Je vous ai tant aimées ! - Gladys Gailliard - E-Book

Je vous ai tant aimées ! E-Book

Gladys Gailliard

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Beschreibung

Laure Le Gall et sa cousine Julie Kervadec sont amies d’enfance avec Sean Lockwood, qui a perdu ses parents très jeune et a été adopté par les parents de Laure. Les trois copains ont fait les quatre cents coups dans leur jeunesse et sont restés très proches en grandissant, au point que Laure et Sean sont tombés amoureux et se sont mariés après leurs études. Leur bonheur aurait été entier sans la disparition soudaine de Julie. Cette dernière ayant trouvé l’amour a, en effet, décidé de partir faire le tour des pays méditerranéens avec son richissime mari, mais a toutefois négligé de donner régulièrement de ses nouvelles à sa famille. Pendant leur voyage de noce, le couple Lockwood a été enlevé et Laure s’est retrouvée prisonnière, dans une maison du Luberon, sous la surveillance de Paloma Crespo et de son frère Lorenzo. L’amitié qui a rapidement lié Laure à ses geôliers a aidé madame Lockwood à supporter l’absence de son époux parti, en tant qu’avocat, défendre un mafieux aux États-Unis. 

En parallèle, nous faisons connaissance avec Samantha Duval et Alain Mortal, qui se sont expatriés en Colombie et ont repris un hôtel-restaurant en bordure de plage. Malheureusement, la vie simple et tranquille souhaitée par madame Mortal va être chamboulée quand son mari, parti à Bogota intégrer une milice, s’est tué en marchant sur une mine.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Gladys Gailliard est âgée de 71 ans et écrit depuis près de 15 ans. Elle est mariée et a 2 filles et 3 petits-fils. Elle a travaillé pendant 41 ans en banque dans sa ville natale ARRAS (Pas-de-Calais - Hauts-de-France). Elle aime les séries policières à la télévision, lire et surtout écrire. Elle s'intéresse également beaucoup à l’actualité.

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Gladys Gailliard

JE VOUS AI TANT AIMÉES !

ROMAN

Ce livre n’est que pure fiction. Les lieux, noms et faits cités, même existants, ne sont ici que prête-noms.

Merci à ma fille Stéphanie pour sa patience et son aide à la relecture.

Merci à mon amie Marie José,

Fidèle, depuis toujours, à mes aventures policières, elle a su m’encourager

à écrire un livre plus sentimental et romanesque que les précédents.

“Ne vous laissez jamais faire en silence. Ne permettez jamais à personne

de faire de vous une victime. N'acceptez jamais que votre vie soit définie

par quelqu'un d'autre ; définissez-vous par vous-même.”

Robert Frost1

PROLOGUE

La forêt était noire, troublante, effrayante. La lune ne parvenait pas à traverser les branches serrées des grands cèdres touffus. Une fine pluie d’automne s’était abattue depuis deux jours sur le Luberon. Quelques feuilles mortes, trempées d’eau, jonchaient le sentier, rendant le sol glissant. Plus loin, en contrebas, on entendait le murmure assourdi d’une rivière.

De cet environnement calme et reposant se dégageait une odeur de fraîcheur, douce et agréable ; la même senteur que l’on retrouve, chaque été, après une petite averse ou aux abords des pelouses après un arrosage.

La marche était devenue difficile et dangereuse. A chaque pas qu’elle faisait, Julie trébuchait, en poussant des cris de terreur. Les arbres qui l’entouraient semblaient menaçants, cauchemardesques. Ils ressemblaient à des monstres géants, prêts à se jeter sur elle. Ses longs cheveux blonds s’accrochaient dans les branches, ce qui lui arrachait des cris de douleur.

*****

Elle essaya de courir, haletante, le souffle court, mais se cogna la tête et se trouva déséquilibrée. Brusquement ses pieds glissèrent dans la boue, elle tomba lourdement et se retrouva le nez dans une ornière. Elle hurla, tapant du poing sur le terrain humide, pesta contre elle-même, folle de rage. Au bout de quelques longues minutes, elle se releva difficilement, reprit sa course, mal assurée, tremblante de peur et de froid.

Soudain, surprise par le vol d’un oiseau, elle se retourna, retenant son souffle, épiant chaque bruit, chaque bruissement de feuilles. Elle ne savait pas où elle se trouvait, elle ne savait pas quelle direction prendre. Effrayée, elle se rendait compte combien une forêt peut devenir inhospitalière en pleine nuit.

Le point de côté qu’elle ressentait depuis quelques instants la faisait atrocement souffrir. Elle s’assit au pied d’un arbre et reprit peu à peu sa respiration. Elle laissa vagabonder ses pensées et se revit, de nombreuses années plus tôt, en Bretagne, jouant, courant et criant avec sa cousine Laure et leur ami Sean. C’était le bon temps, celui de l’insouciance et des joies simples. Mais ce temps avait passé vite, trop vite ! Pourquoi avait-il fallu qu’elle se laissât manipuler et fît souffrir sa famille et ses amis ? Mais le mal était fait et elle ne pouvait plus revenir en arrière. Si elle ne terminait pas ses jours dans cette forêt sinistre à mourir, elle n’aurait pas assez du reste de sa vie pour se faire pardonner.

Après plusieurs minutes passées à rêvasser, elle repartit plus lentement, à petits pas. Le vent dans les arbres résonnait à ses oreilles en sons lugubres et terrifiants. A chaque pas elle croyait entendre quelqu’un marcher derrière elle. Elle écouta mais n’entendit rien. A part le vent, elle n’entendait rien. Rassurée elle continua son chemin.

Brusquement une branche plus longue, plus grosse que les autres lui barra le passage. Elle tomba et sa tête heurta lourdement une pierre. Il lui fut impossible de bouger. Appeler à l’aide ne servirait à rien ; par ce temps personne ne se promène en forêt. A part elle, bien entendu...

Combien de temps resta-t-elle ainsi, immobile, à attendre les secours ? Des minutes ? Des heures ? Elle n’avait plus la notion du temps qui passait. Et soudain elle perdit connaissance.

*****

Sans qu’elle s’en rende compte, elle fut transportée à l’hôpital d’Avignon. L’ambulancier qui l’avait prise en charge la regardait avec affliction. Il ne la connaissait pas mais ressentait de la sympathie pour cette personne allongée sur le brancard, les yeux fermés, immobile et sans réaction. On aurait pu la croire morte.

