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In Vigna est le journal de bord d'un vigneron regroupant ses pensées, ses peurs, ses joies, sa poésie, ses engagements d'homme et de père au quotidien, montrant toutes les facettes du métier de viticulteur ; ainsi que la magie renfermée dans chacune de ses bouteilles de vin.
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Seitenzahl: 334
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Nicolas Lesaint
In vigna
Dans la tête d’un vigneron
© Lys Bleu Éditions – Nicolas Lesaint
ISBN : 979-10-422-0960-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma Lilou
J’éclairerai vos endedans
Posant vos lèvres et en buvant,
J’illuminerai vos yeux juste un instant,
Ouvrant les cieux pour que vraiment
Vous compreniez mon rêve dedans.
Mais cela se dit crûment ?
Que je pourrais juste un moment
Atteindre votre endedans
Pour fusionner être et vivant
J’y crois encore, priez doucement
Car je m’envole depuis longtemps
Vers un voyage évanescent
Je suis dehors et vous dedans
Mais buvez-moi pour que perçant
Je puisse éclairer vos endedans.
Je suis là, assis, pensif, sur le bord du ruisseau.
Je regarde, tout simplement, je regarde…
Ma main droite puis ma main gauche. Leur douceur, leur rudesse, les accrocs et les cicatrices, la longueur des phalanges, la platitude des ongles. Je vois le grain de leur peau, je perçois les torrents de sang qui circulent dessous. Je vois les pulsations, la rougeur, les tendons qui bougent et glissent dans leurs gaines.
Main droite amie, main gauche liée à elle…
Pas une préférée, pas une plus forte que l’autre. Peut-être oui, si quand même, la droite favorite un peu de l’hémisphère gauche, pour les arts et l’écriture, pour la finesse de la précision de son toucher et la hardiesse de ses caresses sur le ventre de ma femme.
Mais la gauche me rappelle à elle.
Point de création sans un support, point de génie sans l’autre comme si la béquille de l’une pouvait être sa sœur ambidextre. Elles se regardent, se voient et à elles deux soutiennent ma tête lorsque tout va mal. Jamais la gauche n’en a voulu à la droite lorsque malgré elle le marteau dérapa et écrasa l’ongle du pouce… Jamais la gauche ne pensa se venger de sa sœur parce que maladresse du jour le sang avait coulé. Elles sont liées, elles sont deux, elles sont une, unies dans la volonté de faire et d’aider l’esprit à réaliser ce qu’il a pu un instant imaginer pour son corps. Solidarité absolue de ceux qui veulent aller ensemble vers demain sans regarder ce que l’autre a eu de mieux à un moment.
Seconde d’éternité, elles se regardent, se joignent et dansent dans les mains des autres.
Elles ont touché, elles ont senti la pierre, le sable, la neige, le chaud, le froid. Elles ont caressé, frappé, attrapé et clament haut et fort ce que l’histoire de l’homme qui les possède a écrit dans sa vie.
Puis un sillon se creuse au détour du poing, s’enfonce dans la paume pour indiquer un chemin, une contre-allée de la vie que certains aperçoivent déjà… Autoroute de demain, histoire d’hier, elles se disent tout. Comme si de cette évolution naturelle, de cette préemption de la pince magique, le singe était devenu roi. Comme si le pouce prenant de la distance, le poing serré, avait pu amener l’homme à prendre toute la verticalité dont il avait besoin.
Et je pense, et je pense et je pense, aux mains de mon père, à celles de ma mère, à celles de ma sœur, à celles de ma femme, à celles de ma fille… Je les imprime en moi, je les veux miennes. Elles me marquent et m’appellent de leurs poings pour que leur corne et leur digitale douceur calment cette peur qui est en moi.
L’odeur de sa propre main… Surtout de la gauche cette fois-ci, favorite du roi.
Odeur de calme, odeur de peau, odeur de vie et d’apaisement, odeur de moi et d’existence. Comme un rappel au défi de vivre, comme la larme qui vient lorsque l’on prend conscience de ne pas être comme on avait cru. Geste inlassablement répété et salvateur… Le poing serré se relâche, monte vers la face et offre au menton puis au nez la douceur de son parfum. Alors un instant, un moment, une fraction de seconde je suis de nouveau là, au bord du ruisseau et je suis calme. Odeur de l’enfance, fragilité de l’insouciance d’exister, instant de grâce où le monde tourne autour de soi…
Puis je reviens à moi, la lumière se fait, je suis de retour dans mon monde. Il va falloir se lever, il va falloir marcher, il va falloir vivre et avancer, surmonter ses peurs et ses craintes. Avoir confiance, en soi, en les autres, en leurs mains et en leurs gestes parce que demain on ne sait pas, parce que demain peut-être tout s’arrêtera, parce que ces joies et ces peines qu’on ne voit plus, parce que ces moments où tout se frotte il nous les faut au fond du cœur, au bout des doigts, le long des paumes. Il faut les voir et ne pas les oublier pour que ce jour où, affaibli par tout cela, défoncé par cette odeur de noir, on puisse au dernier instant se raccrocher à l’espoir… De les revivre… Une fois… Une dernière fois.
