L'accusation - Michèle Labidoire - E-Book

L'accusation E-Book

Michèle Labidoire

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Beschreibung

Un matin d’avril, le cadavre de Mélissa, une fillette d’une dizaine d’années, est découvert au bord d’un canal. Qui l’a tuée ? Le capitaine Ferrand chargé de l’enquête soupçonne tout le monde, et accuse en particulier Simon Page, un habitant du village voisin, informaticien et peintre amateur. Selon lui, son passé en ferait un coupable idéal. Cette accusation bouleverse Simon, obligé d’affronter un passé tragique qu’il préférait oublier, et dont il n’avait jamais parlé, même pas à sa compagne Nathalie. Le soir de son interrogatoire, il lui fait enfin le récit de ce qu’il lui avait caché jusque-là. Que va décider Nathalie en proie au doute après le récit de Simon? Quelles conséquences aura l’accusation du policier sur leur vie ? Simon est-il coupable du meurtre de Mélissa, et que va révéler l’enquête ? Un récit émouvant marqué par la culpabilité et le secret.  




Une fillette est assassinée, et le policier chargé de l’enquête pense avoir trouvé le coupable. Cet homme, un peintre amateur de talent, aurait déjà tué quelqu’un par le passé et il ferait un coupable idéal. Le roman explore les conséquences d’une accusation sur la vie d’un homme, sur son couple et son entourage, le sentiment de culpabilité et le doute. Mais chacun a ses secrets, et tous, y compris le policier, devront avancer vers leur propre vérité.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Michèle Labidoire vit à Niort dans les Deux-Sèvres où elle a été professeure de Lettres, puis de Communication. Elle anime des ateliers d’écriture depuis une vingtaine d’années. Elle a déjà publié un récit, "Un soldat oublié", inspiré de la vie de son grand-père blessé en 1914, prix Envie d’écrire 2019 de la librairie Leclerc de Niort, et trois romans aux Editions Ex Aequo. 

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Michèle Labidoire

L’accusation

Roman

ISBN : 979-10-388-0863-8

Collection : Blanche

ISSN : 2416-4259

Dépôt légal : mai 2024

© couverture Ex Æquo

© 2024 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

 Ex Æquo

1

Mardi 13 avril 1999

Elle a quitté l’école en courant. Le long des rues d’abord, puis sur le chemin de halage, elle court. Certains diraient qu’elle fuit. Elle, elle pense qu’elle avance, qu’elle bouge, qu’elle va de l’avant. Elle pense qu’elle ira loin. Elle trouve qu’ici, tout est trop petit. Elle imagine un monde ailleurs, à découvrir. Alors elle court.

Sa jupe danse autour d’elle. Comme le frais du soir commence à tomber — nous ne sommes qu’en avril —, elle pourrait regretter d’avoir mis ce matin cette jupe rouge qui découvre ses genoux et ses mollets. La fraîcheur lui mord la peau. Mais elle sent encore le goût de la victoire de ce matin sur sa mère qui voulait lui imposer veste chaude et pantalon. « Tu vas attraper un rhume », disait la mère. Et de se plaindre comme toujours de cette gamine qui décidément n’écoutait rien et n’en faisait qu’à sa tête. Mais elle est la plus forte, elle a gagné, et ce souvenir a le goût du plaisir. La jupe se soulève à chacun de ses pas, frôle ses cuisses, caresse sa peau, c’est agréable. Alors, tant pis pour le froid.

Elle aime s’éloigner du village, le soir après l’école. Occupés à l’embarcadère, ses parents ne rentreront pas avant dix-neuf heures. Elle a le temps. Ce moment est à elle, elle le déguste, le savoure, le fait durer dans sa tête.

Elle aime s’éloigner du village. Le monde sauvage commence juste après les dernières maisons. Si on a de la chance, on peut apercevoir une harde de chevreuils courir au loin de sillon en sillon et dévaler la pente des champs, un lièvre traverser le chemin, à petits bonds comiques, un busard perché méditer sur un piquet. À son approche, celui-ci s’envolera lourdement et ira se poser un peu plus loin, tranquille. Elle a de la chance. Son pas léger n’effarouche aucune bête, même pas l’écureuil, ni la mésange.

Mélissa est une enfant tout en os, robuste. Quand elle était petite, on s’extasiait sur ses rondeurs, mais elle a poussé en hauteur, sans prendre d’épaisseur, et maintenant, à dix ans, elle a perdu les formes de l’enfance sans gagner celles de l’adolescence. Elle se satisfait de cet entre-deux qui n’épuise pas l’avenir. Ni enfant ni femme, elle n’est pas pressée, elle profite, elle gagne du temps.