- La pauvre, se dit-il soudain en l’enveloppant d’une couverture de survie, elle est littéralement congelée. Elle a dû passer plusieurs heures sans bouger, dans le vent et sur le sol humide. A son réveil elle pourra sûrement expliquer ce qu’elle faisait, seule, dans la forêt.

1

En France :

Ça y est, il fait jour ! Le soleil s’est enfin décidé à montrer le bout de son nez. Sean se réveilla doucement, s’étira en bâillant, se leva. Il ouvrit le volet et jeta un œil au-dehors, mais referma aussitôt les yeux. La lumière du jour l’éblouit et le mal qui lui cognait la tête l’empêcha de réfléchir clairement.

“Encore une journée qui commence mal, pensa-t-il. J’en ai marre de ces migraines à répétition ! Et puis je suis tellement crevé en ce moment ! Un jour tout va claquer dans mon crâne et si je m’en sors, je ne serai plus qu’une loque !”

Il aimerait se recoucher, mais Laure devrait bientôt rentrer de l’hôpital. Il secoua la tête.

“Ma pauvre chérie qui a dû bosser toute la nuit. Heureusement que c’était sa dernière nuit de garde. Comme elle doit être crevée ! soupira-t-il soudain. On mène une vie de dingue en ce moment mais, promis ma puce, je t’emmène en voyage très bientôt.”

Il sourit mélancoliquement et partit s’enfermer dans la salle de bain. Après une douche fraîche, deux grandes tasses de café fort et un Doliprane, le mal de tête n’était plus qu’un lointain souvenir.

“Tout compte fait, c’était pas si grave que ça. Je crois que c’est surtout la fatigue qui m’a assommé… et Laure me manque tellement !”

Grand, brun, le visage racé et les traits finement ciselés, Sean était beau à couper le souffle. Et à la délicatesse de ses traits s’ajoutait une élégance digne de ses origines “so british” : des épaules carrées, des jambes interminables et un bon mètre quatre-vingt-dix. Toujours impeccablement coiffé et habillé à la dernière mode, il avait une silhouette élancée et svelte. Ses grands yeux marron et son regard franc plaisaient beaucoup aux femmes qui croisaient son chemin. Combien d’entre-elles ne se seraient pas désavouées pour un simple regard de sa part ? Et lui leur rendait bien l’attention qu’elles lui portaient. C’était un homme à femmes dans toute sa splendeur.

Il s’assit sur le canapé, feuilleta un prospectus vantant les paysages fabuleux à découvrir dans des pays choisis et touristiques. Il ne pouvait pas décider quelle formule adopter ? Le voyage “tout compris” en Polynésie, avec l’hôtel les pieds dans l’eau, le sable fin, la mer turquoise ? L’excursion en Égypte, avec le voyage sur le Nil la nuit et les visites guidées dans la journée, pour y découvrir toutes les merveilleuses beautés antiques ?

“La première est plus reposante, juste pour moi, pensa-t-il en souriant, mais je sais que l’Égypte aura la préférence de Laure. Bah ! Je lui demanderai de choisir elle-même. Elle a bon goût, et puis c’est notre voyage de noce après tout, et c’est surtout à elle que je pense.”

Fermant les yeux, il se mit soudain à penser à son histoire avec sa tendre épouse.

*****

Laure Le Gall et Sean Lockwood s’étaient connus sur les bancs de l’école primaire. Enfants, ils étaient toujours ensemble, inséparables, jouant aux mêmes jeux, écoutant la même musique, se moquant des mêmes personnes. Au grand dam de leurs parents, ils étaient toujours les premiers à faire  “la bêtise du siècle”, ce qui d’ailleurs les faisait bien rire.

Quelques années plus tard, suite au décès accidentel de Peter et Kate Lockwood, les parents de Sean, monsieur et madame Le Gall avaient décidé de s’occuper du jeune orphelin. L’amitié des deux enfants s’en été trouvée renforcée, et bien souvent ils se faisaient passer pour frère et sœur.

Dans sa jeunesse, Sean avait connu des jours heureux, entre un père directeur d’une usine britannique implantée en France et une mère artiste peintre. Mais le bonheur ne dure pas, et peut-être pour lui reprocher d’être heureux, la vie lui avait enlevé les deux personnes qui comptaient le plus pour lui. Et si les parents de son amie d’enfance n’avaient pas montré tant de générosité à son égard, que serait-il devenu ? Il y pensait souvent et chaque fois, pour chasser ses idées noires, secouait sa tête, ne voulant profiter que du moment présent.

Puis le temps avait passé et à dix-huit ans, le bac avec mention en poche, les deux amis étaient partis à Paris. Laure s’était inscrite en fac de médecine, tandis que Sean se destinait à devenir avocat. Et pour la première fois de leur vie, ils s’étaient trouvés séparés. Accaparés par leurs études, les jours, les semaines, les années passaient vite, sans qu’ils se sentent tristes ou délaissés l’un par l’autre.

Mais combien de temps auraient-ils pu vivre ainsi ?

Après quelques aventures sans grande importance, de part et d’autre, après un mariage vite fait mais plus vite défait pour Sean, chacun d’eux avait réalisé la profondeur des sentiments qu’il avait maintenant pour son camarade d’enfance. Et très vite ils avaient décidé de se marier.

Le mariage avait eu lieu, quelques années après la fin de leurs études. Ce fut un mariage civil bien entendu, puisque Sean était divorcé, mais Laure ne s’en était pas formalisée, tant elle aimait son futur mari.

Et depuis ils menaient une vie à cent à l’heure. Sean avait acquis une belle notoriété professionnelle depuis l’ouverture, quelques mois auparavant, de son cabinet d’avocat à Vannes et Laure avait pris un poste aux urgences de l’hôpital de la même ville. Il ne leur restait plus qu’à agrandir leur famille et leur vie de couple serait au comble du bonheur.

C’est ce qu’espéraient intimement et profondément leurs famille et amis, qui ne comprenaient pas ce qu’ils attendaient, et très souvent leur demandaient :

“Pourquoi vous être précipités pour vous marier, si ce n’est pas pour nous donner la joie d’accueillir un petit être que nous pourrions chérir ?Et puis vous avez presque trente ans, il faudrait quand même y songer !”

Mais les deux tourtereaux ne l’entendaient pas de la même oreille. Pour le moment leur vie amoureuse et leur boulot suffisaient à leur bonheur. Pour le bébé ils verraient plus tard !

