations sans délai.
Une déchirure !
Vingt ans après, le souvenir des drames, des tragédies, des pénuries de la « Grande Guerre » resurgit. Les anciens commentent, évoquent leur calvaire dans les tranchées, la souffrance, les restrictions imposées aux femmes loin du front, la misère des enfants…
Pour Marguerite :
Seule !
Comment faire face, avec 3 enfants dont un bébé de 3 mois, comment subvenir aux besoins d’une famille, comment assurer les travaux de la ferme ?
L’ordre de mobilisation annonce le recensement et la réquisition des chevaux pour compléter les effectifs de l’armée !
Amputée de moyens, comment faire face ?
Forte, résolue, Marguerite transmet son courage et sa détermination à Marcelle et à Gérard.
C’est seulement la nuit, seule dans son lit, que les sanglots remontent de son ventre. La monstrueuse inquiétude se métamorphose en angoisse.
Effroyable, hideuse !
Pas de nouvelles !
« Le silence de Marcel, confronté à l’ennemi, quelque part, face au danger, face à la guerre, face à la mort, peut être… hante ses jours, obsède ses nuits… »
Marcel ?
Il a immédiatement rejoint le camp d’Auvours, à Champagné, près du Mans, son lieu de mobilisation…
Les baraquements, à la lisière des pins, pourraient faire penser à un lieu de vacances… En d’autres circonstances…
Ils sont plusieurs milliers à s’y entasser dans une promiscuité rudimentaire, en l’attente d’une affectation. Il faut jouer des coudes pour accéder aux sanitaires, à la cantine…
Consignés, tenus au secret, ils attendent…
Le moral alterne, selon les moments, entre la nostalgie, la crainte, et l’exaltation de quelques plaisants qui entretiennent l’emballement. Ils affirment que la mobilisation sera de courte durée, fanfaronnent : « les boches ne font pas le poids… on va leur rappeler la “déculottée” de la dernière, en 18 ? »
Peu à peu l’organisation du centre de mobilisation se met en place, les destinations sont annoncées, les paquetages distribués. Pas d’armes ni de cartouches, elles feront l’objet de dotations en temps utile.
C’est par le train que Marcel et ses compagnons réservistes, encadrés par quelques officiers et sous-officiers, rejoignent le quartier général (le QG) de Laval. Ils en assureront la sécurité.
C’est « la drôle de guerre » ; l’état-major des armées françaises organise son immobilité, son inaction, laissant à Hitler et aux nazis le temps de régler le sort de la Pologne avec leurs « amis » du moment, les Soviétiques…
8 mois d’immobilisme !
Au QG de Laval, pour les soldats du rang, la vie, monotone se résume aux parties de cartes interrompues par les heures de garde. Le cantonnement, dans la caserne, en partie désertée, offre de l’espace, une souplesse d’installation. Pas de cantine, les repas pris au mess des sous-officiers sont copieux, de qualité !
Les consignes, strictes, interdisent de révéler tout renseignement sur leur position et les effectifs… Toute information qui pourrait être utile à l’ennemi !
Les échanges par courrier sont gérés par la poste militaire, les adresses confidentielles, interdites, remplacées par une codification SP (secteur postal), anonyme…
À Saint-Calez-en-Saosnois, Marguerite improvise, fait face avec courage. Marcelle, après l’école, s’associe aux tâches ménagères, participe à la préparation des repas, prépare le biberon de Ghislaine, ne ménage pas ses efforts. Elle prend le nourrissage des poules et des lapins en charge, parfois, même celle des cochons. Elle sollicite Gérard, le bouscule, le tance lorsqu’il tarde…
Les devoirs de l’école, délaissés au profit de la contribution familiale !
Il a fallu répondre à la convocation, faire recenser les chevaux, les emmener à Marolles-les-Braults, à 8 kilomètres. Une journée sacrifiée. Le sort, pour cette fois, a été favorable, les autorités militaires ne les ont pas retenus. Marguerite, soulagée, fait l’objet de la convoitise des voisins moins chanceux… Une entraide se dessine, le prêt occasionnel d’une jument contre une journée de travail…
En France ?