Elle a arrêté sa course, elle est désormais hors d’atteinte, elle marche d’un pas tranquille. Elle n’a peur de rien, ni de la nuit qui va venir, ni de l’humidité qui monte du canal, ni du gris sans éclat de l’eau sombre, ni des bruits furtifs des bêtes invisibles. Elle connaît le marais, ici c’est chez elle. Elle respire l’air du soir à grandes goulées. Pour être plus à l’aise, elle a caché son cartable au creux d’un vieux frêne presque évidé. Elle le reprendra en passant tout à l’heure.

Mélissa est une flèche que rien n’arrêtera, elle se sent forte, puissante. Elle a des idées plein la tête, elle voudrait faire des mathématiques pour compter les feuilles des arbres, devenir écrivain pour raconter ses rêves, jardinière pour faire pousser des choses. Elle a dix ans.

Soudain, un chevreuil solitaire a jailli juste devant elle. En trois bonds virtuoses, il va entrer dans les fourrés, il est d’une élégance et d’une grâce qui laissent sans voix. Vite, courir vers lui. Elle s’élance…

Et lorsque le coup de fusil retentit, que la balle de ce fusil l’a touchée là entre les épaules, la poussant en avant, elle continue à avancer, quelques pas, un pas, un pas encore, avant que ses genoux ne fléchissent, et qu’elle trébuche et avance encore avant de tomber au bord du talus et de rouler plus bas, dans les herbes juste au bord du canal, loin des regards, sa jupe étalée autour d’elle. Petite tache rouge…

2

Mercredi 14 avril

« Comme un p’tit coquelicot, mon âme, comme un p’tit coquelicot… ! »

Pourquoi cette chanson lui traverse-t-elle la tête ? Remontée d’où ? De quel souvenir d’enfance ? De quelle rengaine fredonnée sous la douche ? Chanson d’amour ancienne peut-être. Rien à voir avec l’affaire du jour. Une gamine retrouvée morte sur un talus, près d’un canal, en pleine campagne, lui a-t-on dit au téléphone. Déjà, réflexe de flic, sa pensée s’est aussitôt emballée, a déroulé les hypothèses, ébauché des faits. Une gosse assassinée, sans doute. Peut-être violée.

Il a arrêté la voiture banalisée sur la route. Les gendarmes de Frontenay sont déjà là, les rubalises en place. Au milieu, une tache rouge dans l’herbe, un manteau, une robe, on ne distingue pas bien d’ici, tache rouge dans le vert de l’herbe. On n’attend plus que lui, et lui, qu’est-ce qu’il a dans la tête : une chansonnette !

Il s’est immobilisé près du véhicule, hésite à descendre jusqu’au canal. Reprendre pied, retrouver son calme. Qu’est-ce qui lui prend ? Décidément, il ne sera bientôt plus bon à rien. Est-il resté trop longtemps dans la banlieue Nord, le 9-3, Saint Denis, son terrain de chasse ordinaire, pendant tant d’années ? Oui, trop, sans doute.

Il a connu les petits jours gris, avant l’aube, les halls d’immeubles dévastés, tagués, néons cassés, boîtes aux lettres défoncées, odeurs acides d’urine et de soupe froide, toujours les mêmes odeurs quelle que soit la banlieue, il a connu les petits guetteurs au pied des immeubles, vite égaillés à l’arrivée de la police, les affaires de gamins battus, de filles violées dans les caves, martyrisées, tuées parfois, brûlées même, les gangs spécialisés dans le crack ou la cocaïne. Il ne supportait plus, il s’était enfui, échappé.

Il ne voulait plus s’occuper que d’affaires ordinaires, petits cambriolages, simples vols de voitures, trafics de shit minables, disputes d’ivrognes, du banal, du sans intérêt, tout ce qu’il fuyait dans sa jeunesse, du temps des projets ambitieux, des enquêtes héroïques, des affaires « comme au cinéma ». Il a demandé un poste en province, loin des grandes villes. Et là, sous ses yeux, ce petit cadavre anonyme sous ce tissu rouge tape à l’œil, pitoyable, et cet air dans sa tête : « Comme un p’tit coquelicot ! »… Décidément, il dérive, s’abandonne au courant, ne maîtrise plus rien ; un vêtement rouge sur un corps de petite fille, et il perd l’équilibre, tangue, ne sait plus où se mettre. Quelle dégringolade !