*****

Mais revenant à l’instant présent, Sean s’étonna que Laure ne soit pas encore rentrée.

“Elle n’a pas l’habitude d’être en retard. Pourvu qu’elle n’ait pas eu d’accident ! pensa-t-il inquiet. Une panne de voiture est toujours à redouter.”

Près de chez eux, il y avait eu, ces derniers temps, quelques accidents sans gravité, et bien que ceux-ci ne soient que matériels, ils laissaient une trace dans l’esprit des gens qui tremblaient à chaque contretemps venant troubler leur vie quotidienne.

Soudain le bruit des clés à la porte d’entrée vînt le rassurer. Il se précipita à la rencontre de sa chère épouse et la prit tendrement dans ses bras, l’embrassant dans le cou, heureux de sentir enfin son doux parfum flotter dans la pièce.

- Chérie ! Enfin ! J’étais mort d’inquiétude. Cela fait au moins une heure que tu aurais dû être là !

Laure lui sourit tendrement, émue de voir à quel point elle comptait pour son cher mari. L’amour qu’elle lui portait était sans faille et elle était toujours ennuyée de lui causer de la peine. Elle blottit sa tête au creux de son épaule et lui embrassa tendrement la joue.

- Excuse-moi, mon amour. C’est vrai, j’aurais pu te téléphoner, mais tu sais comment cela se passe. Je ne pouvais pas laisser les collègues dans l’embarras avec le boulot qu’il y a en ce moment. Mais dis-moi, est-ce que ça va, toi ? As-tu passé une bonne soirée ? Tu as l’air fatigué. Ta tête te fait encore souffrir ?

Il sourit en la serrant contre lui.

- Ma tête va mieux et oui, je suis fatigué. Pour ce qui est de la soirée, elle a été bonne. Les voisins sont venus regarder le foot à la télé et après nous avons discuté jusqu’à pas d’heure. Enfin, tu les connais…Mais si tu n’es pas trop fatiguée, viens t’asseoir et raconte-moi ta dernière nuit à l’hosto.

Pendant près d’une heure, assis sur le canapé, bien lovés l’un contre l’autre, elle lui décrivit en détail sa dernière garde. Avec un serrement au cœur elle lui parla des petits vieux qu’elle aimait et ne reverrait plus, mais également des enfants, tellement attachants, et des dessins qu’ils avaient faits pour elle. Il la sentait tellement bouleversée que Sean ne la questionnait plus, la laissant parler, déverser toute son émotion. Il l’embrassa tendrement et s’aperçut soudain qu’elle pleurait à chaudes larmes.

- Je suis désolée, s’exclama-t-elle. Je ne voulais pas te montrer ma tristesse, mais c’est plus fort que moi. Je ne suis pas restée longtemps à l’hôpital, mais je m’étais fait de véritables amis et tous vont me manquer.

- Ce n’est rien, chérie. Pleure si ça peut t’apporter un peu de quiétude. Et n’ai pas peur de me parler si tu as de la peine, je serai toujours là pour toi.

Au bout de quelques minutes, enfin calmée, Laure lui sourit. On aurait pu croire que toute émotion l’avait quittée, mais les tremblements de ses mains jointes et les soupirs qui soulevaient sa poitrine témoignaient du trouble qui l’habitait encore.

Elle fit un effort pour demander :

- Mais toi, raconte-moi ta soirée. Vous n’avez pas fait que regarder la télé et boire, je présume.

- Tu as raison. Nous avons bien parlé, surtout de toi et de l’ouverture prochaine de ton cabinet. Tu sais nos amis sont contents pour toi. Reprendre la patientèle du docteur Mantel est une formidable opportunité.

Il lui sourit malicieusement avant d’ajouter :

- Je suis certain que beaucoup d’entre eux vont s’inventer de nouvelles maladies rien que pour le plaisir de te consulter. A la moindre petite toux tu les verras débouler dans ton cabinet.

Toute nostalgie disparue, elle se mit à rire franchement.

- Mais je les attends de pied ferme, dit-elle, et avec moi ils ne seront pas soignés à la bière, tu peux me croire… Bon, maintenant je vais me coucher. J’ai rendez-vous avec Bernard Mantel en fin d’après-midi. Nous devons finaliser la vente du cabinet devant le notaire et dans quelques jours je pourrai prendre mes nouvelles fonctions.

- Tu ne veux vraiment pas que je t’accompagne ? Je ne voudrais pas que tu te fasses avoir avec une clause du contrat que tu ne comprendrais pas.

- On en a déjà discuté et je te dis que tout va bien. Tu connais Mantel, il ne ferait rien qui puisse me nuire... Si tu peux me réveiller à 15 heures ?

- OK, mon poussin. Repose-toi bien... Je t’aime, ajouta-t-il en lui envoyant un baiser avec la main.

Il la regarda monter l’escalier menant aux chambres et pensa qu’il avait bien de la chance d’avoir à ses côtés une femme aussi belle, aussi intelligente mais surtout aimante et attentionnée.

“Je ne pourrais plus faire sans elle ! Comme je l’aime ! Elle est mon amour, mon seul amour !”pensa-t-il en souriant.

2

Ils roulaient depuis quelques heures, heureux, enfin seuls. Depuis le temps qu’ils avaient programmé cette escapade ! Et le moment tant attendu était enfin arrivé. Dix jours ! Dix longs jours rien qu’à deux, rien que pour eux ! Une lune de miel en quelque sorte. Celle qu’ils n’avaient pas eu le temps de faire après leur mariage. Au retour, bien entendu, le quotidien reprendrait le dessus. Il leur faudrait retrouver les patients pour l’une et reprendre le chemin du cabinet pour l’autre. Mais pour l’instant leurs esprits étaient loin de tous les tracas habituels.

Ils n’étaient jamais partis ensemble, aussi loin. Les études, l’installation de Sean et la reprise de patientèle pour Laure ne leur avaient pas permis de s’absenter bien longtemps. Mais la vie est ainsi faite. Aussi quand Sean avait proposé à sa tendre épouse de faire un break et de partir sur la Côte d’Azur, Laure ne s’était pas fait prier.

Sans quitter la route des yeux, Sean lui dit, feignant un ton de désespoir :

- Je sais que tu aurais préféré l’Égypte et une belle croisière sur le Nil, mais je ne pouvais pas m’absenter bien longtemps. Je comprends la déception que tu ressens, mais dès que possible, nous le ferons ce voyage qui te tient tant à cœur.

