L'écolo anonyme - Guy Adrian - E-Book

L'écolo anonyme E-Book

Guy Adrian

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Beschreibung

Fabien, jeune cadre dynamique, marié et père d'une petite fille, a tout pour être heureux, si ce n'est ce réchauffement climatique qui le taraude. Quand le drame survient, Fabien, resté seul dans un futur incertain, se démène entre problèmes professionnels et déboires sentimentaux. Inconsolable et désespéré, il pense enfin trouver la paix dans les profondes forêts de l'Ariège, où il expérimente le survivalisme extrême.

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Seitenzahl: 318

Veröffentlichungsjahr: 2022

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DU MÊME AUTEUR

L’organisation Wong, 2016, Publishroom Factory

Marilyn et l’ange turfiste, 2017, Le Texte Vivant

460 morts et des mouches, 2018, Le Texte Vivant

Nous sommes partout, 2019, Publishroom Factory

Les Vénus de Guinée, 2019, Les Fabricantes

Bienvenue à Gagaland, 2020, Les Fabricantes

« Les humains sont devenus trop stupides pour lutter efficacement contre le changement climatique »

– James Lovelock (Les Âges de Gaïa)

« Nous ne pouvons pas changer le monde en respectant les règles. Car les règles ont besoin d’être changées. Tout doit changer et cela doit démarrer aujourd’hui. »

– Greta Thunberg (#grevepourleclimat)

AVERTISSEMENT

Ce texte est une fiction, toute ressemblance avec des personnes ou des organismes existants ou ayant existé relèverait de la pure coïncidence. Les opinions exprimées par les personnages de ce roman ne sont nullement le reflet de celles de l’auteur.

Sommaire

CHAPITRE I

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

CHAPITRE IX

CHAPITRE X

CHAPITRE XI

CHAPITRE XII

CHAPITRE XIII

CHAPITRE XIV

CHAPITRE XV

CHAPITRE XVI

CHAPITRE XVII

CHAPITRE XVIII

CHAPITRE XIX

CHAPITRE XX

CHAPITRE XXI

CHAPITRE XXII

CHAPITRE XXIII

CHAPITRE XXIV

CHAPITRE XXV

CHAPITRE XXVI

CHAPITRE XXVII

CHAPITRE XXVIII

CHAPITRE XXIX

CHAPITRE XXX

CHAPITRE XXXI

CHAPITRE XXXII

CHAPITRE XXXIII

CHAPITRE XXXIV

CHAPITRE I

« Votre gigot, Fabien, avec ou sans flageolets ? » Cette question ressemble fortement à celle posée dans la scène d’un film culte1, mais Fabien sourit à peine, car Grand-Mamie Martine veut servir rapidement pour que tout reste bien chaud, elle n’a sûrement pas eu l’intention d’amuser la tablée. Il répond suavement « Juste du gigot, Martine, s’il vous plaît, pas de flageolets. » Sa grand-belle-mère dépose délicatement dans l’assiette une belle tranche rosée, épaisse, piquée en son centre d’une gousse d’ail. Elle la nappe d’un jus sombre qui embaume et entoure le tout de pommes dauphines bien rissolées. Fabien adore cette bonne viande tendre et moelleuse qui chez lui, dans sa famille, n’était servie que lors des repas de grandes fêtes. À présent, il laisse là ses évocations intimes, car grand-beau-père Laurent lance à son épouse Martine :

– Donne-moi le gros morceau, là, avec beaucoup de pétoulets !

En face de lui, son arrière-petite-fille Émilie, âgée de quatre ans, intercepte le mot et annonce le futur résultat :

– Papy, tu vas faire pète-pète, affirme-t-elle en appuyant bien sur le t

– Oui, sûrement beaucoup !

Oups, se dit Fabien, père d’Émilie. Si dès le gigot, Papy Laurent se lance dans les gauloiseries, ça risque de dégénérer, d’autant que maintenant il lit les pages écologie de ses journaux. Il est incollable sur la contribution des pets de vaches au réchauffement climatique, via l’effet de serre provoqué par le méthane et le soufre présents dans leurs flatulences. Au fait, suppute Fabien, quelle est la part des humains dans ce processus ? Est-il possible d’agir pour empêcher l’émission de ces gaz, en modifiant le microbiote intestinal ? À vérifier !

– Beuh ! Et moi aussi alors je ferai beaucoup de pète-pète ? demande la petite en montrant les trois haricots dans la cuillère qu’elle tient devant sa bouche.

– Oui, mais les tiens sentiront la rose, parce que tu es une princesse, affirme son aimable arrière-grand-père, en avalant une bonne gorgée de Bordeaux, ce qui interrompt son échange avec la mignonne petite fille.

Anne, maman d’Émilie, fait signe à son grand-père avec le pouce rapproché des doigts de clore ce sujet passionnant, mais scabreux.

À présent, couverts en main, Laurent s’active. Sous la lumière du lustre son crâne rose luisant, entouré d’une couronne de cheveux blancs, se couvre de fines gouttes de sueur ; ses joues bien rouges sont celles d’un bon vivant amateur de plats généreux et de grands crus. Toute occasion lui est prétexte pour organiser fêtes et banquets avec ses amis, ou lors des visites d’Émilie avec ses parents Anne et Fabien, trentenaires.

