Histoires à picorer - Marie Rousselet - E-Book

Histoires à picorer E-Book

Marie Rousselet

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Beschreibung

Appétit de moineau ou envie de dévorer des mots ? De 1 à 13 minutes de lecture, les Histoires à picorer varient les goûts : sucrées comme un bonbon, piquantes, amères, aigres-douces… Mélangez- les, savourez-les et laissez-vous emporter dans un tourbillon d’émotions, de rires, de réflexion et de tendresse.

Marie Rousselet, à travers des fictions issues de son imaginaire ou des aventures tirées de son propre vécu, nous livre ses pensées sur le monde qui nous entoure, tantôt drôle, tendre et délicat, tantôt cruel, injuste et cynique. Les travers de l’humain et ses plus beaux côtés sont mêlés dans l’univers fou, et pourtant tellement réel, que nous livre l’auteur au fil des 22 nouvelles à découvrir dans ce recueil.


À PROPOS DE L'AUTRICE 

Marie Rousselet est une auteure jurassienne, mariée et mère de quatre enfants, au rythme de vie effréné et trépidant.
Elle a plongé dans la lecture dès son plus jeune âge avant de laisser vagabonder son imagination sur les pages blanches de ses cahiers d’école. Sa plume virevoltait au gré de ses humeurs, de ses réflexions et de ses angoisses. Elle finit par accepter de dévoiler qui elle est au travers ses deux premiers livres :  Jamais seule  et Le petit guide de l’apprenti chasseur de fantômes. Médium, mais avant tout auteure, elle livre dans son troisième ouvrage Histoires à picorer un autre aspect de sa personnalité, qu’elle décline à travers de nombreux récits issus de son imagination ou de son propre vécu.

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Marie Rousselet

Histoires à

PICORER

Recueil de nouvelles

Illustration graphique : Graph’L

Image: Adobe stock et IA bing

Editions Art en Mots

Notes de l’auteur

Appétit de moineau ou envie de dévorer des mots ? De 1 à 13 minutes de lecture, les Histoires à picorer varient les goûts : sucrées comme un bonbon, piquantes, amères, aigres-douces… Mélangez-les, savourez-les et laissez-vous emporter dans un tourbillon d’émotions, de rires, de réflexion et de tendresse.

À Louise

Ad vitam (2 min)

Amélie trépignait sur le parvis. Tout le monde était déjà entré et un brouhaha s’élevait dans l’enceinte de l’église. Ce sera bientôt son tour d’arpenter l’allée centrale, sous les regards braqués sur elle. Elle serra un peu plus fort son bouquet de tulipes contre elle. Ces fleurs, c’était son choix, elle n’en voulait pas d’autres.

Ce sera bien vite fini. Dans une heure, le mariage sera célébré et elle pourra ensuite s’étourdir dans les vapeurs d’alcool de l’apéritif. Elle devait être forte. Ne pas faiblir. Ne pas pleurer. Surtout ne pas pleurer !

Les premières notes de la musique de Mendelssohn retentirent, faisant instantanément taire les invités impatients. Mais pourquoi maintenant ? C’est beaucoup trop tôt !

Elle passa la porte et vit Frédéric au loin, droit et solennel dans son élégante tenue de marié. Comme il était beau ! Son air grave et ému la faisait fondre plus que d’accoutumée. Son cœur battit encore un peu plus fort et elle dut faire un effort pour camoufler les tremblements de ses jambes.

Des flashs retentirent à son passage lorsqu’elle traversa la nef. Elle regardait toutes ces personnes venues exprès pour eux, en ce jour si spécial. Elle voyait des visages souriants, partout. Seul celui de sa mère restait crispé. Elle était la seule à savoir ce qui se jouait ce jour-là. La lèvre d’Amélie frémit en voyant le regard triste de sa mère, mais elle détourna vite la tête, afin de ne pas se laisser aller à une émotion inconvenante.