Laure était effectivement un peu peinée, toutefois elle savait que son mari faisait ce qu’il pouvait pour lui plaire et le rassura immédiatement. Lui touchant tendrement le bras, elle répondit :

- Ne t’inquiète pas, mon chéri. Ce n’est effectivement pas ce que j’aurais choisi comme voyage, mais nous allons néanmoins passer un agréable séjour tous les deux. Et puis, de mon côté, je ne peux pas non plus m’absenter trop longtemps. Les patients ont besoin de moi.

*****

Cela faisait trois mois que le cabinet médical marchait à plein temps, et l’arrivée de Julie, une secrétaire médicale embauchée pour décharger Laure de toute la paperasserie, avait été une aubaine. Les deux jeunes femmes étaient cousines, le père de Julie et la mère de Laure étant frère et sœur. Deux années les séparaient, mais leur ressemblance était frappante. Pour ceux qui ne les connaissaient pas, il était facile de les prendre pour des jumelles.

Blondes, les cheveux ondulés, la silhouette élancée et l’allure svelte, tout les rapprochait, et pas seulement le physique. Elles avaient une intelligence au-dessus de la moyenne, ce qui faisait jalouser leurs copains de classe. Petites filles, elles avaient été élevées pour ainsi dire ensemble, tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre. A l’époque, elles formaient avec Sean un trio infernal, toujours prêt à la moindre bêtise. Et en grandissant, leur amitié ne s’était pas ternie, Julie ayant d’ailleurs été témoin au mariage de sa cousine. Si bien que quand le besoin d’aide s’était fait sentir, Laure n’avait pas hésité à faire appel à celle qu’elle considérait comme sa petite sœur.

- Tu es sûre que ça ne te dérange pas ? avait demandé Julie. Je ne voudrais pas qu’on t’accuse de faire du favoritisme. Après tout le poste peut convenir à n’importe qui d’autre.

- Ne t’embête pas. Je sais ce que je fais. Il me faut quelqu’un assez rapidement et tu es la plus qualifiée. Pour l’instant, je te propose un poste de secrétaire, mais au fur et à mesure que tu connaîtras le boulot, tu pourras mettre en pratique les études d’infirmière que tu as si brillamment réussies. Et dans quelques années, il se pourrait bien que tu puisses te mettre à ton compte, en ouvrant ton propre cabinet. Si tout va bien, j’ai le projet d’ouvrir un centre médical dans lequel tu pourrais avoir ta place.

Julie avait eu les larmes aux yeux devant tant de gentillesse et de bienveillance.

- Comment pourrais-je te remercier ? avait-elle demandé.

- C’est bien simple. Dans un mois, Sean et moi partons quelques jours en vacances. Le docteur Mantel assurera l’intérim. Si tu peux le seconder cela lui fera plaisir. Et il ne refusera pas un coup de main.

- OK ! Merci Laure, avait répondu Julie en sautant au cou de sa cousine.

Et comme prévu, un mois plus tard, monsieur et madame Lockwood avaient pris la poudre d’escampette, pour un voyage bien mérité, qui serait très apprécié, à n’en pas douter.

*****

Après quelques heures de route, ils arrivèrent enfin sur la Promenade des Anglais. Il faisait un temps magnifique en cette fin septembre. L’été indien dans toute sa splendeur. Sur les plages, moins peuplées qu’en haute saison, se prélassaient les chanceux retraités, ceux-là mêmes qui pestaient le mois précédent contre la foule des estivants indisciplinés et envahissants, venus déranger leur quotidien.

Quelques boutiques de souvenirs avaient baissé leurs rideaux de fer, les terrasses des pizzerias et crêperies étaient presque désertes, mais le calme de cette fin d’été à Nice n’était pas pour déplaire aux deux amoureux. Les rues avaient un aspect plus intimiste et la ville, débarrassée de toute cette faune estivale, reprenait peu à peu son visage habituel. On y respirait plus facilement et les niçois, comme tous les habitants de la côte d’Azur, retrouvaient une vie plus calme et plus douce.

Laure et Sean se félicitaient d’avoir choisi cette période pour effectuer le voyage qui leur tenait tant à cœur. Ils avaient réservé une chambre dans un luxueux hôtel, avec vue sur la Baie des Anges et comptaient bien profiter de leur séjour pour excursionner et ramener plein de souvenirs dans leurs bagages. Ce qu’ils firent, d’ailleurs, dès le lendemain.

Leur toute première visite prévue fut pour la Principauté de Monaco, son site exceptionnel entre mer et montagne, son Musée Océanographique et surtout son jardin exotique surplombant la baie.

- J’aimerais voir la relève de la garde à 11 h 55 sur la place du Palais, dit Laure. J’ai d’ailleurs retenu une table dans une petite pizzeria non loin de là. Ensuite, je voudrais voir la Grotte de l’Observatoire et également m’imprégner des odeurs des fleurs rares du jardin. Nous ferons notre possible pour tout faire, mais je préfère prendre mon temps pour admirer le paysage.

- Tout cela en une journée, ça va être short, souffla Sean à l’oreille de sa femme.

- Eh bien ! dit-elle, si nous n’avons pas le temps de tout faire, nous y retournerons un autre jour.

- Comme tu es exigeante, répondit Sean, en souriant. Mais j’aime te voir ainsi, prendre les décisions. Je t’aime et je ne veux que ton bonheur.

Il lui prit tendrement les mains et les embrassa fougueusement.

Les deux amoureux furent fascinés par la visite du Rocher et de toutes ses merveilles. Laure n’avait pas assez de ses deux yeux pour s’imprégner de toute cette beauté, du paysage baigné de soleil, des yachts, amarrés dans le port de plaisance, qui reflétaient la “dure vie” de leurs propriétaires.

- Quelle splendeur ! s’exclama-t-elle, toute éblouie. Cela n’a rien à voir avec les prospectus que nous avons pu consulter. Je ne regrette vraiment pas l’Égypte quand je vois un tel panorama. Rien à voir avec ce que l’on peut visiter dans notre Bretagne, ni même dans une autre région de France. Moi qui aime la mer, je suis servie.

- Ton enthousiasme me fait plaisir ma chérie, lui répondit Sean en lui lançant un regard plein d’amour et de bienveillance.