Je prends en rêve la main qu’on me tend, j’attrape le doigt et surligne sa ride, j’avance, j’avance, j’avance, sans savoir où je vais. Malgré cela j’y vais, heureux, joyeux et pénitent parce que je sais bien qu’au bout de tout cela il y aura toi il y aura moi et les autres, un tout, un simple tout qu’un instant j’aurai perçu au bord de ce ruisseau en regardant mes doigts.
Un jour j’suis dans mes vignes
Un jour j’suis dans la place
Un jour j’suis passionné
Un jour j’suis épuisé
Un jour j’suis bien heureux
Un jour je suis une vrille
Un jour je suis ma fille
Un jour je suis mon père
Un jour je suis la terre
Un autre je suis de l’air
Toujours courant, toujours planant,
Je vole au-dessus d’eux
Je gagne à leur côté
Et passe devant leur nez
Un jour je suis grincheux, un autre j’suis orgueilleux
Un jour je suis colère, un autre un peu sectaire
Un jour j’suis dans les larmes, un autre au bord du vide
Et le soleil arrive, lave tout et redresse mon âme
Alors le vent se lève, les feuilles flottent et battent le rythme d’un nouveau jour.
Un jour j’suis dans mes vignes
Un jour j’suis dans la gare
Un jour Abd al Malik
Un jour le grand Nico
Un jour j’suis dans mes grappes, un autre dans mes barriques
Un jour je bois du vin, un autre je bois la terre
Un peu à droite, un peu à gauche, un peu en haut, surtout en bas
Je passe, je vais, je viens et j’entretiens ce que l’on tient.
Un jour je suis un brave,
Un jour un sale ringard
Un jour je ne dors plus
Un jour je pleure de froid
Un jour j’ai mal au dos, un autre je pleure de joie
Un jour je suis mon corps
Un jour je veux qu’il sorte
Un jour je suis vieux.
Un jour je viens de naître
Mais toujours je suis réel
Un peu fou, un peu gamin à toujours regarder vers le ciel
Pour retrouver le jour de mon enfance où tout débuta…
Un jour je vais partir…
Un jour je ne serai plus là…
Et derrière moi je laisserai partir le vin des vignes
Qui coulera encore dans les verres en rappelant à ceux qui m’ont connu
Qu’un jour je fus bien là.
Au centre de tout cela naît la chaleur.
Il y fait sombre, il y fait chaud et un brouhaha extérieur tente de traverser les parois du nid. J’entends des paroles, enfin je les ressens, ondes vibratoires réussissant à atteindre mes tympans en formation, je sais déjà reconnaître celles qui tous les jours m’encouragent et me bercent pour continuer à patienter. Je ressens des caresses, des frottements, des poussées pour me contraindre à resserrer mes jambes et libérer un peu de place. Je flotte, moitié humain, moitié poisson, ne comprenant pas bien encore le pourquoi du comment ni le moment exact où j’ai pu commencer à ressentir tout cela. Quel interrupteur s’est ouvert, quel courant s’est mis à circuler dans mes veines pour qu’arrive l’instant magique où je commence à percevoir cette caresse sur mon flan…
Et puis quelqu’un ou quelque chose a décidé pour moi et de refuge il n’y eut plus…
Alors ce fut le choc, certains parlent de délivrance, je dirais plutôt une collision avec un univers qu’un astronaute découvrirait subitement en enlevant son casque alors qu’il pose son premier pied sur le sol sableux de la planète sur laquelle on l’a envoyé. Une violence, une déchirure, une séparation et déjà l’obligation de commencer l’apprentissage d’une autonomie humaine.
La première femme de ma vie me prend dans ses bras, me berce, me protège, tente de m’isoler de cette rudesse qui sera mon quotidien, alors je me colle, je me frotte, je me réchauffe comme je peux…
Et je reconnais sa voix…
Les notes douces de cette berceuse langoureuse que je ressentais dans son ventre. Le lien est rompu, le cordon est brisé désormais seule une cicatrice de cette première séparation avec une femme me brûle le ventre.
Est arrivée par la suite une ribambelle d’autres femmes… Déjà ma sœur, modèle, protectrice du bambin courant et gigotant pour imiter une maîtrise déjà bien plus grande que la mienne d’engins extraordinaires faisant naviguer mon esprit dans d’autres univers que mon quotidien de Lilliputien. Ma mère, ma sœur, la sœur, la mère, êtres étranges et admirables, mélange d’autorité et de douceur, de charme et de rigueur, accompagnèrent mes premières années. Façonnant mon cœur, sculptant ma sensibilité et ouvrant ma compréhension sur un monde machiste en perpétuelle recherche d’un étouffement féministe libéral et de l’utilisation de la féminité à des fins pas souvent ragoûtantes, j’ai grandi. La femme-objet, la femme modèle de puérilité incapable d’opinions, d’avis et de décisions si ce n’est celle du choix de la marque de lessive du foyer…
Ma tante m’a beaucoup influencé aussi, institutrice, petite, mais à l’avis affirmé sur les égalités sociales à mettre en avant, discussions, confrontations volubiles et bruyantes avec des oncles titillant avec délice cette corde affective tintant quotidiennement dans la maison de mes vacances estivales.