En ce jour de Toussaint, il n’y a que cinq couverts à l’extrémité de la grande table de merisier qui peut facilement accueillir douze convives, car les deux aînés Laurent, 84 ans et Martine 80, aiment être entourés. En fait il manque une génération dans leur cercle familial : celle des parents biologiques d’Anne, dont le portrait en mariés trône sur la cheminée de marbre au bout de la pièce. Franck, le fils unique de Laurent et Martine est mort à l’automne 1998 dans un accident de voiture sur l’autoroute A9, avec sa femme Valérie. Tous deux revenaient d’un week-end farniente et voile sur le bateau de Laurent au Cap d’Agde. Ce matin-là un chauffeur routier espagnol, convoyant sur sa remorque des rouleaux de papiers fabriqués en Suède, s’était endormi au volant. En percutant la voie centrale l’engin avait basculé, libérant la charge qui avait écrasé son chauffeur, propulsant les rouleaux sur la voie opposée et percutant les voitures lancées à pleine vitesse. Au total dix blessés et quatre morts, dont les parents d’Anne.

Celle-ci âgée de huit ans, aurait dû les accompagner, mais une bénigne et providentielle gastro l’avait privée de la balade. Martine et Laurent s’étaient chargés de garder Anne avec eux à Lyon pour la gaver de douceurs et de vidéos Disney, ainsi, ses parents avaient pu profiter de leur week-end au Cap d’Agde en toute liberté.

La petite fille fut élevée par ses grands-parents paternels, car du côté de Valérie, il ne restait que son père Éric, veuf, résident au Sénégal, où il menait une vie qualifiée de dissolue par sa propre famille.

Martine et Laurent se chargèrent de l’éducation d’Anne à la façon des soixante-huitards qu’ils affirmaient être encore : beaucoup de liberté, quelques conseils et un minimum de contraintes. Heureusement, Anne devint une jeune fille sans problème, plutôt timide et réfléchie, excellente dans toutes les matières étudiées, mais un peu rêveuse, passionnée par les événements historiques et le passé familial. Après son bac, elle se dirigea vers les sciences humaines ; pourvue d’un Master et du CAPES d’histoire-géographie, elle obtint un poste au lycée Saint-Luc en banlieue sud-ouest de Lyon.

Ce soir-là, l’enterrement de vie de jeune fille d’une amie d’enfance se prolongeait en boîte de nuit. Anne s’ennuyait ferme, elle se tenait un peu à l’écart des fêtardes, une coupe de champagne, à peine entamée à la main. À quelques mètres d’elle, assis au bar, Fabien très investi dans son rôle de capitaine d’une soirée entre copains, sirotait un jus de fruits. Après quelques sourires et des regards furtifs, Fabien vint se présenter, ils échangèrent quelques banalités, le jeune homme précisa qu’il voulait rentrer chez lui assez tôt pour aller courir en fin de matinée au parc de la Tête d’Or. Anne s’empressa de lui dire, hasard heureux, que la résidence de ses grands-parents, où elle vivait, était située en face de ce parc et qu’elle avait l’habitude de courir presque tous les soirs sur la piste extérieure, à l’écart des promeneurs.

Après une dizaine de séances de running en compagnie de Fabien, suivies de quelques soirées dans des bistrots chics, la blonde et fine Anne se dit qu’elle avait trouvé le partenaire idéal pour le grand projet qui la motivait depuis ses vingt ans : être prof dans un lycée bien fréquenté – c’était le cas – trouver un mari sérieux, nanti d’un bon job, gentil, motivé pour participer à la vie de couple, résider dans une maison individuelle proche de son travail et d’une école où s’épanouiraient ses deux enfants (de préférence fille et garçon), le tout pour ses trente ans. Il y avait dans ce joli programme rêvé par une jeune fille, vivant dans sa bulle auprès de grands-parents fortunés, beaucoup d’incertitudes. Elle les pressentait, mais les chassait de son esprit en récitant ses formules favorites : Je dois… Il faut que… Je suis sûre de…

Elle se devait de réussir, à l’image de ses grands-parents, tous deux étudiants en Mai 68, désargentés, mais actifs et déterminés. En quarante années, ils avaient créé leur entreprise, amassé leur pelote et après leur retraite vivaient confortablement. Bien sûr, ils se disaient comblés par la réussite de leur petite fille chérie devenue, l’année de leurs noces d’or, une jeune professeure enthousiaste, certaine d’apporter le meilleur d’elle-même à ses jeunes élèves.

Sans le lui dire, ils espéraient qu’elle leur présenterait bientôt un garçon plein d’avenir. Pour le vieux couple le libre choix était fondamental. On verrait bien. Quant aux beaux projets parfaitement préparés, ils savaient que tout peut être balayé en un instant, comme lors du funeste appel téléphonique de la gendarmerie de Lunel, un jour d’automne. Cette année-là, leur fils Franck aurait dû reprendre une partie des activités de Prodis-Immo, agence immobilière haut de gamme spécialisée dans les transactions couvrant le 6e arrondissement de Lyon et les Monts d’Or, créée par eux dans les années 1970. Faute de successeur l’agence avait été cédée au début du siècle, à un grand groupe immobilier parisien désireux de prendre pied à Lyon.