Elle se mit à sa place et attendit. La musique cessa au bout de longues minutes et le silence s’installa. Le prêtre prit alors la parole, et ses mots résonnèrent dans l’église recueillie. Il parla de l’amour franc et sincère qui liait les futurs mariés puis dicta leurs droits et devoirs, l’un envers l’autre. Frédéric semblait heureux. Ses lèvres étiraient un sourire discret et ses pupilles brillaient de toute sa joie contenue. Cela serra encore un peu plus le cœur en miettes d’Amélie. Elle tripotait machinalement les tiges de ses fleurs en serrant les dents. Elle pouvait pleurer après tout, cela passerait sûrement pour une forte émotion tout à fait concevable. Mais elle craignait d’être trahie sur ses véritables sentiments. Elle préféra donc enfouir tout cela bien profondément dans sa chair, créant une nouvelle plaie parmi toutes les autres creusées par le temps.

Elle écouta les discours plutôt gentils des proches et des amis. Ce qu’ils disaient sur Frédéric était vrai : un homme brillant, fidèle et juste dont la bonté n’avait d’égal que la générosité. Elle le reconnaissait bien dans ces paroles. Il n’avait pas changé depuis toutes ces années. Il avait toujours su rester le même. C’était sans doute pour cela qu’elle l’aimait autant.

Une nouvelle musique envahit le chœur. Le canon de Pachelbell cette fois-ci. Elle adorait cette musique et se laissa alors envahir par les accords enivrants de ce grand classique. Elle ferma les yeux et serra un peu plus fort le bouquet contre elle. Elle repensa à ces dernières années écoulées, faites d’espoirs et de frustrations. Tous ces sentiments contradictoires avaient détruit petit à petit son cœur jusqu’à cette journée qui l’achevait définitivement dans un jeté de riz et de confettis. Elle savait qu’une fois les dernières notes jouées, ils échangeraient leurs consentements mutuels, scellant à jamais une union qu’elle ne voulait pas, qu’elle n’avait jamais voulue.

Elle entendit le prêtre demander à Frédéric s’il souhaitait la prendre pour épouse, l’aimer, la chérir, jusqu’à ce que la mort les sépare. Son « oui » retentit comme un coup de feu, la touchant en plein cœur. Elle gémit. C’était fait. Plus rien ni personne désormais ne pourrait mettre un terme à ça. Le reste de sa vie ne serait pas suffisant pour se reconstruire.

Elle jeta un coup d’œil à sa mère qui essuyait discrètement ses yeux. Cette vision fit tomber les barrières fragiles qu’elle avait maladroitement posées autour de son âme. Telles des coulées d’acide, les larmes ruisselèrent le long de ses joues.

Elle tourna la tête au moment du baiser.

Elle n’avait pas la force de voir Frédéric embrasser sa meilleure amie, devenue sa nouvelle épouse.

Au resto : 1 (7 min)

« Slt BB, rdv se soir ché Berthe a 19h. Ad. »

Le SMS pique les yeux de Charlène, mais elle a l’habitude : Adrien est fâché avec la langue française, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Mais elle s’en moque, elle l’aime pour des tas d’autres raisons : il est gentil avec elle, brun, musclé et il a une BM. Le mec idéal en somme !

Ce soir, ils fêteront leurs trois mois d’amour. Pour l’occasion, Charlène s’est offert une jolie robe à fleurs bustier et des escarpins vernis argentés. Elle compte bien lui en mettre plein la vue.

De son côté, Adrien portera son tee-shirt fétiche sur lequel est inscrit « On en a gros ! », légèrement troué sous les bras. Tant qu’il ne fait pas de grands gestes, ils passent inaperçus. Il l’assortira d’un jean propre et d’une paire de baskets de la même marque que sa casquette.

19h sonnent à la petite pendule posée sur son plan de travail. Charlène se plante devant sa psyché et se regarde sous toutes les coutures. Elle apprécie ses épaules dénudées, la courbe de ses hanches et la finesse de ses jambes. Les escarpins galbent joliment ses mollets. C’est parfait ! Elle sort son téléphone portable, prend le reflet en photo et le poste immédiatement sur son compte Instagram avec, en légende : « Soirée en toute simplicité avec mon amoureux dans un beau resto ». Elle met une dernière touche à son maquillage charbonneux, s’envoie un baiser et un clin d’œil puis quitte son deux-pièces à petits pas. Elle sera en retard et elle imagine déjà son Adrien regarder par la fenêtre, se languissant de sa venue et sursautant dès que la porte s’ouvre. Il aura un large sourire quand il la verra, ses yeux brilleront de mille feux et il se lèvera, bras grands ouverts pour la serrer et l’admirer. Il sera superbement moulé dans une chemise cintrée qui fera saillir son torse travaillé par de longues heures de musculation. Il sentira bon le parfum et l’après-rasage. Il lui tendra une coupe de champagne dans laquelle il aura trempé ses lèvres.