Les mains de ma grand-mère furent là elles aussi, recouvertes d’un papier à cigarette laissant transparaître sa fragilité, son histoire, son expérience, son savoir-faire et l’intelligence d’un esprit obligé d’abandonner ses études à une époque où la femme fille ou sœur aînée devait savoir remplacer la mère. Femme percutante, louve gestionnaire, sachant compter, gérer, aimer, voir et comprendre les faiblesses de l’âme. Femme engagée, femme usée par la vie, femme m’enseignant le respect de l’âge, des autres, du couple et de la parole donnée.
L’adolescence est venue, m’a traversé la tête et le corps me les déformant, étirant la carcasse dans tous les sens et positionnant poils et ridules à des endroits inattendus. Être dégingandé, de travers, colonne vertébrale branlante et muscles peu impressionnants… Alors les doutes, alors les rencontres et toujours une femme, toujours une amie, toujours une confidente, capable d’entendre, d’écouter, de réconforter et de cajoler au milieu d’hommes virilement épanouis dans le sport, les contacts physiques et les propos affligeants. La douceur, la sensibilité, la conscience de strates plus importantes derrière le tableau, la finesse de l’esprit et surtout la compréhension qu’en moi aussi une femme est là. Une part de féminité acceptée, parce que capitale pour mon équilibre mental, une moitié de moi qui toujours me dit de pondérer mes pensées et d’aller au-delà du rideau de nos idées préconçues, parce qu’historiquement incrustées dans notre tissu social.
Et puis il y eut elle. Et puis elle fut là. Double je ne sais pas, moitié complémentaire certainement, une femme, ma femme, réunissant le tout cela qui est moi, elle me grandit et m’éveille vers d’autres voies, baignant, entourant, encadrant ma vie, me donnant la dernière femme de ma vie, celle qui, portant un peu de moi, quelques gouttes de mon sang, quelques grammes de mes pensées, fut dans mes bras, dans mes mains, celles-là mêmes qui coupèrent le lien.
Mes femmes sont tout, mes femmes sont miennes, elles sont elles et tant d’autres choses. Les vôtres sont vous, aussi, alors protégez-les, écoutez-les, aimez-les et même si parfois Mars et Vénus semblent éloignées dites-vous bien que toujours, d’une manière ou d’une autre, à un moment donné votre vie a dépendu de l’une d’entre elles…
Alors vous repenserez au nid, alors vous percevrez de nouveau les odeurs et la douceur du refuge, celui-là même que dans vos pleurs vous suppliez de retrouver lorsque la vie vous susurre à l’oreille qu’elle va continuer à vous faire souffrir.
Toutes mes femmes sont là, toutes mes femmes sont en moi, elles sont mon corps, elles sont mon cœur, que cette journée ne soit pas uniquement votre journée, mais plutôt la poursuite de cette reconnaissance qu’une société égalitaire devrait avoir pour vous.
Je me souviens de la nuit…
Je me souviens de sa fraîcheur et des phares sur la route…
De la peur, de la joie, de cette valise qui fait une rotation dans la chambre et déverse son contenu sur le plancher.
Je vois ta mère à côté de moi, je vois ses yeux, son regard, sa peur, sa douleur et sa joie.
Je nous vois arriver dans un feu d’artifice de graviers et dans la recherche du lieu.
Je me souviens de l’attente, je ressens encore les myriades de questions dans ma tête et le doux plaisir de me dire que tu es là.
Un décor, une ambiance, une attente, des sons, des musiques, des odeurs, des moments uniques, incroyables, lents, profonds au fond de mon cœur et la douleur, et la souffrance de l’autre pour la joie et les larmes pour le bonheur.
Alors j’ai pleuré, alors j’ai aidé autant que j’ai pu et dans un hurlement final on t’a mise dans mes bras.
J’ai coupé le lien, j’ai rompu l’alliance acceptant immédiatement le renouveau, peau contre peau, regard l’un dans l’autre, on s’est marié, je t’ai épousé, à la vie, à la vie uniquement. Désormais tu es moi et je suis toi, ma beauté.
Alors tu as grandi, alors tu as rempli ma vie.
Dreamer que je suis, je t’avais déjà croisée là-haut, là-bas, dans un rêve, celui d’un père pour sa fille, celui d’un homme cherchant à comprendre pourquoi il était là.
Maintenant je sais, je comprends tout, un but, un pourquoi, une raison, une réponse, une mission, une idée, un profil de vie et surtout un sommet à gravir avec toi sans savoir ce qu’il y a derrière…
Tu es moi, je suis toi, cristallisation de notre amour, réalisation d’une poésie humaine au milieu d’un tout barbare que tu devras sauver. Sirène jetée à la mer, cinquième élément, tu es ma fille, tu es ma joie et ma fierté, tu es ma raison d’avoir été là au bon endroit, au bon moment pour que nos yeux se croisent et hurlent que ces mains se serrent.