Peu de temps après, Anne leur présenta Fabien, jeune homme solide, sportif, sorti de H.E.C., cadre dans l’agence régionale d’un groupe international d’agrobusiness dont la maison mère était établie à Genève, gage de sérieux.

Anne ayant fait son choix, tout étant pour le mieux, il ne restait qu’à organiser un grand mariage, bien entendu financé par Papy Mamie. Laurent en profita pour inviter les personnalités qui lui avaient été utiles pendant ses quarante années d’activité et ses meilleurs clients, plus bien sûr famille et amis. Après la messe nuptiale dans la basilique d’Ainay, Le Pavillon, restaurant du Parc de la tête d’Or avait accueilli les dizaines d’invités, charmés par ce jeune couple radieux qui termina la journée avec les mains broyées et les joues râpées par les innombrables embrassades.

Laurent, grâce à ses relations, s’était chargé sans qu’on le lui demande, de trouver un toit aux jeunes mariés. Il avait renoncé à l’idée de les installer, comme par hasard à proximité de son bel immeuble du 6e. Dans ce cas, il aurait fallu au moins une heure de trajet à Anne pour rejoindre son lycée, dans un trafic très dense et compliqué, toujours en augmentation malgré les vertueuses recommandations des édiles appelant au covoiturage et aux modes de transports doux.

Imaginer sa petite-fille chérie zigzagant dans les bouchons, ou pire encore, chevauchant un deux-roues lui donnait des cauchemars. Les accidents de la route, ça suffisait comme ça ! Il leur trouva une maison dans une nouvelle résidence pavillonnaire, du bâti de bonne qualité à un prix normal, 110 m2 de plain-pied avec un petit terrain facile à entretenir, bien plat pour installer la piscine où pourraient barboter les futurs arrière-petits-enfants. Pour le financement, pas de problème : l’apport personnel était le cadeau de mariage des grands-parents. Avec cet appui ils purent emprunter le reste sur vingt ans à un taux très raisonnable. Encore un petit coup de pouce pour les meubles et le jeune couple, put s’installer dans sa jolie maison de Saint-Genis-Laval, toute proche du lycée d’Anne, juste avant la rentrée scolaire.

Dans la réalisation du projet, Fabien constate qu’il avait été informé, mais qu’il n’avait pas eu la possibilité de choisir le lieu, ni le type de logement. Installé en banlieue, c’était donc à lui d’emprunter les transports en commun bondés, donc au moins une heure de trajet pour rejoindre son bureau de la Part-Dieu, le centre d’affaires de Lyon.

Tant pis pour moi, s’était-il dit, si ma mariée est trop belle. Il ne pouvait rien refuser à la belle blonde, dont il était sincèrement amoureux.

1 Votre colin, Didier, avec ou sans (cent) patates ? (Les trois frères)

CHAPITRE II

Ces cinq années se sont déroulées sans vrai problème, que ce soit notre vie de couple, la grossesse et la venue au monde d’Émilie. Tout baigne dans le bonheur pour nous trois, se dit Fabien, pourvu que ça dure, d’autant que les grands-parents d’Anne ne sont pas trop envahissants. À présent, il écoute distraitement le verbiage de Laurent qui trouve le temps trop doux pour la Toussaint : 25 degrés à Lyon ! On se fait bronzer sur les plages de Nice et de Biarritz, dans une joyeuse promiscuité. L’épisode Covid de 2020 à 2022 est oublié, on profite de la liberté dans une insouciance retrouvée.

Ce monologue sur le thème Il n’y a plus de saison est en général l’amorce d’une discussion sur le réchauffement climatique entre Anne, écologiste militante, et son grand-père à peine arrivé sur le tard à une toute relative prise de conscience. Ces débats étant sources de conflits, Martine passe prudemment au dessert réclamé par Émilie : le splendide gâteau au chocolat provenant de l’atelier d’un Meilleur ouvrier de France.

Les commentaires gourmands des adultes font s’agiter Émilie qui affirme :

– C’est mon gâteau préféré !

– Je l’ai choisi pour toi ma petite chérie, assure la gentille bisaïeule avec son sourire charmant.

Fabien, toujours perdu dans ses rêveries l’observe en train de découper le gâteau, très concentrée, ce qui accentue les rides d’expression sur son beau visage auréolé de cheveux blancs aux discrets reflets bleutés. Il sait, par Anne, qu’elle a subi un lifting bien réussi. À presque 80 ans, à peine voûtée, encore mince et élégante, elle reste une très belle femme, constate Fabien j’espère qu’Anne sera comme elle au même âge. En revanche Laurent lui, est le prototype du boomer trop bien nourri, pas assez actif, à part un peu de marche à pied au parc de la Tête d’Or tout proche, mais seulement par beau temps. Il est loin le frêle étudiant maigrichon et agité qui défiait les C.R.S. sur les barricades parisiennes en Mai 68 et hurlait des slogans lors des meetings. Ce jeune homme venu de Lyon avait rencontré et séduit Martine sur les bancs de la Sorbonne occupée.