S’ensuivirent des embrassades, des étreintes à n’en plus finir. Ils étaient heureux d’être ensemble, loin du quotidien oppressant, seuls au monde... ou presque.

Leur périple monégasque se termina par le casino de Monte-Carlo. Entouré de jardins, ce dernier possède une terrasse d’où la vue impressionnante s’étend jusqu’à la pointe de Bordighera2 en Italie. Les deux tourtereaux ne se lassaient pas d’admirer la beauté naturelle qui les entourait. Leurs appareils photos et leurs téléphones renfermaient tous les merveilleux souvenirs qu’ils souhaitaient ramener en Bretagne.

Les jours suivants, les excursions continuèrent par une célèbre parfumerie à Grasse (La Bastide des Arômes), dont ils avaient lu de bonnes critiques. Mais ce qui les attirait le plus était, bien évidemment, la cuisine régionale (soupe au pistou, salade niçoise arrosée d’un petit rosé du pays et bien entendu les desserts plus succulents les uns que les autres).

Les vacances commençaient sur les chapeaux de roues, ce qui n’était pas pour leur déplaire. Dix jours si sont vite passés et ils avaient tant à découvrir.

*****

Un matin, comme ils en avaient pris l’habitude chaque jour, ils demandèrent le petit-déjeuner dans la chambre. Le serveur attitré à leur étage avait tout de suite sympathisé avec eux. Il leur apporta les plateaux sur lesquels étaient délicatement déposés une rose pour madame et le quotidien Nice-Matin pour monsieur. Des petites attentions très appréciées par les amoureux qui n’avaient pas l’habitude d’être choyés de la sorte.

Deux heures plus tard ils crapahutaient sur les hauteurs, à la recherche du plus beau panorama, de la vieille église ou du musée, vantés dans les prospectus que leur avait procurés le réceptionniste de l’hôtel.

Et depuis quatre jours qu’ils étaient là, les heures passaient sans qu’ils s’en rendent compte. Il y avait tant à faire, tant de jolies choses à voir, tant de restaurants à découvrir et tant d’amour à se donner et à se faire !

3

Un soir, alors qu’ils venaient d’entrer dans leur chambre, le téléphone de Laure sonna.

- Allô ! répondit-elle, inquiète en ayant reconnu le nom de son interlocuteur : le docteur Mantel.

- Laure ! C’est toi ? Je suis désolé de t’ennuyer. Il n’y a rien de grave, du moins j’espère, mais je dois te mettre au courant. Cela fait deux jours que Julie n’est pas venue au cabinet. J’ai appelé son portable, je suis même allé taper à sa porte, mais aucune réponse. Je suis inquiet pour elle. J’ai fait le tour des hôpitaux de la région et ça n’a rien donné. J’ai donc décidé d’aller à la gendarmerie, mais je voulais t’en parler avant.

Laure n’en revenait pas ce de qu’elle entendait. Julie ! Sa cousine Julie ! Disparue ! Non, ce n’était pas possible. Elle répondit au docteur d’une voix troublée :

- Vous avez bien fait, Bernard. Voulez-vous que je revienne ? Je peux écourter mon séjour.

- Surtout pas. Je peux me débrouiller tout seul, je l’ai bien fait pendant des années. Et puis j’aurais mauvaise conscience à te demander de rentrer. Sean et toi passez un séjour tellement formidable ! D’ailleurs je te remercie pour les photos que tu m’as envoyées. Ça m’a fait plaisir que tu penses à moi… Mais pour en revenir à Julie, je contacte Lebrun à la gendarmerie et je te rappelle. OK ?

- OK. Mais dites-moi, avez-vous prévenu ma mère ? Je n’aimerais pas qu’elle s’inquiète. Elle est si fragile !

- Je vais aller la voir aussitôt le cabinet fermé. Je sais combien Julie compte pour elle, surtout depuis l’accident qui a coûté la vie à son frère, sa belle-sœur et Erwann, ton pauvre papa. Ne t’affole pas inutilement, je serai près d’elle s’il doit lui arriver quelque chose... Je te tiens au courant.

Encore quelques banalités, histoire de faire retomber l’inquiétude que le docteur Mantel sentait monter dans la voix de Laure et la communication fut coupée.

Grâce au haut-parleur que la jeune femme avait enclenché, Sean n’avait rien perdu de la conversation. Il était tout aussi affolé que sa femme et voyait bien qu’elle ne savait que penser de la situation.

- Écoute chérie, proposa-t-il, nous n’allons pas écouter les recommandations de Bernard et nous allons partir dès demain. Il vaut mieux être près de ta mère pour la soutenir dans une telle épreuve.

Mais en son for intérieur Sean espérait que sa femme renonce à partir. Il était persuadé que rien de grave n’était arrivé à leur cousine et ne voyait donc pas l’utilité de précipiter leur retour en Bretagne. Et comme pour lui donner raison, il entendit Laure répondre d’une voix déterminée, après quelques instants de réflexion :

- Non. Je préfère rester jusqu’à la fin de nos vacances. Maman se ferait encore plus de soucis de nous voir arriver inopinément. Elle pourrait croire que nous lui cachons quelque chose, alors que nous ne savons pas exactement ce qu’il se passe. Attendons demain, nous verrons bien ce que Mantel va nous dire.

*****

Après une nuit sans sommeil, à tourner et retourner dans sa tête les évènements de la veille, Laure prit la décision d’effectuer la visite prévue ce jour-là.

- Cela nous changera un peu les idées. De toute manière nous ne pouvons rien faire. Et puis profitons du soleil, car je crois que la pluie est annoncée pour demain.

- Comme tu veux, ma chérie. Mais n’oublie pas ton téléphone, tu sais que Mantel doit t’appeler et il n’a pas mon numéro.

C’est donc avec un entrain modéré qu’ils partirent visiter Gattières, petit village touristique situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Nice. Ils errèrent silencieusement dans les petites rues ombragées de ce magnifique village perché, dominant la vallée du Var, d’où le panorama était tout simplement splendide.

Toutefois, la matinée leur parut longue. Ils attendaient impatiemment le coup de fil de Bretagne et quand celui-ci arriva, Laure se mit à trembler comme une feuille morte. Dans la précipitation, elle décrocha sans même remarquer le nom de son interlocuteur.

- Allô ! C’est vous docteur ? demanda-t-elle, inquiète.

