Histoire de la Félicité - Claude-Henri de Fusée de Voisenon - E-Book

Histoire de la Félicité E-Book

Claude-Henri de Fusée de Voisenon

0,0

Beschreibung

Un conte libertin où se glissent des réflexions morales.

POUR UN PUBLIC AVERTI. Les parents racontent à leurs enfants – de père à fils et de mère à fille – comment ils auraient pu mener une vie de libertinage et comment ils y ont finalement échappé. Comme les autres contes de Voisenon, Histoire de la Félicité est à la fois moral et érotique.

Un récit en prose comptant parmi les classiques de Voisenon et de la littérature érotique.

EXTRAIT

La Félicité est un être qui fait mouvoir tout l’univers ; les poètes la chantent, les philosophes la définissent, les petits la cherchent bassement chez les grands, les grands l’envient aux petits, les jeunes gens la défigurent, les vieillards en parlent souvent, sans l’avoir connue ; les hommes, pour l’obtenir, croient devoir la brusquer ; les femmes, qui ordinairement ont le cœur bon, essaient de se l’assurer en tâchant de la procurer, l’homme timide la rebute, le téméraire la révolte, les prudes la voient sans pouvoir la joindre, les coquettes la laissent sans la voir ; tout le monde la nomme, la désire, la cherche ; presque personne ne la trouve, presque personne n’en jouit ; elle existe pourtant, chacun la porte dans son cœur et ne l’aperçoit que dans les objets étrangers. Plus on s’écarte de soi-même, plus on s’écarte du bonheur : c’est ce que je vais prouver par l’histoire d’un père et d’une mère, qui, revenus de leurs erreurs, en firent le récit à leurs enfants, et sacrifièrent leur amour-propre au désir de les instruire.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude-Henri de Fusée de Voisenon (1708-1775) était un abbé et homme de lettres à l'esprit ouvert. Élu à l'Académie, il a été historiographe des petits-fils de Louis XV, protégé de la duchesse de La Vallière et ami de Voltaire. Voisenon a laissé derrière lui une œuvre lyrique et dramatique considérable, qui compte quelques contes grivois : Zumis et Zelmaïde (1745), Le Sultan Misapouf et la princesse Grisemine (1746), Il eut tort (1750) ou encore Histoire de la Félicité (1751).

À PROPOS DE LA COLLECTION

Retrouvez les plus grands noms de la littérature érotique dans notre collection Grands classiques érotiques.
Autrefois poussés à la clandestinité et relégués dans « l'Enfer des bibliothèques », les auteurs de ces œuvres incontournables du genre sont aujourd'hui reconnus mondialement.
Du Marquis de Sade à Alphonse Momas et ses multiples pseudonymes, en passant par le lyrique Alfred de Musset ou la féministe Renée Dunan, les Grands classiques érotiques proposent un catalogue complet et varié qui contentera tant les novices que les connaisseurs.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 50

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Histoire de la Félicité

La Félicité est un être qui fait mouvoir tout l’univers ; les poètes la chantent, les philosophes la définissent, les petits la cherchent bassement chez les grands, les grands l’envient aux petits, les jeunes gens la défigurent, les vieillards en parlent souvent, sans l’avoir connue ; les hommes, pour l’obtenir, croient devoir la brusquer ; les femmes, qui ordinairement ont le cœur bon, essaient de se l’assurer en tâchant de la procurer, l’homme timide la rebute, le téméraire la révolte, les prudes la voient sans pouvoir la joindre, les coquettes la laissent sans la voir ; tout le monde la nomme, la désire, la cherche ; presque personne ne la trouve, presque personne n’en jouit ; elle existe pourtant, chacun la porte dans son cœur et ne l’aperçoit que dans les objets étrangers. Plus on s’écarte de soi-même, plus on s’écarte du bonheur : c’est ce que je vais prouver par l’histoire d’un père et d’une mère, qui, revenus de leurs erreurs, en firent le récit à leurs enfants, et sacrifièrent leur amour-propre au désir de les instruire.

Thémidore et Zélamire étaient deux époux qui s’étaient mariés par convenance, s’étaient estimés sans s’aimer, et en avaient aimé d’autres sans les estimer. Ils avaient eu des enfants, par amour pour leur nom, s’étaient ensuite négligés par dissipation, et s’étaient fait des infidélités réciproques ; le mari par air et par mode, la femme par vanité et par vengeance.