Elle s’approche du restaurant et effectivement, il est bien là. Mais il a le dos tourné à la vitre et son tee-shirt trop large ne laisse rien deviner d’autre que des auréoles jaunâtres. Il est légèrement penché et la lumière bleue qui se dégage de ses mains indique qu’il est absorbé par son téléphone. Charlène entre dans le restaurant, attend qu’il se retourne… puis se résout à venir lui tapoter sur l’épaule :

— Ah, c’est toi ? demande-t-il, comme s’il était surpris de la voir ici. Vas-y, assieds-toi. Tu veux un Coca ?

— Bonjour mon cœur, susurre la jeune femme en l’embrassant tendrement. Tu vas bien ?

— Ouais, ça va… Je me suis juste pris la tête avec mon connard de banquier pour une histoire de découvert, mais bon, on s’en fout, ça ne va pas gâcher notre anniversaire ! Dis donc, t’as sorti le grand jeu, ajoute-t-il en sifflant entre ses dents et en lui tâtant les reins.

Il faut dire que Charlène dénote avec le lieu : restaurant plutôt familial (la jeune fille a déjà repéré une table occupée par une famille de quatre enfants sur sa gauche) qui sent bon la friture. Les tables sont recouvertes de nappes à carreaux, les couverts et assiettes sont simples et efficaces et la panière est déjà placée à table, remplie de tranches à la fraîcheur douteuse.

— Oui, j’ai voulu faire un petit effort pour toi.

— Fallait pas ! Regarde-moi, je me suis mis à l’aise ! Mais bon, j’avoue que t’es bien gaulée là-dedans ! Alors, tu veux un Coca ?

Le champagne attendra, va pour le soda. Elle prend place sur une chaise bancale et sur laquelle une tache poisseuse vient immédiatement se coller à sa robe. Elle préfère occulter cette information, et se concentrer sur son homme qui lui, semble absorbé par son petit écran :

— Qu’as-tu fait de ta journée ?

— Pas grand-chose, j’ai glandé…, répond-il sans lever les yeux.

Charlène attend qu’il relance la conversation, mais en vain. Elle enchaîne donc :

— Moi, j’ai revu Emilie aujourd’hui. Elle a changé de coiffure ça lui va bien.

Silence. Adrien ne lâche pas des yeux son téléphone.

La serveuse arrive pour déposer les boissons sur la table, accompagnées d’un bol de cacahuètes. Adrien pose alors son téléphone et se met à boire goulûment son breuvage dont les bulles ont pour effet immédiat de lui faire lâcher un rot magistral.

— La vache, j’avais soif !

— Oui, je vois ça… grommelle Charlène en tendant une main pour prendre une cacahuète.

— Tu sais que des analyses ont révélé que dans les bols de cacahuètes des bars, on pouvait trouver plus de vingt traces d’urines différentes ? La faute aux mecs qui ne se lavent pas les mains quand ils vont pisser…

Charlène repose l’arachide avec une mine de dégoût.

— Attends, c’est vingt ou trente ? Je vais regarder.

Le smartphone se rallume instantanément et Adrien part à la recherche de la précieuse information tandis que Charlène se plonge dans le menu : salade César, steak frites ou hamburger maison. Le choix est plutôt restreint. Elle entend les gamins de la table voisine se plaindre qu’il n’y a pas de nuggets.

— Qu’est-ce que tu veux bouffer ? Je vais m’faire un steak moi, bien saignant avec des frites. J’espère qu’ils vont pas décorer avec de la salade…

— Je vais prendre une salade César.

— Je te préviens, je file pas mes frites. Si t’en veux, t’en prends à part, mais tu piques pas dans mon assiette !

— Non, merci, je ne veux pas de frites.