Mais une petite voix douce et à peine tremblante lui répondit calmement :

- Non chérie, c’est moi.

- Maman ? cria Laure. Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi m’appelles-tu ? J’attends des nouvelles du docteur Mantel.

- Je sais. C’est lui qui m’a demandé de t’appeler. Il est venu me voir hier soir, après être allé à la gendarmerie, et m’a tout raconté. Il avait peur que je m’inquiète de…

- Ainsi tu sais pour Julie, coupa sa fille, étonnée. Je me faisais du souci pour toi, mais je vois que tu prends très bien la chose.

Laure entendit sa mère ricaner gaiement.

- Bien sûr. Pourquoi en serait-il autrement ? Julie n’a pas disparu. Elle m’a téléphoné il y a deux jours pour me prévenir qu’elle partait pour une croisière en Méditerranée, accompagnée d’un ami, Loïc.

Laure n’en croyait pas ses oreilles. Sean qui écoutait également se trouvait tout aussi étonné.

- Que me racontes-tu là ? Et Mantel n’était pas au courant ?

- C’est ma faute. Son voyage s’est décidé à la dernière minute. Elle m’avait demandé d’avertir Bernard, mais j’ai oublié. Si j’avais su qu’il irait jusqu’à te téléphoner pendant votre voyage de noces… Je suis vraiment désolée. Je te répète, tout est ma faute. Ce matin, le commandant Lebrun est venu me voir et quand il a su que j’étais au courant il m’a passé un savon. Je dois avouer que je n’étais pas fière de moi d’être responsable d’une plainte inutile. Toutefois, qu’un commandant de gendarmerie vienne boire le café avec moi ne m’a pas déplu.

Sean et Laure se regardaient, les yeux écarquillés. Ils oscillaient entre le soulagement d’apprendre que tout allait bien pour Julie et la contrariété due à l’étourderie de madame Le Gall.

-Tu aurais pu m’appeler plus tôt, tu ne crois pas ? Sean et moi nous faisons un sang d’encre depuis hier. Tu n’en feras pas d’autres, franchement, répondit Laure, sur un ton de reproche non dissimulé. Soit tu te mêles trop de la vie des gens, soit tu t’en moques complètement. Mais bon, que cela te serve de leçon... Maintenant que nous sommes rassurés au sujet de Julie, nous allons pouvoir continuer nos vacances l’esprit tranquille.

Encore quelques minutes à parler de la pluie et du beau temps et Laure coupa la communication. Elle regarda son mari et tous deux partirent d’un grand éclat de rire.

- La situation est vraiment cocasse, dit Sean. Heureusement que Lebrun connaît ta famille depuis longtemps, ça aurait pu se passer moins bien pour Solenn.

- Sacrée maman ! Tout ça ne m’étonne pas d’elle. Elle n’a jamais réellement su gérer une situation. Je me demande jusqu’où on pourrait lui faire confiance si une catastrophe arrivait !

Sean n’était pas d’accord avec ce qu’elle lui disait, mais ne voulant pas entamer de conversation sur le sujet, il prit sa femme dans ses bras et la serra très fort contre lui. Il aimait beaucoup Solenn, avait toujours été très proche des parents de Laure, et reconnaissant envers ce couple qui n’avait pas hésité à prendre la charge d’un enfant de dix ans, orphelin et seul au monde.

Tout en caressant tendrement la chevelure de sa femme, il repensa à cette époque et la nostalgie l’envahit. Mais ne voulant pas inquiéter Laure, il secoua la tête et l’embrassa amoureusement.

- Ce n’est quand même pas chouette de la part de Julie d’avoir fait une chose pareille, dit Laure. Elle pourrait au moins être plus reconnaissante de la chance que nous lui avons donnée.

- Ne pense plus à tout ça, répondit évasivement son mari. Ne gâche pas cette belle journée... Allez viens, je t’invite dans un petit resto que j’ai remarqué à deux rues d’ici. Et cet après-midi, si tu n’es pas fatiguée, nous irons voir la Chapelle Notre Dame du Var.

Laure accepta cette belle perspective et la journée se termina mieux qu’elle n’avait commencé.

4

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et c’est avec un petit serrement au cœur que les deux amoureux commencèrent, deux jours plus tard, à préparer leurs bagages. Ils songeaient à prendre la route le lendemain matin et rien qu’à cette pensée, devenaient nostalgiques. La vie reprendrait son cours habituel. Sean retrouverait son cabinet et ses clients, quant à Laure c’est, néanmoins, avec plein d’enthousiasme qu’elle reverrait ses patients et tous leurs petits bobos.

Les quelques jours qu’ils avaient passés en région PACA leur avaient procuré détente et divertissement. Ils n’étaient pas prêts d’oublier ces heures douces et complices et avaient emmagasiné assez de souvenirs pour leurs futures causeries, en famille, au coin du feu.

- Je vais vérifier les niveaux et les pneus de la voiture, lança Sean à sa femme, tout en saisissant ses clés déposées négligemment sur la table du petit salon attenant à la chambre à coucher.

- OK, mon chéri. Fais vite s’il te plaît, tu te souviens que nous sommes invités à prendre l’apéritif avec le directeur de l’hôtel ? Il nous attend dans le hall pour 18 h 30 précises.

Son mari sourit sans répondre et elle entendit la porte claquer derrière lui.

Elle continua à boucler les valises, ne gardant que le nécessaire pour leur dernière nuit dans ce palace. Elle était envahie de nostalgie, sachant qu’avec la fin des vacances Sean et elle retrouveraient un quotidien qui les éloignerait obligatoirement l’un de l’autre. “Finie notre belle complicité, pensa-t-elle. Nous étions tellement bien ensemble, rien que nous deux ! Maintenant il va nous falloir retrouver la dure réalité de la vie de tous les jours.”

*****

“18 h 30 et il n’est toujours pas revenu, songea soudain Laure, inquiète. Mais qu’est-ce qu’il peut bien fabriquer ?”

Cela faisait au moins vingt fois qu’elle regardait l’énorme pendule ancienne accrochée au mur dans le hall d’entrée de l’hôtel. Les minutes s’égrenaient doucement, mais elle aurait aimé que tout s’arrête, que son attente cesse et que son mari revienne auprès d’elle. Elle aurait aimé que disparaisse enfin l’angoisse qu’elle sentait monter en elle.