Il prend soudain conscience que son collègue immobile à ses côtés le regarde avec un peu d’inquiétude, il doit avoir l’air bizarre, heureusement qu’il n’a pas chantonné tout haut. Il claque la portière vigoureusement, et lance avec énergie :

— Allez, on y va.

Et tous deux descendent tranquillement vers les autres qui les attendent un peu plus bas.

En bas sur le talus, plus question de coquelicots. La gamine est couchée sur le ventre, sa jupe rouge est toute retroussée, dévoilant des jambes livides, semées de taches bleuâtres, l’humidité de la nuit a plaqué ses cheveux sur l’arrière du crâne, on ne voit pas son visage. Quel âge ? Il dirait une dizaine d’années, mais il faut avoir l’avis du légiste pour savoir. En l’attendant, tout le monde poirote. Il s’est présenté : « Capitaine Ferrand. Adrien Ferrand ». Nouveau dans la région, il ne connaît pas encore tout le monde, et cette rencontre au petit matin, devant ce corps d’enfant couché dans l’herbe, a quelque chose d’incongru.

— On sait qui c’est, demande-t-il au gendarme le plus proche ?

— Il doit s’agir de la petite Mélissa Canteau. Ses parents ont signalé sa disparition hier soir tard. Avec les voisins, on a fouillé partout, mais avec la nuit, on ne voyait plus rien. Pas étonnant qu’on ne l’ait pas trouvée, on est loin du village, et le talus a dû masquer le corps. On a prévenu les parents, ils vont arriver.

« Les parents, bien sûr. Quelle nuit ils ont dû passer ! », pense Ferrand. Et déjà, un poids de tristesse lui tombe sur les épaules. Au fond, rien n’a changé. En banlieue parisienne comme ici, des familles sont confrontées à l’impensable. Et lui, comme toujours, se sentira responsable de la suite. Trouver un coupable, à tout prix. Comme toujours, il s’en fait la promesse, comme s’il était le garant d’une justice impossible.

En attendant, place à la technique. Avec l’arrivée du légiste, on découvre le visage de l’enfant, cette expression d’étonnement, de surprise totale que la mort a figée, l’impact de la balle dans le dos, une seule balle apparemment, mais il faudra voir. Violée ? Trop tôt pour le dire. Le médecin dirait plutôt non. Le désordre des vêtements peut être dû à la chute. Là aussi, il faudra voir. En tout cas, la mort remonte à la veille.

Plus tard, on trouvera le cartable de Mélissa, caché au creux d’un arbre. Pourquoi le meurtrier se serait-il soucié d’un sac d’écolière, qu’avait-il dans la tête ? Plus tard encore, en quittant la scène, Ferrand se promet de retrouver le type qui a fait ça, en souvenir des autres Mélissa de banlieue, ou d’ailleurs.

Vite, il distribue ses ordres. Convoquer tous les témoins possibles, tous ceux susceptibles d’avoir été présents au village au moment présumé des faits, les voisins des parents, ceux avec qui ils ne s’entendaient pas bien, les nouveaux arrivés. Enfin, le maximum de gens. Le village n’est pas si grand, ça devrait aller vite.

— Et si c’était un crime de rôdeur ?

C’est un jeune gendarme qui intervient.

— Bien sûr, c’est possible. Voilà qui compliquerait tout. Mais un rôdeur, comme vous dites, ça se remarque. Allez, au boulot ! Il faut faire vite, tant que les souvenirs des gens sont encore récents. On se revoit ce soir à dix-huit heures pour faire le point. Ça vous va ?

3

Mercredi 14 avril

Il est tard, ce soir-là, quand Ferrand rentre chez lui. Il n’aime pas rentrer « chez lui ». Pas encore. Ça viendra. L’appartement est trop neuf. Il est arrivé il y a un mois seulement. Et c’est aussi cette expression, « chez lui », qu’il n’aime pas. Avant, il pensait : « Chez nous ». Lui, Corinne, les enfants. Mais Corinne est partie avec les enfants. Il se demande s’il a bien fait de partir lui aussi, quitter Paris. Il verra les enfants moins souvent, aux vacances. Mais ils sont grands, maintenant. Ils ont moins besoin de lui. Et puis, c’était trop difficile de rester dans l’appartement, ce « chez nous » devenu « chez lui ».