Alors tu as grandi, alors tu as transformé et rempli cet espace invisible qui vibre autour de moi.
Chaque instant, chaque moment se fait et se fera en fonction du reflet de ton âme. De beaux moments, de bons instants et certainement des tristes aussi que j’emporterai avec moi lorsque l’instant sera venu.
Je vois tes yeux, je vois tes mains et tes jambes. Tes cheveux, surtout tes cheveux crinière mythologique capables de capturer le cyclope que je suis, regard tourné vers toi et ton avenir.
Je transmets, du moins j’essaie, j’ai compris que je n’étais là que pour cela, te donner les armes, le regard, toujours en contre-plongée, toujours à changer d’angle de vue pour mieux comprendre.
Regarde, regarde différemment des autres, prends du temps et de la distance pour cela, éloigne-toi, envole-toi pour mieux comprendre les autres, les tiens, les miens.
Sois toi, sois ton monde, ton univers, ressens les choses pour mieux les intégrer.
Je revois ta main dans la mienne, tes doigts, oui ça va il y en a bien cinq par main, j’entends tes pleurs, tes peurs, tes angoisses, tes joies et tes plaisirs.
J’essaie de me dire que demain un homme t’emportera…
Un rival, un jaloux, un amant, un homme qui devra t’aimer au moins autant que moi…
Je veux tout pour toi et encore plus, comme une supernova éclatant et englobant tout pour que toi, le centre de tout cela rayonne encore plus qu’à l’instant de ton premier souffle.
Tu es ma fille, je suis ton père, tu es mon âme, tu es ma raison de vivre et d’avoir un moment ouvert les yeux dans les bras de mes parents. Tu es tout cela et tu me manques… terriblement.
Tu es moi, je suis toi, je suis là, sur ce canapé, il est trois heures du matin, ta peur et ton angoisse sont passées, tu dors. Je sens ton souffle, son rythme, sa chaleur, la force de tes cinq doigts serrés sur mon index… Je suis seul dans cette maison silencieuse, ta mère dort au-dessus de nous, épuisée elle aussi.
Désormais nous sommes trois…
Cet instant, ce moment, cette compréhension sera toujours là à mes côtés et ne me quittera jamais ma fille.
Nous sommes trois, nous sommes trois et tu es moi.
Je t’aime ma fille.
Peut-être je me trompe peut-être je m’égare, mais je ne comprends pas pourquoi la partie serait trop belle et l’engagement volontaire trop fort pour permettre à celui qui l’ose d’atteindre le col qu’il s’est fixé.
Peut-être je me trompe, peut-être je m’égare, mais le bal est plus beau à plusieurs que seul à tourner sur ses jambes. Nous ne sommes pas nés un, mais nombreux à prendre des pistes, à choisir un angle, voyager, voler, s’orienter vers le haut, vers le bas pour grandir et atteindre la montagne là-bas. Alors tu marches, alors tu avances et doucement tu remontes le rift de ta vie. Tu colonises tes souvenirs, tu creuses des grottes dans ton cortex pour qu’à la fin du chemin ces abris deviennent tes refuges et que tu en sois fier. Autant d’espaces insaisissables, autant d’aventures intérieures riches de moments que personne ne pourra te prendre.
Peut-être je me trompe, peut-être je m’égare, mais je vois bien que le regard de l’autre reste dérisoire alors que celui que tu as là au fond du cœur ne te lâche pas. C’est lui qui te domine c’est lui qui te pousse et t’amène, ou pas, à te respecter et à surmonter ce que tu vois. Tu te regardes en face, tu t’auscultes, tu te jauges pour savoir si ce corps que tu as reçu permet à ton esprit de faire le bien. Tracer sa route avec l’autre et non à côté de lui, épaule contre épaule, genou contre genou pour qu’au moment de franchir l’estuaire tu ne sois pas seul à ressentir le vent et à creuser cette grotte intérieure.
Peut-être je me trompe, peut-être je me mens, mais les demains semblent plus sombres et plus violents. Pourquoi faut-il qu’à tout cela vienne se mêler l’amertume d’une jalousie sociale et raciale ? Pourquoi faut-il se voir comme des pantins dérisoires ne cherchant qu’à détruire l’autre et à prendre ce que sa chance lui a donné ? J’ai toujours cru que l’on irait ensemble, j’ai toujours pensé que la piste était tracée et que « plus jamais cela » gravé sur nos murs ne pourrait être effacé. L’horreur ne sert à rien, l’horreur ne scelle rien, elle ne fait que durcir les idées de haine et de vengeance. Alors cela ne s’arrêtera jamais.
