Lumière noire - Michèle Labidoire - E-Book

Lumière noire E-Book

Michèle Labidoire

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Beschreibung

Franck est un photographe de guerre. Usé par des années de conflits et de missions éprouvantes et dangereuses, il est sujet aux cauchemars et au doute. De retour d’Afghanistan, il affronte son patron, Bolski, qui lui reproche la mauvaise qualité de ses photos, et refuse de le renvoyer sur le terrain. En attendant qu’il se reprenne, Bolski l’envoie dans un village du midi, Espeyrac, faire un reportage photo publicitaire pour un établissement thermal. Franck, démoralisé et humilié, envisage de renoncer au reportage et de changer de voie.
À Espeyrac, Aurélien, un jeune garçon, qui vient de perdre son père, passe ses journées à traîner dans le village ou à jouer au foot avec ses copains. C’est l’été, et il s’ennuie.
Franck et Aurélien vont alors se rencontrer et une belle complicité va se nouer autour de la photo entre l’adulte découragé et l’orphelin triste et désœuvré.
Et si, pour chacun d’eux, un avenir nouveau était possible ?

« Lumière noire », une belle histoire d’entraide et de transmission.


À PROPOS DE L'AUTEURE

Michèle Labidoire vit à Niort dans les Deux-Sèvres où elle a été professeure de Lettres, puis de Communication. Elle anime des ateliers d’écriture depuis une vingtaine d’années. Elle écrit depuis longtemps, des nouvelles et des romans. Elle a déjà publié un récit, « Un soldat oublié », inspiré par la vie de son grand-père blessé en 1914, et deux romans aux Editions Ex Aequo, « Elisabeth a disparu », et « Femme à sa fenêtre, lisant… »

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Michèle Labidoire

Lumière noire

Roman

ISBN : 979-10-388-0588-0

Collection : Blanche

ISSN : 2416-4259

Dépôt légal : février 2023

© couverture Ex Æquo

© 2023 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays

Toute modification interdite

ditions Ex Æquo

1Franck

C’est un long tube noir, un viscère sombre et mou. On y rampe sans avancer, on agite les mains, les coudes, les genoux, on s’agrippe. C’est long, très long. Soudain, on arrive dans la lumière, on y tombe. Trop de lumière. Ça fait mal, les yeux brûlent, on cligne. Faire attention ! Éclairs, fulgurances, flash. Une bombe est tombée quelque part. Mais il n’y a aucun bruit. Pas d’éclat, pas de son, rien que la lumière, blanche, violente, et nue.

Et puis ça se calme, la lumière a baissé, on est dans la pénombre, avec juste de temps en temps, des éclatements de lueurs brèves, qui tournent comme des gyrophares. Danger ! Police ! Une ampoule a été bousculée dans une pièce, elle se balance, elle éclaire un coin de mur, un autre, elle revient, c’est un interrogatoire, on voudrait crier, on est innocent, on n’a rien fait, non, on ne sait rien. On ne sait rien des cadavres, d’ailleurs il y en a trop, ils sont partout, il faudrait les compter, les ranger, c’est indécent, ça, il faudrait faire quelque chose pour ces gens, creuser des tombes. Et les enfants, qu’a-t-on fait des enfants ?...

Tout à coup, ça tombe de partout, les bombes, partout, ça vient du nord, le bruit est épouvantable, on entend les sirènes, il faut se cacher, alors on rampe, encore et encore, retrouver le tuyau noir, l’intestin silencieux, un abri, mais il n’y a pas d’abri, on a oublié tous les chemins, et son propre nom aussi...

Alors, on se réveille et c’est le matin. On s’étonne : « Je suis vivant. Je m’appelle Franck Berr et je suis vivant ». Et on rentre dans sa peau.

2Aurélien

Souvent, le matin, Aurélien l’entendait descendre avant le jour. Il dormait mal depuis la mort de son père.

Il l’entendait et sa peine gonflait dans sa poitrine à l’étouffer, celle qu’il cachait ensuite tout le jour, comme elle cachait la sienne sans doute. Il l’entendait et il voyait sa solitude à elle à ce moment-là, semblable à la sienne.