L’âge les rassembla ; ils reconnurent leurs erreurs en cessant de les faire aimer aux autres ; l’amour-propre leur avait donné des faiblesses, l’amour-propre les en avait corrigés : ils avaient cherché le monde pour y trouver des louanges, ils l’avaient quitté pour éviter des ridicules ; ils s’étaient désunis par ennui, et s’étaient réunis par ressource.

Ils formèrent tous deux le même projet sans se le communiquer, c’était de faire tourner leurs fautes au profit de leurs enfants. Thémidore voulut raconter ses aventures à son fils Alcipe, pour lui faire connaître les écueils du monde. Zélamire voulut faire part des siennes à sa fille Aldine, pour lui en faire éviter les dangers.

C’est, je crois, la meilleure façon d’instruire des enfants. Il y a apparence qu’elle devint à la mode, car les jeunes gens ne font sans doute tant de sottises que pour amasser des matériaux pour la perfection de leurs descendants.

Voici le récit de Thémidore à son fils.

Histoire de Thémidore

Depuis longtemps, Alcipe, je désire de vous ouvrir mon cœur, et de vous marquer ma confiance, bien moins en vous donnant des conseils, qu’en vous découvrant mes fautes ; vous oublieriez les uns, vous retiendriez les autres ; des préceptes sont plus difficiles à suivre, que des défauts à éviter : un modèle de vertu fait souvent moins d’impression qu’un modèle d’imprudence.

J’ai été jeune : mon père, qui était plus rigide qu’éclairé, me donna une éducation dure et me dégoûta de la raison, en me l’offrant avec trop de sévérité ; il intimida mon esprit au lieu de l’éclairer, et dessécha mon cœur à force de réprimandes, au lieu de le nourrir et de le former par la douceur.

Les premières leçons qu’on donne aux enfants doivent toujours porter le caractère du sentiment ; l’intelligence du cœur est plus prématurée que celle de l’esprit ; on aime avant que de raisonner, c’est la confiance qu’on inspire qui fait le fruit des instructions qu’on donne.

Mon père n’en usa pas ainsi. Le titre de père me donna plutôt une idée de crainte que de tendresse, la contrainte où j’étais me fit prendre un air gauche qui ne me réussit pas ; quand je débutai dans le monde, mes raisonnements étaient assez justes, mais dépouillés de grâces, et bien souvent la bonne compagnie ne juge de la solitude de l’esprit que par son agrément.

Mon père m’avait présenté dans quelques maisons, et m’avait répété bien des fois que le point essentiel pour réussir était d’être complaisant ; mais pour l’être, sans passer pour un sot, il faut de l’usage du monde dans celui qui a de la complaisance, et du discernement dans ceux qui en sont les objets ; il faut qu’on sache gré à quelqu’un de se prêter aux goûts différents des sociétés, et l’on ne peut pas lui en savoir gré qu’on ne lui en suppose de contraires qu’il sacrifie : vous êtes assez payé de vous plier à la volonté d’autrui, lorsqu’on est persuadé que vous pouvez en avoir une à vous.

Mon esprit était trop intimidé pour me faire sentir cette distinction, les gens chez qui j’étais reçu étaient trop bornés pour l’apercevoir ; j’y allais tous les jours faire des révérences en homme emprunté, des compliments en homme sot, et des parties d’ombre en homme dupe. En un mot, je les ennuyais avec toute la complaisance possible, ils me le rendaient avec toute la reconnaissance imaginable.

Ce genre de vie me déplaisait fort, lorsqu’un jour de grande assemblée je crus, au milieu de trente visages hétéroclites, découvrir une femme qui, sans tirer à conséquence pour le lieu où elle était, avait une figure humaine ; je la regardai, elle le remarqua ; je rougis, elle s’approcha, je n’ai jamais été si embarrassé ni s flatté ; elle avait bien cinquante ans, mais je n’en avais que vingt ; ainsi elle était jeune. La conversation s’anima, c’est-à-dire, elle parla beaucoup, et je répondis fort peu ; mais comme toutes mes monosyllabes servaient de liaison à ses phrases, cela pouvait s’appeler une conversation. Je me souviens qu’elle me fit des avances très marquées. Je lui trouvai de la raison, elle en fut flattée parce qu’elle en manquait. J’eus le secret en peu de mots de dire plusieurs sottises ; elle loua mon esprit ; j’en fus enchanté parce que personne ne m’en trouvait. L’amour-propre noua nos chaînes, il en forme bien plus que la sympathie ; et voilà pourquoi elles durent si peu, c’est qu’on cesse de se flatter à mesure qu’on se connaît, et les liens se relâchent à mesure qu’on néglige le principe qui les a serrés.