Peut-être je me trompe, peut-être suis-je trop naïf, mais je me sens démuni face à cela ne comprenant que trop bien qu’intérêts politiques riment trop bien avec oubli et que la vision électoraliste des uns reste la seule flèche envoyée par nos têtes dirigeantes face aux poussées colonialistes des autres. Alors je me referme. Alors j’intériorise tout cela. Pour ne plus penser pour ne pas imaginer le demain de ma fille. Sentiment d’impuissance, idées dérisoires d’indifférence que je ne peux faire grandir en moi. Et je pleure en voyant tout cela sur les néons cathodiques de nos miroirs. Et je me meurs de tant de haine.
Peut-être suis-je naïf, mais malgré tout cela je me réveille et je me lève. J’écris, je parle, j’essaye de briller par le respect en sachant que pour un regard donné deux autres sont certainement là dans mon dos à vouloir briser cette idée selon laquelle demain ça ira mieux. Mais ce regard aura été là, pour moi, pour l’autre, pour mon enfant et ce qu’il devra faire et dire demain à ma place.
Explosions quotidiennes, destructions humaines, d’histoires, d’aventures et d’espoirs dérisoires de pouvoir se tenir par la main, chanter ses espoirs et ne pas entendre l’air se dilater et brûler les hommes et les femmes réunis autour de soi. Et tout cela passe, et tout cela se noie dans une brume informative nivelant par le bas l’importance du moment.
Peut-être je me trompe, mais on s’habitue, peut-être je me mens, mais cela devient normal, tu parles, on te fait taire, tu ouvres ton esprit à plus de tolérance et on te matraque la cervelle pour que celle-ci te pousse à fuir et à abandonner la place à ceux qui crient le plus fort. Alors demain, alors dans un an que se passera-t-il ? Encore et toujours l’éternel recommencement et les mêmes gravures sur les murs ? Pourquoi ne comprenons-nous pas, pourquoi n’avançons nous pas ? Pourquoi les gentils deviennent méchants et les haineux plus puissants ?
Alors je me retourne vers ma fille qui me demande ce que je fais de tout cela et je reste sans voix. Quel poids ai-je si ce n’est celui de dire ce que je ressens et au quotidien de tenter d’être là ému et violenté lorsqu’un illuminé oublie la part humaine qui coule dans ses veines ?
Il y a 300 000 ans l’homme naissait en Afrique, il y a 300 000 ans, il décidait de remonter coloniser le monde. De peuple en peuple, de métissage en métissage l’espèce humaine actuelle s’est constituée. Nous avons tous la même origine et sommes tellement plus proches les uns des autres que ce que nos aspects physiques et culturels peuvent le faire croire alors pourquoi faut-il en arriver là pour se révolter ?
Ce n’est que grâce à notre quotidien que l’on pourra changer les choses, faire que son rift rejoigne celui de l’autre et rende impossible l’inimaginable. Pouvoir baisser sa garde et voir l’autre uniquement par les chemins qu’il peut nous aider à tracer.
Mais peut-être je me trompe, mais peut-être je m’égare… Londres une nouvelle fois.
Des moments de toi s’envolent aux quatre vents, ils s’échappent, tout simplement et se dissolvent dans les rivières du temps pour ne laisser dans ta tête que des étincelles fugaces d’instants de vie que tu as croisées. As-tu bien vécu cela ? As-tu bien été acteur de cet instant ? Comme si un double attaché à ta peau avait vécu à tes dépens pendant que toi bien caché au fond de ton crâne tu t’étais reposé. Mis en réserve, en hibernation comme le ferait un plantigrade repu de trop de stimulations.
Ton cerveau sélectionne, il soupèse l’affaire, décortique l’action enregistrant momentanément l’air, ses odeurs et sa tension pour décider si oui ou non celui-ci restera imprimé à l’encre dorée de tes neurones vieillissants. Toujours surpris d’avoir une photo qui s’allume dans l’arrière du crâne pour te faire te rappeler de quoi ? Juste deux ou trois images d’une journée vécue dix ans auparavant…
Combien de journées oubliées, combien de moments inutiles qui finalement n’auront servi qu’à faire tourner ce corps, cette tête et assurer la mémorisation de l’instant capital de l’année empruntée durant l’été ? La mémoire, notre mémoire, ce savant mélange de puissance et de savoir, d’harmonie et de sagesse qui, à elle seule, est capable de nous ramener en un instant dans un espace-temps lilliputien. Des fractions de seconde dans une vie, des fourmis chevaleresques avançant malgré tout en sachant pertinemment que leur nombre ne sert à rien et que ce sont forcément leurs qualités propres qui les sauveront, ou pas, de l’oubli.
Voir la mémoire d’un autre s’effriter, voir sa parole s’enfuir et se demander si la lueur du regard suffira bientôt à faire comprendre que peu importe si l’on oubliera aussi cela et qu’alors seul devra être le moment, cet instant de vie et de bien-être, celui d’être ensemble et de partager.
Une lutte, un combat mené toute notre vie contre l’oubli, celui du quotidien des vacances, du travail, de la vie qui se transforme en une disparition totale et définitive du génie et de la beauté intellectuelle noyant les cales d’un navire brillant et irréductible.