C’est un coup de massue du 10 au 13 mai 1940 !
Les troupes « nazis » que l’état-major français attendait à la frontière allemande protégée par les forts de la ligne Maginot, envahissent le Luxembourg et la Belgique, les Pays-Bas, pénètrent en France par les Ardennes et les plaines du Nord.
L’armée française, restée, malgré les mises en garde de de Gaulle, sur les enseignements et le vécu de la précédente guerre. Bousculée par la mobilité motorisée des ennemis, culbutée par les chars et l’aviation des Allemands, désorganisée… L’armée française recule…
C’est la déroute…
Rouen tombe…
Le gouvernement s’enfuit à Tours, puis à Bordeaux…
C’est l’exode des populations civiles… des centaines de milliers de réfugiés fuient devant l’ennemi, affolés par les Stukas, qui, sirènes hurlantes, mitraillent, créent la panique.
Les rumeurs les plus folles circulent, abrutissent femmes, enfants, vieillards… Quelques militaires, déserteurs, se mêlent aux fuyards…
La Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs Élysées…
À l’arrière, à Laval, Marcel et les réservistes ont été armés, 10 cartouches par fusil !
Ils partent rejoindre une unité combattante pour soutenir la résistance des troupes françaises. S’installent pour la nuit dans un petit bois, près de Dreux.
Au petit matin, encerclés, menacés par les stukas qui vrombissent au-dessus d’eux. Les officiers jugent le combat inutile. Ils déposent les armes, se rendent sans avoir tiré un coup de feu.
Prisonniers !
Encadrés par la Wehrmacht en arme, les soldats français cheminent sur les routes jusqu’à un camp à une vingtaine de kilomètres. Un champ grillagé en plaine de Beauce, surveillé par quatre miradors armés de mitrailleuses et de leurs servants. L’entrée, contrôlée par des sentinelles escortées de chiens menaçants, est fermée par une barrière levante. À l’extérieur, deux baraques en bois abritent les gardes de la relève.
Les prisonniers parqués, livrés à eux même dans l’enceinte, forment des groupes, s’organisent. Les couvertures du paquetage se transforment en toiles de tentes tendues sur quelques rares bâtons trouvés au sol, arrimées avec les sacs. La saison, en juin, rend la situation supportable… tant qu’il ne pleut pas. Ils n’ont pas été nourris depuis leur capture. La faim, en ce deuxième jour, se fait sentir. Les maigres provisions individuelles sont épuisées. L’eau qu’ils avaient été autorisés à prélever dans un abreuvoir la veille au soir, devient rare, même économisée, mesurée…
Les latrines, sous forme d’un fossé creusé le long de la clôture, commencent à répandre, sous le soleil de l’été, une odeur à laquelle il faudra s’habituer…
Les conversations sont taries, un lourd silence s’appesantit progressivement sur le camp !
Conduite par un gardien, une citerne d’eau, attelée à un cheval entre dans l’enclos, provoquant une immense bousculade. Les chiens, non muselés, arrachent des lambeaux d’uniformes sanguinolents, rétablissent l’ordre et le calme, provoquant l’hilarité des sentinelles.
L’eau, libérée par un robinet éclabousse, ruisselle, détrempe la terre, tous les bidons ne seront pas remplis !
La distribution de boules de pain, en matinée du troisième jour, occasionne, après plusieurs instants d’ordres hurlés, d’aboiements et de bousculades, la mise en place d’une organisation.
Un officier, chef de camp, annonce :
« Une boule de pain par groupe de 6 personnes par jour. Le chef de groupe fera la répartition et sera autorisé à venir chercher de l’eau »…
À Saint Calez en Saosnois, vaillante, Marguerite persévère avec acharnement, les jours n’ont pas de fin !
Pas de nouvelles de Marcel depuis plusieurs semaines. Les voisins commentent la situation en France… Des rumeurs extravagantes accroissent l’angoisse… Certains, dans le village, s’organisent pour fuir, rejoindre les cohortes affolées qui vagabondent sur les routes…
Marguerite hésite, elle ne peut se résoudre à abandonner cette terre qui l’aide à survivre, ce havre, cet abri qui la sécurise… malgré tout…
Et puis, comment faire avec trois enfants, dont un bébé ?