Fabien, tout en dégustant l’intérieur moelleux de sa part de gâteau, se demande, amusé, si ces deux-là ont forniqué immédiatement ou attendu plus calmement la nuit suivante pour finir dans la chambre de bonne que Laurent occupait rue d’Assas. Ça ne rigolait pas à cette époque : Interdit d’interdire, Peace and Love. On découvrait l’amour libre, hors des carcans de la société bourgeoise. Bourgeois était l’injure suprême, mais c’est bien ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Le vieux monde qu’ils vomissaient les a rattrapés. En tout cas, leur fils Franck est né pile 9 mois plus tard. Combien de gamins ont été conçus sur les bancs des facs transformées en lupanar ? La pilule n’existait pas encore et les avortements clandestins étaient dangereux, ils ont donc assumé et changé de vie, elle comme institutrice, lui en vendeur d’encyclopédies, puis visiteur médical pour finir agent immobilier à Lyon.

Dans son bureau, Laurent garde les souvenirs précieux de leur folle jeunesse : une collection de livres, des tracts et affiches encadrés, une banderole. Et même fixé sur son support un vrai pavé du Quartier latin, enfin un bout de granit cubique sur lequel ne manquent que les traces de sang. Avec les milliers de ces pavés qui traînent un peu partout, on doit pouvoir construire un joli bout de mur, de même avec les restes du mur de Berlin, vingt ans plus tard, s’amuse Fabien.

Cerise sur le gâteau, pour prouver aux sceptiques que leur couple d’ados gauchistes était bien au cœur de l’action, sur le mur une photo noir et blanc montre en premier plan les leaders du mouvement étudiant de Mai 68 : Sauvageot, Geismar, et Dany, le dernier déjà joufflu, en train de crier un slogan. En arrière-plan, dans la masse des manifestants on distingue Laurent, enfin un personnage chevelu et barbu dont le bras gauche est passé autour du cou d’une jeune fille aux cheveux clairs serrés dans un bandana.

« C’était moi affirme Martine, ce bandeau je l’ai porté pendant des années, mais il a été égaré lors d’un trek au Népal ». On veut les croire. Moi, je fais confiance à Martine plutôt qu’au vieux mytho, se dit Fabien. Sur le mur d’en face on voit une grande photo qui montre la répression modèle 1968 en marche, les supplétifs du vieux monde gaulliste : les C.R.S. (en fait des gendarmes mobiles sur la photo), vêtus de noir, casqués, manches de pioche ou mousquetons à la main. Impressionnant, mais un peu exagéré tout de même. En vrai, il n’y a eu que quelques nuits d’émeutes au Quartier latin, plus une grève générale et les occupations de facs et d’usines ; mais début juin tout était rentré dans l’ordre. Le général de Gaulle était toujours au pouvoir, flanqué de Pompidou – déjà un ancien de la Banque Rothschild – plutôt que de retourner étudier et subir les cours de leurs professeurs, selon eux à la botte du pouvoir, les deux jeunes rebelles avaient pris leur destin en main.

– L’amour est le carburant de la vie, affirme Laurent. On a eu un vrai coup de foudre, nous deux et ça dure encore !

– Bravo ! commente Fabien.

En termes de statistiques, Laurent et Martine doivent être un des rares couples de ces partouzeurs soixante-huitards à être encore ensemble au bout de presque soixante années. Belle longévité ! Quant à la fidélité mutuelle de ces deux-là, j’ai un doute depuis qu’à ma deuxième visite chez eux il y a cinq ans, j’ai vu sur l’écran d’ordinateur de Laurent la page d’accueil de Lady-X, site d’Escort-girls haut de gamme. L’ancêtre est-il donc encore friand de gâteries extra-conjugales ? Au fond, pourquoi pas ? J’espère que ça sera aussi mon cas dans cinquante ans ! Mais à présent je me réserve pour ma belle blonde, d’autant qu’elle est toujours partante et pleine de bonne volonté pour les petites bêtises. Seul défaut : elle est jalouse et par ailleurs pas du tout branchée partenaires multiples et exhibitionnisme. Le côté baba-cool, peace and love, fesses à l’air et seins nus des grands-parents libertins n’a pas déteint sur elle. Eux, le coup de l’appartement au Cap d’Agde, ça n’était sûrement pas un hasard : hardi les partouzes au domaine naturiste du lieu ou dans les dunes de Marseillan, c’était tendance dans les années 1980-1990. Après l’accident de Franck, ils ont tout revendu et acheté un appartement confortable à Sainte-Maxime, au bord de la mer, très pratique pour des parents avec enfant, comme nous. Nous en profitons, car Laurent ne veut plus conduire aussi loin, ils descendent quelques fois l’hiver par le train et le louent le reste du temps.

Le café est servi et Laurent propose un digestif. Son bar regorge de bouteilles, il sert à Fabien un très vieux rhum. Lui-même se verse dans un gros verre ballon une bonne dose d’un armagnac en remarquant :

– Vous auriez dû y goûter Fabien, il est de 1988, l’année de votre naissance… Tenez, sentez-moi cet arôme.