Un échec ? Une défaite ? Un cheminement nous faisant retourner dans un néant de solitude et d’isolement pour rester de nouveau seul autour d’anonymes et de fantômes ?
Restent les instants…
Restent les bonheurs…
Restent les plaisirs…
Restent les enfants…
Alors s’ouvre ce nouvel océan, cette rivière que tu m’as fait découvrir à l’aube de ma naissance et dont il faudra que je t’aide à apprivoiser les derniers méandres, jusqu’au moment, jusqu’à l’instant, où par tes mains tu décideras de n’être plus qu’à toi et seulement à toi.
Je t’aime.
Ça te pique, ça te gratte, ça te mouille, ça te coule sur les joues pour nettoyer ton visage et briller dans le noir.
Ça te fouette, ça te rentre dans le cou pour te montrer où se trouvent les trous dans ta carapace de pluie, ça s’accélère, t’ébouriffe et fait décoller ta capuche. Alors tu te mets dos au vent tu plies les épaules et tu attends que ça passe, que ça t’évite tout en regardant du coin de l’œil les autres formes à tes côtés, obligées elles aussi de jouer le rôle du roseau de La Fontaine.
Et puis ça claque de plus belle, ça colle ton pantalon et imbibe le bout de tes manches qui dépassaient faisant voler à l’horizontale la moindre goutte qui s’en détache.
Finalement ça ralentit, et la pression sur ton dos diminue alors que quelqu’un semble avoir touché au variateur régulant la luminosité de l’espace. Tout se met à briller de plus en plus pour montrer ton environnement comme lubrifié par la pluie. Les corps se redressent, les têtes se lèvent, les yeux regardent à l’Ouest histoire de jauger l’adversaire qui semblerait vouloir se reposer un instant. Comme sur un ring, comme un boxeur reculant quelques instants pour retourner dans son coin et recevoir une gorgée bénie par son entraîneur, toi aussi tu peux baisser ta garde et tenter d’élucider la situation.
L’équipe se reforme, se parle de nouveau et reprend son travail. Réparation des fils, pliage, mise en place des marquants pour les futurs racottages, le ballet se fait dans chaque coin du vignoble. De nouveau le ciel est bleu, enfin le soleil brille et immédiatement la chaleur monte, faisant fumer chaque humain comme s’il sortait d’un dédale infernal. Capuches baissées cheveux au vent l’air assèche tout bien vite redonnant à chacun un peu d’énergie, un peu de plaisir à être là. Marins sur le pont, navigateurs dans la tempête l’impression d’être dans l’œil du cyclone en sachant pertinemment que si c’est bien le cas tout va repartir bientôt…
Déjà la luminosité change…
Le photographe adore, une ambiance, des ambiances, l’atmosphère d’un Ouessant, l’air au sommet du phare de la Jument, l’odeur de l’iode à pleines narines qui arrive et le vent qui de nouveau explose !!
D’abord c’est la pluie qui est là puis le soleil qui disparaît définitivement et la machine à laver qui reprend son cycle, programme essorage violent… Un rideau d’eau, une douche grandeur mousson entremêlée de grêle qui éclate tout autour. Une volée de plomb, pas de la chevrotine certes, mais ça te fait avancer dos voûté et si par malheur tu veux estimer combien de temps ça va durer alors ce sont tes joues qui s’en souviennent par des griffures glacées. Par salves successives les trombes sont là entrecoupées de glace et d’eau accompagnées même d’éclairs histoire de parachever ce paysage apocalyptique d’un Mars en colère. Les feuilles séchées des haies voisines sont arrachées au sol et zèbrent le ciel, on ne voit plus à dix mètres, la nuit dans le jour, la soirée au matin, la cave dans le jardin, tu restes là, accroupi sur toi même espérant au fond de toi que les autres vont jeter l’éponge et rentrer chez eux pour la journée. Mais toi tu es là, mais toi tu sais que ton métier est fait de ça, de ces conditions particulières de cette atmosphère de roman invitant au durcissement des corps et à leur vieillissement romantique pour certains.
Encore une brassée, encore une attaque, ça te griffe, ça te perle d’eau, ça t’inonde et imprime dans ton corps des souvenirs de glace et d’hiver. Souviens-toi mon fils, souviens-toi du col de l’Hospitalet, souviens-toi, toi contre mon corps recouvert par mon imperméable pleurant et grelottant tellement tes doigts te font mal. Rappelle-toi, tu as neuf ans, tu es en montagne, l’orage tout autour de toi, en haut du col, nous attendons ta sœur et tes cousins et au loin en contre bas nous voyons le refuge et sa cheminée qui fume. Souviens-toi de la pluie, de la grêle, de la neige, de ta douleur, repense à ma chaleur incroyable par rapport à ton froid, sèche tes larmes et reprends la marche dans ces vignes, ce n’est rien, ce n’est rien tu as vu pire…
Les yeux fermés, tu repenses, tu rêves, un instant bercé par les secousses du vent, bousculé par la grêle qui d’un seul coup se calme et laisse passer un rayon de soleil… Le même…
Celui-là que j’ai vu il y a trente-cinq ans en sortant du refuge de mon père, là-haut, là-bas dans mes montagnes. Refermé sur moi et mes sensations, je me rouvre au monde et regarde autour de moi comme si l’un d’entre nous avait pu disparaître emporté par une vague plus violente que les autres.