Elle ouvrait la porte doucement, comme elle l’avait sans doute toujours fait, pour ne pas réveiller la maisonnée. Dernière couchée, première levée, c’était la règle. Elle descendait sans bruit pour ne pas le réveiller lui, l’aîné de ses garçons, et ses deux sœurs, Flora et Emilie, et le petit frère, que tout le monde appelait Tonino, parce qu’il était si petit. Il l’entendait descendre l’escalier, s’arrêter un bref instant… Ah ! Cette marche du milieu, qui craquait trop fort, dans le noir… Mais non, tout le monde dormait, et elle reprenait sa descente, plus lente de matin en matin, comme si pesait sur elle la fatigue des jours noirs. Il la suivait à l’oreille : le froissement rêche du tissu, elle avait soulevé la tenture qui fermait la grande pièce ; un craquement sec, l’allumette grattée ; puis le claquement des casseroles entrechoquées, le tintement d’une assiette, d’un bol, un reste de vaisselle de la veille peut-être. Ou alors elle faisait le café, du café qui réchaufferait ensuite tout le jour, pour toute la maisonnée, pour la journée à venir, pour les visiteurs de passage, celui qu’elle préparait avant pour le père. Il le trouvait ainsi toujours chaud, quand son travail lui laissait le répit de rentrer. Mais ça, c’était avant, avant la mort du père.

Quand l’odeur du café montait de la cuisine à la chambre qu’il partageait avec Tonino (lui, bien sûr, dormait le nez dans l’oreiller), quand montait cette odeur sucrée et âcre à la fois, il avait bien du mal à ravaler ses larmes. Ne pas renifler, il n’était plus un enfant tout de même, pas comme ce bébé de Tonino, non, il était presque l’homme de la maison, maintenant. Comme son père le disait toujours : « Un homme, ça ne pleure pas. » Alors, il reniflait un coup ou deux, mais il ne pleurait pas, non, il ne pleurait pas.

Un matin, il s’était levé, à l’heure du café, comme faisait son père, il était descendu doucement à son tour. Pas un bruit dans la grande pièce, un bol resté sur l’évier, la cafetière qui fumait. Au bruit d’eau qui lui parvenait à travers la porte, il comprit qu’elle était dans le petit cabinet de toilette aménagé sous l’escalier, rien de luxueux, mais un lavabo, tout de même, une tablette pour quelques affaires de toilette, un petit miroir. Dans le cadre étroit de la porte entrebâillée, elle se tenait là.

Elle lui tournait le dos, déjà habillée de sa robe sombre de veuve, son tablier de travail à carreaux bleus noué sur ses hanches un peu fortes. Elle se tenait là, les bras en l’air, immobile, comme pour arranger le chignon plus serré. Il ne voyait que l’arrondi de sa joue, son profil ferme de femme encore jeune, le nez, la ligne de la tempe. « Elle est belle, votre mère, disait le père parfois ». Y pensait-elle en se regardant ainsi dans la glace ? Elle avait soupiré, et ses bras étaient retombés lentement. Puis elle avait dû apercevoir le reflet de son fils dans la glace, elle s’était retournée doucement, et lui avait souri.

— Tu es déjà levé ? J’ai fait le café. Va déjeuner, si tu n’as plus sommeil. J’arrive.

Elle avait fermé la porte et il était allé se servir un bol de café au lait à la cuisine.

3Franck

Quand la patrouille arriva aux abords du village, ils jouaient là dans la poussière, sept ou huit garçons, dix, onze ans, peut-être, et aussi quelques adolescents, mais tous semblables, le crâne rasé, marqué de cicatrices bleues, pieds nus, pantalons couleur de terre, tee-shirts informes, délavés. Ils se disputaient un vieux ballon crevé, rafistolé avec quelques bouts de chiffons, football d’enfants pauvres, mais ils riaient. Ah ! Leurs rires, clairs, éclatants et joyeux. Ils criaient, s’insultaient gaiement et riaient. Ils se donnaient à fond, jarrets rapides, corps secs et agiles. Tout à leur jeu, ils n’eurent pas un regard pour les véhicules des militaires français.

À l’arrière du T4, Franck saisit son appareil photo et prit quelques clichés, mais le cœur n’y était pas. Le cauchemar de la nuit précédente traînait en lui comme une brume âcre. Derrière les toiles du véhicule, il étouffait déjà. Lui qui aimait tant la lumière du matin avait perdu la grâce du petit jour.

Pourtant cette mission, il l’avait voulue. Son « papier », il le voyait déjà : expliquer à l’opinion ce que faisait la France là-bas, en Afghanistan. Comme toujours, il partirait seul, sa façon de travailler depuis toujours.