— OK… Cécile ! Tu peux nous apporter un steak frites et une pauvre salade César ?

— Entendu ! lui répond la serveuse depuis le bar.

— Tu viens souvent ici ? demande Charlène.

— Ouais, j’aime bien. La bouffe est bonne… et la serveuse aussi ! ajoute-t-il en ricanant et en faisant un clin d’œil à Charlène.

Cette dernière fait mine de ne pas avoir entendu et tend ses mains par-dessus dans l’espoir qu’il les prenne tendrement. Mais ce privilège est finalement accordé à son smartphone qui émet à nouveau une faible lueur bleutée. Charlène ramène doucement ses mains sous la table et se met à triturer nerveusement sa serviette en papier. Adrien reste muet, pouffant parfois aux images défilant sous ses yeux. La jeune femme s’abandonne alors à la contemplation de la salle : les parents de la famille nombreuse semblent au bout du rouleau devant leur marmaille intenable et infatigable. D’autres couples et familles occupent des tables un peu plus loin.

À l’autre bout de la salle, deux personnes âgées, joliment apprêtées, se tiennent les mains en se regardant droit dans les yeux. Leurs regards sont fatigués, leurs doigts tremblent un peu, mais ce qui transparaît est la douceur de leurs tendres gestes qui parlent pour eux. Charlène ne voit pas leurs lèvres remuer : après tant d’années, peut-être se sont-ils déjà tout dit. Pour autant, leurs corps communiquent et ce qu’ils racontent est un témoignage d’une vie entière passée à s’aimer. C’est un moment de grâce unique, comme suspendu dans le temps. On pourrait croire qu’ils se retrouvent après des années d’absence ou qu’ils vivent cet instant comme s’ils savaient qu’il n’y en aurait peut-être plus d’autres. Charlène soupire en les observant, en se demandant si elle aussi vivrait de si beaux moments avec l’être aimé.

Son observation est brusquement interrompue par l’arrivée des assiettes : Adrien émet un grognement de joie à la vue de son morceau de viande dégoulinant de sang, trempant au passage des frites déjà molles. Quant à Charlène, elle peine à reconnaître la salade César qu’elle avait commandée parmi les morceaux de laitue, de tomates, de croûtons trop cuits et de bouts de poulets indescriptibles, le tout baignant dans une vinaigrette blanchâtre.

— Allez, bon ap’, beugle Adrien en engloutissant un bout de steak de la taille d’une semelle. Il devait d’ailleurs en avoir la consistance à en croire le bruit de mastication qui s’ensuit.

Charlène tente d’éponger le surplus de sauce en pressant un bout de tomate le long de son assiette. Elle le porte à sa bouche. Le verdict est sans appel : c’est dégueulasse. Le constat est bien différent en face d’elle au vu de la vitesse à laquelle Adrien s’empiffre. Le bœuf a quasiment disparu et les frites ont déjà pris une belle claque. Le tee-shirt est orné de nouvelles taches, ce qui ne semble nullement perturber l’épicurien qui ne lève pas le nez de son assiette. Deux minutes plus tard, il pose enfin sa fourchette qui n’a plus rien à piquer et s’empare à nouveau de son téléphone :

— Vas-y, prends le temps de manger ! lance-t-il à son invitée qui mâchouille péniblement sa volaille.

Charlène repousse son assiette au bout de deux bouchées. C’est vraiment infâme. De plus, son téléphone n’arrête pas de vibrer. Elle finit par le sortir et regarde les notifications qui s’affichent. Sa photo a visiblement séduit : plus de 65 likes et 39 commentaires. Ses amies lui ont majoritairement lâché un « T’es magnifique, comme toujours ! » tandis que de parfaits inconnus, visiblement affamés ont réagi moins subtilement. Charlène souligne un tendre « T’es bonne putain » et un délicat « Vire-moi cette merde qu’on voit ton cul ! ». Sa messagerie ne dénombre pas moins de 16 nouveaux messages, tous commençant par : « J’ai été émerveillé par votre brillant esprit, pouvons-nous devenir amis ? » et dont les photos de profils montrent des jeunes hommes à la carrure athlétique et au regard bleu acier.

— Tu veux un dessert ou t’as assez bouffé ? ricane Adrien en voyant l’assiette encore pleine de sa dulcinée.