Tous les yeux regardent vers l’Ouest, vers cet océan qui nous envoie tout cela et nous savons tous que ce ballet reprendra d’ici peu… Juste une pause, juste un instant chaque année recroisé chaque année retrouvé et pourtant toujours aussi violent. Mars nous marque, Mars nous teste et nous rappelle les règles du savoir-vivre dehors.
Un peu marins, un peu montagnards, un peu perdus nous traversons tous, chaque année cette tempête qui me ramène à mon enfance, à mon adolescence, à ma vie d’adulte, à mon père sur le bord d’une touche de terrain de foot et moi grelottant, trempé, pleurant tellement j’ai mal de froid et lui qui me susurre à l’oreille : Rappelle-toi du col de l’Hospitalet, rappelle-toi de ce que nous avons traversé ensemble, cela n’est rien, cela n’est rien… Ça aussi ça passera, ça aussi mon fils…
Tapi dans l’ombre, il regarde entre les branches qui maintenant le camouflent.
Regard tordu, un peu vitreux comme celui d’un vieillard qui aurait perdu ses lunettes, il repense à tout cela… L’âge d’or de ses premiers émois, un temps oublié où, jeune garçon, il faisait la fierté de son homme. Carrosse magique, symbole de force et de progrès, il était arrivé pour révolutionner et soulager. Tirer, broyer, traiter, transporter, telles étaient ses missions. Point de repos ou alors savamment calculé entre deux saisons, il fut caressé, admiré, remercié par une attention de tous les jours. International tel était son nom sur le tableau de l’atelier !
Un oiseau s’approche, tourne la tête de côté, le jauge, l’admire et l’adopte pour son nouveau nid. Échappement magique, cabane à oiseaux mécaniques recouverte de ronces protectrices, le moineau devient son nouvel ami.
Son humain l’aimait, à n’en pas douter, il l’adorait même. Couple improbable, traversant la campagne pour aller rogner le carreau du coteau, tout le monde les connaissait. Mariés à la vie à la mort, crapahutant, se riant des dévers, chavirant aussi quand même une fois, ils étaient de tous les ciels, de tous les millésimes, de toutes les tempêtes.
Et puis le temps a passé…
Et puis les heures se sont accumulées…
Chez la machine…
Chez l’homme aussi…
Personne pour les aider, personne pour leur succéder, le jeu s’est arrêté…
Un matin, tous sont venus…
Un matin avec des fleurs, ils l’ont emporté…
Alors lui est resté là, dans le pré, contre la haie, à l’endroit même où pour la dernière fois le contact fut coupé. Les années se sont écoulées, les arbres ont poussé et de contours en rotations, l’arche végétale, le cocon d’épines et de soie s’est façonné pour le couvrir et le protéger de ceux qui auraient voulu l’enlever. Au chaud sous les ronces, lui, regarde le monde tourner. Sculpture magique le temps n’a plus d’emprise sur lui, la rouille le recouvre, son nom n’est plus lisible, son œil gauche à la pupille éteinte ne le gêne plus. Mais tout cela n’est plus important, son humain est parti et désormais il le sait son nouveau maître plumeux suffit à son bonheur.
Passé désuet, avenir incertain, vie de services et de dévotion, monstre mécanique écrasé par la nature, voici la fin d’un règne merveilleux imaginé par plus fragile que lui. L’histoire magique d’une machine abandonnée par les hommes, mais désormais aimée des oiseaux.
Camille taille aujourd’hui. Un jour comme un autre. Un matin d’hiver.
Un peu de froid, un peu d’humidité, moins qu’hier c’est déjà cela. Tête baissée, il regarde le pied qui est devant lui et réfléchit à son geste. Un automatisme répété des milliers de fois et pourtant cette fois-ci une hésitation, son esprit a divagué dans les airs pour finalement stopper net son index contre la gâchette de son sécateur électrique. Certainement ses écouteurs ont dû crier un peu plus fort que d’habitude ou le volume de son MP3 s’est certainement déréglé en frottant contre sa cuisse. Non en fait, rien de tout cela, juste une information, une de plus, juste une routine ondulatoire qui lui apprend la dernière news du moment. Puis il repart, puis il reprend son mouvement agrémenté d’une musique douce, de flashs publicitaires ou d’informations de dernière minute. Il est spectateur de tout cela comme si d’allumer la radio ne faisait que lancer une vie imaginaire bouillonnant là-haut dans un monde grouillant d’acteurs dont le graphisme ne serait qu’une pâle représentation de caricatures humaines décevantes.