Pour la énième fois, elle pria le directeur de l’excuser et prit la décision d’aller à la recherche de son mari. Elle n’avait pas fait trois pas que son téléphone sonna. Les mains moites d’inquiétude, elle décrocha, se demandant ce qu’elle allait apprendre.

- Enfin, c’est toi Sean ! J’étais inquiète. Mais que fais-tu ? Tu as un problème avec la voiture ?

- Non, lui répondit la voix tremblante de son mari. J’ai eu un appel d’un client qui veut me voir dans les plus brefs délais. Il faut qu’on reparte immédiatement. Ne t’occupe pas des bagages, l’hôtel nous les renverra plus tard.

Elle ne comprenait pas ce qu’il lui racontait. Elle demanda étonnée :

- Mais pourquoi partir aujourd’hui ? Demain c’est pareil. Ton client ne peut vraiment pas attendre ? Les bagages ne sont pas terminés.

- Fais ce que je te dis, répondit-il brusquement. Ne discute pas et viens me rejoindre au garage.

Étonnée du ton inhabituel employé par Sean, elle décida d’obtempérer. Elle expliqua la situation au directeur, qui lui promit de s’occuper personnellement de leurs valises laissées dans la chambre, et prit la direction du garage de l’hôtel. “Heureusement que j’ai pris la précaution de régler la note ce matin, pensa-t-elle. Mais qu’est-ce qui a bien pu arriver à Sean pour qu’il me parle de cette manière ?”

L’ascenseur lui paraissait d’une exceptionnelle lenteur, ce matin. Elle avait hâte de rejoindre son mari, de lui demander des explications sur son accès de mauvaise humeur et surtout de le serrer dans ses bras.

Après deux minutes qui lui parurent une éternité, elle arriva enfin dans le garage souterrain.

- Chéri, je suis là !… Sean, tu m’entends ?… Sean, ce n’est pas drôle, réponds-moi, voyons !… Sean, ça ne m’amuse vraiment pas…

Elle appelait son mari depuis quelques instants, mais n’obtenait aucune réponse. Elle cria plus fort :

- Sean, je…

Soudain elle ressentit un énorme coup sur la tête, se sentit tomber lourdement sur le sol froid et plus rien… la nuit… le néant. Elle n’avait pas eu le temps de terminer sa phrase.

Qui avait bien pu l’assommer ? Et pourquoi ? Était-ce l’homme qu’elle avait croisé en entrant dans le parking ? Cet homme qui, penché sur elle, la regardait amèrement.

5

Elle ouvrit les yeux, les paupières lourdes, la tête comme prise dans un étau. Il faisait noir, très noir. “La nuit est déjà tombée.” pensa-t-elle. Elle tata autour d’elle et ne trouva que le froid des murs de pierre. Elle était assise directement sur le sol glacé. Au bout de quelques minutes, ayant quelque peu repris ses esprits, elle se leva difficilement, en titubant, et tenta quelques pas. Mais pour aller où ? Elle ne voyait rien, elle ne savait pas où aller. Mais où était-elle ? Et qui avait pu l’amener dans cet endroit glacial, qu’elle sentait inhospitalier ? Soudain elle se cogna sur ce qu’elle pensa être un coin de table. Elle tomba lourdement sur le carrelage et se mit à pleurer silencieusement. Combien de temps resta-t-elle ainsi, prostrée, incapable de réfléchir, incapable de décider quoi que ce soit ?

Au bout d’un moment, elle referma les yeux et la fatigue eut raison d’elle. Elle rêva, beaucoup, de choses irraisonnées. Un homme vêtu de noir, la tête couverte d’une cagoule, la poursuivait. Elle courait, courait, sans se déplacer, comme si ses jambes ne répondaient plus. Et plus elle courait, plus l’homme se rapprochait. Au moment où il allait l’atteindre, elle se réveilla, en sueur, tremblante de la tête aux pieds.

Depuis combien de temps était-elle ainsi, prostrée sur le sol humide et froid ? Elle essaya de se souvenir, mais rien… elle ne se souvenait de rien… Et puis ce mal de crâne lancinant qui lui interdisait de penser clairement. Elle avait la bouche pâteuse, les membres endoloris... Elle réalisa soudain qu’elle avait été chloroformée. Mais pourquoi ? Et par qui ? Si encore elle pouvait se rappeler les événements de ces dernières heures ! “Et où suis-je ? Quelle heure est-il ? se demanda-t-elle. Mes yeux ont beau s’être habitués à la pénombre, gémit-elle doucement, je ne distingue rien. Je ne peux pas me rendre compte de ce qui m’entoure !”

Elle chercha son téléphone dans la poche de son jean et s’en empara assez brusquement. “Eurêka ! Je vais enfin voir quelque chose !” s’exclama-t-elle. Mais là encore rien, aucune lumière même petite pour la rassurer. “J’ai oublié de recharger mon téléphone ? se sermonna-t-elle étonnée. Cela ne me ressemble pas !”

Elle devait se calmer et réfléchir tranquillement. Peut-être se souviendrait-elle de quelque chose ? Puis, fermant les yeux elle décida de rester positive. Après tout elle était encore en vie et apparemment pas blessée !

Au bout de quelques minutes, elle allait beaucoup mieux. La mémoire lui revenait petit à petit, sa tête la faisait encore souffrir, mais les vapeurs qui lui embrumaient le cerveau s’estompaient peu à peu. Et, à forcer sa mémoire, elle se souvint soudain qu’elle avait été frappée à la tête avant de se sentir tomber lourdement sur le sol du parking souterrain. Elle en déduisit qu’elle avait été enlevée. Mais pourquoi ? Et par qui ?

Elle prit peur soudain en pensant au sort qui lui était peut-être réservé. Ses ravisseurs lui voulaient-ils du mal ou avait-elle été kidnappée uniquement pour qu’ils obtiennent une rançon ? Dans le doute elle décida que la meilleure chose à faire, pour le moment, était de garder ses esprits clairs pour faire face à ses éventuels agresseurs.

*****

Elle fut soudain dérangée dans ses réflexions par le bruit sec d’une porte qui s’ouvrait. La faible lueur de la lampe à pétrole que tenait son visiteur éclaira difficilement la pièce. Laure examina rapidement ce qu’elle considérait comme sa prison et découvrit qu’elle se trouvait dans une salle ressemblant à celles des anciens châteaux forts. Les murs de pierre étaient froids et inhospitaliers, les étroites fenêtres situées en hauteur de la pièce ne laissaient passer qu’un faible rai de lumière et, malgré le jour naissant, n’apportaient aucune réelle clarté. L’unique et lourde porte devait dater du Moyen Age.