— Non, merci, répond machinalement la jeune femme absorbée par la lecture de la prose de ses admirateurs.

— J’vais m’faire une mousse au chocolat ! Elles déchirent ici !

Charlène soupire, mais ne répond rien. Elle a terminé de lire les commentaires de sa photo et s’apprête à examiner celles de ses amies virtuelles. Adrien s’est lui aussi replongé dans l’examen de vidéos apparemment hilarantes. La mousse arrive sur la table et disparaît en quatre cuillérées. Si elle n’avait pas été écœurée, Charlène aurait pu être épatée.

La mère de famille d’à-côté se met à hurler :

— La vache, elle devient hystérique la meuf, ricane Adrien. Elle est tarée ou quoi ?

— Je pense plutôt qu’elle n’en peut plus avec ses enfants…

— Y a de quoi ! Quatre gosses ! Faut être sacrément con !

Les deux jeunes gens détournent les yeux en voyant la femme se diriger vers la porte d’un pas décidé.

Cécile dépose la note sur la table. Adrien s’en empare immédiatement, sous le regard attendri de son amoureuse qui voit là un geste raffiné de galanterie. Toutefois, l’effet est aussi fugace que la vie de la mousse au chocolat :

— Ça te fait 12 balles. Je t’offre le Coca ! 

La jeune femme ne répond pas : elle range son smartphone, sort un billet de 20 euros qu’elle pose devant Adrien et se lève :

— Tu vas pisser ?

— Non, je vais rentrer.

— Déjà ? Tu veux pas que je te raccompagne ?

— Tu es venu en voiture ?

— Ouais, elle est garée devant.

Charlène jette un coup d’œil par la vitrine et aperçoit la BM d’Adrien quelques mètres plus loin. Elle est quand même classe sa bagnole !

— OK, je veux bien que tu me ramènes chez moi… Mais avant…

Charlène se plante devant la voiture d’Adrien, enlace le jeune homme par le cou, prend une pose lascive devant son téléphone tendu à bout de bras. Le flash s’actionne une fois, deux fois, trois fois. La jeune femme est satisfaite de la dernière photo qui fait ressortir le bronzage de ses cuisses et sur laquelle le tee-shirt d’Adrien paraît propre. Elle la poste immédiatement « Merveilleuse soirée avec mon doudou. Je t’aime ».

Dans sa tête (6 min)

Chapitre 1 : Dans sa tête… Côté pile

« Elle vient de rentrer, toujours le même bruit de porte, toujours à la même heure. Son parfum la précède à chaque fois. Je ne m’en lasse pas de son parfum, le même depuis que je la connais. Elle le portait déjà, ce fameux soir au théâtre où elle m’a fait tourner la tête et le cœur, où ma vie a radicalement changé. C’est comme une signature olfactive et si quelqu’un d’autre venait à utiliser le même, je le verrais comme un affront. Seule ma femme a le droit d’en asperger sa peau et ses foulards. Aaah, ses foulards… je me suis déjà surpris à enfouir mon nez dedans et à me remplir de leurs senteurs. À chaque fois, une palpitation venait surprendre mon cœur endormi. C’était mon shoot, mon adrénaline, mon remède au blues. Qu’est-ce que je l’aime mon Amélie. Cela fait dix ans maintenant que je ne vis que pour elle et par elle. Elle m’a donné deux magnifiques petites filles qui sont mon rayon de soleil. Deux et quatre ans mes princesses. Émilie et Juliette. J’adore quand leurs rires d’enfant viennent chatouiller mes tympans. Elles sont la gaieté incarnée, la bonne humeur personnifiée. »

Amélie posa rapidement ses affaires sur la chaise et s’assit près de son mari. Comme à son habitude, elle lui prit doucement la main et la caressa de la pulpe de son pouce :

— Bonjour, mon chéri, tu vas bien ?

Et dans un flot de paroles continues, elle parla de sa journée, de ce qu’elle avait fait, de ses envies, simples et réalisables, de son quotidien sans heurts ni fantaisie. Un peu morne pour tout dire. Le ton qu’elle employait était monocorde et l’enjouement y avait, depuis longtemps, disparu.