Il pense à tout et à rien comme cela peut arriver lorsque l’on réalise un travail répétitif depuis deux mois. Au fond de lui il se crée un nid, un univers, une ambiance propice à l’écoute de soi, de ses attentes et de ses obligations à venir. Tiens c’est quoi ce bruit aigu qui vient d’arriver lorsque je relâche la gâchette, et puis surtout ne pas oublier ce soir la réunion parents profs du petit, je dois téléphoner à ce fournisseur pour la pièce du broyeur, Marie Jeanne pourra y aller dès qu’elle aura fini de tomber la pièce du bois, mais les bois ici sont un peu maigres faudra que je fasse quelque chose, c’est vrai que la saison a été compliquée et Pascal qui doit passer tout à l’heure, et la comptable qui m’a appelé, je sais, je sais pourquoi… et l’embouteilleur que je dois programmer pour dans deux mois, mais, et mon Massey, j’ai fait ou pas la dernière vidange, je sais plus…
Encore une page de publicité, encore un journal des news de 10 h, un imaginaire qui s’envole vers d’impossibles vacances et de nouveau une exaspération face à la vie débridée qui l’asticote au fond de ses écouteurs.
Des familles politiques qui n’écoutent plus, des instances dirigeantes qui se tiraillent et se mentent les unes aux autres pour mieux nous manipuler et faire le chemin des extrêmes. Un nouveau dirigeant, de nouvelles pseudoprimaires n’intéressant que peu de monde et certainement pas Camille naviguant juste dans une réalité ne lui laissant que peu de place à l’improvisation.
Alors il reprend sa taille passant de pied en pied alors que la pluie et le vent reviennent. Serrant les dents pour résister à l’envie de rentrer chez lui, il repense à ces accusations de détournements de fonds publics et aux rappels incessants de ses fournisseurs. Il s’énerve, il le sent bien, il le voit bien, secouant de plus en plus nerveusement les branches coupées pour mieux voir sa taille.
Alors volent devant ses yeux ces discours racoleurs et ces silences gênés ne faisant que révéler une envie de se faire oublier de peur de perdre aussi quelques électeurs. Qui pense à lui ? Qui a l’honnêteté de comprendre ce que sont les efforts physiques et mentaux qu’il fait toute l’année ? Le respect disparaît, il est mort. L’anathème est mis sur des valeurs qui à une certaine époque, avaient permis de fédérer les peuples face à la noirceur de l’homme. On remonte des murs et échafaude des stratégies de communication pour qu’au final tout éclate. Encore un attentat, encore un « allah akbar » détourné de son sens profond, une peur qui envahit même l’estomac de Camille alors que lui dans ses vignes lointaines il ne voit rien, ou plutôt si, on lui fait voir des choses déformées étirées par ceux qui veulent faire croire.
Se redressant pour se calmer, il souffle l’air de ses poumons se rendant compte qu’il s’était mis en apnée depuis trente secondes… Ses reins lui font mal, mais au moins ça c’est vrai et concret, comme quelque chose auquel on se rattache au milieu de tout cela, son corps, son outil, son ami.
Sa main cherche une cigarette et un briquet alors que dans ses oreilles on lui explique l’audimat du dernier Envoyé spécial… Il ne l’a pas vu, hier soir à cette heure-là, il dormait déjà épuisé par son carassonnage de la journée. Sa carcasse s’est mise en veille prolongée dans le canapé jusqu’à minuit… Puis rampant jusqu’au lit a terminé sa nuit dans un mélange de rêves surréalistes où les politiques parisiens venaient l’aider à achever sa tombée des bois… Un rêve, un cauchemar… Ségolène Royal et Nadine Morano réunies dans l’effort au milieu de ses cabernets !! D’ailleurs ça l’a réveillé Camille, brutalement même vers quatre heures du matin pour le laisser transpirant penser à ses créanciers du moment. Jusqu’à ce que le radio-réveil s’allume, lui rabâchant de nouveau que la campagne présidentielle était pipée…
Plus que quelques pieds, plus que quelques mètres cette fois-ci c’est de la grêle qui fouette son visage et mouille son cou il avance, il avance claquant les branches coupées vers sa gauche, il s’en moque c’est Supertramp à la radio, il peut bien repleuvoir il s’en moque il est au chaud au fond de lui.
Le rang s’achève. De toute manière il s’arrête, Météo France le met en alerte rouge, alerte aux vents violents, c’est vrai c’est la radio qui le dit ! Alors il décroche son sécateur, le range dans son coffre de voiture, il enlève ses écouteurs et éteint ce cordon ombilical le rattachant à la « vraie » vie, celle de là-haut celle qui décide pour vous et il écoute…
Le vent.
La pluie.
Les branches qui se frottent.
Et au loin contre le vent, le clocher qui sonne l’heure de rentrer.
Il redescend sur terre, revient à sa vie, celle, essentielle, qui l’a amené à vivre dehors et il comprend une fois de plus que l’essentiel se trouve uniquement dans ce qui nous a amenés à nous rapprocher de ce que l’on aime.
Loin, bien loin du brouhaha citadin.