Fabien se prête à la dégustation olfactive et acquiesce :

– Ah oui, fameux ! Je l’essaierai une prochaine fois, mais ce rhum est excellent, lui aussi !

Flatté, le maître de maison explique :

– Il vient de chez Damoiseau. J’avais visité leur distillerie lors de notre deuxième séjour en Guadeloupe. Ils n’ont que des bons produits et j’en commande tous les ans. Alors, si ça vous dit ?

– Volontiers, affirme Fabien qui plonge le nez dans son verre en priant le ciel pour que Laurent, à partir de la Guadeloupe, n’embraye pas sur un de ses thèmes favoris intitulé : « Récit de mes voyages et aventures de 1960 à 2020 à travers le vaste monde. » Exploits réalisés d’abord en solo, sac au dos, à pied et en stop, puis à deux, de la classe éco à la première, hôtels cinq étoiles et croisières de luxe. Sacré parcours !

Fabien en cinq ans en a déjà subi au moins quarante épisodes, illustrés au besoin, et selon l’époque, de photos ou vidéos et même une fois de diapositives pour lesquelles un mur blanc avait remplacé l’écran d’origine tombé en poussière au grenier. Heureusement, l’ampoule du projecteur avait claqué et ce modèle n’existait plus depuis trente ans. Ouf !

À chaque récit, le scénario était le même, seules les destinations et les dates changeaient : en 70 on a « fait l’Afgha » (Afghanistan), puis le Pérou, l’Inde, le Népal avec Katmandou, l’Indonésie et Bali. Dans les années 1980 : le Mexique, les USA (trois fois), Canada, Chine, re-Bali, les Antilles françaises, les Bahamas, la Rep.Dom., la Guyane, l’Andalousie, la Patagonie, les Maldives, Maurice, Tahiti et Bora-Bora… N’en jetez plus ! Le catalogue complet de l’agence T.U.I (ex-Nouvelles Frontières de leur jeunesse) y passe. Le tout en compagnie d’une multitude de guides du Routard, une pleine étagère. Au fait, à quoi peut servir un guide du Laos datant de 1973 ? suppute Fabien. Dans quelques années ça deviendra collector et on les vendra aux enchères avec les reliques de Mai 68.

Usants, ces boomers se dit le jeune homme. À eux deux, ça donne un bilan carbone archi désastreux avec tous ces voyages en jets, bateaux, bagnoles, taxis. Pire encore, quelques photos abjectes les montrent en bons touristes blancs hilares, à deux dans un cyclopousse très écolo. Là, ils se font tirer par un pauvre bougre famélique, debout sur les pédales, qui se croit obligé d’afficher quand même un triste sourire édenté sous son chapeau conique. Les côtes saillantes du thorax soulevé et les mollets squelettiques du malheureux font peine à voir, mais il a six bouches à nourrir et ses vieux parents à charge. Des débiles inconscients, voilà ce qu’ont été nos deux touristes seniors, toujours en mouvement avec les mêmes hordes des Circuits découvertes et Séjours de rêve sous les tropiques. Dans des endroits vierges, à présent bourrés d’immeubles en béton dont les égouts débordent sur les plages, jadis immaculées.

Très souvent, en vrai bonimenteur à fort débit, Laurent embraye, après les récits de voyages, sur le thème : Comment moi, ex-étudiant gauchiste sans le sou des années 1960, je suis devenu un magnat de l’immobilier lyonnais.

C’est tout à la fois un plaidoyer et une évocation nom-brilo-centrée. Comme le remarque Fabien, les boomers, nés entre 1945 et 1965, pendant la période des Trente glorieuses ont, à présent, le besoin de se justifier. Il faut dire que l’opinion et les médias ne sont pas tendres avec eux. On les accuse de tous les maux, d’abord d’exister encore et de se faire voir partout pour critiquer et donner des leçons au monde entier. Il suffit d’ouvrir une chaîne d’information télé à 18 heures pour en avoir au moins un en train de pontifier et d’exhiber calvitie, poches sous les yeux et goitre mis en valeur par le maquillage. Les autres moins visibles s’adonnent à leur unique passion : tout faire pour survivre encore un peu, se sentir moins mal dans leur peau, prétendre être en forme pour profiter de ce qui reste de ce monde en ruine.

À eux les régimes, les gymnastiques douces, les compléments alimentaires vitaminés, les produits anti-âges, anti-bouffées de chaleur, anti-hypertrophie de la prostate, plus les solutions miracles et définitives pour l’incontinence et les fuites urinaires, la constipation et les digestions difficiles grâce au dopage de leur si précieux microbiote intestinal. En cas de déplacements pénibles, ils sont pris en charge dans des fauteuils roulants, des lits mobiles, des monte-escaliers.