- Alors, ça y est, t’es réveillée ? demanda l’homme d’une voix rauque mais adoucie par un bel accent espagnol. T’as bien dormi ? C’est très bien. J’espère que ta tête ne te fait pas trop souffrir. J’ai essayé de ne pas taper trop fort, malheureusement quand je me suis aperçu que tu te réveillais plus tôt que prévu, j’ai dû utiliser le chloroforme. Mais ne t’inquiète pas, dans quelques heures il n’y paraîtra plus. Et puis ce n’est pas à toi que je vais apprendre ça, n’est-ce-pas ? Allez ! Si t’es gentille et que tu ne me causes pas de soucis, je t’apporterai quelque chose à manger dans quelques instants.

En entendant la voix de son visiteur elle s’était machinalement retournée et regardait attentivement l’homme qui se tenait droit, devant elle. Il était masqué et Laure ne vit que deux yeux noirs, inexpressifs, qui la fixaient intensément. Elle tenta de le questionner assez brutalement, se demandant ce qui avait motivé son enlèvement.

- Mais qui êtes-vous ? Pourquoi m’avoir enlevée ? Où sommes-nous ? Comment va mon mari ? J’exige que vous…

- Tais-toi, sinon ton compte est bon, menaça l’homme, lui coupant brutalement la parole. Tu n’as rien à exiger. Tu obéis, un point c’est tout.

Au bruit que fit la porte qu’il refermait, elle comprit que l’homme s’en allait. Elle lui cria :

- Laissez-moi au moins un peu de lumière.

- Un peu de quoi ? répondit-il. Ah oui !

Il rouvrit la porte et lui déposa la lampe sur la table qui occupait tout un pan de mur de la geôle, tout en ajoutant :

- Si tu veux, mais ça ne te servira à rien. Il n’y a rien ici, rien à voir, rien à faire. Enfin, si ça te fait plaisir...

Et il sortit. Elle entendit le verrou tourner dans la serrure puis plus rien. Aucun bruit ne venait de l’extérieur. Soudain elle eut peur de ce qui allait lui arriver, de ce que l’homme serait capable de lui faire. Elle se mit à pleurer doucement. Pourquoi Sean ne venait-il pas à son secours ? Avait-il été enlevé lui aussi ? À première vue elle allait bien, mais lui dans quel état était-il ?

*****

Quelques instants plus tard, l’homme entra dans une pièce située non loin de celle qui servait de prison à Laure. Il fut accueilli par une jeune femme qui, visiblement, s’impatientait d’entendre ce qu’il avait à lui raconter.

- Alors, Lorenzo. Comment ça s’est passé ?

- Comme tu l’avais prévu. Elle m’a posé des questions auxquelles je n’ai bien sûr pas répondu et je lui ai asséné l’ordre de rester tranquille.

- J’espère que tu ne l’as pas trop bousculée. Tu sais que je ne veux aucune violence contre elle.

- T’inquiète pas Sam, j’y ai pas touché. Je sais ce qui est convenu. Par contre, elle m’a demandé de lui laisser de la lumière, aussi je lui ai donné ma lampe.

- Tu as bien fait. Mais pour ce que ça va lui servir… A part ça, tu l’as trouvée comment ? Est-elle bien réveillée ? Le chloroforme ne l’a pas laissée trop abattue ?

Il sourit ironiquement avant de répondre :

- Tu te fais bien du souci pour elle... Non, rassure-toi elle va bien. A voir la manière dont elle m’a crié dessus, je peux te dire qu’elle a retrouvé tous ses esprits.

Samantha semblait réfléchir. Qu’allait-elle bien pouvoir faire maintenant ? Pourquoi s’était-elle embarquée dans cette aventure ? Elle avait agi sur un coup de tête, sans bien comprendre ce qu’elle faisait, et savait ne plus pouvoir faire demi-tour.

- Bon écoute, va la chercher et on va lui amener son mari. Et si elle te fait la moindre difficulté n’hésite pas à la malmener, mais en douceur, juste pour lui faire peur. Quand elle s’y met, elle peut être vraiment chiante. Une vraie tigresse. Par contre examine-la bien sous toutes les coutures et s’il le faut procure-lui quelques soins. Je tiens à ce qu’elle reste en bonne forme.

Lorenzo opina de la tête avant de répondre :

- Je lui ai promis de lui apporter à manger.

- On verra ça plus tard. Et n’oublie pas ta cagoule. Il ne faut pas qu’elle te voie.

*****

Accompagnée de son geôlier, Laure entra dans la pièce qui, vraisemblablement, servait de cuisine à Sam et son compagnon. Elle avait les yeux bandés et ne pouvait donc distinguer où elle se trouvait, mais son odorat fut aussitôt mis en éveil par l’agréable odeur d’un gâteau sortant du four. Elle était un peu gourmande et l’eau lui monta bien vite à la bouche. Était-ce pour elle qu’on avait cuisiné ?

Si elle se faisait encore des illusions, la voix de l’homme la ramena à la réalité.

- Assieds-toi là, dit-il en la poussant brutalement sur une chaise. Et un conseil, tâche d’obéir. Si tu veux que tout se passe bien, tu fais ce que je te dis, sinon…

A l’arrivée de la prisonnière, Sam s’était mise un peu à l’écart, de manière à ce qu’on ne remarque pas sa présence. Blottie derrière la porte elle lança à Lorenzo un regard indigné. Elle lui avait pourtant expressément demandé de ne faire aucun mal à leur invitée. Comment osait-il outrepasser ses ordres ? Mais elle avait besoin de lui et ne pouvant lui faire aucune réflexion devant Laure, elle préféra attendre le bon moment pour le tancer gentiment.

Après quelques instants à regarder sa pauvre victime, Sam sortit de la pièce en lançant un coup d’œil à Lorenzo. Ce dernier savait ce qu’il avait à répondre aux questions qui se bousculaient dans la bouche de Laure ; questions qu’elle avait déjà posées quelques heures auparavant et auxquelles elle espérait bien obtenir des réponses.

- Pouvez-vous me dire ce que je fais là ? Pourquoi m’avez-vous enlevée ? Où est Sean, mon mari ? Que lui avez-vous fait ? Et où sommes-nous ?