Elle pourrait partir avec les juments, mais qui pour s’occuper du bétail et des autres animaux ?
Ne risque-t-elle pas de tout perdre ?
Que ferait Marcel ?
Et s’il revenait en son absence ?
C’est ici qu’il reviendrait, c’est ici qu’il la sait courageuse, résolue, fidèle…
Elle restera, elle fera face comme elle le fait chaque jour.
Son devoir n’est-il pas de garder, de conserver, de sauvegarder son maigre patrimoine ?!
Ce qu’elle a commencé à construire avec Marcel !
Juin 1940 :
La France capitule !
De Gaulle, sous-secrétaire d’État à la Défense, tente de convaincre le gouvernement, avec l’appui de Churchill, de continuer les combats.
Le 16 juin, Paul Reynaud, président du Conseil, démissionne. Albert Lebrun, président de la République, nomme le maréchal Philippe Pétain, héros de la « Grande Guerre », président du Conseil.
Le 17 juin Pétain demande l’armistice et en fait l’annonce radiophonique aux Français.
L’information se répand.
Le 18 juin, de Gaulle, réfugié à Londres, lance un appel à la résistance pour continuer les combats. Son appel radiophonique reste confidentiel.
L’armistice est signé le 22 juin en forêt de Compiègne, symboliquement, selon la volonté cynique de Hitler, dans le wagon où l’Allemagne avait signé sa reddition en 1918 !
La France est coupée en deux, les troupes allemandes occupent tout le Nord et l’Ouest, environ les deux tiers du territoire. Une frontière, la « ligne de démarcation » gardée militairement par la Wehrmacht. Le gouvernement français n’est pas autorisé à rentrer à Paris. Il s’installe à Vichy. Les Français, occupés, sont dans l’obligation de subvenir aux besoins de l’occupant. Les prisonniers resteront en captivité jusqu’à la signature du traité de paix.
Poussiéreux, sales, affamés, aigris, Marcel, les prisonniers amaigris, désabusés, végètent, déclinent, traînent leur langueur et leur désespérance.
L’officier, chef du camp, leur a annoncé l’armistice tout en éteignant tout espoir de libération prochaine…
Une lueur sur le camp :
Les moissons en Beauce, le « grenier de la France », sont en danger par manque de main-d’œuvre. L’occupant prend conscience de l’enjeu. Les prisonniers, ouvriers agricoles volontaires pour travailler, sont répartis dans les fermes…
Ils sont 3, avec Marcel, chez Boudard, une ferme de 300 hectares à Saint-Chéron-des-Champs au lieu-dit Trémémont. Un garde viendra, chaque jour, contrôler leur présence. En cas d’absence, ils seront recherchés, retrouvés, envoyés travailler en Allemagne. Le patron, monsieur Boudard, s’il ne signale pas leur absence, sera mis en prison !
300 hectares de céréales !
Un univers inconnu, inimaginable pour Marcel… Il s’adapte.
Ils sont nourris, quelques vêtements leur ont été donnés. Le patron, un homme d’une cinquantaine d’années, parle peu, seulement pour donner des instructions, des ordres. Ils prennent leurs repas à la même table. Aucun commentaire sur la situation en France. Les quelques échanges se limitent au travail. Le repas terminé, Boudard replie son couteau d’un claquement sec, tout le monde se lève, chacun retourne à ses travaux. Son épouse les ignore. Seule, la jeune femme, « bonne à tout faire », leur apporte un peu d’humanité tout en gardant ses distances.
Le soir, ils dorment dans une dépendance, transformée en dortoir, les conversations vont bon train !
Le dimanche après-midi, c’est « quartier libre ».
Après la sieste, chacun lave son linge de la semaine, dans un baquet. La patronne prête du savon. Ne pas gaspiller.
La journée, longue en cette saison, autorise une promenade dans le village, permet de rencontrer, d’échanger des informations avec les prisonniers des autres fermes…
Pas de contact avec les villageois, parfois un salut… Ils sont des prisonniers…