Toute une industrie est au service des boomers, qui peuvent ainsi continuer leur parcours merveilleux vers le monde hyper-médicalisé qui leur tend les bras. En effet, comme pendant un demi-siècle ils ont mangé trop riche, trop gras, qu’ils ont fumé comme des pompiers et bu sans soif, mais en faisant des grimaces de connaisseurs, tous ont besoin des spécialistologues, ces médecins hyper-diplômés qui vont traiter officiellement, radicalement et coûteusement les dysfonctionnements internes de nos profiteurs : du neurologue au gastro-entérologue pour arriver à l’angiologue en passant par le proctologue. Tous ces spécialistes sont évidemment assistés par les indispensables équipements high-tech : IRM, scanners, échographes et robots chirurgicaux pour réparer l’intérieur des inconscients qui ont bousillé leur corps, laissé en jachère. Malgré tout, ils veulent continuer à vivre au-delà de l’espérance de vie en bonne santé qui n’est que de soixante-douze ans pour les individus mâles.

Pas de soucis, les spécialistes interviennent : quelques stents dans les vaisseaux trop bouchés, plusieurs pilules journalières pour traiter l’hypertension, le cholestérol, le diabète type II, au besoin des anticoagulants et bas à varices… Et hop, le joyeux drille repart dans le monde enchanté des pré-vieux ou seniors, pour y faire ses sudokus et mots fléchés, puis pédaler mollement sur son vélo d’exercice, aller traîner dans les allées de son marché favori, manger bio bien sûr et finir par digérer sur sa banquette, en regardant Nagui ou quelques épisodes d’une série télé.

Quand on voit ces paisibles vieillards, on a du mal à croire qu’ils ont été des prédateurs sans scrupules, des spéculateurs avides d’argent et de pouvoir, du genre : « Tout pour moi, les autres peuvent crever ! » Certains se sont faits discrets, on les oublie. Moi, se dit Fabien, j’en ai un sous la main, qui assume son passé de constructeur d’immeubles moches et de pavillons bon marché dans des banlieues sans âme. Lui et ses collègues y ont entassé les esclaves de la société de consommation. Pour les distraire pendant l’été, ils ont multiplié les camps de vacances, villes de plage et marinas sur toutes les côtes, de Menton à Collioure et de Biarritz à Dunkerque, à eux les Ports-Machins, surpeuplés et les tours avec vue sur la mer. Laurent, lui a investi dans son coin de l’Hérault devenu une cité lacustre sans âme, certes, mais avec des activités qui occupent les corps. C’est toujours ça de pris, s’amuse Fabien en sirotant son alcool.

En face de lui, son vis-à-vis un peu fatigué par son copieux repas se laisse aller à un petit somme réparateur. Son bedon, bien arrondi, remonte au-dessus de sa ceinture, sa tête est calée sur le haut de son fauteuil, ses yeux sont clos, sa bouche ouverte exhibe une dentition parfaite obtenue après des mois de travail par son dentiste, qui lui a posé bridges et implants hors de prix.

À le voir, on peut dire qu’il n’est pas tourmenté par sa conscience. Il se vante de dormir au moins huit heures par nuit sans avoir à se lever ce qui lui permet de commencer ses journées en douceur, sauf lorsqu’il lui faut accompagner son épouse à l’hypermarché, dès l’ouverture, en compagnie de dizaines d’autres boomers pousseurs de caddies. Pourquoi si tôt ? C’est sûrement un vieux réflexe enfoui dans leur cortex limbique, cette peur du manque, qui, à la moindre menace de guerre ou de catastrophe pousse à stocker huile, sucre et farine. Avec le covid 19 on avait eu une nouvelle variante : pâtes-papier toilette !

Jolis cadeaux laissés aux générations futures que ces centres commerciaux géants baptisés en général Trucmuche 2. Pourquoi ce 2 d’ailleurs ? Est-ce parce que c’est un deuxième foyer pour le travailleur déraciné, qui a quitté son centre-ville aux petits commerces sympas pour aller en banlieue y mener la vie rêvée : lever-bagnole-boulot-centre-commercial-bagnole-maison-miam-miam-télé-dodo, cinq jours sur sept ?

Se dire qu’on a bâti et organisé ce système et cet environnement sinistre sans interruption depuis 1970 et les années Giscard est terrifiant. L’avoir fait croître et prospérer pendant cinquante ans en pratiquant une anti-écologie massive et destructrice ; tout cela sans avoir envie de se suicider, ça montre que promoteurs et dirigeants politiques ont un cerveau différent des autres, constate Fabien.

Vendre un bien ou un service surévalué, éventuellement inutile et d’une qualité insuffisante, en plus d’une réelle arnaque est-il le signe d’un esprit dévoyé ou criminel ? Quelle différence entre un Madoff promettant une rentabilité annuelle de vingt pourcents et un promoteur jurant à son client que la maison mal fichue, pour laquelle il va signer représentera dans vingt ans un vrai pactole ?

Arnaquer son prochain est certainement aussi un très ancien besoin du cerveau humain provoquant, lorsqu’il se réalise, une vraie jouissance grâce à l’émission de dopamine. Comme on s’y accoutume, il en faut toujours plus, donc on risque de devoir continuer à arnaquer pendant toute sa vie. J’imagine bien que ça devait déjà être le cas il y a très longtemps, par exemple au Paléolithique il y a vingt mille ans : Un clan de chasseurs vient d’arriver dans une grotte qui va servir d’abri aux familles. Le chef se charge d’attribuer les places. Il commence par « Onfr », le chasseur le plus doué qui a une femme et trois filles :

– Regarde ici, Onfr, je t’ai réservé le meilleur coin de la grotte au fond. Là, tu peux allumer le feu, dans ce trou bien frais tu pourras garder la viande, et là, faire coucher tes trois filles. Ici dans cet espace, tu pourras t’installer sans problème avec ta femme et lui faire enfin un garçon ! On a besoin de futurs chasseurs dans la tribu !

– Oui, c’est pas mal, remarque Onfr, mais c’est humide ! Regarde là, de l’eau coule du plafond…

– T’inquiètes, un petit feu et ça va sécher tout de suite. Justement, regarde-bien le plafond, le locataire précédent y a peint des bisons, comme tu les chasses, ça va te motiver pour en tuer encore plus…

– Bof, c’est pas ces images qui vont me faire lancer le javelot plus loin !

– Quoi bof ? En tout cas, pour ce coin, tu devras me donner à chaque nouvelle lune une cuisse de bison.

– Ah, ben non ! Ça ne vaut pas plus qu’une cuisse de cerf, et encore !

– Alors une cuisse de bison toutes les deux lunes, sinon tu vas coucher dehors avec ta marmaille !

– Oui, bon, d’accord !

– On se crache dans la main, c’est signé !

Je me réveille dans un sursaut, en me rendant compte que bercé par les ronflements de mon vis-à-vis je me suis endormi. Je me revois en « Onfr », presque nu dans la grotte, mais je suis beaucoup moins costaud que ce personnage. Est-ce un rêve prémonitoire ? Hum, trois filles… C’est beaucoup ! Quoique ma chère Anne projette de donner un petit frère à Émilie, avant son entrée en CP. On verra bien !

En tout cas, conclut Fabien, je ne me sens pas dans la peau de ce chef ou celle de grand-père Laurent, car j’ai une aversion innée pour les pratiques de vente ou de marketing. C’est un paradoxe puisque je sors de H.E.C. « Hautes Études Commerciales ». Je me souviens qu’à part les cours de base, j’ai évité tout ce qui avait trait à la vente pour ne m’occuper que de gestion et de management. En fait à vingt ans, j’ai passé le concours comme ça, sans y croire vraiment, et j’ai été pris ; mais en quatre ans de scolarité, je n’ai pas eu la révélation d’une quelconque vocation commerciale. Actuellement, j’ai un bon job payé correctement qui consiste à monter les dossiers techniques et financiers de matières premières agricoles pour les traders de ma société suisse opérant sur les marchés. Ça concerne le lin, le chanvre, les algues, les fèves de cacao et des produits exotiques. Ça n’est pas très glamour ! Du coup, Laurent me fait un peu la tête, déçu que sa petite fille chérie n’ait pas trouvé un mari plein de sous, aimant le pouvoir et fréquentant la haute société. Très souvent, dans nos conversations, il me glisse les noms d’anciens H.E.C. devenus chefs d’entreprises ou politiciens. C’est vrai que dans ma promotion, il y avait pas mal de fils de, eux-mêmes devenus P.D.G. de la boîte de papa. Je ne suis pas jaloux, je m’en fous. Tant que j’aurai Anne et Émilie à mes côtés, tout va bien !

CHAPITRE III

Une fois la petite Émilie, couchée pour sa sieste, une douce torpeur s’installe dans le salon baigné d’une faible lumière d’automne. Martine et Anne sont assises côte à côte, des livres et catalogues ouverts sur leurs genoux, l’idée étant de renouveler la décoration tristounette selon Anne, du séjour de Saint-Genis.

Les petits ronflements de l’aïeul et le papotage des dames bercent Fabien. Pour résister au sommeil, il prend au hasard une revue sur la table ; c’est un récent Valeurs Actuelles. Le premier article traite de l’immigration clandestine en Europe, particulièrement en France, qui est un terminus plus ou moins provisoire pour les migrants. La situation est devenue critique depuis que la Grande-Bretagne et les pays nordiques ont décidé de refouler les clandestins et les demandeurs d’asiles venus de pays n’étant pas réellement en guerre. On parle de déplacer en masse ces gens, retenus dans des camps. Mais comment les opinions vont-elles réagir devant les déportations de femmes et enfants sans défense ? Un point encore plus délicat est soulevé : que faire chez nous des MNA (mineurs non accompagnés) ? Venus en général d’Afrique, ils sont âgés de dix à dix-huit ans, quoique nombre d’entre eux à vingt ans et plus revendiquent ce statut.

Petit calcul mental, se dit Fabien habitué à jongler avec chiffres et statistiques. On a en Afrique six cents millions de jeunes de cet âge, si dix pourcents terminent son périple en France où ils trouvent un accueil assorti d’aides généreuses, cela va doubler notre population. Difficile à gérer ! Il est certain que tous les Papy-Laurent et leurs copains politiciens vont piailler en mode « Fokon-yaka ».

– Faut qu’on les renvoie chez eux, il y a qu’à obliger leurs pays à les reprendre !

Oui, et on fait comment ? Un vol d’avion charter et saut avec ou sans parachute ? Hallucinant en termes de bêtise et d’inefficacité s’énerve Fabien, constatant que l’article ne fait que mettre en avant pauvreté, corruption, gabegie et désorganisation des États africains comme cause de l’émigration massive vers l’Europe. En fait, c’est nous-mêmes qui les poussons hors de chez eux depuis des décennies. Nous leur promettons développement et prospérité sans jamais installer les infrastructures indispensables, et à la place on les inonde de biens de consommation jugés indispensables. Vous n’avez pas de routes goudronnées ni de trains ? Voilà des beaux 4X4 pour passer partout ! Pas de vraies lignes téléphoniques ? Tenez, voilà des jolis smartphones, on se charge des antennes ! Pas de réseau électrique ? C’est pas grave, achetez-nous des groupes électrogènes pour pomper l’eau, alimenter frigos, télés et recharger les smartphones ! Pas d’hôpitaux ? Les gris-gris des sorciers suffisent pour l’instant ! Pas d’usine ? Inutile, nous ce qu’on veut c’est exploiter les produits bruts qui dorment dans votre sol : pour le cobalt et le cuivre si précieux exploités au Katanga, on va faire un train jusqu’au port de Lobito, là où ça sera bien rentable !

Il n’y a pas de vrai développement économique dans ces pays de misère, se dit Fabien, qui, pour son groupe franco -américano-suisse, affiché éthique et responsable, a voyagé et observé sur le terrain les modes de vie et de production de ses fournisseurs. C’est bien la misère et l’espoir d’une vie meilleure qui pousse ces gens hors de chez eux. Un jeune de vingt ans fait-il le trajet Mali-Niger-Libye, à travers le Sahara et la traversée de la Méditerranée pour son plaisir ? Ce n’est pas un trip pour le fun, comme au temps de Papy Laurent qui jouait au routard, là on parle de survie pour des millions d’humains. Qu’on le veuille ou non, les plus motivés ou résistants de ces migrants réussiront à se fixer, travailler et vivre ici, avec nous. Et ça sera partout : les riches états d’Amérique du Nord seront envahis par ceux venus d’Amérique du Sud, les états pétroliers du Golfe garderont leur Pakistanais et Indonésiens. Le Japon, lui qui a fermé ses frontières aux immigrés, mourra de vieillesse. Aucun état riche n’échappera à l’arrivée massive des pauvres, pas plus que Néandertal n’a pu empêcher l’arrivée de Sapiens, venu chasser sur ses terres.

Bon, voyons s’il y a un sujet un peu plus gai, voilà un titre alléchant : Votre santé Senior. Au moins on sait qui est client de cette gazette ! Regardons un peu ; beaucoup de pub sur des sujets majeurs : arthrose, jambes lourdes, mictions trop ou pas assez abondantes avec des traitements tous hyper efficaces et les témoignages de satisfaction. Suivent quelques pages d’annonces pour les mutuelles et les EHPAD qui annoncent leur couleur : cent-cinquante euros à payer par jour pour le client senior qui aura droit, ce n’est pas dans la pub à cinq euros de nourriture pour quatre repas, mais aussi à une vie de rêve vantée dans un article illustré par de très jolies photos montrant des couples se donnant la main dans un parc aux massifs fleuris. Ils sont minces et sveltes en tenues de sport, pratiquant leur gymnastique douce en face d’une monitrice souriante.

Ah ! Enfin un article de fond sur le thème : Votre système immunitaire, comment le renforcer. L’article commence par quelques données de base : ADN, ARN, gènes, chromosomes, vieillissement de nos cellules et de nos fonctions du fait de réplications aléatoires, de la dégénérescence et des télomères raccourcis. Bref, une obsolescence programmée et une durée de vie maximum de cent-vingt ans, le vrai record établi par Mamie Jeanne Calment.

Peut-on régénérer nos cellules par des moyens externes : médicaments, hormones ou par génie génétique ? Va-t-on devoir se faire bricoler quelque part en Chine ou aux USA, là où les milliardaires de Google, Amazon ou Space-X ont déclaré la guerre à la Mort, et décidé de vivre plus vieux avec un potentiel augmenté, voir infini ?

Déjà, remarque Fabien, vivre cinquante ans après l’âge de la retraite, et devoir finir en EHPAD longue durée, ça coûtera au moins pour chacun deux millions d’euros. Pendant ce demi-siècle, ce senior devra au total se taper quinze mille cours journaliers de Taïchi-Yoga-Abdo-fessiers, autant de parties de Scrabble et de Des chiffres et des lettres. À ce stade, pour ne pas décevoir les Super-Seniors lors de la mort prématurée de leur animateurs préférés, il faudra leur prévoir des clones ou des robots animateurs, immortels.

À présent l’article propose les éternels principes de bonne vie : alimentation saine et variée, de préférence bio, une raisonnable activité physique, faire travailler son cerveau, avoir un rythme de vie adapté, surtout en cas de handicap.

Pour les aventuriers fortunés, il sera impératif de doper leur immunité défaillante. Là on a le choix : greffe de cellules souches, et surtout injections d’anticorps monoclonaux humanisés, par exemple le Machinumab. Ne vous faites pas abuser : le sigle UMAB2